Les douaniers parisiens ont saisi début 2017 750.000 comprimés de Captagon, appelé «drogue des djihadistes», ou «drogue de Daech». M. Estievenart, responsable de l’IPSE, dévoile les effets de cette drogue, qui expliquent en partie la mentalité des terroristes. La drogue était-elle destinée à la France ou simplement en transit?
En janvier et février 2017, les douaniers de l'aéroport parisien de Roissy ont mis la main sur 750 000 comprimés, soit environ 135 kilogrammes, de Captagon en provenance du Liban.
Appelé également « drogue du conflit syrien », « drogue de Daech » et « drogue des djihadistes », le captagon permet aux terroristes de commettre leurs atrocités.
« Les vertus du Captagon vous permettent de faire des choses dont vous ne vous seriez pas cru capable à jeun, donc vous avez l'impression d'être le roi du monde dès que vous en prenez. C'est donc pour les djihadistes les plus combattants un support très classique », a expliqué à Sputnik Georges Estievenart, responsable de l'Institut Prospective et Sécurité de L'Europe (IPSE) à Bruxelles.
Il a en outre précisé que la production, l'utilisation et la consommation de ce produit se situent principalement au Moyen-Orient, en Syrie, au Liban et en Libye, où les djihadistes en profitent pleinement « car le Captagon sert de monnaie d'échange, y compris pour des armes ».
Bien que la destination des 135 kilogrammes de psychostimulants saisis reste incertaine, Georges Estievenart craint toutefois qu'il ait pu être destiné aux terroristes sur le territoire français.
« La drogue saisie aurait pu être destinée aux djihadistes en France ou en Europe. Mais une autre hypothèse serait qu'elle ait transité par la France puisque de nombreux djihadistes sont français ».
En juin 2015, le djihadiste Seifeddine Rezgui tuait 39 personnes sur une plage de Sousse (Tunisie) avant de se faire abattre par la police. L’autopsie de son corps révèlera la présence de Captagon, une drogue de synthèse consommée notamment dans les pays du Golfe : des quantités importantes de cette substance circulent depuis plusieurs années entre l’Arabie saoudite, le Liban et la Syrie et globalement dans la région, alors même que les principales usines de production se trouvent aujourd’hui dans des territoires contrôlés par Daesh.
Le Captagon accroît les performances des combattants, les rendant insensibles à la fatigue et à la peur et leur enlevant toute forme d’empathie. Une drogue “idéale” pour faciliter la commission d’actes inhumains. Lors des attentats du 13 novembre, des rescapés ont fourni une description des terroristes qui laisse penser qu’ils avaient pris du Captagon : regards fixes, visages livides, sans expression, ils ressemblaient à des “morts vivants”. Des analyses médico-légales doivent permettre de dire si, comme à Sousse, les terroristes étaient effectivement drogués.
On a cherché à en savoir plus sur la prétendue drogue des djihadistes et faire la part des choses entre fantasme et réalité. Pour ça, on a posé des questions au spécialiste français du Captagon Jean-Pol Tassin, neurobiologiste et directeur de recherches émérite à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
Son travail consiste à étudier les effets des drogues illicites : les psychostimulants comme l’amphétamine ou la cocaïne, les opiacés comme l’héroïne ou la morphine, l’ecstasy, mais aussi licites comme le tabac ou l’alcool. Une pilule coûte pour sa fabrication environ 20 centimes de dollars et est revendue entre 5 et 20 dollars. Le coefficient multiplicateur est de l’ordre de 50. Si vous multipliez par les 11 tonnes – en sachant que le poids d’une pilule se mesure en grammes – qui sont consommées chaque année vous arrivez à des sommes astronomiques avec très peu d’investissement. Car la fabrication est simple à partir de précurseurs peu chers qui sont fournis par l’industrie chimique. Notons néanmoins que ces précurseurs sont sous contrôle en Europe.
Le Captagon est initialement un médicament qui possède une composante “amphétamine” et une autre “théophylline”. L’amphétamine a été synthétisée au début du XXe siècle. Cette drogue permet de lutter contre la fatigue et c’est un anorexigène, anti-dépresseur, anti-narcolepsie.
Le Captagon a été synthétisé en 1961 avec l’idée de retrouver les propriétés de l’amphétamine et de la théophylline, qui a elle un effet broncho-dilatateur. Progressivement, le Captagon a montré des propriétés intéressantes en tant que stimulant aussi bien sur le plan intellectuel, pour les examens par exemple, que sur le plan physique, pour les sportifs ou ceux qui voudraient réaliser des exploits.
Il a été interdit en France dans les années 70 à cause de nombreux effets secondaires pendant ou après la prise. Notamment des risques de crise cardiaque, de dépression, et bien sûr de pharmaco-dépendance. Le produit a continué sa vie dans les différents laboratoires clandestins, d’Europe puis du Moyen-Orient.
Il est probable que la surveillance des produits illicites étant moins efficace dans les pays du Moyen-Orient qu’en Europe, le Captagon se soit développé plus facilement dans ces pays. Il ne faut pas oublier qu’un des effets les plus recherchés de l’amphétamine est une sensation de plaisir, voire d’euphorie. Progressivement, en augmentant les doses, les consommateurs ont pris conscience de ses autres effets psychologiques et physiques.
Les forces de l’ordre antidrogue turques ont mis la main sur près de 10,9 millions de comprimés au cours de deux descentes distinctes dans la province de Hatay, frontalière de la Syrie (voir carte ci-dessous), annonce l'AFP. Les policiers ont saisi un premier lot de 7,3 millions de comprimés dissimulés dans 1.300 filtres à huile de moteur. Le second lot a été découvert dans un dépôt. Produits en Syrie, ils étaient destinés aux pays du Golfe. Le second lot a été découvert le lendemain dans un dépôt. Deux Turcs et un Syrien soupçonnés d'être des trafiquants ont été placés en garde à vue. En octobre 2015, les autorités libanaises ont arrêté à l’aéroport de Beyrouth un prince saoudien qui tentait d’embarquer pour Ryad dans un avion privé près de deux tonnes de pilules de Captagon rangées dans quarante valises.
26 juin 2015, dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse, en Tunisie. Un homme âgé de 23 ans et du nom de Seifeddine Rezgui ouvre le feu sur des touristes. Bilan: 39 morts et 39 blessés. Selon des témoignages, pendant la tuerie, l'homme souriait et riait alors qu’il venait de commettre son massacre. Son autopsie mettra en évidence qu'il était sous l’emprise d’une drogue, selon une source citée par le Daily Mail. La substance en cause : la fénéthylline, vendue sous le nom de "captagon". D'après un témoignage, les terroristes qui ont pris d'assaut le Bataclan à Paris le vendredi 13 novembre 2015 avaient un comportement mécanique et déshumanisé. De plus, des seringues qui auraient pu servir à des injections auraient été saisies par les policiers dans deux chambres d'hôtel perquisitionnées à Alfortville (Val-de-Marne) louées au nom de l'un des terroristes, Salah Abdeslam, selon Le Point. L'hypothèse qu'ils aient pu eux aussi être sous l'effet d'une drogue a été évoquée. Peut-être là encore le captagon, cette pilule blanche très prisée des combattants de Daesh (que l'on peut aussi s'injecter en intraveineuse).
Synthétisé pour la première fois en 1961, le captagon est un stimulant de la famille des amphétamines qui comprend notamment la métamphétamine et l'ecstasy (aussi appelé MDMA). Connue pour ses propriétés dopantes, cette drogue a été largement utilisée dans le milieu du cyclisme dans les années 1960 à 1970. À des doses modérées, le captagon stimule la production de dopamine et améliore la concentration, c'est pourquoi il a longtemps été prescrit dans le traitement contre la narcolepsie et l'hyperactivité. Mais il a été retiré du marché français en 1993 en raison des graves lésions cardiaques qu'il provoquait. Depuis 1986, la fénéthylline est d'ailleurs classée sur la liste des substances stupéfiantes placées sous contrôle international de l'Organisation mondiale de la santé.
"Comme toutes les autres amphétamines, cette drogue entraîne une résistance à la fatigue, une vigilance accrue et une perte de jugement. Elle donne l'impression à celui qui la consomme d'être tout puissant, d'être le 'roi du monde' en quelque sorte", détaille à Sciences et Avenir le Pr Jean-Pol Tassin, neurobiologiste de l'Inserm et spécialiste des addictions. Ce qui lui permet de tuer sans craindre de réaction de la part des autres, qui n'existent même plus pour lui. "Plus précisément, au niveau moléculaire, la fénéthylline pénètre dans les neurones et chasse deux neurotransmetteurs, la noradrénaline et la dopamine, présentes dans les vésicules. La libération de noradrénaline hors des neurones augmente la vigilance et réduit le sentiment de fatigue. La dopamine, elle, agit notamment sur le circuit de la récompense, responsable de la sensation de plaisir et, à haute dose, de l'addiction."
Comme toutes les amphétamines, le captagon agit sur certains neurotransmetteurs, des molécules qui permettent au cerveau d’être plus efficace. Quand cette substance pénètre les neurones, elle libère une grande quantité de dopamine et de noradrénaline.
Selon Jean-Paul Tassin, neurobiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), "la noradrénaline va augmenter la vigilance et les facteurs de concentration. La dopamine, elle, va intervenir sur le circuit de la récompense. En le stimulant, elle va vous donner l'impression que vous êtes bien, que tout va bien...Vous n'avez pas peur, pas faim, pas soif… Vous ne risquez rien, y compris la mort."
Un sentiment de bien-être, de toute puissance presque, dont témoigne un jeune homme, filmé en Jordanie il y a quelques mois par Julien Fouchet pour le site Spicee : "C’est sur le champ de bataille que c’est efficace. Le combattant peut prendre 5 ou 6 balles, il ne les sent pas. Il devient invincible. Il est rempli de bravoure. Il n’a plus peur de la mort".
Prendre des stimulants pour combattre : le phénomène n'est pas nouveau. Déjà, pendant la Seconde Guerre mondiale, les amphétamines sont utilisées par certains soldats américains, allemands et britanniques. Selon le Dr Xavier Laqueille, psychiatre addictologue, elles suppriment "le sentiment de fatigue. Vous n'avez pas besoin de dormir. Il y a un sentiment d'hyper vigilance, et puis il y a ce petit effet de stimulation psychique. On se sent un peu supérieur, ce qui augmente l'agressivité."
En France, le captagon a été utilisé légalement contre la narcolepsie, l'hyperactivité, mais aussi comme coupe-faim ou antidépresseur. Mais, il a été interdit dans les années 1970. A forte dose, il peut avoir des effets secondaires psychiques très sévères, comme en témoigne le psychiatre Xavier Laqueille :
"Il existe des complications d’ordre psychiatrique qui sont une réactivation des angoisses avec des bouffées de panique. Quand les amphétamines sont prises de façon assez régulière, il peut y avoir des dépressions très résistantes et très difficiles à soigner à l’arrêt. Et puis surtout, il peut y avoir, même lors de prises isolées, des décompensations délirantes avec des délires, des thèmes mystiques... qui sont très teintés de ce qui caractérisent les amphétamines, c’est-à-dire l’agressivité."
Le captagon est une drogue assez facile à fabriquer et son commerce est très rentable. La Syrie serait devenue le principal pays producteur. Vendredi 20 novembre, près de 11 millions de comprimés de captagon ont été saisies par la police au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Les effets de cette drogue ne sont pas cantonnés au cerveau. "Le captagon augmente la libération du glucose, ce qui permet de prendre du muscle sans fournir d'effort. De plus, la libération de noradrénaline accélère significativement le rythme cardiaque", explique le Pr Jean-Pol Tassin. Mais tous ces effets restent temporaires. Les neurones doivent fabriquer de nouveau l'adrénaline et la dopamine rapidement libérées des vésicules neuronales, et seul le repos le permet. En l'absence de sommeil, c'est la "descente" : "les individus ressentent une fatigue intense, une psychose, des fonctions mentales altérées, l'alternance de phases d'euphorie et de dépression. C'est un peu comparable aux effets d'une nuit blanche sur le cerveau", précise le neurobiologiste. Et une euphorie intense permet de ne ressentir ni peur, ni douleur. Une arme redoutable face aux pressions. "On les frappait et ils ne ressentaient pas la douleur. La plupart d'entre eux rigolaient alors qu'on les bourrait de coups", témoigne un officier de la brigade des stupéfiants de Homs, en Syrie, interrogé par Reuters. Un cachet de Captagon pèse quelques centaines de milligrammes. Il est plus petit qu'un cachet de paracétamol et coûte – selon l'offre et la demande – 10 à 20 dollars. Son effet dure de trois à quatre jours.
Le Captagon, ou Fénétylline synthétisée, a été produit pour la première fois en 1961 dans un laboratoire allemand. Plusieurs produits entrent dans sa composition, notamment le benzène méthyle cétone, faisant du Captagon un produit plus dangereux que la cocaïne. C'est un stimulant physique qui peut permettre à celui qui le prend de rester plusieurs nuits sans sommeil. Durant les années quatre-vingt, de nombreux footballeurs et rugbymen se dopaient au Captagon. Mais en 1981 déjà, le produit a été interdit aux États-Unis. Cette amphétamine, qui ne sied pas à tous les corps et qui peut provoquer – entre autres – des arrêts cardiaques, est parfois mélangée à de la caféine. Même si elle procure au début un sentiment de toute-puissance, comme la cocaïne, elle devient un « downer », quand son effet s'estompe au bout de quelques jours.
La destination finale du Captagon est les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, car ce sont les ressortissants de ces pays qui ont les moyens de l'acheter. Ils sont prêts à payer entre 10 et 20 dollars, car ils pensent qu'il a des effets miraculeux et qu'il agit comme un stimulant sexuel. D'ailleurs, c'est ce qui a séduit les Saoudiens en premier lieu. Les dealers l'avaient en effet commercialisé dans les pays du Golfe comme un stimulant sexuel, rendant ceux qui en consommaient invincibles.
Pour beaucoup d'experts comme pour le général Chamseddine, chef de la brigade antistupéfiants des Forces de sécurité intérieure, « la notion de toute-puissance et d'invincibilité attribuée au Captagon n'est qu'un mythe ». « Ce n'est qu'une drogue comme toutes les autres, dopante, certes, au début, mais qui crée un sentiment de vide et de manque une fois l'effet parti, souligne-t-il. Elle est dangereuse pour la santé. Elle peut détruire les cellules du cerveau et son excès peut provoquer des arrêts cardiaques. »
Durant les années quatre-vingt, le Captagon était fabriqué dans les pays de l'Est, notamment en Bulgarie. D'ailleurs, la brigade antistupéfiants des FSI avait démantelé en 2014 un réseau impliqué dans la fabrication et la vente de Captagon, et qui avait surtout profité du savoir-faire d'un chimiste bulgare. Ce sont également les chimistes et les experts des pays de l'Est qui avaient transmis leur savoir-faire aux Syriens, bien avant le début de la guerre en Syrie.
« Quand les Syriens ont appris à faire du Captagon, la fabrication du produit, florissante jusqu'à la fin des années quatre-vingt-dix en Europe de l'Est, s'est arrêtée. Et c'est à partir de 2005 que la fabrication de ce produit a atteint son plein essor en Syrie », souligne le général Chamseddine. Les ateliers poussaient comme des champignons dans diverses régions syriennes, notamment dans les districts d'Idlib et de Homs.
« Si l'État syrien saisissait du Captagon, avant le début de la guerre, cela n'implique pas nécessairement qu'il avait adopté une politique de lutte contre ce stupéfiant », note-t-il, avant d'ajouter : « Le Liban n'est pas un marché pour le Captagon. Le territoire libanais est juste utilisé comme point de passage de la marchandise, qui passait initialement de la Syrie vers les pays arabes, avec des ateliers de fabrication à la frontière avec le Liban, notamment à Homs, et à la frontière avec la Turquie. Jusqu'à la fin de 2014, la plupart des quantités de Captagon étaient fabriquées en Syrie et passaient par le Liban et la Jordanie vers les pays du Golfe. »
« La plupart des trafiquants de Captagon sont syriens. Quand ils ont commencé à vouloir écouler leur marchandise via le Liban et ont fait du Liban un point de passage, pour avoir le bon réseau, ils ont coopéré avec les trafiquants libanais, qui étaient les intermédiaires. Les passeurs libanais ont voulu profiter de la situation et certains, forts de leur expérience dans la fabrication d'héroïne et de cocaïne, ce sont lancés à leur tour dans la fabrication du Captagon », indique le général Chamseddine. Ils habitent la Békaa et ont importé des machines et des produits de base, notamment de Chine, pour la fabrication de ce stupéfiant.
« Il y a cinq ou six ateliers de fabrication de Captagon dans la Békaa, notamment à Brital, Dar el-Ouassaa, Hor Taala et la région du Hermel. Ce sont les tribus qui étaient habituées à fabriquer de la drogue qui en sont responsables. Il s'agit essentiellement des clans Jaafar, Masri et Ismaël. C'est la même mafia », indique-t-il. Il suffit d'avoir la machine, les produits chimiques et une main-d'œuvre ne dépassant pas cinq personnes, et le tour est joué.
Et le général Chamseddine de poursuivre : « Au Liban, la traçabilité d'un produit n'existe pas. Ainsi, quand il s'agit d'importation, le fabricant peut importer une machine à bonbons ou du paracétamol sans se préoccuper du contrôle, car personne n'ira vérifier dans quel but il est en train d'utiliser ces matériaux et ces produits. En effet, pour produire du Captagon, il suffit d'avoir une machine pour la fabrication de bonbons. Une fois que cette machine arrive au Liban – elle est commandée par exemple de Chine ou d'un autre pays d'Asie –, le fabricant de drogue change la tête et le moule de cet outil auprès d'un tourneur ; et au lieu de donner des produits en forme de bonbons, elle fabriquera des cachets... Le benzène méthyle cétone vient des pays d'Asie. Plusieurs produits entrant dans la composition du Captagon, commandés à l'étranger, par exemple le paracétamol, pour réduire le coût de fabrication de cette drogue, ne sont pas interdits à l'aéroport de Beyrouth. Le fabricant effectue la commande à travers une autorisation délivrée par les autorités concernées – le ministère de la Santé dans le cas du paracétamol. Une fois les produits sur place, contrairement à d'autres pays, on ne vérifie pas pour quel usage ils ont été commandés et de quelle manière ils ont été utilisés. »
« De plus, tout n'est pas fouillé à l'aéroport et au port. Et également, contrairement à d'autres pays du monde, la brigade de lutte antistupéfiants des FSI ne dispose pas d'antennes aux frontières terrestres et maritimes ainsi qu'à l'aéroport », poursuit-il.
La guerre en Syrie a un impact sur de nombreux fabricants syriens. « Ils se sont installés au Liban. Ce sont des Syriens qui ont de l'argent et qui peuvent se permette de construire ou d'acheter les plus belles maisons au Liban », indique le général Chamseddine qui passe en revue les opérations de saisies de Captagon menées par sa brigade, notant à ce sujet que de nombreux trafiquants syriens ont été arrêtés au Liban, notamment à Jounieh, à Ghazir, à Hamra et à Antélias.
Il donne l'exemple de Mohammad Srour, un trafiquant syrien arrêté avec tout son clan à Hamra.
« C'est un Syrien de Homs, qui a changé son passeport syrien contre un autre passeport authentique syrien. Il habitait, comme par provocation, non loin de la gendarmerie de Ras Beyrouth, siège de la brigade antistupéfiants des FSI, un appartement qu'il avait acheté à six millions de dollars. Il a dû payer ce deuxième passeport authentique plus de 300 000 dollars dans son pays. Il était entré au Liban même s'il se savait recherché par la police. Nous avions procédé à l'arrestation de son gang et nous l'avons arrêté par hasard, suite à des écoutes téléphoniques », rapporte-t-il.
Il souligne que « la première opération était la saisie, en 2013, de 5 millions de cachets de Captagon dissimulés dans une chaudière fabriquée à Yabroud, en Syrie, spécialement pour le transport du produit ». « Ensuite, cinq autres millions de cachets de Captagon dissimulés dans des camions et des machines de construction ont été saisis, indique-t-il. Nous avions réussi à l'époque à dévoiler l'identité des personnes responsables du trafic. Plusieurs Syriens ont été arrêtés. Ils se rendaient via l'aéroport de Beyrouth en Arabie saoudite. Ils passaient par Bahreïn et le Qatar, qui sont également des points de passage avant d'atteindre la destination saoudienne. Parfois aussi, ce sont de simples ressortissants syriens travaillant dans le Golfe qui font passer la marchandise, pour quelques dizaines de milliers de dollars. »
Et d'ajouter : « Nous avons aussi découvert que les trafiquants de drogue sont de connivence avec des personnes qui travaillent dans les ports officiels du Liban et à l'aéroport de Beyrouth. Certains viennent avec des valises normales, qui n'ont pas de double fond pour dissimuler la drogue. Des personnes impliquées et de connivence avec ces trafiquants se trouvent à l'intérieur de l'aéroport », note le général Chamseddine, affirmant cependant qu'il « ne met pas en doute le service des douanes à l'aéroport Rafic Hariri ». « Cela aurait été plus simple si notre brigade se trouvait aux ports ou à l'aéroport », martèle-t-il encore.
Depuis la fin de 2013 et jusqu'à présent, la brigade de lutte antistupéfiants des FSI a saisi 66 millions de cachets de Captagon.
« Généralement, ces brigades qui existent dans tous les pays du monde saisissent 5 à 10 % des produits trafiqués passant par le pays. Ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Il faut donc imaginer ce marché immense qui se chiffre à des dizaines de milliards de dollars annuels. Tous les produits saisis au Liban avaient pour destination l'Arabie saoudite, même si cela passait par un pays tiers », indique le général Chamseddine.
C'est le cas d'un bateau qui est parti de Beyrouth vers la Grèce, en 2014, pour arriver jusqu'au Soudan avant de partir vers l'Arabie saoudite. C'était un trafic de 30 millions de cachets de Captagon, saisis par les gendarmes libanais en coopération avec la police soudanaise. Les cachets étaient placés dans des sacs de maïs pour le fourrage.
En réponse à une question sur l'utilisation du Captagon par les miliciens syriens, certains rapportant que ce stupéfiant constitue le nerf de la guerre en Syrie, le général Chamseddine estime que « le fait de dire que le Captagon est la drogue des combattants en Syrie, le nerf de la guerre, est complètement erroné, une idée reçue. La drogue est écoulée en Arabie saoudite principalement. Une partie de l'argent du Captagon cependant pourrait être utilisée pour l'achat d'armes, notamment quand des trafiquants paient des militaires, des miliciens ou des seigneurs de la guerre pour faire passer la marchandise. Mais l'argent enrichit souvent les fabricants et les trafiquants et pas les belligérants en Syrie, même si tout le monde peut être impliqué dans le trafic. Le but du trafic de Captagon n'est pas de financer la guerre en Syrie, mais de vendre le produit en Arabie saoudite ». Et de souligner en conclusion : « Si le but est de donner le Captagon aux combattants syriens, pourquoi envoyer la drogue vers l'Arabie saoudite ? La marchandise est écoulée dans ce pays du Golfe et non en Syrie. »
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