mardi, 29 juin 2021
Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"
Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"
par Pierluigi Fagan
Source : Pierluigi Fagan & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/neo-liberalismo-e-trappola-dell-omega
Le concept de "piège oméga" est dû à un physicien-climatologue allemand, H. J. Schellnhuber, qui décrit le piège mental par lequel on devient convaincu que lorsque les choses ne fonctionnent plus comme d'habitude ou comme prévu, l'image du monde qui reflétait ce "comme d'habitude" ou "comme prévu" nous ordonne de faire ce qui était fait auparavant, mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.
L'aphorisme "La folie consiste à faire la même chose encore et encore en s'attendant à des résultats différents" a été attribué à différents esprits aphoristiques supposés prolifiques, à savoir A. Einstein, B. Franklin et M. Franklin. Einstein, B. Franklin et M. Twain, saisissent le mécanisme sous un autre angle.
L'idéologie néo-libérale dénonce sa dette envers le "comme d'habitude" précisément en utilisant un préfixe actualisant "neo", à apposer avant le "comme d'habitude" du libéralisme de longue date. Au niveau de l'histoire des idées, il est toujours difficile de dater, puisqu'il est possible de remonter jusqu'aux premières formes d'une pensée encore immature et peu répandue, pour arriver à sa pleine force, qui reste cependant débitrice de cette origine bien antérieure. Dans notre cas néo-libéral, nous pouvons donc remonter à l'école autrichienne des années 20 et 30, jusqu'à la société du Mont Pelerin des années 40 et 50, mais sans doute le dévoilement de l'idéologie dans ses ambitions de guider la vérité a eu lieu dans les années 70 avec un double prix Nobel. Il a d'abord été remis à F. von Hayek en 1974, puis à M. Friedman en 1976. Dans les années 1980, l'ambition devient réalité avec la séquence Thatcher-Reagan pour le début et le consensus de Washington (1989) pour l'affirmation finale. Il convient de noter que Hayek a reçu le prix à l'occasion de son 75e anniversaire, presque un prix de carrière, et on peut donc se demander : pourquoi si tard et pourquoi dans les années 1970 ?
H. J. Schellnhuber.
Car c'est dans les années 1970 que l'économie occidentale (américaine et britannique en premier) a commencé à ne plus fonctionner "comme d'habitude". D'où la substance de cette version "néo" du libéralisme : imposer le système libéral mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.
Il convient ici de faire une distinction entre la forme et le contenu des idéologies. L'idéologie libérale, par exemple, est née dans l'Angleterre du XVIIe siècle, mais trouve son origine dans le libertinage français de la fin du XVIe siècle. Son contenu est évidemment l'esprit de liberté, l'affranchissement des dogmes, le pluralisme des connaissances alors limitées par des contraintes théologiques, la tolérance, le principe de réalité. Tel était son contenu lorsqu'il est né en défiant l'ordre précédent. Mais les contenus peuvent toujours être interprétés, et ainsi lorsque dans un passé récent elle s'est imposée dans la version fondamentaliste, n'exerçant donc plus la fonction de contestation mais d'ordre, la voici devenue dogmatique, orthodoxe, intolérante, s'éloignant de plus en plus du principe de réalité, s'empêchant d'appliquer avec toujours plus "d'obtusité" ses principes inébranlables. La parabole qui a conduit de Marx à Staline ou du Christ à l'Inquisition est la même.
Quand les idéologies naissent avec des intentions émancipatrices, elles ont certains effets, quand elles atteignent leur objectif naturel d'ordonner le pouvoir sur l'image du monde et ceci sur les manières d'agir, donc sur le tissu de la réalité, elles entrent dans le mode impératif. Lorsque les événements du contexte changent profondément et que la réalité éclate de toutes parts et donc hors du cadre ordonnateur attendu, ils se retrouvent dans le piège de l'oméga. Cette forme de sclérose des systèmes de pensée qui nie la réalité pour répéter de manière obsessionnelle sa formule de vérité qui, en tant que telle, ne peut être discutée, est l'Alzheimer des idéologies qui annonce la mort de tout le corps qu'elle voulait ordonner.
L'Inquisition annonce la fin de la société médiévale ordonnée par le théologique, le stalinisme annonce la fin du communisme réel, le néo-libéralisme annonce la fin de la société occidentale moderne (voir post-moderne) ordonnée par le marché. Le passage à l'ordre nouveau peut prendre des décennies, mais ce n'est que le temps nécessaire à l'"effacement" qui, historiquement, a sa propre irréversibilité. Cela peut consoler ceux qui vivent dans cette transition où se produisent les "phénomènes morbides les plus variés" de la mémoire gramscienne, bien que la consolation historique soit une valeur, vivre dans des temps de décadence oppressante et de faillite du sens commun, une autre.
19:47 Publié dans Actualité, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, néolibéralisme, philosophie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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