lundi, 02 décembre 2024
Alexandre Douguine: "Le moment libéral"
Le moment libéral
par Alexandre Douguine
Alexandre Douguine affirme que l'effondrement du monde unipolaire marque le début d'une grande métamorphose, la lumière déclinante du libéralisme occidental cédant la place à l'éveil d'anciennes traditions, de profondes identités civilisationnelles et à la promesse d'une ère multipolaire dynamique aux possibilités illimitées.
Dans un numéro de 1990/1991 de la prestigieuse revue mondialiste Foreign Affairs, l'expert américain Charles Krauthammer avait publié un article programmatique intitulé « The Unipolar Moment » (= Le moment unipolaire) (1). Dans cet essai, il proposait une explication à la fin du monde bipolaire. Après l'effondrement des pays du Pacte de Varsovie et la désintégration de l'Union soviétique (qui n'avait pas encore eu lieu au moment de la publication de l'article), un nouvel ordre mondial émergerait dans lequel les États-Unis et l'Occident collectif (OTAN) resteraient le seul pôle de pouvoir, régissant le monde en établissant des règles, des normes et des lois, tout en assimilant leurs propres intérêts et valeurs à des normes universelles, globales et obligatoires. Krauthammer a qualifié cette hégémonie mondiale de facto de l'Occident de « moment unipolaire ».
Peu après, un autre expert américain, Francis Fukuyama, a publié un manifeste similaire intitulé La fin de l'histoire (2). Contrairement à Fukuyama, qui a déclaré prématurément que la victoire de l'Occident sur le reste de l'humanité était complète et que toutes les nations adopteraient désormais l'idéologie libérale et accepteraient la domination des États-Unis et de l'Occident, Krauthammer a fait preuve de plus de retenue et de prudence. Il a choisi de parler d'un « moment », se référant à une situation de facto dans l'équilibre du pouvoir mondial, sans tirer de conclusions hâtives sur la durabilité ou la durée de l'ordre unipolaire. Les signes de l'unipolarité sont évidents: l'adoption quasi universelle du capitalisme, de la démocratie parlementaire, des valeurs libérales, des variantes de l'idéologie des droits de l'homme, de la technocratie, de la mondialisation et du leadership américain. Cependant, Krauthammer a reconnu la possibilité que cet état de fait ne soit pas permanent mais simplement une phase - une phase qui pourrait évoluer vers un modèle à long terme (validant la thèse de Fukuyama) ou qui pourrait au contraire s'achever, laissant place à un ordre mondial différent.
En 2002/2003, Krauthammer est revenu sur sa thèse dans un article intitulé « The Unipolar Moment Revisited » (3), publié dans la revue réaliste (plutôt que mondialiste) National Interest. Cette fois, il affirme, une décennie plus tard, que l'unipolarité s'est avérée être un moment, et non un ordre mondial stable. Il a suggéré que des modèles alternatifs allaient bientôt émerger, alimentés par des tendances anti-occidentales croissantes à l'échelle mondiale - en particulier dans les pays islamiques, en Chine et dans une Russie renaissante sous la direction de Vladimir Poutine. Les événements qui ont suivi ont confirmé la conviction de Krauthammer selon laquelle le moment unipolaire était révolu. Les États-Unis n'ont pas réussi à consolider le leadership mondial qu'ils détenaient réellement dans les années 1990, et la domination occidentale est entrée dans une phase de déclin. L'opportunité d'une hégémonie mondiale, que les élites occidentales avaient pratiquement tenue entre leurs mains, a été gâchée. Désormais, au mieux, l'Occident devrait participer à la construction d'un monde multipolaire à un autre titre, sans viser l'hégémonie, afin d'éviter d'être laissé en marge de l'histoire.
Le discours de Poutine à Munich en 2007, l'ascension de Xi Jinping en Chine et la croissance économique rapide du pays, les événements de 2008 en Géorgie, la révolution de Maïdan en Ukraine et la réunification de la Russie avec la Crimée, l'opération militaire spéciale de 2022 et la guerre à grande échelle au Moyen-Orient commencée en 2023 - tout cela a confirmé dans la pratique que les penseurs prudents, Krauthammer et Samuel Huntington, qui prévoyaient une ère de « choc des civilisations » (4), étaient bien plus proches de la vérité que la vision trop optimiste de Fukuyama (optimiste pour l'Occident libéral, cela va de soi). Aujourd'hui, il est clair pour tout observateur raisonnable que l'unipolarité n'était qu'un « moment », qui cède maintenant la place à un nouveau paradigme - la multipolarité ou, plus prudemment, un « moment multipolaire » (5).
Nous revenons sur cette discussion pour souligner l'importance du concept de « moment » dans l'analyse de la politique mondiale. Ce concept restera un point central dans la suite de notre analyse.
Est-ce un moment ou non ?
Le débat sur la question de savoir si un système international, politique ou idéologique particulier représente quelque chose d'irréversible ou, à l'inverse, quelque chose de temporaire, de transitoire ou d'instable, ne date pas d'hier. Les défenseurs de théories spécifiques affirment souvent avec véhémence le caractère inévitable des régimes sociaux ou des transformations qu'ils privilégient. En revanche, les sceptiques et les observateurs critiques proposent d'autres points de vue, considérant ces systèmes comme de simples moments.
Cette dynamique est clairement visible dans l'exemple du marxisme. Pour la théorie libérale, le capitalisme et l'ordre bourgeois représentent le destin de l'humanité - un état permanent dans lequel le monde devient uniformément libéral-capitaliste et où tous les individus finissent par rejoindre la classe moyenne, devenant ainsi des bourgeois. Les marxistes, cependant, considèrent le capitalisme comme un moment historique du développement. Il était nécessaire pour surmonter le moment féodal précédent, mais il serait lui-même supplanté par le socialisme et le communisme. Le prolétariat remplacera la bourgeoisie, la propriété privée sera abolie et l'humanité ne sera plus composée que de travailleurs. Pour les marxistes, le communisme n'est pas un moment mais, essentiellement, la « fin de l'histoire ».
Les révolutions socialistes du 20ème siècle - en Russie, en Chine, au Viêt Nam, en Corée, à Cuba et ailleurs - semblaient valider le marxisme. Cependant, il n'y a pas eu de révolution mondiale et un monde bipolaire a émergé. De 1945 (après la victoire commune des communistes et des capitalistes sur l'Allemagne nazie) à 1991, deux systèmes idéologiques ont coexisté. Chaque camp affirmait que l'autre n'était qu'un moment - une phase dialectique plutôt que la fin de l'histoire. Les communistes affirmaient que le capitalisme s'effondrerait et que le socialisme triompherait, tandis que les idéologues libéraux soutenaient que le communisme était une déviation de la voie bourgeoise et que le capitalisme perdurerait à jamais. La thèse de la fin de l'histoire de Fukuyama faisait écho à cette croyance. En 1991, il s'est avéré qu'il avait raison: le système socialiste s'est effondré et les États post-soviétiques ainsi que la Chine maoïste sont passés à l'économie de marché, confirmant ainsi les prédictions libérales.
Certains marxistes gardent l'espoir que le capitalisme s'effondrera, ouvrant la voie à une révolution prolétarienne, mais cela n'est pas certain. Le prolétariat mondial se réduit et l'humanité semble prendre une toute autre direction.
Les penseurs libéraux ont toutefois adopté le point de vue de Fukuyama, assimilant le communisme à un moment et proclamant un « capitalisme sans fin ». Les postmodernes ont exploré les contours de cette nouvelle société, proposant des approches radicales pour résister au capitalisme de l'intérieur, allant de la transformation individuelle à des stratégies technologiques subversives. Ces idées ont trouvé un écho parmi les élites de gauche aux États-Unis, influençant les politiques relatives à la culture de l'homosexualité, à la culture de l'annulation (cancel culture), aux programmes écologiques et au transhumanisme. Pourtant, les partisans et les détracteurs du capitalisme victorieux s'accordent à dire qu'il représente la dernière étape de l'humanité, au-delà de laquelle se trouve la post-humanité, comme le prévoient les futurologues parlant de la « Singularité », où la mortalité humaine est remplacée par l'immortalité de la machine. Bienvenue dans la Matrice.
Ainsi, dans l'affrontement idéologique, la bourgeoisie a triomphé, façonnant le paradigme dominant de la « fin de l'histoire ».
Trump comme facteur de l'histoire mondiale
La possibilité même d'appliquer le terme « moment » à l'ère du triomphe mondial du capitalisme, même au sein de la sphère intellectuelle occidentale (comme l'a fait Krauthammer), ouvre une perspective unique qui n'a pas encore été pleinement explorée et comprise. L'effondrement actuel et évident du leadership occidental et l'incapacité de l'Occident à servir d'arbitre universel de l'autorité légitime pourraient-ils également comporter une dimension idéologique ? La fin de l'unipolarité et de l'hégémonie occidentale pourrait-elle signifier la fin du libéralisme lui-même ?
Cette idée est étayée par un événement politique crucial: l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pour deux mandats. La présidence de Trump a représenté une répudiation frappante du mondialisme et du libéralisme, reflétant l'émergence d'une masse critique de mécontentement à l'égard de la direction idéologique et géopolitique des élites libérales, même au cœur de l'unipolarité. D'ailleurs, le vice-président choisi par Trump pour son second mandat, J. D. Vance, s'identifie ouvertement comme un partisan du « conservatisme post-libéral ». Pendant la campagne de Trump, le libéralisme a été constamment invoqué comme un terme négatif, visant spécifiquement le « libéralisme de gauche » du parti démocrate. Cependant, dans les cercles plus larges de partisans de Trump, le libéralisme est devenu un synonyme de dégénérescence, de décadence et de corruption morale au sein de l'élite dirigeante.
Pour la deuxième fois dans l'histoire récente, une personnalité politique ouvertement critique à l'égard du libéralisme a triomphé dans la citadelle même de l'idéologie libérale, les États-Unis. Parmi les partisans de Trump, le libéralisme en est venu à être carrément diabolisé, reflétant son association avec le déclin moral et politique. Il est donc de plus en plus plausible de parler de la fin du « moment libéral ». Le libéralisme, autrefois considéré comme le vainqueur ultime de la progression historique, apparaît aujourd'hui comme une simple étape dans le cours plus large de l'histoire, une étape avec un début et une fin, limitée par son contexte géographique et historique.
Le déclin du libéralisme signale l'émergence d'une idéologie alternative, d'un nouvel ordre mondial et d'un ensemble de valeurs différent. Le libéralisme s'est avéré ne pas être un destin, ni la fin de l'histoire, ni un paradigme irréversible et universel, mais simplement un épisode - une ère avec des limites temporelles et spatiales claires. Le libéralisme est intrinsèquement lié au modèle occidental de la modernité. S'il a gagné des batailles idéologiques contre d'autres formes de modernité - le nationalisme et le communisme - il a finalement atteint sa conclusion. Avec lui, le « moment unipolaire » décrit par Krauthammer et le cycle plus large de la domination coloniale singulière de l'Occident sur le globe, qui a commencé à l'époque des grandes découvertes géographiques, ont également pris fin.
L'ère post-libérale
L'humanité entre maintenant dans une ère post-libérale. Cependant, cette ère diverge fortement des attentes marxistes-communistes du passé. Premièrement, le mouvement socialiste mondial s'est largement estompé et ses principaux bastions - l'Union soviétique et la Chine - ont abandonné leurs formes orthodoxes, adoptant des aspects du modèle libéral à des degrés divers. Deuxièmement, les principales forces responsables de l'effondrement du libéralisme sont les valeurs traditionnelles et les identités civilisationnelles profondes.
L'humanité surmontera le libéralisme non pas par une phase socialiste, matérialiste ou technologique, mais en faisant revivre des couches culturelles et civilisationnelles que la modernité occidentale a jugées obsolètes et éradiquées. Ce retour au pré-moderne, plutôt que la poursuite de la trajectoire postmoderne ancrée dans la modernité occidentale, définit l'essence du post-libéralisme. Contrairement aux attentes de la pensée progressiste de gauche, le post-libéralisme émerge comme un rejet des prétentions universelles de l'ordre moderne occidental. Il considère plutôt l'ère moderne comme un phénomène temporaire, un épisode dû à la dépendance d'une culture spécifique à l'égard de la force brute et de l'exploitation technologique agressive.
Le monde post-libéral n'envisage pas la poursuite de l'hégémonie occidentale, mais un retour à la diversité des civilisations, comme à l'époque qui a précédé la montée en flèche de l'Occident. Le libéralisme, en tant que dernière forme d'impérialisme mondial occidental, a absorbé tous les principes clés de la modernité européenne et les a poussés à leurs extrêmes logiques : la politique du genre, la culture woke, la "culture de l'annulation", la théorie critique de la race, le transhumanisme et les cadres postmodernistes. La fin du moment libéral marque non seulement l'effondrement du libéralisme, mais aussi la conclusion de la domination singulière de l'Occident dans l'histoire du monde. C'est la fin de l'Occident.
Le moment libéral chez Hegel
Le concept de « fin de l'histoire » est apparu à plusieurs reprises dans cette discussion. Il est maintenant nécessaire de revenir sur la théorie elle-même. L'expression trouve son origine chez Hegel, et sa signification est enracinée dans la philosophie de Hegel. Marx et Fukuyama ont tous deux adopté ce concept (ce dernier par l'intermédiaire de l'hégélien russo-français Alexandre Kojève), mais ils l'ont dépouillé de ses fondements théologiques et métaphysiques.
Dans le modèle de Hegel, la fin de l'histoire est inséparable de son commencement. Au début de l'histoire se trouve Dieu, caché en lui-même. Par la négation de soi, Dieu se transforme en Nature. Dans la Nature, la présence de Dieu est latente mais active, et cette présence latente est à l'origine de l'émergence de l'histoire. L'histoire, à son tour, représente le déploiement de l'Esprit. Des sociétés de différents types émergent au fil du temps: monarchies traditionnelles, démocraties et sociétés civiles. Enfin, l'histoire culmine dans le grand Empire de l'Esprit, où Dieu se manifeste le plus pleinement dans l'État - pas n'importe quel État, mais un État philosophique guidé par l'Esprit.
Dans ce cadre, le libéralisme n'est qu'un moment. Il suit la dissolution d'États plus anciens et précède l'établissement d'un nouvel État véritable qui marque l'apogée de l'histoire. Les marxistes et les libéraux, rejetant la base théologique de Hegel, ont réduit sa théorie à des termes matérialistes. Ils sont partis de la nature, sans tenir compte de la conception de Dieu de Hegel, pour aboutir à la société civile - le libéralisme - comme point culminant de l'histoire. Pour les libéraux comme Fukuyama, l'histoire s'achève lorsque l'humanité tout entière devient une société civile mondiale. Les marxistes, quant à eux, envisagent la fin de l'histoire avec une société communiste sans classes, bien qu'elle reste dans le cadre de la société civile.
En rétablissant le modèle philosophique complet de Hegel, il devient évident que le libéralisme n'est qu'une phase transitoire - ce que Hegel appellerait un « moment ». Sa conclusion ouvre la voie à la réalisation ultime de l'Esprit, que Hegel envisageait comme un Empire de l'Esprit.
Le postmodernisme et la monarchie
Dans ce contexte, l'idée de monarchie acquiert une signification nouvelle - non pas comme une relique du passé, mais comme un modèle potentiel pour l'avenir. L'ère mondiale de la démocratie libérale et du républicanisme s'est épuisée. Les efforts visant à établir une république mondiale ont échoué. En janvier 2025, cet échec sera définitivement reconnu.
Que se passera-t-il ensuite ? Les paramètres de l'ère post-libérale restent indéfinis. Cependant, la reconnaissance du fait que toute la modernité européenne - sa science, sa culture, sa politique, sa technologie, sa société et ses valeurs - n'était qu'un épisode, culminant dans une conclusion lugubre et peu glorieuse, suggère que l'avenir post-libéral sera radicalement inattendu.
Hegel nous donne un indice : l'ère post-libérale sera une ère de monarchies. La Russie contemporaine, bien qu'elle soit encore formellement une démocratie libérale, présente déjà les caractéristiques d'une monarchie: un dirigeant populaire, la permanence de l'autorité suprême et l'accent mis sur les valeurs spirituelles, l'identité et la tradition. Ce sont là les fondements d'une transition monarchique - non pas dans la forme, mais dans l'essence.
D'autres civilisations évoluent dans une direction similaire. L'Inde de Narendra Modi reflète de plus en plus l'archétype d'un monarque sacré, un chakravartin, proche du dixième avatar Kalki, qui inaugure la fin d'un âge sombre. La Chine de Xi Jinping présente les traits d'un empire confucéen, Xi incarnant l'archétype de l'empereur jaune. Même le monde islamique pourrait s'intégrer grâce à un califat modernisé.
Dans ce monde post-libéral, même les États-Unis pourraient connaître un tournant monarchique. Des penseurs influents comme Curtis Yarvin préconisent depuis longtemps la monarchie en Amérique. Des personnalités comme Donald Trump, avec ses liens dynastiques, pourraient symboliser ce changement.
Un avenir ouvert
Le terme « moment libéral » a des implications révolutionnaires pour la pensée politique. Ce qui était autrefois considéré comme un destin inéluctable se révèle n'être qu'un motif éphémère dans la vaste tapisserie de l'histoire. Cette prise de conscience ouvre la voie à une imagination politique sans limites. Le monde post-libéral est un monde de possibilités infinies, où le passé, l'avenir et même les traditions oubliées peuvent être redécouverts ou réimaginés.
Ainsi, les dictats déterministes de l'histoire sont renversés, annonçant une ère de temporalités plurielles. Au-delà du moment libéral s'ouvre une nouvelle liberté, où des civilisations diverses tracent leur chemin vers les horizons inconnus d'un avenir post-libéral.
Notes:
1) Krauthammer, Charles. “The Unipolar Moment”, Foreign Affairs, 70.1, 1990/1991, pp. 23-33.
2) Fukuyama, Francis. The End of History and the Last Man. NY: Free Press, 1992.
3) Krauthammer, Charles. “The Unipolar Moment Revisited”, National Interest, 70, 2002/2003, pp. 5-17.
4) Huntington, Samuel. “The Clash of Civilizations?”, Foreign Affairs, summer 1993, pp. 22-47.
5) Савин Л., Многополярный момент.
17:39 Publié dans Actualité, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alexandre douguine, libéralisme, unipolarité, multipolarité, définition, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 22 novembre 2024
Douguine fait l'éloge de la guerre menée par Modi contre la «mentalité coloniale»
Douguine fait l'éloge de la guerre menée par Modi contre la «mentalité coloniale»
L'Inde, la Russie et la Chine sont de grands États civilisationnels qui doivent se réinventer, a déclaré le philosophe russe.
Alexandre Douguine
L'Inde joue un rôle « crucial » dans la nouvelle architecture mondiale et l'équilibre des pouvoirs, a déclaré le politologue et philosophe russe Alexandre Douguine dans une interview accordée à RT. Il s'agit notamment de créer un état d'esprit « décolonisé » et d'abandonner les « récits contrôlés par l'Occident », a-t-il ajouté.
S'exprimant en marge d'un événement organisé par Russia House à New Delhi, M. Douguine a indiqué que le principal défi à relever pour créer un monde multipolaire était « d'ordre philosophique - restaurer notre identité métaphysique ». Le politologue a rappelé l'appel lancé par le Premier ministre Narendra Modi aux Indiens pour qu'ils « éliminent toute trace de mentalité coloniale » alors que le pays, qui a obtenu son indépendance de la domination coloniale britannique en 1947, progresse vers une nouvelle vision et une nouvelle identité. L'Inde, a-t-il noté, s'identifie désormais comme Bharat - un nom qui reflète une rupture avec son héritage colonial.
« Dans aucune partie de notre existence, pas même au plus profond de nos esprits ou de nos habitudes, il ne devrait y avoir la moindre trace d'esclavage. Il faut l'étouffer dans l'œuf », a déclaré Modi en 2022, lors d'un discours prononcé à l'occasion du 76ème jour de l'indépendance de l'Inde. "Nous devons nous libérer de la mentalité esclavagiste, qui se manifeste dans d'innombrables choses en nous et autour de nous".
Le gouvernement Modi a mis en œuvre des réformes administratives, économiques et sociales motivées par l'idée d'établir une identité distincte pour la « Nouvelle Inde », qui se transforme en une nation développée alimentée par des innovations technologiques.
« La colonisation n'est pas seulement un contrôle politique ou administratif, c'est aussi un contrôle des mentalités », a déclaré M. Douguine. "Toutes les civilisations devraient décoloniser leur esprit. En Russie, nous y travaillons également, car notre éducation et nos sciences humaines sont totalement contrôlées par les récits occidentaux".
« Nous devons trouver un moyen de sortir de cet état de colonisation des esprits pour nous libérer et nous aider à nous libérer les uns les autres en donnant l'exemple. Nous devons rester plus proches les uns des autres et créer un monde juste, démocratique, équilibré et égalitaire - un nouvel ordre mondial fondé précisément sur la multipolarité », a ajouté le philosophe.
Selon Douguine, l'Inde, la Russie et la Chine sont des exemples d'États civilisationnels qui réunissent des peuples, des cultures et des religions différents. Il a affirmé que ces trois pays ont joué un rôle déterminant dans la formation de la structure fondatrice du groupe BRICS, qui remet en question l'ordre mondial dominé par l'Occident. Il a insisté sur le fait que la multipolarité devrait être fondée sur le dialogue entre les États civilisationnels, plutôt qu'entre des États-nations qui sont représentatifs du modèle westphalien, et que le rôle de l'Inde dans ce processus est «crucial».
« L'Inde pourrait choisir d'inclure l'Occident dans un concert d'États civilisationnels afin de créer une nouvelle architecture du monde et un nouvel équilibre des pouvoirs », a suggéré M. Douguine, ajoutant que New Delhi pourrait également jouer un rôle majeur en évitant un “conflit suicidaire” entre la Russie et les États-Unis. De même, Moscou pourrait arbitrer les conflits entre l'Inde et la Chine.
Depuis l'escalade du conflit ukrainien, New Delhi a maintenu des liens étroits avec Moscou, son partenaire traditionnel, mais aussi avec Washington, malgré les pressions sans précédent exercées par l'Occident pour qu'il détériore ses relations avec la Russie. Les responsables indiens affirment que la politique étrangère du pays est guidée par les intérêts d'une nation connaissant une croissance économique rapide et desservant une population de 1,4 milliard d'habitants. Modi a insisté sur le fait qu'une résolution du conflit ukrainien ne pouvait être obtenue sur le champ de bataille et a appelé à des solutions par « la diplomatie et le dialogue ».
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mardi, 22 octobre 2024
Théorie de l'arc de crise : géopolitique et géostratégie
Théorie de l'arc de crise : géopolitique et géostratégie
Tiberio Graziani
Source: https://geoestrategia.eu/noticia/43416/geoestrategia/teoria-del-arco-de-crisis:-geopolitica-y-geoestrategia.html
Les deux guerres en cours ont des origines différentes et lointaines
Les causes de la guerre russo-ukrainienne, si l'on se limite au contexte régional, remontent aux émeutes de l'Euromaïdan de novembre il y a dix ans, à l'annexion ultérieure de la Crimée par la Russie, aux politiques anti-russophones mises en œuvre dans le Donbass par Kiev et les républiques séparatistes autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. En revanche, le conflit israélo-palestinien, si l'on ne considère que la portée régionale, remonte à la guerre civile de juin 2007, lorsque le Hamas est parvenu à prendre le contrôle total de la bande de Gaza.
En réalité, les deux guerres ont des origines beaucoup plus anciennes et, surtout, ne peuvent pas être simplement limitées, non seulement en termes de causes mais aussi en termes d'effets internationaux, à leurs dimensions régionales respectives. Cela s'explique par les intérêts importants des autres acteurs impliqués, qui sont à la fois locaux et mondiaux.
Le long après-guerre froide et le moment unipolaire
L'affrontement entre la Russie et l'Ukraine est une manifestation spectaculaire de la longue période de l'après-guerre froide qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique ; à certains égards, il en marque la fin. Cette période d'après-guerre est également étrange et tragique, car elle est marquée par une série impressionnante d'événements militaires.
Le début de cette période d'après-guerre, aussi dramatique que sa conclusion, remonte aux guerres balkaniques de la décennie 1991-2001, qui ont culminé avec l'opération des forces alliées dirigée par l'OTAN. Les Européens, encore sous l'effet de l'euphorie brève mais intensément optimiste liée à la chute spectaculaire du mur de Berlin (novembre 1989), ont été brutalement réveillés. Au lieu d'assister à la « fin de l'histoire » (Fukuyama F., "The End of the History ?" in The National Interest, Summer 1989, The End of History and the Last Man, 1992), ils ont été les témoins, sur leur propre continent et pendant toute une décennie, d'une guerre civile sanglante et des actions dévastatrices de deux opérations de l'Alliance atlantique, Allied Force en 2001 et Deliberate Force en 1995.
Situé temporellement à la fin de la longue période de l'après-guerre froide, le conflit actuel entre Russes et Ukrainiens est également une guerre civile entre populations slaves et un affrontement entre républiques post-soviétiques. Cependant, contrairement aux guerres balkaniques qui ont éclaté au plus fort du séisme géopolitique provoqué par la chute du mur de Berlin, la dissolution de l'URSS et du Pacte de Varsovie, cette guerre intervient après trois décennies d'hégémonie mondiale des États-Unis. La conclusion à tirer est qu'elle représente un nouvel exemple de l'incapacité du monde occidental, en particulier de celui dirigé par les États-Unis, à gérer le « moment unipolaire ».
Au cours des trente dernières années, la « nation indispensable » - comme l'a fièrement définie le président Clinton dans son deuxième discours inaugural le 20 janvier 1997 ( "L'Amérique est la seule nation indispensable au monde") - a démontré à maintes reprises cette incapacité. L'exemple le plus récent est l'abandon de l'Afghanistan après vingt ans de guerre. Cet abandon de l'Afghanistan après vingt ans de guerre, laisse derrière lui un pays dévasté et des milliers de morts, de blessés et d'invalides.
L'« opération militaire spéciale » - telle que définie par le Kremlin pour l'invasion du territoire ukrainien - qui a débuté le 24 février 2022, est sans aucun doute une réponse ferme de la Russie à la pénétration progressive de l'Occident dans la masse continentale eurasienne, en particulier à l'expansion de l'OTAN jusqu'aux frontières occidentales de l'État russe. Il s'agit d'une réponse prévisible, compte tenu du bref conflit russo-géorgien d'août 2008 et de l'annexion de la Crimée en 2014.
L'« Opération militaire spéciale » de 2022 met en évidence le manque de pertinence de l'UE en termes de planification de la sécurité, sa capacité limitée à définir un rôle géopolitique stabilisateur distinct dans le monde post-bipolaire et, en fin de compte, sa subordination totale et non critique aux États-Unis -son principal allié - et à l'OTAN. Cette guerre nous montre, une fois de plus, que l'UE ne sait pas se concevoir comme une entité autonome et indépendante en dehors du contexte occidental dominé par les États-Unis.
De plus, en ne comprenant pas ou en ne voulant pas comprendre le processus historique en cours, l'UE ne voit pas ce qui se passe à ses frontières et ce qui pourrait se produire dans un avenir immédiat. En conséquence, elle se retrouve constamment et dramatiquement mal préparée donc moralement coupable d'au moins quatre catastrophes qui persistent ou se sont produites dans son voisinage immédiat : a) les guerres balkaniques de 1991-2001 ; b) la déstabilisation de la Libye en 2011 ; c) la guerre russo-ukrainienne de 2022 ; d) la guerre israélo-palestinienne de 2023, sans parler de l'incapacité à trouver une solution au grave problème migratoire au cours des trois décennies qui se sont écoulées depuis son apparition.
Quant aux pays d'Europe de l'Est directement et indirectement impliqués, le conflit russo-ukrainien a montré, après trois décennies, que leurs classes dirigeantes - qu'elles soient politiques, économiques ou intellectuelles - enfermées dans leur néo-nationalisme étroit et à courte vue, ont été incapables de développer un projet régional autonome ou de présenter une proposition utile pour leur rôle géopolitique et géostratégique spécifique dans le nouveau contexte qui a émergé de la dissolution de l'Union soviétique, caractérisé par le processus concomitant de la mondialisation.
Prises entre la séduction exercée par Bruxelles et les pressions atlantiques exercées par Londres et Washington, d'une part, et la réinterprétation et la reconstruction de leurs identités nationales basées sur la russophobie, d'autre part, ces classes dirigeantes n'ont pas saisi l'opportunité historique offerte par l'effondrement soviétique: l'option de s'émanciper de l'Est et de l'Ouest, de se présenter comme une zone cohésive et autonome, jouant le rôle de pivot et de charnière entre les États membres de l'Union européenne et la Fédération de Russie.
La peur d'un voisin imposant, perçu comme dangereux et agressif (bien qu'au début des années 1990, la Russie pouvait difficilement être considérée comme un pays « dangereux » pour ses voisins), ainsi que les pressions de l'OTAN, ont conduit ces pays à adhérer d'abord à l'Alliance atlantique, puis à l'Union européenne. Les classes dirigeantes d'Europe de l'Est ont ainsi pris la décision peu subtile de quitter un camp - le camp russophile - pour un autre, le camp euro-atlantique, perdant ainsi une opportunité difficile à retrouver: celle de se positionner comme un centre d'échange et de compensation entre l'Est et l'Ouest.
L'Europe de l'Est, dans une perspective historique à moyen terme, est passée de la sphère d'influence soviétique à la sphère d'influence atlantique, c'est-à-dire de la cage du Pacte de Varsovie à la cage du Pacte atlantique, d'un maître à un autre. En choisissant de devenir l'extrême périphérie orientale du camp occidental hégémonisé par les États-Unis, cette partie de l'Europe a choisi de devenir un arc de crise permanent entre l'Occident et la Russie.
Choc des civilisations : cui prodest ?
Bien sûr, on pourrait objecter à ce qui a été écrit jusqu'ici que le conflit entre Moscou et Kiev s'inscrit dans un éventuel projet du Kremlin visant à rétablir la domination de Moscou sur un territoire ayant appartenu à l'Empire tsariste puis à l'Union soviétique... Certes, le discours public russe ne manque pas d'échos néo-impériaux (par ailleurs marginaux, mais remarquables par leur force mobilisatrice), dont certains sont même teintés d'un certain spiritualisme civilisationnel ambigu qui interprète l'affrontement actuel dans le langage fumeux de l'eschatologie. Cependant, ce projet possible, cette stratégie hypothétique du Kremlin ne résiste pas à une lecture moins émotionnelle et romantique des événements actuels et à une analyse de leurs causes, ainsi que, notamment, à une description plus objective et réaliste de la situation, des « valeurs » actuelles exprimées par la Russie et l'Occident.
Certaines précisions du président Poutine sur la supériorité des valeurs de la Russie par rapport à l'Occident - qui semblent à première vue reprendre les échos néo-impérialistes et civilisationnels évoqués plus haut - renvoient à l'affrontement dialectique avec les principaux représentants politiques du camp opposé (l'« Occident collectif »), qui assimilent le gouvernement de la Fédération à une autocratie de tradition tsariste, accusent le Kremlin de promouvoir des théories obscurantistes et d'exercer un régime liberticide et oppressif.
Plus importantes et pleines de réalisme politique sont les déclarations continues de Poutine, au moins depuis son discours à la Conférence de Munich (2007), sur la neutralité des régions voisines de la Fédération pour leurs besoins de sécurité.
Pour en revenir au prétendu désir du Kremlin de rétablir la Russie impériale ou une réédition de l'Union soviétique, il convient de noter que le récit néo-impérial et civilisationnel, paradoxalement, devient fonctionnel pour la stratégie américaine de maintien de l'équilibre mondial. L'hégémonie, aussi bien que largement et magistralement définie par les deux textes canoniques qui sont sans aucun doute ceux de Samuel P. Huntington et Zbigniew Brzezinski, auteurs respectivement de The Clash of Civilisations and the Reconstruction of the World Order (1996) et de The Grand Chessboard. La primauté américaine et ses impératifs géostratégiques (1997).
Si le Kremlin succombait à la tentation du récit civilisationnel « néo-impérial » et prenait, sur cette base, des décisions stratégiques, il tomberait irrémédiablement dans le piège du choc des civilisations, en s'exposant ainsi que l'ensemble de l'Eurasie. Elle s'exposerait à la multiplication des crises prévues par Brzezinski et au danger de fragmentation de son espace national et de tout le continent selon des lignes de fracture religieuses et ethnoculturelles: en fin de compte, elle réaliserait le rêve hégémonique et messianique des États-Unis, celui d'être la nation indispensable, l'unique dispensateur de civilisation et de valeurs.
De la guerre israélo-arabe au conflit Israël-Hamas
La guerre actuelle entre la bande de Gaza et l'État d'Israël, qui a débuté le 7 octobre 2023 avec l'opération Al Aqsa Flood voulue et organisée par le Hamas, à laquelle Israël a réagi rapidement en mettant en œuvre une réponse disproportionnée avec l'opération Iron Swords, est un épisode du conflit israélo-arabe plus large qui a débuté en 1948. Il constitue la troisième phase de l'affrontement direct entre Israël et Gaza. Elle fait suite aux opérations « Plomb durci » et « Bordure protectrice », lancées par Israël contre Gaza en 2008 et 2014, respectivement.
Il convient de revenir rapidement sur l'histoire de ce long conflit, dont la guerre actuelle constitue une partie importante, en raison de certains éléments qui la distinguent des épisodes précédents: l'asymétrie des belligérants, le nombre impressionnant de victimes, principalement des enfants, la passivité de la soi-disant communauté internationale et des pays arabes, l'hybridation entre guerre de religion et libération nationale, la stratégie de l'Axe de la résistance parrainée par l'Iran.
Les trois guerres de 1948, 1967 et 1973 sont des conflits entre des coalitions arabes et Israël. Ce sont des guerres qui expriment la volonté de certaines nations arabes de résoudre la question du peuple palestinien, par la confrontation militaire, après la proclamation de l'Etat d'Israël en 1948 par les autorités sionistes en Palestine. D'une certaine manière, ces guerres israélo-arabes sont issues de la Thawra Filasṭīn (Révolution palestinienne), la grande révolte des Arabes palestiniens, qui a duré environ trois ans, de 1936 à 1939, contre la politique de colonisation juive, permise par la Déclaration Balfour de 1917, adoptée par les Britanniques. La politique de colonisation a fait passer la population juive de 80.000 à environ 360.000 unités en seulement 18 ans, créant un bouleversement démographique et socio-économique majeur au détriment des populations autochtones. La Palestine, après la défaite de l'Empire ottoman et sa dissolution, a été gouvernée de 1920 à 1948 par les Britanniques (c'était la "Palestine mandataire") et s'étendait sur un territoire d'environ 28.000 kilomètres carrés. Après la partition de 1947, la naissance de l'État d'Israël et les résultats des trois guerres israélo-arabes (1948, 1967, 1973), le territoire de la Palestine sous mandat britannique est aujourd'hui divisé entre Israël (20.770 km²) et l'État de Palestine (6020 km²), qui comprend la Cisjordanie (5655 km²) et l'ancienne bande de Gaza (365 km²).
Après les résultats décevants des trois guerres israélo-arabes mentionnées ci-dessus, les coalitions arabes, pour diverses raisons, se sont effondrées et la population palestinienne a été, pour ainsi dire, laissée à elle-même. En effet, l'Égypte et la Jordanie sont parvenues à un accord avec Israël et ont signé des traités de paix avec l'État juif en 1979 et 1994 respectivement. La Syrie, le Liban et l'Irak n'ont pas reconnu l'État d'Israël et ont continué à soutenir la cause palestinienne.
Depuis la guerre du Kippour (1973), la résistance palestinienne s'est exprimée de manière asymétrique et par des actions sporadiques, dont les épisodes les plus marquants ont été les soulèvements longs et sanglants qui sont entrés dans l'histoire sous le nom d'intifadas : la première intifada ou intifada des pierres, qui a débuté le 8 décembre 1987 et s'est achevée environ six ans plus tard, le 13 juillet 1993, et la deuxième intifada ou intifada al-Aqsa, qui a débuté en 2000 et s'est achevée en 2005.
C'est précisément avec les intifadas, en particulier celle de 1987, que la résistance palestinienne la plus radicale commencera à s'opposer à l'État d'Israël non seulement dans le contexte d'une lutte de libération nationale, mais aussi en termes de guerre de religion. C'est précisément le cas de l'organisation islamiste d'inspiration sunnite Hamas, née lors de la première intifada et qui est parvenue, à partir du second semestre 2007, à contrôler la bande de Gaza. C'est également le cas de l'organisation islamiste libanaise Hezbollah, d'inspiration chiite.
Le passage du modèle traditionnel des luttes de libération nationale, fondé sur le principe de l'autodétermination des peuples, qui a connu un franc succès lors de l'indépendance de l'Algérie et de la Tunisie et a constitué une référence théorique pour l'OLP, à la pratique de la « guerre sainte » est dû à plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, il est important de souligner les influences croissantes de l'Iran, surtout après la conclusion de la guerre avec l'Irak, et des Frères musulmans sur les organisations politiques palestiniennes. Si, jusqu'en 1973, la lutte pour l'établissement d'un État palestinien impliquait des acteurs étatiques, c'est-à-dire les principaux États de la région (Égypte, Jordanie, Syrie, Liban), aujourd'hui, elle implique principalement des organisations radicales et idéologiquement motivées qui participent à l'axe de la résistance. Leur objectif n'est pas seulement la libération de la Palestine, mais la lutte totale contre Israël et les influences politiques des États-Unis et d'Israël lui-même dans la région du Proche et du Moyen-Orient.
La disparité criante des forces et du soutien international entre Israël - qui bénéficie, rappelons-le, du soutien des États-Unis et de tout l'Occident - et la bande de Gaza, qui jouit d'un soutien régional aussi radical que fragmenté, réactualise tragiquement le principe biblique. La lutte entre le géant Goliath et David.
Les deux guerres en cours et la transition unimultipolaire
Les deux guerres en cours constituent deux foyers de crise situés dans des régions spécifiques de la masse eurasienne capables de réécrire les structures géopolitiques mondiales.
Une déstabilisation prolongée de ces zones, ainsi que d'éventuels foyers de tension dans d'autres parties de la masse continentale eurasienne, comme l'Indo-Pacifique ou l'Asie centrale, pourraient contribuer à une transition complexe d'un ordre unipolaire dominé par les États-Unis vers un monde plus équilibré, orienté vers la maîtrise de la concurrence entre les nations et la promotion de la coopération internationale.
La crise russo-ukrainienne représente un premier facteur d'exacerbation de la fracture entre l'Europe continentale et centrale-orientale et la Fédération de Russie. En effet, elle finit par éloigner les possibilités de collaboration entre la Russie, riche en énergie, et les pays européens hautement industrialisés mais dépendants de l'énergie. Elle retarde également la nécessité de développer une architecture de sécurité commune. Les principaux bénéficiaires de cette fracture potentielle durable entre l'Europe et la Russie semblent être les États-Unis, tant sur le plan géopolitique que géostratégique.
La crise persistante et récemment ravivée en Palestine constitue un deuxième facteur qui, à long terme, complique la transition d'un ordre unipolaire à un ordre multipolaire, en raison également de l'équidistance actuelle entre des acteurs mondiaux tels que la Russie, la Chine et l'Inde. Hypothétiquement, si d'un côté une attitude pro-Gaza de ces trois pays et du Sud global pourrait accélérer le processus de transition, d'un autre côté elle pourrait augmenter le risque d'un conflit généralisé, voire le déclencher avec des conséquences imprévisibles. En impliquant indirectement les puissances régionales de ce que l'on appelle le Sud mondial, telles que l'Iran, la Syrie et, à certains égards, la Turquie d'Erdogan (qui s'est récemment démarquée de l'Occident dirigé par les États-Unis), l'éclatement de la crise israélo-palestinienne actuelle entraverait la capacité de ces pays à s'engager activement dans la construction d'un nouveau système multipolaire ou polycentrique. En outre, le maintien de cette situation critique et fortement déséquilibrée en faveur d'Israël donnerait aux États-Unis l'occasion d'utiliser Israël comme une force armée (et nucléaire) stabilisatrice dans la région du Proche et du Moyen-Orient. Israël se positionnerait ainsi comme un pilier nécessaire - en synergie avec la Turquie ou comme une alternative à Ankara si cette dernière poursuivait son excentricité vis-à-vis de l'alliance atlantique - de la politique américaine en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient. Une fois de plus, parmi les acteurs mondiaux, le principal bénéficiaire géopolitique semble être la puissance étrangère.
Comme indiqué, l'application du modèle de l'arc de crise pour comprendre les guerres actuelles nous permet de les analyser dans le contexte de la transition d'un ordre unipolaire à un ordre généralement multipolaire. Elle souligne également la nécessité pour la puissance déclinante, les États-Unis - visiblement en crise en raison de la perte du rôle hégémonique qu'ils ont joué jusqu'à présent au profit de nouveaux acteurs tels que la Chine et l'Inde - d'adopter une stratégie généralisée visant à promouvoir les zones de tension (la géopolitique du chaos) dans la masse eurasienne. Comme on pouvait s'y attendre, ce scénario s'étendrait également à l'Afrique pour contrer les influences russes et chinoises, dans le but d'entraver, voire de priver de pouvoir, ceux qui façonnent le nouvel ordre mondial.
En conclusion, le modèle des foyers de crise nous aide à comprendre la transition de l'unipolarité à la multipolarité, qui est encore en cours de définition. De ce point de vue, les « centres de crise » semblent être fonctionnels à la stratégie américaine visant à ralentir la transition en cours vers un système multipolaire et à prolonger l'hégémonie unipolaire de Washington.
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lundi, 14 octobre 2024
Multipolarité et sagesse traditionnelle
Multipolarité et sagesse traditionnelle
Prof. Dr. h.c. Hei Sing Tso
Le concept de multipolarité d'Alexander Douguine est une idée formidable. La multipolarité représente à la fois une tendance et une stratégie. Les civilisations vont remplacer les nations dans la géopolitique. L'Europe, la Russie, la Chine, l'Iran, etc. représentent des forces qui forment un équilibre contre les Anglo-Saxons et les mondialistes. Dans un monde multipolaire, la stratégie et la tactique peuvent être tirées de la sagesse ancienne de différentes civilisations. Pendant la période des Royaumes combattants dans la Chine antique (474-221 av. J.-C.) (1), il existait une ancienne école de pensée diplomatique dont le fondateur est un penseur mystérieux connu sous le nom de Guiguzi. C'était un érudit universel, un scientifique et un praticien. Même Oswald Spengler ne tarissait pas d'éloges sur la sagesse de Guiguzi. La pensée de Guiguzi est issue du Yijing (2) (également appelé I Ching), également appelé « Livre des mutations ». Il est le père du stratagème traditionnel chinois, également appelé Moulüe, qui, selon moi, peut contribuer à la construction d'une véritable multipolarité aux yeux du professeur Douguine.
Il y a peu d'idées clés dans la pensée de Guiguzi. La première est que la psychologie est supérieure aux armes physiques. Contrairement au système des nations, la guerre des idées et la psychologie de masse sont essentielles à la multipolarité. Les anglo-saxons et les mondialistes aspirent toujours au modernisme, au postmodernisme, au transhumanisme et à la pensée progressiste. Pour pouvoir y répondre de manière adéquate, les civilisations multipolaires devraient revenir à leurs traditions et à leurs valeurs conservatrices. Pour y parvenir, il faudrait créer un front uni de la pensée entre la Russie, l'Europe, la Chine et d'autres, en mettant l'accent sur les valeurs traditionnelles et la sagesse. Ces civilisations peuvent apprendre les unes des autres par le dialogue, ce qui a pour effet de les renforcer. Le christianisme orthodoxe, le taoïsme et la pensée de Rumi (3) ont peut-être des points communs qui invitent à des études comparatives.
Selon Guiguzi, la cosmologie englobe le monde physique. Par conséquent, nous ne devrions pas seulement nous intéresser aux choses visibles comme l'économie, la technologie et la matière, mais aussi considérer l'univers invisible lorsque nous réfléchissons à l'art de gouverner et à la stratégie. Cela s'inscrit dans la lignée de la sagesse traditionnelle des civilisations d'Eurasie. Des penseurs comme Goethe, Oswald Spengler, Carl Gustav Jung, Nostradamus, les philosophes russes et même les théoriciens de l'ennéagramme adoptent une approche similaire. Savoir comment relier la nature invisible aux affaires humaines peut devenir une clé de la lutte dans l'ère multipolaire à venir. Les « rationalistes » établis en Occident affirment que ces courants sont des formes de « pseudo-science ». En fait, les entreprises pharmaceutiques qui dominent le marché rejettent la médecine traditionnelle chinoise par crainte de la concurrence.
Troisièmement, Guiguzi a affirmé que l'art métaphysique peut battre le pouvoir brut. L'art signifie stratagèmes, art d'État, tactique, etc. Tout cela peut être déduit de la métaphysique. Pour la sagesse chinoise, la métaphysique signifie « Tao ». Par conséquent, la stratégie et la politique devraient viser l'accomplissement des objectifs supérieurs de la métaphysique dans différentes civilisations. Comparé au pouvoir brut, l'art géopolitique de la métaphysique porte avec lui le poids de la moralité, de la richesse et de la créativité. La diplomatie ubuntu en Afrique n'en est qu'un exemple.
Les enseignements de Guiguzi contiennent de nombreux stratagèmes et astuces qui ne peuvent pas tous être énumérés dans ce court article. Parmi ses 72 stratagèmes, l'un d'entre eux mérite toutefois d'être mentionné, connu sous le titre « repousser l'ancien pour mettre en valeur le nouveau ». Cela signifie que nous utilisons les vieilles choses de manière nouvelle. Les gens ont tendance à abandonner facilement les choses, même en politique, en particulier lors de réformes et de révolutions. C'est la règle en science et en technologie. Guiguzi nous apprend que les vieilles choses, y compris les idées, peuvent être très utiles si on les adapte habilement. En 2022, une vieille femme ukrainienne brandissait un drapeau rouge soviétique. Même si l'Union soviétique n'existe plus, personne ne s'attend à ce qu'elle soit encore très utile sur le champ de bataille.
Lorsque des photos de cette femme ont été publiées sur Internet où on l'appelait « Babushka Z », cela a eu un effet psychologique sur certains Ukrainiens concernant leur lien avec la Russie.
Dans la multipolarité à venir, la sagesse ancienne jouera un rôle très important en nous fournissant une théorie et une stratégie pour les défis futurs.
Notes:
(1) Durant cette période, il y avait de nombreux seigneurs qui régnaient sur différents royaumes, bien qu'il y ait eu une monarchie centrale.
(2) Le Yijing est l'un des plus anciens textes classiques de la Chine antique. La version originale comprenait des symboles appelés hexagrammes, qui consistaient en une combinaison de deux unités, le yin et le yang. Le Yijing a influencé toute la pensée publique et ses concepts, comme le confucianisme et le taoïsme, ainsi que des sujets ésotériques comme le feng shui et même la médecine traditionnelle et les arts martiaux.
(3) Jalāl al-Dīn Muḥammad Rūmī (en persan : جلالالدین محمّد رومی) ou simplement Rumi (né le 30 septembre 1207 - décédé le 17 décembre 1273) est un poète du 13ème siècle, érudit islamique et mystique soufi.
Traduit de l'anglais par Alexander Markovics
Le professeur Dr. h.c. Hei Sing Tso est le Président de l'École de stratagème de Guiguzi, Hong Kong, Chine.
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mercredi, 09 octobre 2024
État-civilisation, grand espace et multipolarité dans la pensée de la République populaire de Chine chez Zhao Tingyang et Zhang Weiwei
État-civilisation, grand espace et multipolarité dans la pensée de la République populaire de Chine chez Zhao Tingyang et Zhang Weiwei
Alexander Markovics
« Il existe de nombreuses civilisations - la civilisation occidentale en est un exemple - mais la Chine est le seul État-civilisation. Elle est définie par son histoire extraordinairement longue et aussi par ses immenses dimensions et diversité géographiques et démographiques. Les implications qui en découlent sont importantes: l'unité est sa première priorité, la pluralité la condition de son existence (c'est pour cette raison que la Chine a pu offrir à Hong Kong la formule « un pays, deux systèmes », étrangère à l'État-nation».
(Martin Jacques, Quand la Chine dirige le monde, La fin du monde occidental et la naissance d'un nouvel ordre mondial, 2009).
La situation : la Chine - l'éternel ennemi de l'Occident ?
Si l'on observe les reportages occidentaux sur la Chine, on s'aperçoit rapidement que la majorité des observateurs américains et européens de l'Empire du Milieu ne sont pas portés par le désir d'une véritable compréhension de la civilisation chinoise, mais qu'à l'instar des reportages sur la Russie, la volonté de diaboliser et de cataloguer la République populaire de Chine prédomine. Pour ce faire, on utilise d'une part le topos datant de l'époque de la guerre froide du « danger rouge » ou du « danger jaune » (en cas d'anticommunisme chauvin, on mélange volontiers les deux), notamment de la part des élites néoconservatrices aux Etats-Unis. Ce terme est également utilisé par une grande partie de l'establishment du parti républicain américain, ainsi que par Donald Trump, qui voient en la Chine leur principal ennemi (géopolitique) et brandissent le spectre d'une future puissance mondiale unique, Pékin.
D'autre part, on parle généralement du prétendu danger que représente la simple existence d'un « système totalitaire à Pékin » pour les soi-disant « démocraties libres » de l'Occident, comme le fait l'Open Society Foundation de George Soros et d'autres représentants de la « société ouverte » (lire : du mondialisme), ce qui ravive l'image datant du 19ème siècle de l'opposition entre la « civilisation occidentale » et la « barbarie orientale », qui a notamment servi à justifier le colonialisme. Les deux parties ont en commun de vouloir défendre l'« ordre unipolaire » de l'Occident, basé sur des 'valeurs', contre l'ordre mondial multipolaire naissant, qui se construit sous la direction de la Russie et de la Chine, en collaboration avec l'Iran, l'Inde et de nombreux États d'Afrique et d'Amérique latine, notamment dans le cadre des pays BRICS.
Et pour y parvenir, ils visent à ancrer dans l'esprit des Américains et des Européens une image ennemie de la Chine qui rendrait impossible une future coopération pacifique entre l'Allemagne et l'Europe et l'Est de l'Eurasie.
Si cela peut paraître logique du point de vue des représentants militants d'une bourgeoisie matérialiste transatlantique vivant volontiers sous la domination des États-Unis et du programme philosophique du postmodernisme et de la mondialisation libérale, il est tout à fait absurde pour les patriotes allemands et européens qui aspirent à une Allemagne et à une Europe souveraines, spirituellement renouvelées et renouant avec leur tradition pré-moderne dans un monde multipolaire, de poursuivre dans cette voie.
Mais pour être en mesure de formuler une relation alternative entre l'Europe et la Chine du point de vue européen, il est d'abord nécessaire de comprendre la Chine. Pour ce faire, je voudrais présenter l'image que la Chine a d'elle-même à travers deux de ses philosophes contemporains les plus importants, qui sont également de plus en plus reconnus dans le monde: Zhao Tingyang et Zhang Weiwei. Mon choix s'est porté sur ces deux penseurs, qui sont de plus en plus écoutés en Occident, car d'une part Zhao explique des concepts importants de la civilisation sino-confucéenne qui se répercutent encore aujourd'hui dans la pensée chinoise et d'autre part Zhang, qui, lui, nous explique l'État chinois moderne. En outre, les deux penseurs deviennent de plus en plus une partie active du discours intellectuel sur la construction d'un monde multipolaire, comme en témoigne par exemple l'intervention de Zhang Weiwei au Forum de la multipolarité à Moscou le 26 février 2024, ainsi que sa confrontation publique avec l'un des principaux idéologues du libéralisme occidental Francis Fukuyama, mais aussi la discussion qu'il a eue avec le philosophe russe Alexander Douguine.
Alors que l'idée du « choc des civilisations » et de la défense de l'hégémonie occidentale prévaut encore en Occident, ces deux penseurs s'inscrivent dans la tradition de l'ancien président iranien Mohammad Khatami qui, en réponse à ce dernier, a appelé à un « dialogue des civilisations » qui s'exprime aujourd'hui dans l'ordre mondial multipolaire en cours de formation. Il devrait être intéressant pour les lecteurs allemands de constater que les penseurs de la Révolution conservatrice tels que Carl Schmitt et Martin Heidegger sont de plus en plus reçus en Chine, alors que ces penseurs sont méprisés dans leur pays d'origine, même à droite de l'idéologie bourgeoise et libérale.
Zhao Tingyang - Tianxia, Tout sous un même ciel
La Chine est-elle, comme les Etats-Unis, une puissance expansionniste et missionnaire qui veut imposer son système de gouvernance et de valeurs au monde entier ? Quel rôle joue l'héritage de la philosophie confucéenne dans la politique étrangère actuelle de la Chine ? Le philosophe Zhao Tingyang, né en 1961 dans le Guangdong, en Chine, se penche sur ces questions importantes également pour l'Europe. Dans son ouvrage Tous sous un même ciel, paru en 2020 en traduction allemande, il fait appel au concept de tianxia : la vision de la coexistence de dix mille peuples vivant en paix sous un même ciel.
Il établit ainsi une distinction importante dans la définition du politique entre l'Occident et la Chine: alors que dans la tradition occidentale, la politique est déterminée par la définition de l'ami et de l'ennemi - et bien sûr de l'ennemi principal - dans la tradition chinoise, la question de la coopération et de la manière de transformer un ennemi en ami domine. Comment puis-je coopérer le plus efficacement possible avec mon voisin ? Comment est-il possible d'unir les oppositions les plus diverses sous une même direction ? L'objectif final est un monde pacifique, harmonieux et prospère. C'est ainsi que naît dans la pensée de Zhao l'idée d'une autre politique mondiale, par opposition au moment unipolaire de l'Occident et de la mondialisation: en effet, alors que le « nouvel ordre mondial » proclamé par les néoconservateurs est essentiellement une forme de chaos créé par les États-Unis et leurs vassaux pour maintenir leur propre hégémonie, il propose la création d'une instance au-dessus des États-nations, dans le sens d'un ordre mondial qui, tel un cosmos, rend possible la coopération pacifique des différents membres.
La tragédie de la politique internationale du point de vue chinois: non pas des États défaillants, mais un monde défaillant
Car la véritable tragédie de la politique internationale, selon Zhao, réside dans le fait que tous les États savent certes que la sécurité et la coopération sont importantes, mais que personne ne veut s'attaquer à la politique mondiale nécessaire à cet effet, car les intérêts hégémoniques des différents États prévalent. Par conséquent, le véritable problème ne réside pas dans l'échec des États, mais dans l'échec du monde.
Zhao Tingyang estime que cela n'est pas possible avec les États-nations modernes de type occidental, car l'État-nation est une entité qui découle de l'individu. Celui-ci ne se définit pas par son aspiration à la coopération, mais par le conflit, bref, le citoyen devenu État, qui n'est orienté que vers la maximisation de son propre profit et non vers le bien-être de la communauté. La mondialisation menée par l'État-nation bourgeois occidental n'est donc rien d'autre que la diffusion conflictuelle de valeurs et de concepts individualistes tels que les droits de l'homme. En conséquence, l'Occident s'efforce, tel un virus, de répandre son ordre politique libéral sur l'ensemble du globe et d'infecter ainsi le plus grand nombre possible d'États et de personnes. En effet, une politique étrangère inter-nationale, qui met l'accent sur les relations entre les États-nations et non sur la coexistence des peuples et des civilisations, serait nécessairement toujours en contradiction avec une politique globale.
Une politique globale plutôt qu'inter-nationale: le clan remplace l'individu
Zhao Tingyang s'y oppose intellectuellement: il remplace l'individu par le clan, conformément à la tradition sino-confucéenne. En conséquence, il suit une perspective spécifique au groupe qui, dans le cadre d'une ontologie coexistentielle, rend possible un cycle bénéfique de l'existence lorsque des interdépendances nécessaires et non fortuites apparaissent entre les différentes existences. En partant du clan comme unité de base de la coexistence, sa coexistence doit être élevée, étape par étape, à un niveau supérieur de coexistence, pour créer à la fin l'harmonie du « tout sous le ciel ». Cela doit permettre non seulement de résoudre les conflits entre les différentes civilisations - le choc des civilisations de Huntington - mais aussi de faire face à la puissance destructrice de la haute technologie. On pense au transhumanisme. Mais cela ne sera possible que si les États et les peuples parviennent à s'entendre sur un nouveau système mondial qui ne place pas la concurrence mais la coopération au centre.
Selon Zhao Tingyang, la question décisive de l'inclusion du monde est celle de la possibilité d'une communication stable et basée sur la confiance. Sinon, les médias, le capital financier et la haute technologie risquent de kidnapper peu à peu tous les États du monde dans le cadre de la mondialisation. Seule l'idée du tianxia permet selon lui de protéger un monde communautaire contre le danger d'une dictature mondiale d'un genre nouveau.
Zhang Weiwei - penseur de l'État civilisationnel
L'État-nation est-il la mesure de toute chose ? Le politologue et philosophe chinois Zhang Weiwei s'oppose à cette idée encore très répandue en Europe. Sa réponse : l'avenir n'appartient pas à l'État-nation, mais à l'État civilisationnel. Celui-ci coïncide, sur le plan intellectuel, avec la conception de Carl Schmitt d'un grand espace réunissant différents peuples ayant une histoire commune et une volonté politique. Mais qu'est-ce exactement qu'un tel État civilisationnel et qu'est-ce qui le distingue de l'État-nation né dans le sillage du traité de Westphalie ? Le professeur chinois de relations internationales à l'université Fudan de Shanghai pense connaître les réponses à ces questions. Né en 1957, Zhang Weiwei a travaillé à partir de 1980 pour d'importants fonctionnaires de la République populaire de Chine, comme par exemple le réformateur de l'État chinois Deng Xiaoping, en tant que traducteur vers l'anglais. Marqué par de nombreux séjours aux États-Unis et en Europe, le professeur a mis en évidence les différences entre le système occidental de libéralisme et la démocratie populaire chinoise. Il s'oppose à l'idée largement répandue en Occident selon laquelle la Chine a connu une croissance économique rapide uniquement parce qu'elle a adopté les théories occidentales de l'économie de marché et qu'elle fera tôt ou tard partie du monde occidental en raison de la croissance de sa classe moyenne.
Civilisation et État moderne : la propre voie de la Chine vers la modernité
Au lieu de cela, il défend l'hypothèse que la Chine suit une voie de modernisation totalement différente de celle de l'Occident, car l'adoption du système occidental plongerait la Chine dans le chaos et lui ferait subir un sort similaire à celui de la Yougoslavie. Il voit la réponse aux défis de la modernité dans le modèle de l'État civilisateur. L'État civilisateur chinois se compose de la civilisation la plus ancienne du monde et d'un État moderne particulièrement grand. La Chine ne se compose pas seulement de plus de 56 ethnies officielles, mais représente historiquement l'amalgame de centaines d'États en un seul État au cours de son histoire millénaire. Cela mettrait en évidence la caractéristique particulière de synthèse de la civilisation sinique, comme l'a démontré l'union de l'État-civilisation avec l'État moderne. Parmi les caractéristiques uniques de la civilisation sino-confucéenne de la Chine, il cite l'existence d'un niveau de direction unifié, qui est une caractéristique de l'État chinois depuis la première unification de la Chine en 221 avant J.C. La deuxième caractéristique importante de la Chine est pour lui la méritocratie (société de performance), qui conduit à une sélection permanente dans la direction du pays et s'oppose ainsi à un déclin des dirigeants politiques comme aux États-Unis - il cite Joe Biden et Donald Trump comme exemples négatifs de dirigeants politiques, car ils seraient bien en dessous des normes chinoises pour un membre du gouvernement. Pour devenir un membre permanent du Politburo en République populaire de Chine, par exemple, il faut avoir dirigé auparavant une province du pays et donc jusqu'à plusieurs centaines de millions de personnes.
L'État-civilisation, un avenir possible pour l'Europe
Comme le philosophe pakistanais Ejaz Akram l'a constaté lors de la discussion avec Zhang Weiwei et Alexander Douguine, l'État-civilisation se caractérise par le fait qu'il incarne une cosmologie propre. Ainsi, chaque État est un monde à part, qui ne prétend pas à l'universalité, mais seulement à l'affirmation de sa propre spécificité. Ces différentes cosmologies sont en même temps en mesure d'entrer en dialogue les unes avec les autres. Ainsi, l'État-civilisation est une condition préalable au monde multipolaire. La logique de la lutte « de tous contre tous » propre à l'État-nation disparaît, le conflit n'étant plus qu'une possibilité de coexistence parmi d'autres.
L'Europe aussi peut devenir un tel État-civilisation - à condition qu'elle renonce à la caractéristique décisive de l'anti-civilisation occidentale (dans le sens où elle se déclare depuis le siècle des Lumières la seule vraie civilisation), à savoir qu'elle prétend représenter la seule civilisation vraie et possible. Alors que les dirigeants européens actuels, comme Emmanuel Macron, ne joueraient qu'opportunément avec l'idée d'une civilisation européenne, car ils ont l'impression que l'État-nation n'a plus la force de perdurer, l'État civilisationnel peut effectivement être une option pour l'Europe afin de collaborer à un monde multipolaire.
L'État civilisationnel comme possibilité future pour l'Allemagne et l'Europe et comme voie vers la multipolarité
Au cours des dernières décennies, la Chine a surtout appris de l'Occident avec beaucoup de succès, non seulement en modifiant massivement son propre système de gouvernement au plus tard depuis 1978, mais aussi en intégrant, du moins en grande partie, les idées occidentales du marxisme et de l'économie de marché à sa propre tradition. De ce fait, la Chine est devenue le deuxième État-civilisation / espace culturel avec la Russie - Vladimir Poutine a également revendiqué lors du forum Valdai en 2013 que la Russie était un État-civilisation - et a réussi à dépasser l'Occident dans de nombreux domaines de la prospérité économique et du développement technologique importants pour lui. Si nous regardons l'histoire européenne, nous y trouvons également l'État-civilisation, capable d'unir et de synthétiser les différences - par exemple dans l'Empire romain jusqu'en 1453, mais aussi dans le Saint Empire romain germanique jusqu'en 1806 - qui a été progressivement remplacé par l'État national dans le cadre de la modernité à partir des 17ème/18ème siècles. Certes, l'Union européenne présente elle aussi certaines caractéristiques d'un État-civilisation, mais celles-ci sont contrecarrées par l'idéologie politique du libéralisme (prétention à la validité universelle de l'idéologie des droits de l'homme, échange de population, destruction de sa propre tradition au nom du progrès) et étouffées dans l'œuf par manque de souveraineté géopolitique.
Au vu des développements actuels et notamment de la montée en puissance de la Chine, il est donc logique que nous, Allemands et Européens, nous intéressions de près au système et à la civilisation de la Chine. Nous devons le faire, non pas pour devenir nous-mêmes des communistes aux caractéristiques chinoises, mais pour mieux comprendre la Chine et voir quelles idées et caractéristiques peuvent être utiles à l'éveil patriotique de l'Europe et à la défense de sa civilisation.
Les théories et les idées de Zhao Tingyang et de Zhang Weiwei peuvent constituer une première approche à cet égard, même si la critique de l'universalisme occidental chez eux, la concentration sur la propre civilisation ainsi que le concept d'État-civilisation semblent mériter d'être discutés. Une focalisation des Européens sur leur propre civilisation, dans le sens du respect et de la reconnaissance de leurs propres limites, peut nous aider à faire revivre notre propre tradition et à surmonter l'hybris (post)moderne de l'absence de frontières. Le concept d'État-civilisation peut nous servir, en tant que développement de l'idée de grand espace de Schmitt, à repenser l'idée d'empire, le fédéralisme et la subsidiarité dans le contexte européen, afin de repenser et de renforcer la place de l'Europe dans le monde multipolaire.
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vendredi, 13 septembre 2024
L'unipolarité américaine, les Brics et le monde multipolaire
L'unipolarité américaine, les Brics et le monde multipolaire
Ex : https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/28824-piccole-note-l-unipolarismo-usa-i-brics-e-il-mondo-multipolare.html
Le multipolarisme des Brics n'est pas un bloc opposé à l'unipolarité américaine, mais une autre vision du monde, plus réaliste.
L'annonce de la demande formelle d'adhésion de la Turquie aux Brics, également rapportée hier par l'influent Bloomberg (comme nous l'avions signalé), était fausse, selon les déclarations ultérieures d'Ömer Çelik, vice-président et porte-parole de l'AKP (le parti au pouvoir), qui a toutefois confirmé le fond de l'affaire: « Notre président [Erdogan] a déclaré à plusieurs reprises que nous voulions devenir membre des BRICS. Notre demande à ce sujet est claire, le processus est en cours ».
Un délai plus long, donc, mais la voie est tracée. Les médias ont d'ailleurs relancé la nouvelle de la présence d'Erdogan au sommet des Brics qui se tiendra à Kazan fin octobre (Ansa) et auquel participera également pour la première fois le président bolivien Luis Arce, comme l'a annoncé la ministre des Affaires étrangères Celinda Sosa.
L'Azerbaïdjan a également l'intention de rejoindre le club des Brics, la demande ayant été faite immédiatement après la visite de Poutine à Bakou le 20 août. En résumé, le club est de plus en plus attractif et ses membres sont de plus en plus nombreux, alors qu'au contraire, le club du G7 - à ne pas confondre avec le G20 auquel participent plusieurs pays des Brics - est de plus en plus flou et sclérosé, de plus en plus un organisme résiduel d'un passé qui ne veut pas passer et qui est incapable de se réformer.
En outre, le G7 est par nature exclusif et élitiste - d'où également son incapacité à se rapporter au monde d'une manière qui ne soit pas musclée - contrairement aux Brics qui, par contre, se sont positionnés comme un pôle d'attraction mondial depuis leur genèse, ce qui explique en partie le dynamisme différent et alternatif.
Pas deux pôles, mais des perspectives différentes
Si la mission du G-7 est de préserver le système mondial de gouvernement dirigé par les États-Unis, les Brics ont des connotations révolutionnaires et ont pour mission de créer un système mondial qui ne soit pas subordonné aux États-Unis.
Cette contestation mondiale est généralement présentée comme une lutte entre l'unipolarisme de retour - ou celui qui ne veut pas passer - et le multipolarisme, mais ce cadre doit être détaillé, comme le fait admirablement Ted Snider dans Antiwar, selon lequel les États-Unis se trompent également dans leur compréhension des termes et des perspectives de la dialectique actuelle.
A la fois parce qu'ils ne comprennent pas que la multipolarité n'est pas un horizon possible, évidemment à combattre, mais une réalité en cours, et parce que « dans leur incapacité à s'adapter, les Etats-Unis s'accrochent à la bataille pour empêcher le monde unipolaire de retomber dans la bipolarité. Les Etats-Unis ne sont capables que de voir un monde divisé en deux blocs: ils considèrent toutes les nations qui acceptent leur hégémonie comme faisant partie d'un bloc et toutes les nations non-alignées qui habitent le monde multipolaire, qui refusent de choisir entre deux camps, comme un autre bloc. En d'autres termes, les États-Unis sont incapables de voir au-delà du monde bipolaire et confondent la réalité [dans laquelle ils se reconnaissent] multipolaire avec un autre bloc opposé au sein d'un monde bipolaire ».
« Ce malentendu empêche les États-Unis de s'aligner sur la nouvelle réalité inévitable de l'ordre international [...] Les pays membres du monde multipolaire émergent ne considèrent pas le monde nouveau comme un monde dans lequel ils doivent choisir leur camp. Les États-Unis continuent à courtiser les pays avec des cadeaux et à les menacer de sanctions pour les séduire dans des partenariats exclusifs. Cette vision américaine et dépassée du monde les limite à courtiser désespérément les pays pour les inciter à établir des « relations exclusives » qui, cependant, sont désormais en-deçà de l'horizon des pays faisant l'objet de leurs attentions morbides.
Les Brics et les relations paradoxales
« Les pays non-alignés prennent position, mais pas entre les États-Unis d'un côté et la Russie et la Chine de l'autre, mais entre la vision monogame et unipolaire du monde des États-Unis et une vision sans entrave du monde de la Russie et de la Chine, qui permet à ces pays d'entretenir des relations multiples afin de poursuivre leurs propres intérêts et non les intérêts de l'hégémon. Les nations non alignées n'ont pas choisi la Russie ou la Chine plutôt que les États-Unis : elles ont choisi la vision du monde du duo Russie-Chine plutôt que celle des États-Unis.
« Un monde multipolaire signifie qu'il ne faut pas choisir entre les États-Unis et la Russie, mais choisir de coopérer avec eux de différentes manières sur des questions où il y a des convergences [...]. Créer des relations spécifiques basées sur des intérêts réels au sein d'un monde multipolaire, au lieu d'alliances idéologiques [propres à l'unipolarité, ndlr], signifie non seulement avoir des relations paradoxales avec différents pays, mais aussi des relations paradoxales avec le même pays ».
Pour expliquer ce que Snider entend par relations paradoxales dans le contexte du monde multipolaire, le cas de l'Inde, sur lequel l'article s'attarde, est éclairant : ce pays entretient des relations fructueuses avec les États-Unis, mais n'a pas l'intention de renoncer, comme le demande instamment Washington, à entretenir des relations étroites avec la Russie (Moscou respectant la liberté de New Delhi, en évitant toutes pressions contraires).
Le cas indien met également en lumière ce que le rapporteur entend par relations paradoxales au sein de deux pays, New Delhi restant engagé dans une vive rivalité régionale avec la Chine bien qu'il partage avec elle l'appartenance aux Brics. Une rivalité qui l'a même conduit à rejoindre le Quad, l'alliance stratégique entre l'Australie, le Japon, l'Inde et les Etats-Unis, créée pour contenir la Chine. Un conflit qui ne l'empêche cependant pas d'avoir des convergences avec Pékin sur des perspectives globales, notamment celle de dépasser l'unilatéralisme américain.
Les États-Unis et le jeu à somme nulle
L'article d'Eduardo Porter publié dans le Washington Post, qui explique dès le titre que « la pensée à somme nulle détruit l'Amérique », est d'un grand intérêt et constitue un corollaire intéressant à l'analyse de M. Snider ; le sous-titre est explicite : « Nous devons résister à la tentation de penser que le succès des autres se fait à nos dépens ».
Cette pensée, qu'il attribue à l'ensemble de la sphère politique américaine, de Trump aux démocrates, empêche l'Amérique d'entretenir des relations fructueuses avec le reste du monde, générant des postulats, et des pratiques conséquentes, aussi insensés que celui selon lequel « la montée en puissance de la Chine équivaut au déclin des États-Unis ».
Incapable de penser à des relations gagnant-gagnant, dans lesquelles tout le monde est gagnant, la vision américaine se réduit à un « nous » contre « eux », avec toutes les conséquences qui en découlent, y compris les conséquences violentes. Une vision qui, comme le montrent les études citées dans l'article, se fait aussi au détriment de l'engagement et de la capacité d'innovation, comme le démontrent d'ailleurs par leur dynamisme les Brics, où prévaut la relation gagnant-gagnant.
L'article de Porter est inhabituel dans le paysage intellectuel américain et met en lumière, comme celui de Snider, la dérive de l'empire américain. En effet, cette « idéologie à somme nulle entraîne la politique américaine dans une direction étrange et sombre qui dément son histoire de démocratie libérale de marché prospère ». Et, bien sûr, elle les empêche de comprendre et d'embrasser la nouvelle réalité multipolaire.
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dimanche, 11 août 2024
Alexandre Douguine: Découplage
Découplage
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/dekapling
Dans les décennies à venir, le terme "découplage" deviendra sans aucun doute le concept principal et le plus fréquemment utilisé. Le mot anglais "decoupling" signifie littéralement "déconnexion par paire" et peut se référer à un large éventail de phénomènes, de la physique à l'économie. Dans tous les cas, il fait référence à la déconnexion entre deux systèmes, lorsqu'ils sont tous deux plus ou moins dépendants l'un de l'autre. Il n'existe pas d'équivalent exact pour la traduction de ce mot en russe, bien que "déconnexion", "découplage", "rupture de la paire" soient des termes qui conviennent. La langue chinoise, dont il faut désormais tenir compte, propose le terme 脫鉤 (tuōgōu), où le caractère 脫 (tuō) signifie "séparation", "rupture", et le caractère 鉤 (gōu) signifie "crochet". Il reste préférable de conserver le terme anglais "decoupling" en russe, et nous allons maintenant comprendre pourquoi.
Au sens large, au niveau des processus de civilisation globale, le découplage signifie quelque chose de directement opposé à la globalisation. Le terme "globalisation" est également anglais (bien que d'origine latine). La mondialisation signifie l'imbrication de tous les États et de toutes les cultures les uns avec les autres selon les règles et les algorithmes établis en Occident. "Être global" signifie être comme l'Occident moderne, accepter ses valeurs culturelles, ses mécanismes économiques, ses solutions technologiques, ses institutions et protocoles politiques, ses systèmes d'information, ses attitudes esthétiques, ses critères éthiques comme quelque chose d'universel, de total, de seul possible, d'obligatoire. Dans la pratique, cela signifie "coupler" les sociétés non occidentales avec l'Occident, ainsi qu'entre elles, mais toujours de manière à ce que les règles et les attitudes occidentales servent d'algorithme. Par essence, dans cette mondialisation unipolaire, il y avait un centre principal, l'Occident, et tous les autres. L'Occident et le reste, pour citer S. Huntington. Le Reste était conçu pour se refermer sur l'Occident (l'Ouest). Et cette fermeture a assuré l'intégration dans un système global planétaire unique, dans l'"Empire" mondial de la postmodernité avec une métropole située au centre de l'humanité, c'est-à-dire en Occident même.
L'entrée dans la mondialisation, la reconnaissance de la légitimité des institutions supranationales - telles que l'OMC, l'OMS, le FMI, la Banque mondiale, la CPI, la Cour européenne des droits de l'homme et ainsi de suite jusqu'au gouvernement mondial, dont le prototype est la Commission trilatérale ou le Forum de Davos - a été un acte de liaison entre les systèmes, ce qui est exprimé par un autre terme, celui de "couplage". Un couplage s'est ainsi formé entre l'Occident collectif et tout autre pays, culture ou civilisation, dans lequel une certaine hiérarchie s'est immédiatement établie - maître/esclave. L'Occident remplissait la fonction de maître, le non-Occident celle d'esclave. Tout le système de la politique mondiale, de l'économie, de l'information, de la technologie, de l'industrie, de la finance et des ressources s'est formé selon cet axe de "coupling". Dans cette situation, l'Occident était l'incarnation de l'avenir - "progrès", "développement", "évolution", "réformes", tandis que le reste du monde était censé se rapprocher de l'Occident et le suivre selon la logique du "développement de rattrapage".
Aux yeux des mondialistes, le monde était divisé en trois zones: le "Nord riche" (l'Occident proprement dit - les États-Unis et l'UE, ainsi que l'Australie et le Japon), les "pays de la semi-périphérie" (principalement les pays qui adhèreront au groupe BRICS, pays relativement développés) et le "Sud pauvre" (tous les autres).
La Chine participe à la mondialisation depuis le début des années 1980, sous la direction de Deng Xiaoping. La Russie, dans des conditions beaucoup moins favorables, depuis le début des années 90 sous Eltsine. Les réformes de Gorbatchev étaient également orientées vers le "coupling" avec l'Occident ("maison paneuropéenne"). Plus tard, l'Inde s'y est jointe activement. Chaque pays "capitulait" devant l'Occident, ce qui signifiait se brancher sur le processus de mondialisation.
La mondialisation était et reste par nature un phénomène centré sur l'Occident, et étant donné que le rôle principal est joué par les États-Unis et, surtout, par les élites mondialistes associées au parti démocrate et, en même temps, aux néocons (sur le flanc droit), il est tout à fait naturel d'utiliser des termes anglais pour la caractériser. La mondialisation a été mise en œuvre par le biais du "coupling", puis toutes les personnes impliquées dans son processus ont agi conformément à ses règles et lignes directrices à tous les niveaux - à la fois mondial et régional.
Les processus de mondialisation ont pris de l'ampleur à partir de la fin des années 80 du siècle dernier jusqu'à ce qu'ils commencent à s'enliser et à stagner dans les années 2000.
Le facteur le plus important de ce renversement du vecteur de la mondialisation a été la politique de Poutine, qui a d'abord cherché à y intégrer la Russie (adhésion à l'OMC, etc.), tout en insistant sur la souveraineté, ce qui était en contradiction flagrante avec l'attitude principale des mondialistes - le mouvement de dé-souverainisation, de dénationalisation et la perspective de l'établissement d'un gouvernement mondial. Ainsi, Poutine a rapidement pris ses distances avec la Marine et la Banque mondiale, notant à juste titre que ces institutions utilisaient le "coupling" dans l'intérêt de l'Occident et parfois directement contre les intérêts de la Russie.
Parallèlement, la Chine, qui avait le plus bénéficié de la mondialisation, profitant de son implication dans l'économie mondiale, du système financier et surtout de la délocalisation de l'industrie transférée par les mondialistes de l'Occident même vers l'Asie du Sud-Est, où le coût de la main d'œuvre était nettement plus faible, est également arrivée au point d'épuiser les résultats positifs d'une telle stratégie. Dans le même temps, la Chine s'est d'abord préoccupée de sa souveraineté dans un certain nombre de domaines - en abandonnant la démocratie libérale dirigée par l'Occident (les événements de la place Tiananmen) et en établissant un contrôle national total sur l'internet et la sphère numérique. Cela est devenu particulièrement évident sous Xi Jinping, qui a ouvertement proclamé que la Chine ne s'orientait pas vers un mondialisme centré sur l'Occident, mais vers son propre modèle de politique mondiale fondé sur la multipolarité.
Poutine a activement adopté la voie de la multipolarité et, après lui, d'autres pays de la semi-périphérie, et surtout les pays BRICS, ont commencé à s'orienter de plus en plus vers ce modèle.
Les relations entre la Russie et l'Occident sont devenues particulièrement aiguës avec le déclenchement de l'OpMS (Opération Militaire Spéciale) en Ukraine, après quoi l'Occident a commencé à couper rapidement les liens avec Moscou - au niveau de l'économie (sanctions), de la politique (vague de russophobie sans précédent), de l'énergie (sabotage et destruction des gazoducs en mer Baltique), des échanges technologiques (interdiction de fournir des technologies à la Russie), du sport (une série de disqualifications farfelues d'athlètes russes et l'interdiction de participer aux Jeux olympiques), etc. En d'autres termes, en réponse à l'OpMS, c'est-à-dire à la déclaration complète de la souveraineté de la Russie par Poutine, l'Occident a commencé à "découpler".
Dès lors, le terme de "découplage" acquiert tout son sens profond. Il ne s'agit pas seulement d'une rupture, mais d'un nouveau mode de fonctionnement des deux systèmes, qui se veulent désormais totalement indépendants l'un de l'autre. Pour les Etats-Unis et l'UE, le "découplage" s'apparente à une punition de la Russie pour son "mauvais comportement", c'est-à-dire son détachement forcé des processus et des instruments de développement. Pour la Russie, au contraire, cette autarcie forcée, largement adoucie par la préservation et même le développement des contacts avec les pays non occidentaux, apparaît comme la prochaine étape décisive vers la restauration de sa pleine souveraineté géopolitique, qui avait été considérablement affaiblie et même presque totalement perdue depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990. Il est aujourd'hui difficile de dire sans équivoque qui a exactement commencé le "découplage", c'est-à-dire l'exclusion de la Russie de la structure de la mondialisation unipolaire centrée sur l'Occident. Officiellement, c'est la Russie qui a lancé l'OpMS, mais l'Occident l'a activement encouragée à le faire et l'a provoquée de toutes les manières possibles par l'intermédiaire de ses instruments ukrainiens.
Quoi qu'il en soit, la Russie est entrée dans le processus de "découplage" de l'Occident et du mondialisme qu'il promeut. Et ce n'est que le début. D'autres étapes inévitables attendent la Russie.
Tout d'abord, nous devrons refuser systématiquement et fondamentalement de reconnaître l'universalité des normes occidentales - en matière d'économie, de politique, d'éducation, de technologie, de culture, d'art, d'information, d'éthique, etc. Le "découplage" ne signifie pas seulement une détérioration, voire une rupture des relations. C'est beaucoup plus profond que cela. Il s'agit de réviser les attitudes civilisationnelles de base qui se sont développées en Russie bien avant le XXe siècle, où l'Occident était pris comme modèle et l'enchaînement de ses étapes historiques de développement comme modèle incontestable pour tous les autres peuples et civilisations, y compris la Russie. En effet, dans une certaine mesure, les deux derniers siècles du règne des Romanov, la période soviétique (avec une correction pour la critique du capitalisme) et, plus encore, l'ère des réformes libérales du début des années 1990 à février 2022 ont été occidentalisés. Au cours des derniers siècles, la Russie s'est engagée dans le "capitalisme" sans remettre en question l'universalité de la voie de développement occidentale. Certes, les communistes pensaient que le capitalisme devait être dépassé, mais seulement après sa construction et sur la base de l'acceptation de la "nécessité objective" du changement de formation. Trotski et Lénine considéraient même les perspectives de la révolution mondiale comme un processus de "coupling", d'"internationalisme", de soumission à l'Occident, même si c'était dans le but de former un prolétariat mondial uni et d'intensifier sa lutte. Sous Staline, l'URSS est en fait devenue un État-civilisation distinct, mais seulement au prix d'une véritable mise à l'écart des normes de l'orthodoxie marxiste et d'une dépendance à l'égard de ses propres forces et du génie créateur original du peuple.
Et lorsque les énergies et les pratiques du stalinisme se sont taries, l'URSS s'est à nouveau déplacée vers l'Ouest selon la logique du "coupling" et... a naturellement volé en éclats. Les réformes libérales des années 1990 ont constitué un nouveau saut dans la direction du "coupling", d'où l'atlantisme et la position pro-occidentale des élites de cette époque. Même sous Poutine, dans un premier temps, la Russie a tenté de préserver à tout prix le "coupling", jusqu'à ce qu'il entre en contradiction directe avec la volonté encore plus forte de Poutine de renforcer la souveraineté de l'État (ce qui était pratiquement irréalisable dans les conditions de la poursuite de la mondialisation, que ce soit en théorie ou en pratique).
C'est ainsi qu'aujourd'hui, la Russie - déjà consciemment, fermement et irréversiblement - entre dans la phase de "découplage". On comprend maintenant pourquoi nous avons accepté d'utiliser ce terme dans sa version anglaise. "Le découplage, c'est l'intégration à l'Occident, la reconnaissance de ses structures, de ses valeurs et de ses technologies comme modèles universels, et la dépendance systémique à son égard qui en découle, ainsi que le désir de le rejoindre, de le rattraper, de le suivre - et, à tout le moins, d'importer des substituts à ce dont il a décidé de nous couper. Le "découplage" est au contraire une rupture avec toutes ces attitudes, une confiance non seulement dans nos propres forces, mais aussi dans nos propres valeurs, notre propre identité, notre propre histoire, notre propre esprit. Bien sûr, nous n'en mesurons pas encore la profondeur, car l'occidentalisme en Russie et l'histoire de notre "coupling" durent depuis plusieurs siècles. Avec des succès divers, certes, mais la pénétration de l'Occident dans notre société a été continue et compulsive. Depuis longtemps, l'Occident n'est pas seulement à l'extérieur de nous, mais aussi à l'intérieur. Le "découplage" sera donc très difficile. Il implique les opérations les plus complexes pour "expulser toutes les influences occidentales de la société". En outre, la profondeur d'une telle purge est bien plus grave que la critique du système bourgeois à l'époque soviétique. À l'époque, il s'agissait de la concurrence entre deux lignes de développement d'une civilisation unique (par défaut occidentale !) - capitaliste et socialiste, mais le second modèle - socialiste - était basé sur les critères de développement de la société occidentale, sur les doctrines et théories occidentales, sur les méthodes de calcul et d'évaluation occidentales, sur l'échelle occidentale du niveau de développement, etc. Les libéraux et les communistes sont unis dans l'idée qu'il ne peut y avoir qu'une seule civilisation, et ils sont également d'accord pour dire qu'il s'agit de la civilisation occidentale - ses cycles, ses formations, ses phases de développement.
Un siècle plus tôt, les slavophiles russes sont allés beaucoup plus loin et ont appelé à une remise en question systématique et au rejet de l'occidentalisme, ainsi qu'à un retour à nos propres racines russes. C'était en fait le début de notre "découplage". Il est dommage que cette tendance, très populaire en Russie au XIXe et au début du XXe siècle, n'ait pas été destinée à triompher. Il ne nous reste plus qu'à achever ce que les slavophiles, et après eux les Eurasiens russes, ont commencé. Il faut vaincre l'Occident en tant que prétention à l'universalisme, au mondialisme et à l'unicité.
On pourrait penser que le "découplage" nous a été imposée par l'Occident lui-même. Mais il est plus probable que l'on puisse y voir l'œuvre secrète de la Providence. L'exemple de l'ouverture des Jeux olympiques de 2024 à Paris le montre clairement. L'Occident a interdit à la Russie de participer aux Jeux olympiques. Mais au lieu d'une punition, avec en toile de fond ce défilé esthétiquement monstrueux de pervers et de nageurs pathétiques recroquevillés dans les eaux de la Seine charriant des immondices et des déchets toxiques, cela s'est transformé en quelque chose de tout à fait contraire - une opération visant à sauver la Russie du déshonneur et de l'humiliation. Les images de "découplage" dans le sport illustrent bien son caractère curatif. En nous coupant de lui-même, l'Occident contribue en fait à notre rétablissement, à notre résurrection. La Russie, qui n'est pas autorisée à pénétrer dans le centre de la dégénérescence et du péché éhonté, se trouve à l'écart, à distance. C'est ce que nous comprenons aujourd'hui comme une faveur de la Providence. Et il en est bien ainsi.
Si nous jetons à présent un regard sur le reste du monde, nous remarquerons immédiatement que nous ne sommes pas les seuls à avoir emprunté la voie du "découplage". Toutes les nations et civilisations qui penchent en faveur d'une architecture mondiale multipolaire s'engagent dans le même processus.
Récemment, lors d'une conversation avec un grand oligarque et investisseur chinois, je l'ai entendu parler de découplage. Avec beaucoup d'assurance, mon interlocuteur a déclaré que le "découplage" entre la Chine et les États-Unis est inévitable et a déjà commencé. La seule question est que l'Occident veut le réaliser dans des conditions qui lui sont favorables, alors que la Chine recherche exactement le contraire, c'est-à-dire son propre bénéfice. Après tout, jusqu'à récemment, la Chine a réussi à extraire des résultats positifs de la mondialisation, mais elle exige désormais de la réviser et de s'appuyer sur son propre modèle, que la Chine lie inextricablement au succès de l'intégration de la Grande Eurasie (avec la Russie) et à la mise en œuvre du projet "One Belt - One Road" (une ceinture - une route). Selon un interlocuteur chinois influent, c'est le "découplage" qui définira l'essence des relations Chine-Occident dans les décennies à venir.
L'Inde choisit également la multipolarité de plus en plus clairement et fermement. Jusqu'à présent, il n'est pas question d'un "découplage" complet avec l'Occident, mais le Premier ministre Narendra Modi a récemment proclamé ouvertement une démarche visant à "décoloniser l'esprit indien". C'est-à-dire qu'ici, dans ce gigantesque pays, l'État-Civilisation (Bharat), au moins dans la sphère des idées (et c'est là l'essentiel !), le cap est mis sur le "découplage" intellectuel. Les formes de pensée, de philosophie et de culture occidentales ne sont plus acceptées par les Hindous de la nouvelle ère comme un modèle inconditionnel. D'autant plus que le souvenir des horreurs de la colonisation et de la mise en esclavage des hindous par les Britanniques est encore vivace dans leur esprit. Mais la colonisation était aussi une forme de "coupling", c'est-à-dire de "modernisation" et d'"occidentalisation" (c'est pourquoi Marx l'a soutenue).
Apparemment, un véritable "découplage" est également en cours dans le monde islamique. Les Palestiniens et les musulmans chiites de la région mènent désormais une véritable guerre contre le mandataire de l'Occident au Moyen-Orient, Israël. L'opposition totale des valeurs et attitudes occidentales modernes aux normes de la religion et de la culture islamiques est depuis longtemps le leitmotiv de la politique anti-occidentale des sociétés islamiques. Le défilé honteux de pervers lors de l'ouverture des Jeux olympiques à Paris n'a fait que jeter de l'huile sur le feu. Et il est révélateur que les autorités de l'Iran islamique aient réagi avec la plus grande fermeté à l'insulte faite au Christ dans cette abominable production. L'Islam est clairement orienté vers le "découplage", et celui-ci est irréversible.
Dans certains secteurs, les mêmes processus sont esquissés dans d'autres civilisations - dans le nouveau cycle de décolonisation des nations africaines et dans la politique de nombreux pays d'Amérique latine. Plus ils sont entraînés dans les processus de multipolarité, se rapprochant du bloc BRICS, plus le problème du "découplage" devient aigu au sein de ces sociétés.
Enfin, nous pouvons constater que le désir de se confiner à l'intérieur de ses propres frontières se fait de plus en plus sentir en Occident même. Les populistes de droite en Europe et les partisans de Trump aux États-Unis prônent explicitement la "forteresse Europe" et la "forteresse Amérique", c'est-à-dire le "découplage" à l'instar des sociétés non occidentales - contre les flux d'immigration, le brouillage des identités et la dés-uberisation. Même sous Biden, mondialiste convaincu et fervent partisan de l'unipolarité, nous constatons une évolution sans équivoque vers des mesures protectionnistes. L'Occident lui-même commence à se refermer, c'est-à-dire à s'engager sur la voie du "découplage".
Nous avons donc commencé par dire que le mot "découplage" sera le mot clé des prochaines décennies. C'est évident, mais peu de gens réalisent encore la profondeur de ce processus et les efforts intellectuels, philosophiques, politiques, organisationnels, sociaux et culturels qu'il exigera de toute l'humanité - de nos sociétés, de nos pays et de nos peuples. En nous détachant de l'Occident global, nous sommes confrontés à la nécessité de restaurer, de raviver et de réaffirmer nos propres valeurs, traditions, cultures, principes, croyances, coutumes et fondements. Jusqu'à présent, nous n'avons fait que les premiers pas dans cette direction. C'est une très bonne chose, mais le chemin à parcourir n'est ni facile ni long. Il faut en tenir compte et consolider tout le potentiel créatif, spirituel et physique de nos sociétés.
Le "découplage" est une réalisation pratique de la construction d'un monde multipolaire.
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dimanche, 14 juillet 2024
États-civilisation et structures pluralistes de l'ordre mondial multipolaire
États-civilisation et structures pluralistes de l'ordre mondial multipolaire
Almas Haider Naqvi
Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/civilizational-states-and-pluralistic-structures-multipolar-world-order
L'environnement politique international de l'après-guerre froide a déclenché les deux processus fondamentaux causés par la variation de la distribution mondiale du pouvoir en termes de transition polaire et de révolution identitaire enracinée dans le menu civilisationnel et culturel. La transition polaire d'un monde bipolaire à un moment unipolaire, puis à un ordre multipolaire, a mis les États dans l'obligation d'ajuster et de réajuster leurs préférences politiques, de façonner et de remodeler leurs alliances dans la poursuite de leurs intérêts nationalistes respectifs. Le second processus a évolué avec le rejet de l'universalisation des valeurs libérales enracinées dans la suprématie de l'Occident, a évolué avec le sens le plus profond de l'"identité" distincte et du "moi" dans le système basé sur l'entraide invitent les implications pour l'évolution de l'ordre mondial polycentrique. Les deux processus ont des effets qui se chevauchent, car les multipoles représentent des identités civilisationnelles différentes.
Cet article tente d'analyser les hypothèses clés concernant les États de civilisation, les structures pluralistes et la multipolarité, ce qui soulève des questions fondamentales telles que: pourquoi les États se présentent-ils comme des États de civilisation ? En quoi les États de civilisation sont-ils différents des États-nations ? Dans quelle mesure la civilisation sert-elle d'agence pour stimuler les actions de politique étrangère des États ? Comment les structures pluralistes clés façonnent-elles l'ordre mondial multipolaire ?
Pour expliquer ces processus, divers arguments théoriques tentent de déchiffrer le contexte de la politique internationale de l'après-guerre froide. Tout d'abord, le débat sur la nature de la polarité du système international peut être disséqué en deux écoles de pensée, l'une soutenant que le système est unipolaire, tandis que l'autre insiste sur le fait qu'il est multipolaire. Les partisans du système unipolaire étaient des universitaires comme Charles Krauthammer [1], dont l'article The Unipolar Moment (= Le moment unipolaire ), publié par le Foreign Affairs Journal en 1991, a lancé le débat sur la transformation polaire, en affirmant que "le monde de l'après-guerre froide n'est pas multipolaire".
Le centre du pouvoir mondial est la superpuissance incontestée, les États-Unis, assistés de leurs alliés" [2]. Il postule que le monde de l'après-guerre froide est unipolaire, mais il anticipe l'avenir des polarités, affirmant qu'"il ne fait aucun doute que la multipolarité arrivera" (3). William Wohlforth et lui [4] font partie des universitaires qui ont reconnu l'unipolarité: "Avec la chute brutale de Moscou du statut de superpuissance, la structure bipolaire qui avait façonné les politiques de sécurité des grandes puissances pendant près d'un demi-siècle a disparu, et les États-Unis sont apparus comme la seule superpuissance survivante" [5]. Pour Kenneth Waltz [6], le système international post-soviétique était unipolaire et il était convaincu que le système unipolaire est une configuration moins durable que les autres polarités.
Christopher Layne [7] et Henry Kissinger [8] font partie des chercheurs qui sont convaincus que le système était multipolaire. Mais ils s'accordent sur l'hypothèse selon laquelle le système bipolaire s'est effondré avec l'éclatement de l'Union soviétique. Christopher Layne affirme que "le moment unipolaire est terminé et que la Pax Americana - l'ère de l'ascendant américain sur la politique internationale qui a commencé en 1945 - s'achèvera rapidement" [9].
Alexei G. Arbatov affirme qu'après l'éclatement de l'un des pôles de la bipolarité, les jours de la guerre froide ont été remplacés par l'hégémonie des États-Unis, mais, simultanément, avec l'émergence de la multipolarité [10]. Arbatov ajoute qu'"une période plus complexe s'annonce, qui sera caractérisée par une diplomatie multilatérale, un schéma compliqué de conflits et de chevauchement des intérêts des États, des coalitions changeantes dans certaines régions du monde, et un rôle croissant des institutions multilatérales et super-gouvernementales dans d'autres".
Pour R.N. Rosecrance, la multipolarité est apparemment meilleure que la bipolarité, mais l'imprévisibilité des actions de tous les pôles est un véritable défi pour l'ensemble du système [11].
En ce qui concerne le second processus, il est stimulé par la célébration scolastique de la mondialisation, de l'uniformisation libérale et de l'universalisme dont Francis Fukuyama s'est fait le champion dans End of History and the Last Man (= La fin de l'histoire et le dernier homme), car il illustre la victoire de la démocratie libérale sur la politique et l'économie socialistes. Fukuyama affirme que la fin de la guerre froide en 1991 a établi la démocratie libérale occidentale comme la forme finale et la plus réussie de gouvernement, marquant ainsi la conclusion de "l'évolution idéologique de l'humanité".
Dans le même contexte, Samuel P. Huntington, dans son livre Clash of Civilizations, a avancé le deuxième argument le plus important en matière de civilisation ou de culture, à savoir que les conflits futurs ne reposeront pas sur des motivations idéologiques ou économiques, mais sur de grandes divergences au sein de l'humanité et que la source dominante de conflit sera culturelle. Pour Huntington, les identités culturelles fondées sur les civilisations façonneront les modèles de cohésion, de désintégration et de conflit. Huntington reconnaît toutefois que les États-nations resteront les acteurs les plus puissants et que les principaux conflits se produiront entre des nations et des groupes de civilisations différentes. C'est principalement cela qui constitue la base de l'État-civilisation.
Depuis que le Choc des civilisations de Huntington a stimulé le débat sur les civilisations dans les relations internationales, deux grandes écoles de pensée se sont développées pour élaborer les arguments "civilisationnels": l'essentialisme et le post-essentialisme offrent des explications distinctes sur la nature des "civilisations". Pour les essentialistes, les civilisations sont délimitées, cohérentes, intégrées, centralisées, consensuelles et statiques par nature, tandis que les civilisations non essentialistes sont faiblement délimitées, contradictoires, faiblement intégrées, hétéroclites, contestées et en constante évolution. Ces deux écoles de pensée proposent des schémas épistémiques distincts pour analyser la culture et la civilisation. Pour moi, une "civilisation est une vision du monde partagée par une communauté particulière, avec une évolution héréditaire par le biais d'interactions et de processus religieux, culturels et sociopolitiques". Cette définition répond également à l'essentiel de la civilisation selon Robert Cox, à savoir "les conditions matérielles d'existence et les significations intersubjectives", car elle couvre les dimensions matérielles et idéologiques de l'existence humaine.
Pourquoi les États se qualifient-ils d'État civilisateur ?
Il s'agit là d'une question cruciale: pourquoi les États souscrivent-ils à la politique identitaire et se présentent-ils comme des États civilisateurs, ramenant ainsi la culture au sein de la politique nationale ? De toute évidence, la variation des capacités de puissance dans l'après-guerre froide, en particulier l'unipolarité menée par les États-Unis, a permis aux États révisionnistes de réorienter leurs priorités afin de contester le monopole d'un seul acteur sur le système; deuxièmement, l'ordre libéral international est considéré comme un projet d'impérialisme culturel; les États dont la civilisation, les valeurs culturelles et morales sont vieilles de plusieurs siècles ne souscrivent pas à l'agenda libéraliste, mondialiste et universaliste et se qualifient d'État-civilisation. L'uniformisation libérale, "l'universalisme moniste" sont considérés comme responsables de la "suppression de la diversité". La libéralisation de l'économie, de la politique et de la société est considérée comme une participation à certaines formes de "colonisation culturelle et idéologique". Dans ce contexte, la question du "soi" est devenue importante au niveau de l'État, ce qui fournit les bases de la révolution civilisationnelle, les États commençant à se doter d'identités fondamentales. Au sens premier, la Chine, la Russie et l'Inde qualifient le "nationalisme civilisationnel".
En quoi les États de civilisation sont-ils différents des États-nations ?
Martin Jacques, dans son livre When China Rules the World [12], a établi une comparaison précise entre l'État de civilisation et l'État-nation en identifiant six points de référence tels que l'identité, l'unité, la responsabilité, la diversité, la couverture historique et la couverture géographique. Pour l'État de civilisation, l'identité découle de la culture telle que la langue, la religion, les valeurs familiales, les relations sociales et les symboles historiques, alors que pour l'État-nation, l'identité découle de la constitution. En ce sens, l'identité civilisationnelle est d'ordre plus primordial, tandis que l'identité de l'État-nation est clairement moderniste. Pour l'État-civilisation, l'unité de la civilisation est une priorité politique déterminante, alors que pour l'État-nation, l'unité est "l'unité nationale". Pour les États-civilisation, le maintien et la préservation de l'unité est une responsabilité sacrée et un devoir de l'État, alors que pour l'État-nation, la responsabilité n'est dictée que par la constitution où les droits et les responsabilités sont spécifiquement définis.
Pour l'État-civilisation, l'homogénéité raciale est la principale caractéristique de la prise en compte de la diversité, alors que dans l'État-nation, la diversité raciale et ethnique est prise en compte. Pour l'État-civilisation, le passé est la référence et la norme pour aujourd'hui, mais dans l'État-nation, les traditions, les coutumes et les mythes nationaux sont célébrés. Pour l'État-civilisation, la couverture géographique est exclusivement liée à l'histoire, tandis que pour l'État-nation, la couverture géographique est garantie par la constitution au niveau national.
Dans quelle mesure la culture ou la civilisation sert-elle d'agence pour stimuler les actions de politique étrangère ?
La question de l'"agence civilisationnelle" dans les relations internationales est une tâche compliquée, car si nous considérons l'agence comme la "capacité, la condition ou l'état d'agir ou d'exercer un pouvoir", l'attribution de deux rôles fondamentaux, à savoir la capacité et l'exercice du pouvoir, nécessite un témoignage. Toutefois, lorsqu'un État se déclare "État-civilisation", il faut établir des relations de cause à effet entre les caractéristiques de la civilisation et les priorités et actions géopolitiques et géoéconomiques fondamentales. L'interaction culturo-politique constitue une agence très différente qui ne peut être analysée que dans les cadres et contextes respectifs. Lorsque la priorité immédiate de l'État est la sécurité et la survie, l'agence civilisationnelle manque de légitimation, de la capacité, de l'action et de l'exercice du pouvoir; en général, les gains/produits sécuritaires/politico-économiques représentent une agence plus affirmée que la civilisation. Cependant, les identités civilisationnelles ou culturelles sont instrumentalisées pour l'auto-identification et représentent une communauté distincte des autres afin d'obtenir le maximum au sein de la politique intérieure.
Comment les structures pluralistes clés façonnent-elles l'ordre mondial multipolaire ?
Barry Buzan définit le pluralisme dans son article Deep Pluralism as the Emerging Structure of Global Society [13], comme "le pluralisme privilégie les unités du système/de la société interétatique par rapport à la société mondiale, en valorisant les États souverains comme moyen de préserver la diversité culturelle qui est l'héritage de l'histoire de l'humanité" [14]. Selon moi, le pluralisme dans les relations internationales fait référence à "l'existence de plusieurs grandes puissances dans le système international, reconnaît le relativisme de la politique et des perspectives, nie le monopole ou l'absolutisme du pouvoir et de la vérité ou de la validité". En gardant à l'esprit les définitions ci-dessus, je voudrais proposer le pluralisme au sein d'un système mondial multipolaire, en me référant à quatre structures telles que la multiplicité, l'autonomie, la contre-attaque et l'ouverture du système. La première structure est ancrée dans la nomenclature elle-même, "Pluralisme" signifie que la multiplicité reconnaît par définition l'existence de plus de deux centres de pouvoir dans le système. La deuxième structure, "l'autonomie", fait référence à l'espace souverain de manipulation de chaque acteur dans le système, qui détient l'autonomie et co-constitue le système. Troisièmement, le terme "contrepoids" fait référence à la concurrence constante entre les acteurs du système. Dans un système multipolaire, il n'y a pas de fixité de la nature déterministe du système, il évolue avec la poursuite de la perspective nationaliste des acteurs. Quatrièmement, "l'ouverture du système" fait référence à la nature des interactions externes, qui ne sont pas confinées ou restreintes aux pôles. Elle permet d'interagir avec les acteurs externes du système holistique, en particulier les puissances moyennes et régionales. En gardant à l'esprit l'analyse de ces questions clés liées aux États-civilisation, aux structures pluralistes de la multipolarité. J'aimerais terminer mon débat par quelques conclusions.
- La révolution civilisationnelle encouragerait l'auto-identification et rejetterait l'agenda libéraliste, mondialiste et universaliste dans le domaine culturel et autoriserait le relativisme culturel au niveau international. Les États-civilisation n'accepteraient pas de valeurs incompatibles avec leur culture nationale.
- Les intérêts géopolitiques déterminent l'orientation des États, la priorité absolue étant la sécurité et la survie. Le dilemme de la sécurité (la sécurité de l'État, considérée comme l'insécurité de l'autre) place toujours l'État dans une situation de concurrence constante et les discours civilisationnels servent d'instruments puissants aux régimes pour obtenir le soutien de l'opinion publique en faveur des initiatives géopolitiques.
- La multiplicité, l'autonomie, la contre-violence et "l'ouverture du système" pourraient être la structure anticipée de l'ordre mondial multipolaire, qui explique la nature de l'ordre émergent de l'ordre multipolaire.
- La reconnaissance de la révolution pluraliste dans la politique mondiale exige que l'inclusivité réside dans l'égalité, la tolérance et le respect mutuel.
Références:
Arbatov, Alexei G. "Russia ' s Foreign Policy Alternatives" 18, no. 2 (2019) : 5-43.
Degterev, D A, et G.V Timashev. "Concept de multipolarité dans le discours académique occidental, russe et chinois". Международные Отношения 4, no. 4 (2019) : 48–60. https://doi.org/10.7256/2454-0641.2019.4.31751.
Jacques, Martin. "Quand la Chine gouvernera le monde : L'essor de l'Empire du Milieu et la fin du monde occidental". Penguin Books, 2009, 1-565.
Henery, Kissinger, Diplomatie. Diplomatie. Simon & Schuster, 1994.
Krauthammer, Charles. "The Unipolar Moment". Foreign Affairs 70, no. 1 (1991) : 23-33.
Layne, Christopher. "The Unipolar Illusion Revisited : The Coming End of the United States' Unipolar Moment". International Security 31, no. 2 (2006) : 7-41.
Layne, Christopher, "This Time It's Real : The End of Unipolarity and the Pax Americana". International Studies Quarterly 56, no. 1 (2012) : 203–13. https://doi.org/10.1111/j.1468-2478.2011.00704.x.
Waltz, Kenneth N. "Structural Realism after the Cold War". Perspectives sur la politique mondiale : Third Edition 91, no. 4 (2005) : 101–10. https://doi.org/10.4324/9780203300527-16.
Wohlforth, William C. "The Stability of a Unipolar World". International Security 24, no. 1 (2005) : 5–4. https://doi.org/10.4324/9780203300527-17.
Zhang, Feng, ed. Pluralism and World Order : Theoratical Perspectives and Policy and Challenges. Palgrave Macmillan, 2023.
Notes:
[1] Charles Krauthammer, "The Unipolar Moment", Foreign Affairs 70, no. 1 (1991) : 23-33.
[2] Krauthammer.
[3] Krauthammer.
[4] William C. Wohlforth, "The Stability of a Unipolar World", International Security 24, no 1 (2005) : 5–4, https://doi.org/10.4324/9780203300527-17.
[5] Wohlforth.
[6] Kenneth N. Waltz, "Structural Realism after the Cold War", Perspectives on World Politics : Third Edition 91, no. 4 (2005) : 101–10, https://doi.org/10.4324/9780203300527-16.
[7] Christopher Layne, "The Unipolar Illusion Revisited : The Coming End of the United States' Unipolar Moment", International Security 31, no. 2 (2006) : 7-41.
[8] Diplomatie Kissinger, Diplomatie, Simon & Schuster, 1994.
[9] Christopher Layne, "This Time It's Real : The End of Unipolarity and the Pax Americana", International Studies Quarterly 56, no 1 (2012) : 203–13, https://doi.org/10.1111/j.1468-2478.2011.00704.x.
[10] Alexei G Arbatov, "Russia ' s Foreign Policy Alternatives" 18, no. 2 (2019) : 5-43.
[11] D A Degterev et G.V Timashev, " Concept de multipolarité dans le discours académique occidental, russe et chinois ", Международные Отношения 4, no. 4 (2019) : 48–60, https://doi.org/10.7256/2454-0641.2019.4.31751.
[12] Martin Jacques, "When China Rules The World : The Rise of the Middle Kingdom and the End of the Western World", Penguin Books, 2009, 1-565.
[13] Feng Zhang, éd. Pluralism and World Order : Theoratical Perspectives and Policy and Challenges (Palgrave Macmillan, 2023).
[14] Zhang.
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vendredi, 12 juillet 2024
Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi
Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/modi-e-putin-stanno-definendo-lo-scheletro-dellasse-mosca-delhi
Modi et Poutine définissent le profil de l'axe Moscou-Delhi, l'une des structures de soutien les plus importantes de l'ordre mondial multipolaire.
Bharat (alias l'Inde) est une civilisation-état. La Russie-Eurasie est un autre État-civilisation. Il est essentiel de clarifier les relations entre eux - sur le plan géopolitique, économique et culturel.
Aujourd'hui, nous apprenons tous à penser de manière multipolaire, dans le cadre d'un système non linéaire.
Empiriquement, je suis arrivé à une hypothèse: pour qu'un système multipolaire soit stable, chaque pôle ne doit pas avoir plus d'un adversaire principal. Si, pour nous, l'adversaire principal est l'Occident, tous les autres pôles doivent être des alliés. Tous les autres doivent construire leurs alliances de la même manière. Seuls ceux qui prétendent à l'hégémonie mondiale et cherchent à établir un modèle de domination unipolaire peuvent se permettre d'avoir plus d'un adversaire, mais c'est ce qui causera leur perte.
D'un point de vue pragmatique, il est important pour l'hégémon que les autres pôles aient plus d'un adversaire et il est souhaitable que l'Occident lui-même n'en ait pas. Il est souhaitable que l'Occident lui-même n'en fasse pas partie. De cette manière, il sera facile de contrôler ce pôle.
L'Inde a des problèmes avec la Chine et, dans une moindre mesure, avec le monde islamique (par l'intermédiaire du Pakistan, mais pas seulement). C'est ce qui pousse l'Inde vers un rapprochement avec l'Occident, envers lequel l'Inde a cependant aussi des comptes à régler (héritage du colonialisme) ; il faut donc que l'Inde réfléchisse plus clairement à la logique du multipolarisme et la Russie, avec laquelle l'Inde n'a pas la moindre contradiction, est en mesure de l'y aider.
La Russie se trouve aujourd'hui sur la ligne de front de la guerre avec l'hégémon, de sorte que la construction du multipolarisme et la promotion de sa philosophie deviennent naturellement notre mission.
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jeudi, 11 juillet 2024
La déception de Zelensky et le mécontentement de l'Occident. Avec quoi Modi est-il arrivé en Russie?
La déception de Zelensky et le mécontentement de l'Occident. Avec quoi Modi est-il arrivé en Russie?
Leonid Savin
Source: https://www.geopolitika.ru/article/razocharovanie-zelenskogo-i-nedovolstvo-zapada-s-chem-modi-pribyl-v-rossiyu
Arrivé à Moscou le 8 juillet, le Premier ministre indien Narendra Modi a décrit la Russie comme "l'ami de tous les temps" de l'Inde et a salué le rôle de premier plan joué par Vladimir Poutine dans le renforcement des relations bilatérales au cours des deux dernières décennies. Le Premier ministre a également déclaré que pendant longtemps, le monde a connu un "ordre mondial centré sur l'influence". "Mais ce dont le monde a besoin aujourd'hui, c'est de fusion, et non d'influence, et personne ne peut transmettre ce message mieux que l'Inde, qui a une forte tradition de culte de la fusion", a-t-il déclaré.
Comment interpréter ces propos ? A priori, le Premier ministre indien appelle à une sorte de convergence. Cependant, l'Orient étant un sujet délicat, cette phrase peut être interprétée à la fois comme une fusion de plusieurs courants et comme une influence mutuelle.
Lors d'une rencontre avec la diaspora indienne à Moscou le 9 juillet, Modi a souligné que "les Indiens en Russie renforcent les liens bilatéraux, contribuent au développement de la société russe... Dès qu'ils entendent le mot "Russie", tous les Indiens pensent que c'est un ami fiable, un ami dans la joie et dans la peine...".
Sans aucun doute, une telle "fusion" est tout à fait louable, bien qu'il faille tenir compte de certaines subtilités mentales et spirituelles, car n'importe qui peut devenir Russe (orthodoxe ou musulman), mais pour professer l'hindouisme, il faut être né hindou.
Et compte tenu de l'idéologie nationaliste de l'hindouisme que Modi et ses partisans suivent, il vaut probablement la peine d'examiner comment de tels amalgames ont eu lieu en Inde. Il suffit de penser à l'amendement de la constitution indienne concernant le statut de l'État du Jammu-et-Cachemire, qui a perdu son statut spécial et son autonomie en août 2019. En d'autres termes, New Delhi a lancé un mécanisme d'intégration plus stricte.
Cependant, la position de la Russie sur la crise ukrainienne et la Novorossiya a été exposée à Modi de manière assez détaillée, de sorte que même s'il a abordé les pourparlers de paix, il l'a fait plutôt délicatement, se contentant de proposer l'aide de l'Inde si cela s'avérait nécessaire.
De toutes les questions liées au conflit ukrainien, Modi était plus intéressé par le sort des citoyens indiens qui ont rejoint les forces armées russes. Selon les médias indiens, Vladimir Poutine a accédé à la demande du Premier ministre indien de renvoyer tous ceux qui souhaitent retourner en Inde. Selon des sources au fait de la décision, les ordres ont été donnés après "l'intervention directe" de Modi. "Nous nous attendons à ce que le renvoi ait lieu dans les semaines à venir dans les différents lieux où ils servent ou sont déployés", ont déclaré ces sources à The Hindu sous le couvert de l'anonymat.
Les médias indiens rapportent également que la question a déjà été discutée avec Sergey Lavrov lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai à Astana.
Il convient de noter que les États-Unis ont fait part à l'Inde de leur inquiétude concernant ses relations avec la Russie, a déclaré lundi un fonctionnaire du département d'État à la presse. L'Inde a toutefois rejeté les préoccupations du département d'État, soulignant qu'elle "a toujours appelé au respect de la charte des Nations unies, y compris l'intégrité territoriale et la souveraineté". Il n'y a pas de solution sur le champ de bataille. Le dialogue et la diplomatie sont la voie à suivre".
Cette décision ne vise pas seulement à renforcer les liens de l'Inde avec la Russie, mais aussi son influence dans les relations avec les États-Unis et d'autres pays occidentaux... La coopération de longue date en matière de défense fait qu'il est difficile de remplacer à court terme la position de la Russie dans le secteur de la défense de l'Inde. Si les États-Unis souhaitent remplacer progressivement la Russie en tant que principal fournisseur d'armes de l'Inde, il ne fait aucun doute que cette transition prendra du temps.
Mais il est crucial pour un grand pays comme l'Inde de maintenir une relation stable avec la Russie et de poursuivre la coopération dans l'industrie de la défense".
Citant Lun Xingchun, professeur à l'école des relations internationales de l'université d'études internationales du Sichuan, la publication écrit également que "Actuellement, l'Occident est plus enclin à enflammer les relations entre la Chine, la Russie et l'Inde pour tenter de semer la discorde entre les trois pays. En fait, l'Occident lui-même pourrait avoir plus de raisons de s'inquiéter, car il espère que l'Inde s'opposera à la Russie en se joignant à l'Occident, notant que la politique étrangère de l'Inde vise à maintenir un équilibre, sans pencher complètement d'un côté ou de l'autre, afin de poursuivre ses propres intérêts.
Les intérêts propres de l'Inde sont peut-être la caractérisation la plus précise de la stratégie intelligente de New Delhi. Toutefois, il est impossible d'échapper aux intérêts russes lorsqu'il s'agit de la coopération entre les deux géants eurasiens. Et dans le contexte de la transformation mondiale, il s'agit bien sûr aussi pour l'Inde de devenir un pôle plus indépendant, ce qui cadre bien avec les aspirations de la Chine et de la Russie à construire un ordre mondial multipolaire.
Mais les médias occidentaux se sont concentrés sur le fait que l'Inde a acheté pour 46,5 milliards de dollars de pétrole russe en 2023, alors qu'en 2021 le montant n'était que de 2,5 milliards de dollars. Les évaluations politiques sont dominées par l'idée que pour la Russie comme pour l'Inde, le développement de leurs relations bilatérales est important pour faire contrepoids à l'influence de la Chine. La conclusion est que la visite de Modi a montré au monde que la Russie n'est pas aussi isolée que l'Occident le voudrait.
Le New York Times a également cité Vladimir Zelensky, qui a décrit la visite comme "une énorme déception et un coup dur pour les efforts de paix". Bloomberg n'a pas oublié de mentionner que Poutine accueille Modi après avoir lui-même déclaré que la Russie et la Chine étaient à l'apogée de leurs relations bilatérales. Et Modi lui-même s'est rendu à Moscou après une récente visite en Inde d'une délégation de hauts fonctionnaires américains intéressés par une coopération dans les domaines de la technologie, de la sécurité et de l'investissement.
Alors que les médias occidentaux déplorent que New Delhi ne suive pas Washington, l'agenda constructif de la visite de Narendra Modi se poursuit. Le 9 juillet, il a visité la tombe du soldat inconnu et l'exposition Rosatom avec Vladimir Poutine, après quoi des entretiens officiels ont débuté au Kremlin.
La délégation comprenait, outre le Premier ministre indien, le ministre des affaires étrangères Subramanyam Jaishankar, plusieurs autres hauts fonctionnaires du ministère indien des affaires étrangères et Ajit Doval, le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre.
Du côté russe, le ministre des affaires étrangères, Sergey Lavrov, le premier vice-premier ministre, Denis Manturov, le ministre des finances, Anton Siluanov, le directeur du service fédéral de coopération militaro-technique, Dmitry Shugaev, et le PDG de Rosneft, Igor Sechin, ont participé aux discussions.
Les discussions ont débouché sur une déclaration commune, selon laquelle la Russie et l'Inde prévoient de développer leur coopération dans de nombreux domaines.
Les pays ont convenu d'atteindre un volume d'échanges mutuels de plus de 100 milliards de dollars d'ici 2030, de développer les règlements en monnaie nationale, d'optimiser les procédures douanières et d'augmenter le volume des marchandises. Il est envisagé de développer la coopération dans l'industrie nucléaire, le raffinage du pétrole, l'énergie, la construction automobile et navale, le développement et la fourniture de médicaments et d'équipements médicaux, ainsi que dans de nombreux autres domaines.
La Russie et l'Inde ont convenu de développer une sécurité indivisible en Eurasie et d'intensifier les processus d'intégration ; elles ont souligné la nécessité d'une résolution pacifique du conflit ukrainien par la diplomatie et l'implication des deux parties.
Il a été rapporté précédemment que l'Inde était intéressée par la participation de la Russie à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en Inde et à la fourniture de combustible. Au début des années 2000, les États-Unis ont activement empêché l'entrée de la technologie nucléaire en Inde, mais ils ont ensuite assoupli leur position, en tenant compte du fait que les États-Unis seraient eux-mêmes le fournisseur. Apparemment, New Delhi a décidé de se débarrasser définitivement de cette dépendance et de s'assurer le soutien de la Russie.
Un accord similaire a été conclu sur un approvisionnement ininterrompu et garanti en pétrole au cours des prochaines années.
Le renforcement de la coopération militaro-technique a également été discuté. Il convient de noter que, selon les données du SIPRI, Israël représente la plus grande part des importations d'armes de l'Inde (48%), tandis que la Russie arrive en deuxième position (28%), alors qu'il y a dix ans, sa part était d'environ 70%. Il est donc plus juste de parler non pas de début, mais de rétablissement des relations dans ce domaine.
Les résultats de la visite du chef d'État indien peuvent être qualifiés de très fructueux pour les deux parties. Le changement de vecteur de la Russie vers l'Est et le Sud se poursuit. Et comme l'Inde est déjà la troisième économie mondiale, les projets conjoints présentés indiquent qu'au moins dans les cinq prochaines années, la coopération bilatérale atteindra de nouveaux sommets et apportera des avantages significatifs aux deux pays.
Cela sera confirmé une fois de plus lors du sommet BRICS+ à Kazan en octobre, où Modi a été invité, ainsi que lors du 23ème sommet des deux pays en Inde en 2025, où Vladimir Poutine a été invité.
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mardi, 02 juillet 2024
Le triomphe de la multipolarité met-il fin à la géopolitique classique ?
Le triomphe de la multipolarité met-il fin à la géopolitique classique?
Lorenzo Maria Pacini
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/il-trionfo-del-multipolarismo-pone-fine-alla-geopolitica-classica
Dans la transition vers un monde multipolaire, de nombreuses questions se posent au niveau de la théorie, dont l'une des principales est la suivante : le triomphe du multipolarisme met-il fin, ou non, à la géopolitique classique ?
Le père de la théorie du monde multipolaire, le philosophe russe Alexandre Douguine, n'a pas formulé de réponse correcte et complète à cette question dans la première phase de sa propre composition théorique, car il était alors prématuré de raisonner sur les scénarios de réussite de la théorie. Aujourd'hui, cependant, une réponse s'impose d'urgence.
Commençons par les fondamentaux. La géopolitique classique, codifiée entre la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, voit dans les mots de l'amiral Halford Mackinder l'un de ses axiomes déterminants, qui a incontestablement dicté sa loi jusqu'à aujourd'hui: "L'Eurasie est le Heartland. Celui qui contrôle le Heartland contrôle le monde". C'est autour de cet axe géographique de l'histoire que s'est inscrite toute la géopolitique que nous connaissons. Aujourd'hui, le concept qui emporte toutes les conséquences scientifiques dans le contexte de la transformation de la géopolitique classique en géopolitique du monde multipolaire est le Heartland distribué, ou réparti, si vous préférez. Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons examiner la structure sémantique de la géopolitique classique reposant sur le dualisme essentiel entre la civilisation de la mer (également dans le sens du platonicien Proclus qui décrit l'ancienne civilisation de l'Atlantide et la définit comme "la pire" de l'histoire) et la civilisation de la terre, qui est préservée, qui reste présente, et toutes les implications et élaborations qui proviennent des études de Carl Schmitt sur les deux types de civilisation. La géopolitique classique opère avec deux projections de ces principes dans la géographie et l'histoire mondiale, en identifiant comment ils seront incorporés et manifestés dans les grandes puissances du monde.
Nous retenons donc cette interprétation des deux types de civilisations. Le dualisme déjà prôné par le philosophe grec Proclus est pleinement confirmé par Mackinder, qui souligne que ce dualisme est constitué de principes permanents, deux facteurs de développement des civilisations de l'humanité et qui peuvent être identifiés tout au long de l'histoire humaine : l'attirance pour le temps, la matérialité, l'éphémère ; l'attirance pour la verticalité, l'esprit, les valeurs stables. Il est intéressant de noter que l'eau de mer ne peut pas être bue, car elle est toxique pour les êtres humains, et donc que l'eau de mer est en quelque sorte la mort, alors que l'eau douce, terrestre, est l'eau de la vie. Cette dualité "exclusive" entre deux points d'attraction historico-géographiques est au cœur de la géopolitique classique. Les conflits que nous vivons s'inscrivent parfaitement dans la lecture dualiste ci-dessus. La géopolitique classique trouve également sa validité dans le contexte actuel, si l'on pense à des conflits bien connus comme le conflit russo-ukrainien, dont on sait qu'il s'agit d'un choc de civilisations entre l'Occident et la Russie, ou le conflit israélo-palestinien. On ne peut pas dire que la géopolitique classique est dépassée, car ses lois fonctionnent encore pleinement aujourd'hui et on peut donc encore l'utiliser comme méthodologie d'interprétation. Cependant, une question demeure : peut-on aller plus loin ?
On peut observer avec une calme objectivité que le Heartland classique, l'Eurasie, ne suffit plus à faire contrepoids à la civilisation de la mer. Considérons donc deux formes de géopolitique post-classique, soit la géopolitique d'aujourd'hui : la géopolitique unipolaire, qui affirme l'absence de dualisme et le triomphe de la civilisation thalassocratique telle que décrite par Francis Fukuyama, Yuval Noah Harari, Klaus Schwab, les démocrates américains partisans de ce monde unipolaire ou, dans certains cas, a-polaire, qui envisage l'annulation absolue de la Civilisation de la Terre, même en tant que concept. Cette première forme de géopolitique post-classique, nous pouvons la baptiser post-polarisme, en parfaite adéquation avec la post-modernité, c'est la géopolitique contemporaine "dogmatique" (au sens thalassocratique, évidemment), elle est née de penseurs imprégnés de géopolitique thalassocratique classique et n'admet pas la dissidence.
En lisant les événements actuels sous cet angle, il est clair que la Russie d'aujourd'hui mène la "guerre du passé" pour ouvrir le monde à l'avenir: c'est la dernière guerre géopolitique du passé, la dernière menée selon les axiomes mackindériens ; ce qui viendra ensuite sera "autre", différent, ambitieusement multipolaire. Notez bien : la Russie d'aujourd'hui, après la catastrophe des années 1990, n'a plus les moyens de s'imposer seule comme une puissance mondiale en concurrence avec la civilisation unipolaire de l'Occident. L'Eurasie ne se suffit plus à elle-même : elle manque de stabilité démographique et économique, ce qui oblige les Russes qui se battent pour une géopolitique classique traditionnelle à se battre avec de nouvelles normes, à tracer des routes différentes et à explorer des territoires inconnus. La Russie a besoin d'alliés et de partenaires pour mener à bien cette mission historique. D'un point de vue plus métaphysique, les Russes sont les porteurs de la dernière volonté sacrée tellurocratique, luttant pour l'éternité contre la temporalité.
En imaginant la victoire de la Russie dans cette dernière guerre de la géopolitique classique, l'extension de l'idée russe au monde entier n'est pas envisageable, car la Russie n'a pas d'idéologie universelle - ce qui est le cas des Américains, comme l'idéologie des droits de l'homme, le genderisme, etc. - qui puisse séduire les élites et les peuples du monde. La Russie est trop petite dans ce sens. Elle peut se sauver en tant que "petite Eurasie", limitée à la Russie elle-même, mais cela ne sera pas décisif car il s'agit d'un combat défensif et non offensif, et à long terme, cela ne paie pas. D'où la multipolarité : si nous ne pouvons pas accepter la domination thalassocratique et ne pouvons pas proposer l'Eurasie comme une idée universelle, alors nous devons passer à la multipolarité. La grande Chine, l'Inde montante, l'Afrique émancipée de l'Occident européen sont des exemples d'indépendance, et il faut absolument exclure tout projet d'ingérence russe, ne serait-ce que sur le plan conceptuel. La Russie a une vision impériale (dans un sens totalement différent du passé), mais pas mondiale. Il n'est pas permis, même en théorie, d'imaginer les autres pôles comme soumis à la puissance russe.
C'est là que naît la géopolitique du monde multipolaire, là que naît une alternative. L'Occident reste un (macro)pôle avec sa validité maritime, avec le mondialisme comme idéologie ; tout l'anti-mondialisme est une continuation et une transfiguration de la civilisation de la Terre: le Heartland est désormais réparti sur plusieurs pôles, il se transforme et se réadapte, avec une multiplicité de facettes. Cette pluralisation opérationnelle représente une transformation décisive qui est déjà en cours.
Lors des élections américaines de 2016, on a bien vu ce " démembrement ", au moins apparent, du macro-pôle appelé l'Ouest: les côtes (côte Est et côte Ouest) ont voté pour les démocrates, les États territorialement centraux ont voté pour les républicains. Cette "géopolitique intérieure" a considérablement modifié le destin de l'hégémon étoilé. Une sorte de Heartland intérieur se dessine en Amérique, de sorte que les États-Unis ne peuvent plus être considérés uniquement comme une civilisation maritime. C'est un point absolument décisif. Il existe une sorte de civilisation de type heartland à l'intérieur même de la civilisation de la mer. Nous devons commencer à écrire l'histoire du Heartland américain. Il est intéressant de noter que dans l'article historique de Mackinder sur l'axe géographique de l'histoire, il parle des États-Unis comme d'une civilisation tellurocratique, de la même manière que la Russie, ce qui indique qu'il y a eu un changement radical, temporellement, après la proclamation des 14 principes par le président de l'époque, Woodrow Wilson. Ce sont ces points qui ont redéfini la position de l'Amérique à l'égard de la thalassocratie.
Nous pouvons également imaginer que la Russie n'est pas totalement terrestre : il existe une élite thalassocratique au sein de la Russie, comme y appartiennent les dirigeants des années 1990, des entrepreneurs libéraux de type occidental, de nombreuses personnes qui ont émigré lors de l'effondrement de l'URSS et qui sont ensuite revenues en tant que seigneurs du capitalisme libéral. C'est pourquoi la civilisation de la mer et la civilisation de la terre sont devenues des principes identifiables au sein même de toutes les civilisations.
Aujourd'hui, nous pouvons parler, pour donner quelques exemples supplémentaires, du Heartland chinois, représenté par Xi Jinping, qui est profondément tellurocratique, mais qui dispose d'une énorme puissance maritime commerciale, donc d'une extension maritime, même si la Chine n'est pas historiquement une puissance maritime. Il en va de même pour Narendra Modi, qui souhaite proposer une Inde indépendante et "décolonisée en conscience", et il s'agit là d'un Heartland, mais en même temps, l'Inde présente un fort tropisme maritime qui la fait tendre vers le mondialisme, avec des alliances avec les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, comme cela c'est déjà vu au 20ème siècle. Le monde islamique est également composé de pays plus terrestres, tels que l'Iran, et d'autres pays qui sont parfaitement intégrés dans le mondialisme international, tels que les "princes du pétrole" de la péninsule arabique et au-delà. En Afrique aussi, de nombreuses forces promeuvent un panafricanisme qui est l'affirmation d'un Heartland africain, d'une authentique civilisation de la terre, tandis que d'autres gouvernants veulent faire partie du projet occidental qui les fascine et les séduit. En Ibéro-Amérique, c'est la même chose : des pays poussent vers une intégration terrienne, tandis que d'autres dirigeants sont passionnément atlantistes. Théoriquement, cela se produit également en Europe, qui est aujourd'hui totalement sous contrôle atlantiste : regardez le populisme de droite qui a vanté - et continue de le faire - une ouverture multipolaire, mais en partant de prémisses erronées, à tel point qu'il a acquis une bonne partie du pouvoir politique uniquement pour trahir à temps la représentation populaire, confirmant que dans un territoire occupé militairement, politiquement, économiquement et culturellement par une puissance étrangère (les États-Unis), la préservation du pouvoir n'est pas possible sans l'intervention de la mer. L'Europe ne pourrait et ne devrait pas être soumise à d'autres pôles ou civilisations, mais elle l'est en fait au pôle atlantiste ; il existe une Europe théorique, qui existe virtuellement et qui a une grande histoire, qui est aujourd'hui dans une phase "cachée" et qui n'a rien à voir avec la Russie. Cependant, la Russie se bat aujourd'hui pour la multipolarité, ce qui représente une chance pour l'Europe de renaître. La seule Europe possible est une Europe indépendante, sans puissance extérieure d'aucune sorte, autonome et géopolitiquement pour elle-même. Enfin, le Heartland américain voit dans la lutte électorale, aujourd'hui représentée par le duel entre Joe Biden et Donald Trump, une paraphrase de l'affrontement géopolitique interne entre Terre et Mer. C'est la fin de la lutte géopolitique classique.
Nous entendons l'appel à une géopolitique révolutionnaire, non seulement académique, mais aussi faite d'un militantisme en lutte contre la dictature de l'unipolarité et du post-polarité.
La géopolitique du monde multipolaire, en revanche, est dangereuse, parce qu'elle nous fait considérer ce que nous vivons aujourd'hui sous un jour nouveau. Et elle nous offre un moyen de le réaliser.
Lorenzo Maria Pacini
Source : https://domus-europa.eu/
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mercredi, 05 juin 2024
Le retour des civilisations
Le retour des civilisations
Carlos X. Blanco
Des relations plus étroites entre les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) peuvent devenir une condition indispensable au dépassement progressif et à l'abandon de l'ONU et d'autres institutions obsolètes, inefficaces ou clairement alignées sur l'hégémon nord-américain.
Récemment - le jour de l'an 2024 - le nombre de pays membres a augmenté, ce qui rend impossible la modification ou l'élargissement de l'acrostiche, et les BRICS élargis peuvent être désignés sous le nom de BRICS+. Les nouveaux pays ajoutés sont issus du monde musulman et africain. L'incorporation complète de l'Argentine, située en marge de ces coordonnées et dotée d'un énorme potentiel pour rejoindre son voisin le Brésil, était prévue, mais le phénomène Milei est venu tout faire dérailler.
Parmi les pays fondateurs et les nouveaux membres, on trouve plusieurs puissances régionales moyennes, occupant des positions stratégiques (Iran, Arabie Saoudite, Brésil, Afrique du Sud), ainsi que des puissances aux possibilités mondiales - et pas seulement régionales - telles que la Russie, la Chine et l'Inde. Bien qu'elles jouissent d'une possibilité d'influence mondiale, ces trois grandes puissances n'ont pas manifesté le désir de devenir « l'hégémon », tout comme les États-Unis sont aujourd'hui un hégémon unipolaire. La vocation de tous les BRICS, qu'ils soient grands, moyens ou petits, est de développer un monde différent, un monde multipolaire.
Toutes ces puissances rencontrent des difficultés dans leur développement, elles ont un « travail inachevé », elles connaissent même des tensions entre elles et manifestent des rivalités sur différents sujets, mais elles ont un telos ou une cause finale : se libérer du joug de l'« hégémon ». L'hégémon américain, déterminé à préserver - par le sang et le feu - son unipolarité, n'admet que des colonies ou des États soumis. Les Etats soumis ont un temps l'illusion d'être des « partenaires et alliés », mots qui semblent renvoyer à une relation d'égal à égal et à une participation proportionnelle ou équitable aux bénéfices du pillage du reste de l'humanité. Mais tout cela s'est avéré être un mensonge.
Pendant trop longtemps, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'opinion publique et certains gouvernements occidentaux ou pro-occidentaux ont cru à toute cette histoire. Le « monde libre » garantirait à la population soumise la paix, les droits de l'homme, la stabilité démocratique et une société d'abondance pour une classe moyenne en pleine expansion.
L'histoire du « monde libre » a commencé à s'effondrer avec la crise économique mondiale de 2007. Il est devenu évident que les méthodes spéculatives des États-Unis et, en général, de l'anglosphère, n'étaient rien d'autre que des virus très dangereux qui pouvaient infecter toute économie capitaliste qui ne conservait pas certains éléments classiques dans ses règles de fonctionnement : a) un niveau élevé de contrôle étatique dans les sphères financières, monétaires et productives, b) un niveau élevé de protectionnisme dans les industries et l'activité agricole, c) une souveraineté économique totale qui permet une planification productive à long terme et la fermeture relative et strictement réglementée des frontières.
À partir de 1945, les pays occidentaux ont commencé à renoncer à tous les mécanismes et règles qui pouvaient garantir leur souveraineté économique. Celle-ci, ainsi que la souveraineté militaire, qui lui est nécessairement imbriquée, garantit toute souveraineté possible. L'« Occident collectif » est tombé dans une situation coloniale malheureuse : ses économies sont exposées à toutes les infections possibles provenant du système américain, un système progressivement et dangereusement déconnecté de la réalité, basé sur des bulles spéculatives qui tendent à étrangler la production.
La preuve la plus notoire de la situation néocoloniale a été l'affaire « Nord Stream » (en 2022), le sabotage ayant très probablement été effectué sur ordre des États-Unis. L'hégémon, dans sa lutte désespérée pour conserver son pouvoir incontesté et maintenir le monde dans l'unipolarité, n'a pas seulement déclaré la guerre aux puissances en déclin et aux pays du Sud. Depuis des décennies, les Américains mènent également une guerre secrète contre leurs « partenaires, alliés et amis », c'est-à-dire les petites puissances d'Europe occidentale. Pour ce cupide Oncle Sam, il est essentiel qu'en dehors de l'anglosphère (sa première ceinture d'hommes de main et de copains), tout l'Occident non anglo-saxon soit soumis et fonctionne comme une colonie et un champ de bataille.
Les Américains ont ri au nez des Allemands naïfs et impuissants en leur coupant brutalement l'approvisionnement en gaz russe bon marché et proche. La coopération eurasienne tout à fait naturelle et nécessaire, qui comprend l'insertion de la Russie en Europe (les Russes slaves sont des Européens, bien qu'il existe également une Russie asiatique, alors que les Yankees ne le sont pas) ainsi que l'insertion de l'Europe en Asie, dont nous sommes, en fin de compte, un appendice, a été amputée. Lorsque les autorités allemandes ont accepté avec soumission le fait brutal du sabotage, ainsi que l'interdiction intimidante de la brute yankee d'acheter librement du gaz russe et d'accepter le gaz beaucoup plus cher de l'Amérique du Nord, le néocolonialisme de l'hégémon a montré au monde son terrible visage.
Le reste du monde en a été témoin. Le Sud global a vu comment le maître traite ses hommes de main, les hommes de main du troisième niveau, comme les Allemands et les Français et les autres chiens aboyeurs de l'Union européenne qui sont sur le point de jeter aux orties les restes de leur « État-providence » pour soutenir le dictateur Zelensky et sa clique corrompue et néo-nazie.
Le Vietnam d'Europe centrale qu'est l'Ukraine, l'Afghanistan à deux pas de l'Allemagne et de la France, l'Ukraine ultranationaliste d'où les « marines » et les « collabos » sortent toujours la queue entre les jambes, prétend maintenant être un problème transféré à une Europe indigne. Les Américains laissent la « patate chaude » aux « partenaires » européens, à une UE otanisée qui accepte l'une après l'autre les impositions du Pentagone, et qui permet à des personnages sinistres ou serviles, comme Borrell, Ursula ou le Dr Sanchez (connu sous le nom de « Dr Death/Dr Mort » lors de ses confinements lors de la pandémie du CO VID-19) de se dire « Européens », alors qu'ils ne sont en réalité que les garçons de course du Parti démocrate des Yankees, c'est-à-dire la faction la plus belliciste et criminelle de l'establishment américain, déjà très belliciste et criminel.
En Espagne, notre Docteur Mort local a promis cette semaine même quelque 1100 millions d'euros au dictateur ukrainien, un autre artiste comique devenu boucher. Ce milliard sera consacré aux armes, et ce dans un contexte critique pour l'Espagne, à savoir a) démantèlement progressif de la petite industrie et du secteur agricole du pays, livrés aux lobbies marocains qui contrôlent Madrid et Bruxelles, b) extrême faiblesse de l'armée espagnole, incapable de repousser toute annexion unilatérale ou toute nouvelle « Marche verte » des Marocains vers Ceuta, Melilla, vers les Canaries ou dans le sud de l'Espagne en général, c) l'érosion et le démantèlement progressifs de l'« État-providence » espagnol, déjà précaire, où le nombre de bras inactifs et de bouches affamées ne cesse d'augmenter, en raison du manque d'investissements productifs et de l'accueil illimité de populations africaines et d'autres populations provenant d'autres latitudes.
En Espagne, la pauvreté des enfants et le nombre de foyers brisés sont en augmentation (en partie à cause des politiques de prétendue « autonomisation » des femmes et de l'idéologie LGTBIQ+). Dans le même temps, le système scolaire s'est détérioré de manière inquiétante, l'ignorance et la fraude se propageant à des niveaux plus élevés. La « culture » de l'hédonisme, de l'aboulie, de l'idéologisation de la classe et du manque de rigueur dans l'attribution des diplômes a triomphé. Elle a créé une société moralement malade, décomposée et appauvrie jusqu'à la moelle des os. Des processus similaires sont en cours dans d'autres pays d'Europe occidentale. Le seul moyen de vivre est le secteur des services, le tourisme (le grand destructeur de la diversité productive), la spéculation. Les talents sont mutilés et les gens vivent dans une forte déconnexion par rapport au réel.
Le grand espoir des BRICS+ est que ce réseau ou système de pouvoirs en vienne à fonctionner comme une ONU alternative au sein de laquelle de véritables lois internationales, et pas seulement des « règles », seraient élaborées. Les tyrans établissent des règles, mais le droit et la souveraineté édictent des lois. L'instauration de transactions dédollarisées, l'immunité contre les sanctions arbitraires de l'hégémon, la possibilité de revenir à un financement équitable - et non usuraire - du développement des pays les plus démunis en technologie, en talent et en argent, ouvrent un horizon humaniste. Après la série d'invasions, de coups d'État, de guerres hybrides de conquête, d'assassinats sélectifs, de bombardements « humanitaires », etc., etc. commis par les Yankees, l'humanité avait presque perdu l'espoir qu'une quelconque institution internationale puisse s'élever avec autorité et prestige et être capable de canaliser les relations entre nations souveraines, voire entre civilisations, de manière solidaire, coopérative et anticolonialiste.
L'Organisation de coopération de Shanghai (上海合作组织, Шанхайская организация сотрудничества), l'une des plus importantes au monde en termes de population et de taille de la planète qu'elle représente, peut également constituer une barrière efficace contre l'agressivité prédatrice de l'hégémon américain. Ce type de cadre institutionnel ouvre la porte à une coopération loyale dans tous les domaines : a) transferts commerciaux, financiers et technologiques, b) échanges culturels et éducatifs, c) construction d'environnements sûrs, où le terrorisme financé par les États-Unis et l'OTAN, ainsi que les ONG d'ingérence et autres unités de guerre hybride, sont dûment neutralisés.
Il est urgent pour nous, habitants d'un Occident colonisé, citoyens d'une Europe prostrée, de créer toutes sortes d'associations culturelles, humanitaires, commerciales, étudiantes et professionnelles, ainsi que des plateformes mixtes pour des rencontres virtuelles et face à face avec ces pays non membres de l'OTAN et non hégémoniques, des pays qui font des pas décisifs vers la désaméricanisation, la dédollarisation, en affrontant le néolibéralisme et le militarisme agressif qui lui est inhérent. C'est à nous, Espagnols, de lancer une mobilisation citoyenne massive contre l'OTAN et contre toute implication dans une guerre suicidaire contre la Russie. Nous devons préconiser la tenue immédiate de conférences de paix pour résoudre le conflit ukrainien et commencer à organiser une politique commune des Européens en faveur d'une plus grande intégration eurasienne. Il est urgent que les nations européennes se réindustrialisent et s'approvisionnent auprès de leurs propres agriculteurs, qu'elles orientent leurs forces armées vers la défense de leur territoire (comme c'est le cas urgent dans le sud de l'Espagne, exposé à l'invasion) et non vers la guerre contre la Russie. Il est nécessaire de collaborer avec la puissance techno-scientifique du 21ème siècle, la Chine, en intégrant nos pays dans sa « nouvelle route de la soie » pour un bénéfice réciproque.
En Espagne, nous savons que les Américains se sont développés à nos dépens. Après avoir dépouillé le Mexique d'une grande partie de son territoire et, peu avant, du territoire espagnol, ils ont exterminé les indigènes d'Amérique, puis ils ont dépouillé l'Espagne de ses provinces de Cuba, Porto Rico, Guam et des Philippines, provoquant ainsi de grands génocides. Depuis lors, l'empire yankee est l'empire de la mort, de la douleur et de l'esclavage. Comme le dit A. Douguine, et pas mal de philosophes chinois actuels, l'empire yankee n'est qu'une parenthèse. L'heure est aux civilisations, plurielles, aux mondes autocentrés mais collaboratifs, aux grands espaces impériaux qui font régner l'ordre à l'intérieur et coopèrent sans coloniser à l'extérieur. Les vieux empires traditionnels reviennent, habillés des vêtements du futur, tandis que la thalassocratie yankee, brutale, anti-traditionnelle et artificielle, se retire.
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mardi, 07 mai 2024
La multipolarité en tant que phénomène
La multipolarité en tant que phénomène
Dimitrios Ekonomou
Source: https://www.geopolitika.ru/el/article/i-polypolikotita-os-gegonos
La multipolarité est un fait et non une théorie académique falsifiable, en particulier par ceux qui désirent obsessionnellement une hégémonie unipolaire utopique des États-Unis. Les événements vont plus vite que l'enracinement dans le système international postulé par la théorie d'un monde multipolaire. Une théorie que Douguine a introduite pour la première fois dans le discours international dans son intégralité en créant un mouvement politique mondial. Beaucoup ont commencé, plus tôt, à parler de multipolarité dans le monde occidental, mais pas complètement et pas toujours dans le contexte intellectuel de l'hégémonie occidentale. La théorie critique (marxiste) et les approches post-théoriques ont ouvert la voie à la prise de conscience que, derrière le mondialisme des derniers siècles, se cache le désir d'hégémonie de la civilisation occidentale et, en particulier au cours des dernières décennies, le désir hégémonique des États-Unis d'exercer leur pouvoir sur le plan matériel et intellectuel afin de mondialiser leurs valeurs prétendument universelles.
La théorie critique a révélé l'hégémonisme de l'exploitation mondiale caché derrière la nature prétendument coopérative du capitalisme libéral en identifiant complètement l'hégémonie au seul capitalisme, qu'elle accepte comme une étape nécessaire vers la réalisation d'une autre universalité idéologique basée sur l'autre face de la médaille moderne. Les approches post-positivistes ont démontré la localité et la temporalité du phénomène culturel occidental en identifiant l'hégémonie à la perpétuation de la modernité qui ne demande qu'à être débarrassée de tout résidu pré-moderne. L'Occident est un phénomène culturel local dont les valeurs concernent exclusivement une zone géographique spécifique d'influence principalement anglo-saxonne. Huntington va plus loin en reconnaissant dès la « fin de l'histoire » l'existence d'autres cultures qui deviendront les pôles d'un nouveau système, mais toujours dans le cadre réaliste de la compétition internationale.
Telles sont les limites de la perception de l'Occident. Même la reconnaissance de pôles potentiels ne change pas la vision bipolaire du monde de l'Occident : « d'une part, nous, en tant qu'hégémon d'un système unipolaire potentiel et, d'autre part, ceux qui s'opposent à notre globalisme ». Malheureusement pour eux, les « miroirs » de la technologie, du commerce mondial et des transactions économiques, de l'appel à cette partie hédoniste de la nature humaine avec des droits et des haines qui sont une bombe dans les fondations de toute société mais aussi des outils de manipulation et d'hégémonisme autoritaire, n'ont pas fait le travail qu'ils attendaient. Les sociétés qui ont besoin de conserver au plus profond d'elles-mêmes leur conscience collective pré-moderne n'ont été influencées par rien de tout cela, restant profondément traditionnelles et, bien qu'elles soient des États appartenant au système international westphalien, elles n'ont jamais acquis de caractéristiques ethnocratiques. Ce sont des mégapoles culturelles (malheur à ceux qui ont vendu leur histoire et leur âme à l'ethnocratie moderne). Ce phénomène est appelé dans les relations internationales « modernisation sans occidentalisation ». La Chine, l'Inde, la Russie en sont des exemples plus ou moins marqués. L'Islam au Moyen-Orient (malgré les conflits entre sectes) perçoit l'ethnocratie comme un obstacle et la cause de son éclatement.
La théorie multipolaire moderne commence à devenir un choix conscient pour tous ces États multiethniques et multireligieux (qui sont donc une projection postmoderne d'empires pré-modernes) mais qui ont des caractéristiques culturelles claires qui unissent toutes ces distinctions tout en respectant leur diversité. Cela a été particulièrement le cas après l'effondrement du pouvoir absolu des idéologies occidentales en leur sein immédiatement après la fin de la guerre froide. Comme le souligne Huntington, l'effondrement du pôle communiste et la diffusion des valeurs et des institutions libérales capitalistes dans le monde entier ont fait porter la concurrence mondiale non plus sur les idéologies, mais sur les cultures qui en relevaient jusqu'alors. Le capitalisme a été transmis à ces sociétés non pas comme une idéologie mais comme un outil contre l'hégémonie de l'Occident qui veut soumettre les valeurs pré-modernes renaissantes qui ont été couvertes pendant tout le 20ème siècle sous le manteau des idéologies.
Il y a également eu un long débat académique et politique sur la question de savoir si la bipolarité ou la multipolarité est en fin de compte une solution plus pacifique pour le système international afin d'éviter un conflit mondial. La guerre froide a montré, comme l'affirment les universitaires occidentaux, que lorsque le système international est constitué de deux pôles solides, il est stable, les conflits contrôlés se déroulant à la périphérie géographique des deux pôles. Aujourd'hui, l'Occident s'appuie donc sur cette expérience tout en affirmant que le monde multipolaire peut être imprévisible. Il s'agit toujours de justifier son besoin d'hégémonie en poursuivant une compétition bipolaire qui le conduira à nouveau à l'hégémonie mondiale, soit avec un centre mondial et une dispersion du centre de décision au niveau individuel de la soi-disant « société civile », soit avec les États-Unis eux-mêmes au centre (dans les deux cas, nous parlons d'américanisation - d'occidentalisation et d'un melting-pot social mondial).
Au contraire, dans le domaine des relations internationales, il est désormais clair qu'un monde multipolaire peut être stable et éviter plus facilement une guerre mondiale. Peut-être même plus que la bipolarité puisque l'élément de polarisation est absent. Dans ce cas, les conflits peuvent être plus nombreux et régionaux, mais il y a plus de flexibilité en raison d'une polarisation réduite par rapport à la polarisation extrême d'un système bipolaire. En outre, les nouveaux pôles du système mondial, du moins ceux qui sont déjà formés et fonctionnent consciemment comme des forces polaires, n'ont pas le potentiel de devenir hégémoniques. Le seul à rechercher l'hégémonie est l'euro-atlantisme. C'est dans cette fluidité que se joue le jeu actuel, où émergent d'une part des pôles indépendants qui reconnaissent un monde multipolaire et d'autre part une puissance hégémonique qui continue à voir le monde de manière hégémonique. C'est-à-dire potentiellement unipolaire et conventionnellement bipolaire (nous, les vainqueurs de la guerre froide, qui sommes à juste titre hégémoniques dans le système mondial, contre ceux qui contestent notre victoire et notre hégémonie). Bref, le système actuel est multipolaire, mais le refus de l'Occident de voir la réalité le rend dangereux. D'ailleurs, si l'euro-atlantisme reconnaissait l'existence de plusieurs pôles et pas seulement d'une zone de « barbares » située à la périphérie, cela l'obligerait à se rendre compte qu'il ne peut pas être une puissance hégémonique, qu'il est un phénomène culturel historiquement et géographiquement limité et que sa prétention à universaliser ses valeurs ne repose que sur le droit que lui confère sa puissance économique et militaire. S'il existe une chance d'éviter la Troisième Guerre mondiale, c'est uniquement la prise de conscience par les Etats-Unis qu'ils sont un pôle parmi sept autres et sont géographiquement confinés à leur sphère d'influence traditionnelle.
Sinon, les avant-postes de l'impérialisme-hégémonie (Ukraine, Israël, Taïwan et, dans un avenir proche, d'autres États situés à la périphérie des pôles), qui sont les outils de l'Occident pour poursuivre sa pénétration en Eurasie, deviendront les éléments déclencheurs de la dernière phase militaire d'une nouvelle guerre mondiale. Afin d'aider la théorie à échapper aux débats théoriques constants et à déterminer quel système polaire est le plus stable, nous pouvons dire que si l'Occident insiste sur la lecture bipolaire, le système bipolaire sera considéré comme le plus destructeur dans la littérature des relations internationales, et non la multipolarité... S'il est logique de poursuivre la littérature internationaliste après quelques explosions nucléaires...
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jeudi, 18 avril 2024
Alexandre Douguine: "L'émergence de la multipolarité"
L'émergence de la multipolarité
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/zarozhdayushchayasya-mnogopolyarnost
Entretien d'Alexandre Douguine avec Eren Yeşilürt
Cet entretien d'Alexandre Douguine a été réalisé le 12 février et publié le 18 mars 2024 sous la houlette du journaliste turc Eren Yeşilürt, un soufi proche du traditionalisme et de la philosophie islamique. L'entretien est consacré aux problèmes de la multipolarité et du choc des civilisations. Matériel original : https://erenyesilyurt.com/index.php/2024/03/18/alexander-dugin-rus-ortodokslugu-baskaldiran-bir-guc-olarak-bati-hegemonyasina-karsi-ana-kaynaktir/
Eren Yesilürt : Cela fait longtemps que je pense à réaliser une série d'interviews sur le concept de "révolution conservatrice". Je voulais interviewer des personnes connues dans le monde comme des révolutionnaires conservateurs et rendre compte de leurs réflexions. J'ai voulu commencer par le nom d'Alexandre Douguine. Mon objectif était de comprendre comment le concept de révolution conservatrice a façonné la politique russe, plutôt que de propager et d'approuver les idées qu'il représente.
Q : Aux XIXe et XXe siècles, le concept d'Occident a pris une signification différente. Selon vous, que signifie la notion d'Occident aujourd'hui et a-t-elle un avenir ?
Je pense que le concept d'Occident est le concept d'une civilisation particulière, une civilisation occidentale qui prétendait et prétend toujours être universelle. Donc, le concept d'Occident, c'est le concept d'une sorte d'universalisme, qui est une projection de la culture de la partie occidentale de l'humanité, c'est-à-dire européenne, ouest-européenne et nord-américaine. Ainsi, l'Occident signifie civilisation, mais cette civilisation particulière a toujours prétendu être une civilisation unique, et tout le reste était considéré comme n'étant pas de la civilisation mais de la barbarie, de la sauvagerie... Ainsi, le mot "civilisation" était utilisé au singulier, et l'Occident s'identifiait et s'identifie toujours à l'humanité. Si l'humanité n'est pas assez occidentalisée, elle est sous-humaine. Auparavant, il s'agissait d'un sens purement racial et biologique, aujourd'hui il s'agit d'un sens économique ou culturel.
Tout ce qui coïncide, tout ce qui s'inscrit dans la culture, l'économie et le système politique de l'Occident libéral moderne est considéré comme moderne, progressiste et civilisé... Et tout ce qui ne s'inscrit pas dans ce cadre est considéré comme sous-développé ou comme relevants de "marchés émergents", etc.
Mais cette civilisation occidentale a évidemment ses étapes, ses phases, ses époques. Elle a commencé avec la civilisation chrétienne, catholique, après que le christianisme occidental a été divisé en deux parties, de sorte que les versions catholique et protestante de la civilisation occidentale ont émergé. Ensuite, le capitalisme et la laïcité se sont fondés principalement sur la laïcisation de la civilisation protestante d'Europe du Nord, comme l'a très bien montré Max Weber dans son célèbre ouvrage. Petit à petit, l'Occident a identifié sa culture au libéralisme, à la version anglo-saxonne du libéralisme mondialiste universel.
Donc, si on regarde toutes ces étapes de la civilisation occidentale, il y a quelque chose de commun et quelque chose de différent, parce que le développement de la civilisation occidentale est orienté vers l'absolutisation de l'individualisme. Le libéralisme avait autrefois un sens différent de celui qu'il a aujourd'hui.
Ainsi, le processus de maturation de la pensée libérale, du système libéral et de la civilisation libérale a connu différents moments. En commençant par la compréhension individualiste de la relation entre l'homme et Dieu dans le protestantisme, le premier protestantisme, après la destruction des domaines traditionnels, de l'empire, de la structure sociale du Moyen Âge, les a amenés à des États-nations, ce qui est devenu l'ordre mondial. L'étape suivante a été la destruction, la désintégration des États-nations, utilisés par la même tendance, la même tendance libérale, la tendance réaliste en faveur de la société civile. Et cette société civile a commencé à devenir une société mondiale plutôt qu'un État-nation. Ensuite, il y a eu la victoire de sa version socialiste de la modernité ou la victoire du communisme, du communisme soviétique.
Cette tendance libérale a atteint un point de libération de l'individualité par rapport à l'identité de genre, connu sous le nom de politique de genre. Lorsque le genre et le sexe sont devenus facultatifs, c'est l'étape suivante de la civilisation. Et maintenant, nous sommes au seuil de la dernière étape où cette civilisation libérale mettra fin à l'humanité, parce que l'être humain est une identité collective. Nous approchons de la dernière étape de cette civilisation occidentale. Il y a donc quelque chose en commun : la civilisation occidentale a un universalisme ethnocentrique qui prétend être une civilisation unique et un critère pour tout type de civilisation. C'est aussi le racisme culturel de l'Occident.....
Maintenant que l'Occident s'est identifié au libéralisme, au libéralisme anglo-saxon, nous avons une civilisation mondialiste, une civilisation occidentale qui s'est mondialisée, avec un nouveau programme de destruction des familles traditionnelles et des relations traditionnelles entre les genres, entre les sexes. Et maintenant, la dernière étape est la perte de l'identité humaine. Ainsi, à chaque étape de son développement, l'Occident a signifié différentes choses, mais cela a été son noyau, et nous savons très bien ce que l'Occident appelle lui-même : c'est le progrès, l'idée d'une augmentation progressive des libertés individuelles et l'idéologie des droits de l'homme, le développement progressif, la modernité et la postmodernité.
Mais nous pouvons aussi l'envisager sous un autre angle, celui d'une société traditionnelle. Toute religion traditionnelle définirait immédiatement la civilisation occidentale des derniers siècles comme l'Antéchrist, une civilisation antichrétienne, le royaume de l'Antéchrist... comme Dajjala dans la perspective islamique, comme Kali Yuga dans la perspective hindoue, ou comme une grande maladie aux yeux de la culture chinoise, parce que la culture chinoise est basée sur l'équilibre, et la civilisation occidentale, depuis le tout début, est quelque chose de totalement déséquilibré, un schisme paranoïaque sans aucune harmonie, tellement conflictuel par nature. Ainsi, tout d'abord, nous devons comprendre que l'Occident n'est qu'une des civilisations qui peut poser ses limites, mais nous devons également tenir compte des différentes époques, des différents stades de civilisation, où la notion même d'Occident a changé au fil du temps sur le plan culturel, politique, social, intellectuel, philosophique et ainsi de suite. Il y a donc des différences et une unité.
Il faut donc avant tout redéfinir l'Occident et le replacer dans le cadre des autres civilisations, et nous devons lutter non pas contre l'Occident en tant que tel, mais avant tout contre sa prétention à être quelque chose d'universel, parce qu'il n'est pas universel. Il y a autour de lui des cultures et des civilisations différentes. Et la lutte... cette lutte s'appelle la multipolarité contre l'unipolarité. Mais pour comprendre cela, il faut d'abord comprendre la nature de l'Occident.
Question : La Russie dispose-t-elle aujourd'hui d'une éthique capable de s'opposer à l'Occident et au "capitalisme satanique" ? D'où peut venir aujourd'hui la proposition éthique et idéologique la plus forte contre l'hégémonie mondiale de l'Occident ? Pour nous (musulmans), l'orthodoxie fait partie de la civilisation occidentale. L'orthodoxie russe peut-elle devenir une force contre-hégémonique en dehors du monde islamique ?
Tout d'abord, nous devons comprendre, comme je l'ai déjà expliqué dans ma réponse à la première question, ce qu'est l'Occident. Nous devons tenir compte, dans une perspective historique, du fait que l'Occident d'aujourd'hui est différent de ce que l'on entendait par Occident, de ce qui était l'Occident à l'origine. Il y a eu une scission entre l'orthodoxie orientale, le christianisme oriental et le christianisme occidental aux neuvième et dixième siècles, et même bien avant Charlemagne, de sorte qu'il y avait déjà une scission. Nous ne pouvons donc pas dire que la Russie fait partie de l'Occident, car l'Occident s'est divisé entre le christianisme oriental et le christianisme occidental. Dès le début de notre civilisation russe, nous, les héritiers de Byzance, avons hérité du christianisme oriental. Il est faux de considérer la Russie comme la voie de l'Occident, car la Russie était un christianisme oriental, différent à bien des égards du christianisme occidental. Ainsi, notre orthodoxie, le christianisme oriental, bien avant la modernité, considérait le christianisme occidental comme une chute pécheresse, une hérésie, une sorte de perversion satanique des enseignements du Christ. Nos différences éthiques avec l'Occident sont donc très, très anciennes, et pas seulement aujourd'hui. Le capitalisme n'est pas la continuation directe de la civilisation occidentale chrétienne, mais c'est un phénomène antichrétien au sein de la civilisation occidentale.
C'était un terme antichrétien, un visage antichrétien de la civilisation occidentale, et nous devons tenir compte du fait que la modernité était laïque, que le capitalisme était antireligieux dès le départ. Le capitalisme ne se fonde que sur la vie terrestre et néglige et rejette toute relation avec la vie éternelle. Ainsi, le capitalisme et le sécularisme ne reconnaissent pas les enseignements du Christ, ils sont antichrétiens au sein de la civilisation occidentale.
C'est pourquoi nous, Russes, chrétiens, aidons encore aujourd'hui la Russie à faire revivre l'éthique traditionnelle et à opérer un retour conservateur aux racines de notre propre civilisation eurasienne orthodoxe russe, et non à celles de la civilisation occidentale. Cette renaissance de l'éthique de notre identité a deux ou peut-être trois raisons, trois raisons principales de rejeter l'Occident. Tout d'abord, j'ai déjà mentionné la raison pour laquelle l'orthodoxie orientale, le christianisme oriental, est différent et opposé au christianisme occidental depuis le tout début. Toute notre histoire en tant qu'État et en tant que culture s'est construite sur cette différence entre nous et eux. Et c'est la raison pour laquelle de nombreuses batailles et guerres anti-occidentales ont eu lieu dans le passé, dans le passé russe. D'un point de vue éthique, nous disposons donc d'une base solide pour combattre l'Occident et rejeter la civilisation occidentale dès son stade chrétien. Ainsi, parce que nous étions des branches différentes, des branches conflictuelles du christianisme, on a supposé que le christianisme occidental était une hérésie, quelque chose qui n'était pas vraiment chrétien, et c'est la première chose. C'est la base éthique du rejet de tout ce qui est occidental.
Deuxièmement, en revenant à nos racines chrétiennes, nous rejetons radicalement la civilisation occidentale capitaliste, laïque et anti-chrétienne. Être chrétien ou être laïque, laïque, ces positions s'excluent mutuellement. Nous rejetons donc l'Occident en raison de sa nature antireligieuse, antichrétienne et antichrétienne.
Et troisièmement, notre base éthique est le rejet, le rejet des prétentions de la culture occidentale moderne, postmoderne, laïque, LGBT et transhumaniste à être universelle. Nous avons donc trois raisons et résonances éthiques de rejeter le capitalisme satanique occidental parce que, premièrement, y compris ses origines, il n'était pas orthodoxe, ce qui, à notre avis, est une erreur. Deuxièmement, il était basé sur un rejet du christianisme traditionnel, y compris des valeurs occidentales.
Troisièmement, telle qu'elle se présente aujourd'hui, la civilisation libérale mondiale occidentale LGBT représente le pur royaume de l'Antéchrist. Nous avons donc trois raisons de rejeter la civilisation occidentale, et il est donc totalement erroné de considérer les Russes comme des Occidentaux.
Vous, les musulmans, avez donc tout simplement tort, car vous considérez à tort que l'orthodoxie fait partie de la civilisation occidentale. J'ai expliqué pourquoi ce point de vue est totalement erroné. C'est pourquoi l'orthodoxie russe est une source majeure de pouvoir contre-hégémonique, et je pense que c'est la raison pour laquelle nous combattons l'hégémonie, l'hégémonie occidentale en Ukraine et ailleurs, et le monde islamique n'est pas prêt à aider votre frère musulman à Gaza. Le monde musulman, qui prétend être une puissance anti-occidentale, n'a rien pu faire contre elle....
Aujourd'hui, la véritable force, l'unique force qui lutte contre l'hégémonie américaine, contre le royaume de Dajjal et l'Antéchrist, c'est la Russie orthodoxe, la Russie chrétienne. C'est pourquoi il serait totalement erroné de l'identifier à une partie de la culture et de la civilisation occidentales. Nous sommes une civilisation différente et complètement distincte, qui fait partie du christianisme oriental depuis le tout début et qui est doublée d'une identité mongole et touranienne, qui n'a rien à voir avec l'Occident.
Q : Comment voyez-vous le paysage géopolitique du monde actuel ? Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, certains affirment que le monde est passé de la bipolarité à l'unipolarité. Considérez-vous ce processus comme une transition douloureuse vers un monde multipolaire ?
Je pense que nous avons contribué à créer différents paysages mondiaux au cours des cent dernières années. Par exemple, dans la première moitié du XXe siècle, le monde était tripolaire et reposait sur trois idéologies. Il y avait le camp libéral, la Russie communiste et l'Europe fasciste. Il y avait donc, en quelque sorte, trois mondes polaires. Quelle est la souveraineté d'un État-nation autre que les grands États ? Je dirais l'Union anglo-saxonne, l'Allemagne et la Russie soviétique. Il y avait donc trois pôles.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un monde bipolaire a émergé avec deux pôles : le camp communiste et le camp capitaliste. Après l'effondrement de l'Union soviétique, il ne restait plus qu'un monde unipolaire, un moment unipolaire qui a duré jusqu'à aujourd'hui. À certains égards, il existe toujours, car la puissance accumulée par l'Occident est supérieure à celle de son éventuel adversaire virtuel. Néanmoins, nous assistons aujourd'hui à l'affirmation de nouveaux pôles dans le processus de formation d'une alliance contre-hégémonique. Ce n'est pas très clairement et précisément défini, mais c'est l'émergence de la multipolarité.
Nous pouvons observer cette multipolarité émergente avec deux pôles presque entièrement établis. La Russie lutte contre l'unipolarité, car la lutte en Ukraine est une lutte de la multipolarité contre l'unipolarité. La Russie s'affirme donc comme un pôle, un pôle indépendant du monde multipolaire. Nous constatons que la Chine est entrée en conflit principalement dans la sphère économique avec l'hégémonie économique de l'Occident, qui est un pôle très significatif et très réel. Nous avons une nouvelle version d'un monde tripolaire, mais nous avons aussi l'Inde. L'Inde est désormais le quatrième pôle, presque parfait, presque complet, mais qui affirme de plus en plus son indépendance. Nous avons potentiellement, virtuellement un pôle islamique, mais à moins que l'Islam ne puisse surmonter son hostilité et ses contradictions internes, cette qualité du nouveau pôle pourrait être suspendue. Nous voyons clairement, comme je l'ai dit, qu'il existe dans le monde islamique un pôle chiite radicalement opposé à l'hégémonie mondiale. Et il y a de nombreux problèmes avec le reste du monde islamique. Mais certaines tendances permettent d'espérer que le monde islamique émerge enfin en tant que pôle indépendant dans le contexte de la multipolarité.
Les BRICS, par exemple, peuvent être considérés comme la structure de la multipolarité future. Le fait que non seulement l'Iran, mais aussi les pays sunnites que sont l'Arabie saoudite, les Émirats et l'Égypte aient rejoint les BRICS à Johannesburg est un très bon signe. Mais vous êtes maintenant invités à vous battre pour ces ambitions et la plupart des pays sunnites préfèrent rester en quelque sorte neutres. Je pense que c'est une grande déception pour les vrais musulmans dans le monde, où il y a un moment, un moment pour défendre leur souveraineté, leur dignité religieuse et idéologique. Vous n'êtes pas présents sur le champ de bataille, et je pense que c'est très triste, parce que ce qu'Israël et l'Occident font à Gaza est un véritable crime et un génocide, et vous le regardez sans passion et sans réaction. La polémicité de l'islam, malgré sa revendication religieuse idéologique, est donc désormais discutable. Elle n'est donc pas certifiée, elle n'est pas étayée par des faits.
L'Afrique essaie aussi de devenir un pôle, et l'Afrique du Sud et l'Éthiopie sont les deux pays BRICS, et l'Afrique de l'Ouest autour du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Gabon, de la République centrafricaine... Ils essaient de construire leur pôle africain indépendant, et c'est une très, très bonne initiative, mais la formation de ce pôle panafricain n'en est qu'à la première étape, au tout début. Il y a aussi l'Amérique latine, un autre pôle suivant. Le Brésil est présent dans les BRICS.
Nous avons donc une sorte de multipolarité naissante dans laquelle certains des pôles - la Russie et la Chine - sont totalement achevés. D'autres le sont à moitié ou presque, comme l'Inde. Le pôle islamique est en cours de formation, tout comme l'Afrique et l'Amérique latine. Il s'agit de la transition vers un monde multipolaire, mais pour y arriver, il faut gagner. Nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre que le monde multipolaire arrive, nous devons nous battre pour lui. Sinon, il ne viendra pas. Si vous n'êtes pas le monde musulman, si vous n'êtes pas suffisamment unis, vous ne pouvez pas et ne pourrez pas vaincre la coalition occidentale. Je pense donc que le statut de pôle sera suspendu pour l'Islam. Mais ce processus est inévitable, c'est un processus de guerre.
Q : Nous avons vu l'attitude de l'Occident à l'égard de l'occupation israélienne de la Palestine. Le monde est-il entraîné dans un "choc des civilisations" à la Huntington ? Pensez-vous que cette thèse soit toujours d'actualité ?
Oui, bien sûr. L'occupation israélienne de la Palestine, c'est l'hégémonie de l'Occident. Il s'agit d'un choc des civilisations lorsqu'Israël, une civilisation ou une culture très spécifique, est utilisé dans la géopolitique occidentale et le mondialisme occidental principalement contre l'Islam. Nous présentons donc le choc des civilisations dans la bande de Gaza et au Moyen-Orient comme une guerre entre l'unipolarité, représentée par la civilisation occidentale, et la multipolarité. Mais cette fois, la civilisation islamique est mise à l'épreuve. Elle doit prouver qu'elle est une civilisation, un pôle capable de maintenir son unité, son indépendance et sa souveraineté.
Je pense donc que nous avons un autre front de choc des civilisations en Ukraine, avec la Russie qui lutte désespérément contre l'Occident. J'ai souligné à plusieurs reprises dans cet entretien l'importance d'inclure d'autres pays islamiques dans la lutte pour relever le défi, car il est impossible d'affirmer le statut de la civilisation dans les circonstances actuelles sans vaincre la partie agressive.
Cette fois-ci, la partie agressive est l'Occident, qui attaque directement les civilisations islamiques et tue des musulmans simplement parce qu'ils sont musulmans. Je pense qu'il est temps de réagir. Le choc des civilisations est donc la bonne thèse. Sans elle, nous ne pourrions pas rêver de multipolarité. Nous devons dépasser cela. Nous devons passer par cette épreuve, ce test, pour créer un meilleur ordre mondial, plus juste, plus équilibré et plus harmonieux. Mais sans une victoire commune sur l'hégémonie, c'est impensable.
Traduit du turc et de l'anglais par Maxim Medovarov
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lundi, 15 avril 2024
Au-delà de l'Occident collectif
Au-delà de l'Occident collectif
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/oltre-alloccidente-collettivo
Outre l'Occident collectif, trois civilisations se sont regroupées en ce que l'on peut d'ores et déjà appeler des États-civilisations. Il s'agit de la Russie, de la Chine et de l'Inde. Ce sont les pôles tout désignés d'un monde multipolaire. Aujourd'hui, un triangle stratégique d'une importance fondamentale s'est formé entre Moscou, Pékin et Delhi.
Il faut rendre hommage à Evgueni Primakov qui en parlait déjà dans les années 1990, alors que c'était loin d'être évident. Il s'agit maintenant de donner une description "dense" de ces trois civilisations-états, qui se sont déjà déclarées pôles, mais qui n'en sont qu'au premier stade d'une pleine prise de conscience de ce qu'elle est et de ce qui en découle.
La civilisation des États n'est pas seulement celle des États-nations respectifs. C'est la Grande Russie, la Russie en tant qu'Eurasie. C'est la Chine en tant que Tiansya. C'est l'Inde de l'Akhand Bharat. Certes, ils sont en cours de formation, mais, fondamentalement, ils sont déjà là. Ce n'est qu'après une description théorique correcte et approfondie que le contenu de leur relation - y compris les différences et les contradictions - deviendra clair. Le format RIC (Russie, Inde, Chine) a précédé les BRICS+ mais a survécu. Il pourrait être intéressant de le ressusciter, car ce sont là des pôles tout prêts.
Bien sûr, d'autres pôles émergent: islamiques, africains et latino-américains. Il existe des centres de souveraineté civile, mais le niveau d'intégration est encore insuffisant pour parler de pôle. Les BRICS+ rassemblent les six civilisations non occidentales, mais parmi elles, les RIC ont fait plus de progrès que les autres.
La présidence russe des BRICS+ cette année montre qu'il est peu probable que ce projet aille plus loin. Il y a de nombreuses raisons à cela, notamment le manque de compréhension de la philosophie de la multipolarité par les responsables des BRICS+. Seul le premier atteint l'échelle. En ce qui concerne les deuxième et troisième, cette vision s'estompe, se dissipe, mais le format des BRICS+ lui-même, qui est sans aucun doute magnifique et qui fera date, est trop en avance sur le niveau de conscience et détourne l'attention des spécificités.
Il est temps de s'intéresser au RIC. Premièrement, il est déjà plus concret, deuxièmement, nous parlons de trois États-civilisations prêts à l'emploi, et troisièmement, il y a suffisamment de problèmes et pour aller de l'avant, nous devons résoudre les nœuds de contradiction accumulés. Premièrement, essayer de démêler le nœud des problèmes géopolitiques transfrontaliers sino-indiens, dont la présence pousse New Delhi vers l'Occident, ce qui sape objectivement le multipolarisme.
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samedi, 23 mars 2024
Alexandre Douguine - Multipolarité : l'ère de la grande transition
Multipolarité : l'ère de la grande transition
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/mnogopolyarnost-epoha-bolshogo-perehoda
Nous vivons une époque de grande transition. L'ère du monde unipolaire touche à sa fin et l'ère de la multipolarité arrive. Les changements dans l'architecture globale de l'ordre mondial sont fondamentaux. Parfois, les processus se déroulent si rapidement que l'opinion publique est à la traîne. Il est d'autant plus important de s'attacher à comprendre les événements grandioses qui secouent l'humanité.
Personne - sauf les fanatiques - ne peut nier le fait que l'Occident, après l'effondrement du système socialiste et de l'URSS, a reçu une chance unique de devenir le seul leader mondial, et qu'il n'a pas rempli cette mission. Au lieu d'une politique mondiale raisonnable, juste et équilibrée, l'Occident s'est tourné vers l'hégémonie, le néocolonialisme, agissant dans ses intérêts égoïstes et prédateurs, appliquant deux poids deux mesures, alimentant des guerres et des conflits sanglants, dressant les peuples et les religions les uns contre les autres. Il ne s'agit pas d'un leadership, mais d'un impérialisme agressif, qui perpétue les pires traditions de ce même Occident - le principe de diviser pour régner, la colonisation, essentiellement l'esclavage.
L'effondrement du leadership de l'Occident collectif s'accompagne et s'intensifie avec le rapide déclin moral de la culture occidentale. Les valeurs promues de force et avec obstination par l'Occident - LGBT, migration incontrôlée, légalisation de toutes sortes de perversions, culture de l'abolition (= cancel culture), purges brutales et répression de tous les dissidents, perte des principes humanistes et volonté d'évoluer vers la domination par l'intelligence artificielle et par le transhumanisme - ont encore réduit le prestige de l'Occident aux yeux de l'humanité mondiale. L'Occident n'est plus le modèle universel, l'autorité suprême ou le modèle à suivre.
Ainsi, en opposition à l'hégémonie unipolaire, un nouveau monde multipolaire est né. C'est la réponse des grandes civilisations anciennes et originales, des États et des peuples souverains au défi du mondialisme.
Dès à présent, nous pouvons dire que l'humanité globale a commencé à construire intensivement des pôles civilisationnels indépendants. Il s'agit tout d'abord de la Russie, qui s'est réveillée de son sommeil, de la Chine, qui a fait une percée rapide, du monde islamique spirituellement mobilisé et de l'Inde, qui est gigantesque en termes de démographie et de potentiel économique. L'Afrique et l'Amérique latine sont sur le chemin, s'acheminant avec persévérance, vers l'intégration et la souveraineté de leurs grands espaces.
Les représentants de toutes ces civilisations sont aujourd'hui réunis au sein des BRICS. C'est ici que se forment les paramètres du nouveau monde multipolaire, que se développent ses principes, ses valeurs traditionnelles, ses règles et ses normes. Et ce, sur la base d'une véritable justice, du respect des positions des autres, avec de véritables proportions démocratiques et sans aucune tentative de faire prétendre l'un des pôles à l'hégémonie. Les BRICS sont une alliance anti-hégémonique où se concentrent aujourd'hui les principales ressources de l'humanité - humaines, économiques, naturelles, intellectuelles, scientifiques et technologiques.
Le monde unipolaire appartient au passé. Le monde multipolaire est l'avenir.
Si l'Occident renonce à son hégémonie violente et à sa politique de néocolonialisme, s'il reconnaît la souveraineté et la subjectivité de chaque civilisation humaine, s'il refuse d'imposer par la force ses règles, ses normes et ses valeurs, manifestement rejetées aujourd'hui par la majorité de l'humanité, il pourrait devenir un pôle respecté et souverain - reconnu par tous les autres et existant dans le contexte d'un dialogue amical et égalitaire entre les civilisations.
Tel est l'objectif de la construction d'un monde multipolaire: établir un modèle harmonieux d'existence amicale et équilibrée de toutes les civilisations de la Terre, sans établir de hiérarchies et sans reconnaître l'hégémonie de l'une d'entre elles.
La plupart des civilisations - russe, chinoise, indienne, islamique, africaine et latino-américaine - se tournent aujourd'hui unanimement vers les valeurs traditionnelles, vers le sacré, vers le contenu spirituel de leurs cultures et de leurs sociétés. Il est impossible de progresser sans s'appuyer sur l'identité profonde; le contraire conduira à la dégénérescence et à la dégradation de l'homme lui-même. Bien que les valeurs traditionnelles diffèrent d'une nation à l'autre, elles ont toujours quelque chose en commun: la sainteté, la foi, la famille, le pouvoir, le patriotisme, la volonté de bien et de vérité, le respect de l'être humain, de sa liberté et de sa dignité.
Le monde multipolaire est fondé sur des valeurs traditionnelles qui sont reconnues et protégées dans chaque civilisation.
L'idée principale de la multipolarité est la paix et l'harmonie. Mais il est évident que tout changement dans l'ordre mondial - en particulier un changement aussi important - se heurte invariablement à une résistance farouche de la part de l'ancienne structure. La vague descendante du monde unipolaire empêche la vague ascendante du monde multipolaire. Cela explique la plupart des conflits actuels - en Ukraine, en Palestine et au Moyen-Orient, l'escalade des tensions dans le Pacifique autour de la Chine, les guerres commerciales, les politiques de sanctions, ainsi que l'amertume et la haine de l'hégémon en déclin à l'égard de tous ceux qui le défient.
Mais le mondialisme unipolaire n'a aucune chance de l'emporter et de maintenir son "leadership" complètement discrédité si les partisans de la multipolarité - et il s'agit de l'humanité globale (et en Occident même, où le pourcentage de personnes sobres d'esprit et dotées d'une conscience indépendante qui ne succombe pas à la propagande est encore très élevé) - se serrent les coudes, comprennent clairement les contours du nouveau monde et se soutiennent mutuellement dans la lutte commune pour un système juste et véritablement démocratique.
C'est l'essentiel aujourd'hui: comprendre les contours du nouvel ordre mondial multipolaire et polycentrique, poser les principes de l'amitié, du respect et de la confiance entre les civilisations, lutter unanimement pour la paix et l'harmonie, renforcer nos valeurs traditionnelles et respecter les valeurs traditionnelles d'autrui.
Si nous opposons tous ensemble la volonté universelle de paix aux instigateurs mondialistes des guerres et des conflits sanglants, aux commanditaires des révolutions de couleur et à la décadence de la morale publique, nous gagnerons sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. L'Occident collectif - malgré son potentiel encore assez important - ne pourra pas s'opposer seul à l'unité de l'humanité.
Cette année, en 2024, la Russie présidera le groupe BRICS. C'est un acte profondément symbolique. Il y a beaucoup à faire dans cette direction - admettre de nouveaux membres, développer et lancer de nouveaux mécanismes économiques, faire fonctionner les institutions financières (en premier lieu, la banque des BRICS), promouvoir la sécurité et la résolution des conflits, intensifier les échanges culturels entre les civilisations. Mais surtout, nous devrons tous non seulement comprendre, mais aussi développer, créer et établir une philosophie de la multipolarité, apprendre à vivre avec notre propre esprit et procéder à une profonde décolonisation de la conscience, de la culture, de la science et de l'éducation. Au cours des époques de sa domination coloniale, l'Occident a réussi à inculquer à de nombreuses sociétés non occidentales l'idée fausse que la pensée, la science, la technologie, les systèmes économiques et politiques ne sont réellement efficaces qu'en Occident, et que tous les autres ne peuvent prétendre qu'à un "développement de rattrapage", totalement dépendant de l'Occident. Il est temps de mettre fin à cette mentalité d'esclave. Nous sommes l'humanité, les représentants de différentes cultures et traditions anciennes, en aucun cas inférieurs à l'Occident, et à bien des égards supérieurs à lui.
Telles sont les conclusions de notre forum sur la multipolarité. Malgré toutes les différences, nous sommes tous d'accord sur l'essentiel: nous entrons dans une nouvelle ère et ce qu'elle sera dépend de nous-mêmes et de personne d'autre.
Nous créerons l'avenir ensemble !
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mardi, 05 mars 2024
Forum sur la multipolarité et Congrès russophile 2024
Forum sur la multipolarité et Congrès russophile 2024
Anastasia Gavrilova
Source: https://www.geopolitika.ru/article/forum-mnogopolyarnosti-i-sezd-rucofilov-2024?fbclid=IwAR031M5Ii1mn8gyA0cPO-KLDgUJ48aQWV4uw797wPDRPz0Fcn1GRqdBw8O0
Le Forum de la multipolarité et le Forum du mouvement russophile, qui ont eu lieu les 26 et 27 février 2024, sont des événements uniques qui ont rassemblé des experts influents, des activistes, des politiciens et des membres du public pour discuter de questions clés en matière de relations internationales, de politique et de diplomatie. Ces forums ont favorisé le dialogue et l'échange de points de vue sur des sujets d'actualité liés à la politique mondiale.
Le forum sur la multipolarité a abordé les problèmes d'un monde multipolaire, les nouveaux défis et les opportunités pour le développement mondial. Les participants au forum ont parlé du rôle des différents États et régions dans le monde, des stratégies de coopération et de conflit, ainsi que des tendances modernes dans les relations internationales.
Le forum du mouvement russophile, quant à lui, vise à discuter et à populariser la culture, l'histoire, la langue et les valeurs russes. Les participants au forum ont discuté de questions liées à la préservation et à la promotion du patrimoine russe, à l'influence culturelle de la Russie et à la langue russe dans le monde.
Les deux forums ont accueilli des orateurs hautement qualifiés, des discussions, des sessions plénières, des séminaires et des tables rondes. Les participants ont eu l'occasion d'échanger des expériences, des connaissances et des idées, de renforcer les liens et de créer de nouveaux partenariats. Ces forums auront eu un impact significatif sur la politique, la culture et la diplomatie mondiales, en favorisant une coopération et une compréhension internationales accrues.
Le forum sur la multipolarité et le forum sur le mouvement russophile sont des plateformes importantes pour discuter des défis contemporains et trouver des solutions communes à l'échelle mondiale. La participation à ces forums a permis aux participants de mieux comprendre les processus contemporains dans les relations internationales et de partager leurs idées et leurs propositions pour parvenir à la paix, à la justice et au développement.
Selon la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, on assiste à une substitution croissante des concepts dans le monde. La liberté, telle que la conçoivent les dirigeants occidentaux, signifie l'adhésion forcée à leur conception de l'ordre mondial et de l'hégémonie. Alors qu'auparavant, on ne parlait que des intérêts de certains clubs, aujourd'hui, tous les pays, y compris ceux du Sud et de l'Est, jouissent de droits égaux. Ce résultat a été obtenu grâce aux efforts de la Russie. Aujourd'hui, la véritable majorité mondiale se réunit non pas lors de conférences occidentales, mais ici, en Russie.
Selon Alexandre Douguine, l'humanité connaît aujourd'hui un changement important dans le processus de civilisation. Il défend l'idée d'un monde multipolaire, qui repose sur une critique de l'universalisme occidental et de ses aspects racistes et impérialistes. Auparavant, la Grande-Bretagne prétendait être le centre de conscience de l'humanité, ce qui a conduit à l'établissement d'un monde avec le seul système politique, la seule approche économique et la seule culture acceptables. Douguine affirme qu'il est nécessaire d'évoluer vers la diversité et de se débarrasser du monopole d'un pays ou d'une culture.
La multipolarité est une philosophie qui affirme que le monde ne se limite pas à l'Occident, mais qu'il est constitué d'une multitude de civilisations. La Russie, la Chine, l'Inde, le monde islamique, les pays africains et l'Amérique latine sont tous des civilisations distinctes avec leurs propres traditions et valeurs. Malgré leurs différences, elles ne s'opposent pas les unes aux autres, mais s'efforcent de coexister pacifiquement.
La civilisation occidentale a le potentiel de coexister harmonieusement avec d'autres civilisations, affirme le philosophe russe. La multipolarité ne s'oppose pas à l'Occident dans son ensemble, mais plutôt à ses prétentions à l'exclusivité, au leadership mondial et à l'universalité. L'idéologie toxique de l'Occident a sapé les élites nationales de nombreux pays, les utilisant pour soutenir un hégémon. Aujourd'hui, cependant, cet état de fait est en train de prendre fin.
La Russie s'est engagée dans une bataille mortelle avec l'Occident collectif en Ukraine, dans un effort pour contrer le monde unipolaire. Les sanctions et la pression de l'Occident tentent de nous étrangler, mais notre victoire sera importante pour l'ensemble de l'humanité, affirme Douguine. La Chine joue un rôle de premier plan sur le front économique, en luttant contre l'Occident. Le monde islamique résiste aux pressions exercées sur les valeurs religieuses et familiales. L'Afrique passe du statut de colonie de matières premières à celui de géant mondial. L'Amérique latine poursuit sa lutte anticoloniale et représente tous ses pays au sein du forum.
Comme exemple du nouvel ordre mondial, nous pouvons citer l'unification des représentants de six civilisations sur sept au sein des BRICS. Cela indique la formation d'un système institutionnel de multipolarité. En même temps, l'Occident n'est pas unifié. Les peuples d'Europe et du monde anglo-saxon sont soumis à leurs gouvernements mondialistes qui cherchent à détruire leur propre identité culturelle et nationale. Cette remarque d'Alexandre Douguine a suscité une salve d'applaudissements. Les peuples occidentaux ne sont pas des adversaires d'un monde multipolaire, mais des victimes du despotisme de leurs élites.
Zhang Weiwei, éminent expert en relations internationales du Parti communiste chinois, a souligné que le concept d'un monde unipolaire est déjà dépassé. "L'unipolarité est dépassée. Cet ordre changera avec le renforcement de l'influence internationale de la Chine, de la Russie et de l'expansion des BRICS en ajoutant à l'alliance des pays du Sud et de l'Est", a-t-il déclaré.
Les discours du cardinal Vigano et de l'archiprêtre Tkachev ont rendu un verdict sur l'hégémonie des élites occidentales, condamnant leurs racines diaboliques et le club fermé des adorateurs de Satan. Ils ont ouvertement critiqué la haine de l'homme biblique traditionnel, en mettant les points sur les i et en appelant les choses par leur nom.
La session plénière du forum a été suivie d'une division en trois sections thématiques sur les différents centres de la civilisation mondiale. Au cours de la discussion dans la section "Perspectives du monde occidental après l'hégémonie : le salut de la civilisation européenne est-il possible ?", les participants ont analysé en profondeur les modes de développement des pays occidentaux.
Des représentants de l'Italie, de Chypre et de la Grèce se sont prononcés en faveur d'un retour aux sources de la civilisation méditerranéenne et de l'élimination de l'influence des États-Unis. La section "Le rôle de la Chine dans un monde multipolaire" a abordé le centre de gravité oriental de la civilisation étatique. La Chine, en tant que pays ayant atteint la prospérité grâce à son modèle unique de coopération sans hégémonie, offre son soutien économique à la prospérité de nombreux pays. Le projet mondial "Une ceinture, une route" vise à rassembler les intérêts de différents États et centres de développement mondiaux pour atteindre des objectifs communs.
Un invité du Kirghizistan, Kurbat Rakhimov, expert du Valdai Club, a examiné l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en tant que structure institutionnelle importante pour le développement régional. Il a souligné la nécessité de développer le monde sans qu'une superpuissance ne l'emporte sur une autre. M. Rakhimov a estimé que la multipolarité ne garantit pas toujours l'absence de conflits entre les pays et les blocs, et a appelé à faire en sorte que les actions d'un pôle ne provoquent pas de conflits avec les autres.
Le forum sur la multipolarité qui s'est tenu à Moscou a souligné que la diversité des cultures et des croyances facilite l'échange d'idées et crée une harmonie dans le développement de l'économie mondiale. La section "Global South. Changer l'architecture mondiale" a attiré l'attention des participants qui ont exprimé leur désir de s'unir après une longue période de division et de mettre fin à l'exploitation des ressources naturelles par les sociétés transnationales.
Pour les représentants de l'Iran, du Yémen et d'autres pays du Moyen-Orient, il est important de créer un nouveau modèle économique différent de la dictature libérale occidentale des entreprises mondiales. Ils estiment que la bataille de la mer Rouge et de la Palestine n'a pas seulement une signification militaire, mais aussi culturelle et économique. Les pays africains ont fait de la lutte contre le terrorisme et les pandémies des priorités absolues. L'exemple du Mali, de la RCA et du Niger montre qu'avec le soutien de la Russie, il est possible de vaincre rapidement et avec succès les terroristes qu'ils combattent depuis de nombreuses années.
L'invitée de la Zambie a exprimé son désir de vaincre rapidement la pandémie de COVID-19, en s'inspirant de l'histoire des victoires africaines sur la rougeole et la polio. Pour ce faire, il faut disposer de vaccins efficaces grâce aux efforts de la Russie et sensibiliser davantage le public à l'importance de la vaccination. Elle a noté que le principal défi actuel du continent est le développement du système de soins de santé et la protection de la santé publique.
Le forum du 26.02.2024 s'est avéré productif et a permis aux participants d'échanger des points de vue et des expériences, ainsi que de définir de nouvelles mesures pour construire un ordre mondial plus durable et plus juste.
Sergey Lavrov, s'exprimant lors du congrès des russophiles, a souligné que le développement des relations internationales est une priorité importante pour la Russie.
La Russie s'efforce d'être amicale et ouverte à tous les pays du monde. Nous adhérons à une politique étrangère indépendante, pragmatique et pacifique, qui soutient la démocratisation des relations internationales conformément aux principes de la charte des Nations unies. Nos efforts visent à développer cet objectif par le biais de notre présidence des BRICS, de la CEI, d'un travail actif au sein de l'EAEU, de l'OCS, du G20 et d'autres formats multilatéraux. Nous renforçons également les liens avec les associations d'intégration régionale.
"La multipolarité est importante car elle offre des alternatives au monde. Nous espérons que le Sénégal rejoindra les BRICS. Il serait préférable que l'alliance accepte le plus rapidement possible les pays qui ont demandé à en faire partie", a déclaré Oumi Sen, secrétaire général du Centre culturel Kalinka au Sénégal.
Le combattant d'arts martiaux mixtes (MMA) Jeff Monson a également visité le forum et s'est prononcé en faveur de l'approfondissement de la coopération économique entre les pays des BRICS. "Si les pays des BRICS se mettent d'accord pour introduire une monnaie commune, ce serait une mesure très efficace. Elle pourrait être utilisée pour des échanges commerciaux communs", a indiqué M. Monson.
Selon l'idée des organisateurs de l'événement, la plateforme est conçue pour réunir des scientifiques de différents pays qui défendent le concept d'un monde multipolaire basé sur le respect mutuel.
À ce jour, le Mouvement international russophile défend activement la diffusion de la culture russe et des valeurs humanitaires.
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Discours de Zhang Weiwei au Forum sur la multipolarité à Moscou, 26 février 2024
Discours de Zhang Weiwei au Forum sur la multipolarité à Moscou, 26 février 2024
Zhang Weiwei
Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/speech-zhang-weiwei-multipolarity-forum-moscow-26-february-2024?fbclid=IwAR3wmsiFt3sl0kVVcDJ4cHczfQ4O2_lVcS6eTnBrGHgtHdNc-ojnGzP26lk
C'est un grand plaisir pour moi de prendre la parole au Forum sur la multipolarité. Pourquoi la "multipolarité" est-elle si importante? Parce que son opposée, l'unipolarité, est immorale, injuste et dépassée. Dans le cadre de l'unipolarité, pratiquement tout, des dollars au commerce en passant par les technologies et le changement climatique, peut être militarisé, et les sanctions, les missiles et les révolutions de couleur sont la norme et sont utilisés régulièrement à volonté, provoquant des guerres, des ravages et des souffrances humaines indicibles pour des millions et des millions de personnes, et cet ordre doit être changé et le sera.
Avec la montée en puissance de la Chine, de la Russie, des BRICS en expansion et d'autres membres du Sud, un ordre mondial multipolaire est en train d'émerger rapidement. Dans le cas de la Chine, après sept décennies de construction socialiste, le pays est devenu, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la plus grande économie du monde (en parité de pouvoir d'achat depuis 2014), la plus grande nation industrielle, manufacturière et commerciale, et le plus grand marché de consommation du monde. Après avoir accompli presque une révolution industrielle par décennie depuis le début des années 1980, la Chine est aujourd'hui à l'avant-garde de la quatrième révolution industrielle (avec le big data, l'IA et les technologies quantiques, etc.) et est désormais le seul pays capable de fournir au monde entier des biens, des services et de l'expérience issus des quatre révolutions industrielles. Tout cela a changé la Chine et le paysage mondial pour toujours.
C'est dans ce contexte que la Chine a lancé l'initiative "la Ceinture et la Route", il y a 11 ans, avec plus de 150 pays participant à des milliers de projets basés sur l'idée chinoise de "discuter ensemble, construire ensemble, bénéficier ensemble", et la BRI est maintenant devenue le plus grand bien commun et la plus grande plateforme de coopération internationale dans l'histoire de l'humanité. Elle jette de bonnes bases pour l'ordre mondial multipolaire émergent.
En tant que pôle indépendant à part entière, la Chine est également un État civilisationnel, doté d'une souveraineté totale, d'une puissante capacité de défense et d'un immense pouvoir économique, technologique, culturel et intellectuel. Nous croyons en la devise "s'unir et prospérer" plutôt qu'en la croyance occidentale "diviser pour régner". Nous embrassons "un avenir commun pour l'humanité", contrairement à l'Amérique qui dit "si vous n'êtes pas à la table, vous serez au menu".
De même, malgré les controverses sur le conflit ukrainien, l'objectif déterminé de la Russie et sa volonté de changer l'ordre mondial unipolaire sont largement appréciés et soutenus par la majorité mondiale. Il est donc vrai que la Russie est isolée par l'Occident, mais il est également vrai que l'Occident est isolé par le reste. Ce seul fait montre que la Russie est également un pôle indépendant à part entière, doté d'une souveraineté totale, d'une puissante puissance militaire, du poids économique et de la force culturelle et intellectuelle d'un État civilisationnel.
De nombreux nouveaux pôles sont apparus, non seulement la Chine et la Russie, mais aussi l'Inde, le Brésil, l'Iran, la Turquie, ainsi que les membres en expansion des BRICS et du Sud global, et ils peuvent avoir des différences internes, mais ils partagent tous un objectif commun: établir un ordre mondial multiple fondé sur la paix, le développement, la justice, le respect mutuel et la prospérité commune. Nombre d'entre eux se considèrent également comme des États ou des communautés civilisationnels. Si l'unipolarité des États-Unis est étayée par leur "État profond", qui fait tant de mal au monde entier, les États civilisationnels sont connus pour leurs cultures "profondes" et leurs peuples "profonds", et ils chérissent tous leurs normes morales et leurs racines civilisationnelles et rejettent catégoriquement les leçons de morale de l'Occident qui entend imposer sa volonté envers et contre toute posture de bon sens.
Le responsable de la politique étrangère de l'UE, M. Josep Borrel, a admis il y a peu que "presque tout le monde (dans le monde non occidental) pense maintenant qu'il existe des alternatives crédibles à l'Occident, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan technologique, militaire et idéologique". C'est vrai, et grâce à l'immense poids matériel ou "hard power" et à l'énorme pouvoir intellectuel ou "soft power" de la majorité mondiale, cette évolution vers un ordre mondial multipolaire est devenue une tendance irrésistible de l'histoire. Célébrons-la et promouvons-la davantage pour un monde meilleur et plus humain à l'avenir.
Enfin, permettez-moi d'exprimer à nouveau, au nom de tous les participants chinois, nos sincères remerciements à notre hôte russe pour l'organisation de ce grand forum et pour sa gracieuse hospitalité. Nous souhaitons à ce forum un grand succès.
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jeudi, 29 février 2024
L'humanité multipolaire
L'humanité multipolaire
Alexander Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/multipolar-humanity?fbclid=IwAR1uNbqIfCK0jSGn8L1aEjUdDxdjGTkIdXOfOX7qmNWEeNuziAl3KXI7rKg
Discours d'Alexandre Douguine au Forum sur la multipolarité à Moscou, le 26 février 2024.
Le monde multipolaire est avant tout une philosophie. Il repose sur une critique de l'universalisme occidental.
L'Occident s'est identifié à l'humanité sur le mode raciste et impérialiste. Il fut un temps où la Grande-Bretagne revendiquait toutes les mers et tous les océans. La civilisation occidentale a déclaré que toute l'humanité lui appartenait - principalement sa conscience. Cela a conduit à la formation d'un monde unipolaire.
Dans ce monde, il n'y a que les seules valeurs occidentales. Un seul système politique - la démocratie libérale. Un seul modèle économique - le capitalisme néolibéral. Une seule culture - le postmodernisme. Une seule conception des genres et de la famille - LGBT. Une seule version du développement - la perfection technologique jusqu'au post-humanisme et le remplacement complet de l'humanité par l'IA et les cyborgs.
Selon ses partisans, le monde unipolaire est le "triomphe de l'histoire mondiale", la victoire totale de l'ère occidentale moderne - le libéralisme, qui est devenu l'idéologie unique et incontestable de toute l'humanité.
La multipolarité est une philosophie alternative. Elle repose sur l'objection fondamentale suivante: l'Occident n'est pas toute l'humanité, mais seulement une partie de celle-ci - une région, une province. Il n'est pas la civilisation au singulier, mais une civilisation parmi d'autres. Il existe aujourd'hui au moins sept civilisations de ce type, d'où le concept le plus important de la théorie multipolaire: l'heptarchie.
Certaines civilisations sont déjà réunies dans d'immenses États-continents, des États-civilisations, ou wénmíng guójiā (文明国家). Pour d'autres, c'est encore à venir. L'Occident collectif, les pays de l'OTAN et les vassaux des États-Unis ne sont qu'un des pôles.
Il y en a trois autres :
- Russie-Eurasie,
- la Grande Chine (Zhōngguó 中国) ou Tiānxià (天下),
- la Grande Inde.
Tous sont des États-civilisation, ce qui signifie quelque chose de plus que des pays ordinaires.
Et trois autres grands espaces, intégrés à des degrés divers :
- Le monde islamique, étroitement lié par la religion mais politiquement désuni jusqu'à présent,
- l'Afrique noire transsaharienne,
- l'écoumène latino-américain.
Ces sept civilisations ont des profils religieux complètement différents, des systèmes de valeurs traditionnelles différents, des vecteurs de développement différents et des identités culturelles différentes.
La civilisation occidentale, contrairement à ce qu'elle prétend, n'est que l'une d'entre elles. Arrogante, audacieuse, agressive, trompeuse, prédatrice et dangereuse. Cependant, ses prétentions à l'universalisme sont sans fondement et sa domination repose sur une politique de deux poids, deux mesures.
La multipolarité s'oppose non pas à l'Occident lui-même, mais plus précisément à ses prétentions à l'unicité et à l'universalité. Ces prétentions ne nous sont pas inconnues ; elles imprègnent tous les systèmes de notre culture, de notre science et de notre éducation. L'Occident, avec son idéologie toxique, a infiltré nos sociétés, séduit et corrompu les élites, placé notre société sous son contrôle informationnel et tenté d'éloigner le plus possible notre jeunesse de la foi et de la tradition.
Cependant, l'ère de la seule hégémonie de l'Occident est révolue. Sa conclusion a été marquée par la position de la Russie et personnellement par notre président Vladimir Vladimirovitch Poutine, lorsque nous avons refusé de sacrifier notre souveraineté et sommes entrés dans un combat mortel avec l'Occident en Ukraine. Nous nous battons en Ukraine non pas contre les Ukrainiens, mais contre le monde unipolaire. Et notre victoire inévitable ne sera pas seulement la nôtre, mais celle de toute l'humanité, qui verra de ses propres yeux que le pouvoir de l'Occident n'est pas absolu, que sa politique de néocolonialisme et de dé-souverainisation peut être rejetée de manière décisive, et que l'on peut insister sur sa propre position.
La Russie est l'un des pôles du monde multipolaire. Il ne s'agit pas d'un retour à l'ancien modèle bipolaire, mais du début d'une architecture mondiale entièrement nouvelle.
La croissance rapide de l'économie chinoise et le renforcement de la souveraineté de la Chine, en particulier sous la direction du grand leader Xi Jinping, ont fait de la Chine un autre pôle totalement indépendant. Voyant cela, l'Occident, représenté par l'élite mondialiste des États-Unis, lui a immédiatement déclaré une guerre commerciale.
Le monde islamique a défié l'Occident principalement dans les domaines religieux et culturel. Les valeurs occidentales - qui appellent ouvertement à la destruction des traditions, de la famille, du sexe, de la culture et de la religion - sont incompatibles avec les fondements de l'islam. C'est ce que comprend aujourd'hui chacun des quelque deux milliards de musulmans. Et aujourd'hui, le monde islamique mène sa propre guerre contre l'Occident mondialiste - en Palestine, au Moyen-Orient, où un génocide honteux du peuple palestinien - le meurtre d'enfants palestiniens, de femmes et de personnes âgées - est en cours avec l'approbation totale de l'Occident.
L'Inde est un autre pôle. Aujourd'hui, surtout sous la direction de Narendra Modi, c'est une civilisation entière qui retourne à ses racines védiques, à ses anciennes traditions, à ses fondements. Elle n'est plus une colonie culturelle et économique de l'Occident, mais un géant mondial en pleine ascension.
L'Afrique et l'Amérique latine suivent méthodiquement et constamment, même si ce n'est pas sans problèmes, le même chemin.
Le mouvement panafricain ouvre la voie à une intégration africaine unifiée et globale, libérée du contrôle néocolonial. Il s'agit d'une nouvelle théorie, d'une nouvelle pratique, qui incorpore les meilleurs aspects des étapes précédentes de la lutte de libération, mais qui repose sur une philosophie différente, où la religion, l'esprit et les valeurs traditionnelles jouent un rôle crucial.
L'Amérique latine poursuit également son chemin dans la lutte anticoloniale. Les peuples y recherchent de nouvelles voies de consolidation et d'unité, dépassant les modèles dépassés qui divisaient tout le monde entre la droite et la gauche. Dans de nombreux pays d'Amérique latine, les défenseurs des valeurs traditionnelles, de la religion et de la famille s'unissent à ceux qui prônent la justice sociale sous la bannière d'une lutte commune contre le néocolonialisme de l'Occident collectif et sa culture anti-humaine pervertie.
Le monde multipolaire d'aujourd'hui n'est pas une utopie ni un projet théorique. Six civilisations sur sept (de l'heptarchie planétaire) se sont unies dans un nouveau bloc au sein des BRICS. Il y a des représentants de chacune d'entre elles. Il s'agit de l'institutionnalisation de la multipolarité. La Grande Humanité s'unit, se comprend et commence à harmoniser ses traditions et ses orientations, ses systèmes de valeurs traditionnelles et ses intérêts.
Seul l'Occident collectif, cherchant à tout prix à maintenir son hégémonie, refuse catégoriquement de s'engager dans ce processus multipolaire inévitable. Il s'y oppose. Il complote et provoque des conflits. Il mène des interventions. Elle tente d'étouffer toute velléité d'indépendance par des sanctions et des pressions directes. Et si cela échoue, il entre dans une confrontation militaire directe - comme en Ukraine, à Gaza, et demain peut-être dans le Pacifique.
Cependant, l'Occident n'est pas monolithique. Il y a deux Occident. L'Occident mondialiste des élites libérales et l'Occident traditionnel - l'Occident des peuples et des sociétés. L'Occident traditionnel souffre lui-même de la tyrannie des mondialistes pervers et tente, lorsqu'il le peut, de se rebeller. Les peuples de l'Occident ne sont pas des ennemis du monde multipolaire. Ils en sont avant tout les victimes. Comme l'a montré l'entretien de notre président avec le politicien et journaliste conservateur Tucker Carlson, la Russie et les antimondialistes américains ont beaucoup plus de choses en commun qu'il n'y paraît.
Par conséquent, la véritable victoire de la multipolarité ne sera pas la défaite de l'Occident collectif, mais son salut, son retour à ses propres valeurs traditionnelles (et non perverties), à sa culture (et non à l'annulation de la culture), à ses racines classiques gréco-romaines et chrétiennes. Je crois que les peuples libérés du joug mondialiste de l'Occident réel rejoindront un jour la Grande Humanité, en devenant un pôle respecté du monde multipolaire. Cesser d'être un hégémon est dans l'intérêt non seulement de toutes les civilisations non occidentales, mais aussi de l'Occident lui-même.
Je souhaite la bienvenue à tous les participants à notre forum. Nous sommes réunis ici pour construire l'avenir, comprendre le présent et sauver notre glorieux passé, en assurant la continuité de la culture.
Si différente, spéciale, unique, autosuffisante, souveraine - l'humanité, c'est nous !
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mardi, 06 février 2024
Politique mondiale multipolaire
Politique mondiale multipolaire
Markku Siira
Source: https://markkusiira.com/2024/02/01/moninapaista-maailmanpolitiikkaa/
Dans les années 1990, le dirigeant chinois de l'époque, Deng Xiaoping, voyait l'avenir de l'espace politique international.
Comme s'il commentait le présent, il a déclaré que "dans l'avenir, lorsque le monde deviendra tricentrique, quadripolaire ou pentapolaire, l'Union soviétique [la Russie de Poutine] restera un pôle unique, quel que soit son degré d'affaiblissement et quelle que soit la manière dont certaines de ses républiques se sépareront d'elle".
Deng a poursuivi en affirmant que "dans le monde dit multipolaire, la Chine sera également un pôle", dont la politique étrangère consistera à "résister à l'hégémonisme et à la politique de puissance et à sauvegarder la paix mondiale", ainsi qu'à œuvrer "à la création d'un nouvel ordre politique et économique international".
Dans les années 2000, de tels points de vue sur la Russie et la Chine ont été avancés par l'excentrique politologue russe Alexandre Douguine, mais plus récemment, des positions conformes à la théorie d'un monde multipolaire ont été adoptées par un large éventail d'acteurs, des politiciens aux universitaires en passant par les banquiers, dans le monde entier.
Quelle que soit la forme finale du "nouvel ordre international" (que j'ai également évaluée de manière critique), la route qui y mène semble être pavée de diverses crises et de conflits militaires. Outre la guerre en cours en Ukraine, des points chauds potentiels peuvent être trouvés dans le golfe Persique et la mer de Chine méridionale.
Dans cet espace géopolitique liminaire, il est déjà évident que l'ordre mondial émergent, avec ses différents pôles, repose sur des principes plus conservateurs, que l'Occident égocentrique, plongé dans une décadence interne, a abandonnés.
La Russie a renoncé à ses tentatives d'intégration en Europe et s'est également opposée à l'impérialisme arc-en-ciel du libéralisme de l'Occident collectif. Moscou se considère comme un État-civilisation à part entière, qui n'est ni découragé ni isolé derrière le nouveau rideau de fer dressé par l'Occident.
Le système chinois, quant à lui, est animé par la construction d'une nation pour la nouvelle ère spatiale, par la stabilité sociale et la prospérité apportées par le luxe du communisme confucéen, et par le respect des caractéristiques, des traditions et de la hiérarchie nationales.
Que fait une ploutocratie supranationale dans cette situation ? À l'instar des États qu'ils possèdent par le biais de leur politique de banque centrale et de leur pouvoir d'entreprise, les cercles capitalistes tentent de s'adapter à une nouvelle phase dans laquelle l'hégémonie américaine devient un détail de l'histoire, à l'instar d'autres empires déchus.
Le système international sous l'égide de l'ONU, avec sa base de règles, est également battu par les crises, et après le massacre de Gaza, par exemple, personne ne considère le "droit international" comme contraignant, mais remet en question son invocation en tant que rhétorique pour satisfaire les intérêts égoïstes de l'extrême droite israélienne et de l'Occident capitaliste.
Le dernier membre malchanceux de la forteresse euro-atlantique de l'OTAN, la Finlande, qui fait de la lèche au pouvoir en place à Washington, ne croyait manifestement pas à un tel bouleversement de l'ordre mondial, mais était persuadé que le leadership des États-Unis se poursuivrait à perpétuité.
C'est pourquoi l'élite politique, dirigée par Sauli Niinistö, invoquant le conflit ukrainien, a abandonné son déguisement de "neutralité", a envoyé les Finlandais en première ligne de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et a proclamé haut et fort qu'elle faisait partie de l'Occident, même si cette île politique anglo-américaine est en train de sombrer rapidement.
Alors que l'influence occidentale et l'"américanisation" diminuent, les indices mesurant les tensions géopolitiques et l'incertitude des politiques économiques augmentent, selon les économistes. Le nouvel ordre mondial ne se construira pas pacifiquement, mais s'accumulera en une communauté de destin propre à travers des conflits de plus en plus nombreux.
À un moment donné, les gens se retrouveront à vivre dans différents centres de pouvoir locaux (ou à leur périphérie) qui, malgré leurs différences, sont unis, pour le meilleur ou pour le pire, par les développements induits par la haute technologie.
Bien que rien ne soit susceptible de s'améliorer de sitôt, il est à espérer que dans le monde futur de la vision de Deng Xiaoping, au lieu d'un monde de sanctions et de rideaux de fer, les services ferroviaires de la Finlande iront à nouveau vers l'est.
19:13 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique internationale, géopolitique, multipolarité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 28 novembre 2023
Alexandre Douguine: le monde russe et son Conseil
Le monde russe et son Conseil
Alexandre Douguine
Source: https://www.geopolitika.ru/article/russkiy-mir-i-ego-sobor
À l'aube du congrès jubilaire du Conseil mondial du peuple russe au Kremlin, qui est consacré au monde russe, il est nécessaire d'aborder le concept même de "monde russe" de manière un peu plus détaillée.
L'association même du monde russe a suscité de nombreuses divergences et des politiques passionnées. Chacun a essayé de l'interpréter de manière arbitraire, et selon la position des différents auteurs, le sens même a changé. Certains en ont fait une caricature, d'autres, au contraire, l'ont exaltée de toutes les manières possibles, mais souvent au détriment du contenu.
Tout d'abord, il convient de faire la distinction la plus importante : le monde russe ne signifie pas la même chose que la Fédération de Russie en tant qu'État-nation. Cela est probablement reconnu par tout le monde. Mais certains pensent que le monde russe est plus large et plus grand que la Russie, d'autres qu'il est plus étroit et plus local, tandis que d'autres encore le placent dans une position intermédiaire.
Dans le premier cas, et c'est l'usage le plus correct et le plus significatif de l'expression "monde russe", nous parlons de la Russie en tant que civilisation. C'est en ce sens que le Conseil mondial du peuple russe l'entend comme une association de toutes les personnes qui considèrent la civilisation russe comme la leur, indépendamment de leur lieu de résidence et de l'État dont elles sont citoyennes. Dans ce cas, le monde russe coïncide avec la civilisation russe, ce qui n'exclut en rien les autres peuples unis aux Russes par la communauté de destin, mais les inclut. D'où la proximité du concept de monde russe avec la Russie-Eurasie, telle que la concevaient les philosophes eurasiens. Il ne s'agit pas seulement d'un pays, d'un État, mais d'un monde entier, d'une floraison d'ethnies et de cultures, d'un cosmos historique spirituel, uni depuis des siècles autour du noyau du peuple russe. Dans cette optique, faire partie du monde russe signifie en partager l'esprit et la culture, qui se manifestent dans toute leur splendeur sous des formes multidimensionnelles et multipolaires de création historique, englobant la politique, l'économie, l'art, l'industrie et l'éthique.
Dans cette optique, le monde russe est inextricablement lié à l'Église orthodoxe, mais en aucun cas au détriment des autres religions traditionnelles. Là encore, nous pouvons constater un lien direct avec le Conseil mondial du peuple russe, dont le chef est Sa Sainteté le patriarche Kirill de toutes les Russies, mais auquel participent invariablement les chefs des principales confessions de Russie.
Bien entendu, la base du Monde russe est la Russie en tant qu'État, comme le montre clairement le fait que les événements les plus importants du dit Conseil se déroulent en présence du président de la Fédération de Russie lui-même, ce qui fait de ces réunions nationales solennelles et entièrement volontaires une sorte d'analogue des Conseils de la Terre. Mais le monde russe est plus vaste que l'État, et le peuple russe est plus grand que l'ensemble des citoyens russes. En ce sens, le monde russe est formé autour de la Russie, et son président et le premier hiérarque de l'Église orthodoxe russe agissent comme des symboles et des axes de la civilisation tout entière, un aimant d'attraction et le noyau d'une communauté complexe et non linéaire de peuples, de cultures et de citoyens individuels.
Il est nécessaire de mentionner deux autres interprétations du monde russe, qui ne sont pas vraies, mais plutôt répandues, car tout concept acquiert sa véritable signification lorsqu'il est comparé à ce qui ne devrait pas être compris dans ce cadre.
Ainsi, il n'est en aucun cas possible de comprendre le monde russe comme un simple agrégat de Grands Russes ethniques, c'est-à-dire de Slaves orientaux, concentrés historiquement dans les régions orientales de l'ancienne Russie, où s'est formée la Russie de Vladimir, puis de Moscou, et où, à un moment donné, la capitale ainsi que le trône grand-ducal et la cathèdre métropolitaine ont été transférés. Cette interprétation déforme complètement le sens initial, en excluant du monde russe les Russes occidentaux (Biélorusses et Malorusses) et toutes les ethnies non slaves de la Russie elle-même. À proprement parler, pratiquement personne ne comprend le monde russe de cette manière, mais ses opposants, au contraire, tentent de déformer artificiellement le sens et de donner à cette expression une signification tout à fait inappropriée. Il n'est donc pas superflu de souligner une fois de plus que le "monde russe" désigne tous les Slaves orientaux (et donc non seulement les Grands Russes, mais aussi les Biélorusses et les Malorusses), ainsi que tous les autres groupes ethniques qui ont lié leur destin, à un moment ou à un autre, au peuple russe. Par conséquent, le monde russe peut inclure, par exemple, les Géorgiens, les Arméniens ou les Azerbaïdjanais qui, bien qu'ils se trouvent aujourd'hui en dehors de la Russie, croient toujours à la proximité historique et à la parenté spirituelle avec les Russes.
Ici, cependant, l'essentiel n'est pas de savoir si ces ethnies se considèrent comme faisant partie du monde russe, car cela peut changer et dépendre de nombreux facteurs, dont certains peuvent se considérer comme en faisant partie, d'autres non, et d'autres encore ne se considèrent pas comme en faisant partie aujourd'hui, mais demain, ils en feront partie. L'essentiel est que le monde russe lui-même soit toujours ouvert aux peuples frères. Il est important que les Russes eux-mêmes soient prêts à considérer comme faisant partie du monde russe ceux qui le veulent, qui y aspirent et qui partagent avec nous notre destin commun. Cette ouverture ne dépend pas du moment ou de l'humeur de l'histoire. Lorsque nous parlons du monde russe, cette ouverture est un axiome fondamental. Sans elle, le monde russe n'est pas valable. C'est son axe sémantique profond. Le monde russe n'exclut pas, mais inclut. Nous pouvons l'appeler par le terme occidental d'"inclusivité", mais nous ne parlons que d'une inclusivité particulière - l'inclusivité russe et, en fait, l'amour russe, sans lequel il n'y a pas de personne russe.
Par conséquent, le monde russe ne peut en aucun cas être plus étroit que la Russie, mais seulement plus large.
Enfin, il serait erroné d'identifier le monde russe aux trois branches de la tribu des Slaves orientaux, c'est-à-dire uniquement aux Grands Russes, aux Biélorusses et aux Malorusses. Oui, nous, les trois peuples slaves orientaux, formons le noyau du monde russe. Mais cela ne signifie pas que les autres peuples non slaves n'en font pas partie intégrante et organique.
Ainsi, après avoir fixé l'interprétation correcte du monde russe et écarté les interprétations erronées, nous pouvons continuer à y réfléchir.
La question qui se pose immédiatement est la suivante : quelles sont les limites du monde russe ? Après l'avoir défini, il apparaît clairement que ces frontières ne peuvent être ni ethniques, ni étatiques, ni confessionnelles. Ce sont les frontières de la civilisation, et elles ne sont pas linéaires et strictement fixes. Comment placer l'Esprit, la culture, la conscience à l'intérieur de frontières physiques strictes ? Mais en même temps, quand on s'éloigne trop du cœur du monde russe, on ne peut que constater qu'à un moment donné, on se retrouve en territoire étranger, dans l'espace d'une autre civilisation. Par exemple, celle de l'Europe occidentale, de l'Islam ou de la Chine. Et ce n'est pas seulement la langue, le phénotype et les mœurs de la population locale qui sont importants ici. Nous avons quitté les limites du monde russe, la civilisation russe s'est effritée, nous sommes dans un nouveau cercle culturel différent du nôtre.
Daria Douguina a attiré l'attention sur le concept de "frontière". Il ne s'agit pas d'une frontière linéaire, mais d'une bande intermédiaire, d'un no man's ou d'un territoire neutre qui sépare une civilisation d'une autre. La propriété de la frontière est de changer constamment, de se déplacer dans un sens ou dans l'autre. De plus, la frontière a une vie propre ; il y a un échange intensif de codes culturels, deux ou même plusieurs identités convergent, s'opposent, divergent et reprennent le dialogue. Daria a fait l'expérience de la frontière en Novorossiya, en voyageant à travers les nouveaux territoires. Elle a saisi avec perspicacité la vie même de cette région, où se joue aujourd'hui le destin du monde russe. Il ne fait aucun doute que l'Ukraine et la Malorossiya appartiennent au monde russe. Historiquement, elle en est le berceau. Mais plus tard, lorsque le centre s'est déplacé vers l'est, elle s'est elle-même transformée en frontière civilisationnelle, devenant une zone intermédiaire entre la Russie eurasienne et l'Europe. D'où le croisement des influences - dans la langue (influence du polonais), la religion (influence du catholicisme), la culture (influence du libéralisme et du nationalisme, profondément étrangers au code russe). Ainsi, la frontière ukrainienne est devenue à son tour une zone de tension entre deux centres, des pôles d'attraction - entre le monde russe et l'Occident européen. Cela s'est clairement manifesté dans la politique électorale de l'Ukraine (à l'époque où il y avait encore des élections) et a conduit à une terrible guerre fratricide.
Un autre exemple des frontières du monde russe est la fraternelle Biélorussie. Son peuple s'est lui aussi retrouvé séparé de nous, les Grands Russes, pendant un certain temps, et a fait partie d'abord du Grand-Duché de Lituanie, puis de l'État polonais. Avec toute l'originalité et l'originalité de l'identité bélarussienne établie, les particularités de la langue et de la culture, cette frontière n'a pas été divisée en deux pôles d'attraction. En toute souveraineté et indépendance, le Belarus est une partie organique et intégrante du monde russe, tout en restant un État indépendant.
Ainsi, le monde russe n'est pas nécessairement synonyme d'absorption, de guerre, de présence ou d'absence de frontières étatiques. Si la frontière ukrainienne se comportait de la même manière que la frontière bélarussienne, personne ne s'attaquerait à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Le monde russe est ouvert et pacifique, prêt à l'amitié et au partenariat sur les bases les plus diverses. Mais il ne peut répondre à des actes d'agression directe, d'humiliation et de russophobie.
Le président Poutine a un jour répondu à la question de savoir où s'arrête la Russie, et dans ce cas "la Russie" signifiait le monde russe : là où un Russe peut arriver, là où nous serons forcés de nous arrêter. Et il est évident que nous ne nous arrêterons pas avant d'avoir restauré l'intégralité de nos terres "russo-mondiennes", les contours naturels et les fronts harmonieux (bien que complexes) de notre civilisation.
Le monde russe est fondé sur l'idée russe. Et cette idée, bien sûr, a ses propres caractéristiques uniques. Sa construction est déterminée par les valeurs traditionnelles, absorbant l'expérience historique du peuple. L'idée ne peut être inventée ou développée, elle naît des profondeurs de notre conscience sociale, mûrit dans les profondeurs du peuple, cherche une issue dans les intuitions et les chefs-d'œuvre des génies, des généraux, des dirigeants, des saints, des ascètes, des travailleurs, des simples familles. L'idée russe s'étend à tous -
- aux familles russes qui répondent à son appel par la fécondité et le travail créatif,
- à nos soldats qui défendent les frontières de la patrie au prix de leur vie,
- à l'appareil d'État, qui est appelé à servir le pays avec éthique et loyauté,
- au clergé, qui non seulement prie sans cesse pour la prospérité et la victoire, mais aussi éclaire inlassablement le peuple et l'éduque dans les fondements de la morale chrétienne,
- sur les gouvernants appelés à conduire le pouvoir à la gloire, à la prospérité et à la grandeur.
Le monde russe est l'idéal qui est toujours au-dessus de nous, formant l'horizon des rêves, des aspirations et de la volonté.
Enfin, que signifie le monde russe dans les relations internationales ? Cette notion acquiert ici un poids encore plus important. Le monde russe est l'un des pôles du monde multipolaire. Il peut être uni en un État (comme la Chine ou l'Inde) ou représenter plusieurs États indépendants unis par l'histoire, la culture et les valeurs (comme les pays du monde islamique). Mais dans tous les cas, il s'agit d'un État-civilisation doté d'une identité propre et originale. L'ordre mondial multipolaire est fondé sur le dialogue entre ces "mondes", ces États-civilisations. Dans ce contexte, l'Occident ne doit plus être perçu comme porteur de valeurs et de normes universelles, universellement contraignantes pour tous les peuples et tous les États du monde. L'Occident, les pays de l'OTAN sont un monde parmi d'autres, un Etat-Civilisation parmi d'autres - la Russie, la Chine, l'Inde, le bloc islamique, l'Afrique et l'Amérique latine. Le monde universel est constitué d'un ensemble de pôles distincts, de grands espaces, de civilisations et de fronts qui les séparent et les relient simultanément. Il s'agit d'une construction délicate qui exige de la délicatesse, de la subtilité, du respect mutuel, du tact, de la familiarité avec les valeurs de l'Autre, mais ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de construire un ordre mondial véritablement juste. Et dans cet ordre mondial, c'est le monde russe, et pas seulement la Russie en tant qu'État, qui est un pôle à part entière, le centre d'intégration, une formation civilisationnelle unique fondée sur ses propres valeurs traditionnelles, qui peuvent en partie coïncider et en partie différer des valeurs d'autres civilisations. Personne ne peut dire de l'extérieur ce que doit être ou ne pas être le monde russe. Seuls ses peuples, son histoire, son esprit et son cheminement dans l'histoire en décident.
Ce sont là les principaux thèmes du Conseil mondial des peuples russes consacré au monde russe.
18:40 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre douguine, russie, monde russe, multipolarité | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 10 novembre 2023
Alexandre Douguine : Ma vision du nouvel ordre mondial et de la guerre de Gaza
Alexandre Douguine : Ma vision du nouvel ordre mondial et de la guerre de Gaza
Dans un monde multipolaire, Israël et l'Ukraine sont des agents de l'hégémonie occidentale.
De nouvelles civilisations se développent, notamment les civilisations chinoise, islamique, indienne, africaine et latino-américaine. La Russie les considère comme des alliés et des partenaires potentiels dans un ordre multipolaire authentique et équitable, explique Alexandre Douguine.
Aleksandr Douguine
Source: https://en.majalla.com/node/303746/politics/aleksandr-dug...
L'ordre mondial actuel semble être en phase de transition. Nous assistons à l'abandon d'un monde unipolaire, né de l'effondrement de l'Union soviétique et de la désintégration du bloc soviétique, au profit d'un monde multipolaire.
Les fondements de ce monde multipolaire deviennent de plus en plus évidents, avec des acteurs clés tels que la Russie, la Chine, le monde islamique, l'Inde, et potentiellement l'Afrique et l'Amérique latine. Ces entités représentent des civilisations distinctes, dont beaucoup sont réunies au sein du groupe des BRICS.
Notamment, après le sommet de Johannesburg de 2023, ce groupe s'est élargi pour inclure des pays importants du monde islamique, comme le Royaume d'Arabie saoudite, l'Iran et l'Égypte, ainsi que l'Éthiopie, qui renforce la perspective africaine, et l'Argentine, qui consolide la présence des pays d'Amérique du Sud.
Cette expansion souligne l'influence croissante de l'ordre mondial multipolaire tout en signalant un affaiblissement de l'hégémonie occidentale.
La détermination des États-Unis et de l'Occident à préserver leur domination unilatérale
Les États-Unis et les puissances occidentales s'accrochent résolument au concept d'unilatéralisme. Au premier rang du leadership mondial, les États-Unis, en particulier, sont déterminés à maintenir leur domination dans les domaines militaire, politique, économique, culturel et idéologique. Cette quête permanente d'unipolarité constitue la contradiction centrale de notre époque, marquée par l'intensification de la lutte entre l'unipolarité et la multipolarité.
Dans ce contexte, il est impératif d'examiner les conflits et les développements clés de la politique mondiale, notamment les efforts visant à saper la Russie qui réaffirme sa souveraineté et sa présence en tant que pôle indépendant. Cette dynamique permet d'élucider le conflit persistant en Ukraine.
Le soutien du monde occidental au président ukrainien Volodymyr Zelensky est motivé, en grande partie, par le désir d'empêcher la Russie de réapparaître en tant qu'acteur mondial autonome - une aspiration défendue par le président Vladimir Poutine tout au long de son mandat.
Poutine a renforcé la souveraineté politique de la Fédération de Russie et a progressivement souligné le statut de la Russie en tant que civilisation indépendante qui non seulement s'oppose à l'hégémonie occidentale, mais rejette également son système de valeurs.
La Russie a affirmé sans ambiguïté son attachement aux valeurs traditionnelles tout en rejetant fermement le libéralisme occidental, y compris sa promotion de l'agenda des droits des homosexuels et d'autres normes idéologiques occidentales, que la Russie perçoit comme des aberrations et des déviations.
En réponse, l'Occident a activement soutenu le coup d'État de 2014 à Kiev, a fourni une aide militaire considérable à l'Ukraine, a favorisé la diffusion de l'idéologie néonazie dans le pays et a provoqué la Russie à lancer une opération militaire extraordinaire.
Sans l'intervention de Poutine, Kiev aurait probablement pris des mesures similaires de manière indépendante, ce qui a conduit à l'ouverture du premier front dans la lutte acharnée entre la multipolarité et l'unipolarité en Ukraine.
Simultanément, la Russie, sous la direction de Poutine, reconnaît qu'elle ne peut pas être l'un des deux pôles de ce monde, comme c'était le cas à l'époque de l'Union soviétique.
De nouvelles civilisations se développent, notamment les civilisations chinoise, islamique, indienne, africaine et latino-américaine. La Russie les considère comme des alliés et des partenaires potentiels dans un ordre multipolaire authentique et équitable, une perspective qui n'est pas encore largement reconnue par le reste du monde.
Cependant, la prise de conscience du concept de multipolarité se fait progressivement et se renforce, comme en témoigne la situation de Taïwan, qui n'a pas été épargnée pour devenir le prochain point chaud de la confrontation entre l'unipolarité et la multipolarité, notamment dans la région du Pacifique.
De nouvelles civilisations se développent, notamment les civilisations chinoise, islamique, indienne, africaine et latino-américaine. La Russie les considère comme des alliés et des partenaires potentiels dans le cadre d'un ordre multipolaire authentique et équitable, une perspective qui n'est pas encore largement reconnue par le reste du monde.
La guerre d'Israël contre Gaza annonce une confrontation plus large
Les événements en Israël et dans la bande de Gaza sont étroitement liés à cette question. Deux incidents tragiques se sont succédé rapidement. Tout d'abord, le Hamas a attaqué Israël, faisant un grand nombre de victimes civiles et enlevant des otages.
Ensuite, Israël a lancé des frappes de représailles sur la bande de Gaza, caractérisées par une grande brutalité et un nombre important de victimes civiles, en particulier des femmes et des enfants. Ces actions constituent sans équivoque des violations des droits de l'homme et des crimes contre l'humanité et n'ont aucune raison d'être.
Mais en même temps, l'application par Israël des principes de la "lex talionis" (un principe qui s'est développé au début du droit babylonien et qui stipule qu'une punition infligée doit correspondre en degré et en nature à l'infraction commise par le malfaiteur, comme œil pour œil, dent pour dent) a abouti à ce qui est décrit comme un génocide généralisé et à des conditions de vie brutales pour les habitants de la bande de Gaza.
Tant l'attaque du Hamas que la réponse d'Israël sont considérées comme des actions qui sortent du cadre des méthodes humanitaires acceptées pour résoudre les conflits politiques.
Le paysage géopolitique entre ensuite en jeu et, bien que l'ampleur des actions d'Israël soit considérablement plus importante, l'évaluation de la situation dans la bande de Gaza ne dépend pas uniquement de cela, mais plutôt des tendances géopolitiques sous-jacentes.
Les événements en Israël, y compris l'attaque du Hamas et la réponse d'Israël, ont conduit à une confrontation plus large entre l'Occident et le monde islamique. Cette confrontation découle de ce qui est perçu comme un soutien inconditionnel et unilatéral à Israël malgré la nature explicite des crimes commis contre la population civile de Gaza.
Le monde islamique est présenté comme un pôle distinct face aux actions d'Israël à Gaza et dans les territoires palestiniens au sens large, tout en tenant compte des injustices subies par les Palestiniens qui ont été déplacés de leurs terres pour vivre dans des régions pauvres et isolées.
L'unité du monde islamique est devenue indéniable, la question palestinienne servant de force unificatrice qui rassemble les sunnites, les chiites, les Turcs et les Iraniens, ainsi que les factions impliquées dans les conflits internes au Yémen, en Syrie, en Irak et en Libye.
Cette question concerne directement des pays comme le Pakistan, l'Indonésie, la Malaisie et le Bangladesh.
En outre, les musulmans résidant aux États-Unis d'Amérique, en Europe, en Russie et en Afrique ne peuvent rester indifférents. Notamment, malgré leurs disparités politiques, les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de la région du Jourdain sont unis dans un effort collectif pour sauvegarder leur dignité.
L'unité du monde islamique est devenue indéniable, la question palestinienne servant de force unificatrice qui rassemble les sunnites, les chiites, les Turcs et les Iraniens, ainsi que les factions impliquées dans les conflits internes au Yémen, en Syrie, en Irak et en Libye.
La cause palestinienne et les États-Unis
Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont réussi à empêcher les musulmans de s'unir autour de la question palestinienne et à les encourager à normaliser leurs relations avec Israël.
Mais ces tentatives ne sont plus couronnées de succès. Tous ces efforts se sont avérés vains ces dernières semaines, car le soutien sans équivoque à Israël se poursuit. Les massacres de civils perpétrés par Israël à Gaza, dont l'ensemble de la communauté internationale a été témoin, obligent le monde islamique à mettre de côté ses divergences internes et à envisager une confrontation directe avec l'Occident.
Israël, tout comme l'Ukraine, n'est rien d'autre qu'un instrument de l'hégémonie occidentale dominatrice et impitoyable. Il n'hésite pas à commettre des actes criminels ou à adopter une rhétorique et des actions racistes.
Toutefois, le fond du problème ne réside pas dans Israël lui-même, mais plutôt dans son rôle d'outil géopolitique dans le cadre d'un monde unipolaire. Cela correspond précisément à ce que le président Vladimir Poutine a récemment exprimé lorsqu'il a parlé de la toile d'hostilité et de conflits tissée par des "araignées", métaphore des mondialistes employant des tactiques colonialistes fondées sur le principe "diviser pour régner".
Pour contrer efficacement ceux qui s'efforcent désespérément de préserver le monde unipolaire et la domination occidentale, il est essentiel de comprendre l'essence de leur stratégie. Armés de cette compréhension, nous pouvons consciemment construire un modèle alternatif pour faire face à cet agenda, aller de l'avant avec confiance et nous unir pour établir un monde multipolaire.
Le conflit en cours dans la bande de Gaza et en Palestine dans son ensemble constitue un défi direct non seulement pour des groupes spécifiques ou même pour les Arabes en général, mais aussi pour l'ensemble du monde islamique et de la civilisation islamique. Il est de plus en plus évident que l'Occident s'est engagé dans une confrontation avec l'Islam lui-même, une réalité désormais reconnue par beaucoup.
Nécessité collective de défendre les nations musulmanes contre les mauvais traitements
Des nations telles que l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Iran et le Pakistan aux régions s'étendant de la Tunisie au Bahreïn, des salafistes aux sunnites et aux soufis, en passant par les diverses factions politiques en Palestine, en Syrie, en Libye et au Liban, ainsi que par la division entre chiites et sunnites, il existe un besoin collectif de défendre la dignité de la civilisation islamique. Celle-ci s'affirme comme une civilisation souveraine et indépendante qui rejette tout mauvais traitement.
L'évocation par Erdogan du djihad comme réponse au conflit rappelle les croisades historiques, mais cette analogie ne permet pas de saisir pleinement l'essence de la situation actuelle. La mondialisation occidentale moderne s'est considérablement éloignée de la civilisation chrétienne, ayant rompu de nombreux liens avec la culture chrétienne en faveur du matérialisme, de l'athéisme et de l'individualisme.
Le christianisme n'a pas grand-chose à voir avec les sciences matérielles ou le système socio-économique principalement axé sur le profit, et il n'approuve certainement pas la légalisation des déviations ou l'adoption de la pathologie comme norme, ni l'inclination vers une existence post-humaine - un concept promu avec enthousiasme par le philosophe post-humaniste israélien Yuval Harari.
L'Occident, dans sa forme contemporaine, représente un phénomène antichrétien, sans aucun lien avec les valeurs du christianisme ou l'adhésion à la croix chrétienne. Il est essentiel de reconnaître que lorsque le monde islamique s'oppose à l'Occident, il ne s'engage pas dans un conflit avec la civilisation du Christ, mais plutôt avec une civilisation antichrétienne, que l'on peut qualifier de civilisation de l'Antéchrist.
La Russie, acteur mondial important, est activement engagée dans une guerre avec l'Occident sur le sol de l'Ukraine.
Malheureusement, en raison de l'influence de la propagande occidentale, de nombreux pays islamiques n'ont pas pleinement saisi les raisons sous-jacentes, les objectifs et la nature de ce conflit, le percevant souvent comme un simple différend régional. Toutefois, la mondialisation ayant un impact direct sur les musulmans du monde entier, l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine revêt une signification très différente.
En fin de compte, il s'agit d'un conflit entre un monde multipolaire et un monde unipolaire, c'est-à-dire que cette guerre sert les intérêts non seulement de la Russie en tant que pôle mondial, mais aussi indirectement, voire directement, de tous ces pôles. La Chine est bien équipée pour comprendre cela, et au sein du monde islamique, l'Iran fait partie de ceux qui peuvent saisir cette perspective.
Notamment, la conscience géopolitique a rapidement progressé dans d'autres sociétés islamiques, y compris dans le Royaume d'Arabie saoudite, en Égypte, en Turquie, au Pakistan et en Indonésie. Cela a conduit à des initiatives telles que la réconciliation entre l'Arabie saoudite et l'Iran et la poursuite d'une politique souveraine par la Turquie.
Le massacre massif de civils à Gaza par Israël, dont l'ensemble de la communauté mondiale a été témoin, oblige le monde islamique à mettre de côté ses divergences internes et à envisager une confrontation directe avec l'Occident.
Motivations russes et spectre de la troisième guerre mondiale
Alors que le monde islamique se reconnaît de plus en plus comme un pôle important et une civilisation unifiée, les motivations des actions russes deviennent plus évidentes et compréhensibles.
Le président Vladimir Poutine a déjà acquis une renommée internationale et jouit d'une grande popularité dans le monde entier, en particulier dans les pays non occidentaux. Cette popularité donne un sens précis et une justification claire à ses décisions stratégiques.
En substance, la Russie combat vigoureusement l'unipolarité, ce qui se traduit par une lutte plus large contre la mondialisation et l'influence hégémonique de l'Occident. Aujourd'hui, nous voyons l'Occident, souvent perçu comme agissant par l'intermédiaire de son mandataire, Israël, cibler le monde islamique et soumettre les Palestiniens à un génocide.
Cela signifie que le moment de l'Islam arrive au milieu de cette guerre entre les musulmans et l'hégémonie occidentale qui pourrait éclater à tout moment. D'après ce que je sais des Israéliens, il ne fait aucun doute qu'ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas éliminé les Palestiniens.
"La guerre apparaît maintenant comme véritablement globale à l'échelle d'un conseil d'administration". Dans ce cas, avant tout, le monde islamique a des alliés objectifs, comme la Russie ainsi que la Chine, qui a le problème de Taïwan à résoudre prochainement. D'autres fronts émergeront probablement au fil du temps.
La question qui se pose ici est de savoir si cela pourrait conduire à l'éclatement d'une troisième guerre mondiale. Cela semble très probable et, dans un sens, c'est déjà en cours.
Pour que la guerre s'étende à l'échelle mondiale, il faut impérativement une masse critique de contradictions non résolues nécessitant une résolution militaire. Cette condition est remplie. Les puissances occidentales ne sont pas disposées à renoncer volontairement à leur domination, et les nouveaux pôles, les civilisations indépendantes émergentes et les régions étendues ne souhaitent plus accepter cette domination ni la tolérer.
En outre, l'incapacité des États-Unis et de l'Occident collectif au sens large à être les leaders de l'humanité sans abandonner les politiques qui incitent et alimentent de nouveaux conflits et de nouvelles guerres a été prouvée.
La guerre inévitable doit être gagnée.
Aujourd'hui, nous voyons l'Occident, souvent considéré comme agissant par l'intermédiaire de son mandataire, Israël, cibler le monde islamique et soumettre les Arabes palestiniens à un génocide. Cela signifie que le moment de l'Islam arrive, au milieu de cette guerre entre les musulmans et l'hégémonie occidentale qui pourrait éclater à tout moment.
Trump contre Biden
En fin de compte, quel rôle joue l'ancien président américain Donald Trump dans l'escalade des confrontations entre l'Islam et l'Occident ? Le président Joe Biden est un fervent défenseur de la mondialisation, un opposant à la Russie et un fervent partisan de l'unipolarité.
Cela explique précisément son soutien indéfectible au nouveau régime nazi de Kiev et son exonération totale d'Israël pour ses actions, y compris le génocide direct.
La position de Trump est toutefois différente. Il incarne une perspective nationaliste classique, donnant la priorité aux intérêts des États-Unis en tant que nation plutôt qu'à des plans hâtifs de domination mondiale.
En ce qui concerne les relations avec la Russie, M. Trump fait preuve d'indifférence, se concentrant davantage sur les questions de commerce et de concurrence économique avec la Chine. Néanmoins, il est à la fois soumis et totalement influencé par le puissant lobby sioniste au sein des Etats-Unis.
Par conséquent, la guerre imminente entre l'Occident et l'Islam ne doit pas être accueillie avec complaisance, non seulement du point de vue occidental, mais aussi du point de vue des Républicains dans leur ensemble.
Dans ce contexte, si Trump devait reprendre la présidence, il pourrait potentiellement diminuer le soutien à l'Ukraine, une préoccupation cruciale pour la Russie. Cependant, il pourrait adopter une approche encore plus stricte à l'égard des musulmans et des Palestiniens, dépassant même la sévérité des politiques de Biden.
Le réalisme est impératif et nous devons nous préparer à un conflit difficile, sérieux et prolongé à l'horizon.
Il est important de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un conflit religieux, mais plutôt d'une guerre d'imposteurs matérialistes et athées contre toutes les religions traditionnelles. Cela signifie que le moment de l'ultime bataille est peut-être arrivé.
Biden est un fervent défenseur de la mondialisation, il s'oppose à la Russie et soutient ardemment l'unipolarité. La position de Trump, en revanche, est différente. Il incarne une perspective nationaliste classique, donnant la priorité aux intérêts des États-Unis en tant que nation plutôt qu'à des plans hâtifs de domination mondiale.
Le spectre de la guerre nucléaire et la mort du système unipolaire
Le conflit imminent se dirige-t-il vers une guerre nucléaire ? Cette perspective ne peut être écartée, surtout si l'on considère l'utilisation potentielle d'armes nucléaires tactiques.
Il est improbable que les nations possédant des capacités nucléaires stratégiques, telles que la Russie et les pays de l'OTAN, aient recours à ces armes, compte tenu des conséquences catastrophiques pour l'humanité.
Toutefois, si l'on considère qu'Israël, le Pakistan et peut-être l'Iran possèdent des armes nucléaires, il n'est pas exclu qu'elles puissent être utilisées dans des contextes localisés.
Quelle sera la configuration de l'ordre mondial au cours de cette confrontation imminente ?
Il n'y a pas de réponse toute faite à cette question. Toutefois, une chose peut être définitivement exclue, à savoir l'établissement d'un système mondial robuste, stable et unipolaire - un concept ardemment défendu par les partisans de la mondialisation.
Quelles que soient les circonstances, un monde unipolaire est impossible. Le monde sera soit multipolaire, soit inexistant. Plus l'Occident est déterminé à maintenir sa domination, plus la bataille qui s'ensuivra risque d'être féroce et de dégénérer en une troisième guerre mondiale.
La multipolarité n'apparaîtra pas spontanément. Aujourd'hui, un processus crucial de rassemblement est en cours au sein du monde islamique. Si les musulmans peuvent s'unifier contre un adversaire commun redoutable, l'émergence d'un pôle de pouvoir islamique devient viable.
À mon avis, le rétablissement de Bagdad et de son rôle central en Irak pourrait constituer une solution idéale. L'Irak est le point de convergence de plusieurs courants majeurs de la civilisation islamique, notamment les Arabes, les Sunnites, les Chiites, les Soufis, les Salafis, les Indo-Européens, les Kurdes et les Turcs. Bagdad, en particulier, a été historiquement un centre où les sciences, l'éducation religieuse, la philosophie et les mouvements spirituels ont prospéré.
Néanmoins, cette proposition reste spéculative. Néanmoins, il est évident que le monde islamique aura besoin d'une base unificatrice ou d'un terrain d'entente.
Bagdad pourrait potentiellement servir de plate-forme ou de point d'équilibre. Toutefois, pour que cette vision se concrétise, l'Irak doit d'abord être libéré de la présence des forces américaines.
Il semble que chaque pôle de pouvoir doive affirmer son droit à l'existence par le biais d'un conflit. La Russie, après avoir remporté la victoire en Ukraine, deviendra un pôle pleinement souverain. De même, une fois la question de Taïwan résolue, la Chine s'imposera comme un pôle important.
Le monde islamique, quant à lui, insiste sur une résolution équitable du problème palestinien.
Les développements ne s'arrêteront pas là ; à terme, les rôles de l'Inde, de l'Afrique et de l'Amérique latine, qui sont actuellement de plus en plus confrontés aux nouvelles forces de la colonisation, deviendront également significatifs.
Par conséquent, tous les pôles du monde multipolaire devront relever les défis et les épreuves qui leur sont propres.
À terme, les rôles de l'Inde, de l'Afrique et de l'Amérique latine, qui sont actuellement de plus en plus confrontés aux nouvelles forces de la colonisation, deviendront également significatifs. Par conséquent, tous les pôles du monde multipolaire devront relever les défis et les épreuves qui leur sont propres.
Le multipolarisme est probable
Par la suite, nous pourrions assister à un retour partiel à l'ordre mondial qui prévalait avant Christophe Colomb, où divers empires coexistaient avec l'Europe occidentale.
Ces empires comprenaient les empires chinois, indien, russe, ottoman et perse, ainsi que de solides États indépendants en Asie du Sud, en Afrique, en Amérique latine et même en Océanie. Chacune de ces entités avait ses propres systèmes politiques et sociaux, que les Européens ont ensuite assimilés à la barbarie et à la sauvagerie.
Par conséquent, le multipolarisme est tout à fait plausible, ce qui était le cas pour l'humanité avant l'émergence de la politique impériale mondiale occidentale à l'ère moderne.
Cela n'implique pas l'instauration immédiate d'une paix mondiale, mais un tel système mondial multipolaire serait intrinsèquement plus juste et plus équilibré.
Tous les conflits seraient abordés sur la base d'une position juste et collective, dans laquelle l'humanité serait protégée des injustices raciales telles que celles observées dans l'Allemagne nazie, dans l'Israël contemporain ou dans la domination agressive de l'Occident mondial.
*Traduit et coordonné par Ramia Yahia
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jeudi, 09 novembre 2023
La stratégie multipolaire de l'Inde
La stratégie multipolaire de l'Inde
Tiberio Graziani
Source: https://www.geopolitika.ru/pt-br/article/estrategia-multipolar-da-india
"Il y a assez sur terre pour les besoins de tous, mais pas pour l'avidité de quelques-uns".
Mohandas K. Gandhi
"Le statut de puissance de second rang, qu'une communauté internationale toute puissante accorde à de nombreuses nations [...], ne peut plus s'appliquer à l'Inde du XXIe siècle."
Olivier Guillard
"Du fait de la stratégie globale de l'Amérique et de sa quête d'hégémonie, l'Inde et la Chine sont soumises à une pression importante. Ce sont les nations les plus peuplées du monde et elles ne peuvent pas être facilement influencées et contrôlées."
A.S. Hasan
La croissance économique de l'Inde
Comme la Chine, bien qu'à un rythme plus lent (environ 6 % par an), l'Inde a également enregistré un taux de croissance économique si élevé au cours des quinze dernières années qu'elle peut figurer parmi les quatre économies les plus importantes de la planète dans les projections pour 2020 réalisées par la Banque mondiale et le FMI. Une autre donnée pertinente, qui doit toujours être prise en compte dans l'analyse de nations caractérisées par une masse démographique importante (1.028.610.328 habitants dans le cas de la République du Bhārat, selon le recensement de 2001), est également son pourcentage de croissance annuelle qui, bien que peu élevé, puisqu'il n'est que d'environ 1,6% (1998-2003), constitue un paramètre d'évaluation important et indispensable pour comprendre le rôle et le poids que l'Inde acquerra au niveau mondial dans les prochaines décennies.
Passer de la 11ème à la 4ème place dans le classement des plus grandes économies mondiales est l'objectif tant du gouvernement de Manmohan Singh, père des réformes "libérales" et représentant de la coalition menée par le Parti du Congrès, que de l'opposition composite, nationale et anti-libérale, qui voit dans le Parti du Peuple (Bharatiya Janata Party), considéré comme de droite selon les schémas occidentaux, le Parti Communiste de l'Inde et le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de l'Inde, des alliés objectifs.
L'adoption d'un modèle particulier de "développement", qui favorise une spécialisation considérable dans le secteur tertiaire avancé et un intérêt spécifique pour la recherche scientifique et technologique, a permis à l'Inde de s'attribuer, au sein de l'économie mondiale, le rôle d'"attracteur global" des secteurs des services et de la recherche scientifique, avec une référence particulière aux domaines économiquement "sensibles" tels que les produits pharmaceutiques et les technologies de l'information, qui ont toujours été gardés par les États-Unis et le Royaume-Uni. Récemment (2005), pour ne citer qu'un exemple, le Sénat américain a approuvé une mesure visant à exclure des achats gouvernementaux les entreprises qui ont délocalisé (ne serait-ce que 50 emplois) au cours des cinq dernières années.
Au cours de la dernière décennie, les gouvernements indiens ont non seulement soutenu la croissance économique du pays et facilité sa participation progressive à l'économie mondiale par une diplomatie pragmatique, mais ils ont également lancé de vastes programmes visant à moderniser les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires, ainsi que le réseau d'approvisionnement en énergie. Ces programmes peinent cependant à se concrétiser en raison des tensions internes générées par la confrontation entre la tendance profondément "libérale" du gouvernement actuel et l'opposition.
Une stratégie multipolaire
L'Inde, comme l'autre colosse asiatique, la Chine, tente de tirer parti de son récent essor économique sur la scène internationale également, en se faisant connaître et reconnaître non seulement comme un "partenaire" occasionnel, théoriquement "stratégique", mais aussi et surtout comme une puissance nucléaire et un membre constitutif d'un nouvel ordre planétaire.
En effet, à l'analyse de ses actions de politique étrangère, l'Inde semble avoir pleinement compris le moment historique actuel, qui se caractérise par une période de transition entre l'ancien système bipolaire et un futur système multipolaire en formation. Une période historique de transition, soulignons-le, où le degré de rupture semble avoir atteint son apogée, puisque l'incertaine "régence unipolaire" de l'hyperpuissance américaine montre de plus en plus de signes de déclin, parmi lesquels nous mentionnons : le "bourbier" irakien, l'acceptation à contrecœur de la politique nucléaire de l'Inde, la coopération russo-chinoise dans le domaine militaire, les relations "spéciales" entre certains pays d'Amérique du Sud, principalement le Brésil et le Venezuela, avec la Chine, l'Inde et la Russie.
La conscience, métabolisée par l'Inde, qu'elle se trouve dans un processus de transition vers un nouvel ordre mondial et l'expérience qu'elle a acquise en tant que puissance régionale depuis le jour de son indépendance (15 août 1947) jusqu'au début des années 1990, symboliquement soulignée à plusieurs reprises (en 1955, à l'occasion de la Conférence de Bandung des "pays non-alignés", en 1974, avec les premières expériences nucléaires), l'obligent à assumer une responsabilité qui n'est pas seulement régionale, mais mondiale.
Une responsabilité qui découle précisément du rôle géopolitique que New Delhi a joué au cours de la seconde moitié du siècle dernier. L'Union indienne, en effet, bien avant la Chine et d'autres nations importantes de ce que l'on appelait, dans la publicité de l'époque, le "tiers monde", a compris que le système bipolaire était en équilibre précaire et, pour cette raison, est devenue la marraine du mouvement des pays non alignés et le "correcteur" du fossé entre les États-Unis et le "bloc soviétique", en adhérant à des accords d'amitié avec ce dernier. Rappelons que l'amitié avec l'Union soviétique a également été renforcée par les frictions entre Pékin et New Delhi, qui se sont traduites, comme on le sait, par les affrontements armés de 1962-63 et, surtout, par le choix chinois de faire partie de l'accord nixonien Washington-Islamabad-Pékin.
Le rôle de "broker" que l'Inde a assumé dans le cadre du système géopolitique précédent lui permet cette fois de renforcer ses liens avec Moscou, mais sur la base de la parité et d'une autonomie accrue, tandis que sa participation au mouvement des non-alignés fait d'elle un candidat pour être, avec la Russie et la Chine, l'un des pays guides d'un hypothétique système multipolaire. Pour confirmer cette stratégie, il convient de mentionner les récents accords signés avec la Chine sur les différends frontaliers et la collaboration technologique et scientifique dans le domaine de l'énergie.
L'établissement d'un axe Moscou-Beijing-New Delhi semble donc être un fait établi. A ce dispositif, géopolitiquement pertinent pour l'autonomie de la masse continentale eurasiatique par rapport à la tutelle américaine, il manque un pendant indispensable et irremplaçable, celui qui l'émanciperait totalement, de l'Atlantique au Pacifique, et rendrait possible une pax Eurasiatica : l'axe européen Paris-Berlin-Moscou.
Pour ne pas contrarier le travail des gouvernements de Moscou, Pékin et New Delhi dans la construction d'un nouveau système qui tienne compte des particularités et des aspirations nationales, et pour avoir surtout un rôle égal dans la future configuration multipolaire, il appartient aux décideurs européens de faire un choix fonctionnel de terrain dans l'intérêt de leurs propres peuples et du continent eurasiatique.
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samedi, 28 octobre 2023
L'Inde, du géant aux pieds d'argile à acteur actif sur l'échiquier géopolitique?
L'Inde, du géant aux pieds d'argile à acteur actif sur l'échiquier géopolitique?
Peter W. Logghe
Source: Nieuwsbrief Knooppunt Delta, n° 183, octobre 2023
Les lecteurs attentifs se souviendront sans doute de précédentes contributions dans cette Newsletter et dans le magazine trimestriel TeKoS (n°157 notamment), dans lesquelles nous avons déjà largement parlé des défis géopolitiques de l'Inde et du rôle plutôt restreint que ce pays géant a joué sur la scène mondiale jusqu'à présent. Un rôle discret, en décalage avec ses immenses atouts économiques et la taille de sa population.
Certains éléments suggèrent que l'Inde, sous la houlette du nationaliste hindou Modi, a l'intention de jouer un rôle plus actif dans la politique mondiale et de s'affirmer davantage au niveau régional, en Asie du Sud-Est. Le Premier ministre indien Narendra Modi, par exemple, a assumé la présidence du G-20 en septembre 2023, et le président américain Joe Biden est déjà venu prendre un petit café chez lui pour mettre en avant les "relations chaleureuses" entre les deux pays. En juin, le même Modi a effectué une visite d'État aux États-Unis. Le récent incident au cours duquel le Canada a accusé l'Inde d'être impliquée dans le meurtre d'un militant sikh au Canada peut également servir d'illustration du rôle géopolitique croissant de l'Inde sur la scène mondiale. L'incident a été déclenché par des rapports en provenance des États-Unis, que les commentateurs politiques ont décrits comme "particulièrement désagréables pour les États-Unis de Biden", qui étaient sur le point d'entamer de nouvelles relations intenses avec l'Inde.
Le 14 juillet, le Premier ministre indien Modi était en visite en France et a passé en revue les troupes françaises avec le président français Emmanuel Macron. Une visite officielle au cours de laquelle Macron a voulu souligner le rôle important de l'Inde sur l'échiquier géopolitique. Mais avant cela, il y a aussi eu l'atterrissage réussi d'une fusée indienne au pôle sud de la lune. Par ailleurs, l'Inde vient de lancer une mission d'observation du soleil - l'Inde déborde d'ambition, ne le constate-t-on pas?
Après la Seconde Guerre mondiale, le premier Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, a lancé, avec le Mouvement des pays non alignés, une stratégie de neutralité entre les deux blocs de puissance pendant la guerre froide. Cette stratégie de neutralité devait fournir à l'Inde d'importantes ressources (financières et autres).
Aujourd'hui, la constellation mondiale n'est plus la même et la politique étrangère de l'Inde est également différente.
Le ministre indien des affaires étrangères et ancien diplomate, Subrahmanyam Jaishankar, a défini les points clés d'une nouvelle politique étrangère de l'Inde en 2020 dans un livre intitulé : The Indian Way : Strategies for an uncertain world (La voie indienne: stratégies pour un monde incertain). Il y a trois axes principaux :
- La primauté de l'intérêt national et une approche politique réelle du monde. L'Inde n'a pas d'alliés mais des partenaires, avec lesquels elle négociera au cas par cas. Un monde multipolaire, en d'autres termes.
- L'Inde veut être au centre du grand jeu géopolitique et profiter des rivalités entre les grandes puissances. En même temps, elle veut rendre l'Inde incontournable en tant que décideur dans les décisions mondiales.
- Les contradictions inhérentes à la stratégie multipolaire doivent être exploitées au maximum par l'Inde. Les partenaires peuvent être aussi bien la Russie que les États-Unis, la Chine, le Japon, etc.
Totalement absent de nos grands médias, le compte-rendu de la discussion à la Chambre des représentants de l'Inde, le Lok Sabha, le 5 avril 2022. Il en ressort une quasi-unanimité au sein du parlement sur la proposition selon laquelle l'Inde devrait occuper une position centrale dans la politique mondiale actuelle et pourrait parfaitement jouer le rôle de médiateur dans les conflits majeurs. Dans son livre The Indian Way, le ministre en chef Jaishankar avait déjà écrit : "Il est temps pour nous de donner des réponses aux États-Unis, de mettre la Chine en bonne posture, de donner des assurances à la Russie, de donner un rôle au Japon, de nous rapprocher de nos voisins et de renforcer notre base de soutien traditionnelle".
Il n'est donc pas surprenant que l'Inde soit devenue à la fois membre de l'Organisation de coopération de Shanghai (créée et dirigée par la Chine), membre éminent des BRICS (organisation de pays émergents en développement) et du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (avec le Japon, l'Australie et les États-Unis - conçu pour limiter l'influence de la Chine). La mission principale de l'Inde dans toutes ces organisations est de défendre ses propres intérêts nationaux. Elle le fera désormais non pas de manière idéologique (comme pendant la guerre froide) mais plutôt de manière pragmatique.
L'importance économique croissante de l'océan Indien
Dans la revue française de géopolitique Conflits (n° 47 - septembre/octobre 2023), dont l'intérêt ne cesse de croître, Charles Gave souligne l'importance économique croissante de l'océan Indien et la situation géopolitique fortement modifiée depuis la mise en place de la nouvelle route de la soie chinoise et la guerre de la Russie en Ukraine. Le boycott de l'Occident a contraint la Russie à trouver de nouveaux débouchés pour ses produits, en déplaçant ses priorités économiques vers l'est et le sud du globe.
Par exemple, la Russie (deuxième exportateur de pétrole) a exporté du pétrole vers la Chine et a été payée en renminbi, la monnaie chinoise. La Russie a également mis en place une nouvelle route commerciale vers le sud, via la mer Caspienne, l'Iran et l'Inde, appelée le corridor international de transport nord-sud. Il s'agit d'une route commerciale internationale perpendiculaire à la nouvelle route de la soie chinoise, allant d'est en ouest. Si certains prédisent un boom économique pour les pays situés le long de cette nouvelle route commerciale (Inde, Turkménistan, Azerbaïdjan, Asie centrale avec l'Irak et l'Iran), d'autres experts économiques estiment qu'il ne s'agit que de paroles en l'air. Dans l'ensemble, il s'agit tout de même de 2 milliards de personnes.
Il semble bien que l'Inde soit en train de cataloguer ses atouts géopolitiques et de jouer cartes sur table. Ce géant asiatique aux pieds d'argile est-il en train de se réveiller ?
Peter Logghe
15:46 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : inde, politique internationale, multipolarité, diplomatie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 17 octobre 2023
La multipolarité, un ordre encore à construire
La multipolarité, un ordre encore à construire
Guy Mettan
Source: https://www.geopolitika.ru/fr/article/la-multipolarite-un...
Discours de Guy Mettan à la Conférence européenne sur la multipolarité, le 4 septembre 2023
Fin août, la réunion des BRICS à Johannesburg s’est terminée avec la décision d’élargir le groupe des cinq membres fondateurs à onze membres avec six nouveaux pays. Début septembre, la réunion du G20 à New Dehli s’est achevée par une déclaration commune qui renforçait le point de vue des pays du sud et refusait de condamner la Russie comme le demandaient les pays occidentaux.
Bien sûr, on aurait pu souhaiter davantage, un accroissement plus rapide, une dédollarisation plus active, une vision politique plus aiguë, un calendrier plus ambitieux. Mais les progrès sont nets et mieux vaut avancer lentement mais sûrement que multiplier les grands discours sans lendemain.
Car il ne faut pas se faire d’illusion, l’Occident ne restera pas sans réagir et fera tout ce qui est en son pouvoir pour torpiller la construction d’un monde réellement multipolaire, en essayant de diviser pour mieux régner, comme il a si bien su le faire jusqu’ici. On n’a jamais vu, dans l’histoire de l’humanité, une puissance dominante ou hégémonique partager son pouvoir sans combattre, par pur esprit de charité.
C’est pourquoi je pense qu’il est essentiel pour les partisans d’un ordre mondial multipolaire d’améliorer l’intégration économique et politique des pays d’Asie et du Sud d’une part, et l’attractivité de ce processus d’autre part. Or, en matière de soft power, l’Occident est toujours imbattable.
Nous devons en effet comprendre, comme le dit l’essayiste Caitlin Johnstone que « les hommes les plus puissants dans le monde sont ceux qui ont compris que le pouvoir réel n’appartient pas à celui qui contrôle le plus de votes, de troupes ou d’armes, mais à celui qui contrôle le narratif. Ils ont compris que le pouvoir consiste à contrôler ce qui arrive mais que le pouvoir absolu consiste à contrôle ce que les gens pensent à propos de ce qui arrive. Quand vous contrôlez les histoires qui rôdent dans la tête des gens, vous pouvez contrôler où vont les votes. Vous pouvez contrôler où va l’argent. Et où vont les troupes et les armes. Parce que les êtres humains sont des créatures qui ont besoin d’un narratif, si vous pouvez dominer ce narratif, vous pouvez dominer les humains. »
Il se trouve que l’Occident maitrise à la fois les contenus, les réseaux et les supports de communication qui assurent à son narratif une audience supérieure à celle des autres pays du monde. Il est rompu aux techniques de propagande et de diffusion de son message. Il a aussi l’avantage de parler d’une seule voix, du Japon au Canada, de l’Australie aux Etats-Unis en passant par l’Europe bien évidemment. Cette union fait sa force car aucun membre des BRICS, aussi puissant soit-il, n’est capable à lui seul de concurrencer l’Occident sur la scène internationale et dans les organisations qui comptent.
En revanche, quand le Sud global est uni et travaille dans un but commun, à savoir réformer la gouvernance mondiale, construire un ordre mondial plus équitable et mieux répartir les richesses, son pouvoir de conviction et d’attraction est plus puissant que celui de l’Occident. On l’a vu avec la capacité des BRICS à attirer de nouveaux membres alors que le G7 se replie sur ses acquis et son pré carré. Si nous voulons améliorer le soft power de l’ordre multipolaire, il est donc essentiel de se détacher des intérêts particuliers, des visions nationales propres à tel ou tel membre, et de travailler sur ce qui unit, de définir des objectifs communs, à partir des valeurs et des principes d’équité, de respect mutuel, de partage du pouvoir, d’égalité des civilisations qui sont à l’origine de la conception multipolaire du monde.
C’est dans cet esprit qu’avec quelques amis nous avons proposé à des diplomates, experts académiques et autres sympathisants de la cause multipolaire, russes et de pays amis, de créer à Genève, un « Multipolar Institute », un think tank sur la multipolarité, afin de stimuler et diffuser le concept de multipolarité et la pensée multipolaire au sein même des organisations internationales et des ONG censées défendre le multilatéralisme et représenter la communauté internationale. Sur le plan diplomatique, il existe déjà une association des « Amis pour la Défense de la Charte des Nations Unies », qui regroupe 22 pays et est actuellement présidée par l’ambassadeur du Venezuela, et dont le but est de promouvoir un vrai multilatéralisme, dans le respect de chacune des nations composant les Nations Unies. Le terrain est donc favorable pour créer une structure de réflexion plus active et capable d’émettre des idées et de faire des propositions concrètes pour faire avancer la cause multipolaire.
Les personnes intéressées peuvent me joindre sur ma messagerie guy.mettan@gmail.com
18:19 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guy mettan, actualité, multipolarité, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook