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mardi, 03 août 2010

Les métamorphoses de la Turquie

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Les métamorphoses de la Turquie

 

 

On a maintes fois plagié la célèbre petite phrase « it’s about the economy, stupid ! » (« Ça tourne autour de l’économie, imbécile ! »), prononcée à tour de bras lors de la campagne électorale de Bill Clinton en 1992. Celui qui l’a forgée, dit-on, fut un certain James Carville, l’un des stratèges qui menaient cette campagne à bien. L’idée était d’insister avant tout sur l’économie qui peinait à reprendre son rythme, seule manière de battre Bush Senior. L’idée, simple, a porté ses fruits : Bush-le-Père a été battu.

 

« Cette phrase aurait sa place dans la bouche du premier ministre turc Erdogan » remarquait récemment un diplomate. Les nouvelles ambitions internationales de la Turquie sont de plus en plus souvent commentées dans la presse. Mais on parle beaucoup moins de l’impressionnante croissance économique de la Turquie. A tort car c’est elle qui rythme la marche, c’est elle qui permet au pays de se donner le rôle nouveau qu’il s’assigne. Ce qui se passe actuellement en Turquie pourrait avoir à terme des répercussions importantes sur les relations entre la Turquie et l’Union Européenne.

 

Les relations entre la Turquie et Israël sont au plus bas. On parlait depuis quelque temps déjà de ce recul : l’incident de la flottille en partance vers Gaza a constitué le coup de grâce pour les rapports turco-israéliens, jadis harmonieux. Où ce gel n’est-il qu’une apparence ? Les observateurs les plus avisés constatent qu’il y a un gouffre entre les réactions diplomatiques officielles (abandon de toute coopération militaire, rappels d’ambassadeurs, …) et les réalités économiques. L’espace aérien turc peut certes demeurer fermé à tout exercice militaire pour l’aviation de Tsahal, il n’empêche qu’une commande turque auprès  des arsenaux israéliens n’a pas été annulée, jusqu’à nouvel ordre : elle porte sur une somme de 190 millions de dollars et concerne des aéronefs sans pilote (des drones). Dans une large mesure, la Turquie dépend de l’Etat hébreu pour ses commandes militaires. Il n’existe pas de chiffres exacts mais d’après le « Jane’s Defense Weekly », généralement bien informé, l’ampleur du « commerce militaire bilatéral » tournerait autour de 1,8 milliard des dollars. Seuls les Etats-Unis importent davantage de technologies militaires en Turquie. Entre la Turquie et Israël existe un accord de libre-échange, qui n’a nullement été dénoncé en dépit de l’émotion suscitée par l’attaque israélienne contre la flottille à destination de Gaza. Notre diplomate ajoute : « Affirmer que l’attaque contre la flottille n’a eu aucun effet, c’est aller trop loin ». « La confiance réciproque a pris un coup et, côté israélien, il y a désormais un certaine réticence car on craint que le matériel livré aujourd’hui pourrait un jour être utilisé contre Israël ; mais, globalement, ce que l’on constate, c’est que les relations commerciales se poursuivent comme auparavant ».

 

Impressionnant

 

Tandis qu’on se contente souvent en Europe d’une croissance de 1%, l’économie turque, elle, a crû de 11,4% pour le premier trimestre de cette année. Seule la Chine fait mieux. Il y a dix ans, le déficit budgétaire turc était encore de 16% du PNB et l’inflation se chiffrait à 72%. Aujourd’hui, ce déficit n’est plus  que de 3% et l’inflation de 8%. Trouver des solutions pour résorber cette dernière est l’objectif premier pour les années à venir. La dette publique équivaut à 49% du PNB elle est donc bien moindre que la plupart des dettes publiques des pays de la zone euro, y compris la Belgique. Dans un entretien récemment accordé, Husnu Ozyegin, quasiment l’homme le plus riche de Turquie, rappelle que les paramètres de risque utilisés sur les marchés financiers deviennent toujours plus favorables à son pays.  « Nous nous trouvons à peu près au même niveau que l’Italie et nous faisons nettement mieux que la Grèce », constate-t-il. En juin 2010, les exportations turques étaient de 13% plus élevées qu’en juin 2009, surtout grâce aux demandes de pays comme l’Iran, l’Irak ou la Russie. Les lignes aériennes turques (Turkish Airlines) desserviront bientôt plus de villes irakiennes que de villes françaises. Les lignes aériennes, dont la croissance est la plus rapide, conduisent en Libye, en Syrie ou en Russie, soit vers les pays qui sont désormais les principaux partenaires commerciaux de la Turquie. Pour conclure, encore un chiffre : cette année, la Turquie aura exporté davantage vers la Syrie et l’Iran que vers les Etats-Unis. Valeur totale des échanges : 1,6 milliard de dollars, ce qui équivaut à 200 millions de dollars de plus que le total des exportations turques vers les Etats-Unis.

 

Adhésion à l’UE ?

 

Ce qui se dessine à l’horizon est clair : la Turquie vit actuellement un « miracle économique », surtout grâce au commerce qu’elle entretient avec certains pays d’Orient et avec la Russie. L’ambition turque de jour un rôle régional plus important se traduit en une nouvelle politique internationale, soutenue justement par ce renforcement tous azimuts de l’économie turque. Dans un tel contexte, où se trouve aujourd’hui l’UE et, —doit-on le demander ?–  où en est le projet d’adhésion de la Turquie à cette Union ?

 

Toutes choses prises en considération, les cartes de la Turquie sont plus mauvaises aujourd’hui pour la perspective d’une adhésion qu’elles ne l’étaient en 2004, lorsque le pays fut accepté comme « candidat officiel ». Se porter candidat implique de satisfaire trente-cinq critères, avec une quantité de normes à respecter. La Turquie n’obtient de bons points dans cette épreuve que pour treize de ces critères. Parmi les 22 autres, auxquels elle ne satisfait pas, il y en a douze où la situation est complètement bloquée. Où ce situe les pierres d’achoppement ? Dans une série de dossiers concrets, tels celui de Chypre par exemple. Par ailleurs, il y a en Europe pas mal de résistance à l’adhésion éventuelle de la Turquie. Le Président français Sarközy a des idées claires sur le sujet. Bon nombre d’autres le suivent tacitement. Dans le contexte actuel, le fait que la Turquie ait refusé de voter des sanctions supplémentaires contre l’Iran, à l’instar des Européens et des Américains, lors de la session ad hoc du Conseil de sécurité de l’ONU, n’a pas arrangé les choses. Pour l’Europe technocratique de Bruxelles, le minimum que l’on attend d’un pays candidat, c’est de s’aligner sur les autres Etats de l’Union dans des dossiers aussi sensibles. Lorsque l’Espagne, au début de cette année 2010, a assuré la présidence de l’Union, elle s’affirmait sûre d’obtenir un accord sur quatre critères. Un seul de ces quatre critères a été satisfait, ce qui, au vu de toutes les circonstances, procède d’un véritable miracle !

 

La procession d’Echternach (trois pas en avant, deux pas en arrière) est une véritable course folle, si on la compare au cheminement de la Turquie vers l’UE. La question se pose : la Turquie a-t-elle encore envie d’adhérer ? Pour accumuler les avantages économiques, l’adhésion n’est pas nécessaire. Les ambitions turques actuelles se tournent vers d’autres directions. De plus en plus. Cela signifie que la frontière maritime que constitue le Bosphore devient de plus en plus large.

 

« M. »/ « ‘t Pallieterke ».

(Texte paru dans « ‘t Pallieterke », Anvers, 21 juillet 2010 ; http://www.pallieterke.info/ ).

 

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