jeudi, 03 décembre 2009
Israël, le Likoud et le rêve sioniste
Archives de Synergies Européennes - 1998
Israël, le Likoud et le rêve sioniste
Le terme “sioniste”, en devenant un concept polémique voire une injure politique, ne désigne plus clairement une réalité politique, idéologique et historique. En entendant le terme “sioniste” dans la seule acception polémique qu’a inaugurée le conflit de Palestine, nos contemporains ne parviennent plus à saisir ce qu’a été cette idéologie avant la création de l’Etat d’Israël, dans les mouvements clandestins, et quelles ont été ses évolutions et ses mutations au cours de l’histoire israëlienne. A l’occasion du 50ième anniversaire de l’Etat d’Israël, il nous a semblé bon de conseiller la lecture d’un ouvrage de Colin Shindler, Israel, Likud and the Zionist Dream. Power, Politics and Ideology from Begin to Netanyahu (réf. infra). L’étude de Shindler commence en 1931, l’année où Zeev Vladimir Jabotinsky et ses camarades s’imposent lors du 17ième Congrès sioniste et lancent le “sionisme révisionniste” (qui obtient 21% des votes, contre 29% pour le Mapai modéré de Ben Gourion). En apprenant ces résultats, Chaim Weizmann, président de l’OSM (“Organisation Sioniste Mondiale”), est amer et ne mâche pas ses mots: pour lui, le “révisionnisme” est une gesticulation haineuse, de type hitlérien. Le clivage entre la gauche et la droite sionistes s’approfondit: le Mapai travailliste (fusion de l’Achdut Ha’avoda et de Hapoel Hatzair) s’oppose à la droite dont le noyau dur est le Betar de Jabotinsky, qui rejette le socialisme, “idéologie faible qui induit l’homme à ne plus déployer d’efforts, à cesser de combattre, de chercher le meilleur”. Et il ajoute: «[Dans le socialisme] la position de chacun serait régulée automatiquement, rien ne pourrait plus être changé, on cesserait de rêver, l’esprit ne se projetterait plus en avant et toutes les impulsions constructives de l’individu disparaîtraient». De même, Jabotinsky rejette injustement l’humanisme “dialogique” de Martin Buber, qu’il a verbalement agressé à plusieurs reprises: “ce provincial typique dans ses allures, un soi-disant penseur de troisième zone, qui énonce neuf dixièmes de phrases tordues pour une seule véhiculant une idée, qui n’est pas la sienne et n’a pas de valeur”. Jabotinsky reproche à Buber de “rêver” et de ne suggérer à la jeunesse juive que le rêve, sans concrétude aucune. Accusé de fascisme par les socialistes, Jabotinsky, toutefois, n’adhère pas à la formule italienne du fascisme et n’accepte pas, a fortiori, l’antisémitisme national-socialiste. Seuls quelques groupes, tel le Brit Ha’Biryonim, ont cultivé une certaine admiration pour Mussolini et même Hitler, tout en admirant les sicarii du Ier siècle de notre ère, qui assassinaient les collaborateurs juifs de Rome.
Le sionisme israëlien futur, dont celui du Likoud, sera un dérivé de ce “sionisme révisionniste” explique Shindler. Première étape dans l’évolution du “révisionnisme” sioniste: celle de la constitution de la “New Zionist Organization” (fondée en 1935) qui donne ensuite naissance à deux groupes armés, qui adopteront des politiques quelque peu différentes: l’Irgoun et le Groupe Stern. La différence entre les deux groupes de la “nouvelle organisation sioniste” repose surtout la façon de combattre la présence britannique en Palestine. Faut-il chasser les Anglais par la force ou composer avec eux? L’Irgoun s’était fait l’avocat d’une révolte immédiate contre les Britanniques en Palestine sous l’impulsion de Begin, apôtre de la désobéissance civile sur le modèle gandhiste. Après l’épisode de la “Nuit de cristal” en novembre 1938 et quand éclate la seconde guerre mondiale, Jabotinsky place sa confiance dans la diplomatie britannique et dans la personnalité de Churchill. Cette nouvelle option pro-britannique provoque d’âpres débats au sein de l’Irgoun. David Raziel, commandant militaire de l’Irgoun, opte également pour l’alliance avec Londres contre l’Axe et veut attendre la fin de la seconde guerre mondiale et l’élimination du national-socialisme en Europe, tandis que le Groupe Stern (plus tard le “Lehi”) veut démarrer la révolte juive avant la fin de la seconde guerre mondiale. Il avait fait des propositions à Mussolini à la fin des années 30: selon ce plan, les sionistes devaient s’allier avec l’Italie pour chasser les Anglais de Palestine, former un Etat hébreu de facture corporatiste et satellite de l’Axe et placer les lieux saints de Jérusalem sous la protection du Vatican. Cette proposition n’eut pas de lendemains, de même que l’offre faite à Hitler de recruter 40.000 soldats juifs d’Europe orientale pour chasser les Britanniques de Palestine. Hitler a préféré jouer la carte arabe. Néanmoins, Stern sabote le recrutement de soldats juifs de Palestine pour l’armée britannique. La police britannique abat Stern le 12 février 1942, éliminant le plus radical des sionistes anti-britanniques, ce qui laisse le champ libre à la politique pro-alliée de Jabotinsky et Raziel (qui meurt à la suite d’un raid aérien). Ya’akov Meridor prend sa succession à la tête de l’Irgoun et opte également pour la carte alliée et l’“armistice” avec les Britanniques.
Avraham Stern était un homme qui ne faisait pas confiance en Londres et s’inspirait de plusieurs sources: surtout l’IRA irlandaise, mais aussi l’action de Garibaldi en Italie, les sociaux-révolutionnaires russes et, sur le plan de la tradition juive, les animateurs de la révolte contre Rome. Stern s’est successivement adressé à Pilsudski en Pologne, à Mussolini et à Hitler pour demander leur appui contre les Britanniques, sous prétexte que ceux-ci sont les ennemis n°1 du rêve sioniste et que “les ennemis de nos ennemis sont nos amis”. Dès 1944, Begin, sûr de la défaite de l’Axe, donne l’ordre de commencer “la Révolte” contre l’administration britannique et de mettre un terme à l’“armistice”. Après 1945, les successeurs de Stern, c’est-à-dire le triumvirat Eldad, Yellin-Mor et Yitzhak Shamir, s’inspirent des terroristes russes du XIXième siècle, de Netchaïev et de Narodnaïa Volnia, demeurent anti-occidentaux et anti-britanniques et cherchent l’appui de l’URSS de Staline. Idéologiquement, explique Shindler, en dépit de la lutte commune contre l’administration britannique, l’Irgoun et le Lehi (= Groupe Stern) ne pouvaient pas fusionner: le Lehi était très jaloux de son indépendance et refusait tout contrôle par Begin. La carte soviétique du Lehi renouait avec la tradition de Stern (“les ennemis de nos ennemis sont nos amis”). Le Lehi considérait que Staline était le nouvel adversaire principal de l’Empire britannique, après la double disparition de Mussolini et de Hitler. A ce titre, le Vojd soviétique pouvait être considéré comme un allié du futur Israël. Yellin-Mor joue une carte plus bolchevique que ses compagnons: il garde une ligne anti-impérialiste radicale et appelle les sionistes à se joindre à tous les mouvements arabes anti-britanniques de la région. Begin, qui a été interné en URSS dans le goulag, est réticent. Shamir, lui, prend pour modèle Michael Collins, chef militaire de l’IRA, au point de prendre, en souvenir du chef irlandais, le nom de code de “Michael” dans la clandestinité. Il prône une lutte sans compromis contre Londres et entend déployer une propagande pro-sioniste en Amérique, pour créer un mouvement favorable à la création d’Israël comme De Valera et Connolly l’avaient fait pour l’Irlande. La littérature sur l’IRA devient lecture obligatoire pour les militants du Lehi. Shindler rappelle que David Raziel connaissait l’histoire de l’IRA par cœur et qu’Avraham Stern avait traduit en hébreu en 1941 le livre de P. S. O’Hegarty, The Victory of Sinn Fein.
Avec l’assassinat de Lord Moyne, ami personnel de Churchill, la Haganah de Ben-Gourion coopère avec les Britanniques et contribue à démanteler partiellement l’Irgoun. Le Lehi, plus clandestin, est relativement épargné. Begin est horrifié au spectacle de l’Haganah tuant des Juifs pour le service d’une puissance tierce. En novembre 1945, seulement, après le refus du nouveau gouvernement travailliste britannique de mener une politique pro-sioniste inconditionnelle, les trois forces (Haganah, Irgoun, Lehi) acceptent un armistice et cessent de se combattre mutuellement. Cette trêve durera jusqu’en août 1946, où Ben Gourion dénoncera les campagnes sanglantes de l’Irgoun (Hôtel King David, Deïr Yassin, etc.).
Après 1948, Begin initie un processus d’alliances et de fusions avec les divers éléments de droite et les factions dissidentes des milieux travaillistes: ainsi son mouvement Herout devient le Gahal en 1965 et le Likoud en 1973. Bien qu’ayant dû accepter l’armistice avec les Britanniques pendant le seconde guerre mondiale, Begin n’a jamais admis leur politique de donner la rive occidentale du Jourdain à l’Emir Abdoullah de Jordanie dans les années 20 ni celle des Nations-Unies de donner ce même territoire aux Palestiniens en 1947. Dans cette revendication, Begin est demeuré fidèle à Jabotinsky qui réclamait pour les Juifs tous les territoires à l’Ouest du Jourdain (la Judée et la Samarie). S’il a redonné le Sinaï à l’Egypte de Sadat, Begin n’a jamais lâché la Cisjordanie, qu’il percevait comme un glacis pour protéger le peuplement juif de Palestine, refuge ultime en cas de nouvelles persécutions en Europe. La conquête du Sud-Liban par Sharon est dans la logique de cette idéologie d’Israël-camp-retranché.
Yitzhak Shamir prend le relais dans le Likoud, bien qu’il soit issu du Groupe Stern anti-britannique. Shamir est un pragmatique, pour qui les pages de la seconde guerre mondiale et de l’opposition des Juifs au mandat britannique sont définitivement tournées, même si la saga du combat sioniste armé et clandestin doit toujours être donnée en exemple aux jeunes générations de “sabras”. Le salut de la droite israëlienne ne réside à ses yeux que dans le Likoud, les autres partis étant trop modestes numériquement. Shamir refuse de rester dans les cercles et petits partis issus du nationalisme anti-britannique, c’est-à-dire du Lehi et de ses satellites. Shamir s’allie donc aux pragmatiques du Likoud, rassemblés autour de Moshe Arens.
Avraham Stern a toutefois légué à Shamir l’idée d’un “Très Grand Israël”, du Nil à l’Euphrate. Raison pour laquelle, en dépit de son pragmatisme et de son refus de s’enfermer dans les petits partis dérivés du Lehi, Shamir est resté un adversaire des accords de Camp David. L’idéologie et la pratique de Shamir a donc sans cesse oscillé entre le maximalisme de Stern et le pragmatisme de Ben Gourion, dont il ne partageait pourtant pas la théorie d’une fédération de deux Etats, l’un palestinien, l’autre juif. Shindler rappelle que les actions du Groupe Stern et du Lehi ont toujours été mûrement réfléchies et n’ont jamais été des gestes spectaculaires et irréfléchis. Face à Begin, qui aimait “mélodramatiser” ses interventions et rappelait sans cesse le sort tragique des Juifs d’Europe, Shamir demeurait plus austère dans ses propos mais pratiquait dans le dialogue avec les Palestiniens une “approche immobile”, disant de lui-même qu’il aurait pu faire traîner les négociations pendant dix ans s’il l’avait fallu.
Netanyahu est aujourd’hui l’héritier de cette idéologie complexe, qui a pour point commun de faire vivre et survivre coûte que coûte l’Etat d’Israël dans un environnement hostile, mais où des inimitiés anciennes sont bien présentes, focalisées autour des concepts de “Petit Israël” (avec la Cisjordanie) ou de “Très Grand Israël” (du Nil à l’Euphrate).
L’ouvrage de Shindler est important, pour connaître tous les méandres de l’histoire du sionisme et d’Israël, pour prendre acte de la complexité de la question palestinienne.
Benoît DUCARME.
Colin SHINDLER, Israel, Likud and the Zionist Dream. Power, Politics and Ideology from Begin to Netanyahu, I. B. Tauris, London/New York, 1995, 324 p., $39.50, ISBN 0-85043-969-9.
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