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dimanche, 17 octobre 2010

Confrontation en Mer Jaune

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Albrecht ROTHACHER :

Confrontation en Mer Jaune

 Forte tension entre la Chine et le Japon : l’Empire du Milieu renonce à ses réticences en politique étrangère

 

Spratly_Is_since_NalGeoMaps.pngPendant deux ans, la Chine et le Japon s’étaient efforcés de provoquer un dégel dans leurs relations auparavant fort chargées de contentieux. Cette période connaît désormais sa fin. Il y a à peu près trois semaines, un bateau de pêcheurs chinois en train de prendre du thon a heurté deux patrouilleurs côtiers japonais à proximité des petites îles rocheuses Sentaku (en chinois : Diaoyu), dont les eaux avoisinantes sont revendiquées tant par la Chine que par le Japon. Les Japonais ont rapidement relâché les quatorze marins de l’équipage mais maintenu en détention le capitaine vindicatif, un certain Zhang Qixiong. Début octobre, il se trouvait encore en détention préventive.

 Ce genre d’incident n’est pas rare vu les nombreuses frontières maritimes contestées de la région et la Chine aime les monter en affaires d’Etat. L’ambassadeur du Japon a été convoqué cinq fois. Tous les contacts de haut niveau ont été interrompus. Habituellement calme et pondéré, le premier ministre chinois Wen Jiabao n’a pas « trouvé le temps », lors d’un sommet de l’ONU à New York, de rencontrer son homologue japonais Naoto Kan.

Pourtant, il y a deux ans, à la suite de la visite du Président Hu Jintao à Tokyo, on pouvait imaginer que les deux protagonistes d’aujourd’hui allaient enfin mettre leurs contentieux territoriaux entre parenthèses et concentrer leurs efforts sur l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz dans la zone litigieuse. La société chinoise d’exploitation offshore CNOOC avait rapidement commencé à forer et à édifier, dans la foulée, une plateforme pour pomper les hydrocarbures. Le Japon n’a pas obtenu grand chose du gaz extrait du sol marin ni du partage des bénéfices, pourtant dûment promis.

Pour la Chine, ces îles rocheuses, inhabitées et situées entre Okinawa et Taiwan, font partie du socle continental chinois et constituent un fragment du « sol sacré » de l’Empire du Milieu. Pour le Japon, elles font partie depuis 1885 des terres contrôlées par l’Empire du Soleil Levant et donc du territoire souverain nippon. En 1971, les Etats-Unis les avaient rendues au Japon, en même temps qu’Okinawa, l’île dont la conquête avait coûté tant de vie en 1945. Okinawa et les Iles Sentaku avaient, du coup, cessé d’être un protectorat américain. Lors de la visite de Wen Jiabao à Tokyo en mai 2010, les Chinois avaient manifesté de la bonne volonté. Pourquoi ce changement brusque d’attitude ?

Premier facteur à prendre en compte : la lutte pour le pouvoir entre dans une nouvelle phase d’intensité à Pékin actuellement, avec pour objet la succession en 2012 du Président Hu Jintao. Deuxième facteur : les partisans de la ligne dure, dans l’armée et dans la marine, ont aujourd’hui le vent en poupe. Troisième facteur : les réformateurs modérés autour du premier ministre Wen ne veulent pas avoir l’air de « poules mouillées » devant l’ennemi héréditaire japonais. Quoi qu’il en soit, la Chine se montre toujours très agressive quand il s’agit de conflits frontaliers. Ainsi, la Russie du Président Poutine avait rendu en 2004 les îles du fleuve Oussouri, prises par les troupes soviétiques à la suite d’une bataille sanglante en 1969. Ce fut un geste d’apaisement à l’endroit de la Chine, alors très amie de la nouvelle Russie. Le Kirghizistan, lui aussi, avait « volontairement » rendu à la Chine quelques chaines de montagnes qu’elle revendiquait. Face à l’Inde, la Chine revendique l’ensemble de la province frontalière de l’Arunachal Pradesh, peuplée d’un million de Tibétains et de ressortissants de tribus birmanes. Cette province est constituée de montagnes et de forêts vierges. Elle se situe sur le flanc sud de l’Himalaya et les Chinois la nomment « Tibet méridional ». Dans la Mer de Chine Méridionale, la Chine cherche à obtenir une frontière maritime jusqu’à l’Equateur, en englobant les îles indonésiennes de Natuna, ce qui heurte les intérêts de tous les pays riverains de cette mer : le Vietnam, les Philippines, Brunei, l’Indonésie et la Malaisie. La Chine est en train de construire, sur son flanc sud, c’est-à-dire sur l’Ile d’Hainan, une énorme base de sous-marins qui devrait appuyer ses revendications en Mer de Chine Méridionale. Sur le plan militaire, il n’y aura pas que ces sous-marins : la Chine aligne désormais une flotte de haute mer, nouvellement équipée et parfaitement apte à faire face à certaines éventualités. Face à l’Inde, les Chinois construisent une base navale sur le territoire de l’ennemi héréditaire, le Pakistan. De même, en Birmanie (Myanmar). Elle « drague » à fond le Sri Lanka, tombé en disgrâce dans la sphère occidentale à cause des entorses aux droits de l’homme qui s’y pratiquent.

Hillary Clinton, ministre américaine des affaires étrangères, a rassuré Naoto Kan à New York que les Etats-Unis considèreront toute violence contre les îles Sentaku comme un cas pouvant faire jouer le pacte d’assistance, scellant l’alliance nippo-américaine. Aux pays de l’ASEAN, inquiets, Hillary Clinton a proposé les bons offices des Etats-Unis dans toutes les questions relatives aux matières premières abondantes en Mer de Chine Méridionale. Elle a également suggéré une conférence multilatérale pour résoudre les problèmes.  Or c’est bien là la dernière chose que veulent les Chinois, sûrs de leur puissance. Ils préfèrent intimider les petits pays de l’Asie du Sud-Est en les ciblant un à un, lors de pourparlers bilatéraux. Toutes les formes de bons offices proposées par les Etats-Unis sont carrément rejetées et considérées par les Chinois comme partisanes, surtout qu’elles émanent d’une puissance extérieure à l’espace asiatique, qui veut la liberté des mers et des voies maritimes et est bien présente dans le Pacifique avec sa 7ème Flotte. La nouvelle doctrine chinoise part du principe que la Mer de Chine Méridionale fait tout autant partie du noyau territorial chinois que le Tibet ou Taiwan. En clair, cela signifie que les prétentions chinoises sur la Mer de Chine Méridionale ne sont pas négociables. Sur le plan historique pourtant, la Chine ne peut pas vraiment justifier ses revendications, mis à part quelques cartes maritimes imprécises ou quelques tombes de pêcheurs échoués sur des îles inhabitées.

Bientôt, la marine américaine organisera des manœuvres communes avec la Corée du Sud dans une partie de la Mer Jaune, que la Chine considère comme faisant partie de sa propre zone maritime. Cette démonstration de force servira surtout à intimider la satrapie prochinoise qu’est la Corée du Nord qui, au printemps dernier, avait coulé une corvette sud-coréenne. Mais en intimidant la Corée du Nord, on cherche évidemment à intimider la grande puissance protectrice de l’Etat « voyou ». Même la Russie, jusqu’ici l’allié le plus fidèle de la Chine et son principal fournisseur d’armes, se sent menacée par les flots d’immigrants chinois en Sibérie, terre faiblement peuplée. Elle adopte du coup une attitude pro-occidentale et prend ses distances.

Le grand réformateur Deng Xiaoping n’avait eu de cesse d’avertir ses camarades de parti : il fallait attendre l’année 2020, quand la Chine serait suffisamment forte pour résoudre ses problèmes territoriaux, sans craindre une coalition ennemie qui aurait procédé au préalable à son encerclement. L’impatience impériale a été fatale à l’Allemagne en 1914 et au Japon en 1941, car les grandes puissances établies avaient décidé de juguler les velléités expansionnistes des puissances chalengeuses et indésirables. Il semble que les héritiers du Bismarck chinois devront bientôt méditer ses leçons.

Albrecht ROTHACHER.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°40/2010 ; http://www.zurzeit.at/ ).

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