jeudi, 12 septembre 2024
La recette libérale-droitiste de Milei fonctionne: l'Argentine est le seul pays d'Amérique du Sud dont le PIB est en baisse
La recette libérale-droitiste de Milei fonctionne: l'Argentine est le seul pays d'Amérique du Sud dont le PIB est en baisse
Enrico Toselli
Source: https://electomagazine.it/la-ricetta-della-destra-di-milei-funziona-largentina-e-lunico-paese-sudamericano-con-il-pil-in-riduzione/
Il ne suffit pas d'être un abruti armé d'une tronçonneuse pour réussir à gouverner un pays. Et c'est encore plus difficile dans un pays aussi compliqué que l'Argentine. Mais Javier Milei, le président argentin que la droite fluide italienne au service de Washington aime tant, ne s'est pas contenté d'exhiber la tronçonneuse : il l'a utilisée contre les travailleurs, réduisant drastiquement le pouvoir d'achat des familles. C'est l'une des brillantes recettes hyper-libérales qui enthousiasment le gouvernement italien et le Fonds monétaire international.
Et voilà que le FMI publie, à point nommé, ses projections de PIB pour 2024 pour l'ensemble de l'Amérique latine. Ces données récompensent-elles la politique de Milei ? Pas vraiment. L'Argentine sera le seul pays d'Amérique du Sud dont le PIB sera négatif, soit une baisse de 3,2%. Et si l'on considère l'ensemble de l'Amérique latine, on constate également le déclin d'Haïti, pays sinistré, avec un recul de 2,3%. Soit moins que le désastre causé par le gouvernement Milei.
Globalement, la croissance moyenne de l'Amérique latine sera de 1,9% et celle de l'Amérique du Sud de 1,6 %. Avec une croissance au Brésil, première économie du sous-continent, dépassant les attentes les plus optimistes, mais avec des hausses de 4% au Venezuela, 3,8% au Paraguay, 3,5% en Uruguay, 2,7% au Pérou et 2,1% au Chili. Mais même pour la Bolivie, la Colombie et l'Équateur, les prévisions de croissance sont supérieures aux prévisions italiennes.
Seule Buenos Aires parvient donc à faire baisser la moyenne de la région. Avec plus de la moitié des Argentins plongés dans la pauvreté. Il est intéressant de noter que les chômeurs ne représentent que 20% de la population, de sorte que la pauvreté touche également une grande partie des travailleurs. Le fameux travail pauvre qui enthousiasme tant les familiers de Giorgia (Meloni).
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dimanche, 11 août 2024
Le néolibéralisme en Amérique latine: leçons pour les nationalistes à l'ère de la mondialisation
Le néolibéralisme en Amérique latine: leçons pour les nationalistes à l'ère de la mondialisation
par Yaro Deli
Source: https://dissidenthub.wordpress.com/2024/04/11/neoliberalism-in-latin-america-lessons-for-nationalists-in-the-age-of-globalization/
Avec Javier Milei au pouvoir depuis décembre 2023, les Argentins ont opté pour une solution radicale au malgoverno économique qui a frappé leur pays pendant des décennies. Milei, souvent qualifié de populiste et/ou d'"extrême-droite" par les médias dominants, est bien mieux caractérisé comme une Margaret Thatcher latino-américaine. Avec des propositions néolibérales de grande envergure, il espère sortir son pays des abysses économiques et de la corruption qui y sévit depuis des décennies pour l'amener à la croissance et à la prospérité. Toutefois, les recettes qu'il souhaite appliquer pour y parvenir se sont déjà révélées être une arme à double tranchant - c'est le moins que l'on puisse dire. Ce fut le cas pour le Royaume-Uni sous Thatcher. Mais plus loin de nous, en Argentine, ces idées néolibérales ont déjà été expérimentées. Au Chili, le dictateur Augusto Pinochet a supervisé la mise en œuvre de politiques économiques néolibérales du même type que celles dont Milei est un partisan enthousiaste.
Mais à quoi ressemblaient exactement ces politiques dans le cas du Chili ? Existe-t-il de nombreuses similitudes entre la voie suivie par le Chili et la direction prise par Milei pour l'Argentine d'aujourd'hui ? Et comment juger ces politiques et leurs résultats d'un point de vue nationaliste ?
L'héritage de Pinochet et ce que signifie être nationaliste
Pour répondre à ces questions, je voudrais évaluer le régime chilien dirigé par le général Pinochet, qui a duré de septembre 1973 à mars 1990. Pour ce faire, je me concentrerai sur les années connues sous le nom de "miracle chilien" et sur la récession qui l'a suivi, en mettant l'accent sur les politiques économiques du régime. Tout d'abord, parce qu'il s'agit du sujet le plus débattu. Deuxièmement, parce que le "miracle économique" est présenté comme la principale source de légitimité du régime par ses partisans. Et troisièmement, parce qu'il s'agit de l'aspect dont nous pouvons tirer des leçons pour aujourd'hui. Je ferai mon analyse d'un point de vue nationaliste. Je comprends le nationalisme comme étant constitué de quelques prémisses de base. Un nationaliste veut d'abord et avant tout le meilleur pour sa propre nation. En outre, il veut que sa nation soit aussi souveraine et indépendante que possible. La mondialisation va donc à l'encontre du nationalisme, car elle brise la souveraineté politique au profit d'institutions supranationales. Mais elle brise aussi toute forme de contrôle national sur la production nationale.
Le Chili sous l'emprise des Chicago boys
Pour bien comprendre la période historique en question, il faut analyser non seulement le contexte national, mais aussi le contexte international. L'année du coup d'État, 1973, est marquée par une crise économique mondiale, qui fait suite à une récession mondiale et à la fameuse crise pétrolière de la même année. La solution préconisée par les pays industrialisés pour lutter contre ce malaise économique consistait à soutenir les coups d'État militaires dans le tiers-monde, ce qui a permis de restructurer l'économie mondiale.
Les pays industrialisés, les États-Unis en tête, ont imposé une économie basée sur la demande (monétarisme intérieur couplé à une focalisation sur l'exportation vers les marchés étrangers), selon les idées de l'économiste néolibéral américain Milton Friedman. Cela s'est fait en soutenant différents régimes militaires. Il existe de nombreuses preuves de l'implication de la CIA dans la chute d'Allende et dans l'ascension et le soutien de Pinochet.
Au Chili, ces idées néolibérales ont été mises en pratique par les "Chicago boys", des étudiants chiliens qui ont fréquenté l'université de Chicago et qui ont ensuite occupé des postes de premier plan au sein du gouvernement chilien et de l'élite économique.
La menace marxiste
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de facteurs internes qui ont poussé les militaires à agir. Robin Harris, dans son article intitulé "A Defamed Counter-Revolutionary" (1) (Un contre-révolutionnaire diffamé), est très clair à ce sujet. Le chaos et la violence de gauche, l'anarchie et le banditisme (de la part des foules comme de l'État) sous et avant Allende étaient bel et bien présents. Les milices communistes, qu'Allende et son parti ne pouvaient ou ne voulaient pas contrôler, se sont emparées de parcelles de terre, qui se sont transformées en zones contrôlées par la gauche, propageant la violence le cas échéant. Les institutions démocratiques chiliennes, telles que les différents tribunaux et la Chambre des députés, ont tenté de résister à l'usurpation constante du pouvoir par Allende (de la même manière qu'elles ont tenté plus tard de résister au régime autocratique de Pinochet).
Il est important de noter que le parti d'Allende a obtenu le plus grand nombre de voix lors des élections de 1970, mais qu'il n'a jamais obtenu de majorité lors des élections des trois années suivantes. De plus, Allende ne devrait pas nécessairement se voir accorder la présidence. Selon la constitution chilienne, n'importe lequel des deux premiers candidats à la présidence peut techniquement devenir président. Allende n'a obtenu que 1,3 % de plus que son dauphin. Alors pourquoi est-il devenu président? Parce que les institutions responsables ont voulu lui donner une chance, après qu'il se soit engagé à respecter la constitution. Cependant, il est vite apparu qu'il n'avait pas tenu cette promesse (2).
Le Chili est devenu un point chaud pour les révolutionnaires du monde entier. Leur nombre a atteint de telles proportions qu'ils représentaient la menace d'une armée communiste, prête à conduire violemment le Chili vers le communisme. Et ce n'est pas un scénario impensable : grâce à ses liens personnels avec Castro, le dirigeant cubain a remis à Allende des caisses remplies d'armes. L'histoire sanglante et effroyable des guerres civiles latino-américaines est bien connue de tous, et les communistes chiliens préparaient leur pays à rejoindre cette liste. Le coup d'État militaire avait donc certainement ses raisons. Cependant, le fait que les Américains "n'étaient, en fait, pas directement concernés" par le coup d'État, comme l'a déclaré Harris, est manifestement faux. Il y a plus de preuves que nécessaire, sous la forme de documents officiels de la CIA, qui le démontrent indéniablement (3).
Néanmoins, les fabrications et les exagérations sur Pinochet et son régime, ainsi que l'hypocrisie classique de la gauche, sont en effet des désagréments trompeurs qui frustrent toute personne soucieuse de vérité et de nuance. Je suis donc d'accord avec Antony Daniels (4 )lorsqu'il parle de la romantisation d'Allende et du socialisme latino-américain en général, ainsi que du double standard et de la sélectivité des intellectuels de gauche. Toutefois, cela ne signifie pas que nous devrions passer sous silence les graves défauts de Pinochet et de son gouvernement.
L'expérience monétariste
La question est donc de savoir comment s'est déroulée l'expérience monétariste. Étant donné que la légitimité du régime reposait et repose encore largement sur l'hypothèse qu'il a sauvé l'économie chilienne, la réponse à cette question est cruciale pour son verdict final. En ce qui concerne l'état de l'économie, les opinions varient de très positives à très négatives. Commençons par le positif.
Au fil des ans, le régime est parvenu à faire baisser l'inflation de manière significative. Le déficit public a été ramené à 2,6 % du PIB en 1975 (contre 24,7 % en 1973), grâce à la réduction des dépenses publiques. La junte a également réussi à développer le secteur industriel des fruits, qui est devenu l'un des principaux secteurs d'exportation. En effet, l'exportation de fruits reste encore aujourd'hui un élément vital de l'économie chilienne. Avec le poisson, le bois et le vin, l'exportation de fruits a permis de mettre fin à la dépendance économique à l'égard du cuivre en tant que produit d'exportation, qui a longtemps été un point faible de l'économie chilienne. C'est également un point que Harris souligne dans son article. En ce qui concerne la politique sociale, le gouvernement a lancé des programmes de lutte contre la pauvreté qui ont aidé directement ceux qui en avaient le plus besoin. Gonzalo Cordero (5) et Robin Harris ont fait valoir ce point de manière plutôt triomphante, bien qu'en réalité, les niveaux de pauvreté soient restés élevés. En outre, d'importantes améliorations ont été apportées à la réduction de l'analphabétisme, avec plus de succès que sous le régime d'Allende. La mortalité infantile a également diminué régulièrement.
Ces politiques ont toutefois eu un prix élevé à payer, sous la forme d'une récession économique. Le chômage a atteint plus de 20% en 1975 (alors qu'il n'était que de 3,8 % à l'époque d'Allende) et la production nationale s'est effondrée. L'économie chilienne s'est redressée entre 1976 et 1979. Le PIB a augmenté en moyenne de 4% par an, bien que cette croissance ait été aigre-douce en raison des inégalités croissantes qui l'accompagnaient et qui menaçaient constamment l'ordre social (6). Cette période est communément appelée "le miracle chilien". Mais la crise économique de 1979 a frappé le monde entier. Pour le Chili, cela signifie que les investissements productifs nécessaires à l'économie du pays n'ont pas été réalisés. Le fardeau de la dette s'est alourdi, ce qui a entraîné des problèmes de liquidité et, en fin de compte, la faillite de plusieurs banques (7).
Le soi-disant "miracle économique" s'est avéré n'être qu'une simple reprise après la récession de 1975 et un prélude à celle de 1981-1983, qui a détruit tous les acquis antérieurs. Il n'est pas surprenant que le gouvernement ait dû expérimenter quelque peu le nouveau modèle économique avant de mettre les choses sur la bonne voie. Une croissance meilleure et plus régulière a été réalisée à partir de 1984, bien que la croissance du PIB par habitant soit restée pratiquement stagnante. Dans l'ensemble, la croissance économique de l'ère Pinochet a été assez médiocre (8), tandis que les conséquences sociales - même en tenant compte du difficile héritage de l'hyperinflation socialiste - ont été désastreuses. Par conséquent, maintenir l'idée d'un "miracle économique", comme le font tant d'enthousiastes néolibéraux, n'a aucun fondement dans la réalité.
Alors pourquoi parler de miracle économique ? Parce qu'il n'y a rien de miraculeux à ce qu'un pays en développement connaisse une légère augmentation de sa production économique sur une période de près de deux décennies. En outre, un article publié en 2022 (9) dans la Latin American Research Review par Edwar E. Escalante a montré que la croissance économique remarquable du Chili au cours de la période 1985-1997 n'était pas due à l'autocratie de Pinochet. Cela va totalement à l'encontre du récit présenté par les fanboys néolibéraux des politiques économiques du régime. Cela ne veut pas dire que le Chili se porte très bien aujourd'hui. Avec le socialisme au pouvoir, il est raisonnable de penser que les choses seraient bien différentes aujourd'hui.
Les dangers de la mondialisation
Mais il y avait un autre problème de taille. Les politiques néolibérales avaient pour objectif de privatiser l'économie, de la rendre plus équitable pour tous les acteurs (nationaux et internationaux) et de donner au Chili une position plus compétitive sur le marché mondial. Mais en plus des promesses non tenues, les politiques économiques ont abouti à une plus grande monopolisation de l'économie au lieu d'une participation économique plus importante et plus large. Le résultat a été que l'industrie chilienne a été complètement monopolisée par cinq grands groupes économiques.
Il convient également d'observer plus en détail le type de dettes gigantesques auxquelles le Chili a dû faire face au cours de cette période. C'est en 1981 que le gouvernement a eu des difficultés à rembourser ses dettes, ce qui a entraîné une chute des investissements étrangers. En 1983, les dettes s'élevaient même à plus de 3,4 milliards de dollars, dont 45% d'intérêts. L'augmentation des exportations était la solution néolibérale prescrite. Dans la pratique, cela signifiait que la production nationale était progressivement abandonnée, car tous les produits étaient destinés aux marchés étrangers. Les denrées alimentaires, par exemple, représentaient 20% du total des importations en 1984. Il en va de même pour la production industrielle.
Les banques, cependant, n'avaient pas d'autre choix que de continuer à accorder des crédits. En effet, tant les entreprises qui les demandaient que les banques qui les payaient appartenaient au même groupe économique. En fin de compte, le gouvernement a dû planifier le remboursement des dettes. Pour ce faire, il a contrôlé l'administration de toutes les banques, et donc 85% du système financier chilien. Le contrôle du gouvernement sous Allende était donc d'une toute autre nature !
De plus, les secteurs qui s'en sortaient le mieux étaient principalement ceux contrôlés par la bourgeoisie et la classe moyenne. La plupart des Chiliens n'ont donc pas profité de la croissance économique. Cependant, la récession de 1979-83 a montré que même les secteurs qui se portaient bien au départ étaient condamnés à cause des nouvelles politiques économiques. En effet, la demande de matières premières et de produits industriels a chuté, ce qui s'est traduit par une baisse des exportations pour le Chili et le tiers monde en général. Le dicton "ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier" s'applique très bien ici. Si l'économie d'un pays dépend uniquement des exportations, une baisse de la demande peut être, et dans le cas du Chili a été, catastrophique. Ces pays ont dû subir des mesures d'austérité massives. Le rêve néolibéral de sauver l'économie nationale en l'intégrant dans l'économie mondialisée s'est transformé en cauchemar économique. Le Chili a ainsi perdu non seulement sa démocratie, mais aussi une grande partie de son indépendance économique.
Pinochet : une conclusion critique
Il est bien connu que Pinochet n'était pas un génie économique. Sa politique a été élaborée par un groupe d'économistes néolibéraux inspirés par Milton Friedman. Cette théorie économique considérait l'intervention de l'État comme la principale cause de l'inflation persistante, de la production inefficace et du chômage. L'exportation était le mot magique qui résoudrait tous les problèmes du Chili. Mais c'est le contraire qui s'est produit, et les recettes néolibérales de Pinochet ont échoué.
Est-ce entièrement la faute de Pinochet ? Pas entièrement. Je suis convaincu que le général croyait honnêtement que ce qu'il faisait (ou laissait faire) était dans le meilleur intérêt de son pays. Et je crois aussi qu'il y a eu de véritables améliorations. Cela ne signifie pas pour autant que ce qu'il a fait était juste. Et si l'on replace son règne dans un contexte plus large, le verdict devient plutôt condamnable, surtout si l'on tient compte de toutes les violations des droits de l'homme.
Pinochet a été aidé au pouvoir par les Américains, dans l'intérêt de leur propre pays. Le Chili a peut-être connu une croissance économique médiocre (bien qu'il n'y ait jamais eu de "miracle économique") et a arrêté une révolution socialiste (à un coût social élevé), mais le pays a perdu son indépendance politique et surtout économique au profit des États-Unis et du monde occidental en général. Et bien que je ne plaide pas nécessairement en faveur d'un protectionnisme économique total et de l'autarcie (ce qui, dans le cas du Chili, serait de toute façon impossible), une position nationaliste est inconciliable avec la remise en cause de l'autonomie et de la souveraineté d'un pays, qu'elle soit économique ou autre.
Je suis d'accord avec le rédacteur en chef de The European Conservative, qui a appelé à "regarder à travers le prisme de la civilisation" (11) pour juger des régimes comme celui de Pinochet. Mais quelle civilisation ? Une civilisation dirigée par des banquiers et des militaires tout-puissants ? Une civilisation où tant de Chiliens sont opprimés, torturés et terrorisés? (12). De quelle civilisation s'agit-il ? Le communisme du passé est mort. Le principal ennemi est désormais le mondialisme. Allende et Pinochet représentaient tous deux ce double ennemi. Le premier sur le plan politique, le second sur le plan économique. Et malgré tout ce que Pinochet a fait de bien, c'est sa principale erreur.
Et qu'en est-il de Milei ?
Milei n'est pas Pinochet pour des raisons évidentes. Mais je pense qu'il est possible de faire des comparaisons perspicaces dont nous pouvons tirer les leçons nécessaires pour aujourd'hui. La mondialisation est toujours une histoire de vainqueurs et de perdants. Mais dans cette histoire, la victoire ou la perte n'est pas déterminée par les vertus, comme le proscrit notre meilleure et plus ancienne littérature européenne, de l'Odyssée à l'Edda. La victoire ne signifie pas ici le triomphe de ces vertus héroïques, mais le triomphe du profit, qui revient presque exclusivement à une oligarchie assoiffée de richesses. C'était le cas au Chili il y a 50 ans, et c'est la même chose en Argentine aujourd'hui. Comme l'écrit Hans Vogel dans son article sur le sujet, les richesses du pays vont aux riches étrangers et à une élite corrompue (13).
Dans le cas du Chili comme dans celui de l'Argentine, ce riche étranger est principalement les États-Unis. Dans ce contexte, la dollarisation que Milei souhaite mettre en œuvre est révélatrice : il souhaite remplacer le peso par le dollar. Il souhaite également faire passer les relations commerciales de l'Argentine avec les États-Unis avant celles avec la Russie, la Chine et le Brésil. Il convient toutefois de noter une différence importante avec le Chili de Pinochet. Dans le cas du Chili, il y a eu des machinations politiques évidentes de la part des États-Unis, qui ont fait pression pour que les politiques économiques néolibérales aillent de pair avec l'autoritarisme politique anticommuniste dans l'ensemble du tiers-monde. Dans le cas de l'Argentine, il n'y a pas eu d'ingérence manipulatrice de la part des États-Unis. Elle n'était pas non plus nécessaire ; les facteurs internes qui ont permis à Milei d'être élu étaient plus que suffisants. L'inflation galopante, encore plus grave qu'au Chili, était le facteur le plus important. Il va sans dire que les conséquences sociales de ces politiques seront probablement les mêmes.
Et qu'en est-il de l'autre côté ? Qu'en est-il des perdants ? Ce ne sont pas les sans talent et les médiocres qui perdront, mais le Peuple. Le peuple dans son ensemble est toujours du côté des perdants de la mondialisation. Comme le note Alexander Marcovics, Milei a procédé à des coupes sociales massives pour alléger la dette nationale. Aussi nécessaires que puissent être certaines politiques à cet égard, ce sont "les Argentins ordinaires [qui] sont censés sortir la charrette de la boue". En outre, les politiques néolibérales de Milei constituent une fausse alternative, menaçant de transformer l'Argentine en "une colonie boursière américaine", comme le dit si bien Markovics (14). Cela nous amène à la deuxième similitude : la perte de souveraineté.
Pour que la politique soit possible, un peuple (ou tout autre sujet politique) doit pouvoir prendre des décisions librement et avoir le pouvoir d'agir sur ces décisions. Il s'ensuit que la souveraineté est à la fois une condition préalable et un résultat nécessaire de toute politique réelle. La souveraineté est donc la première vertu qui permet de mesurer si une nation tient son destin entre ses mains et si elle est donc réellement libre. Il est essentiel de noter que le Chili et l'Argentine, soumis aux diktats du néolibéralisme et de la mondialisation, ne sont pas souverains et ne sont donc pas libres. La primauté de l'économie a transformé la politique en servante du capital (international) et a jeté aux orties toute autonomie monétaire et économique.
L'avenir de l'Argentine
Quelle est donc la voie à suivre pour l'Argentine ? Outre Milei, le deuxième candidat le plus populaire aux élections présidentielles était Sergio Massa (photo), un peroniste. L'héritage du peronisme est complexe (15). Une grande partie de la mauvaise gestion économique de l'Argentine contemporaine est due à des peronistes corrompus. Toutefois, il est essentiel de faire la distinction entre l'héritage et l'importance de Perón et de son épouse Eva, d'une part, et les hommes politiques qui prétendaient suivre ses traces mais qui n'ont pas tenu leurs promesses, d'autre part. Comme l'a fait remarquer le professeur Cristián Barros dans son article sur Milei pour Arktos, "le programme dirigiste de substitution des importations et, contradictoirement, la nécessité d'acheter des technologies à l'étranger, ont imposé à la Casa Rosada, le siège du gouvernement, un besoin chronique de prêts, d'abord en livres sterling, puis en dollars, pour financer sa propre infrastructure" (16).
Lorsque l'Argentine a adopté des politiques libérales pour tenter d'atténuer ses problèmes économiques, des effets pervers similaires à ceux observés au Chili sous Pinochet se sont produits: accumulation de prêts étrangers et des dettes correspondantes, démantèlement de l'industrie nationale et mesures d'austérité sévères. Le rêve peroniste d'une autarcie totale s'est avéré difficile à réaliser dans un pays latino-américain en développement comme l'Argentine. Encore une fois, je ne propage pas une telle stratégie. Cependant, aller trop loin dans la direction opposée, comme l'a fait Pinochet, risque de produire les mêmes problèmes d'insolvabilité des banques, un besoin chronique de prêts et un pillage économique par Washington et d'autres acteurs puissants. Et je pense qu'il est raisonnable d'affirmer que l'Argentine sous Milei sera confrontée à des problèmes similaires.
En conclusion, il y a un certain nombre de leçons importantes à tirer de ces histoires et des événements actuels. Les nationalistes authentiques doivent se méfier du capitalisme néolibéral, qui est inévitablement lié au mondialisme et qui, en règle générale, sape exactement ce que les nationalistes veulent préserver et protéger: leur peuple et son héritage culturel. Le terme "droite" étant généralement utilisé pour décrire les idéologues qui défendent ces politiques, il a été subverti et, dans de nombreux cas, il est devenu inutile de s'y identifier. En outre, de nombreux commentateurs politiques, en particulier ceux qui appartiennent à la Nouvelle Droite française à la suite d'Alain de Beonist, ont depuis longtemps noté que le mode binaire "gauche-droite" est dépassé, inutilisable et intellectuellement limitatif. Par conséquent, nous, nationalistes, devrions penser et analyser en termes au-delà de la dichotomie gauche-droite si nous voulons éviter le piège néolibéral-capitaliste, c'est-à-dire si nous voulons éviter de nous tirer une balle dans le pied.
Cet article est également publié sur Arktos Journal : "Le néolibéralisme en Amérique latine : Leçons pour les nationalistes à l'ère de la mondialisation" (arktosjournal.com)
Notes :
(1) Harris, Robin, "A Defamed Counter-Revolutionary", dans : The European Conservative, édition d'automne.
(2) Packenham, Robert A. et Ratliff, William, What Pinochet Did for Chile | Hoover Institution What Pinochet Did for Chile
(3) Chili (globalsecurity.org)
(4) Daniels, Anthony, "The Revolutionary Worldview", in : The European Conservative, édition d'automne.
(5) Cordero ,Gonzalo, 'The Paradox of Modernizing Authoritarianism', in : The European Conservative, édition d'automne.
(6) L'inégalité économique structurelle héritée du régime reste la principale raison de l'agitation sociale au Chili en 2019. Voir Comment le modèle économique de Pinochet a conduit à la crise actuelle qui engloutit le Chili | Chili | The Guardian.
(7) Pour une étude critique du Chili sous Pinochet, axée sur son économie et dans une perspective marxiste, voir Frank, André Gunder et Aravena, Oscar Catalan (eds.), Chile onder Pinochet. Een Latijnsamerikaans volk in gijzeling, Sua/Novib : Amsterdam - Den Haag, 1984. Ce chapitre et le suivant s'appuient largement sur cet ouvrage. Le livre est en néerlandais et n'est malheureusement pas traduit en anglais. Cependant, le prof. André Gunder Frank a publié plusieurs ouvrages en anglais sur ce sujet.
(8) Smith, Noah, Pinochet's economic policy is vastly overrated (noahpinion.blog). Voir aussi Fiori, José Luís Les mythes sur le Chili de Pinochet qui persistent au Brésil aujourd'hui | openDemocracy
(9) Escalante, Edwar E., 'The Influence of Pinochet on the Chilean Miracle', in : Latin American Research Review (2022), vol. 57, 831-847. Disponible en ligne via le lien suivant : The Influence of Pinochet on the Chilean Miracle (cambridge.org).
(10) Violations des droits de l'homme au Chili sous Augusto Pinochet - Wikipédia, Rapport Rettig - Wikipédia
(11) Fantini, A.M., Un autre 11 septembre ━ Le conservateur européen
(12) Vogel, Hans, Javier Milei : L'Empire contre-attaque - Arktos
(13) Markovics, Alexander, Contre Milei - Arktos
(14) Un article intéressant sur ce sujet, qui adopte une vision positive du péronisme, est celui de E. Ravello, "Los tres momentos del Peronismo". Traduction anglaise par Thomas White pour Dissident Hub : Les trois moments du péronisme - Dissident Hub (wordpress.com)
(15) Barros, Cristián, Adieu, Argentine - Arktos
13:30 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, néolibéralisme, monétarisme, chili, argentine, amérique latine, amérique ibérique, amérique du sud | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 03 août 2024
Au-delà de cet Occident nihiliste
Au-delà de cet Occident nihiliste
Carlos X. Blanco
Source: https://www.revistacontratiempo.com.ar/blanco_occidente_nihilista.htm
Les peuples d'Europe occidentale marchent docilement vers l'abattoir. Les célèbres « experts » du totalitarisme (verbi gratia, Hannah Arendt) se sont demandé comment ces masses de prisonniers dans les camps de concentration créés par les nazis, masses domestiquées, se livraient à un sacrifice certain sans presque aucune résistance, à l'exception de quelques cas dans des épisodes spécifiques. Il était évident que les individus condamnés à mort avaient préalablement subi un processus de déshumanisation, qu'ils avaient été « assassinés dans la vie », c'est-à-dire dépouillés de leur contexte moral, juridique et ontologique: par le traitement annihilant reçu avant leur élimination physique, d'autres suppressions, non moins transcendantes que la suppression de la vie biologique, avaient eu lieu.
Or, ce même concept de totalitarisme, qui renvoie à une déification de l'État (« tout dans l'État, tout par l'État, rien sans l'État »), dans lequel l'individu est abaissé et supprimé devant un énorme Léviathan, est un concept qu'il faut corriger si l'on veut l'appliquer pleinement au monde d'aujourd'hui, qui est celui du deuxième tiers du 21ème siècle, la fraction de siècle qui s'ouvre. Il existe aujourd'hui un totalitarisme dans le monde occidental, même s'il n'est pas exactement de la même nature que celui d'Hitler ou de Staline. Le camp de concentration est vaste: c'est l'Occident tout entier. Les sujets en voie de soumission totale et d'anéantissement se comptent par millions.
La soumission de l'individu « marqué » (ethniquement, politiquement, sanitairement, etc.), telle qu'elle a été pratiquée sous le nazisme ou le stalinisme, est aujourd'hui la soumission de l'individu européen occidental en tant que membre d'un Peuple. Ce sont les peuples d'Europe qui, comme je l'ai déjà dit, marchent vers leur sacrifice une fois qu'on leur a interdit d'exister en tant que peuples. Ils peuvent nous faire disparaître sous une catastrophe nucléaire. Les individus seront bientôt sacrifiés, si Dieu n'y fait rien, dans une généralisation folle du conflit ukrainien, par la mort sacrificielle des peuples auxquels ils appartiennent. Cette mort des nations et des peuples a déjà eu lieu.
Il n'y a plus d'Espagnols, plus de Français, plus d'Italiens. Il n'y a plus d'Allemands, plus de Néerlandais, encore moins de Grecs ou de Tchèques, etc. Il n'y a que des individus administrés par une Union européenne - U.E. - despotique, qui renouvelle périodiquement ses diktats - il serait exagéré de parler de « lois » - au mépris de la souveraineté et de la constitution de ses « Etats membres » et pour s'élever au-dessus de la volonté exprimée par ses peuples.
L'UE, qui est en réalité le centre de contrôle et de coordination de puissants lobbies mondiaux, est soutenue par la super-bourgeoisie européenne, à la solde de la super-élite mondiale, principalement américaine, à laquelle elle est subordonnée. La super-bourgeoisie européenne, de plus en plus « locale » et subalterne, a depuis longtemps abdiqué sa volonté de maintenir une ligne autonome. Elle a préféré se déseuropéaniser et donc déseuropéaniser le continent. Comme la noblesse de la Renaissance, la super-bourgeoisie européenne a capitulé. Comme cette classe du 15ème siècle, vaincue par les monarques autoritaires et centralisateurs de la Renaissance, reconvertie en classe « oisive » (Thorstein Veblen), ornementale et honorifique, la noblesse moderne n'a été guerrière et exécutive que dans la mesure où elle est devenue le toutou du roi, employée à ses ordres.
De même, il n'existe plus aujourd'hui de bourgeoisie pertinente en Europe occidentale. Ce sont des employés de luxe des grands fonds spéculatifs, des courtisanes et des concubines, des agents de représentation, des employés bien payés, principalement contrôlés par des sionistes ou des milliardaires américains étroitement liés à ces groupes sionistes.
Le noble féodal devient courtisan à la renaissance parce qu'il a déjà perdu son pouvoir dans « les dernières décisions ». De même, le bourgeois et le super-bourgeois d'Europe préfère ne plus avoir de « patrie », parce que sa patrie est le capital et que ses capitaux sont contrôlés de l'extérieur. Il siège au conseil d'administration d'une banque, d'une compagnie d'électricité, d'un géant de l'immobilier, d'une multinationale, mais il n'est qu'un visage, un nom, une marionnette humaine pilotée par un Capital qui ne vit pas en Europe et ne « pense » pas en Europe.
Ce que j'ai dit, le phénomène à peine crédible et à peine perçu dans notre singulière grotte platonicienne, c'est-à-dire que l'Europe n'existe pratiquement plus en tant que centre économico-politique, a une date très précise : l'année 1945. Hitler et son régime criminel sont tombés à temps. Mais c'est aussi toute l'Europe qui est tombée avec eux. La désouverainisation commence par être économique, mais elle se produit dans de nombreux domaines, et elle devient toujours ostensible et explicable en tant que conséquence d'une occupation militaire. Soviétique d'un côté, Yankee de l'autre. Sur le plan économique, le néolibéralisme le plus féroce, étranger à la trajectoire de l'Europe non anglo-saxonne, a été imposé « par le haut ». Il l'a fait contre les préceptes de la plupart des États de notre sous-continent qui, d'une manière ou d'une autre et en dehors de la tradition anglo-saxonne, incluaient des allusions à l'« État social », au protectionnisme corporatiste, au « bien-être général », au bonheur et à la santé de leurs peuples. Tout cela avec des formules différentes, mais en garantissant un contrôle de l'économie toujours sous la tutelle et la responsabilité de l'État.
L'Union européenne est devenue le pire ennemi des traditions constitutionnelles et, en général, politiques de l'Europe occidentale. Son comportement au cours des dernières décennies met en lumière ses véritables origines: l'occupation d'après 1945. Après l'échec de l'UE en tant que fédération dotée de sa propre constitution, orchestrée en réalité comme un « club » ou une association de pays, la dérive despotique de l'Union elle-même a consisté en une imposition progressive de cadres juridiques anticonstitutionnels, toujours orientés dans la même direction: déposséder les gouvernements des différents peuples d'Europe de tous les mécanismes monétaires, fiscaux, tarifaires, de planification et d'investissement, laisser les États nationaux sans défense et les déposséder de tous les dispositifs visant à garantir leur autosuffisance et leur développement autocentré.
Il est d'ailleurs logique qu'il en soit ainsi. La création d'une « souveraineté » européiste dans un sous-continent militairement occupé sur sa frange occidentale par les Yankees n'a été qu'un outil de ces mêmes occupants pour remplir leurs caisses. Le cours du temps est comme le mouvement d'un rideau de théâtre que l'on tire et qui révèle au monde entier ce qui y était caché. Une grande farce s'y cachait: la farce créée par les Etats-Unis à la fin de leur occupation de l'Europe occidentale en 1945: l'« aide » et la « reconstruction » de cette partie du monde n'avaient d'autre but que de capter des profits et de les reverser au Nouveau Monde, et de subordonner à jamais toute la pléthore de petits pays d'un « Vieux » Monde, de plus en plus vieux.
La pléthore de petits pays, chacun déjà nain par lui-même: voilà ce qu'est devenue l'Europe de l'Ouest. Les États-Unis d'Amérique ne sont entrés en guerre qu'après s'être enrichis en vendant des fournitures non seulement aux pays de leur camp, les « Alliés », mais aussi aux soi-disant « totalitarismes », qu'ils soient nazis ou bolcheviques. C'est un fait historique qui donne de l'urticaire à des milliers de libéraux pro-yankees. Ils ne veulent pas le savoir, ils ne veulent pas le divulguer. L'État, champion du « monde libre », n'a eu aucun scrupule à faire prévaloir l'autosatisfaction économique sur les choix idéologiques, qu'ils soient rouges ou bruns. Le Gardien de la Liberté, concept qu'il est venu déifier avec son immense statue à New York, fut aussi la mamelle des totalitarismes qu'il alla successivement combattre, après les avoir nourris: l'Allemagne d'abord, l'URSS ensuite: au moment où l'Empire britannique s'effondrait dans le conflit contre Hitler, les Yankees apparaissaient comme les héritiers et en même temps les successeurs de cet Empire anglo-saxon, les garants et les gardiens de la Liberté.
Avec l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale et l'effondrement de l'Empire britannique qui s'ensuivit, un schéma d'une grande portée historique se répéta: la subordination d'un Empire à un autre. L'arrivée des Bourbons à Madrid (Philippe V est arrivé dans la capitale espagnole en 1701, bien que le traité d'Utrecht, après une longue guerre de succession, ne soit signé en 1713) signifiait la subordination de l'empire espagnol, alors gigantesque, à la puissance française déjà gigantesque. L'empire subordonné était voué à s'effondrer peu à peu sur le plan économique et, à long terme, sur le plan politique et militaire. Un empire subordonné à un autre est une sorte de colonie géante: existant sous une forme décapitée et instrumentalisée, il n'a d'autre issue que sa désintégration finale. Il commence à être traité comme un simple butin de l'empire principal, car il renonce à son essence. Lorsque Napoléon reçut le trône de Madrid des mains des Bourbons espagnols imbéciles, l'empire hispanique ne pouvait que s'effondrer et se décomposer. Et avant cela, les élites espagnoles avaient déjà été contaminées par la francisation.
Enfin, à partir de 1945, les Américains ont stimulé dans le monde entier le discrédit des systèmes coloniaux européens en Asie, en Afrique, en Amérique et en Europe occidentale elle-même, en tant que concept. Dans de nombreux cas, ce discrédit était justifié, car les peuples indigènes des colonies, dotés tout au long du 20ème siècle d'une conscience identitaire croissante, n'ont vu dans les grandes guerres européennes qu'un « massacre tribal », bien plus cruel et à une échelle bien plus grande que ce qu'eux-mêmes, les indigènes de la périphérie, avaient subi ou entretenu. Les fausses leçons de morale du 19ème siècle (« élever les indigènes au niveau de la civilisation ») ne pouvaient plus être valables au 20ème siècle. Les maîtres d'esclaves à la peau blanche, le fouet dans une main et la Bible dans l'autre, n'étaient plus là pour faire la leçon aux gens d'une autre couleur. Loin en Europe, les maîtres s'étaient entretués de manière barbare, même si la « jeune nation » américaine pouvait les aider à s'émanciper (lorsque l'influence soviétique ou chinoise était lointaine ou avait été neutralisée à temps).
L'Europe « reconstruite » devait se débrouiller avec le dollar, sans les colonies et sans le prestige de la période impériale historique précédente. Une main sombre, presque invisible, a traversé toutes les rébellions indigènes, et cette main n'est pas toujours venue de Moscou ou de Pékin, les capitales rouges, mais s'est également étendue à Washington. L'Europe reconstruite après 1945 devait être l'Europe des petites entités impuissantes, ayant un besoin urgent d'une refonte idéologique de leur propre passé et de leur propre identité, afin de les amener à converger, bien que par la force et l'artifice, avec l'imaginaire américain d'une Jérusalem céleste, l'utopie d'une oasis de liberté. Pour créer cette convergence, ce conglomérat de l'Occident collectif, de nombreux termes fantastiques ont été inventés: le « monde libre » (W. Churchill) ou la « société ouverte » (K. Popper). Aujourd'hui, de manière dérisoire et avec sa tenue de camouflage littéralement enfilée, Josep Borrell remet le concept au goût du jour avec son fameux « jardin ». L'Europe, dit-il, est un beau jardin. Tout le reste, c'est la jungle.
Mais en réalité, le jardin européen n'est pas le jardin d'Eden, où les hommes et les femmes vivent en toute innocence dans un monde nouveau, frais, quasi divin. C'est plutôt la cage de fer créée par les Américains depuis 1945, condamnée à porter, par contraste, l'étiquette « Ancien Monde ». Peu importe que les États-Unis soient, plus que tout autre, une gérontocratie (Biden n'est plus un jeune homme). Peu importe que ses infrastructures publiques s'effondrent et que ses habitants soient zombifiés par le fentanyl et le consumérisme. Mais l'Europe, c'est « l'ancienne ».
Qu'est devenue l'Europe de la pax americana? Un monde dans lequel, disent nos bergers et leurs laquais, il faudra faire preuve de la plus grande vigilance. Les Américains, ne l'oublions pas, sont là depuis 1945, « pour nous protéger de nous-mêmes, nous les Européens ». Toute résurgence des peuples, qualifiée de populiste, de nationaliste, d'eurosceptique, etc. sera automatiquement alignée, voire assimilée, au nazisme vaincu en 1945. Quant à la gauche, avant même l'effondrement du bloc soviétique, cet ensemble de forces politiques et sociales, celles-là mêmes qui se présentaient explicitement comme communistes et révolutionnaires, a été désactivé dans son potentiel souverainiste et donc anti-américain. Les services secrets yankees ont embauché et recruté des intellectuels européens de gauche influents et, avec des dollars en poche et de nombreuses tapes dans le dos, l'idéologie révolutionnaire et même la revendication socialiste modérée d'un État social et d'une répartition équitable des richesses ont été remplacées par la plus yankee des alternatives: la revendication des « droits civiques ».
Il est bien connu que l'individualisme absolu qui triomphe dans la sphère anglo-saxonne est incapable de générer une véritable gauche avec des approches communistes, socialistes ou communautaires. Ils sont toujours restés ancrés dans leurs revendications individualistes de droits civiques. Les pays qui ont incubé le virus du libéralisme, principalement le Royaume-Uni et les États-Unis, ne peuvent comprendre et admettre les changements globaux d'une société qu'à travers des changements législatifs qui profitent à un collectif particulier, un secteur doté d'une identité abstraite qui le délimite par une qualité concrète, au-delà de l'organicité sociale. Les femmes, les Noirs, les homosexuels, les transsexuels, les migrants... Tous ces groupes ne sont que des « collectifs » sociologiques abstraits. Chacun d'entre eux appartient à une classe sociale différente, et tous manquent de force mobilisatrice en soi, au-delà des subventions reçues artificiellement. Cette façon abstraite de procéder est ce que j'ai appelé, dans des articles et des livres précédents, la « gauche identitaire ».
Une telle gauche identitaire était inconcevable en Europe avant la grande période d'après-guerre entre 1945 et 1989. Tout véritable dirigeant de gauche aurait qualifié ces mouvements de type anglo-saxon, les mouvements pour les droits civiques, de contre-révolutionnaires et de réactionnaires, comme ils l'étaient, sans fard. Une grande femme d'affaires ou une banquière n'est pas une femme qui va changer le monde... « pour le mieux ». Un riche Noir peut faire très peu pour les Noirs pauvres, et il n'est pas rare qu'il commette, très probablement, de nombreux abus à l'encontre du prolétariat, blanc ou autre. Un gay ou un trans peut vivre au sein de la bourgeoisie la plus bohème et il lui est facile de penser que le capitalisme lui sourit, qu'il est merveilleux, en disant au pauvre hétérosexuel, à celui qui est bouffé par les dettes et les cafards : « va te faire foutre... ». Bref : la gauche identitaire est intrinsèquement égoïste, elle pense dans la petite redoute abstraite à laquelle une pensée made in USA nous a habitués.
C'est la pensée sociologique néo-positiviste, et aussi la pensée post-moderne, qui pense en termes de « constructions ». Un type de pensée abstraite, très typique des milieux académiques déconnectés de la réalité, où un « collectif » (comme on le faisait autrefois avec l'analyse factorielle de l'intelligence humaine) est d'abord investi d'une entité statistique, puis, par une sorte d'animisme, d'un supposé pouvoir réel d'agir et de transformer le monde. Les Noirs de Black Lives Matter n'ont réussi qu'à briser des statues, ils ne généreront jamais un monde nouveau. De même, les collectifs LGTBIQ+ ne parviendront, s'ils continuent dans cette voie, qu'à complexifier et diffuser la liste des « crimes de haine », mais ils ne construiront certainement pas, avec leur Inquisition, un monde nouveau et meilleur. Rien n'est plus ancien que l'Inquisition.
La gauche « progressiste » et le néolibéralisme sont des idéologies occidentales qui ont perdu le contact avec la réalité. Une réalité, celle de la Totalité sociale, qui est en elle-même organique, traversée par des luttes de classes. Les classes moyennes, ouvrières et paysannes d'Europe sont condamnées à continuer à voir leur petite patrie et leur patrie européenne comme une totalité organique, où « les riches », quels que soient leur ethnie et leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur croyance, sont riches; donc les ennemis des classes exploitées, qui, pour couronner le tout, sont les classes populaires dont on se moque et que l'on méprise parce qu'elles s'ancrent dans une vieille tradition.
Mais le natif d' Europe se comportera, après tout, comme ce qu'il est, comme un membre d'une classe appauvrie et, par conséquent, son vote et sa rage ne peuvent être contrôlés conformément aux souhaits des minorités privilégiées que le capitalisme, principalement yankee, abrite. La montée des soi-disant « populismes », ou quel que soit le nom que l'on donne à tous les nouveaux partis dits d'extrême droite, xénophobes, souverainistes, eurosceptiques, etc. est entièrement due au vide créé par les forces « progressistes » ou de gauche. Ces forces politiques ont démontré, depuis 1989, qu'elles étaient clairement systémiques. Elles sont pro-système, c'est-à-dire néo-libérales, otanistes, soumises aux diktats d'une petite caste opaque et autoritaire de politiciens de l'U.E. Elles sont ennemies des peuples. En Espagne, par exemple, peu importe que vous votiez pour les socialistes, les conservateurs, la gauche « réveillée » ou les ultras de VOX... Tous ces partis « garantissent » la permanence dans l'OTAN, la soumission à l'empire yankee, l'intégrité de l'Union européenne, l'application de politiques de désouverainisation, l'ingénierie sociale (idéologie du genre, terreur climatique, etc.) et ainsi de suite.
En fin de compte, nous devons être d'accord avec les classiques de la dialectique, Hegel et Marx. La société peut être « découpée » à l'infini par l'entendement abstrait, mais les lois qui régissent son cours, les ruptures, les changements, sont des lois de la société comprise comme un tout organique, un tout qu'il faut connaître et dépasser par la raison, qui est une faculté distincte de l'entendement. La femme est prolétaire ou bourgeoise avant d'être « féministe ». Il en va de même pour le noir ou l'indigène ou tout autre sujet « racialisé »: il est d'abord prolétaire ou bourgeois, et selon sa position dans la Production, il fera partie d'une classe sociale active, apte à changer ou à ne pas changer l'état des choses. Les classes abstraites, détachées de la Réalité-Production, sont au contraire incapables de transformer ou de faire bouger quoi que ce soit. Elles sont le produit de la compréhension la plus abstraite, elles sont le fruit d'un atroce nominalisme radical, qui est le nominalisme importé des universités américaines.
Lorsque le leader de la gauche espagnole Pablo Iglesias, il y a des années, dans son projet raté « Podemos », a rassemblé toute la gauche woke du pays, il n'a pas eu d'autre choix que d'embrasser ce nominalisme abstrait, par la médiation de théories comme celle de Laclau, selon laquelle, en l'absence d'un prolétariat « classique » (classe ouvrière d'usine) dans un Occident post-industriel sans même le soutien symbolique de l'URSS, il était nécessaire de rassembler des pseudo-prolétariats: féministes, migrants, animalistes, séparatistes, collectifs LGTBIQ+, et toute une mosaïque hétéroclite de collectifs dont l'existence, en termes dialectiques, n'est pas réelle, car leur lien avec la Production est purement individuel: une femme chef d'entreprise ou professeur peut se sentir « féministe » en son for intérieur, tout comme une ouvrière modeste ou une femme de ménage qui balaie les escaliers, mais fonctionnellement les deux types de féminismes finiront par être très différents, et la classe abstraite des féministes sera toujours abstraite, définie en termes de subventions et de bannières, incapable de rassembler tous les membres d'une force populaire réelle exploitée sur le lieu de travail. Il en va de même pour les noirs et les hispaniques aux USA, les migrants en Europe, les collectifs « arc-en-ciel » et « Pride Day », etc. La gauche woke, parfaitement représentée par l'Espagnol Pablo Iglesias, est une gauche fonctionnelle au capitalisme, qui collabore avec lui. Discursivement, c'est une gauche qui prétend lutter pour des privilèges et des réparations pour des groupes très spécifiques, définis par une étiquette extérieure: la personne n'est plus, dans cette gauche woke, d'abord et avant tout, une personne membre d'une Communauté, au sens aristotélicien le plus classique. La personne n'existe pas pour la gauche woke: elle n'est plus qu'un individu dans un collectif.
La société dépeinte par cette gauche apparaît atomisée, dans le plus pur goût néolibéral: il y a d'abord et avant tout des individus. Et puis il y a des individus qui « sortent du lot » par quelque trait préalablement victimisé par les médias d'endoctrinement (école, télé, radio, réseaux sociaux...) et qui sont regroupés en collectifs « revendicatifs », ou plutôt en collectifs d'« offensés ». Le problème est qu'il manque à cette gauche woke, appelée différemment selon les pays et les goûts (progressistes, bobos, gauche caviar, etc.) une méthode de reconstruction du Tout: quiconque sort des collectifs identitaires, créés abstraitement par le Système pour attirer votes et subventions, apparaît comme un spécimen trop vulgaire et est potentiellement perçu comme un fardeau ou un danger pour le projet néolibéral qu'ils servent.
Le néolibéralisme féroce, privatisant et asocial, qu'il s'agisse de celui de Milei ou du néolibéralisme « progressiste » de la gauche woke, est de nature identique. Ils partagent la même substance : il n'y a pas de Communauté pour eux. Il n'y a pas de Totalité organique à laquelle la personne se rattache. L'ensemble des partis systémiques, à l'exception de ceux qui reçoivent l'étiquette anti-systémique (« populistes », etc.), sont des partis qui sous-tendent un Empire Yankee unipolaire, entouré d'un noyau dur intérieur (l'Anglosphère), et dans une couche plus gélatineuse et en voie de décomposition, une périphérie colonisée qui rampe sous des noms divers : Amérique Latine, Union Européenne, « tigres asiatiques », etc.
Le projet de base des partis systémiques, tous néolibéraux, est l'absence de projet. Le nihilisme. Le populisme néolibéral de Javier Milei est le même que celui de Pedro Sánchez, Pablo Iglesias ou Santiago Abascal. Le fait qu'il existe des aides et des subventions pour certains collectifs de « nouveaux activistes » n'a aucune importance. Par exemple, l'argent alloué en Espagne à d'innombrables Marocains vivant dans le pays, et même à l'extérieur, est une garantie de votes pour la « gauche », mais personne n'est sûr que la droite, si hostile aux « paguitas », fermera théoriquement le robinet de l'argent face à la soumission géopolitique de l'Espagne à l'axe USA-Israël-Maroc. En fin de compte, le système a besoin de créer ses collectifs pour manipuler la lutte des classes et la neutraliser. Que la « tronçonneuse » néolibérale existe ou non, les cadres géopolitiques de soumission aux puissances hégémoniques demeureront toujours, et aucun des lobbies de captation de voix ne changera cet état de fait d'un iota.
L'Occident ne reconnaît plus l'existence des peuples (ou des nations). Il ne reconnaît que des « individus », qui ne sont à leur tour que des ensembles de données dont on peut tirer un profit quelconque. A l'exploitation du travail, de plus en plus stratifiée à l'échelle internationale (avec une hiérarchie entre étrangers exploitables « légalement » et étrangers exploitables « illégalement »), s'ajoute toute une exploitation numérique de l'individu, qui s'est considérablement accrue lors de la pandémie de COVID-19. Les grandes entreprises technologiques (GAFAM et autres) ont rassemblé les troupeaux humains de l'Occident, avec la collaboration nécessaire et coercitive des Etats, et se sont consacrées à la « traite » des données, même des enfants, favorisant ainsi des sociétés de plus en plus manipulées, espionnées, individualistes et lâches.
Le contexte laissé par la pandémie est idéal pour les grands groupes qui gouvernent les destinées de cette partie du monde (Forum de Davos, Groupe Bilderberg, FMI, etc.), et tout porte à croire qu'il s'agit d'un contexte recherché, planifié, conçu expressément pour augmenter les taux de plus-value. Le contexte est celui d'un mode de production capitaliste fortement financiarisé, c'est-à-dire fortement déconnecté de la Réalité, qui en économie signifie : « Production ». Si nous avons souligné plus haut que les différents partis et idéologies occidentaux étaient coupables d'une déconnexion avec la réalité (au niveau des superstructures), il faut maintenant dire la même chose au niveau des structures économiques. Les grands capitaux occidentaux sont devenus ultra-concentrés: quelques sociétés spéculatives, qui gèrent des fonds d'investissement (BlackRock, Vanguard, etc.), sont propriétaires des grandes entreprises transnationales, qui sont elles-mêmes propriétaires d'une multitude d'entreprises moyennes et petites. Les actionnaires de chacun de ces fonds possèdent à leur tour de nombreuses actions dans les autres fonds, ce qui indique que l'Occident est entre les mains de très peu d'individus, de familles et de castes, très réduites en nombre, et que le rayon d'influence de leur capital est énorme, touchant l'« industrie du divertissement » (qui inclut déjà le secteur de l'information, en grande partie fausse et manipulée), les grandes lignes de l'éducation et de la manipulation mentale, l'industrie de l'armement, l'industrie de l'énergie, etc.
Ces puissants ne forment plus vraiment une classe. Quand aujourd'hui certains marxistes parlent, dans une paléolangue de plus en plus ridicule, du « pouvoir de la bourgeoisie », ces voix semblent ignorer que la bourgeoisie nationale elle-même, et même la bourgeoisie d'élite à l'échelle européenne, n'est plus une classe « souveraine » au sens productif du terme. Depuis l'occupation militaire d'après 1945, l'élite bourgeoise européenne « autochtone » est devenue clientéliste ou courtisane du capital nord-américain, de la même manière qu'auparavant, la bourgeoisie autochtone d'Amérique latine était devenue clientéliste et filiale des métropoles yankees ou européennes. Le schéma d'une théorie économique de la dépendance a été reproduit. Les élites politiques et capitalistes européennes sont dépendantes d'un capital détenu et contrôlé par l'hégémon nord-américain et c'est là, principalement, le facteur explicatif de leur suicide actuel. Ce sont des élites qui mènent les peuples d'Europe à l'abattoir.
Ce que nous appelons le nihilisme est mortel et destructeur pour le navire. L'Europe est le vaisseau de l'idéologie et de la puissance yankee: les peuples européens ont accepté leur nihilité, leur réduction radicale à une bouillie humaine, leur abaissement au statut de fourmilière d'individus solitaires, sans valeurs, totalement déracinés, consuméristes, dépendants de la connectivité technologique, sans foi ni patrie. Il s'agit d'un nihilisme émanant des centres de pouvoir, lisez d'accumulation de la plus-value, qui dirigent les sociétés dans le seul but de les amener au bercail, à l'abattoir, ou de les traire comme force de travail exploitable ou comme données pour l'extraction de la plus-value. Une élite nihiliste, opaque et réduite qui impose le nihilisme et le suicide à ses serfs.
Que regardes-tu l'air si déprimé? J'ai déjà tout.
La logique de l'extraction et de l'accumulation incessante de la plus-value n'est pas la seule logique des autres États qui s'affrontent à l'Occident ou, du moins, s'en éloignent. En Occident, elle est devenue unique et exclusive, et donc suicidaire. Personne ne nie que la Russie, la Chine, l'Inde et les autres pays du BRICS ne sont pas, eux aussi, des pays capitalistes. Ils le sont. Mais en dehors de l'Occident, il y a un retour à la perspective de l'État-nation, et même un retour des civilisations en tant que grands espaces axiologiques, et cela implique une subordination de la logique nihiliste de l'extraction et de l'accumulation à des critères étatiques, disons des critères impériaux. Si c'est l'État qui fait plier les seigneurs de l'argent, si l'État est ce type d'instance dotée d'un pouvoir réel capable de planifier la production, capable de veiller aux espaces de sécurité et d'approvisionnement au profit de ses peuples et de ses valeurs fondamentales... alors nous aurons affaire à quelque chose d'autre, pas au néolibéralisme sauvage de l'Occident, sans idéaliser ces modèles à l'excès. Dans certains pays des BRICS, nous avons le modèle d'un (grand) État-nation au sens classique, inséré dans un système multipolaire, où la coopération dans le respect du droit international (et non des règles arbitraires du « neighborhood bully ») préside à la rencontre de diverses manières d'être et de vivre l'humanité.
L'« Occident », en revanche, est devenu une monstruosité qui cache de plus en plus difficilement toutes les hontes de son hégémon, l'empire américain, héritier néfaste des précédents empires européens (le britannique, tout d'abord). Le monde se soulève contre l'hégémon. Les peuples d'Europe eux-mêmes, tellement anesthésiés et émasculés, commencent à sentir confusément que le monde n'est plus tel que la propagande orchestrée par la CIA, le Mossad, le MI6, etc. l'a enseigné. Ce n'est peut-être pas le vote pour des formations colorées et idéologiquement confuses qui changera vraiment les choses. C'est peut-être l'échange assidu avec les institutions et les collectifs des pays membres du monde multipolaire qui sera la meilleure chose : découvrir que l'hégémon ne représente pas la « Démocratie » ou les « Droits de l'Homme », ni le « Monde Libre » compris unilatéralement et de manière intéressée. Tourner le dos, petit à petit, prudemment et par des actes de souveraineté bien mesurés mais courageux, à cet hégémon yankee sera une véritable découverte pour l'« Occidental ». L'« autre » ne lui est définitivement pas inférieur. Ce « non-Occidental » le lui fera savoir d'une manière ou d'une autre. Les défaites et les crimes de l'OTAN, la fabrication honteuse d'ogives nucléaires et la complicité avec les magnats de l'industrie de la mort américaine seront dévoilés. Là-bas, au-delà du rideau d'acier et de mort que l'OTAN a créé pour nous isoler, il y a toute une série de peuples et d'États qui voient enfin l'occasion rêvée de se débarrasser du joug. L'Oncle Sam fera beaucoup de morts dans sa chute, mais de cet empire nihiliste, comme de tous ceux qui ont été voraces et non constructifs, il n'y aura pas de nostalgie. Au milieu de la peur des champignons nucléaires en Europe, il faut espérer un monde de peuples, un globe diversifié, un système multipolaire de civilisations qui admettent leurs différences et travaillent ensemble dans la paix.
Carlos X. Blanco
Né à Gijón en 1966. Docteur en philosophie (pure). Licence en philosophie et en sciences de l'éducation (sections psychologie et pédagogie). Diplôme extraordinaire et prix de doctorat. Auteur de plus de 50 publications(http://dialnet.unirioja.es/servlet/autor?codigo=31725) et de plusieurs livres (La Luz del Norte, La Caballería Espiritual, Casería y Socialismo, Oswald Spengler y la Europa Fáustica...). Membre du comité scientifique de la revue La Razón Histórica. Revista Hispanoamericana de Historia de las Ideas. Il collabore à la Revista Contratiempo, où il a publié plusieurs essais.
Il a été professeur associé à l'université d'Oviedo et à l'université de Castille-La Manche. Il enseigne à l'Instituto « Maestro Juan de Ávila » à Ciudad Real (Espagne).
16:09 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : actualité, carlos x blanco, occident, occidentisme, néolibéralisme, gauche identitaire, gauche woke | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 24 juin 2024
La fin de la société ouverte
La fin de la société ouverte
Source: https://philosophia-perennis.com/2022/10/01/das-ende-der-offenen-gesellschaft/
La société occidentale est tout sauf ouverte et elle est ouvertement antidémocratique, car les principaux médias n'autorisent que les points de vue qui ne contredisent pas les intérêts des élites qui tiennent le pouvoir en arrière-plan.
Le système politique occidental se considère comme libre, libéral et bien sûr démocratique. Les élites occidentales utilisent toujours ces attributs avec un certain succès auprès des personnes qui ne connaissent pas le système occidental de l'intérieur.
Karl Popper
Karl Popper a fourni une sorte de base philosophique au système occidental en le décrivant comme une "société ouverte". Selon Popper, cette société serait ouverte parce que le discours politique y serait ouvert et ne serait pas déterminé par des objectifs idéologiques, des prétendues lois historiques (historicisme) ou des traditions. Dans l'idéal social de la "société ouverte", il n'y a donc pas de vérité absolue :
Par exemple, selon Popper, on ne peut pas déduire de l'observation de cygnes blancs, aussi nombreux soient-ils, que tous les cygnes sont blancs. Un seul cygne noir réfute cette affirmation. Ce genre de sophisme est dangereux. De même, on peut maintenant affirmer que l'observation de milliards et de milliards d'êtres humains divisés en hommes et femmes ne permet pas de conclure qu'il n'y a que deux sexes. Tout fou qui prétend maintenant appartenir à n'importe quel autre sexe devrait donc réfuter la constatation qu'il y a deux sexes.
La "société ouverte" a pour objectif de libérer les capacités critiques des individus. Dans ce contexte, le pouvoir de l'État doit être partagé autant que possible afin d'éviter les abus de pouvoir. Le discours politique dans la "société ouverte" est bien entendu démocratique, ce qu'il ne comprend toutefois pas comme le règne de la majorité, mais comme la possibilité de révoquer le gouvernement sans violence.
Les points faibles du concept de Popper
La "société ouverte" se distingue ainsi du fascisme, du communisme, du nationalisme et de tout État de droit.
Il ne fait aucun doute que ce concept politique présente des aspects attrayants, en particulier pour tous les types de libres penseurs qui ne veulent pas être enfermés dans un concept idéologique quelconque. D'un autre côté, ce concept a aussi des points faibles dangereux (comme le montre l'exemple ci-dessus), car d'une part, il n'offre aucune perspective à long terme pour une société et, d'autre part, il rejette la tradition. Or, la tradition recèle souvent des siècles, voire des millénaires d'expérience sur la vie et ses lois. Popper rejette explicitement ces lois comme étant de l'historicisme. Or, ignorer ces lois devient tôt ou tard un piège mortel pour une société.
C'est la porte ouverte à toutes sortes d'absurdités, comme l'obsession du genre, la glorification de toutes les déviances sexuelles possibles ou de n'importe quel mode de vie alternatif, qui signifient en fin de compte le déclin et la mort certaine de la société en question. Popper a développé ses idées pendant la Seconde Guerre mondiale, à une époque où les priorités étaient naturellement différentes de celles d'aujourd'hui.
L'absence de toute ligne directrice pour l'organisation de la vie rend de nombreuses personnes désorientées et donc particulièrement réceptives à la propagande de l'esprit du temps par le biais des médias, qui sont contrôlés en arrière-plan par les élites au pouvoir. C'est la raison pour laquelle George Soros est un adepte de cette philosophie, comme il l'a exprimé en créant son Open Society Foundation.
Les purs intérêts du pouvoir dominent
A ce stade, les idées de la "société ouverte" sont contrecarrées par la pratique :
Le débat sur les objectifs actuels de la société occidentale n'a plus lieu en public depuis longtemps, mais dans des cercles de pouvoir quelconques qui se coupent du public. Il s'agit uniquement des intérêts des acteurs représentés dans ces cercles de pouvoir. Les résultats de ce débat sont présentés au grand public sous forme de récits bien-pensants qui sont ensuite communiqués par les médias. Un débat ouvert est une chose bien différente.
La société occidentale est donc tout sauf ouverte et elle est ouvertement antidémocratique, car ces médias n'autorisent que les opinions qui ne contredisent pas les intérêts des élites qui tiennent le pouvoir en arrière-plan.
L'intolérance des médias à l'égard de ceux qui ne pensent pas comme eux est devenue de plus en plus insupportable au cours des dix ou quinze dernières années. Le contexte est simple : depuis la crise financière de 2008, le monde occidental est en mode de gestion de crise permanente.
L'arrière-plan profond de cette crise permanente réside dans des changements tectoniques du pouvoir à l'échelle mondiale, au détriment des élites occidentales.
La guerre en Ukraine, un séisme pour les élites occidentales
Comme le système occidental était préférable à tout autre système politique avant la chute du rideau de fer, les élites occidentales pouvaient aisément faire face aux critiques, même fondamentales. En ce sens, elles étaient "libérales" au sens de Popper. L'effondrement du Pacte de Varsovie a marqué le zénith de la puissance de l'Occident. La défaite de l'Union soviétique était perçue comme une sorte de fin de l'histoire. Les élites occidentales se sont imaginées être durablement les maîtres du monde. Après cela, la situation s'est lentement mais sûrement dégradée. Les citoyens ordinaires l'ont également ressenti dans leur porte-monnaie. Des mouvements "populistes" ont alors vu le jour, remettant en cause le pouvoir des élites. Dès lors, les médias de masse dirigés sont devenus de plus en plus illibéraux vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme eux.
Pour les élites occidentales, la guerre en Ukraine est une sorte de séisme qui a suivi les changements tectoniques du pouvoir mentionnés ci-dessus. Leur hégémonie est désormais remise en question. Avec l'hégémonie sur cette planète, tous les avantages économiques qu'elles en tirent seront bientôt révolus. Il ne s'agit pas seulement de la possibilité d'obtenir des avantages en faisant tourner la planche à billets. Il est également important, par exemple, d'imposer les droits de brevet à l'échelle mondiale, ce que seul un hégémon peut faire en fin de compte.
Dans cette situation, les élites ne tolèrent aucune contradiction. A partir de maintenant, elles ont définitivement arraché le masque libéral de leur visage et tentent d'éradiquer les dissidents. L'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder ou l'ancienne ministre autrichienne des Affaires étrangères Karin Kneissl, par exemple, peuvent témoigner de ce qui peut arriver aux amis de Poutine.
Popper se retournerait dans sa tombe !
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La guerre culturelle est le baume pour imposer la concentration des richesses
La guerre culturelle est le baume pour imposer la concentration des richesses
Par Wellington Calasans
Source: https://jornalpurosangue.net/2024/06/19/a-guerra-cultural-e-a-vaselina-para-a-imposicao-da-concentracao-de-riqueza/
L'idée que la " culture woke " est une arme occidentale pour ouvrir la voie au chaos économique issu du néolibéralisme est une approche qui fait son chemin dans les milieux les plus attentifs aux mouvements géopolitiques planétaires. Cet argument, bien que complexe, est réaliste pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la "culture éveillée/woke" est une arme qui vise une cible vague et incohérente. La cible est si large qu'elle tente d'englober une variété de mouvements sociaux, d'idéaux et de pratiques, de la fausse recherche de quelque chose autour de la justice sociale et de l'égalité à la défense des identités et des droits LGBTQIA+, un mélange de désordre psychologique et de cas perdu de maladie psychiatrique.
Généraliser cette diversité sous la bannière de la "liberté occidentale" est réducteur et ignore la complexité des mouvements sociaux et de leurs motivations, en donnant la priorité à l'imposition de subdivisions minoritaires comme norme à suivre par tous.
Deuxièmement, les indications évidentes que la "culture woke" est instrumentalisée pour promouvoir le chaos économique. Le néolibéralisme, en tant que système économique, a ses propres défauts intrinsèques, qui engendrent des crises et des inégalités.
Par conséquent, lier la crise du néolibéralisme à une "arme de l'humour" met en évidence cette pseudo-culture comme une dispersion, explicitement gonflée pour détourner l'attention des causes réelles et empêcher l'analyse critique du système.
Troisièmement, la "culture woke" est souvent utilisée par le néolibéralisme lui-même pour stimuler les attaques contre les groupes minoritaires et les mouvements sociaux. En utilisant la "culture woke" comme manœuvre pour déstabiliser l'ordre social, les néolibéraux cherchent à délégitimer la lutte pour la justice sociale et les droits, en stigmatisant ceux qui se mobilisent réellement pour l'égalité pour tous, tandis que la "culture woke" renforce les subdivisions, empêchant ainsi l'unité sociale.
Au lieu de chercher à victimiser les minorités, il est essentiel d'analyser le néolibéralisme comme responsable des causes de la crise économique mondiale. La concentration des revenus, la financiarisation de l'économie, la déréglementation des marchés et l'exploitation d'une main-d'œuvre bon marché ne sont que quelques-uns des facteurs qui contribuent à la crise du néolibéralisme.
La recherche de solutions à cette crise exige une analyse critique du système économique et une attitude de dialogue et de respect envers les mouvements sociaux légitimes qui cherchent à construire une société plus juste et plus durable, loin des malades mentaux qui adhèrent à la "culture woke" pour échapper à leurs propres fantômes.
DANS LA PRESSE ALTERNATIVE AUX ÉTATS-UNIS
J'ai récemment regardé une vidéo de certains commentateurs de films préférés du public, tout en se lamentant sur la mort de l'industrie cinématographique.
Ils ont tenté d'expliquer les raisons pour lesquelles de nombreux films à succès perdaient de l'argent, en mentionnant l'essor des services de streaming et le comportement de certains clients dans les cinémas.
Ils ont rejeté l'idée que la guerre culturelle faisait partie du problème, agissant comme s'il s'agissait d'une simple distraction.
Pourtant, la guerre culturelle joue un rôle important dans la société d'aujourd'hui, et ceux qui l'ignorent ne comprennent pas ce qui se passe aux États-Unis et dans certaines parties de l'Europe.
Certaines personnes choisissent de rester à l'écart des questions politiques et sociales, préférant éviter les conflits. Cependant, la civilisation subit des changements rapides et intentionnels, et tout le monde en sera affecté, que l'on croie ou non à la guerre culturelle.
Le monde du cinéma est une fenêtre sur les conflits culturels et peut refléter les influences idéologiques derrière les productions. Les grandes entreprises se sont engagées dans des guerres de mots depuis 2016, en essayant d'imposer l'idéologie d'extrême gauche comme dominante.
Des entreprises comme Disney ont essuyé des échecs en essayant de promouvoir des idéologies politiques dans leurs productions, comme dans le cas de Star Wars.
Certaines entreprises adoptent une approche autodestructrice en aliénant les consommateurs qui ne sont pas d'accord avec leurs messages politiques, en reprochant au public de ne pas aimer leurs produits et en essayant d'imposer un programme politique.
Les entreprises ont traité les consommateurs comme des serfs qui doivent accepter les produits et les messages politiques sans poser de questions. Cela suggère que les entreprises ne se soucient plus de plaire aux consommateurs, mais attendent d'eux qu'ils acceptent n'importe quel message politique qui leur est imposé.
Il existe différentes théories pour expliquer ce comportement, notamment la possibilité d'un effondrement économique imminent qui amènerait les gouvernements à intervenir et à sauver les entreprises, laissant les dirigeants d'entreprise moins préoccupés par les profits immédiats.
L'économie de partage, promue par le Forum économique mondial, suggère un scénario où le gouvernement fournit tout et où les gens perdent leur liberté de choix. Ce modèle pourrait conduire à une mentalité d'esclave, où les gens sont forcés d'accepter ce qu'on leur donne sans poser de questions.
La guerre culturelle est une bataille entre ceux qui veulent adopter le système dystopique proposé et ceux qui résistent et luttent contre lui. Les sceptiques qui restent ignorants de la guerre culturelle risquent de se retrouver sans liberté de choix à l'avenir s'ils ne s'impliquent pas activement.
NOTE D'UN OBSERVATEUR DISTANT
L'idée que la "culture woke" est une arme occidentale pour préparer le chaos économique éclaire un débat plus sérieux sur l'utilisation de personnes mentalement fragiles comme bouclier pour cacher l'agenda néolibéral nuisible.
Cette "culture" sert à détourner l'attention des causes réelles de la crise du néolibéralisme, à stigmatiser les mouvements sociaux et à alimenter les attaques contre les groupes minoritaires qu'elle prétend défendre.
Il est essentiel de garder un œil critique sur ces bizarreries et de chercher de vraies solutions aux problèmes socio-économiques que le néolibéralisme engendre.
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mercredi, 10 avril 2024
Surveiller et punir au 21ème siècle
Surveiller et punir au 21ème siècle
Alberto Giovanni Biuso
Source: https://www.aldousblog.it/single.php?id=191
"Indépendamment de la volonté des hommes et des autorités qui les dirigent", écrit Fernand Braudel, "les phénomènes collectifs s'engendrent, se produisent, se transforment" (Civilisation matérielle, économie et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), vol. III, I tempi del mondo, traduit par C. Vivanti, Einaudi, Turin 1982, p. 65). Une fois enclenchées, les dynamiques sociales et politiques vivent une vie propre, selon des règles certes moins rigides que celles qui guident le monde physique, mais très fortes et parfois très proches des principes qui sous-tendent les transformations matérielles.
Les climats de guerre sont également dangereux pour cette raison, comme le démontrent amplement les événements de 1914, qui constituent un sinistre précédent pour l'hystérie anti-russe qui, créée à dessein par les États-Unis d'Amérique, provoque le massacre du peuple ukrainien, littéralement envoyé à l'abattoir, et prépare une catastrophe guerrière pour l'Europe occidentale, après avoir déjà produit une crise économique qui ne cesse de s'aggraver.
La nature de l'Europe en tant que colonie, qui était claire depuis le suicide de 1939-1945, est maintenant tout à fait évidente et les gouvernements nationaux sont en réalité des gouvernements fantoches au service des États-Unis. Servilité dans laquelle se distinguent les exécutifs et les parlements italiens, qu'ils soient dirigés/majoritaires par le Parti démocrate (socialiste) ou par Fratelli d'Italia.
La doctrine de Brejnev sur les "pays à souveraineté limitée" décrit largement l'Europe contemporaine. Egalement parce que l'une des dynamiques les plus caractéristiques du premier quart du 21ème siècle est l'affaiblissement progressif des États et de leurs appareils politiques, qui mettent leurs structures administratives et leurs réserves économiques au service de puissances mondiales et multinationales, qu'elles soient aussi visibles que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) payant des impôts dérisoires, ou moins évidentes que la galaxie gravitant autour du magnat de la finance Soros et du Forum économique mondial (WEF) de Davos.
L'une des innovations politico-technologiques les plus pertinentes financées et soutenues par le GAFAM et le WEF est le "Digital ID Wallet", le "portefeuille numérique" qui constitue l'une des expressions les plus claires du dispositif de contrôle que Michel Foucault a résumé par la formule "surveiller et punir".
Le "portefeuille numérique", en effet, par le biais d'un simple programme dans les téléphones mobiles, unifie les documents d'identité, les données de santé et les données fiscales, ainsi qu'une géolocalisation implacable du porteur, dont les mouvements deviennent tous traçables. Le cabinet Frost & Sullivan, qui a primé cette invention, déclare qu'"en cas de suspension du droit d'un individu pour quelque raison que ce soit, le gouvernement peut l'invalider en temps réel sur la plateforme" (G. Travers, in éléments, n° 194, février-mars 2022), transformant brutalement le citoyen en étranger sans droits civiques et ne disposant plus de son argent. Une condition de servitude authentique et intégrale (prenons donc bien garde à "télécharger" de telles applications sur nos téléphones).
Un soutien politique total à ces dynamiques liberticides et dictatoriales est offert par "la gauche néolibérale" (titre de la traduction italienne d'un livre de Sahara Wagenknecht, leader depuis quelques années du parti allemand Die Linke/La Gauche, qui porte dans l'original la dénomination plus efficace de Die Selbstgerechten, que l'on peut traduire par "les arrogants, les présomptueux, les satisfaits d'eux-mêmes"). Wagenknecht procède, dans ce livre, à une description plastique de l'idéalisme politico-anthropologique qui passe de l'internationalisme "communiste", répudié avec horreur, à l'internationalisme ultra-libéral d'un capitalisme (depuis toujours) sans patrie et sans identité, dans lequel triomphe l'ontologie fluxique et indéterminée d'un être humain qui, en se privant d'identité, nie aussi toute différence, un être humain n'existant que comme lieu de passage purement volontariste et sans racines territoriales, culturelles ou biologiques.
Une "gauche" "championne des quotas pour protéger toutes les minorités (diversité), du wokisme correctif à effet rétroactif de l'histoire, et du genderisme biffant le réel de la biologie" et qui au contraire adresse un "dénigrement constant ... quand ce n'est pas un mépris pur et simple pour les droits de l'homme...", quand ce n'est pas le mépris des valeurs défendues par les classes sociales les plus modestes et les habitants des périphéries urbaines et des petites villes de province", qui sont ainsi incités "à voter pour la droite anti-establishment même si elle propose alors des recettes néo-libérales dont ils ne tireront rien" (C. Nizzani, Diorama Letterario, n° 378, mars-avril 2024, p. 24).
Même la propagande écologique de cette "gauche" est en réalité tout à fait superficielle et factice, à la fois parce que la prétendue "transition écologique" est en réalité limitée à l'économie du continent européen, elle aussi vouée à succomber dans le marché mondial; et parce que les solutions qu'elle propose (comme la voiture électrique) sont en réalité encore plus polluantes que les technologies dérivées du charbon; et parce que le principe clé de l'approche écologique originelle et de la Deep Ecology d'Arno Næss et de Martin Heidegger est la défense des territoires, de leurs cultures, de leurs langues, de leurs traditions, et de leurs identités.
Aux fondements libéraux et aux résultats destructeurs de cette "gauche", on pourrait appliquer la formule de Michele Del Vecchio concernant le paradoxe de la "philanthropie de l'ambiguïté", transformée à l'envers, cependant, en ambiguïté de la philanthropie.
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samedi, 24 février 2024
L'État managérial néolibéral et les organisations non gouvernementales (ONG)
L'État managérial néolibéral et les organisations non gouvernementales (ONG)
Diego Fusaro
Source: https://posmodernia.com/el-estado-gerencial-neoliberal-y-...
La "managérialisation" de l'Etat, imposée avec grande arrogance après 1989, correspond en fait à sa neutralisation ou, plus précisément, à sa subsomption sous la dynamique économique qui a conduit à la réalisation de la prophétie de Foucault: "il faut gouverner pour le marché, au lieu de gouverner à cause du marché".
Le renversement du rapport de force traditionnel a finalement conduit au passage du marché sous la souveraineté de l'État à l'État sous la souveraineté du marché: en plein cosmopolitisme libéral, l'État n'est plus que l'exécutant de la souveraineté du marché.
Célébrée par la nouvelle gauche post-gramscienne et son programme (qui coïncide de plus en plus clairement avec celui de l'élite libérale), l'abolition de la primauté de l'État a contribué à libérer non pas les classes dominées, mais la "bête sauvage" qu'est le marché.
A l'ère de l'Etat à souveraineté limitée ou dissoute, la prérogative de superiorem non recognoscens est acquise de manière stable et directe par l'élite mondialiste qui prend le figure du seigneur néo-féodal, qui l'exerce à travers des organismes reflétant ses intérêts - de la BCE au FMI. L'économie planétaire a conquis le statut d'une puissance qui ne reconnaît rien comme supérieur.
Les entités privées et supranationales susmentionnées annihilent toute possibilité d'aborder avec des ressources publiques les questions sociales dramatiques et urgentes liées au travail, au chômage, à la misère croissante et à l'érosion des droits sociaux.
En l'absence du pouvoir édificateur de l'État, les élites ploutocratiques libérales-libertaires prêchent ouvertement et pratiquent discrètement, dans leur propre intérêt, la modération salariale, le contrôle des comptes publics et, bien sûr, la sanction d'un éventuel non-respect. En même temps, elles peuvent récupérer tout ce qu'elles ont perdu dans les conflits de classe, c'est-à-dire tout ce que le mouvement ouvrier a réussi à obtenir au cours du 20ème siècle - le siècle des conquêtes ouvrières et sociales, et pas seulement des "tragédies politiques" et des totalitarismes génocidaires: de l'entrée du droit sur le lieu de travail à la formation des syndicats, de l'éducation gratuite pour tous aux fondements de l'État-providence.
En outre, le fanatisme économique de classe peut facilement utiliser les idéologies du passé, liées à des projets politiques ayant ignominieusement échoué, comme une ressource symbolique négative pour se légitimer. Il peut désormais se présenter comme préférable à toute expérience politique antérieure, ou liquider a priori tout projet de régénération du monde et toute passion utopique-transformatrice, immédiatement assimilés aux tragédies du 20ème siècle.
La proclamation de la Fin de l'Histoire est proposée, depuis 1992, comme le condensé idéologique du monde d'aujourd'hui entièrement subsumé par le capital. Emblématique de la philosophie destinaliste du progrès capitaliste de l'histoire, elle a réussi à installer dans la mentalité générale la nécessité de s'adapter aux nouveaux rapports de force. Et cela, d'ailleurs, avec la conscience - cynique ou euphorique, selon les cas - d'être parvenu au terme de l'aventure historique occidentale, achevée avec la liberté universelle du marché planétaire et l'humanité réduite à l'état d'atomes consommateurs solitaires, à la volonté de puissance abstraitement illimitée et concrètement coextensive par rapport à la valeur d'échange disponible.
Fonctionnelle pour l'alignement général sur l'impératif du ne varietur, la démystification postmoderne des grands méta-récits a procédé de pair avec l'imposition d'un seul grand récit autorisé et idéologiquement naturalisé dans une seule perspective admise comme vraie: le storytelling usé et la vulgate libérale abusive de la Fin de l'Histoire destinaliste dans le cadre post-bourgeois, post-prolétarien et ultra-capitaliste, inauguré avec la chute du Mur et avec la cosmopolitisation réelle du nexus de la force capitaliste.
Il suffit de rappeler ici, à l'aide d'un exemple concret tiré de notre présent, le rôle de ce qu'on appelle les "organisations non gouvernementales". Celles-ci, avec les entreprises multinationales et déterritorialisées, ont contesté la prédominance des Etats. Derrière la philanthropie avec laquelle ces organisations prétendent agir (droits de l'homme, démocratie, sauver des vies, etc.), se cachent les intérêts privés du capital transnational.
Les Organisations Non Gouvernementales, en réalité, revendiquent d'en bas et depuis la "société civile" les "conquêtes de la civilisation", les "droits" et les "valeurs" établis d'en haut par les Seigneurs du mondialisme niveleur qui "per sé fuoro" (Inferno, III, v. 39), les nouveaux conquérants financiers et les gardiens de la grande entreprise du marché supranational sous l'hégémonie de la spéculation capitaliste privée.
Ces conquêtes, ces droits et ces valeurs sont donc toujours et uniquement ceux de la classe mondiale compétitive, idéologiquement présentés comme "universels": démolition des frontières, renversement des États voyous (c'est-à-dire de tous les gouvernements non alignés sur le Nouvel ordre mondial unipolaire et américano-centré), encouragement des flux migratoires au profit du cosmopolitisme d'entreprise, dé-souverainisation, déconstruction des piliers de l'éthique bourgeoise et prolétarienne (famille, syndicats, protection du travail, etc.).
Dans cette perspective, sous le vernis humanitaire des ONG, on découvre le cheval de Troie du capitalisme mondial, le tableau de bord de l'élite cosmopolite, avec sa règle fondamentale impitoyable (business is business) et son assaut contre la souveraineté des Etats.
Si elles ne sont pas analysées selon le schéma imposé par l'hégémonie de l'aristocratie financière, les organisations non gouvernementales se révèlent être un moyen puissant de contourner et de saper la souveraineté des États, et de mettre en œuvre point par point le plan mondialiste de la classe dirigeante, en vue de la libéralisation définitive de la réglementation politique des États-nations souverains en tant que derniers bastions des démocraties.
L'affrontement entre les ONG et les lois des Etats nationaux ne cache pas, comme le répètent les maîtres du discours, la lutte entre la philanthropie, celle de "l'amour de l'humanité", et l'autoritarisme inhumain; au contraire, on y trouve la guerre entre la dimension privée du profit des groupes transnationaux et la dimension publique des Etats souverains qu'ils assiègent.
Plus précisément, pour ceux qui s'aventurent au-delà du théâtre vitreux des idéologies et affirment la volonté de savoir de la mémoire foucaldienne, à l'horizon de la mondialisation comme nouvelle étape du conflit cosmopolitisé entre Seigneur et Serviteur (le Maître et l'Esclave, Hegel), les organisations non gouvernementales apparaissent comme les instruments idéaux pour l'imposition d'un agenda politique mûri en dehors de tout processus démocratique et protégeant exclusivement les intérêts concrets de la classe hégémonique.
Cette dernière, d'ailleurs, grâce au travail diligent des anesthésistes du spectacle, calomnie de "souverainiste" - énième catégorie frauduleuse inventée par la néo-langue des marchés - quiconque ne dit pas définitivement adieu au concept de souveraineté nationale. Bastion de la défense des démocraties développées au sein des espaces étatiques encore réfractaires au Nouvel Ordre Mondial (qui est post-démocratique au même titre qu'il est post-national), l'objectif est que la notion même de souveraineté nationale soit idéologiquement dégradée en un instrument d'agression et d'oppression, d'intolérance et de xénophobie.
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mardi, 13 février 2024
C'est le néolibéralisme qui est criminel, pas l'État, cher Milei
C'est le néolibéralisme qui est criminel, pas l'État, cher Milei
Stelio Fergola
Source: https://www.ilprimatonazionale.it/primo-piano/e-il-neoliberismo-ad-essere-criminale-non-certo-lo-stato-caro-milei-274915/
Le néolibéralisme criminel
Rome, 13 fév - Le néolibéralisme criminel accuse l'Etat d'être criminel. Javier Milei ne se ménage pas lors de sa visite en Italie. Au terme d'une journée riche en rencontres (de la Première ministre Giorgia Meloni au Pape François), le président argentin, interviewé par Quarta Repubblica, a professé pour la énième fois son hostilité à pratiquement toute forme d'intervention de l'Etat dans l'économie.
Miléi: "L'Etat est une organisation criminelle"
L'interview sera diffusée ce soir mais promet déjà de faire du bruit. Pas aussi spectaculaire, visuellement, que les scènes de tronçonneuse auxquelles le président argentin s'est livré dans un passé récent, mais en termes d'impact, nous y sommes. Ce que rapporte Ansa est une nouvelle déclaration de guerre à l'économie sociale. "Philosophiquement, je suis un anarcho-capitaliste et j'éprouve donc un profond mépris pour l'État. Je pense que l'État est l'ennemi, je pense que l'État est une association criminelle", déclare Milei. Il ajoute ensuite : "En fait, l'État est une association criminelle dans laquelle un groupe de politiciens se réunit et décide d'utiliser le monopole pour voler les ressources du secteur privé. La méthode de l'État est le vol: chaque fois que vous allez acheter quelque chose quelque part, l'État vous vole par le biais des impôts; par conséquent, l'État vous vole tous les jours".
C'est le néolibéralisme qui est criminel, et les 30 années passées à le mettre en oeuvre le prouvent pleinement
Il faudrait partir de la loufoquerie avec laquelle Milei radote sur un "État qui vole avec les impôts", alors que - au moins à long terme, pour l'instant en Argentine les proclamations sont bien sûr contraires et on parle surtout de réduction des dépenses publiques - il devra demander beaucoup à ses citoyens. Et pas qu'un peu. La dette extérieure se paie de deux manières: en taxant et en réduisant. Réduire indéfiniment est évidemment impossible, tout comme taxer indéfiniment. Nous, Européens, qui ne connaissons cette situation misérable que depuis quelques décennies, le savons très bien; ils le savent très bien en Amérique du Sud, où la tradition est malheureusement plus ancienne.
Le problème se situe, comme toujours, au niveau de la politique. Bien plus que dans l'économie, comme on l'a fait croire pendant des décennies. Pour mieux dire, l'économie est le reflet du pouvoir politique. Celui de l'Argentine est pratiquement nul, comme celui de la quasi-totalité des pays d'Amérique latine, d'Afrique et même d'Europe depuis trente ans. C'est alors que la "tenue des comptes" devient une priorité car les intérêts usuraires tiennent le pays, quel qu'il soit, sous contrôle (rappelons toujours qu'à Washington, pendant ce temps, il suffit d'une loi du Congrès pour les contourner, pour contourner, je précise, des faits de 2023, pas des faits d'il y a un siècle). Milei dit que l'État est criminel. Mais sa propre patrie a prouvé, pendant la brève période d'autonomie relative qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, que c'était exactement le contraire. Au contraire, l'État est devenu un fardeau lorsqu'il a été écrasé par l'"aide" du Fonds monétaire international, comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation.
Pensez aussi à la crise tunisienne: pourquoi le président Kais Saied s'est-il montré si hostile aux propositions financières des pays occidentaux et du Fonds lui-même? Tout simplement parce qu'il sait très bien qu'accepter des prêts peut signifier ne mettre qu'un frein momentané à la situation et continuer ensuite dans une spirale sans fin d'argent qui ne sera jamais remboursé et qui conduira à une plus grande immixtion sociale.
C'est ce que démontrent les économies mixtes de l'Europe occidentale jusqu'aux années 1990, dont le PIB n'est certes pas comparable à celui des superpuissances, mais qui se caractérisent par une richesse généralisée et un équilibre social sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Trente années de politiques néolibérales le démontrent, mais dans un sens négatif, pour l'Italie mais aussi pour l'Europe. Elles n'ont évidemment pas "accompli" le néolibéralisme italien, mais ont progressivement tué l'une des principales puissances industrielles et sociales du monde, la conduisant, par le biais de la vente du secteur public, à la désindustrialisation et à une augmentation disproportionnée de la pauvreté. Voilà pour les mensonges sur l'État criminel.
Stelio Fergola
21:23 Publié dans Actualité, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dette, économie, actualité, néolibéralisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 15 janvier 2024
Jacques Delors a fait de l'Europe unie un dispositif néolibéral irréformable
Jacques Delors a fait de l'Europe unie un dispositif néolibéral irréformable
par Alessandro Somma
Source: https://www.sinistrainrete.info/europa/27128-alessandro-somma-jacques-delors-ha-reso-l-europa-unita-un-dispositivo-neoliberale-irriformabile.html
Le plein emploi contre la stabilité des prix
Selon le récit dominant, l'Europe unie est née pour assurer un avenir pacifique au Vieux Continent. Elle a cependant vu le jour à une époque marquée par la guerre froide, et a donc été conçue pour renforcer le front des pays capitalistes luttant contre le bloc socialiste. Cela n'a pas empêché les États de promouvoir une condition préalable au maintien de la paix: une redistribution des richesses par les pouvoirs publics hors du marché par le biais de l'aide sociale, et dans le marché avec la protection du travail et le plein emploi.
Bref, l'Europe unie, dans ses premières années, n'était pas totalement hostile au compromis keynésien. C'est précisément le plein emploi qui est mentionné dans le traité instituant la Communauté économique européenne parmi les objectifs que la coordination des politiques fiscales et budgétaires nationales doit poursuivre. Mais parmi ceux-ci figurait également la stabilité des prix et donc la lutte contre l'inflation, c'est-à-dire un objectif centré sur le plein emploi: pour le poursuivre, il fallait soutenir la demande en augmentant les salaires et donc éviter les politiques monétaires visant à freiner la masse monétaire, nécessaires pour promouvoir la stabilité des prix.
Dans tout cela, on pensait que les pays participant à l'intégration européenne ne devraient pas se limiter à coordonner leurs politiques fiscales et budgétaires, c'est-à-dire qu'ils les céderaient tôt ou tard à Bruxelles. On a alors pensé que cette étape devait accompagner, voire précéder, la mise en place d'une politique monétaire commune.
En d'autres termes, le lancement de la monnaie unique devait être précédé du choix de l'objectif de politique fiscale et budgétaire à privilégier: il fallait décider si l'on accordait plus d'importance au plein emploi ou à la stabilité des prix, puis identifier une politique monétaire cohérente avec cet objectif.
Au cours des années 1980, cette feuille de route a été bouleversée par la décision d'adopter une politique monétaire commune en l'absence de politiques fiscales et budgétaires communes, et surtout de le faire avec un seul objectif: la stabilité des prix. Ainsi, bien que les politiques fiscales et budgétaires restent entre les mains des États membres, ceux-ci sont empêchés de rechercher le plein emploi [1].
L'architecte d'une telle transformation a été Jacques Delors, qui a d'abord provoqué l'échec d'une expérience gouvernementale hostile à l'orthodoxie néolibérale et a ensuite été récompensé par la présidence de la Commission européenne: un poste qu'il a occupé pendant trois mandats, de 1985 à 1995. Il ne s'agit donc pas d'un père éclairé de l'Europe unie, mais du principal responsable du montage qui l'a conduite à devenir un dispositif néolibéral irréformable, incapable d'endiguer la virulence des marchés et l'effondrement de la participation démocratique qui en découle. N'en déplaise à ceux qui pensent que la phase actuelle indique un renversement de tendance et non la consolidation définitive de l'ordre construit par Delors. Et surtout de ceux qui pensent que l'absence d'une politique fiscale et budgétaire commune est une anomalie et non un arrangement souhaité pour les effets qu'il produit inévitablement.
Ministre français des finances
On a parlé de l'expérience gouvernementale hostile à l'orthodoxie néo-libérale à l'échec de laquelle Delors a apporté une contribution fondamentale. Il s'agit d'une affaire qui a pris naissance en France au début des années 1980: lorsque s'ouvre la saison politique de François Mitterrand, élu président de la République en 1981 et reconduit pour deux septennats, il inspire la naissance d'une première coalition.
Il a inspiré la naissance d'un premier exécutif de coalition présidé par Pierre Mauroy, qui comprenait des socialistes, des radicaux de gauche et des communistes, engagés dans un programme comprenant la relance de la protection sociale, le renforcement de la protection des travailleurs, l'augmentation des salaires et la nationalisation des entreprises d'intérêt national en situation de monopole. La conséquence est une hausse de l'inflation, et avec elle le risque de remettre en cause la participation de la France au système monétaire européen [2], que l'on veut contrer par des instruments incompatibles avec l'élan keynésien du programme.
En effet, la stabilité des prix est devenue le point de référence des politiques décidées par la coalition, qui s'est ainsi trouvée dans l'incapacité d'alimenter des politiques de plein emploi. C'est le fil conducteur des initiatives prises par le deuxième et surtout le troisième exécutif présidé par Mauroy, dans lequel Delors, ministre des Finances d'emblée critique à l'égard de l'approche keynésienne, s'est distingué par le zèle avec lequel il a voulu imposer la modération salariale et limiter les dépenses publiques [3].
Tout cela n'a pas relancé l'économie française, en proie à un appauvrissement des familles et à une montée du chômage, auxquels il a voulu s'attaquer par de nouvelles mesures d'inspiration néolibérale: en premier lieu, le désengagement économique de l'État. Delors devait consolider le redressement en assumant le poste de premier ministre, mais sa carrière politique a pris une autre tournure: en 1985, il est devenu président de la Commission européenne, un poste qui, comme nous l'avons dit, a été renouvelé à deux reprises jusqu'en 1995.
Président de la Commission européenne
En tentant de dresser le bilan de cette décennie, beaucoup ont célébré la contribution de Delors au développement de l'intégration européenne en exaltant son profil de personnalité qui ne pouvait être rangée dans le camp des partisans du laissez-faire [4]. Pourtant, on doit à Delors l'ancrage définitif de la construction à l'orthodoxie néolibérale, ne serait-ce que par la réalisation d'un préalable à sa diffusion: l'élimination des obstacles à la libre circulation des capitaux. Tout cela comme un premier pas vers le lancement d'une politique monétaire commune, le principal héritage de Delors et l'événement pour lequel il est toujours célébré comme le père de la construction européenne.
Le premier acte politique de Delors à la tête de la Commission est la rédaction du Livre blanc sur "l'achèvement du marché", qui n'est plus défini comme "commun" mais comme "intérieur": une expression jusqu'alors utilisée pour le niveau national, dont l'emploi souligne la volonté de "souder les marchés individuels des États membres". Il s'agit d'intervenir dans la libre circulation des marchandises, compromise au cours des années 1970 par des politiques nationales protectionnistes, qui se sont multipliées en réaction à la crise économique et ont finalement été tolérées par le niveau européen [5]. Elle appelle ensuite à réaliser enfin la libre circulation des capitaux, pour laquelle il faut procéder à "l'harmonisation des dispositions nationales régissant les activités des intermédiaires financiers et des marchés financiers". Enfin, les distorsions de concurrence devaient être vigoureusement combattues et, en particulier, les aides d'État aux entreprises "non compétitives" [6] devaient être ciblées.
Libre circulation des capitaux
Le Livre blanc n'a pas été mis en œuvre dans toutes ses parties, mais sa structure a inspiré l'Acte unique européen de 1986. Celui-ci modifie le traité CEE en faisant notamment référence à la création d'un "espace sans frontières dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée" (article 8A).
En outre, l'Acte unique, contrairement au Livre blanc, prenait en compte un certain effet de la libre circulation des capitaux: celle-ci exacerberait la concurrence et provoquerait donc des tensions qu'il faudrait quelque peu apaiser au moyen d'instruments de pacification sociale [7]. C'est dans ce contexte qu'une disposition a été ajoutée au traité fondateur de la CEE concernant l'engagement de la Communauté à "réduire l'écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées" (art. 130A).
À cette fin, l'utilisation des fonds structurels a été prescrite, ceux-ci étant conçus comme des instruments de redistribution des ressources [8]. Cependant, au fil des années, leur discipline a été capturée dans un mécanisme que l'on peut définir en termes de marché des réformes: le mécanisme par lequel toute aide financière fournie par le niveau européen est conçue comme une contrepartie pour l'adoption de réformes visant à consolider l'adhésion à l'orthodoxie néolibérale [9]. Il a ensuite été définitivement consacré par un règlement stipulant "qu'un lien plus étroit devrait être établi entre la politique de cohésion et la gouvernance économique de l'Union afin de garantir que l'efficacité des dépenses au titre des Fonds structurels et d'investissement européens repose sur des politiques économiques saines". Ce lien est associé à un système de sanctions conçu pour protéger ce marché de réformes spécifique: "si un État membre ne prend pas de mesures efficaces dans le cadre du processus de gouvernance économique, la Commission devrait soumettre au Conseil une proposition visant à suspendre, en partie ou en totalité, les engagements ou les paiements pour les programmes dans cet État membre" [10].
A y regarder de plus près, une telle issue était anticipée par une précision de Delors, selon laquelle "les instruments communautaires doivent cesser d'être considérés comme des éléments d'un système de compensation financière", "puisqu'ils sont destinés à jouer, parallèlement et de concert avec les politiques nationales et régionales, un rôle important dans la convergence des économies" [11]. Il n'est donc pas nécessaire d'évoquer le rôle de Delors en tant que défenseur de la monnaie unique pour documenter sa ferveur néolibérale, et plus précisément son rôle en tant que principal architecte de la construction d'une Europe unie sous la forme d'un dispositif néolibéral irréformable. Il suffit de reconstituer son engagement en faveur de la réalisation de la libre circulation des capitaux, c'est-à-dire le principal mécanisme visant à saper le compromis keynésien.
C'est précisément pour protéger ce compromis qu'un ordre économique international fondé sur la libre circulation des marchandises, mais aussi des capitaux, a été imaginé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers, comme le précisent les statuts du Fonds monétaire international, doivent pouvoir être contrôlés par les États (art. 6). Et si pour relancer le commerce international, et en amont l'emploi, il fallait fournir des capitaux aux pays qui en avaient besoin, cela devait se faire par des prêts à faible taux d'intérêt et en tout cas identifiés à des dynamiques éloignées du marché: d'où l'institution de la Banque mondiale [12].
C'est à Delors que l'on doit le sabordage de ce schéma qui a tenu la route pendant quarante ans. Si les États, à la merci de la libre circulation des capitaux, ont été contraints de mettre en œuvre les seules politiques capables d'attirer les investisseurs internationaux: celles qui visent à précariser et à dévaloriser le travail, à alléger la charge fiscale des entreprises, et donc à détruire la protection sociale. C'est grâce à Delors que l'Europe unie est devenue un dispositif néolibéral irréformable, radicalement incompatible avec l'aspiration à restaurer le compromis keynésien.
Notes:
[1] A. Somma, L'Union européenne n'est pas un projet inachevé ni même réformable : c'est un dispositif néolibéral réussi, in Raison pratique, 2023, p. 161 et suivantes.
[2] Par exemple G. Mammarella et P. Cacace, Storia e politica dell'Unione europea, Rome et Bari 2008, p. 177 et suivantes.
[3] Par exemple G. Duby, Histoire de France. I tempi nuovi dal 1852 ai giorni nostri (1991), 3e édition, Milan 1997, p. 1388.
[4] Par exemple, J. Gillingham, European Integration 1950-2003 : Superstate or New Market Economy ?, Cambridge 2003, p. 160.
[5] L'achèvement du marché intérieur. Livre blanc de la Commission pour le Conseil européen du 14 juin 1985, Com/85/310 fin.
[6] Ibid.
[7] H.J. Glaesner, L'Acte unique européen, "Revue du marché commun", 29, 1986, p. 317.
[8] J.-P. Jacqué, L'Acte unique européen, "Revue trimestrielle de droit européen", 22, 1986, p. 602 s.
[9] A. Somma, Le marché de la réforme. How Europe became an unreformable neoliberal device, in E. Mostacci and A. Somma (eds.), Dopo le crisi. Dialogues sur l'avenir de l'Europe, Rome 2021, p. 229 et suivantes.
[10] Considérant 24 Règlement portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour la mer et la pêche et portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen, le Fonds de cohésion et le Fonds européen pour la mer et la pêche du 17 décembre 2013, 1303/2013/UE.
[11] Réussir l'Acte unique : une nouvelle frontière pour l'Europe du 18 février 1987, Com/87/100 final.
[12] Par exemple, M.A. Clemens et M. Kremer, The new role for the World Bank, in 30 Journal of Economic Perspectives, 2016, p. 53 ff.
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dimanche, 14 janvier 2024
Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme
Fin de la droite et de la gauche, triomphe du turbocapitalisme
Diego Fusaro
Source: https://geoestrategia.es/noticia/42063/opinion/fin-de-la-derecha-y-la-izquierda-triunfo-del-turbocapitalismo.html
En suivant les "aventures de la dialectique", comme les appelait Merleau-Ponty, le passage au turbocapitalisme (ou capitalisme absolu-totalitaire) peut être interprété comme la transition historique d'une forme de capitalisme caractérisée par la présence de deux classes (bourgeoise et prolétarienne) à une forme inédite de capitalisme "post-classe", qui ne se distingue plus par l'existence de classes au sens strict (en tant que subjectivité in se et per se) et qui, en même temps, se caractérise par une inégalité maximale. Ce processus évolutif a également déterminé la raison profonde de l'obsolescence de la dichotomie gauche-droite, "deux mots désormais inutiles".
Par capitalisme "post-classe", c'est-à-dire littéralement "sans classe", il ne faut pas entendre un mode de production dépourvu de différences individuelles et collectives en matière de connaissance, de pouvoir, de revenu et de consommation. En effet, ces différences augmentent de manière exponentielle dans le contexte de la cosmopolitisation néolibérale (dont le mot d'ordre est précisément le slogan "Inégalités"). Mais pas en formant, en soi et pour soi, des "classes" en tant que subjectivités conscientes et porteuses de différences culturelles et idéelles. Car en tant que "classes", en soi et par soi, ni le Serviteur national-populaire ni le Seigneur mondial-élitiste ne peuvent être pris en considération. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où - à Berlin, en 1989 - le capital commence à devenir plus classiste que jamais et à donner lieu à des inégalités plus radicales qu'auparavant, les classes comprises comme des groupes dotés d'une "en-soi-ité" et d'une "pour-soi-ité" seront éclipsées. Plus concrètement, les prolétaires ne cessent pas d'exister et augmentent même en nombre, du fait de la concentration de plus en plus asymétrique du capital. Mais ils ne possèdent plus la "conscience de classe" antagoniste et, à proprement parler, le prolétariat lui-même devient un "précariat", condamné à la flexibilité et au nomadisme, à la mobilité et à la rupture de tout lien solide, en fonction des nouveaux besoins systémiques du turbo-capitalisme. La classe bourgeoise, quant à elle, perd sa conscience malheureuse et, avec elle, sa condition matérielle d'existence. Elle se prolétarise et, depuis 1989, plonge progressivement dans l'abîme de la précarité.
Tant que le système capitaliste, dans sa phase dialectique, était caractérisé par la division en deux classes et deux espaces politiques opposés, il était, dès le départ, intrinsèquement, fragile. En effet, il était traversé par des contradictions et des conflits, qui se manifestaient dans la conscience bourgeoise malheureuse, dans les luttes prolétariennes pour la reconnaissance du travail, dans les utopies futuristes de réorganisation du monde et enfin dans le programme "rédempteur" de la gauche (qu'elle soit socialiste-réformiste ou communiste-révolutionnaire). D'un point de vue hégélien, le capital se trouve dans son propre être-autre-que-soi, dans son propre éloignement de soi qu'il doit dialectiquement "surmonter" afin de pouvoir coïncider pleinement avec lui-même sous la forme d'un dépassement de sa propre négation.
Le Capital, comme la Substance dont parle Hegel, coïncide avec le mouvement de dépossession de soi et avec le processus de devenir autre-que-soi-avec-soi. Il s'agit donc de l'égalité auto-constitutive après la division. Pour le dire encore avec Hegel, il s'agit de devenir égal à soi-même à partir de son propre être-autre. Son essence n'est pas la Selbständigkeit abstraite, l'égalité immobile avec elle-même, mais le "devenir égal à soi-même" : l'identité "avec soi-même" n'est pas donnée, mais est atteinte comme résultat du processus. C'est pourquoi, à l'instar de l'Esprit théorisé par Hegel, le Capital peut aussi être compris comme das Aufheben des/seines Andersseyns, "le dépassement de son propre être-autre". En se développant au rythme de son propre Begriff, c'est-à-dire - selon la Science de la Logique - comme une réalité ontologique en développement dialectique, le capitalisme produit un dépassement à la fois des classes antagonistes, de la dichotomie gauche-droite et, en perspective, de tout autre élément dialectique capable de menacer sa reproduction.
En particulier, ce processus, sur la pente qui va de 1968 à 1989 et de là à aujourd'hui, se développe - comme l'a montré Preve - en subsumant sous le capital toute la sphère des antagonismes et des contestations, tant de la part de la droite (traditionalisme culturel in primis et protestations de la petite bourgeoisie contre la prolétarisation), que - surtout - de la part de la gauche, qu'elle soit démocratique, socialiste ou communiste (réformisme keynésien, pratiques redistributives, welfarisme, praxis révolutionnaire, utopie de la réorganisation égalitaire de la société). La droite et la gauche sont dialectiquement "dépassées" (aufgehoben), au sens hégélien du terme. Elles se transforment en parties abstraitement opposées et concrètement interchangeables de la reproduction capitaliste. Ils apparaissent comme des pôles qui, alternant dans la gestion du statu quo, nient l'alternative. Et ils trompent les masses sur l'existence d'une pluralité qui, en réalité, a déjà été résolue pour toujours dans le triomphe prédéterminé du parti unique articulé du turbo-capitalisme.
C'est pourquoi le dépassement du binôme gauche-droite ne doit être compris ni comme le simple résultat d'une "trahison" des leaders de la gauche, ni comme une subtile tentative contemporaine de la droite radicale d'infiltrer le "monde des gentils". Au contraire, il s'agit d'un processus en acte co-essentiel à la logique dialectique du développement du capital. Et en synthèse, l'incapacité à interpréter correctement le contexte réel constitue l'erreur des tentatives herméneutiques encore généreuses et naïves du vieux marxisme survivant, encore guidées par la prétention illusoire de superposer au turbo-capitalisme les contours du cadre dialectique précédent maintenant dissous, tombant ainsi dans le théâtre de l'absurde; un théâtre de l'absurde sur la scène duquel on continuerait à représenter le conflit entre la bourgeoisie et le prolétariat, et par conséquent, on pourrait "refonder" la gauche par un retour au passé injustement oublié (alors que la vérité crue est que le conflit réellement existant, aujourd'hui, est celui entre "le haut" et "le bas", entre le "haut" de l'oligarchie financière et le "bas" des classes moyennes et des travailleurs, de plus en plus réduits à la misère).
La gauche ne peut se refonder principalement pour deux raisons: a) le cadre historique a muté (ce qui nécessite donc de nouveaux paradigmes philosophico-politiques qui comprennent et contestent opérationnellement la mondialisation capitaliste et le néolibéralisme progressiste); b) elle héberge depuis son origine dans une partie d'elle-même - comme l'a montré Michéa - un double vulnus fondamental : 1) la conception du progrès comme rupture nécessaire avec les traditions et les liens antérieurs, c'est-à-dire l'élément décisif qui le conduira infailliblement à adhérer au rythme du progrès néolibéral; et 2) l'individualisme hérité des Lumières, qui conduit nécessairement à la monadologie concurrentielle néolibérale. La défense de la valeur individuelle contre la société d'Ancien Régime s'inverse dans l'individualisme capitaliste et son anthropologie monadologique, de même que le renversement en bloc des traditions génère l'intégration de l'individu non plus dans la communauté égalitaire, mais dans le marché mondial des biens de consommation.
Le fondement du capitalisme absolu-totalitaire, dans le contexte socio-économique, n'est plus la division entre la bourgeoisie de droite et le prolétariat de gauche. Et ce n'est même pas, politiquement, l'antithèse entre la droite et la gauche. Le nouveau fondement du capitalisme mondial est la généralisation non-classiste et omni-homologisante de la forme marchandise dans toutes les sphères du symbolique et du réel. C'est précisément parce qu'il est absolu et totalitaire que le capitalisme surmonte et résout - au sens capitaliste du terme - les divisions qui menacent sa reproduction de diverses manières. C'est pourquoi le turbo-capitalisme n'est ni bourgeois ni prolétarien. Il n'est pas non plus de droite ou de gauche. En fait, il a dépassé et résolu ces antithèses, valables et opérantes dans sa phase dialectique précédente.
Avec l'avènement du turbo-capitalisme, le prolétariat et la bourgeoisie sont "dépassés" et "dissous" - non pas "in se" et "per se" (en soi et pour soi), dirait-on avec Hegel - dans une nouvelle plèbe post-moderne de consommateurs individualisés et résilients, qui consomment des marchandises avec une euphorie stupide et supportent avec une résignation désenchantée le monde subsumé sous le capital, c'est-à-dire un monde de plus en plus inhabitable écologiquement et déshumanisé anthropologiquement. D'où la société de Narcisse, le dieu postmoderne des selfies, des "autoportraits" de gens tristes qui s'immortalisent en souriant.
De même, droite et gauche sont "dépassées" et "dissoutes" dans une homogénéité bipolaire, articulée selon la désormais perfide alternance sans alternative d'une droite néolibérale peinte en bleu et d'une gauche néolibérale peinte en fuchsia. Ils ne se battent pas pour une idée différente et peut-être opposée de la réalité, fondée sur des ordres de valeurs différents et sur leurs Weltanschauungen irréconciliables. Au contraire, ils rivalisent pour réaliser la même idée de la réalité, celle décidée souverainement par le marché et le bloc oligarchique néolibéral, par rapport à laquelle ils jouent désormais le rôle de simples majordomes, bien que dans une livrée de couleur différente. Au sommet, sur la passerelle de contrôle, il y a une nouvelle classe post-bourgeoise et post-prolétarienne, qui n'est ni de droite ni de gauche, ni bourgeoise ni prolétarienne. C'est la classe du patriciat financier cosmopolite qui, plus précisément, est de droite en économie (compétitivité sans frontières et marchandisation intégrale du monde), de centre en politique (alternance sans alternative du centre-droit et du centre-gauche également néolibéraux), et de gauche en culture (ouverture, dérégulation anthropologique et progressisme comme philosophie du plus jamais ça).
En bref, la transition vers la nouvelle figure du capitalisme absolu-totalitaire se développe le long d'une trajectoire qui nous suit de 1968 au nouveau millénaire, en franchissant la date fondatrice de 1989. En effet, de 1968 à nos jours, le capitalisme a dialectiquement "surmonté" (aufgehoben) la contradiction qu'il avait lui-même provoquée dans la phase antithétique-dialectique, représentée par le double nœud d'opposition entre bourgeoisie et prolétariat, et entre droite et gauche. Ainsi, le capitalisme actuel absolu-totalitaire se caractérise: d'une part, par l'éclipse du lien symbiotique entre les deux instances de la "conscience malheureuse" bourgeoise et des "luttes pour la reconnaissance du travail servile" prolétariennes ; et d'autre part, par l'élimination de la polarité entre la droite et la gauche, désormais convertie en deux ailes de l'aigle néolibéral. Le turbo-capital a "dépassé" ces antithèses, propres au moment de l'"immense puissance du négatif" (c'est-à-dire de l'être-autre-de-soi), et les a "subsumées" sous lui-même, en reconquérant sa propre identité avec lui-même à un niveau plus élevé que dans la phase thétique, comme le fruit du passage par son propre auto-étranglement.
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mardi, 24 octobre 2023
Diego Fusaro: La mondialisation néolibérale, une nouvelle foi religieuse
La mondialisation néolibérale, une nouvelle foi religieuse
Diego Fusaro
Source: https://geoestrategia.es/noticia/41653/opinion/globalizacion-neoliberal-una-nueva-fe-religiosa.html
Selon la syntaxe de Gramsci, il y a "idéologie" quand "une classe donnée réussit à présenter et à faire accepter les conditions de son existence et de son développement de classe comme un principe universel, comme une conception du monde, comme une religion".
Le point culminant esquissé par Gramsci est tout à fait pertinent si l'on se réfère à l'idéologie de la mondialisation comme nature donnée, irréversible et physiologique (globalismus sive natura). Dans le cadre du Nouvel Ordre Mondial post-1989 et de ce qui a été défini comme "le grand échiquier", elle se présente comme un "principe universel", parce qu'elle est indistinctement acceptée dans toutes les parties du monde (c'est ce qu'on pourrait appeler la globalisation du concept de globalisation) et, en même temps, elle est aussi assumée par les dominés, qui devraient s'y opposer avec la plus grande fermeté. Elle se présente comme une vérité incontestable et universellement valable, qui ne demande qu'à être ratifiée et acceptée sous la forme d'une adaequatio cognitive et politique.
La mondialisation apparaît ainsi comme une "vision du monde", c'est-à-dire comme un système articulé et englobant, parce qu'elle a été structurée sous la forme d'une perspective unitaire et systématique, centrée sur la dénationalisation du cosmopolitisme et sur l'élimination de toutes les limitations matérielles et immatérielles à la libre circulation des marchandises et des personnes marchandisées, aux flux de capitaux financiers liquides et à l'extension infinie des intérêts concurrentiels des classes dominantes.
Enfin, elle prend la forme d'une "religion", parce qu'elle est de plus en plus vécue comme une foi indiscutable, largement située au-delà des principes de la discussion rationnelle socratique : celui qui n'accepte pas sans réfléchir et avec des références fidéistes le nouvel ordre mondialisé sera immédiatement ostracisé, réduit au silence et stigmatisé par la police du langage et les gendarmes de la pensée comme un hérétique ou un infidèle, menaçant dangereusement la stabilité de la catéchèse mondialiste et de ses principaux articles de foi (libre circulation, ouverture intégrale de toute réalité matérielle et immatérielle, compétitivité sans frontières, etc. ). La mondialisation coïncide donc avec le nouveau monothéisme idolâtre du marché mondial, typique d'une époque qui ne croit plus en Dieu, mais pas au capital.
D'une manière générale, la mondialisation n'est rien d'autre que la théorie qui décrit, reflète et, à son tour, prescrit et glorifie le Nouvel Ordre Mondial de classe post-westphalien, qui a émergé et s'est stabilisé après 1989 et qui - pour reprendre la formule de Lasch - a été idéologiquement élevé au rang de vrai et unique paradis. Tel est le monde entièrement soumis au capital et à l'impérialisme américano-centré des marchés de capitaux privés libéralisés, avec l'exportation collatérale de la démocratie de marché libre et du désir libre, et de l'anthropologie de l'homo cosmopoliticus.
Le pouvoir symbolique du concept de mondialisation est si envahissant qu'il rend littéralement impossible l'accès au discours public à quiconque ose le remettre en question. En ce sens, il s'apparente davantage à une religion au credo obligatoire qu'à une théorie soumise à la libre discussion et à l'herméneutique de la raison dialogique.
À travers des catégories devenues des pierres angulaires du néo-langage capitaliste, toute tentative de limiter l'envahissement du marché et de contester la domination absolue de l'économie mondialisée et américano-centrée est diabolisée comme "totalitarisme", "fascisme", "stalinisme" ou même "rouge-brunisme", la synthèse diabolique de ce qui précède. Le fondamentalisme libéral et le totalitarisme mondialiste du marché libre démontrent également leur incapacité à admettre, même ex hypothesi, la possibilité théorique d'autres modes d'existence et de production.
Toute idée d'un contrôle possible de l'économie et d'une éventuelle réglementation du marché et de la société ouverte (avec un despotisme financier intégré) conduirait infailliblement, selon le titre d'une étude bien connue de Hayek, vers la "route du servage". Hayek l'affirme sans euphémisme : "le socialisme, c'est l'esclavage".
De toute évidence, le théorème de von Hayek et de ses acolytes ne tient pas compte du fait que le totalitarisme n'est pas seulement le résultat d'une planification politique, mais peut aussi être la conséquence de l'action concurrentielle privée des règles politiques. Dans l'Europe d'aujourd'hui, d'ailleurs, le danger n'est pas à chercher du côté du nationalisme et du retour des totalitarismes traditionnels, mais plutôt du côté du libéralisme de marché hayékien et de la violence invisible de la matraque subtile de l'économie dépolitisée.
Il est donc impératif de décoloniser l'imaginaire des conceptions hégémoniques actuelles de la mondialisation et d'essayer de redéfinir son contenu d'une manière alternative. Cela nécessite une nouvelle compréhension marxienne des relations sociales comme étant mobiles et conflictuelles, là où le regard chargé d'idéologie n'enregistre que des choses inertes et aseptisées, rigides et immuables.
En d'autres termes, il est nécessaire de déconstruire l'image hégémonique de la mondialisation, en montrant son caractère de classe et non de neutralité.
Lorsqu'elle est analysée du point de vue des classes dirigeantes mondialistes, la mondialisation peut en effet sembler enthousiaste et très digne d'être louée et valorisée.
Par exemple, Amartya Sen la célèbre avec insistance pour sa plus grande efficacité dans la division internationale du travail, pour la baisse des coûts de production, pour l'augmentation exponentielle de la productivité et - dans une mesure nettement plus discutable - pour la réduction de la pauvreté et l'amélioration générale des conditions de vie et de travail.
Il suffit de rappeler, à l'aube du nouveau millénaire, que l'Europe compte 20 millions de chômeurs, 50 millions de pauvres et 5 millions de sans-abri, alors qu'au cours des vingt dernières années, dans cette même Europe, les revenus totaux ont augmenté de 50 à 70 %.
Cela confirme, d'une manière difficilement réfutable, le caractère de classe de la mondialisation et du progrès qu'elle génère. Du point de vue des dominés (et donc vue "d'en bas"), elle s'identifie à l'enfer très concret du nouveau rapport de force technocapitaliste, qui s'est consolidé à l'échelle planétaire après 1989 avec l'intensification de l'exploitation et de la marchandisation, du classisme et de l'impérialisme.
C'est à cette duplicité herméneutique, qui préside à la duplicité de classe dans le contexte très fracturé de l'après-1989, que renvoie l'interminable débat qui a intéressé et continue d'intéresser les deux foyers de cette contraposition frontale : d'une part, les apologistes de la mondialisation ; d'autre part, ceux qui sont engagés dans l'élaboration des cahiers de doléances du mondialisme.
Les premiers (que l'on peut globalement qualifier de "mondialistes", malgré la pluralité kaléidoscopique de leurs positions) vantent les vertus de la marchandisation du monde. Au contraire, les seconds (qui ne coïncident que partiellement avec ceux que le débat public a baptisés "souverainistes") soulignent les contradictions et le caractère éminemment régressif du cadre antérieur centré sur les souverainetés nationales.
En bref, et sans entrer dans les méandres d'un débat pratiquement ingérable par la quantité des contenus et la diversité des approches, les panégyristes du mondialisme insistent sur la façon dont la mondialisation étend au monde entier la révolution industrielle, les progrès et les conquêtes de l'Occident ; ou, en d'autres termes, sur la façon dont elle "universalise" les réalisations d'une humanité en quelque sorte comprise comme "supérieure" et donc habilitée à organiser la "file unique" du développement linéaire de tous les peuples de la planète.
Même les auteurs les plus sobrement sceptiques quant à la valeur axiologique de la mondialisation, comme Stiglitz, semblent souffrir d'une attirance magnétique et finalement injustifiée pour le travail de transformation du monde en marché. Pour Stiglitz et son optimisme réformateur, ce processus, qui en même temps "planétarise" l'inégalité et la misère capitaliste, ne mérite pas d'être abandonné en raison des évolutions et des changements qu'il pourrait susciter.
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samedi, 21 octobre 2023
Argentine: Milei, dit « La Perruque », bientôt à la Maison rose ?
Argentine: Milei, dit «La Perruque», bientôt à la Maison rose ?
par Georges FELTIN-TRACOL
Le 22 octobre prochain va se dérouler en Argentine un scrutin présidentiel. Après un mandat chaotique de quatre ans miné par une inflation annuelle de 125 % et un taux de pauvreté avoisinant les 50 % de la population, l’actuel chef de l’État, Alberto Fernández, péroniste de centre-gauche, ne se représente pas. L’ancienne présidente péroniste de gauche de 2007 à 2015, Cristina Kirchner, qui est la vice-présidente, passe elle aussi son tour. Rappelons qu’en 2023, le péronisme a perdu tous ses axes fondamentaux et occupe tout le champ politique, de l’extrême gauche à la droite radicale sans oublier le centrisme. On attend cependant un écologisme péroniste ou un péronisme écologique…
Le candidat des dirigeants sortants est l’actuel ministre de l’Économie, Sergio Massa. Face à lui, le vieux parti Union civique radicale en coalition avec d’autres formations présente Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité (de l’Intérieur si l’on veut) de 2015 à 2019 sous la présidence du libéral Mauricio Macri. Myriam Bregman porte les couleurs du Front de Gauche et des Travailleurs. Quant à l’actuel gouverneur de Córdoba, Juan Schiaretti, il incarne un centre-gauche modéré anti-kirchnériste et mécontent de la politique erratique de Macri. Mais ces quatre candidats à la « Maison rose », le siège de la présidence, craignent un cinquième que la presse surnomme « El Peluca » (« la Perruque ») en raison de sa coiffure excentrique : Javier Milei.
Aux élections primaires, obligatoires et simultanées du 13 août dernier, Javier Milei est arrivé en tête avec 29,86%. Ce député fédéral de Buenos Aires élu en 2021 met chaque mois à la loterie son indemnité parlementaire de 350.000 pesos (environ 2.900 euros). Les chaînes de télévision retransmettent en direct l’événement. C’est en 2014 que les animateurs radiophoniques et de télévision ont commencé à inviter cet économiste qui aborde la situation économique et politique du pays. Sa franchise et ses coups d’éclats verbaux en font vite une vedette médiatique.
Né dans la capitale argentine en 1970 d’un père chef d’entreprise de transports et d’une mère au foyer, Javier Milei s’essaye d’abord au football, puis au rock avant de suivre des cours d’économie et de décrocher un diplôme. Dans un pays où l’héritage interventionniste péroniste demeure fort présent dans les esprits, Milei se veut iconoclaste. Ce lecteur attentif de l’« École de Vienne » (Hayek par exemple) aime dénoncer la « caste politicienne parasite ». Ainsi prône-t-il la libération de l’Argentine ou, plus exactement, sa « libéralisation » : réduction draconienne des dépenses publiques, baisse massive des impôts, suppression des ministères de l’Éducation, de la Santé, de la Condition féminine, des Travaux publics et du Développement social, abandon de la gratuité de l’instruction, dissolution de la Banque centrale argentine, fin du contrôle des changes, arrêt du protectionnisme économique et recours au libre-échange total. Si Javier Milei se réclame du président faussement péroniste Carlos Menem (1989 – 1999), il apprécie beaucoup ce grand humaniste d’Al Capone. Il déteste en revanche le « pape » Bergoglio en qui il voit un fourrier du communisme.
Plus que libéral, Javier Milei est en réalité libertarien. Les Européens connaissent mal cette pensée politique. En 1988, Pierre Lemieux publie aux PUF dans la célèbre collection « Que sais-je ? », n° 2406, L’anarcho-capitalisme, c’est-à-dire la théorie d’une société sans aucun État dans laquelle toutes les relations humaines dépendraient du contrat et du droit. En 2009, Sébastien Caré sortait encore aux PUF dans la collection « Fondements de la politique » La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale. Pour cet auteur, les libertariens quittent le milieu conservateur et tombent à gauche. Dans les faits, en minarchiste fidèle à l’enseignement de Murray Rothbard, d’Ayn Rand et de Robert Nozick, Milei conçoit un « État minimal » réduit à ses seules fonctions régaliennes. Ainsi veut-il la liberté du port d’arme, la vente des organes humains, la légalisation de toutes les drogues. Il ne s’oppose ni au mariage pour tous, ni au changement de genre à la condition que cela ne coûte rien aux finances publiques. Il propose la dollarisation de l’économie. Le dollar des États-Unis remplacerait le peso et deviendrait la seule monnaie officielle. En revanche, ce climatosceptique avéré rejette l’avortement et le féminisme. Pourtant, il a choisi pour la vice-présidence la députée Victoria Villarruel accusée de nostalgie envers la junte militaire (1976 – 1983). Âgée de 50 ans, Karina dirige d’une main de fer la campagne de son frère si bien que de mauvais esprits la décrivent comme la véritable cheftaine…
Javier Milei a vécu en couple avec une célèbre chanteuse du cru. Désormais célibataire, il ne cache pas son hostilité à l’institution du mariage. Catholique de culture féru d’occultisme, il a déjà fait cloner l’un de ses chiens et a remercié les quatre autres décédés le soir de sa victoire aux primaires. Il organiserait des séances de spiritisme avec des tables tournantes afin de discuter avec ses chiens défunts.
Si existe depuis 2018 un Parti libertarien, Javier Milei a lancé son propre mouvement, La Libertad avanza (La Liberté avance), qui, pour l‘échéance présidentielle, s’est associée avec d’autres partis libéraux-conservateurs et des partis provinciaux assez anti-péronistes. Le système médiatique le soupçonne de proximité avec le parti espagnol Vox.
Suivi sur les réseaux sociaux par plus de cinq millions d’abonnés, Javier Milei considère que « la redistribution des richesses est un acte violent ». Il justifie sa chevelure exubérante en avouant être peigné par « la main invisible du marché ». En politique étrangère, ce super-atlantiste regrette l’entrée prochaine de l’Argentine dans les BRICS et soutient autant Israël que l’Ukraine. Il a enfin à plusieurs reprises mentionné devant micros et caméras son éventuelle conversion au judaïsme, bien sûr libéral. On est très loin d’une figure nationale-conservatrice, illibérale ou nationale-révolutionnaire...
Si Javier Milei devient le 54e chef d’État de l’Argentine, il est peu probable que son alliance électorale obtienne la majorité absolue au Congrès (Sénat et Chambre des députés). Dans un régime présidentiel tel que l’Argentine, le blocage risque alors de devenir permanent. Le chef de cabinet des ministres d'Argentine, soit l’équivalent du Premier ministre et du Secrétaire général de l’Élysée, devra pratiquer un art élevé de la séduction, du compromis et de la négociation auprès de parlementaires plus ou moins rétifs. Sa possible victoire peut aussi cristalliser l’activisme des forces de gauche et d’extrême gauche. En 2021, son slogan pendant la campagne législative était : « Je ne suis pas venu ici pour guider des agneaux mais pour réveiller les lions ! » Au pays des pumas, cette allusion féline relève de ses habituelles saillies.
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 88, mise en ligne le 20 octobre 2023 sur Radio Méridien Zéro.
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vendredi, 01 septembre 2023
9/11: Origines et développement du néolibéralisme
9/11: Origines et développement du néolibéralisme
Carlos X. Blanco
Le néolibéralisme a commencé le 11 septembre. Mais ce n'est pas le 11 septembre 2001, date à laquelle ont été commis les attentats contre les tours jumelles de New York, causant des milliers de morts dans cette ville et, immédiatement après, des centaines de milliers d'autres dans le reste du monde, avec la pléthore des guerres "justifiées" par l'Empire, victime de ces attentats. Non : le libéralisme a commencé exactement trois décennies plus tôt : le 11 septembre 1973. Cette terrible date inaugurale a également eu lieu dans les Amériques, mais dans l'hémisphère sud : au Chili.
Dans une démocratie consolidée, dans l'une des républiques hispaniques les plus avancées sur le plan éducatif et social, dirigée par un gouvernement désireux d'exercer sa souveraineté sur les ressources du pays et au profit de son peuple, c'est-à-dire la démocratie chilienne, les néolibéraux de Chicago ont décidé d'entreprendre une expérience.
Leur premier 11 septembre destiné à changer le monde est, comme le second, sans subtilité. Bombarder le palais présidentiel, faire descendre des chars dans les rues, utiliser des troupes et des avions pour intimider la population. Arrêter, torturer et assassiner des milliers de personnes. Instaurer un régime de terrorisme d'État dans lequel l'État devient un instrument féroce contre son propre peuple, et où les forces armées - qui ont juré de défendre leur patrie et de défendre leur peuple, auquel elles appartiennent - sont transformées en gorilles et en voyous à la solde d'une mafia étrangère d'économistes yankees. Une mafia dirigée par les Friedman et les Hayek, loués et fêtés dans tout l'Occident, endoctrinés dans des théories ridicules de "liberté" qui, dans l'économie orthodoxe du monde capitaliste bourgeois lui-même, étaient minoritaires. Mais vous savez que les théories les plus anthropologiquement absurdes, si elles sont soutenues par la CIA, le Pentagone et des millions d'euros d'armes et de pots-de-vin, sont des doctrines qui sont souvent imposées.
La dictature militaire, comme je l'ai lu ici chez de nombreux libéraux anglophiles, ferait partie de la "morbidité hispanique". Si l'on regarde l'Espagne en 1973, on y voit aussi un régime général né d'une violence originelle et sans démocratie dans le pays depuis 1939, ou même avant, si l'on considère le coup d'État ("soulèvement") de 1936. Si l'on remonte au moins jusqu'à la guerre d'indépendance contre Napoléon, tout le 19ème siècle espagnol, ainsi que celui de l'Amérique latine, n'est qu'une suite de "coups d'État" et de "soulèvements" militaires (les "espadones"). Il semble que les coups d'État et l'allergie à la démocratie soient dans le sang des Espagnols des deux hémisphères.
J'ai toujours trouvé ironique que les amis de la légende noire anti-hispanique dénoncent avec une telle régularité la "morbidité hispanique" des dictatures militaires et, en même temps, se taisent sur les machinations britanniques et yankees qui peuvent si souvent les expliquer. La prétendue "morbidité" de la race hispanique devrait plutôt être considérée comme une double morbidité : la morbidité des Anglo-Saxons, depuis qu'ils sont devenus un peuple de pirates, c'est-à-dire depuis le 16ème siècle, un peuple et un royaume de pirates consistant à briser des nations et à réduire des peuples en esclavage. L'idiotie hispanique, je veux bien le reconnaître, consiste à les laisser faire. Mais l'impitoyabilité pirate et prédatrice des deux empires anglo-saxons ne me semble pas pouvoir être sérieusement liée à un quelconque idéal de "liberté". Nos libéraux et néo-libéraux, même s'ils maltraitent la langue de Cervantès, le font.
Ce premier 11 septembre a été terrible. Autour de lui, le continent américain était rempli de dictatures militaires. En 1976, la démocratie argentine survivait à peine, mais un coup d'État à cette date y mit fin et installa un régime de terreur, frère de celui du Chili en termes de férocité. La stratégie néolibérale des Américains était implacable : la liberté des marchés exigeait la réification et l'avilissement maximum du peuple. Torture, mort, disparition, extinction de la loi, vol d'enfants, techniques de terreur psychologique... Exactement ce que nous voyons aujourd'hui dans le "jardin" ukrainien de Zelensky et Borrell, mais que nous avons connu il y a plusieurs décennies en Amérique latine.
Comme le disent d'éminents philosophes italiens (Preve, Lazzarato, Fusaro), le néolibéralisme n'est pas exactement une phase ou un ornement idéologique du capitalisme. En réalité, le néolibéralisme est la méthode de "gouvernance" de l'empire américain, avec l'aide des vestiges mourants de l'empire britannique (non moins dangereux) pour préserver ses taux de profit et ses activités d'extraction prédatrices, même au prix du maintien du chaos. Son "ordre" n'est rien d'autre que la production croissante du chaos. Ce chaos grandit et se répand au sein même des populations des empires pirates. Les Américains "moyens" ne comprennent pas pourquoi tant de guerres à l'étranger, tant d'impérialisme et tant de pillage ne signifient pas une amélioration pour eux. Cette situation, qui pourrait être interprétée comme la situation habituelle dans l'histoire des empires (les bénéfices d'un empire prédateur vont principalement à une élite et le peuple est laissé à lui-même), est néanmoins différente et unique dans l'histoire : jamais un empire n'a généré autant de chaos autour de lui et dans ses propres entrailles, et ce non pas pour son propre bénéfice, mais pour les élites privées, anonymes et cachées qui le dirigent. Jamais l'État impérial n'a été instrumentalisé à ce point. L'Empire yankee est aujourd'hui un cheval emballé qui semble n'obéir qu'à un cavalier fou, fonçant tête baissée vers l'abîme. Le cheval détruit tout sur son passage et n'est efficace que dans ses effets destructeurs, jamais dans ses effets positifs.
Lorsque Naomi Klein, au début du siècle, a développé sa Shock Doctrine (2007), elle a eu raison d'inclure les techniques psychologiques d'endoctrinement, de terrorisme et de vidage de conscience parmi les armes les plus efficaces des Américains (et des Anglo-Saxons) pour compléter l'action de leurs militaires - nationaux ou étrangers -, de la contre-guérilla et des politiciens autochtones perfides. L'École de Francfort elle-même avait proposé des résultats psychosociaux allant dans le même sens pendant une grande partie du siècle précédent. Des résultats sur les techniques mentales et médiatiques qui pouvaient être perçus de manière ambiguë : comme une dénonciation de ce que le capitalisme a l'intention de nous faire, ou comme des outils au service du capitalisme lui-même, qui, de manière suspecte, finançait une école "critique", oui, très critique, mais qui, en même temps, n'était pas une école "critique", mais une école "critique". Elle était ouvertement antisoviétique, et remplaçait la "science révolutionnaire" par une approche "critique" qui n'était en réalité qu'un nouveau conformisme, pas du tout mal à l'aise avec le dollar qui la payait.
Vingt ans après la chute des tours jumelles et la croisade américaine contre l'"Axe du mal", et un demi-siècle après le coup d'État néolibéral confié à Pinochet et à sa junte militaire, il convient de faire le point et de dessiner un paysage conceptuel très fin et rigoureux du néolibéralisme. Le penseur franco-italien (fortement contaminé par le jargon philosophico-psychanalytique des penseurs français des années 1970), Maurizio Lazzarato (1955), est actuellement l'un des meilleurs analystes de l'"Empire du dollar". En se soumettant à cette monnaie, une grande partie des nations du monde finance le chaos consubstantiel au mode de "gouvernance" que l'empire yankee exerce sur la planète. Aucune des puissances qui existaient en 1898 n'a tenu tête au mastodonte yankee ; elles ont cru pouvoir trouver un modus vivendi avec la pseudo-engeance nationale qui était alors une puissance émergente ayant porté le coup de grâce à l'empire espagnol dans une guerre illégale contre la momie qui conservait encore des prolongements outre-mer en Asie et dans les Caraïbes.
Le monde a fermé les yeux à la fin du 19ème siècle et n'a pas voulu comprendre ce qui se préparait : la combinaison des techniques journalistiques les plus sournoises (véritable "ingénierie sociale" de l'époque) avec la pratique du génocide de masse : camps d'extermination, terrorisme colonial par massacres systématiques, comme le million d'ex-espagnols philippins exécutés dès la "libération" de l'archipel.
Le monde se réjouit de la montée en puissance de la "jeune nation américaine" et de la ramification de ses tentacules, d'abord aux dépens de l'Espagne, puis aux dépens de tous les autres. L'ingénierie sociale et le terrorisme psychologique très efficaces des Américains gagneront les batailles les plus difficiles, celles que les marines, toujours douteux en termes de virilité et de qualité militaire professionnelle, ne pourront pas gagner à eux seuls.
L'Europe est tombée aux pieds de l'empire du dollar lorsque la guerre a éclaté en 1914. Lazzarato a tout à fait raison de qualifier cette catastrophe de "guerre civile". Les guerres du dollar sont toutes des guerres civiles, même si le carnage nécessite des drapeaux "nationalistes". Les ouvriers allemands tirent de leurs tranchées sur les ouvriers français ou anglais, et vice-versa : c'est la fin de l'internationalisme. Il n'y a plus d'histoire à raconter. Le socialisme a toujours été et sera toujours un socialisme national. Une autre chose est qu'un jour le moral des peuples atteindra des sommets et qu'une véritable solidarité entre les peuples s'établira au-dessus des machinations de leurs élites respectives, c'est-à-dire au-dessus des desseins et des machinations du Capital. Mais à quoi bon faire une "histoire de l'avenir", à quoi bon souhaiter une boule de cristal pour y voir, au fond, nos désirs les plus candides et non l'avenir réel ?
Lazzarato décèle dans la dette le principal mécanisme de domination de notre époque. Les individus et les peuples sont pris au piège d'un dispositif infernal, d'un véritable esclavage. L'"aide", si elle est acceptée, signifie une perte de souveraineté, une perte de décision sur les questions ultimes et transcendantales. L'économie mondiale, financiarisée à outrance, est un immense piège qui attire, comme les toiles d'une araignée mortelle, les unités susceptibles de s'endetter par des mécanismes financiers indépendants du degré de richesse ou de misère de l'entreprise ou du peuple endetté. Cela signifie que ce ne sont pas nécessairement ceux qui "n'ont pas" d'argent à payer qui s'endettent, mais ceux qui en ont déjà, mais qui ont "besoin de plus", qui s'endettent souvent. Beaucoup d'entreprises, d'individus et d'États atteignent cette catastrophe de l'endettement sans retour précisément parce qu'ils souffrent du "développementalisme", de la "croissance". Accroissant leurs besoins par l'accumulation de richesses et la nécessité d'une "croissance soutenue", ils se soumettent aux règles étrangères de la financiarisation de l'économie et perdent toute souveraineté.
À la souveraineté économique s'ajoute la souveraineté éducative, culturelle et diplomatique. Les pays et les peuples destinés à disparaître (l'Espagne en fait partie, ne vous y trompez pas) sont ceux qui s'obstinent à céder d'immenses pans de leur souveraineté dans toutes sortes de chapitres sous prétexte de "financer" un développement qui n'en est pas un. Tous les secteurs directement productifs sont détruits : agricoles, industriels. Il ne reste pratiquement plus rien du secteur des services où se nichent les pires larves de la surexploitation et du "précariat". Le néolibéralisme n'est donc pas le capitalisme. Le néolibéralisme est plutôt une certaine combinaison synergique de manipulations et de violences sociales et psychologiques permettant à quelques élites très déterminées d'imposer leur empire du chaos et de maintenir ainsi leur domination mondiale sur le plus grand nombre possible d'individus, d'entreprises, de peuples et d'États. Il est clair que l'analyse marxiste classique qui parle d'une dialectique bipolaire entre le Capital et le Travail est une analyse trop abstraite, qui ne mène en aucun cas à une "lutte finale", comme le chante l'Internationale. Il est clair, après ce premier 11 septembre qu'a été le coup d'Etat chilien, que le capitalisme pouvait (et peut d'ailleurs) suivre plusieurs voies d'évolution. Nous le verrons bientôt dans le feu des mouvements des Russes, des Chinois, des Indiens, de l'ensemble des pays BRICS. Le capitalisme est toujours le capitalisme, et cela inclut l'exploitation de la force de travail. Voilà pour ce qui est de l'analyse marxiste classique. Mais ce qu'il faut approfondir, voire bouleverser, c'est l'étude du capitalisme néolibéral. Cette sous-espèce est un conglomérat dans lequel, comme le disent Fusaro, Lazzarato, Douguine et d'autres, il n'y a pas de lignes de fracture entre la guerre, l'exploitation économique, la violence psychosociale. C'est une unité entière, granitique, qui étend ses griffes sur le globe et sur les hommes, quelle que soit leur condition. Le capital ainsi muté en néolibéralisme "hait tout le monde" et est une hyperbombe atomique : il est la menace permanente et définitive pour la vie - et pas seulement la vie humaine - sur cette planète.
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mercredi, 09 août 2023
L'insaisissable catégorie libérale du totalitarisme
L'insaisissable catégorie libérale du totalitarisme
Diego Fusaro
Source: https://posmodernia.com/la-escurridiza-categoria-liberal-del-totalitarismo/
Parmi les catégories philosophico-politiques qui rencontrent le plus de succès dans l'ordre du discours néolibéral, tant à droite qu'à gauche, figure celle de "totalitarisme", en particulier dans le sens conceptualisé jadis par Hannah Arendt dans son ouvrage Les origines du totalitarisme (1951). À travers cette catégorie, c'est toute l'histoire du "petit siècle" qui est réinterprétée de manière tératomorphique comme une succession de gouvernements despotiques et génocidaires, rouges et bruns, ennemis de la société ouverte prônée par Popper. L'horreur du siècle court serait cependant déterminée par le happy end capitaliste de la Fin de l'Histoire (brevetée par Fukuyama) et le triomphe de la liberté universelle (traduite en termes réels par celui du libre marché planétaire). Toute l'histoire humaine se déroulerait ainsi dans l'ordre néolibéral, assumé de manière tout sauf idéologiquement neutre, comme la fin (end) et comme la fin (finalité) de l'histoire en tant que telle - selon le double sens du terme grec τέλος.
Le haut degré idéologique de ce récit apparaît quel que soit le point de vue dans lequel on l'observe. Tout d'abord, le vingtième siècle, qui fut - comme le rappelle Badiou - le "siècle des passions politiques", se résout entièrement dans le règne sinistre de la terreur et du génocide, des goulags et des barbelés des camps d'extermination; des horreurs bien présentes, ça va sans dire, mais qui ne peuvent certainement pas conduire à ignorer tout ce qui a été différent et mieux produit pendant le "siècle court". Grâce à l'identification, loin d'être neutre, entre 20ème siècle et Totalitarisme, il ne reste en effet aucune trace de la passion utopique pour le dépassement de la prose du capitalisme, ni des conquêtes sociales des classes laborieuses, ni même des acquis en termes de droits et de pratiques démocratiques obtenus grâce au cadre des États-nations souverains. Selon le théorème "publicitaire" des nouveaux philosophes - eux-mêmes célébrés en leur temps comme un produit commercial de l'industrie culturelle - le Goulag devient la vérité de toute aspiration authentiquement socialiste. Et, synergiquement, les barbelés d'Auschwitz deviennent la vérité de toute défense de l'État national, de la souveraineté et de la tradition.
En plus d'hypothéquer la dimension utopique ouverte à la projection de futurs meilleurs, la rhétorique antitotalitaire remplit une fonction apologétique à l'égard du présent lui-même. En effet, elle suggère que, bien que rempli de contradictions et d'injustices, l'ordre néolibéral est toujours préférable aux horreurs totalitaires rouges et brunes qui ont envahi le "siècle court". Ainsi, le présent réifié n'est plus combattu en raison des contradictions qui le sous-tendent (exploitation et misère, inégalités et hémorragie constante des droits); il est au contraire défendu contre le retour possible du fascisme et du communisme.
La victoire du rapport de force capitaliste (Berlin, 1989) peut ainsi être idéologiquement élevée au rang de fait définitif de la Weltgeschichte. Cette dernière, après l'"immense puissance du négatif", mènerait son propre processus autotélique de mise en œuvre de la libre circulation des marchandises et des personnes commercialisées. Celui qui, sans réfléchir, ne reconnaît pas l'identification entre la liberté et le libre marché, entre la démocratie et le capitalisme, en essayant peut-être même de faire revivre le rêve éveillé d'une meilleure liberté et d'un exode hors de la cage d'acier du techno-capital sans frontières, sera donc ostracisé et vilipendé comme "totalitaire", "antidémocratique" et "illibéral" ; ou, dirait Popper, comme "ennemi de la société ouverte" qui, soit dit en passant, est l'une des sociétés les plus fermées de l'histoire, si l'on considère le degré d'exclusion socio-économique, en termes de droits fondamentaux et de nécessités de base, auquel un nombre croissant d'êtres humains sont condamnés.
La rhétorique antitotalitaire fonctionne à plein régime grâce à son activation symétrique par la droite bleue et la gauche fuchsia. La première accuse la gauche - dans tous ses gradations et dans toutes ses couleurs - d'être de connivence avec la "folie totalitaire rouge" du maoïsme et du stalinisme. Elle veille donc à ce qu'elle reste attachée au dogme néolibéral, sans ouverture possible à un plus grand contrôle politique du marché et à d'éventuelles extensions des droits sociaux, pratiques qui sont elles-mêmes immédiatement pointées du doigt comme un retour au totalitarisme rouge. De manière analogue, la gauche fuchsia accuse la droite bleue d'être en permanence tentée par la "folie totalitaire noire ou brune", mussolinienne ou hitlérienne. Elle veille ainsi à ce que la néo-droite libérale reste toujours aussi attachée au credo néo-libéral, en délégitimant immédiatement comme "fascisme" toute tentative de re-souverainisation de l'Etat national, de résistance à la globalisation marchande et de protection des identités culturelles et traditionnelles des peuples. Cela révèle, une fois de plus, comment la droite et la gauche ont introjecté le noyau du fondamentalisme néolibéral, selon lequel - dans la syntaxe de Hayek - toute tentative politique de contrer la libre concurrence et le marché déréglementé conduit inexorablement au "chemin vers la servitude".
En vertu de cette logique néolibérale, qui réciproquement est logique de surveillance (et qui reconfirme donc la fonction déployée aujourd'hui par le clivage droite-gauche comme simple simulacre idéologique au profit de la classe dominante), la droite bleue et la gauche fuchsia se garantissent mutuellement leur propre pérennité stable dans le périmètre de la matrice libérale politiquement correcte de la Pensée Unique. Celle-ci focalise l'ennemi suprême sur l'État souverain keynésien et régulateur de l'économie, l'identifiant automatiquement au totalitarisme rouge et brun ou, plus rarement, à l'ens imaginationis du "totalitarisme rouge-brun". Et comme résultat de tout ce processus, le capitalisme lui-même réapparaît, de plus en plus ennobli et légitimé idéologiquement: en effet, aujourd'hui il est présenté - tant par la droite que par la gauche - comme le royaume de la liberté, comme le meilleur des mondes possibles, ou en tout cas comme le seul possible dans le temps de désenchantement qui reste après les atrocités des totalitarismes rouge et brun.
17:57 Publié dans Actualité, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, philosophie, néolibéralisme, droite, gauche, diego fusaro, théorie politique, philosophie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 01 août 2023
La dictature de la ploutocratie financière
La dictature de la ploutocratie financière
Diego Fusaro
Source: https://posmodernia.com/la-dictadura-de-la-plutocracia-financiera/
Grâce aux processus de supranationalisation et à l'ordre du discours dominant, les peuples eux-mêmes sont de plus en plus convaincus que les décisions fondamentales ne dépendent pas de leur volonté souveraine, mais des marchés et des bourses, des "liens extérieurs" et des sources supérieures s'inscrivant dans un sens transnational. C'est cette réalité que les peuples, c'est-à-dire ceux d'en bas, "doivent" simplement seconder électoralement, en votant toujours et seulement comme l'exige la rationalité supérieure du marché et de ses agents.
"Les marchés apprendront aux Italiens à voter comme il faut", affirmait solennellement, en 2018, le commissaire européen à la programmation financière et au budget, Günther Oettinger, condensant en une phrase le sens de la "démocratie compatible avec le marché". Et, en termes convergents, l'eurotechnocrate Jean-Claude Juncker avait catégoriquement affirmé qu'"il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens" ("Le Figaro", 29.1.2015). Des thèses comme celles qui viennent d'être évoquées, concernant une séparation prétendument nécessaire entre la représentation populaire et la sphère de la décision politique, auraient été considérées jusqu'à récemment comme des attaques réactionnaires, autoritaires et inadmissibles contre la démocratie. Avec la "bifurcation" de 1989, en revanche, elles sont devenues hégémoniques dans l'ordre du logos dominant : à tel point que quiconque ose les contester de quelque manière que ce soit est répudié comme "populiste" et "souverainiste".
La droite et la gauche néolibérales appliquent chacune aujourd'hui les mêmes recettes économiques et sociales. Et ces dernières ne sont plus le fruit d'une négociation politique démocratique, puisque la souveraineté économique et monétaire des États-nations souverains a disparu. Les recettes sont donc imposées de manière autocratique par des institutions financières supranationales, qui ne sont pas légitimées démocratiquement (BCE, FMI, etc.). Et comme la droite bleue et la gauche fuchsia ne remettent pas en question les processus de dé-démocratisation et de supranationalisation de la prise de décision (qu'elles facilitent d'ailleurs le plus souvent), toutes deux finissent par légitimer la souveraineté de l'économie post-nationale et, avec elle, celle de la classe apatride de la ploutocratie néolibérale, qui se cache toujours derrière l'anonymat apparent d'entités "raisonnablement suprasensibles" telles que les marchés, les bourses ou la communauté internationale.
Déjà en 1990, Norberto Bobbio affirmait que "par gauche, nous entendons aujourd'hui la force qui est du côté de ceux qui sont en bas, et par droite la force qui est du côté de ceux qui sont en haut". Même alors, Bobbio décrivait en détail la nature du clivage dans le cadre du capitalisme dialectique moderne, dans lequel la gauche représentait les intérêts des dominés (ceux d'en bas) et la droite les intérêts des dominants (ceux d'en haut). Cependant, Bobbio n'a pas déchiffré l'obsolescence de ce schéma herméneutique dans le cadre du nouveau capitalisme absolu-totalitaire: dans son scénario, comme cela devrait être clair maintenant, la gauche, pas moins que la droite, représente la partie, les intérêts et la perspective de ceux qui sont au sommet.
Par conséquent, au-delà de la perfide dichotomie droite-gauche, il est impératif de re-souverainiser l'économie afin de rétablir la primauté de la décision souveraine et, enfin, d'établir la souveraineté populaire, c'est-à-dire la démocratie en tant que κράτος du δῆμος. Car la souveraineté populaire coïncide avec une communauté maîtresse de son destin, donc capable de décider de manière autonome des questions clés de sa propre existence. La dichotomie entre le socialisme et la barbarie n'a pas cessé d'être valable : avec la novitas fondamentale, cependant, que tant la droite que la gauche se sont ouvertement rangées du côté de la barbarie. Par conséquent, un nouveau socialisme démocratique d'après la gauche doit être façonné.
Les intellectuels organiques au service du capital - le nouveau clergé post-moderne - et les politiques inféodés au pouvoir néo-libéral - droite bleue et gauche fuchsia - maintiennent les classes dominées, le Serviteur national-populaire, à l'intérieur de la caverne mondialisée du capital. Elles convainquent les dominés que c'est le seul système viable. Et ils les incitent à choisir entre des alternatives fictives, qui sont également basées sur l'hypothèse de la caverne néolibérale comme un destin inéluctable, sinon comme le meilleur des mondes possibles. Contre le nouvel ordre mental et la mappa mundi forgée par le clergé intellectuel à l'appui du pôle dominant, nous devons avoir le courage d'admettre que l'antithèse entre la droite et la gauche n'existe aujourd'hui que virtuellement, en tant que prothèse idéologique pour manipuler le consensus et le domestiquer dans un sens capitaliste, selon le dispositif typique de la "tolérance répressive" par lequel le citoyen du monde se voit offrir un choix "libre" d'adhérer aux besoins systémiques. En fait, le choix est inexistant dans la mesure où les deux options au sein desquelles il est appelé à s'exercer partagent, au fond, une identité commune: la droite et la gauche expriment de manière différente le même contenu dans l'ordre du turbo-capitalisme. Et c'est ainsi qu'elles provoquent l'exercice d'un choix manipulé, dans lequel les deux parties en présence, parfaitement interchangeables, alimentent l'idée de l'alternative possible, qui en réalité n'existe pas. Ainsi, l'alternance réelle entre la droite et la gauche garantit non pas l'alternative, mais son impossibilité.
C'est pourquoi, pour réaliser la "réorientation gestaltiste" qui nous permet de comprendre le présent et de nous orienter dans ses espaces par la pensée et l'action, il est nécessaire de dire adieu sans hésitation et sans remords à la dichotomie déjà usée et inutile entre la droite et la gauche. C'est pourquoi l'abandon de la dichotomie ne doit pas s'échouer dans les bas-fonds du désenchantement et de l'apaisement de toute passion politique pour le rajeunissement du monde: la passion durable de l'anticapitalisme et de la recherche opérationnelle d'arrière-pensées ennoblissantes doit au contraire se déterminer dans la tentative théorico-pratique de théoriser et d'opérer de nouveaux schémas et de nouvelles cartes, de nouvelles synthèses et de nouveaux fronts avec lesquels revivre le "rêve d'une chose" et le pathos anti-adaptatif alimenté par les désirs d'une liberté plus grande et meilleure. Pour paraphraser l'Adorno de Minima Moralia, la liberté ne s'exerce pas en choisissant entre une droite et une gauche parfaitement interchangeables et également alliées au statu quo. Elle s'exerce en rejetant, sans médiation possible, le choix manipulé et en proposant de véritables alternatives qui pensent et agissent autrement, au-delà de l'horizon aliéné du capital. Il faut refuser l'alternance, pour redonner vie à l'alternative.
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dimanche, 18 juin 2023
Diego Fusaro: Pourquoi l'Union européenne est-elle une tragédie pour les peuples et les travailleurs?
Pourquoi l'Union européenne est-elle une tragédie pour les peuples et les travailleurs?
Diego Fusaro
Source: http://adaraga.com/por-que-la-union-europea-es-una-tragedia-para-los-pueblos-y-para-los-trabajadores/
Selon le traité de Maastricht de 1992 (article 104) et le traité de Lisbonne de 2007 (article 123), les États européens ont été privés de la possibilité d'emprunter auprès de leur banque centrale. En outre, l'État a renoncé au droit de battre monnaie. Les États ont transféré ce pouvoir souverain au secteur privé, dont ils sont devenus les débiteurs.
Grâce aux actions par lesquelles la crise de la dette privée des banques a été déguisée en crise de la dette publique des États, la souveraineté monétaire a été neutralisée et, avec elle, la relation entre l'État et l'économie a été complètement inversée. C'est cette dernière qui est souveraine, où l'État, quand il existe encore, devient le pur défenseur du capital et de sa logique, avec pour conséquence la reconfiguration de la politique comme simple continuation de l'économie par d'autres moyens.
Le chômage par région en Europe.
Depuis le tableau économique avec lequel les physiocrates tentaient de diriger les politiques économiques du roi de France, la modernité est habitée par l'aspiration à substituer la politique à l'économie. C'est, on le sait, l'essence même du capital tel qu'il a été décrit par Marx et la galaxie de ses disciples hétérodoxes.
Depuis l'ère du laissez-faire, la figure du gouvernement frugal s'est imposée, destinée à s'inverser dans la dérégulation et la nouvelle gestion publique de l'État minimal avec une économie dépolitisée post-1989, avec la tyrannie de la dette, la dictature du marché et le chantage à la "confiance des investisseurs" et des gestionnaires du capital financier international.
Telle est l'essence de la nouvelle "démocratie sans peuple", c'est-à-dire du système globocratique qui, dans l'abstrait, se présente comme démocratique et, dans le concret, se détermine comme un plébiscite post-démocratique de marchés dépolitisés.
Dans ce panthéon des fonctions expressives du libéralisme, la figure de l'"État minimal" est centrale (avec le mot d'ordre privilégié par les bardes du cosmomercatisme, "moins d'État et plus de marché") : son but est de contrôler les règles du marché et la concurrence, ainsi que l'établissement d'une politique monétaire articulée sur la stabilité de la monnaie et le contrôle des prix.
À cet égard, il convient de rappeler que le 2 février 2012, le MES (le Mécanisme européen de stabilité) est entré en vigueur, introduisant la règle de la "conditionnalité".
Selon cette dernière, l'aide financière n'est accordée qu'aux États de l'UE qui, en contrepartie, s'engagent à mettre en œuvre un programme de réformes et - donc dans le texte, avec un lexique nettement orwellien - d'"ajustement macroéconomique" conforme aux tendances néolibérales.
Ces tendances, ça va sans dire, coïncident toujours avec la privatisation des services publics, avec la réduction des salaires, avec la réduction des dépenses publiques, avec l'abolition de toutes les restrictions à la circulation des marchandises.
En d'autres termes, mutato nomine, le programme politique habituel de l'aristocratie financière sans frontières. Le chantage à l'aide financière conditionnelle est ainsi déployé, par lequel le "marché des réformes" voulu d'en haut est activé au profit de ceux d'en haut.
Avec le MES, les Etats "assistés" sont privés de leur autonomie politique : ils sont contraints, sous peine de pauvreté, d'accepter des réformes dictées de l'extérieur, toujours au profit de l'oligarchie financière et au détriment des immenses masses précarisées post-bourgeoises et post-prolétariennes.
La Banque centrale européenne peut, en effet, retenir discrétionnairement les liquidités des systèmes bancaires des Etats membres qui refusent de suivre ses préceptes en matière de politiques budgétaires, de secteurs publics et de structure des systèmes de formation des salaires.
A cela s'ajoute le "Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance", signé à Bruxelles le 2 mars 2012. Les parlements nationaux sont privés de compétences en matière budgétaire. Ils perdent définitivement l'un des piliers des systèmes démocratiques nationaux.
De plus, sur la base du MES, le poids décisionnel des Etats membres de l'UE est proportionnel aux paiements et à la puissance économique : avec pour conséquence évidente que l'Allemagne peut à nouveau faire valoir ses intérêts face à l'ensemble de l'Europe et sans avoir recours à l'esthétique traditionnelle de la violence guerrière. Le nationalisme guerrier n'est pas vaincu : il est simplement sous une forme modifiée, sous le signe de la primauté de l'économique sur le politique.
Les immenses violences liées aux processus de mondialisation de l'Europe mis en œuvre par l'Union européenne sont, plus communément, désignées comme des "règles" par le néo-langage du cosmomarché. L'Europe est désormais sous la tutelle d'une autorité dépourvue de toute légitimité démocratique.
Le pouvoir est remis aux marchés financiers spéculatifs, libres d'imposer sans limites leurs besoins et leurs orientations. L'économie de marché est désormais la seule réalité concrètement souveraine, le politique devenant quant à lui une simple variable dépendante de l'économie financiarisée.
C'est dire combien le processus d'intégration européenne (qu'il serait plus juste de définir comme un projet d'intégration libérale et de révolution passive des élites financières) a parfaitement atteint son but, à savoir l'affaiblissement des classes populaires au profit des seigneurs du capital sans frontières (alias "les maîtres de la finance mondiale") et, plus généralement, dans la contraction des espaces démocratiques.
En effet, dans son essence même, l'Union européenne apparaît comme un système entièrement post-démocratique à tous les niveaux : un système qui a déconstruit la possibilité pour les masses nationales-populaires de peser sur les décisions politiques et qui remplace le gouvernement démocratique par la gouvernance, c'est-à-dire un gouvernement sans les peuples et orienté vers le seul fonctionnement des marchés libérés des contraintes keynésiennes des Etats-nations.
Les pratiques ordinaires sur lesquelles repose l'Eurosystème le confirment indiscutablement. Elles vont de la création d'États au contournement des parlements, pour aboutir au règne de technocrates non responsables et sans mandat démocratique.
L'union monétaire devient ainsi le pivot de la "nouvelle gouvernance européenne" libérale et post-démocratique, centrée sur des pratiques qui condamnent à terme les classes dominées à "mourir pour l'euro".
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samedi, 17 juin 2023
Gauche verte, économie verte et environnementalisme néolibéral
Gauche verte, économie verte et environnementalisme néolibéral
Diego Fusaro
Source: http://adaraga.com/izquierda-verde-economia-verde-y-ambientalismo-neoliberal/
Tout comme les caprices arc-en-ciel des consommateurs, les impulsions écologiques de l'environnementalisme capitaliste sont elles aussi complètement subsumées par le capital. L'"avenir vert" est toujours conçu comme un produit commercial du pouvoir commercial, et ce afin que (comme le souligne Harvey) l'ordre néolibéral puisse "gérer la contradiction entre le capital et la nature en fonction de ses intérêts de classe les plus importants". L'économie verte et l'environnementalisme néolibéral sur lequel elle repose théoriquement révèlent clairement comment le capital parvient à transformer même ses propres contradictions en facteur de profit. Et à transformer tout en marchandise, même la protestation contre la marchandisation.
Dans l'apothéose de la critique conservatrice, la protestation contre l'aliénation se donne elle-même sous des formes aliénées, c'est-à-dire des formes qui finissent par renforcer les barreaux de la cage qu'elles voudraient aussi briser. En vertu d'une alchimie énigmatique, au moment de la réification planétaire, la dynamite se transforme toujours en ciment, ce qui fait de tous les "matériaux explosifs" et de tous les "esprits de la dynamite" possibles simplement "une brique de plus dans le mur", comme le dit le titre d'une chanson bien connue.
Le technocapital, en outre, fonctionne infailliblement selon la stratégie paradigmatique de la standardisation, de l'absorption et de la normalisation : l'expression la plus brillante en est le sort réservé à l'image révolutionnaire de Che Guevara, réduite à une icône pop inoffensive, vendue à bas prix sur des T-shirts dans le monde entier. La désactivation de la critique est produite par sa marchandisation intégrale et sa conversion normalisante en simple spectacle, garantissant ainsi le double objectif de sa neutralisation face à toute issue émancipatrice possible et de sa reconversion en marchandise circulante.
La dévastation environnementale générée à son image par le techno-capital, par son "oubli de l'être" et par sa volonté de puissance pour une croissance incommensurable, devient en effet, grâce à l'économie verte, un phénomène par lequel la ruse de la raison capitaliste, d'une part, invente de nouvelles sources de profit ("voitures électriques", "bioproduits", etc.). Et, d'autre part, avec une fonction apotropaïque, il se sécurise par rapport à un véritable environnementalisme, c'est-à-dire un environnementalisme qui rejoint la lutte plus générale contre la contradiction capitaliste en tant que telle. En bref, les stratèges de l'ordre dominant parviennent à faire passer le message que les problèmes environnementaux, générés par le capital, peuvent être résolus non pas en changeant de modèle de développement, mais en réorganisant le modèle existant en vert. Même sur un plan strictement logique, il s'agit d'un véritable non sequitur: comme si l'on pouvait changer les effets en continuant à cultiver les causes.
L'existence d'un problème environnemental est évidente, comme l'atteste l'avalanche d'études scientifiques consacrées au sujet: nulla quaestio, donc, sur l'insoutenabilité des positions, même généralisées, de ceux qui soutiennent l'inexistence du problème. La question, en revanche, concerne les moyens concrets de l'aborder et, espérons-le, de le résoudre. De ce point de vue, si le technocapital se fonde essentiellement sur l'utilisabilité illimitée de l'entité en vue du renforcement incommensurable de la volonté de puissance, il s'ensuit que, de toute façon, il s'agit d'une forme de production destinée à provoquer sa propre fin: soit parce que, avec sa dévastation de la terre, elle provoquera finalement la fin de toutes choses (et donc aussi d'elle-même), soit parce que, pour éviter cet épilogue, elle devra s'arrêter et donc aussi, dans ce cas, déterminer sa propre disparition. Face à ces deux possibilités, le technocapital tente d'en poursuivre une troisième, verte, basée sur la technologie et la géo-ingénierie.
En réalité, cette possibilité est intimement contradictoire et ne fait en vérité que proposer à nouveau - peut-être de manière différée - la première perspective, celle de la fin de toute chose provoquée par ce système, appelé capitalisme, qui, tel un cancer, anéantit le corps qui l'abrite. Et pourtant, aujourd'hui, elle semble être la vision dominante des choses, également pour les raisons déjà partiellement expliquées, rendant minoritaire la seule position rationnelle : celle qui propose, comme seule issue, le changement radical d'un modèle socio-économique, c'est-à-dire le dépassement du capitalisme. Le fait que la nouvelle gauche épouse les raisons de l'économie verte, désertant une fois de plus la voie de l'anticapitalisme, est une preuve supplémentaire de notre thèse de sa réabsorption dans les spirales du turbo-capitalisme. Le quid proprium de la gauche néolibérale, c'est le détournement de la question des droits sociaux vers celle des droits civiques et de la protection de l'environnement.
La progression de la gauche verte, de l'Allemagne à la Californie, constitue un autre exemple probant de l'essence gauchiste du néolibéralisme progressiste et de la métamorphose de la gauche elle-même. D'une part, la sensibilité verte, avec son besoin de protéger l'environnement, détourne le regard de la contradiction socio-économique et de la nécessité de protéger les travailleurs et les classes les plus faibles: pour les "militants" de la gauche verte, l'indignation face aux "bouteilles en plastique" ou aux "voitures polluantes" coexiste avec l'acceptation indifférente de l'exploitation du travail ou avec les armées de vagabonds et de sans-abri qui vivent aux marges des métropoles opulentes.
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lundi, 05 juin 2023
Capitalisme néolibéral et politiques progressistes d'ouverture des frontières: un seul front, selon le Prof. em. Mark Elchardus
Capitalisme néolibéral et politiques progressistes d'ouverture des frontières: un seul front, selon le Prof. em. Mark Elchardus
Peter W. Logghe
Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94
Dans l'édition du week-end dernier du journal De Morgen, le professeur Mark Elchardus a publié un article qui fait l'effet d'une bombe. Cette fois-ci, il traitait du troublant pacte migratoire de Marrakech et du rapport encore plus troublant de la Banque mondiale, ou de la fusion du néolibéralisme et des politiques progressistes en matière d'ouverture des frontières. On appréciera la suite: "Le réveil est brutal: la crise bancaire et financière, les récessions, la crise des réfugiés et de l'immigration, la corruption, la guerre, les pénuries d'énergie, l'inflation... Cependant, à chaque coup de poignard et de douleur, un peu de lumière filtre à travers l'aveuglement général.
Les deux livres du Prof. Elchardus qui font un tabac en Flandre et qui mériterait d'être débattus dans les parties non néerlandophones du pays.
Cela permet de comprendre que si le salut est venu, c'est grâce à un effort commun de l'État et du gouvernement. Même lorsque tout va bien, ceux-ci se révèlent plus importants qu'on ne le pensait. Le libre-échange crée la prospérité, pour autant que vous ne croyiez pas à cette absurdité néolibérale selon laquelle les choses s'arrangent avec beaucoup de marché et peu de gouvernement, et que l'individualité et l'intérêt nationaux sont obsolètes. Ni les Chinois ni les Américains ne tombent dans ce piège. Leurs gouvernements misent beaucoup sur le soutien et l'innovation dans leurs propres entreprises et universités. Par rapport à eux, les Européens se sont ratatinés et sont devenus des acteurs industriels et numériques de troisième ordre.
Réussissons-nous encore la réindustrialisation, la souveraineté numérique ? Comment retrouver la foi dans le progrès ? Comment construire une communauté forte, sûre d'elle et capable de relever les défis ? Les ordres de marche qui semblaient clairs deviennent flous. Il ne suffit apparemment pas de fixer des objectifs climatiques ambitieux. Les progrès sont faibles, le soutien s'érode. La raison impose désormais de s'adapter au climat, d'établir des priorités et d'envisager une pause. Cela conduit à son tour à une escalade verte sous la forme d'une pensée type Pol Pot: la décroissance. Seul un régime dictatorial se lance dans une telle entreprise.
La politique devient à nouveau une confrontation entre rêves d'avenir qui s'affrontent. La contradiction centrale pourrait être la suivante: mon pays est celui où je peux gagner le plus d'argent, alors que je voudrais que tout le monde soit bien loti dans mon pays. La Banque mondiale vient d'annoncer de quel côté elle se situe.
Cette institution publie régulièrement un rapport sur le développement dans le monde, qui prétend montrer la voie à suivre. L'épisode 2023 traite des "Migrants, réfugiés et sociétés". Il préconise "la migration en tant que mouvement transfrontalier de travailleurs vers des pays où leur travail peut être utilisé de manière plus productive que dans leur pays d'origine" (p. 25). Les personnes sont ainsi réduites à la valeur marchande de leur travail et considérées comme globalement échangeables.
Le rapport ne s'arrête jamais sur les conséquences sociales et culturelles pour les communautés d'origine et de destination. Les divisions et les problèmes sont toujours là, le rapport s'attarde. C'est ainsi que les pères fondateurs du néolibéralisme voyaient les choses, un marché mondial, une terre plate, pas de pays ou de civilisations avec une individualité, rien qui donne du relief, juste un réservoir mondial de main-d'œuvre bon marché. "La libre circulation des personnes est l'élément clé du fonctionnement efficace de l'économie mondiale" (p. 25), selon la Banque mondiale. Les néolibéraux et les partisans progressistes de l'ouverture des frontières font front commun.
Réduire les gens à la valeur marchande de leur travail est une noble cause, selon la Banque mondiale. Quiconque prend en compte les autres particularités des gens est un raciste (p. 197-198). En effet, selon la Banque mondiale, il n'y a aucune raison autre que le racisme pour que l'Europe soit plus clémente dans l'accueil des Ukrainiens que des Somaliens. Si vos voisins sont plus proches de votre cœur que des voisins lointains non reconnus, eh bien, vous êtes un raciste.
Une épine dans le pied de la Banque mondiale est la distinction entre migrants légaux et illégaux. Après tout, ces derniers sont une source de main-d'œuvre bon marché. C'est pourquoi elle ne parle pas de migrants illégaux, mais de "réfugiés climatiques", de "migrants de survie", de "réfugiés de la nécessité" et généralement de "migrants en détresse". Le rapport sait également avec certitude que ceux qui migrent illégalement le font parce qu'ils "n'ont pas d'alternative viable chez eux" (p.12). Toute tentative de contrôle des migrations est donc inhumaine, car elle prive les gens d'une chance de vivre.
Pour la Banque mondiale, la convention sur les réfugiés est obsolète. Elle fait une distinction arbitraire entre les motifs de protection fondés et non fondés (p.252). La Banque mondiale préfère le Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, connu sous le nom de Pacte de Marrakech (p. 26-27). Celui-ci parle des migrants en situation de vulnérabilité et estime qu'ils méritent toujours une protection. De cette manière, toute forme de migration s'auto-légitime. En effet, en migrant illégalement et en donnant l'argent de sa famille aux trafiquants d'êtres humains, le migrant se met dans une situation difficile, il est en détresse. C'est alors une raison suffisante pour lui accorder l'asile. Ceux qui n'ont pas encore compris à quoi sert le pacte de Marrakech peuvent lire ce rapport de la Banque mondiale et comprendre de quoi il retourne.
Ce pacte ne nous engageait à rien, a-t-on prétendu. Pas plus qu'un rapport de la Banque mondiale ne nous engage à quoi que ce soit. En revanche, il érige en norme la politique migratoire prônée par le pacte de Marrakech et choisie par les partis de l'actuelle coalition Vivaldi (Belgique). Chaque fois que l'occasion se présentera, la Banque mondiale fera la promotion de cette politique en échange d'un soutien. Par exemple, les pays pauvres et à revenus moyens seront poussés à adapter leur éducation non pas à leur propre développement mais aux besoins des pays riches et à promouvoir l'émigration (p. 10, 16). La fuite des personnes les plus instruites comme nouvelle stratégie de développement ? Ce sera alors la version de la Banque mondiale de l'outgrowth".
Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec le professeur sur tous les points pour voir l'importance de sa contribution !
21:02 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mark elchardus, néolibéralisme, banque mondiale, migrations, immigration, actualité, europe, affaires européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 19 mai 2023
Le néolibéralisme ne meurt jamais
Le néolibéralisme ne meurt jamais
Aucune catastrophe, financière ou sanitaire, ne semble pouvoir ébranler la capacité du système économique à surmonter les crises, à changer et à s'adapter aux circonstances.
Claudio Freschi
Source: https://www.dissipatio.it/il-neoliberismo-non-muore-mai/?...
Le terme "néolibéralisme" a été utilisé de manière si large et si diverse, parfois même de manière inappropriée, qu'il a été difficile d'en définir précisément la signification.
Comme nous le savons, le libéralisme est un système économique fondé sur la liberté absolue de production et d'échange, dans lequel l'intervention de l'État est autorisée dans de rares cas, essentiellement lorsque l'initiative privée ne répond pas aux besoins de la communauté. Bien que ses racines soient lointaines, cette école de pensée s'est développée grâce à ce que l'on appelle l'école autrichienne, avec des économistes comme Friedrich Hayek et Ludwig von Mises, et a connu une grande popularité au début du siècle dernier.
Avec la grande crise de 1929 et la dépression qui s'ensuivit, le retour des politiques keynésiennes visant à atteindre le plein emploi (avec un recours important aux dépenses publiques), a éclipsé pendant quelques décennies l'idée d'un libéralisme absolu, qui a dû attendre les années 1970 pour revenir à la mode. Mais à cette époque, les choses ont changé : l'avancée politique des sociaux-démocrates en Europe a définitivement discrédité l'idée classique d'un libéralisme prêt à tolérer une pauvreté généralisée au nom d'une richesse croissante concentrée dans les mains d'un petit nombre.
C'est là que le terme néolibéralisme a commencé à faire son chemin, pour désigner ce courant de pensée qui acceptait volontiers la nécessité d'une intervention de l'État pour amener la plupart des gens au-dessus d'un certain seuil de revenu minimum. Mais une fois ce seuil atteint, il n'y aurait plus lieu de s'inquiéter des inégalités sociales, politiques ou économiques. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, les États-Unis de Ronald Reagan et, dans une plus large mesure encore, le Chili de Pinochet, soutenus par de prestigieux économistes de l'école de Chicago, étaient des exemples d'un système combinant des degrés divers d'autoritarisme avec des politiques de libre-échange plutôt radicales. Rien à voir avec le souci légitime de la liberté d'expression qui animait les grands penseurs libéraux depuis John Stuart Mill, mais tout à fait dans la ligne de la pensée de Hayek pour qui l'enjeu fondamental était de préserver la liberté d'action de l'individu tout en minimisant l'ingérence des différents gouvernements.
Malgré la fin de ces expériences plutôt "extrêmes", la conception néolibérale a dominé le monde occidental au cours des quarante dernières années. Une idée de l'économie de marché, avec le moins de régulation possible, sous des gouvernements déterminés à maîtriser les dépenses publiques et à assainir les budgets. En temps de crise, le dogme du petit État a été largement, voire temporairement, mis de côté au nom d'un pragmatisme politique souvent issu de calculs électoraux, mais l'idéologie de base est toujours restée.
La crise financière de 2009 a ébranlé les fondements du néolibéralisme. L'incapacité totale des économistes du courant dominant à prédire une catastrophe d'une telle ampleur a semblé mettre fin, sinon aux idées, du moins à la crédibilité de la plupart de ces universitaires, mais une fois que les marchés ont retrouvé un semblant de normalité, il est apparu clairement que l'idéologie néolibérale était loin d'être défunte.
Même la pandémie de Covid 19, récemment déclarée, a semblé mettre un terme à l'idée d'un marché tout-puissant qui, avec le temps, résout tous les problèmes en rétablissant l'équilibre sans aucune intervention extérieure. Des millions d'emplois ont disparu, des secteurs productifs entiers se sont effondrés, la bourse s'est effondrée, des milliards de crédits sont devenus progressivement irrécouvrables, créant une telle urgence que la nécessité d'agir dépassait largement le cadre des idéologies.
Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et même dans l'Union européenne austère, les politiques prudentielles ont été abandonnées avec de gigantesques injections de liquidités sur le marché et un recours massif aux dépenses publiques. Mais même dans ce cas, les annonces d'un renoncement définitif au néolibéralisme, suite aux événements déclenchés par la pandémie, ne se sont pas concrétisées. Au contraire, le retour de l'inflation a donné plus de force à tous ceux qui espéraient un retour à des politiques budgétaires strictes et, en général, à une réduction du rôle de l'État.
Certains pensent que le coup de grâce au néolibéralisme pourrait venir du pays même qui a fait du marché sa raison de vivre, les États-Unis d'Amérique. De nombreux analystes soulignent que le président Biden a passé les deux premières années de son mandat à promettre, comme l'ont souvent fait ses prédécesseurs, une expansion massive de la "protection sociale" et, en général, de puissants investissements publics. On se souvient que, dans l'un de ses premiers discours au Congrès, le président avait tenu à rappeler la centralité de l'intervention de l'État dans la construction des infrastructures qui ont permis à l'Amérique de devenir une grande puissance mondiale.
Mais malgré ces déclarations d'intention, et l'antipathie naturelle des démocrates pour le reaganisme, aucune véritable stratégie économique alternative n'avait jamais été formulée. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a ouvertement parlé d'un nouveau "consensus de Washington", c'est-à-dire d'un principe directeur de la politique économique de la Maison Blanche qui tend à encourager l'intervention de l'État plutôt qu'à s'y opposer, à renforcer les protections des travailleurs plutôt qu'à déréglementer, et à réduire l'interdépendance économique entre les nations plutôt qu'à l'encourager. M. Sullivan a ensuite défini le nouveau modèle économique américain comme une critique ouverte du néolibéralisme, estimant que ce dernier repose sur trois hypothèses manifestement erronées. La première est que "les marchés alloueront toujours les ressources de manière productive et efficace", la deuxième est que "toute croissance est une bonne croissance" et la troisième que "l'intégration économique et la mondialisation rendront les nations plus responsables et favoriseront un processus de paix mondial".
Mais ce projet, qui, selon la plupart des enthousiastes, mettra fin à l'engouement des Américains pour le néolibéralisme, se heurte à un obstacle potentiellement insurmontable, à savoir que le "consensus de Washington" tant vanté pourrait manquer de... consensus. Ce n'est pas un mystère que l'idée d'augmenter les impôts et les dépenses publiques ne fait pas vraiment partie de l'agenda politique des Républicains. Et sans la coopération du parti de l'éléphant, il est fort probable que l'espoir de voir se concrétiser un nouveau paradigme économique allant au-delà du néolibéralisme reste lettre morte.
La vérité est que l'attrait du néolibéralisme, même s'il a été affaibli par diverses crises, reste fort parce qu'il est inhérent à la logique du capitalisme mondial. Sa nature est changeante, il évolue et s'adapte en fonction des situations. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu'il continue à vivre comme il l'a toujours fait, en se transformant en fonction des différentes conditions, en surmontant les obstacles, en s'adaptant à la pensée commune, mais sans jamais changer ses paramètres de base. Pour paraphraser Mark Twain : "Désolé de vous décevoir, mais la nouvelle de la mort du néolibéralisme est largement exagérée".
A propos de l'auteur Claudio Freschi
Après des études d'économie, il est entré dans le monde des marchés financiers où il travaille depuis 30 ans. Passionné de voyages, d'échecs et de John Maynard Keynes, il collabore avec diverses publications imprimées et en ligne, écrivant sur la politique et l'économie.
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jeudi, 18 mai 2023
Le néolibéralisme expropriateur de la mort et de la vie
Le néolibéralisme expropriateur de la mort et de la vie
par Elisabetta Teghil
Source: https://www.sinistrainrete.info/neoliberismo/25409-elisabetta-teghil-il-neoliberismo-espropriativo-della-morte-e-della-vita.html
Là se révèle un système de classes si parfaitement en place qu'il est resté longtemps invisible.
Colette Guillaumin.
On parle beaucoup de la GPA, la soi-disant grossesse pour autrui, comme s'il s'agissait d'une question à part entière, abordée sous l'angle de la morale, de l'éthique, de la religion, du politiquement correct, ou de l'exploitation de classe et du néocolonialisme... il y a ceux qui luttent farouchement pour la famille traditionnelle et ceux qui luttent pour les familles arc-en-ciel, ceux qui évoquent le caractère sacré de la maternité, ceux qui veulent l'aborder d'un point de vue juridique et créer des législations ad hoc pour protéger la femme qui porte la grossesse et/ou les droits de l'enfant à naître et/ou pour définir des contrats qui protègent ceux que l'on appelle les parties...
Mais on oublie toujours que la question est politique et qu'elle doit être abordée en tant que telle, et qu'il faut donc revenir quelques années en arrière.
Le système de pouvoir s'est depuis longtemps approprié la mort avec ce qu'on appelle la mort cérébrale, une mort déclarée par l'État, par la loi.
Le concept de mort cérébrale a été introduit dans le monde scientifique en même temps que les premières transplantations d'organes de l'histoire de la médecine. Il est clairement déguisé en scénario par d'excellentes motivations, pour sauver des vies, pour le bien commun. La plupart des organes ne pouvant être prélevés sur des cadavres, les critères en vigueur de constatation de la mort ne permettaient pas ce type d'intervention. L'introduction du concept de mort cérébrale a donné une légitimité scientifique à la réalisation des transplantations.
Dans la législation italienne, la question est réglée par la loi n°578 du 29 décembre 1993 (règles pour la constatation et la certification de la mort), le décret n°582 du 22 août 1994 du ministère de la santé (règlement contenant les procédures de constatation et de certification de la mort) et le décret du 11 avril 2008 (G.U. n°136 du 12/06/2008, "Mise à jour du décret n°582 du 22 août 1994").
Face à ce coup d'État du pouvoir en place, presque tout le monde s'est tu, voire a participé, y compris la gauche de classe, laissant un espace d'opposition à la droite réactionnaire, bigote et fondamentaliste, qui a commencé à pontifier sur la question de savoir si l'être humain en état de soi-disant mort cérébrale est à moitié mort ou à moitié vivant, plus mort que vivant ou plus vivant que mort. Les psychologues ont commencé à étudier si le transfert du cœur d'une personne à une autre pouvait avoir des effets négatifs sur l'équilibre psychique, et les militants de gauche ont commencé à dénoncer le commerce d'organes, qui proviennent justement des pays pauvres. Aujourd'hui, l'État envisage également d'introduire la déclaration de mort prématurée en cas d'arrêt cardiaque. Toujours par la loi.
De cette approche découle le mépris, la revendication de délégation, l'arrogance de l'État à l'égard de la mort des êtres humains, conduisant à la condition d'appropriation totale qui s'est manifestée à l'époque de ce que l'on appelle la pandémie.
Car le problème était et reste strictement politique. La mort se constate, elle ne se décrète pas. Vous ne pouvez pas mettre le pouvoir de décréter la mort entre les mains de l'État, car il s'agit d'un système basé sur le profit, l'oppression et l'exploitation.
La société civile débat actuellement du suicide assisté (avec lequel je suis également d'accord), mais je pense que nous devrions réfléchir attentivement avant d'ouvrir cette nouvelle possibilité pour l'État de faire main basse sur la mort. Combien de temps pensez-vous qu'il faudra au système de pouvoir pour convaincre les personnes âgées qu'il vaut mieux se suicider dans des conditions de sécurité que de vivre une vie pleine de maux et d'inconnus ? Ou pour convaincre les membres de la famille que leurs proches ont fait leur temps à un moment ou à un autre ? Moins de pensions, moins de soins de santé... n'est-ce pas Christine Lagarde qui a dit que nous sommes trop nombreux ? Nous sommes trop nombreux, eux, ils ne le sont pas....
Et maintenant, parlons de la vie. Parlons du travail reproductif. Le féminisme a depuis longtemps mis en évidence que le travail reproductif est un vrai travail, extorqué gratuitement par le patriarcat, une structure socio-économique que le capitalisme a toujours utilisée à tour de bras et avec laquelle il entretient des rapports privilégiés. D'autre part, le patriarcat n'est rien d'autre qu'un modèle économique fondé sur la division hiérarchique et la spécialisation des rôles sexuels en vue d'une performance optimale des individus mis au travail.
Dans la société du capital, le corps des femmes est une marchandise, toutes les relations hommes-femmes sont marquées par un échange économico-sexuel, comme nous le dit Paola Tabet, toutes les relations avec le système de pouvoir sont des relations d'exploitation, alors pourquoi s'étonner de la GPA ? La grossesse pour autrui est une exploitation plus qu'évidente du genre et de la classe, ce sont et ce seront les femmes pauvres qui vendront leur capacité reproductive de cette manière. Une transformation des relations reproductives est en cours, de l'appropriation privée par un seul homme de la capacité reproductive d'une femme sous la forme du mariage, à l'appropriation sociale collective par la prise en charge du travail reproductif par la femme seule ou la mise en vente du travail reproductif de la femme en tant que "travailleur salarié", bien que pour une période définie, sans que l'État ne prenne en charge les services de soutien. D'une pierre deux coups.
La question concerne plutôt les subjectivités qui savent ce qu'est le stigmate social, qui savent ce que cela signifie d'en avoir fait l'expérience sur leur peau, qui savent ce que cela signifie d'être exploitées et/ou condamnées et/ou stigmatisées, et qui entreprennent d'acheter et d'exploiter le corps des femmes à leur tour, ou qui s'appuient sur des structures biotechnologiques pour les médicaliser et en faire des instruments vivants d'expérimentation.
Ce moment de transition est plein de contradictions au sein même du patriarcat. D'une part, les femmes ont explicité leur poids et leur présence sociale au fil d'années de lutte, d'autre part, le patriarcat a obtenu un résultat optimal, celui d'accabler les femmes de tâches reproductives et salariales et de les impliquer dans les fortunes du pouvoir.
Les questions à poser sont donc : qui bénéficie de cette transformation, qui en supporte le fardeau, quel est le but ultime du système de pouvoir ?
Pour répondre à ces questions, nous avons, avec nos camarades de la coordinamenta, étudié le baliatico (= le salaire de la nourrice). Jusqu'aux années 1950, les paysannes pauvres acceptaient le travail de nourrice dans les maisons des riches parce que c'était le seul moyen d'apporter de l'argent à la famille. C'est la famille qui les poussait. Elles laissaient leur enfant nouvellement né à la maison pour allaiter l'enfant d'une autre. Souvent, leur enfant mourait parce qu'il avait été sevré très tôt et allaité avec du lait de vache dilué. En même temps, elles faisaient partie d'un monde qu'elles ne connaissaient pas, dans lequel elles étaient bien traitées, dans l'intérêt évident de leurs employeurs, les coraux et les grenats étaient les bijoux des nourrices, elles apprenaient souvent à lire et à écrire et ne retournaient pas dans leur famille d'origine, elles restaient des "nourrices sèches".
Quand le phénomène des nourrices a-t-il pris fin ? Lorsque dans les années 50, avec le boom économique, les paysannes pauvres ont préféré aller travailler dans les usines. L'Eglise a toujours fermement condamné la condition de la nourrice comme un problème moral, mais il est toujours nécessaire de s'éloigner des discours moralisateurs et stigmatisants et de se demander pourquoi les choses se passent ainsi. Qui sommes-nous pour décider de ce qui est bon ou mauvais pour une femme qui décide de vendre sa capacité de procréation en faisant, entre autres, un travail lourd, prenant et dangereux ? Personne ne peut donc rien interdire à personne, mais il est nécessaire de comprendre les raisons pour lesquelles ce système de pouvoir pousse à cette modalité et plus encore.
La question doit nécessairement être abordée de manière matérialiste, dialectique et essentiellement politique.
Le néolibéralisme veut nous convaincre que les prodiges de la science et de la recherche peuvent répondre aux désirs des femmes, et avec elles de tous les êtres humains, qu'elles peuvent être libérées des difficultés de la grossesse et de l'accouchement, et que même celles qui ne peuvent pas enfanter peuvent avoir des enfants, que tout est permis mais surtout simple et gratifiant pour tous, pour ceux qui donnent et pour ceux qui reçoivent : insémination artificielle, banques de sperme et d'ovules, expérimentation génétique, modification de l'ADN, GPA ... tout cela avec de nobles principes et à des fins meilleures comme le disait Totò, tout cela déguisé en bien pour l'humanité alors que le but inavouable mais en même temps très manifeste est de s'approprier la capacité de fabriquer des êtres humains pour les utiliser, les consommer et les adapter aux désirs du pouvoir. C'est la ligne de tendance du capitalisme néolibéral avec une autre ligne de tendance extrêmement marquée qui est celle de la guerre, des lignes qui marchent entrelacées parce que les expériences sur les corps qui sont menées par l'industrie de la guerre visent à construire des sujets résistants à la guerre biologique, aux transformations environnementales de plus en plus dévastatrices, à produire un être humain sur mesure pour le capital qui peut être utilisé et mis au rebut après avoir rempli la fonction qui lui a été assignée.
Le véritable objectif est de construire la grossesse dans une éprouvette et de la poursuivre dans un incubateur après avoir modifié les caractéristiques de l'ADN jugées négatives et/ou dangereuses. Il est clair que le public sera convaincu que les nouveaux bébés seront sains, parfaits et intelligents, alors qu'en réalité le but est d'avoir des êtres humains obéissants, volontaires et heureux dans leur servitude. Ce n'est pas si difficile, ils en font déjà l'expérience. Le jour n'est pas loin où, si l'on fera des enfants comme autrefois (je m'abstiens d'utiliser le terme naturel car il est extrêmement trompeur et ouvre la porte à des approches dangereusement moralisatrices; ce qui est naturel en ce monde n'est rien, pas même la nature), deviendra un crime parce que les enfants peuvent naître défectueux et ceux qui le font seront alors blâmés et stigmatisés sous les acclamations générales. Ce n'est pas très difficile à croire vu ce qui s'est passé pendant la période pandémique. Ou l'avons-nous oublié ? La pensée de l'ennemi est fortement introjectée.
Il est vraiment paradoxal qu'en tant que féministe qui a vécu les années 70, qui a crié sur les places que les femmes donnent naissance à des idées, pas à des enfants, qui a toujours pensé que le travail reproductif était délétère pour une femme parce qu'il était extorqué, gratuit, un don de temps et de vie au patriarcat totalement injustifié, je sois obligée de me battre contre le vol de la maternité que l'on veut nous imposer. Car c'est une chose de refuser le travail reproductif, c'en est une autre de se voir arracher la possibilité de procréer.
Les développements de cette tendance sont imprévisibles, et bien que la prétention du capital à s'approprier les mécanismes de la vie et de la mort ne soit que trop claire, aucun d'entre nous ne dispose d'une boule de cristal. Il y a un positionnement qui peut nous aider. Le capital a occupé tous les interstices de nos vies et exerce à tout moment une hégémonie culturelle très forte et omniprésente, de sorte que nous disposons, au moins, d'un critère pour nous réguler: être contre et rejeter tout ce que le capital propose comme bon, utile, moderne, conforme à l'époque et aux désirs, que ce soit pour nous faire réussir ou pour sauver la planète, pour améliorer les communications ou pour nous maintenir en bonne santé, pour abolir l'argent liquide ou pour sauver nos démocraties... la réponse est NON ! Et il ne faut pas exiger des lois, il ne faut pas mettre plus d'instruments de répression dans les mains de l'ennemi, il faut de la clarté politique.
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jeudi, 11 mai 2023
La mort du paradigme libéral et la montée de la technocratie
Comment sortir de l'impasse paradigmatique
La mort du paradigme libéral et la montée de la technocratie
par Iure Rosca
Je voudrais remercier notre ami d'Allemagne, Peter Töpfer, d'avoir noté mon intervention lors de la récente conférence internationale sur la multipolarité. Et si ma modeste contribution a été remarquée, c'est parce que j'ai essayé de souligner qu'en ce moment, malgré des conflits majeurs entre différents pays, ils suivent tous docilement le même agenda mondialiste. J'ai mentionné qu'il s'agit de ce qu'on appelle le Great Reset, Agenda 21 ou Agenda 2030 pour le développement durable, adopté au sein de l'ONU. Et si tous les pays, sans exception, suivent le même ordre du jour, le résultat qui sera atteint sera commun à toute l'humanité. C'est-à-dire la disparition de tout élément d'identité religieuse, civilisationnelle et culturelle collective. Il s'agit du vaste programme des élites mondialistes qui se résume à deux priorités: DÉPEUPLEMENT et CONTRÔLE. Et les moyens pour atteindre ces objectifs démoniaques sont ceux fournis par la techno-science. Il s'agit du phénomène complexe de la destruction de l'homme en tant que création divine ou, pour ceux qui ne s'associent à aucune foi religieuse, de l'homme tel qu'il a existé à travers l'histoire.
Et quiconque ignore cette évidence, préférant n'en rester qu'au niveau de la dilatation de certaines rivalités, même réelles, entre divers États et groupes d'États, commet au moins une erreur de perspective. De plus, au-delà des éléments d'uniformisation du monde, mentionnés dans le texte précédent (adhésion à la politique génocidaire de l'OMS, la numérisation totale de la société, l'élimination de l'argent liquide et l'imposition de la CBDC, l'introduction des documents électroniques, l'expansion du réseau 5G et l'acceptation du plan de développement technologique 6G, l'adhésion au mythe climatique, etc.), il faut aussi rappeler la guerre totale contre l'identité sexuelle et la famille (la théorie du genre et le féminisme faisant partie des conventions de l'ONU et les politiques de l'UE, de l'OTAN, etc.). Et le fait que les pays de l'Est et du Sud n'aient pas encore atteint le niveau de dégradation de l'Occident collectif est un état de fait provisoire, car aucun régime politique ne peut mettre un terme au réseau mondial de l'Internet, ni à l’immense offensive culturelle par l'hollywoodisation du monde.
Autrement dit, la guerre culturelle dévastatrice, la rupture des codes moraux, le dynamitage des traditions et l'homogénéisation rapide du monde prennent des rythmes et des proportions colossales. Et ce type d'agression identitaire généralisée et omniprésente nous ne pouvons pas nous opposer uniquement par des moyens économiques, technologiques et militaires à la disposition d'États prétendant constituer des pôles géopolitiques indépendants.
Un autre facteur qui doit être pris en compte dans nos analyses géopolitiques est le fait qu'aujourd'hui les États du monde ne représentent plus des acteurs internationaux indépendants. Les sociétés transnationales ont définitivement subordonné leurs États, et le facteur économique a pris le dessus sur le facteur politique. C'est une vérité connue depuis plusieurs décennies. Dans ces conditions, surestimer le rôle des hommes d'État aux postes clés est une exagération regrettable. Et si les États sont devenus des coquilles vides, manipulés par certains groupes privés, dans quelle mesure pouvons-nous ignorer un autre problème, bien connu dans la Modernité? Il s'agit du paradigme de la démocratie qui a triomphé après la Révolution française.
Dans les conditions des avancées technologiques actuelles et de l'impact des médias de masse sur l'esprit collectif, l'idéologie libérale fondée sur le parlementarisme, le pluripartisme, l'électoralisme et la religion des droits de l'homme ne représente qu'une illusion majeure cultivée par les élites mondialistes. Mais c'est précisément ce système de référence qui est considéré partout comme la seule forme d'organisation politique de la société. C'est précisément pour cette raison que tous les pays membres de l'ONU, y compris ceux qui sont qualifiés d'illibéraux, sont contraints de simuler régulièrement certains processus électoraux et d'alimenter le mythe de la souveraineté du peuple. Ainsi, même ceux qui se disent conservateurs ou communistes sont victimes des mythes fondateurs de la Révolution française. Et pourtant, le libéralisme politique qui sous-tend la démocratie de masse, assurant la domination des usuriers et des marchands, apparaît à l'heure actuelle comme une réalité obsolète. Actuellement, les techniques de contrôle de l'esprit, de façonnage du comportement et de gestion de la perception permettent au système soi-disant démocratique de fonctionner dans l'intérêt des élites satanisées.
Les cercles occultes qui se cachent derrière des organisations telles que le WEF (Le Forum économique mondial), la Commission Trilatérale, le CFR (Council on Foreign Relations), le Groupe Bilderberg, le Club de Rome, etc. et qui opèrent par le biais d'organismes internationaux officiels tels que l'ONU, l'UE, l'OMS, l'OMC, le FMI, la Banque mondiale, la Banque des règlements internationaux, etc. ont des instruments de domination, devant lesquels aucun État ne peut résister. Il s'agit d'entités nébuleuses comme Big Money, Big Tech, Big Pharma, Big Media avec un impact mondial dévastateur. Face à un tel tsunami aux proportions diluviennes, toute revendication d'indépendance politique et d'autonomie civilisationnelle me paraît être soit une grossière naïveté, soit un simulacre.
Les réalités mentionnées ci-dessus sont largement décrites dans une multitude de livres et d'études. Mais on ne peut s'empêcher d'admettre que, pour l'instant, il n'a pas été possible d'identifier des moyens efficaces de résistance face à ces tendances extrêmement puissantes. Le paradigme libéral comme expression de la religion politique de l'Occident exposé par une brillante pléiade d'auteurs, au premier rang desquels Alain de Benoist et Alexandre Douguine, appartient au passé. La « civilisation de l'argent » elle-même qui s'est affirmée au cours des derniers siècles dans l'Occident mondialisé est sur le point de disparaître. Dans une société sans numéraire, la fonction de ces unités conventionnelles attribuées électroniquement sera radicalement différente de celle d'aujourd'hui.
La théorie politique libérale a rempli sa fonction historique malheureuse, étant abandonnée à l'heure actuelle par les élites mondialistes qui l'ont utilisée pour dominer les masses, s'emparer des richesses mondiales, assujettir leurs États et concentrer tout le pouvoir politique à l'échelle mondiale. Les élites mondialistes n'ont plus besoin de ses outils théoriques ni de son expression politico-juridique et économique.
Mais la mort de l'Homo oeconomicus ne détermine pas la renaissance de l'Homo hierarchicus comme expression de la tradition. Louis Dumont a tout dit à ce sujet, mais ses excellentes recherches concernent néanmoins une époque arrivée à sa fin logique. La sacralisation des dogmes du capitalisme classique, la déification d'un Adam Smith, le caractère axiomatique du darwinisme social en économie, la libre concurrence et la propriété privée appartiennent au passé, ils ne sont plus aujourd'hui qu'un simulacre ou un camouflage de la propagande. L'histoire du capitalisme comme "destruction créatrice" (Werner Sombart) termine son cycle.
Aujourd'hui l'oligarchie mondialiste ou la superclasse mondiale (David Rothkopf, Michel Geoffroy) s'approprie l'accomplissement complet d'une stratégie d'asservissement et de contrôle. La Ploutocratie établit une tyrannie mondiale absolue avec un autre nom - la Technocratie. Big Money assure la domination du monde grâce à Big Tech. Au triomphe de l'idéologie économique, excellemment décrit par Louis Dumont, succède le triomphe de l'idéologie technocratique. A l'heure actuelle, toute analyse géopolitique qui ferait abstraction de l'entrée en scène de l'histoire d'un nouveau phénomène - la Technocratie - est incomplète et implicitement déformante. L'auteur américain Patrick M. Wood est indispensable à la compréhension approfondie de ces réalités à l'impact mondial sans précédent dans l'histoire.
Une réalité complémentaire à celle décrite ci-dessus s'appelle le transhumanisme. Klaus Schwab nous a familiarisé avec ce concept en 2016 à travers son livre "La quatrième révolution industrielle". Et aucun pays au monde ne semble pouvoir résister à ce danger pour l'existence même de l'humanité. Au contraire, la technophilie et l'enchantement provoqués par l'émergence de l'Intelligence Artificielle, ainsi que la numérisation totale du monde, ont également affecté les masses comme les gouvernants. Le philosophe et théologien français d'origine roumaine, Jean Boboc, apporte une contribution fondamentale au décryptage du transhumanisme. Et toute analyse politique qui ignorerait ce phénomène d'une ampleur et d'une gravité écrasantes est partielle et donc incapable de saisir l'image globale du monde d'aujourd'hui.
La mort de l'Empire américain et la naissance de l'Empire chinois comme occasion de jubilation des adeptes de la multipolarité
L’autre lieu commun dans les analyses des auteurs de notre camp antimondialiste opposé à l'hégémonie américaine est la jubilation devant l'ascension de la Chine sur la scène mondiale comme leader économique et technologique incontesté. Détester l'Occident collectif comme expression du mal absolu et contester la domination américaine crée souvent la tentation de souscrire, consciemment ou non, à l'idée de domination chinoise. La nouvelle route de la soie ravit les tenants de la multipolarité, les empêchant souvent de voir une réalité frappante, à savoir que si ce gigantesque projet chinois réussit, le monde sera à nouveau unipolaire, avec un centre de commandement unique situé à Pékin. Nous vous rappelons que One Belt One Road est une stratégie globale de développement des infrastructures adoptée par le gouvernement chinois en 2013 dans le but d'investir dans plus de 150 États sur les 193 existants. Et puis, pourquoi l'unipolarité sous la baguette américaine est-elle contestée, et celle à la chinoise applaudie?
Il conviendrait ici de rappeler la stratégie des élites mondialistes pour désindustrialiser les pays occidentaux et transformer la Chine non seulement en "usine du monde", mais aussi en un projet pilote, un modèle de société qui s'imposerait à tous les États. Il serait bon de se rafraîchir la mémoire sur le rôle d'Henry Kissinger (sa visite de juillet 1971 à Pékin) pour mieux comprendre quels facteurs ont assuré le saut économique et technologique de la Chine. Ignorer le fait que les élites sataniques ont des stratégies de longue date, ainsi que le fait qu'elles sont essentiellement apatrides, exerçant leur domination mondiale en tant qu'entités extraterritoriales, serait une erreur regrettable.
Nous ne mentionnons ici que quelques éléments qui aideraient les chercheurs qui souhaitent approfondir le sujet de la Chine en tant qu'outil des mêmes élites mondialistes qui se tenaient derrière l'Empire britannique, et après la Seconde Guerre mondiale - derrière les États-Unis.
1) Dans le rapport annuel de la Fondation Rockefeller de 2010 (https://www.rockefellerfoundation.org/wp-content/uploads/...), qui décrit une hypothétique pandémie qui a coïncidé étrangement - à cent pour cent - avec la plandémie Covid-19 lancée en 2020, les auteurs louent les performances de la Chine communiste pour avoir fait face au mieux à ce fléau inventé par les mondialistes. Ces éloges sont une preuve évidente du fait que les élites satanistes préfèrent un gouvernement totalitaire à un régime qui respecterait un minimum de droits civiques.
2) Le 18 octobre 2019, le John Hopkins Center for Health Security à New York (créé et financé par le même clan Rockefeller) en partenariat avec le Forum économique mondial et la Fondation Bill et Melinda Gates a accueilli la réunion appelée Event 201, une soi-disant exercice pandémique (https://centerforhealthsecurity.org/our-work/tabletop-exe..., https://www.youtube.com/watch?v=AoLw-Q8X174). Parmi les participants figuraient des responsables américains de la santé publique et des représentants de l'industrie pharmaceutique, ainsi qu'un haut responsable chinois, à savoir le professeur George F. Fao, directeur général du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, président de la Société chinoise de biotechnologie et président de la Fédération asiatique de biotechnologie. Et le 27 décembre 2019, les autorités chinoises signalaient déjà le premier cas de Covid-19 découvert à Wuhan. Cet exercice de simulation de pandémie était un cas classique de programmation prédictive autour de l'opération spéciale des élites sataniques Covid-19 destinée à contribuer au dépeuplement massif du monde. L'événement a été financé par l'Open Philanthropy Project appartenant au sinistre magnat George Soros.
3) La prochaine réunion du Forum économique mondial aura lieu du 27 au 29 juin 2023 en Chine. (https://www.weforum.org/events/annual-meeting-of-the-new-...). Tout analyste avec un minimum de formation sait que cette institution est l'un des principaux outils des mondialistes.
Revenons maintenant à l'expansion économique qui se poursuit aux dépens des États-Unis. Même s'il en est exactement ainsi, pourquoi ce phénomène susciterait-il la satisfaction des antimondialistes? Je savais personnellement que les militants de la multipolarité sont par définition souverainistes, s'opposent à la domination étrangère et aspirent à restaurer l'indépendance de leur propre pays. Dans ces conditions, le rejet du colonialisme économique devrait être un élément clé de la pensée et de l'action d'un antimondialiste. L'école de pensée centrée sur le protectionnisme économique, conceptualisée par Friedrich List qui s'est inspiré des travaux d'Alexander Hamilton, n'a pas perdu selon moi de sa pertinence. Et si aux XVIIIe et XIXe siècles les deux auteurs s'opposaient à l'impérialisme britannique manifesté dans le cadre du régime de libre-échange, un patriote des temps modernes - même s'il est adepte de la théorie des «grands espaces» selon Carl Schmitt - n'ont-ils pas à s'inquiéter de l'impérialisme économique chinois qui s'impose à travers le même régime de libre-échange?
On sait que la domination politique d'un pays est précédée et accompagnée de sa domination économique. Comme on le sait, la différence fondamentale entre une économie productive (la Chine) et une économie de consommation (les 150 pays qui seraient envahis par les investissements et les biens chinois). Avouons-le, être à la fois opposant à l'unipolarité américaine et partisan de l'unipolarité chinoise fait preuve d'une naïveté inquiétante. A la décolonisation économique des pays du monde, c'est-à-dire au rejet de la domination des capitaux et des biens d'origine occidentale, ne doit pas succéder leur recolonisation par la Chine.
De plus, la gigantomanie tant décriée sous le communisme et rejetée dans le cas de la domination mondiale de la corporatocratie occidentale ne devrait pas être traitée avec autant d'admiration et d'enthousiasme dans le cas de la Chine. Si les Chinois aspirent à rendre 150 pays heureux par leur présence économique, il s'ensuit implicitement que tous accepteront le rôle ingrat des « républiques bananières » chinoises. Le reste du monde ne fournirait au géant mondial chinois que des matières premières, des marchés et éventuellement de la main-d'œuvre. Dans ces conditions, quelle place reste-t-il à nos aspirations vers un ordre mondial multipolaire?
Actuellement, la Chine est le rêve d'or de tout dictateur de l'histoire, avec la médecine forcée, le confinement et l'incarcération de ses propres citoyens dans leurs maisons, une surveillance généralisée, un contrôle social et aucune liberté politique et civile. C'est précisément pour cela que la Chine est louée par les représentants des élites mondialistes-sataniques telles que Klaus Schwab ou Bill Gates. Donc ceux qui veulent savoir à quoi ressembleront leurs sociétés demain doivent regarder la Chine d'aujourd'hui.
Le chemin de la liberté
A partir de l'année 2020, l’on a vu s’instaurer la tyrannie mondiale sous prétexte médical, et constaté ce que valent les principes démocratiques et la légalité. Dans le même temps, toute illusion sur l'existence de centres de pouvoir véritablement indépendants a disparu. La plandémie de Covid-19, annoncée par le patron du WEF comme une fenêtre d'opportunité pour le «Great Reset», a brisé toute illusion que la tyrannie numérique mondiale pouvait être stoppée en recourant aux méthodes traditionnelles de lutte politique: élections, rue protestations, recours en justice, critiques dans la presse alternative. Le monstre mondialiste n'a plus besoin de maintenir l'apparence de l'État de droit. Le terrorisme d'État et l'imposition de mesures génocidaires et liberticides sont devenus des pratiques quotidiennes partout dans le monde.
Rappelons-nous que la gouvernance mondiale s'exerce sans entrave au moyen de gouvernements fantoches subordonnés aux élites lucifériennes. Et la succession au gouvernement n'apporte aucun changement substantiel, ne servant que de décor à ce sinistre spectacle. L'éventail politique dans tous les pays de la démocratie libérale s'est définitivement uniformisé. La classe politique est l'otage du même paradigme dominant. La subordination de tous les gouvernements de pays du monde entier à l'ONU et à ses agences (OMS, OMC, PNUD, UNICEF, etc.) en tant qu'expression du Gouvernement Mondial est évidente pour tout observateur attentif.
Alors que faire? Premièrement, toutes les illusions doivent être abandonnées. Présenter le désirable comme une réalité et cultiver le mythe des rivalités géopolitiques qui transcenderaient l'agenda globaliste-sataniste est non seulement contre-productif, mais suicidaire. C'est-à-dire qu'il faut un saut paradigmatique qui dépasserait les clichés d'interprétation politique et géopolitique. Une analyse profonde, réaliste et sans limite circonstancielle des hiérarchies étatiques est le prélude à l'élaboration d'une plateforme de lutte idéologique et politique efficace.
Et puisqu'à l'heure actuelle il n'y a aucun pays qui dispose d'un leadership fort, déterminé à livrer un combat total, jusqu'à la mort, aux élites satanistes qui ont usurpé le pouvoir politique à l'échelle mondiale, il est impératif de révéler cet état de fait tragique. En ce moment historique, critique pour l'humanité, l'esprit de sacrifice et le courage des élites intellectuelles anti-Système est la condition indispensable de notre effort pour réveiller les nations. Toute tentative d'édulcorer la réalité et d'éviter les risques de confrontations directes avec des gouvernements asservis à des centres de commandement mondialistes peut être fatale pour le monde entier. L'histoire est mise en avant par des personnages forts et lucides. Le temps des marchands et de l'esprit petit-bourgeois doit rester révolu. Le temps des héros frappe à la porte. L'avenir dépend de la volonté de quelques minorités qui constituent les véritables élites des nations. L’on ne peut pas bâtir sur les fondations fragiles de la médiocrité et de la lâcheté. Notre futur sera compromis si nous manquons le moment opportun.
Nous sommes tous d'accord pour dire que nous assistons à la fin d'un cycle historique que nous associons à la Modernité et au capitalisme. Les signes des temps font que certains chefs religieux chrétiens voient approcher le dénouement apocalyptique. Mais en recourant à l'interprétation de René Guénon, on espère toujours qu'il ne s'agit pas de la fin du monde, mais de "la fin de ce monde". Nous ne souscrivons pas à la conception hindoue de la cyclicité du temps, mais utilisons simplement cette figure de style pour dire que nous désirons tous la naissance d'un monde meilleur. Et le chemin qui y mène passe nécessairement par la rupture des schémas et la remise en cause du libéralisme, mais aussi de la technocratie qui tend à prendre sa place. A ce moment crucial de l'histoire, une révolte majeure, mondiale, inconciliable et victorieuse des nations s'impose. Un nouveau monde ne peut être construit que sur les ruines d'un ancien monde. La génération actuelle est destinée à devenir le fossoyeur du capitalisme mondialiste, mais aussi de la technocratie démoniaque.
Iurie Rosca,
Moldavie.
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lundi, 08 mai 2023
Le néolibéralisme. Ou gouverner pour les marchés
Le néolibéralisme. Ou gouverner pour les marchés
Diego Fusaro
Source: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/40588-neoliberalismo-o-del-gobernar-para-los-mercados
Le fondement du turbo-capitalisme s'inscrit dans la vision néolibérale que Foucault a condensée dans la formule d'un gouvernement non pas "des marchés", mais "pour les marchés". Dans le langage de von Hayek, le gouvernement et l'État n'ont proprement qu'une seule tâche, qui n'est pas de "produire certains services ou biens pour la consommation des citoyens, mais plutôt de contrôler que le mécanisme de régulation de la production de biens et de services est maintenu en fonctionnement".
Droite et gauche, inféodées au capital, partagent désormais la même vision économique néolibérale, sous la bannière du fondamentalisme du libre marché, qui consiste à réduire simultanément l'État et le gouvernement au statut de simples serviteurs du marché. L'adhésion au dogme du libre cannibalisme, comme on pourrait définir le marché libre, est la revendication de la droite économique qui s'est tellement répandue qu'elle s'est transformée en Weltbild, la "vision du monde" omniprésente. Elle coïncide essentiellement avec la "liberté de s'envoyer mutuellement à la ruine" - selon la définition de Fichte dans L'État commercial fermé - et avec la suppression de toute limitation extérieure au pouvoir du plus fort (ius sive potentia). Si le keynésianisme pouvait être compris lato sensu comme la tentative de mettre le capitalisme au service des finalités sociales établies par la politique, on peut affirmer à juste titre qu'au contraire, le néolibéralisme marque la transition historique d'époque d'une politique économique à base keynésienne à une politique à matrice hayékienne : la justice sociale et la justice de marché ne coexisteront plus, car la seule qui survivra est la justice de marché, convertie - en accomplissement du théorème de Thrasymaque exprimé dans la République (338c) - en "droit du plus fort", τὸ τοῦ κρείττονος συμφέρον. Selon la vision canonique de Hayek, le concept de justice sociale est, du point de vue néolibéral, un simple ens imaginationis "vide et dénué de sens".
Comme le souligne Harvey dans sa Brève histoire du néolibéralisme (2005), cette perspective trouve son origine dans le quadrant droit et notamment chez des théoriciens tels que von Hayek et von Mises, avant de trouver ses bastions opérationnels chez Reagan et Thatcher. L'idée générale, explique Harvey, est celle d'une dérégulation du marché, jugé capable de s'autoréguler ; une dérégulation par laquelle l'économie devient superiorem non recognoscens et l'État désouverainisé devient un simple "policier" qui surveille les marchés et les défend si nécessaire. L'ordo néolibéral a réinventé l'État avec une fonction anti-keynésienne, en tant que "garde armé" de l'ordre désordonné de la compétitivité et en tant que garant ultime des intérêts du bloc oligarchique néolibéral non frontalier et de son hégémonie.
L'État néolibéral intervient dans l'économie, mais - et c'est là la nouveauté - il est structuré de telle sorte qu'il peut être géré de manière unidirectionnelle par l'élite cosmopolite pour son propre bénéfice, grâce au changement de la relation entre la politique et l'économie ; cela va du sauvetage public des banques et des entreprises privées (avec la redéfinition de l'État comme une énorme compagnie d'assurance, émettant des polices au profit des loups cyniques de Wall Street) à la répression policière des mouvements de protestation menés par les esclaves du peuple et de la nation contre l'ordre mondialiste (du G8 à Gênes en 2001, aux places françaises occupées par les gilets jaunes en 2019).
La déresponsabilisation du politique par le marché est complétée par l'érosion progressive des bases de la légitimité de l'État démocratique et de ses fondements sociaux, issus du compromis keynésien entre le politique et l'économique : le politique doit désormais être soumis à un rôle subalterne, incapable d'interférer dans l'économie, agissant exclusivement comme son serviteur et son "garde du corps". C'est ce que nous proposons d'appeler la dépolitisation néolibérale de l'économie. A la base, le compromis keynésien était l'artifice délicat construit pour redistribuer les richesses du haut vers le bas et assurer ainsi un équilibre acceptable entre démocratie et capitalisme. Depuis la fin du socialisme réel et avec la subsomption absolue de la gauche sous le capital, la décomposition progressive de l'Etat-providence s'est poursuivie dans ses principales déterminations (des retraites aux indemnités, de la grossesse à la maladie), toutes évidemment incompatibles avec les "défis" de la compétitivité sans frontières, id est avec l'exigence de produire le plus possible au prix le plus bas possible.
Liée à la réorganisation verticale de l'équilibre des pouvoirs rendue possible par le triomphe du paradigme technocapitaliste en 1989, la dé-démocratisation se fonde, comme nous l'avons vu plus haut, sur la dé-souverainisation et, conjointement, sur la supranationalisation, c'est-à-dire sur le déplacement du centre du pouvoir de la dimension des États souverains démocratiques vers des entités transnationales post-démocratiques. Comme le souligne Costanzo Preve, "la décision politique 'publique' est vidée et rendue marginale par son transfert 'privé' vers les grands centres des oligarchies financières", avec pour conséquence le passage des parlements nationaux à des conseils d'administration privés. De cette manière, qui est légitimée comme une libération de la belligérance des États nationaux et qui, en réalité, vise à neutraliser la souveraineté démocratique (qui implique la citoyenneté et la représentation) et à renforcer de manière convergente l'oligarchie financière cosmopolite "pour les peuples superflus", la disjonction entre les mécanismes de représentation populaire et les décisions macroéconomiques est réalisée. L'économie se dépolitise en s'affranchissant de plus en plus du contrôle démocratique, de même que la politique - ou ce que l'on continue d'appeler ainsi - s'"économicise", dans la mesure où elle devient un simple suiveur des intérêts économiques des groupes dominants ("comité d'entreprise des classes dominantes", pour reprendre la formule de Marx). L'état c'est moi est aujourd'hui la formule prononcée non plus par le roi, mais par la classe oligarchique néolibérale dans son ensemble.
Cet horizon de sens inclut aussi, entre autres, les allégements fiscaux mis en œuvre par la gouvernance libérale au profit des seigneurs du capital, au motif non avéré qu'ils conduiraient à des hausses généralisées de l'emploi et des revenus. Les "requins financiers" apatrides - comme les appelait Federico Caffè - et les géants du capital sans frontières sont en fait des évadés fiscaux au sens de la loi - les géants du commerce électronique, par exemple, paient un impôt d'environ 3 % - tandis que les classes moyennes et populaires subissent une hyperpression fiscale qui, en fait, représente une expropriation permanente.
A l'examen des rapports de force du turbo-capitalisme, il est clair que "marché" non seulement ne rime pas avec "démocratie", mais procède par vidange de son contenu et érosion de ses espaces. C'est là l'essence même de la "seconde restauration" post-1989, comme l'appelait Badiou dans Le Siècle : le capital victorieux s'empare de tout. Et il passe à l'offensive, dé-souverainisant les États-nations comme derniers bastions de résistance à la domination de l'économie mondiale, attaquant les classes moyennes et ouvrières et déconstruisant les espaces des démocraties nées au 20ème siècle, lesquelles étaient pourtant encore perfectibles. De plus en plus, surtout depuis les années 1990, la gouvernance néolibérale a avili la démocratie électorale au nom de l'expertise : et cette "expertise" à laquelle ils se réfèrent n'est jamais celle des travailleurs et des masses nationales-populaires, mais coïncide au contraire avec l'expertise exclusive des "techniciens", comme on appelle pieusement les banquiers et les top managers, en utilisant un terme anodin et faussement super partes.
C'est Frank Fischer qui a ouvert la voie dans Technocracy and the Politics of Expertise (1990). Selon l'ordre du discours libéral, le pouvoir de décision ne sera pas dévolu au peuple souverain (ce qui est, après tout, une autre façon de dire "démocratie"), mais au "comité" - ou task force - d'"experts", c'est-à-dire de banquiers et de top managers. En d'autres termes, au-delà du théâtre des apparences, c'est l'économie, le marché et la classe dirigeante qui décident vraiment, et d'une manière qui n'a rien de démocratique. C'est également pour cette raison que le néolibéralisme peut être compris comme le détournement de l'expérience commune par le biais de l'expertise.
Comme on l'a déjà rappelé, même en ce qui concerne l'aversion pour le peuple en tant que sujet souverain (cristallisée dans la catégorie du "populisme"), la nouvelle gauche et le bloc oligarchique néolibéral font système. Et une telle involution serait synthétisée dans la formule suivante : puisque le peuple n'a pas la capacité de décider et de choisir, il faut l'annuler, pour que, sans le peuple - et c'est là le paradoxe - la démocratie puisse mieux fonctionner. C'est le résultat des conclusions tirées dans La crise de la démocratie : sur la gouvernabilité des démocraties - l'étude de 1975 préparée conjointement par Michel Crozier, Samuel Huntington et Joji Watanuki, commandée par la "Commission Trilatérale" - que les groupes dominants ont cherché de nouveaux outils conceptuels pour gouverner le peuple en régénérant la "juste distance" entre le haut et le bas, menacée à ce stade par la participation démocratique croissante et la capacité critique pas encore totalement anesthésiée des classes subalternes.
La réduction du pouvoir syndical, la réduction contrôlée de la participation populaire à la vie politique et la propagation d'une apathie généralisée ont été quelques-unes des stratégies privilégiées pour le réajustement vertical de l'équilibre des pouvoirs. La dévalorisation même du peuple en tant qu'élément essentiel de la vie démocratique a été, dans une mesure toujours plus grande après 1989, le point culminant de cette réorganisation post-démocratique caractéristique du néo-libéralisme.
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samedi, 15 avril 2023
Libéralisme et société postmoderne
Libéralisme et société postmoderne
de Blocco Studentesco : https://www.bloccostudentesco.org/2022/10/25/liberalismo-e-societa-postmoderna/
Par Andrea
Le modèle de société dans lequel nous sommes immergés et qui se trouve actuellement dans une situation de changement et de radicalisation de certains de ses aspects (plus grand contrôle individuel, suppression de nombreuses libertés, etc.) peut être inscrit dans le processus d'affirmation, au cours de l'histoire, de différentes instances, principalement le néolibéralisme et le postmodernisme philosophique mis en avant par les Français de Mai 68, processus qui a profondément influencé le développement de l'histoire actuelle, en observant comment un grand nombre de personnalités en accord avec cette sphère de valeurs ont occupé ou occupent des positions importantes.
Une généalogie complète et exhaustive de l'émergence de ces phénomènes nécessiterait du temps et une analyse difficile; en revanche, certains aspects intéressants peuvent être mis en évidence. Le néolibéralisme peut être considéré comme une évolution naturelle du libéralisme classique, qui s'est affirmé en raison de certaines contingences historiques et politiques autour des années 1970, mettant en relation étroite le capitalisme et la technoscience avec les effets désastreux que nous connaissons aujourd'hui.
Il en ressort que certains aspects présents à notre époque, tels que les droits civiques arc-en-ciel, l'individualisme absolu, les atteintes aux identités, peuvent être ramenés aux mêmes paradigmes de cette raison libérale qui a d'abord colonisé la sphère de l'économique pour ensuite conquérir tous les aspects de notre vie. La réflexion philosophique postmoderne, qui s'est développée dans l'intempérance culturelle du Mai 68 français, où ces questions se sont développées à l'origine, est en fait liée aux mêmes fondements que ce qu'elle prétendait nier. Des auteurs comme Foucault, Deleuze, Lyotard, Derrida et, dans une certaine mesure, Baudrillard ont mis en avant des conceptions fonctionnelles à l'appareil économique en place. Sans entrer dans les détails, on observe généralement une dissolution du sujet et une méfiance absolue à l'égard de toute forme de sens historique, avec une érosion complète, dans une pluralité de théorisations, de concepts tels que l'État, la société, l'histoire, l'essence et l'identité.
La dimension subjective n'est perçue que sous un angle négatif, tout comme la dimension historique. Des théories sont développées qui incarnent parfaitement les exigences du libéralisme classique, métabolisé par la dynamique du marché. Ces visions ont conduit aux conceptions qui imprègnent la société actuelle : l'assujettissement et la dissolution complète du sujet, la disparition de la dimension historique, l'absence d'un but qui unit et définit l'homme avec sa communauté et, en général, une chute continue vers la sphère du privé. Une réflexion que l'on croyait anti-système et révolutionnaire a en fait ouvert encore plus le champ à la domination des lois du marché sur l'homme, fruit de la raison libérale, dans son subjectivisme le plus radical, qui n'est rien d'autre que l'expression avancée du capitalisme le plus débridé.
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lundi, 10 avril 2023
La politique de Macron : une révolution oligarchique contre le peuple
La politique de Macron : une révolution oligarchique contre le peuple
par Pierre Le Vigan
« Liquidation », écrivait Frédéric Rouvillois dans son livre sur Macron comme définition de son prrojet (Liquidation. Emmanuel Macron et le saint-simonisme, Cerf, 2020). Le projet de Macron, c’est cela : liquider tout ce qui restait solide dans la société française, certaines mœurs et habitus, certaines structures, certains projets (devenir propriétaire d’une maison, la léguer, avoir un métier dont on est fier et pas seulement un ‘’job’’), rendre tout liquide, tout réversible, tout jetable (notamment les traces de notre histoire), tout interchangeable (les peuples, les gens, les sexes, les métiers, les territoires, etc). Eparpillé façon puzzle : cela veut dire que notre pays et notre peuple ont été mis en morceaux. Dispersés et hachés menu. Eparpillé : c’est le résultat de la politique de Macron. Un peuple dispersé, affaibli, atomisé.
Loin de n’avoir « rien fait », comme on l’entend parfois, Macron a presque tout réalisé de son programme. Vendre l’industrie française : c’est le capitalisme de connivence. Conforter l’oligarchie : c’est le pacte de corruption lié au covid, c’est à dire à l’interdiction de traiter les malades du covid hors procédures de vaccin (ceux permettant des super profits aux membres de la caste – ceux qui ont propulsé Macron et qui attendaient leur retour sur investissement).
Téléologie et domination du Capital
Il faut ici faire appel à Marx. Et d’abord souligner son point faible : la téléologie, voire une certaine eschatologie. C’est ce qu’il y a de moins convaincant chez Marx. « Pour nous, écrit Marx, le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. » (L’idéologie allemande). On peut en douter. Pour le dire autrement, peut-on penser que le règne du Capital (entendons par là les rapports sociaux lié à un certain état et un certain agencement des forces productives) aboutisse nécessairement, même avec un coup de pouce politique, au communisme selon Marx, c’est-à-dire à la fin de l’aliénation ? Non. On ne peut valider la thèse de l’inéluctabilité historique de la marche vers le socialisme marxien comme travail conscient de la transformation de la nature et de soi-même. On peut craindre au contraire que le brouillard des âmes et le brouillage de la conscience de soi comme sujet historique ne s’étendent, par le développement du fétichisme de la marchandise.
Pas de marche assurée au dépassement du capitalisme donc. Par contre, le règne du Capital (de la Forme Capital) peut aboutir à une version apocalyptique du « communisme », cette fois au sens stalinien, ou au sens de la dictature chinoise, c’est-à-dire à l’étatisme absolu. Mais la différence entre le totalitarisme néo-libéral et les totalitarismes communistes, c’est qu’il s’agit d’un étatisme antinational avec les néo-libéraux, l’Etat ayant fusionné avec les multinationales et la finance, qu’il a déjà sauvé en 2008 (cf. notamment Alain de Benoist, Au bord du gouffre. La faillite annoncée du système de l’argent, Krisis, 2015). Nous vivons ainsi sous le « soleil noir du capital », comme écrit Anselme Jappe. Il est là, non pour nous chauffer l’âme, mais pour brûler nos vies et pour nous aveugler par le crétinisme télévisuel des médias de grand chemin.
Quand Macron fait du saint-simonisme
Frédéric Rouvillois dit encore : « Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, Macron fait du saint-simonisme sans le savoir » (Figaro-vox, 27 septembre 2020). Cela va plus loin que cela, et c’est encore plus grave que cela. L’utopie rationaliste et techniciste de Saint-Simon (le socialiste) se voulait un « nouveau christianisme » (1825). Avec Macron, c’est d’un anti-christianisme, ou d’un post-christianisme (car s’opposer suppose de connaître, ou d’être déçu, non d’être indifférent) qu’il s’agit. Ses mots d’ordre sont non seulement ceux du télétravail mais ceux de la télévie. Une vie désincarnée. « Eloignez-vous les uns des autres », « Suspectez tout le monde (de ne pas être vacciné, d’être ‘’un danger’’) », « Méfiez-vous de votre prochain », « Isolez-vous » et au final « Préparez-vous à la vraie vie dans le monde libéral : la guerre de tous contre tous ». C’est le refus de toute incarnation. C’est l’effacement de toutes les images fédératrices. C’est la destruction de toutes les formes instituantes : école, églises, histoire de France, élections prises au sérieux, fêtes solennelles. C’est la victoire de « ceux qui ont créé leur start up » sur « ceux qui ne sont rien » et qui pourtant sont tout le peuple. C’est la domination des arrogants improductifs voire nuisibles (les affairistes) sur les travailleurs, sur les producteurs.
Les libéraux des deux rives contre le peuple et le politique
La politique Macron est le stade ultime du libéralisme et du capitalisme. Mais en quel sens ? C’est ici que nous voyions un tournant et une accélération dans les politiques libérales menées depuis 1983. Que s’est-il passé pour que le libéralisme devienne l’ennemi des libertés ? Il a fallu que le libéralisme fasse un constat. Le libéralisme se heurte à la résistance de la nature humaine. Qu’en conclut-il ? Qu’il faut changer la nature humaine. Tel est l’objectif de Macron et plus largement du Great Reset (la grande réinitialisation) de Klaus Schwab et Thierry Malleret (un livre publié en 2020). Le libéralisme ne se remet pas en question. Il remet le réel en question. La société n’est pas conforme aux postulats libéraux ? Ne changeons pas le libéralisme, mais changeons la société. Les communistes ont parfois fonctionné de cette façon. En ce sens, les libéraux sont leurs élèves. Entendons : les élèves de ce que les communistes ont fait de pire.
Les libéraux ont donc constaté que la société n’était pas entièrement conforme aux schémas libéraux. Il faut donc changer la société. C’est pourquoi le libéral-libertaire Macron, unissant les libéraux des deux rives, les fossoyeurs de la France des deux rives, les oligarques des deux rives (une affaire qui a mieux marché que la sympathique tentative de Jean-Pierre Chevènement en 2002 d’unir les « Républicains des deux rives »), appuyé sur le crétinisme et l’inculture des bobos, veut donner au libéralisme un nouvel élan et ne peut le faire qu’en supprimant la démocratie, en la réduisant à des procédures hors sol, non représentatives.
C’est pourquoi la Ve République (qui n’était pas parfaite mais était un outil améliorable) a été vidée du meilleur de son contenu, avec l’extension des pouvoirs du Conseil Constitutionnel, du Conseil d’Etat, des juges, avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, avec la transformation du poste de premier ministre en simple poste de collaborateur (et pas le premier) du Chef de l’Etat, et avec bien entendu la tutelle de l’UE (si utile car déresponsabilisante).
Bilan : des élites robotisées et les robots contre la France. Les élites peuvent se permettre d’être anti-patriotes et hors sol, de partout et de nulle part. Le peuple ne le peut pas. « A celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien. »[1].
« Crise » du Covid et «crise » du climat comme moyen de tétanisation du peuple
En rendant les élections de plus en plus déconnectées du peuple (la grande majorité des élus des chambres viennent des couches supérieures de la nation), en mettant dans les lois ordinaires toutes les lois d’exception qui devaient être temporaires, liées au terrorisme, à la « crise » du covid[2], au « climat », la politique Macron vise aussi à sauver le capitalisme par une mutation totalitaire. Il s’agit de mêler fausse « urgence » écologique (alors que l’écologie sérieuse, c’est le long terme), réduite à ce qui intéresse le système, c’est-à-dire la « croissance verte » et non la relocalisation de nos économies et industries, et réformes sociétales consistant à mettre l’accent sur de faux problèmes (comme les inégalités de salaire homme-femme, qui sont depuis longtemps interdites par… le Code du travail).
S’ensuit tout un discours mensonger sur de soi-disant « réfugiés » climatiques, prétexte à de nouvelles vagues migratoires, et sur un « changement » climatique d’origine seulement anthropique, hypothèse bien incertaine (le climat a tout le temps changé, et l’influence du soleil peut être infiniment plus importante que l’action humaine. Lire ou relire Emmanuel Le Roy-Ladurie sur le perpétuel changement du climat. En outre, un réchauffement n’a pas que des aspects négatifs). Tétaniser les hommes pour les neutraliser. Mondialiser tous les problèmes pour faire oublier que des solutions locales et démocratiques peuvent exister. Mais aussi préparer un nouvel âge du capitalisme. Voilà l’agenda Macron.
Vaccinations et lutte du Capital contre la baisse tendancielle du taux de profit
Nous avons souligné les limites de Marx quand il croit pouvoir déceler un mouvement téléologique dans l’histoire. Mais cela ne peut faire oublier que Marx est totalement pertinent quand il inscrit l’économie dans une anthropologie et une philosophie, inscription richement prolongé par de nombreux marxiens, tel Karel Kosik[3], Georg Lukacs, Tran Duc Thao, Roger Garaudy[4], Lucien Sève[5]… Il n’y a, comme le soutenait Raymond Abellio même après s’être détaché de certains aspects du marxisme, de solide théorie de la valeur que celle, marxienne, de la valeur-travail. En conséquence, est aussi pertinente la théorie de la plus-value et la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Le jeu des tendances et contre tendances de cette loi garde une grande valeur explicative. Or, dans la mesure où l’économie capitaliste du monde occidental, et surtout européen est de moins en moins productive, le capitalisme a besoin d’être de plus en plus parasitaire, prédateur, improductif. Il a besoin de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit. Et c’est là qu’arrivent les « vaccins ».
Un vaccin obligatoire ou des vaccins obligatoires, et renouvelables plusieurs fois par an, constituent un formidable moyen de rétablir de hauts taux de profit dissociés de toute production socialement utile. Des profits sûrs avec la socialisation des risques et des éventuelles pertes (ou coûts de recherche), et avec la privatisation des profits. Processus classique d’un capitalisme de plus en plus ennemi de l’économie réelle, un capitalisme parasitaire et improductif qui a besoin de l’Etat pour restaurer ses profits, pour sauver les banques et les marchés financiers.
Passe sanitaire, confinements et couvre-feu contre la révolte populaire
Le puçage généralisé de tous, et, au-delà de cela, le transhumanisme comme fabrication synthétique de soi et marchandisation de soi sont des moyens de relancer l’exploitation de l’homme en poussant l’aliénation jusqu’à la création d’un homme nouveau, simplifié, interchangeable, déshérité, sans culture. Un homme en kit, dans lequel tout est amovible, y compris ses organes sexuels. C’est ce qui se passe avec la stratégie dite « anti-covid », avec passe sanitaire puis passe vaccinal, couvre-feu et confinements (et pourquoi pas bientôt des confinements contre le réchauffement climatique, sachant qu’il y a déjà des interdictions de circulation ?).
Ce qu’ont entrepris Macron et l’Union européenne comme projet de long terme, c’est une guerre de liquidation anthropologique de l’homme comme lié à ses semblables c’est-à-dire d’abord à son peuple, et être d’héritage culturel, issu d’une histoire, bénéficiaire d’une transmission. Libéral, on pourrait penser que le pouvoir macronien est issu pourtant en ligne directe du libéralisme de Benjamin Constant. Mais il y a dans cela une cohérence : la logique du libéralisme est l’individualisme. Elle est le tout à l’ego. Sa logique est la dissociation et l’éclatement du lien social. Sa logique est l’atomisation des gens et des peuples. Sa logique mène donc à la mort des peuples et à l’individualisation de tout (d’où la destruction du Code du travail, la destruction de la Sécurité sociale, des retraites par répartition, etc). La logique du libéralisme comme individualisme et culte des idées abstraites est la suppression du passé. Voilà comment on tue une civilisation pour y substituer une sous-civilisation de gens pucés et sous surveillance continue. Voilà comment on crée un « parc humain », comme dit Peter Sloterdijk. C’est pourquoi le libéralisme est contre les libertés et les peuples. Sa logique est orwellienne. 1984, nous y sommes.
Une nécessaire libération : se libérer du libéralisme pour se libérer du règne du Capital
Macron est l’actuel fondé de pouvoir de l’oligarchie. Un personnage anecdotique en un sens, mais si emblématique. Et c’est pourquoi il inspire les sentiments massivement hostiles que l’on peut constater chaque jour. Car la seule chose qu’il incarne, c’est justement l’abstraction, l’inhumanité et la brutalité de ce pouvoir oligarchique.
Le monde de Macron, c’est un libéralisme totalitaire au service de l’argent-roi. C’est pourquoi le réveil des solidarités locales et nationales est nécessaire. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’une lutte de libération nationale et sociale. « Il faut refaire des hommes libres. », disait Bernanos (La liberté, pour quoi faire ?, 1946). Cela ne se fera pas sans reconquérir nos libertés de peuple, nos libertés nos libertés en commun.
PLV
Derniers livres de l’auteur : Eparpillé façon puzzle (Libres, 2022), La planète des philosophes (Dualpha, 2022), Métamorphoses de la ville (La barque d’or, 2021).
Notes:
[1] Au moment où on débat des droits de succession sur les héritages, il faut savoir qu’un Français sur trois n’hérite de rien, et qu’un ouvrier et employé sur deux hérite de moins de 8000 (huit mille) euros (de quoi acheter une place de parking à Montélimar).
[2] le covid car c’est un virus et non la covid car qui dit virus ne dit pas forcément maladie] (2 % seulement des entrées en hospitalisations en 2020 y sont liés, France-info 17-11-2021).
[3] La dialectique du concret, François Maspero, 1970, Les éditions de la Passion, 1988.
[4] Marxisme du XXe siècle, 10-18, 1966.
[5] Une introduction à la philosophie marxiste, éditions sociales, 1980.
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lundi, 20 février 2023
Catastrophe écologique dans l'Ohio: quand les hedge funds gèrent les chemins de fer
Catastrophe écologique dans l'Ohio: quand les hedge funds gèrent les chemins de fer
Source: https://zuerst.de/2023/02/18/umweltkatastrophe-in-ohio-wenn-hedgefonds-die-eisenbahn-verwalten/
Columbus/Ohio. Après le déraillement d'un train de marchandises chargé de produits chimiques hautement toxiques dans l'État américain de l'Ohio, une catastrophe écologique dévastatrice est peut-être en train de se produire. Les wagons ont brûlé pendant plusieurs jours et une explosion "contrôlée" par les autorités a également libéré des gaz dangereux dans l'environnement. Un champignon de fumée sombre était visible de loin. Entre-temps, les habitants mis en sécurité ont été autorisés à rentrer chez eux. Mais ceux-ci font état d'irritations de la peau et des voies respiratoires et déplorent de nombreux animaux morts.
Une cinquantaine de wagons du train de marchandises, dont certains étaient chargés de chlorure de vinyle cancérigène et d'autres produits chimiques, ont déraillé le 3 février dans la localité d'East Palestine, dans l'est de l'Ohio. Plusieurs des wagons-citernes ont pris feu. Afin d'éviter une explosion, les autorités locales ont décidé de vider le chlorure de vinyle. On craint désormais une catastrophe écologique à grande échelle, qui pourrait notamment affecter l'approvisionnement en eau potable de la région.
L'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) a annoncé que les autorités nationales et locales prélevaient des échantillons dans toute la rivière Ohio "pour s'assurer que les points de captage d'eau potable ne sont pas affectés". Parallèlement, la population doit être rassurée. Il n'y a pas de danger de mort imminent. Les écologistes avertissent cependant que la combustion du chlorure de vinyle a libéré du chlorure d'hydrogène et du phosgène. Ce dernier a été utilisé comme agent chimique pendant la Première Guerre mondiale. Dans l'Ohio, on craint que ces substances ne se retrouvent dans la nappe phréatique et dans le sol.
Les mesures de sécurité apparemment trop laxistes font également l'objet de vives critiques. Ainsi, le train n'aurait pas été équipé de freins pneumatiques électroniques. Pire encore, selon le gouverneur de l'Ohio, Mike DeWine, le train n'était même pas identifié comme transportant des matières dangereuses.
Les commentateurs américains soulignent également un lien possible entre la catastrophe ferroviaire et le conflit en cours entre les syndicats de cheminots américains et l'administration Biden. Les syndicats sont en grève depuis des mois, l'une des principales raisons étant les mesures de rationalisation associées à l'acronyme PSR: Precision Scheduled Railroading. Selon les cheminots, le PSR entraîne une réduction du personnel, des travaux de maintenance, des congés, implique des trains plus longs et suscite des pratiques commerciales douteuses, les compagnies ferroviaires étant contraintes, pour des raisons de rentabilité, de maintenir leurs trains en mouvement le plus longtemps possible.
De nombreuses grandes compagnies ferroviaires américaines sont gérées par de grands fonds spéculatifs et des investisseurs financiers tels que Vanguard, JP Morgan et Black Rock, y compris le Norfolk Southern Railway, l'une des principales compagnies ferroviaires à l'est du fleuve Mississippi.
Le 3 février, le train catastrophe qui se dirigeait de l'Illinois vers la gare de Conway est passé sur un capteur qui a détecté de la chaleur sur les roues et les essieux du train et a signalé que les roues avaient pris feu. Ce que l'on sait maintenant, c'est qu'au lieu de s'arrêter, d'inspecter et de réparer les dommages, le personnel de bord a reçu l'ordre de continuer à rouler en direction de Conway, de sorte que le train a parcouru plus de 20 miles à une vitesse de 30 kilomètres par heure jusqu'à la gare d'East Palestine. Pendant ce temps, les roues surchauffaient. Des vidéos de caméras de surveillance montrant des étincelles jaillissant de certains essieux surchauffés sont apparues sur le web. Certains wagons ont déraillé, ce qui a provoqué un incendie. (mü)
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18:15 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, ohio, états-unis, néolibéralisme, catastrophes, catastrophe ferroviaire | | del.icio.us | | Digg | Facebook