mercredi, 17 novembre 2010
Faut-il sauver la ville des architectes?
Faut-il sauver la ville des architectes ?
par Pierre LE VIGAN
Les architectes sont-ils coupables ? Bonne question. Encore faudrait-il savoir de quoi ? D’avoir tué la ville ? De ne pas avoir construit des villes à la campagne ? D’avoir trop pensé à leurs bâtiments et pas assez aux lieux alentours ? L’opprobre jetée sur les architectes est une vieille antienne. Et il est vrai que les architectes sont emblématiques de certains maux. La « starisation », la médiatisation, les architectes les plus connus y participent. Pour autant, qui fait la ville ? Qui produit de l’urbain, ou, bien souvent, de l’anti-urbain ? Les architectes un peu, mais plus encore les élus, et les hauts fonctionnaires, et les promoteurs immobiliers. Les architectes ne seraient rien – et surtout ne pourraient rien – sans les maîtres d’ouvrage, ceux qui sont à l’origine de la commande de tel bâtiment, immeuble, bureaux, école, campus, etc.
Architecte de formation, Franco La Cecla tonne contre l’architecture médiatique qui oublie que la ville est un bien public. Les architectes croient contrôler quelque chose mais « leurs œuvres sont immanquablement englouties dans l’indifférence du shopping ». L’architecture de l’hypercapitalisme, du « capitalisme de casino » produit des marques mais non pas des lieux, des vitrines plus que des habitats.
La pratique de la ville a été longtemps à l’échelle de l’homme. Dans la marche en ville, le corps devient manuscrit. La ville était un long apprentissage. Or, le gigantisme urbain tue la marche au profit des transports individuels ou collectifs. Les trajets disparaissent au profit des déplacements dans un immense réseau sans lisibilité globale.
Face à la perte des repères en ville, les solutions radicales sont parfois aussi inappropriées que l’ont été les constructions des années 50 à 70. « Faut-il raser les grands ensembles ? » s’interrogeait Le Monde il y a déjà presque une génération, le 23 janvier 1982. Si la question de démolir et de reconstruire autrement ne peut être taboue, encore faut-il ne pas repeindre le cadre de la misère ni simplement la déplacer. La ville demande de la durée. Les grands ensembles ont généralement été construits en déplaçant des populations issues de quartiers insalubres où les logements étaient souvent très exigus. C’était une mauvaise réponse à un vrai besoin. Mais un traumatisme nouveau ne répare pas un ancien traumatisme, il l’aggrave. Quels que soient les défauts de conception des grands ensembles, la destruction est encore une hybris. Franco La Cecla s’insurge : « La démolition est bien devenue le plus grand business urbain de ces vingt dernières années et, selon moi, il est fort probable qu’elle déferle sur l’Europe avant même qu’on ait fini de s’interroger sur le sort des banlieues. » Dans la construction comme dans la destruction, la banlieue se fait ainsi sans et contre ses habitants. « Il s’agit, au fond, d’une élaboration consciente de la laideur, d’une injure faite aux savoirs et aux pratiques millénaires de l’architecture et de l’habitat. » Face à cela, c’est à l’inventivité sociale des habitants eux-mêmes qu’il faut recourir, afin de trouver des alternatives aux lieux monofonctionnels, si prisés des politiques et des planificateurs, car ils simplifient la gestion, mais si contraires aux besoins multiformes des hommes.
C’est pour laisser place aux initiatives des habitants que Franco La Cecla propose donc « moins d’architecture », une décroissance de l’architecture, seul moyen de faire naître une autre architecture, qui ne soit plus une architecture d’accompagnement de la marchandisation du monde, mais soit au service de la ville comme bien public appartenant à tous ses habitants. Une architecture de la sobriété heureuse ?
Pierre Le Vigan
• Franco La Cecla, Contre l’architecture, Arléa, 175 p., 15 €.
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00:10 Publié dans Architecture/Urbanisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : architecture, urbanisme, ville | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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