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mercredi, 15 avril 2020

Géopolitique du Coronavirus - Entretien avec Nicolas Bonnal

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Géopolitique du Coronavirus

Entretien avec Nicolas Bonnal

Ex: https://strategika.fr

Au cœur d’une crise mondiale inédite par son ampleur, Strategika vous propose l’éclairage d’analystes et de penseurs reconnus dans leur domaine d’expertise. Nous avons posé à chacun une série de questions qui portent sur les différents aspects de cette véritable crise de civilisation ainsi que sur ses répercussions politiques, géopolitiques et sociales.

C’est aujourd’hui Nicolas Bonnal qui nous répond.

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Né en 1961 à Tunis, Nicolas Bonnal étudie beaucoup, voyage plus encore et commence à publier en 1995 : Mitterrand le grand initié. Il publie ensuite aux belles lettres le Coq hérétique sur l’exception française, la première étude en français sur Tolkien et Internet nouvelle voie initiatique. Il publie aussi des romans (les territoires protocolaires) et un recueil de contes (les mirages de Huaraz) après une vacance de cinq ans en Amérique du sud. Il revient vivre en Andalousie, puis publie des livres sur le cinéma (le paganisme, Kubrick, Ridley Scott, sans oublier les westerns). Anarchiste réactionnaire,  proche des libertariens américains et des traditionalistes européens, Nicolas Bonnal  se réclame aussi du genre pamphlétaire (un livre sur Céline) et décidément antimoderne. Il a publié des textes sur une dizaine de sites dont France-courtoise.info, bvoltaire.fr, dedefensa.org, fr.sputniknews.com et pravdareport.com. Plusieurs de ses livres ont été traduits (russe, brésilien, ukrainien, espagnol). Son blog : nicolasbonnal.worpress.com

Strategika – On lit beaucoup d’éléments contradictoires selon les différentes sources d’information disponibles ou selon les avis des professionnels de la santé. Quelle est la réalité effective de cette pandémie selon vous ?

Je m’excuse mais je vais être provocateur et basique, pour rompre avec mes savants prédécesseurs dont plusieurs sont des amis – (Legrand, Perrier, Steuckers…). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a une réalité spectaculaire de la pandémie. La guerre n’existe que quand vous la voyez à la télé, dit De Niro dans Hommes d’influence (wag the dog). Si vous tuez dix millions de gens ici sans que la télé n’en parle, ils sont des worthless victims comme dit Chomsky. Si vous en tuez trois pékins ailleurs et que ça fait la une de CNN, tous les perroquets de la planète rappliquent en pérorant et en pétaradant. La réalité c’est ce qui est vu. Bourdieu reprenait du reste le philosophe Berkeley dans son essai sur la télé, les fameux dialogues d’Hylas et Philonous. Etre c’est être perçu. Le coronavirus d’Astérix ? Il n’y a pas plus de morts que les autres années. J’ai donné les chiffres sur mon blog. Italie, France, Amérique, tous les esprits lucides (pas plus de 10% selon l’expérience Milgram) les ont repris. Stockman est outré (2.6 chances sur cent mille de mourir pour les moins de cinquante ans à New York, et ils bloquent tout), le docteur Paul aussi. D’autres doutent, la majorité affole et gobera tout, y compris l’anéantissement de ses biens et de sa liberté. C’est du Molière, du Simplicissimus. On n’a jamais vu cela depuis les croisades pour la liberté qui aboutirent à l’établissement du stalinisme et du maoïsme sur la moitié du monde. Mais plus c’est gros plus ça passe.

Il s’agit d’un coup d’Etat mondialiste basé sur la peur de mourir. On passe de la démocratie – de ce qu’il en restait – à la biocratie, comme dit maître Touati. Le domaine médical n’est pas de mon ressort, mais alors que la durée de vie diminue partout, et copieusement encore, et pas à cause de leurs grippes, on pense que l’on va devenir éternel en écoutant des prophètes boursiers autoproclamés. Tous mes amis médecins (quatre quand même) sont convaincus du bluff ou d’une fantastique exagération. On va alors parler d’hyperbole. Le style hyperbolique, qui est facile à parodier, est le plus simple à utiliser pour convaincre. Voyez Voltaire ou Cyrano. Parler de guerre contre une épidémie qui ne fait que dix mille morts, et pas cent millions, n’est pas seulement une plaisanterie, c’est une hyperbole. Porter les masques renforce ce bal masqué et ce spectacle tragi-comique.

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Tragique parce qu’il nous a déjà coûté la liberté (qui ne reviendra pas) et dix mille milliards. Mais pourquoi ? C’est comme dans le Dr Knock. Knock explique à son naïf collègue qu’il aurait aimé être politicien, prêtre ou financier. Avec la peur liée à ses incurables microbes (cf. le virus reviendra, vous ne guérirez pas, vous pouvez guérir puis mourir, etc.), il couche le canton et devient tout cela à la fois : le pouvoir, le pognon et le spirituel sauce Bergoglio ou Tulsa Doom (il faut toucher l’esprit, pas le corps, explique-t-il en bon machiavélien à Conan affalé). Cette épidémie est une épidémie de peur et de propagande, un virus de la peur, et la peur sert à contrôler et à faire passer des agendas toujours plus sinistres. Le choc étourdit puis les peuples sont massacrés et volés, voyez l’Irak décrit par Klein. Ou voyez opération espadon (bizarrement sorti le 11 septembre) quand l’ex-agent explique qu’il faut divertir pour agir. Il se réclame de Houdini. Debord avait dénoncé les charlatans des hôpitaux dans ses commentaires. Il vaticinait que le destin du spectacle, de la démocratie occidentale, n’était pas de finir en despotisme éclairé. Nous y sommes : c’est le chaos mondial avec la milice partout tout ça pour une épidémie qui tue un millième de la grippe dite espagnole aux origines toujours peu éclaircies. Mais comme dit un lecteur, la médecine n’est pas une science ! Alors elle est un spectacle ; mais un spectacle qui sert comme pendant la Terreur en France le totalitarisme en cours. Quand les nazis ont commencé à tuer les handicapés, ils ont invoqué la médecine. Un dernier rappel : Naomi Klein rappelle dans sa stratégie de choc que le sinistre Donald Rumsfeld travaillait avec ses labos pharmaceutiques sur des virus de la grippe. Ces types qui agissent pendant que nous maugréons ou acquiesçons vendent des remèdes et des vaccins méphitiques, nous étions calculés depuis longtemps. Le sérieux savant du dix-neuvième et du début du vingtième siècle a fait place au financier et à l’homme de spectacle qui utilise une stratégie de gourou (cf. Sachs ou Drucker) pour ébaubir la foule. Malheureusement c’est ce qui est arrivé à notre expert en chloroquine… oh, cette session masquée avec macaron…

Strategika – Cette pandémie précède-t-elle un effondrement économique et systémique ?

Au sens strict elle cause une bonne dépression parce qu’on arrête tout sans raison. On peut supposer que cela ne va pas durer trop longtemps, le temps de faire peur pour faire remonter la dette et taxer les pauvres, renflouer quelques oligarques et appliquer la thérapie de choc. Question : qui voudrait tout arrêter et pourquoi ? Non, on veut juste appauvrir pour soumettre : fin du cash, explosion du chômage, petit suicide économique, vaccin obligatoire, le tout accompagné d’une hausse de 40% à Wall Street. Je ne crois pas à l’effondrement. Comme le dit Naomi Klein, qui connaissait son Aldous Huxley (mariage du Big Business et du Big Gouvernement), on siphonne l’argent de tous pour le donner aux riches dont les fortunes deviennent partout gargantuesques. Même en France les  fortunes de plus de dix milliards de dollars (luxe, mode) deviennent courantes. Les 0.1% raflent la mise (50 ou 60% du total) depuis les années 80. Ces années Reagan et Mitterrand qui furent celles de ma jeunesse furent celles de la fin officielle du monde moderne, comme je l’ai expliqué dans ma lettre ouverte à  la vieille race blanche. Fukuyama et Debord peuvent en témoigner, sans oublier Gilles Chatelet (vivre et penser comme des porcs). Les milliardaires utilisent le marxisme culturel et sociétal (féminisme, genre, antiracisme, multiculturalisme) pour rafler la mise. Bill Gates est présenté comme philanthrope alors qu’il veut en bon control freak techno-messianique contrôler et recenser l’humanité avec ses vaccins digitaux. Tout cela est hélas annoncé par de vieux briscards comme Jack London ou Gustave Le Rouge ! N’oublions pas que dans la bible le recensement amène la peste sur le royaume de David. Et que pour Jack London le milliardaire est humanitaire. Toujours. Il veut faire le bien sur terre alors gare à lui…

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La thérapie de choc est une redistribution. Tout sera pour le lion d’Astérix qui aux jeux du cirque bouffe tous ses compères dans l’arène. 100 dollars par chômeur, mille milliards pour Wall Street. Je ne vois donc pas d’effondrement. Ce qu’ils veulent c’est nous appauvrir et nous faire peur pour nous soumettre. Liquidation de la classe moyenne blanche fille des lumières et de l’instruction publique, retour au féodalisme via la technologie comme je l’ai expliqué dans mon livre sur internet il y a vingt ans. C’est un nouveau moyen âge que pressentait Umberto Eco dans un texte célèbre dans les années soixante. Mais c’est le moyen âge qui fait peur, pas celui qui fait rêver façon Julien l’hospitalier (celui de Flaubert bien sûr) : inégalité, disettes, croisades meurtrières, fanatisme, cruauté, épidémies, invasions, culture de la peur imposée par un clergé profiteur aux manettes, celui qu’a pu décrire Le Goff.  Et si je disais que finalement l’hyper-classe veut appliquer à l’humanité le plan Morgenthau : contrôle malthusien de la population par la peur et la misère ? Ils ne s’en cachent même plus. On portera son vaccin pour sortir comme une étoile jaune (Gates) et on sera dirigé par la peur (Attali). Le dieu du Caïn de Victor Hugo fera le reste, avec sa peur dans le confinement et son smartphone.

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Tout cela est quand même lié à l’échec grotesque de leur projet technologique. Moins ingénu que Kubrick, que je vénère pourtant, Huxley rappelle que le charabia sur Spoutnik ne vaut rien à côté du problème de la démographie (il savait que la conquête spatiale est un bluff). Le diable aussi est revenu sous forme de virus (je reconnus virus et ses feux redoutables…) pour aplatir les humains et laisser les condottieri locaux, français, philippin ou hindou, terroriser et matraquer leurs peuples. On est dans la parodie chrétienne décrite par Dostoïevski, dont j’ai reparlé récemment. A la place du grand inquisiteur, on a le grand acquisiteur… la religion de la peur a toujours servi à plumer les gens. En latin le péché se dit dette. Et Dieu sait que Greta, ce petit virus verbeux, aura su nous faire peur et nous tirer les billets verts du nez.

Strategika – Cette pandémie va-t-elle forcer l’humanité à se doter d’un gouvernement mondial comme le préconisait Jacques Attali lors de la pandémie de grippe A en 2009 ? 

Cela semble impossible à première vue. Tous les gouvernements ont copié les communistes-oligarques (ils sont tous milliardaires) chinois car tous les gouvernements monde considèrent le pouvoir comme leur trésor. Le pouvoir rend fou, y compris localement. Je reste au moyen âge, j’ai parlé de condottieri. On aura plutôt le pouvoir des principautés dégénérées qui tortureront leurs populations tout en respectant la lointaine et respectable papauté ou l’empire des vaccins. Je décommande le mythe du small is beautiful. En relisant Léopold Kohr je me suis rendu compte combien était horrible la petite ville ou principauté italienne quand un tyran comme Ezzelino ou Raymond de Cardona réglait son compte à toute une contrée (je pense aux villes martyres de Padoue, Prato).

51tTBi-ymbL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgOn aura donc les grandes entités totalitaires et staliniennes (Chine, Russie, qui fascinent encore quelques distraits…) et les dystopies féodales. L’Europe sort renforcée dit-on ; mais surtout affaiblie  de cette histoire, donc je pense qu’on ira vers des micro-dictatures, comme je l’ai montré dans mon roman La bataille des champs patagoniques. Je ne crois pas non plus au triomphe à long terme des milliardaires. Après un épisode Zaroff bien amusé, ils seront exterminés par leurs gardes du corps. Et je ne vous parle pas des pirates surarmés qui attaqueront les îles privées du Pacifique. On aura droit bientôt au syndrome sibérien : mourir vite ou survivre mal. Alors on survivra. Mal.

Strategika – Existe-t-il une issue politique à la situation que vous venez de décrire et quelle forme pourrait-elle prendre selon vous ?

Je suis un pessimiste joyeux mais intégral. Donc pas de solution collective, tout cela est dernière nous. Lucien Cerise parle après Barruel des révolutions qui réussissent parce que les banquiers sont derrière, Naomi Campbell aussi. Si nous étions capables de balayer les salauds néroniens qui dirigent le show, cela se saurait. Mais nous préférons cliquer antisystème, acheter des masques et des armes dont nous ne faisons rien (c’est comme pour l’or, qui sera confisqué comme il l’a toujours été au vingtième siècle, voyez le personnage de Gabin dans le cave se rebiffe). Les armes servent à se rassurer, pas à agir. Je pense d’ailleurs que le système va organiser deux ou trois attentats type Orlando ou Bataclan ce qui lui permettra de mieux nous triquer ensuite. La boucherie politique dont a parlé Zemmour ira en ce sens. Mais Zemmour est là aussi pour la vaseline. Celui qui avait tout dit était Serge de Beketch : les gens se révolteront quand ils auront plus mal que peur. Mais à la réflexion cette phrase est elle-même optimiste : il y avait peu de révoltes dans les camps d’extermination, qui sont le point d’orgue du malthusianisme et de la chasse au virus… Le zombi qui vivant dans un trois mètres carrés comme cette californienne fait du smartphone quinze heures par jour ne va plus harceler le système. Ce dernier développera toujours plus de milices privées de type médiéval encore. Et la lucidité ne sert à rien, j’en sais quelque chose. La couleur native de la résolution pâlit dans l’ombre de la pensée, comme dit Hamlet, à qui Rosencrantz rappelle que ce n’est pas le Danemark, mais le monde qui est une prison.

Strategika – Comment liez-vous la crise actuelle à votre domaine d’expertise et à votre champ de recherche ?

Je vais être précis et parler de mes livres qui ont un fil rouge : l’avènement du techno-bolchevisme universel dans lequel nous entrons. En 95 puis en 2001 chez Albin Michel je publie un livre sur la manière dont Mitterrand a hypnotisé les Français ; en 97 aux Belles Lettres chez mon ami libertarien Desgranges un livre intitulé le coq hérétique sur la manière dont l’État a progressivement castré et appauvri les Français tout en les fanatisant. En 98 je publie mon livre sur Tolkien : le beau village Hobbit ou le doux univers elfique contre le monde Mordor comme nous le connaissons. Il est traduit en russe et je lui dois ma femme qui fut ma lectrice puis ma traductrice.

41TnhIpjtPL._SX305_BO1,204,203,200_.jpgPuis je publie un roman d’anticipation, les territoires protocolaires, assez lu au Québec, et Internet nouvelle voie initiatique sur les origines cabalistiques du web et l’avènement du techno-gnosticisme qui va faire la chasse aux corps et créer un monde de néo-serfs et de techno-lords. Nous y sommes. Le livre est traduit en brésilien et inspire des thèses de doctorat. Il fit même la une du monde des livres ! Ensuite, pour résumer, je vis cinq ans hors des sentiers battus à Grenade puis en Amérique du Sud, ou la mondialisation me rattrape (« dans un monde unifié on ne peut s’exiler », dit Debord), et j’écris la lettre ouverte à la vieille race blanche qu’on peut télécharger gratuitement en PDF. Et plus récemment un ensemble de chroniques (lesakerfrancophone.fr, dedefensa.org) sur le présent permanent, l’ancienneté de la crise liée au monde moderne dont le caractère abrutissant et répétitif n’est jamais assez souligné. Cela donne mon livre littérature et conspiration (Dualpha). Mais à côté du désespoir je pratique l’évasion, j’écris des livres de voyages initiatiques, des contes fantastiques, etc.), qui m’aident à supporter le monde comme prison. J’ai ensuite vu le désastre arriver vraiment avec Obama, les bulles, les sanctions, les migrants, la théorie du genre, donc je suis passé dans un registre encore plus apocalyptique. Je crois que tout est perdu et qu’il ne nous reste individuellement, dans leur monde de tyrans et de succubes, qu’à sauver l’honneur ; et qu’il faudra préférer, pour renverser Pagnol, une belle mort à une laide survie.

Hommage au penseur profond de l’écologie radicale: Pentti Linkola

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Hommage au penseur profond de l’écologie radicale: Pentti Linkola

par Georges FELTIN-TRACOL

Pentti Linkola est mort le 5 avril 2020 à l’âge de 87 ans dans la ville de Valkeakoski au Sud-Ouest de la Finlande. Né le 7 décembre 1932 à Helsinki, ce Finlandais de langue finnoise (le suédois étant l’autre langue véhiculaire du pays) est un ornithologue renommé, un naturaliste réputé, un essayiste salué, un polémiste redouté et un contempteur farouche de la modernité.

Fils du recteur de l’Université d’Helsinki, le botaniste et phytogéographe Kaarlo Linkola, Kaarlo Pentti Linkola n’a que neuf ans à sa mort. Sa mère et lui doivent quitter le logement de fonction. Il connaît alors une vie pauvre interrompue par des séjours fréquents dans la ferme de son grand-père. Il y apprend la vie en plein air.

Bon élève, Pentti Linkola suit une première année universitaire en botanique et en zoologie avant d’y renoncer. Il préfère étudier la nature en autodidacte, d’où sa réticence notoire à l’égard de la scolarité obligatoire et de tout enseignement formel. Il devient pêcheur professionnel. Assez dépité par les règlements européens, il prend sa retraite en 1995. Marié de 1961 à 1975, il a deux filles. En 2014, les lecteurs du Helsingin Sanomat, un grand quotidien finlandais, en font par leur vote le quatrième trésor national. En 1995, il lança la Fondation finlandaise du patrimoine local dans le dessein de préserver les dernières forêts primitives du pays. Aujourd’hui, cette association qui a changé de nom sauvegarde 2 600 hectares de forêts.

Une personnalité reconnue et récompensée

Homme scrupuleux qui tient chaque jour le registre de ses dépenses et de ses recettes, Pentti Linkola vit d’une manière austère sans l’électricité qu’il vomit. Ce n’est cependant pas un ermite. Ravi de raconter de nombreuses anecdotes à ses visiteurs, il sait se monter sociable et plein d’humour. En 1973, le ministre de l’Éducation et de la Culture lui décerne le Prix de l’Information publique. En 1983, il reçoit le prix littéraire Eino-Leine pour son Journal d’un dissident dans lequel il rend pourtant hommage à deux membres de la Fraction Armée rouge (RAF) ouest-allemande, Andreas Baader et Ulrike Meinhof. En 1990, on lui attribue le prix Lauri-Jäntti pour son Introduction à la philosophie des années 1990.

Grand admirateur de l’éco-terroriste étatsunien Unabomber alias Theodore Kaczynski, Pentti Linkola estime qu’« une minorité ne peut jamais avoir un autre moyen d’influencer le cours des événements à part l’usage de la violence ». Il assène cette vérité dérangeante à l’occasion d’une réunion des Verts à Turku en 1985. Têtes ahuries des Cécile Duflot et autres Yannick Jadot locaux. Il écrira plus tard que « la différence entre un terroriste et un combattant de la liberté est une question de perspective : cela dépend entièrement de l’observateur et du verdict de l’histoire ». Un point de vue entériné par les faits. D’abord terroristes, les responsables du FLN algérien ou de l’ANC sud-africaine ont ensuite occupé les ministères.

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Pentti Linkola intervient chez les Verts en tant qu’écologiste résolu. Il l’est, mais sa conviction écologique achoppe vite avec celle des Verts qu’il critique durement. « La composition des Verts, dit-il ce jour-là, semble être la même que celle de la population en général – principalement des morceaux de bois à la dérive, des gens qui ne pensent jamais. » Quelques heures après sa disparition, l’actuel ministre Vert des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, déclare qu’« il a influencé la pensée de nombreuses générations et peut-être que son absolu pour la nature restera son héritage ». Au cours de ce discours mémorable, il dénonce l’importation de nourriture, critique l’usage de l’électricité et soutient la production thermique par la combustion de bois. Biologique, sa vision conçoit l’homme comme une espèce animale parmi les autres espèces. C’est un des tout premiers animalistes !

Favorable à une écologie profonde et survivaliste, il assume des positions radicales anti-humanistes. « Dans l’histoire de l’humanité, nous assistons au combat désespéré de la Nature contre une erreur de sa propre évolution », à savoir l’être humain. Dès 1992, il affirme que « le pire ennemi de la vie est l’excès de vie, l’excès de vie humaine ». Ses détracteurs le qualifient de théoricien de l’« éco-fascisme ». En 1960, ce sous-officier de l’armée finlandaise s’affirmait pourtant pacifiste et objecteur de conscience dans un ouvrage auto-édité, Pour la patrie et l’homme mais pas contre personne. L’écologiste franco-britannique Édouard Goldsmith, fondateur de la revue The Ecologist (L’Écologie est sa version française), se présentait toujours comme un « conservateur paléolithique ». Favorable à la renaissance de sociétés agricoles et rurales, Pentti Linkola appartiendrait plutôt selon les critères de la médiasphère politiquement correcte aux réactionnaires du Paléolithique supérieur.

Contre le Progrès, l’égalité et le surpeuplement

Très hostile au christianisme en général et au catholicisme en particulier, il dénonce plus largement la croyance rationaliste dans le Progrès. « La foi la plus centrale et la plus irrationnelle parmi les gens est la foi en la technologie et en la croissance économique. Ses prêtres croiront jusqu’à leur mort que la prospérité matérielle apporte la joie et le bonheur – même si toutes les preuves dans l’histoire ont montré que seule la frustration rend une vie digne d’être vécue, que la prospérité matérielle n’apporte rien d’autre à part le désespoir. Ces prêtres croiront encore à la technologie lorsqu’ils s’étoufferont dans leurs masques à gaz. » Il se prononce pour un néo-malthusianisme radical, décroissant et eugéniste. On pourrait penser qu’il verse dans une forme de nihilisme, surtout quand il assure devant un auditoire Vert médusé que « tout ce que nous avons développé durant les cent dernières années devrait être détruit ».

Son approche de l’humain encastré dans le monde du Vivant contribue à une certaine osmose de soi avec son environnement naturel immédiat. « Ne voyez-vous pas que l’homme n’est pas une fourmi ou une abeille – autant que des liens avec d’autres gens, il a besoin de solitude et de paix, d’obscurité et de silence pour pouvoir vivre une vie équilibrée ? » Svelte et énergique, lui qui prend soin de sa forme physique s’inquiète de l’obésité généralisée : « Avoir des milliards de gens d’un poids supérieur à 60 kilos sur cette planète est de la témérité. »

61xI0aQIsvL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgPentti Linkola réclame la désindustrialisation globale ainsi que la sortie du capitalisme et de la société de consommation. Il exige par ailleurs l’arrêt de toute immigration, l’euthanasie pour les déficients et la fin des aides financières à un Tiers Monde en croissance démographique exponentielle. Il récuse enfin cette idée folle et meurtrière qu’est l’égalité. « Comment peut-on penser si stupidement que la vie humaine a la même valeur et la même humanité, la même moralité, indépendamment du nombre ? Il me semble clair que chaque fois qu’un nouvel enfant naît, la valeur de chaque humain dans le monde diminue légèrement. Il me semble évident que la moralité de l’explosion de population est complètement différente de celle de l’époque où l’homme était une espèce clairsemée et noble à ses débuts. » Son point de vue se rapproche de la vision de Julius Evola, lui aussi fort critique envers la politique nataliste du Ventennio fasciste. Dans son dernier entretien du 4 février 2020 avec Erkki Kiviemi pour le site Kulttuuritoimitus, il estime que « le coronavirus peut ralentir légèrement la destruction de la terre, mais une fois vaincu, le même mode de vie continuera. Tant que le progrès économique et le développement sont des objectifs humains clés, sauver la planète est perdue ».

Il ne cesse de rechercher une sérénité intérieure ravagée par « l’homme, homo destructivus, [qui] a toujours détruit les conditions de vie au maximum, dans la mesure où le permet la technologie de l’époque ». Dans Les rêves d’un monde meilleur (1972), il s’attaque au mode de vie occidentale et à l’exploitation accélérée des ressources naturelles. Il ne cesse jamais de dénoncer les États-Unis d’Amérique qui « symbolisent les pires idéologies dans le monde : croissance et liberté ». Il perçoit l’entité yankee d’une extrême justesse comme « l’État le plus misérablement infâme de tous les temps. Quiconque est conscient des questions mondiales peut facilement imaginer combien la haine envers les États-Unis – une entité politique corrompue, bouffie d’orgueil, paralysante et suffocante – doit être immense dans tout le Tiers Monde, et parmi la minorité pensante de l’Occident aussi ».

Un engagement politique radical

Considérant la démocratie moderne comme un despotisme ploutocratique et une « religion de la mort », cet anti-populiste assumé avance en 1999 que « notre seul espoir réside dans un gouvernement central fort et un contrôle inflexible du citoyen individuel ». Ses propositions politiques s’apparentent à la trilogie uchronique, L’Altermonde, du romancier français Jean-Claude Albert-Weil. Pentti Linkola juge que « n’importe quelle dictature serait meilleure que la démocratie moderne. Il ne peut y avoir de dictateur assez incompétent pour montrer plus de stupidité qu’une majorité populaire. La meilleure dictature serait celle où les têtes rouleraient en grand nombre et où le gouvernement empêcherait toute croissance économique ». Ce gouvernement dictatorial de salut éco-national fermerait de manière unilatérale ses frontières et ordonnerait aux gardes-frontières de tirer sur tous ceux qui tenteraient de les franchir dans un sens ou dans un autre. « Que faire, lorsqu’un navire transportant une centaine de passagers chavire soudain et qu’il n’y a qu’un seul canot de sauvetage ? Quand le canot de sauvetage est plein, ceux qui haïssent la vie tenteront de le charger avec plus de gens et le feront couler. Ceux qui aiment et respectent la vie prendront la hache du canot et couperont les mains en trop qui s’accrochent aux flancs du canot. » Cette réflexion de bon sens est plus que valable à l’heure du néo-matriarcat féministe. Au discriminatoire « Les femmes et les enfants d’abord » s’applique désormais le « Chacun pour soi ».

Pour mettre en pratique ce programme, a-t-il eu l’intention de s’emparer du mouvement Vert finlandais ? Dans son discours de Turku, il lance que « nous devrons […] apprendre de l’histoire des mouvements révolutionnaires – les nationaux-socialistes, les staliniens finlandais, les nombreuses étapes de la révolution russe, les méthodes des Brigades Rouges – et oublier nos égos narcissiques » avant de prévenir que « nous devrons former une organisation très stricte et disciplinée avec une politique clairement définie et astreignante, et de préférence avec des signes extérieurs uniformes. [Le membre] doit apprendre à endurcir son cœur si nécessaire. Nous devrons apprendre à ignorer les intérêts mineurs au profit des intérêts supérieurs. Nous devrons apprendre à être craints et haïs. […] Le mot “ doux ” doit être effacé du vocabulaire des Verts une fois pour toutes. […] [Nous avons besoin] d’une élite stricte avec une forte figure de leader ». Sa franchise incite ses « camarades » environnementalistes à s’écarter de lui. Quelle bande de crétins « escrologistes » !

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Pentti Linkola a écrit une dizaine d’ouvrages dont un traduit en anglais, La Vie peut-elle prévaloir ? Une approche radicale de la crise environnementale, publié par Arktos Media. C’est grâce à Rodolphe Crevelle et aux anarcho-royalistes du Lys noir que le public de langue française découvre au début des années 2010 ce maître de l’écologie réelle. Hyper-réaliste et favorable au déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale, si possible nucléaire, qui « serait une heureuse occasion pour la planète », il avertit ses congénères que « nous avons encore une chance d’être cruels. Mais si nous ne sommes pas cruels aujourd’hui, tout est perdu ». Par cette assertion de bon sens, Pentti Linkola représente vraiment le contraire de l’égérie médiatique bien-pensante, la Suédoise Greta Thunberg. Raison supplémentaire pour saluer le retour à la terre d’une figure altière de l’écologie concrète.

Georges Feltin-Tracol.

Géopolitique du Coronavirus - Entretien avec Claude Chollet

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Géopolitique du Coronavirus

Entretien avec Claude Chollet

Ex: https://strategika.fr

Au cœur d’une crise mondiale inédite par son ampleur, Strategika vous propose l’éclairage d’analystes et de penseurs reconnus dans leur domaine d’expertise. Nous avons posé à chacun une série de questions qui portent sur les différents aspects de cette véritable crise de civilisation ainsi que sur ses répercussions politiques, géopolitiques et sociales.

C’est aujourd’hui Claude Chollet qui nous répond.

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Claude Chollet, DESS de sciences politiques, a effectué une longue carrière internationale dans l’industrie pharmaceutique, voyageant dans le monde entier. Après avoir été président du GRECE (Groupe de Recherches et d’Etudes pour la Civilisation Europénne) il a créée en 2012 l’Observatoire du journalisme – OJIM qui « informe sur ceux qui nous informent ». Il a publié au mois d’avril 2020 un entretien philosophique avec l’helléniste et sinologue François Jullien dans la revue Eléments.

Strategika – On lit beaucoup d’éléments contradictoires selon les différentes sources d’information disponibles ou selon les avis des professionnels de la santé. Quelle est la réalité effective de cette pandémie selon vous ?

Contrairement à tout un chacun je ne suis ni virologue ni épidémiologiste, je me garderai donc de jugements péremptoires. On peut simplement rappeler quelques éléments statistiques. Au moment où j’écris le 7 avril 2020, il y aurait 1,5M de cas et environ 75000 décès. Et ce sont les Etats-Unis qui sont maintenant les plus touchés. Rappelons le nombre moyen de décès par an ces dernières années (en arrondissant) pour les principaux pays touchés  :

France 600000

Allemagne 950000

Italie 600000

Espagne 400000

Etats-Unis + Canada 3000000

Pour ces six pays on enregistre à date 50000 décès.

Sur une période de trois mois le nombre de décès « normal » pour ces 5 pays est d’environ 1,5 millions, en estimant que le chiffre de 50000 décès est sous-estimé et en prenant 75000 décès cela représenterait 5% des décès sur cette période janvier/mars. Quelque chose de très sérieux mais rien à voir avec la grippe espagnole de 1918/20 qui a tué 50 millions de personnes. Bien entendu je parle à l’instant T. Que se passera t’il aux Etats-Unis et en Afrique, nous l’ignorons largement.

Strategika – Cette pandémie précède-t-elle un effondrement économique et systémique ?

Il faut différencier les deux. Crise économique c’est certain, faillites d’entreprises, chômage en flèche, augmentation des dépenses et des impôts, crise de la demande, effondrement du tourisme,nous n’en sommes qu’au début. Il est possible que nous soyons au début du commencement d’un changement de paradigme. La mondialisation heureuse, le libéralisme libertaire, le sans-frontièrisme souriant, la main invisible qui réconcilie tout le monde, tout cela a du plomb dans l’aile. Mais comme l’animal est blessé il va devenir plus méchant. Les intérêts matériels et moraux du système libéral libertaire sont immenses, ils seront défendus farouchement. Les mondialistes et les diversitaires ne se rendront pas sans combattre, fût-ce au prix de nouveaux dégâts encore plus considérables. Il y aura des répliques, des effets de résonnance sur plusieurs années, peut-être faudra t’il une génération pour enterrer (partiellement) le vieux monde. Mais je ne crois pas à un effondrement, plutôt à des effritements par à coups et des secousses plus ou moins marquées.

Strategika – Plus de 3 milliards de personnes sont appelées à se confiner dans le monde. Pour la première fois de son histoire, l’humanité semble réussir à se coordonner de manière unitaire face à un ennemi global commun. Que vous inspire cette situation ?

Un sentiment d’étrangeté, il n’y a pas vraiment de coordination. Il y a des pouvoirs publics tétanisés, qui avaient abandonné le politique au profit de l’économie (sauf en Chine) et qui découvrent que l’histoire n’est pas un long fleuve tranquille progressiste. Ils sont désemparés et essaient de préserver leurs pouvoirs en prenant des mesures défensives. Chacun joue pour soi face à un danger d’autant plus impressionnant qu’il est invisible.

Strategika – Cette pandémie va-t-elle forcer l’humanité à se doter d’un gouvernement mondial comme le préconisait Jacques Attali lors de la pandémie de grippe A en 2009 ?

Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens, a pris le relais d’Attali . Dans une tribune du Monde du 5 avril 2020, il plaide pour une sorte de mondialisation 2.0 , où le « partage », le « doux commerce », une sorte de coopération planétaire résoudrait tous les problèmes et absorberait sans trop de douleurs les pandémies, actuelles et  futures. On voit très bien se dessiner de nombreux appels en ce sens et contre tout bon sens. Ils seront entendus par ceux dont ils défendent les intérêts, je doute que la période leur soit très favorable mais il y aura bien sûr de nouvelles tentatives allant dans cette direction.

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Strategika – En 2009 toujours, Jacques Attali expliquait que « l’Histoire nous apprend que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur ». Que vous inspire cette idée ?    

Je ne crois aucunement à une évolution de l’humanité toute entière. Il y a des secousses qui amènent des changements de paradigme, des changements de rapports de forces entre les nations, entre les continents, entre les civilisations. Chacun voit l’affaiblissement relatif des Etat-Unis et la montée de la Chine. Et les européens ? Ont-ils assez peur pour oser redevenir une puissance ? Sans doute pas tout de suite, il faudra aller plus bas, plus au fond pour -peut-être donner un coup de talon et remonter.

Strategika – Comment voyez-vous l’évolution de la pandémie et ses conséquences politiques et sociales dans les semaines à venir ?

Dominique Venner avait pour habitude de dire que ce qui domine en histoire c’est l’imprévu ; nous y sommes. La peur des responsabilités, la prédominance du court terme, une sorte d’impuissance subie et parfois voulue, marquent le personnel politique européen à l’exception de certains pays d’Europe centrale. A l’échelle de quelques semaines il peut y avoir des mécontentements sporadiques, les mesures de confinement et l’été vont calmer un peu le jeu. Mais la rentrée risque d’être chaude : les élections municipales reportées pourront elles se tenir ? Comment vont réagir les banlieues quand l’approvisionnement en drogues va se tarir ? Comment répondre aux reproches justifiés des gouvernants ? A court terme il y aura un tour de vis sécuritaire au nom de la lutte contre le virus via le tracking téléphonique et sur les réseaux sociaux. Un excellent prétexte pour renforcer la société de surveillance, chacun sera prévenu. Je doute que ce soit suffisant pour juguler complètement les mécontentements qui seront multiples.

Strategika – Existe-t-il une issue politique à la situation que vous venez de décrire et quelle forme pourrait-elle prendre selon vous ?

Carl Schmitt définit la politique comme la distinction entre ami et ennemi. Nous nous sommes découvert un ennemi invisible. Les peuples européens vont-ils se découvrir d’autres ennemis aussi sérieux ? Y compris à travers les pseudo-élites qui les gouvernent ? Pour un véritable changement de politique il faut des hommes et des femmes capables de prendre la relève. En France et en ce printemps 2020, je ne les discerne pas. Mais les périodes de crise sont celles où de nouvelles figures apparaissent, capables de prendre ce que Schmitt appelle des décisions, des décisions qui protégeraient les européens et les feraient rentrer dans une nouvelle période historiale.

Strategika – Comment liez-vous la crise actuelle à votre domaine d’expertise et votre champ de recherche ?

Il n’y a pas qu’une pandémie sanitaire mais aussi une médiadémie ou pandémédias, choisissez votre néologisme. Le sensationnalisme côtoie des reportages de complaisance. Les sujets qui fâchent, le non confinement de certaines minorités dans certains quartiers, un attentat récent dans la Drôme, l’insécurité grandissante, sont minimisés voire occultés. Il ne s’agit pas de censure mais d’auto censure consciente ou inconsciente. Rassurez-vous (si j’ose dire) la vraie censure est à venir. La loi Avia sur les « discours de haine » n’a pas encore été votée en deuxième lecture. Elle le sera à coup sûr et permettra aux opérateurs de censurer larga manu toute information non conforme sur les réseaux sociaux qui sont ceux qui informent le mieux si on les utilise avec discernement. Plus que jamais ce n’est pas seulement la liberté d’expression mais aussi la liberté d’opinion qui sont en péril. De ce côté je fais confiance à l’inventivité des diffuseurs d’informations, le système soviétique a péri et les samizdats y ont été pour quelque chose.

Le coronavirus et les horizons d’un monde multipolaire: les possibilités géopolitiques de l’épidémie

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Le coronavirus et les horizons d’un monde multipolaire: les possibilités géopolitiques de l’épidémie

Alexandre Douguine

La pandémie mondiale de coronavirus a d’énormes implications géopolitiques. Le monde ne sera plus jamais le même. Cependant, il est prématuré de parler du genre de monde qui finira par exister. L’épidémie n’est pas finie : nous n’avons même pas atteint le pic. Les principaux points inconnus demeurent :

- Quel genre de pertes subira finalement l’humanité – combien de morts ?

- Qui sera capable de stopper la diffusion du virus, et comment ?

- Quelles sont les conséquences réelles pour ceux qui ont été malades et ceux qui ont survécu?

Personne ne peut encore répondre à ces questions même approximativement, et donc nous ne pouvons même pas imaginer les véritables dommages. Dans le pire scénario, la pandémie conduira à un déclin sérieux de la population mondiale. Au mieux, la panique s’avérera prématurée et infondée.

Mais même après les premiers mois de la pandémie, certains changements géopolitiques globaux sont déjà tout à fait évidents et largement irréversibles. Quelle que soit la manière dont les événements ultérieurs se dérouleront, quelque chose a changé une fois pour toutes dans l’ordre mondial.

Le dégel de l’unipolarité

Le début de l’épidémie de coronavirus a été un moment décisif dans la destruction du monde unipolaire et l’effondrement de la globalisation. La crise de l’unipolarité et l’échec de la globalisation est visible depuis le début des années 2000 – la catastrophe du 11 Septembre, la forte croissance de l’économie de la Chine, le retour à la politique mondiale de la Russie de Poutine comme entité politique de plus en plus souveraine, la forte activation du facteur islamique, la crise grandissante des migrants et la montée du populisme en Europe et même aux Etats-Unis qui entraîna l’élection de Trump et beaucoup d’autres phénomènes parallèles ont fait apparaître que le monde formé dans les années 90 autour de la domination de l’Occident, des Etats-Unis et du capitalisme global est entré dans une phase de crise. L’ordre mondial multipolaire commence à se former avec de nouveaux acteurs centraux, des civilisations, comme prévu par Samuel Huntington. S’il y avait des signes de multipolarité émergente, une tendance est une chose et la réalité objective en est une autre. C’est comme de la glace fissurée au printemps – il est clair qu’elle ne durera pas longtemps, mais en même temps elle est indéniablement là – vous pouvez même la traverser, bien que ce soit risqué. Personne ne peut savoir quand la glace fissurée cédera vraiment.

Nous pouvons maintenant commencer le compte à rebours vers un ordre mondial multipolaire – le point de départ est l’épidémie de coronavirus. La pandémie a enterré la globalisation, la société ouverte et le système capitaliste global. Le virus nous a forcés à aller sur la glace et des enclaves individuelles de l’humanité ont commencé à prendre leurs trajectoires historiques séparées.

Le coronavirus a enterré tous les mythes majeurs de la globalisation : 

- l’efficacité des frontières ouvertes et l’interdépendance des pays du monde,

- l’aptitude des institutions supranationales à faire face à une situation extraordinaire,

- la solidité du système financier mondial et de l’économie mondiale dans son ensemble lorsqu’ils font face à des défis sérieux,

- l’inutilité des Etats centralisés, des régimes socialistes et des méthodes disciplinaires pour résoudre des problèmes aigus et la supériorité complète des stratégies libérales sur ceux-ci,

- le triomphe total du libéralisme comme panacée pour toutes les situations problématiques.

Leurs solutions n’ont pas marché en Italie, ni dans les autres pays de l’UE, ni aux Etats-Unis. La seule chose qui s’est avérée efficace a été la fermeture radicale de la société, le fait de miser sur les ressources domestiques, un fort pouvoir d’Etat et l’isolement des malades vis-à-vis des gens en bonne santé, des citoyens vis-à-vis des étrangers, etc.

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En même temps, même les pays de l’Occident ont réagi à la pandémie de manières très différentes : les Italiens ont introduit la quarantaine complète, Macron a introduit un régime de dictature d’Etat (dans l’esprit des Jacobins), Merkel a donné 500 milliards d’euros pour soutenir la population, et Boris Johnson, suivant l’esprit de l’individualisme anglo-saxon, a suggéré que la maladie soit considérée comme une affaire privée pour chaque Anglais et refusé de mener un dépistage, sympathisant à l’avance avec ceux qui perdront des proches. Trump a établi l’état d’urgence aux Etats-Unis, fermé les communications avec l’Europe et le reste du monde. Si l’Occident agit de manière si disparate et si contradictoire, alors que dire des autres pays ? Chacun semble chercher à se sauver comme il le peut. Cela a été le mieux accompli par la Chine qui, en résultat des politiques pratiquées par le Parti communiste, a instauré des méthodes disciplinaires dures pour combattre l’infection et a accusé les Etats-Unis de la répandre. La même accusation a été faite par l’Iran, qui a été durement touché par le virus – y compris parmi les principaux dirigeants du régime.

Ainsi le virus a déchiré la société ouverte et projeté l’humanité dans son voyage vers un monde multipolaire.

Quelle que soit la façon dont se terminera le combat contre le coronavirus, il est clair que la globalisation s’est effondrée. Cela pourrait presque certainement indiquer la fin du libéralisme et de sa domination idéologique totale. Il est difficilement possible de prévoir la version finale du futur ordre mondial – spécialement dans ses détails. La multipolarité est un système qui historiquement n’a pas existé, et si nous en cherchons un analogue éloigné, nous devrions nous tourner non vers l’ère des Etats européens plus ou moins équivalents après le monde westphalien, mais vers l’époque précédant l’ère des Grandes Découvertes, quand, en même temps que l’Europe (divisée en pays chrétiens occidentaux et orientaux), le Monde Islamique, l’Inde, la Chine et la Russie existaient en tant que civilisations indépendantes. Les mêmes civilisations existaient dans la période précoloniale en Amérique (les Incas, les Aztèques, etc.) et en Afrique. Il y avait des liens et des contacts entre ces civilisations, mais il n’y avait pas un seul type dominant avec des valeurs, des institutions et des systèmes universels.

Le monde post-coronavirus impliquera probablement des régions mondiales individuelles, des civilisations et des continents qui se formeront graduellement en acteurs indépendants. En même temps, le modèle universel du capitalisme universel s’effondrera probablement. Ce modèle sert actuellement de dénominateur commun de toute la structure de l’unipolarité : de l’absolutisation du marché à la démocratie parlementaire et à l’idéologie des droits de l’homme, incluant les notions de progrès et de la loi de développement technologique qui sont devenues des dogmes dans l’Europe du Nouvel Age et qui se sont répandus dans toutes les sociétés humaines au moyen de la colonisation (directement ou indirectement sous la forme de l’occidentalisation).

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Beaucoup de choses dépendront de ceux qui vaincront l’épidémie et comment : là où les mesures disciplinaires s’avéreront efficaces, elles entreront dans l’ordre politique et économique du futur comme une composante essentielle. La même conclusion peut être atteinte par ceux qui, au contraire, ne parviendront pas à conjurer la menace d’une pandémie au moyen de l’ouverture et en évitant des mesures dures. L’aliénation temporaire dictée par la menace directe de la contagion venant d’un autre pays et d’une autre région, la rupture des liens économiques et l’aliénation nécessaire vis-à-vis d’un système financier unique forceront les Etats victimes de l’épidémie à rechercher l’autosuffisance, parce que la priorité sera la sécurité alimentaire, une autonomie et une autarcie économique minimum pour répondre aux besoins vitaux de la population en-dehors de tous les dogmes économiques qui, avant la crise du coronavirus, étaient considérés comme la seule possibilité. Même là où le libéralisme et le capitalisme seront préservés, ils seront placés dans le cadre national, dans l’esprit des théories mercantilistes prônant le maintien d’un monopole du commerce extérieur dans les mains de l’Etat. Ceux qui sont moins liés à la tradition libérale pourraient bien se diriger dans d’autres directions, dans l’inventaire de l’organisation optimale du « grand espace », en prenant en compte les particularités civilisationnelles et culturelles.

On ne peut pas dire à l’avance ce que deviendra finalement le modèle multipolaire dans son ensemble, mais le fait même de la rupture du dogme généralement dominant de la globalisation libérale ouvrira des opportunités et des voies complètement nouvelles pour chaque civilisation.

Après le coronavirus : la sécurité multipolaire

Le monde multipolaire créera une architecture de sécurité entièrement nouvelle. Elle ne sera peut-être pas plus viable ou adaptable pour la résolution des conflits, mais elle sera différente. Dans ce nouveau modèle, l’Occident, les Etats-Unis et l’OTAN, si l’OTAN existe encore, seront juste un facteur parmi d’autres. Les Etats-Unis eux-mêmes ne seront clairement pas capables (et probablement ne voudront pas, si la ligne Trump prévaut finalement à Washington) de jouer le rôle d’arbitre mondial unique, et par conséquent les Etats-Unis acquerront un statut différent après la quarantaine et l’état d’urgence. Il pourrait être comparé au rôle d’Israël au Moyen-Orient. Israël est indubitablement un pays puissant, influençant activement l’équilibre de puissance dans la région, mais il n’exporte pas son idéologie et ses valeurs dans les pays arabes environnants. Au contraire, il préserve son identité juive pour lui-même, tentant plutôt de se libérer des porteurs d’autres valeurs plutôt que de les inclure dans sa composition. La construction d’un mur face au Mexique et l’appel de Trump aux Américains pour qu’ils se concentrent sur leurs problèmes internes sont similaires à la voie d’Israël : les Etats-Unis seront un pays puissant, mais ils garderont leur idéologie libérale-capitaliste pour eux-mêmes, plutôt que pour attirer des outsiders. La même chose s’appliquera pour l’Europe. Par conséquent, le facteur le plus important du monde unipolaire changera radicalement son statut.

Cela conduira bien sûr à une redistribution des forces et des fonctions entre les autres civilisations. L’Europe, si elle garde son unité à un certain degré, créera probablement son propre bloc militaire indépendant des Etats-Unis, qui fut déjà discuté après l’effondrement de l’Union Soviétique (le projet de l’Eurocorps) et a été évoqué à plusieurs reprises par Macron et Merkel. N’étant pas directement hostile aux Etats-Unis, un tel bloc suivra dans de nombreux cas les intérêts européens propres, qui pourraient parfois différer fortement de ceux des Etats-Unis. Avant tout, cela affectera les relations avec la Russie, l’Iran, la Chine et le monde islamique.

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La Chine devra se transformer, passant de bénéficiaire de la globalisation à une puissance régionale et s’adaptant pour poursuivre ses intérêts nationaux en tant que telle. C’est exactement ce vers quoi ont tendu tous les processus en Chine dernièrement – renforcement du pouvoir de Xi Jinping, projet de « Routes de la Soie » [OBOR], etc. Cela ne concernera plus la globalisation avec des caractéristiques chinoises, mais un projet extrême-oriental explicite avec des caractéristiques confucéennes spéciales et partiellement socialistes. Les conflits avec les Etats-Unis dans l’océan Pacifique deviendront clairement plus aigus à un certain moment.

Le monde islamique fera face au problème difficile du nouveau paradigme de l’auto-organisation, puisque dans les conditions de formation des grands espaces – Europe, Chine, USA, Russie, etc. – les pays islamiques individuels ne pourront pas pleinement se mesurer aux autres et défendre efficacement leurs intérêts. Il devra y avoir plusieurs pôles d’intégration islamique – chiite (avec l’Iran pour centre) et sunnite, où, avec l’Indonésie et le Pakistan en Orient, un bloc sunnite occidental autour de la Turquie et de certains pays arabes comme l’Egypte ou les pays du Golfe sera probablement construit.

Et finalement, dans l’ordre mondial multipolaire, la Russie a une chance historique de se renforcer comme civilisation indépendante qui verra un accroissement de pouvoir en résultat du déclin important de l’Occident et de sa fragmentation géopolitique interne. Cependant, en même temps, ce sera aussi un défi : avant de s’affirmer pleinement comme l’un des pôles les plus influents et puissants du monde multipolaire, la Russie devra passer le test de la maturité, préservant son unité et réaffirmant ses zones d’influence dans l’espace eurasien. On ne voit pas encore clairement où se trouveront les frontières sud et ouest de la Russie-Eurasie dans l’après-coronavirus. Cela dépendra largement du régime, des méthodes et des efforts dont la Russie fera usage pour conjurer la pandémie et des conséquences politiques que cela aura. De plus, il est impossible de prédire exactement l’état des autres « grands espaces » – les pôles du monde multipolaire. La constitution du périmètre russe dépendra de nombreux facteurs, dont certains pourraient s’avérer très dangereux et conflictuels.

Graduellement, un système d’arbitrage multipolaire sera formé – soit sur la base de l’ONU réformée sous les conditions de la multipolarité, soit sous la forme d’une nouvelle organisation. Encore une fois, tout dépendra ici de la manière dont le combat contre le coronavirus se déroulera.

Le virus comme mission

Il ne faut pas s’y tromper : la pandémie mondiale de coronavirus est un tournant dans l’histoire mondiale. Non seulement les indices boursiers et les prix du pétrole s’effondrent, mais l’ordre mondial lui-même est en train de tomber. Nous vivons dans la période de la fin du libéralisme et de son « évidence » comme méta-récit global, de la fin de ses mesures et standards. Les sociétés humaines deviendront bientôt flottantes : plus de dogmes, plus d’impérialisme du dollar, plus d’incantations au libre marché, plus de dictature de la FED ni d’échanges boursiers mondiaux, plus de soumission à l’élite médiatique mondiale. Chaque pôle construira son futur sur ses propres fondations civilisationnelles. Il est évidemment impossible de dire à quoi cela ressemblera ou à quoi cela mènera. Cependant, il est déjà clair que le vieil ordre mondial est en train de devenir une chose du passé, et que les contours très distincts d’une nouvelle réalité sont en train d’émerger devant nous.

Ce que ni les idéologies, ni les guerres, ni les féroces batailles économiques, ni la terreur, ni les mouvements religieux n’ont pu faire, un virus invisible mais mortel l’a accompli. Il a apporté avec lui la mort, la souffrance, l’horreur, la panique, la tristesse… mais aussi le futur.