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dimanche, 28 novembre 2021

Mnémosyne et Léthé: la culture du souvenir et de l'oubli dans le système occidental

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Mnémosyne et Léthé: la culture du souvenir et de l'oubli dans le système occidental

par Tom Sunic, Ph.D.

Ex: https://www.theoccidentalobserver.net/2021/11/25/mnemosyne-and-lethe-the-culture-of-remembrance-and-oblivion-in-the-western-system/

La culture de la mémoire façonne les fondements politiques de chaque État dans le monde. Lorsqu'on aborde la question de la culture du souvenir en Allemagne, ce qui vient immédiatement à l'esprit est la mémoire collective prescrite par les Alliés pour le peuple allemand, mise en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les racines psychologiques de cette culture du souvenir, instituée après-guerre, et sa signification pour les Allemands, ainsi que pour les autres peuples d'Europe, remontent loin dans leur passé. Pourquoi la culture du souvenir, par opposition à la culture de l'oubli, joue-t-elle un rôle si important en Allemagne, mais aussi, dans une moindre mesure, dans l'ensemble de l'Occident - comme si le véritable cours de l'histoire mondiale devait commencer au lendemain de 1945?

La mémoire et la mémoire collective sont les fondements du processus de formation de l'identité, indépendamment de notre haine ou de notre amour envers nos faiseurs d'opinion ou envers nos politiciens, respectivement, ou, d'ailleurs, indépendamment de l'esprit du temps qui prévaut. Il convient d'abord de clarifier quelques termes et de trier quelques noms de la mythologie et de l'histoire européennes, et de placer ce sujet dans un contexte historique et philosophique plus large. Inévitablement, il faut tenter de sauver quelques poètes et penseurs.

Dans la mythologie grecque antique, Mnémosyne est le nom de la déesse de la mémoire ; elle est le symbole de l'omniscience et de la connaissance totale. Sans Mnémosyne, il n'y a pas de vie humaine, pas de langage, pas de culture, et sans elle, tous les peuples sont condamnés à végéter comme des animaux privés de leur mémoire. Par opposition à la déesse de la mémoire Mnémosyne, la déesse Léthé est représentée comme un fleuve de l'oubli, c'est-à-dire que Léthé est le ruisseau de l'oubli qui coule notoirement dans le monde souterrain. Celui qui ose boire à ce fleuve oublie sa vie antérieure, mais aussi ses soucis et ses Weltschmerzen, dans l'espoir d'atteindre une vie relativement insouciante dans les enfers, ou de rejouer une nouvelle vie sur terre [i] Ces deux déesses sont souvent évoquées par les poètes, et au sens figuré par chacun d'entre nous au quotidien lorsqu'il s'efforce de supprimer ou d'oblitérer des événements passés embarrassants, y compris ceux de nature politique. Parallèlement, nous aspirons à ressusciter nos beaux souvenirs, ou mieux encore, à faire revivre les moments de notre bonheur passé.

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Il existe toutefois des différences entre les mémoires individuelles et collectives. Les mémoires collectives, qui sont généralement administrées lors de journées commémoratives ou de commémorations publiques, ou d'autres événements publics, sont toujours encadrées politiquement - par exemple, les innombrables journées de commémoration collective en l'honneur des victimes du fascisme ou du colonialisme dans les pays de l'ancien bloc communiste de l'Est se sont transformées en spectacles politiques - mais de nature transitoire. Le lendemain, la plupart de ces journées commémoratives ont été collectivement oubliées ou ont suscité un désintérêt général. Par la suite, les citoyens de l'ancienne Allemagne de l'Est ou de l'ancienne Yougoslavie ont plaisanté à huis clos sur ces spectacles communistes et leurs organisateurs. On se souvient des gigantesques manifestations commémoratives organisées dans l'ex-Allemagne de l'Est ou dans l'ex-Yougoslavie en l'honneur des soldats soviétiques ou des partisans communistes tombés pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Bien entendu, les commémorations publiques des victimes du communisme n'étaient pas autorisées ; les victimes anonymes du communisme étaient reléguées dans la culture de l'oubli. Dans la culture officielle du souvenir communiste, il ne pouvait y avoir aucune victime du communisme, étant donné que les termes "victime" et "mémoire" ne s'appliquaient qu'à certains héros communistes. Après la chute du mur de Berlin en 1989, ainsi que dans le sillage de l'effondrement de la Yougoslavie en 1991, les événements commémoratifs communistes ont dû être remodelés et remplacés par de nouveaux mots commémoratifs, les anciens auto-promoteurs communistes devant s'adapter au Zeitgeist libéral. Lors de ces nouveaux événements commémoratifs, l'ancien symbolisme communiste est désormais remplacé par un verbiage et une iconographie libéraux. Peu de choses ont changé, cependant, en ce qui concerne le contenu antifasciste. D'ailleurs, les journées de commémoration collective des victimes du fascisme, et en particulier l'hommage aux victimes de l'Holocauste, constituent le fondement du droit international en Europe occidentale, en Europe orientale et en Amérique.

Se souvenir des vœux pieux

Notre mémoire individuelle, en revanche, surtout si elle évoque des images de rencontres heureuses ou de moments joyeux du passé, fonctionne souvent comme une chimère, par laquelle nous projetons avec nostalgie ces images heureuses du passé dans le présent ou dans un avenir proche, dans l'espoir de les revivre une fois de plus. Tout souhait, cependant, est la conséquence logique d'une mémoire défigurée. On peut rappeler ici les paroles du poète Hölderlin dans son poème "Mnémosyne", dans lequel il exprime sa nostalgie de la renaissance des temps mythiques :

    Et il y a une loi, qui nous dit
    que les choses rampent à la manière des serpents,
    Prophétiquement, rêvant sur les collines du ciel.
    Et il y a beaucoup de choses qui doivent être conservées,
    Comme une charge de bois sur les épaules.
    Mais les chemins sont dangereux.[ii]

A chacun ses propres souvenirs, à chacun des autres aussi son interprétation de ses souvenirs. L'interprétation que je fais de mes souvenirs, de mes rencontres passées, est différente de celle composée par les individus qui ont partagé ces rencontres précédentes. Même les personnes dépourvues d'imagination ont besoin de souvenirs imaginaires, souvent à la limite de la pensée magique qui nie la réalité. Le contraste entre la réalité et les vœux pieux joue toutefois un rôle particulier dans les souvenirs individuels, car les vœux pieux sont souvent à la limite de l'auto-illusion. Pour mieux illustrer le wishful thinking, on pourrait énumérer d'innombrables poètes allemands et surtout des romantiques noirs allemands décrivant leurs souvenirs qui mènent généralement à des catastrophes, des suicides ou des décès.

De grandes déceptions surviennent en particulier avec des souvenirs liés à des opinions politiques. Beaucoup d'entre nous connaissent des collègues qui sont des critiques astucieux du système, mais dont les rêves alternatifs sur l'avenir de l'Europe ou des États-Unis sont basés sur des jugements irréels. Chaque fois que nous faisons référence aux rêves politiques, ce qui nous vient à l'esprit est le symbolisme consigné dans la nouvelle Occurence at the Owl Creek Bridge de l'écrivain américain Ambrose Bierce [iii]. Le personnage principal est un politicien local du Sud qui a été capturé et condamné à mort en pleine guerre de Sécession. Il se balance déjà sur la potence tout en imaginant comment il a habilement échappé au noeud coulant de ses bourreaux yankees, tout en savourant son retour auprès de sa famille dans le temps qui lui est imparti. Le désir de son double qui pourrait échanger sa place était une grande illusion. Il était déjà mort et parti.

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La différence entre la mémoire individuelle et la mémoire collective est flagrante. Nos souvenirs individuels, même s'ils ne sont pas générés par un politicien de pouvoir, peuvent aussi se transformer en cauchemar. Chaque souvenir, qu'il soit individuel ou collectif, risque de se jouer dans une notion subjective d'extension du temps. Se remémorer les moments heureux du passé dévore plus de temps que le temps réel qu'il a fallu pour les vivre. Pire encore, le fait de ruminer les moments heureux peut se transformer en un sentiment de soi déformé qui aspire à une amélioration du monde. À l'inverse, nous avons aussi envie de nous débarrasser de certains de nos mauvais souvenirs, surtout s'ils nous rappellent rétrospectivement notre comportement grotesque passé, nos rencontres maladroites précédentes ou nos anciens modes de vie politiques. Ernst Jünger décrit de manière saisissante le sentiment de temps dépassé qui résulte de la contemplation incessante de nos souvenirs.

La mémoire collective, ou une mémoire imposée par un gouvernement ou un tyran, génère facilement une psychose de masse, comme nous le vivons aujourd'hui avec les réglementations Covid décrétées par l'État. On pourrait d'ailleurs noter une série de commémorations politico-historiques dans l'UE et en Amérique en faveur des migrants non-européens et de leur histoire colonisée. En de telles occasions, les politiciens allemands aiment se poser en modèles d'une nation qui s'est auto-induite dans l'erreur ("Tätervolk") - une nation dont on attend qu'elle accomplisse en public et pour l'éternité les rituels de commémoration au nom des victimes du fascisme. Cette surenchère dans la compulsion allemande à s'acoquiner avec les étrangers est très ancienne, elle trouve ses racines dans la politique de renoncement à soi qui s'étend sur des centaines d'années d'histoire allemande sans État.

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Erwin Stransky (photo, ci-dessus), un penseur et neurologue allemand d'origine juive et très sympathique envers les Allemands, a remarqué peu après la fin de la Première Guerre mondiale, c'est-à-dire bien avant que le lavage de cerveau des Alliés et la rééducation libérale-communiste ne commencent après la Deuxième Guerre mondiale. Il a noté combien les Allemands aiment s'extasier sur les extraterrestres et "qu'il n'est nulle part plus facile qu'en Allemagne d'attirer et de confondre les esprits avec des accroches pseudo-scientifiques ou pseudo-légales habilement "lancées"." [iv] Une telle mémoire défigurée est devenue aujourd'hui la marque de fabrique de tous les peuples occidentaux.

PARTIE II

La culture de l'oubli

Où en est la culture de l'oubli ? L'oubli collectif est souvent encouragé par les politiciens et les médias européens et américains, notamment en ce qui concerne les millions de victimes inconnues du communisme ou les innombrables victimes des bombardements aériens de terreur des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Au fil des décennies, ces victimes n'ont fait l'objet que de notes de bas de page dans les médias occidentaux. Plus grotesque encore est le désir d'oubli de nombreux intellectuels et politiciens de l'establishment américain et européen, qui considèrent comme dépassées leurs anciennes opinions politiques, dont ils étaient les ardents porte-drapeaux il n'y a pas si longtemps. C'est le cas des anciens intellectuels marxistes après l'effondrement de leur mystique marxiste. La majorité d'entre eux sont désormais complètement passés à l'idéologie capitaliste du marché libre.

Le sommeil est un outil efficace pour l'oubli de soi et, surtout, il aide beaucoup à combattre les mauvais souvenirs. Le sommeil sans rêve est le meilleur moyen de se sortir des mauvais souvenirs. Les protagonistes de Shakespeare parlent souvent du sommeil comme de la meilleure méthode de salut, selon laquelle une bonne nuit de sommeil d'un prisonnier politique apporte plus de bonheur que les jours sans sommeil et mémorables d'un tyran. Hamlet, épuisé par la vie, toujours trahi et trompé par sa famille royale, se parle à lui-même :

    Dormir, rêver peut-être, voilà le problème ;
    Car dans ce sommeil de la mort, quels rêves peuvent survenir ?
    Quand nous aurons quitté cette enveloppe mortelle,
    doivent nous faire réfléchir : c'est le respect
    qui fait la calamité d'une si longue vie ;
    Car qui voudrait supporter les fouets et les mépris du temps[v].

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Le puissant souverain, le roi Henri IV, dans un autre drame de Shakespeare, loue encore plus le salut d'un doux sommeil :

    Combien de milliers de mes plus pauvres sujets
    Sont à cette heure endormis ! Ô sommeil, ô doux sommeil,
    Douce nourrice de la nature, comme je t'ai effrayé,
    Pour que tu ne pèses plus mes paupières.
    Et plonger mes sens dans l'oubli ?[vi]

Outre le sommeil, il existe des méthodes plus vivantes pour maîtriser le processus d'oubli et se débarrasser des mauvais souvenirs, ou du moins les garder temporairement sous contrôle. Le remède ancestral est l'alcool, ou mieux encore la drogue qu'est l'opium, qui ralentit l'écoulement du temps et tient en échec les souvenirs embarrassants. Une fois de plus, il faut se référer à Ernst Jünger, qui était non seulement le meilleur observateur de notre fin des temps, mais aussi le meilleur connaisseur allemand de nombreux narcotiques. Jünger était un gentleman raffiné qui s'est beaucoup occupé de la consommation d'"acide" - LSD - afin de mieux contourner les murs acides libéraux-communistes du temps. En outre, Jünger était très ami avec le découvreur du LSD, le Dr Albert Hoffmann (voir photo, ci-dessous). Tous deux ont vécu plus de cent ans. "L'acide, c'est génial !", disaient ses disciples accros à son nom.

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Sous l'influence des stupéfiants, le temps ralentit. La rivière coule plus doucement, les berges s'éloignent. Le temps devient sans limite, il se transforme en mer[vii].

Il faut cependant être prudent avec les voyages sous l'influence des drogues, car il y a toujours un risque d'oublier son destin[viii] L'Ulysse d'Homère a affronté ce danger avec ses marins sur le chemin du retour. Après leur long périple en mer, ils se sont tous retrouvés un jour au pays des mangeurs de lotus, des hommes qui s'adonnaient à la consommation de drogue de lotus, acquérant ainsi la capacité de se débarrasser de leurs souvenirs et de tous les soucis qui les accompagnent. Ulysse a eu beaucoup de mal à faire revenir à bord ses camarades intoxiqués et sans mémoire[ix]. En fait, ces mangeurs de lotus mythiques qu'Ulysse a rencontrés sont une image primitive des citoyens contemporains en Allemagne, dans l'UE et aux États-Unis. Plus besoin pour le Système de fabriquer des martyrs, comme c'était le cas sous le communisme ; le Système sait utiliser des méthodes bien plus élégantes pour imposer la volonté générale par l'oubli de masse forcé.

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En Géorgie, dans le Caucase, où est né le tyran Staline, il existe un sol fertile propice à la culture du cannabis. Au lieu des goulags en Sibérie, Staline aurait pu avoir plus de succès en installant des champs de marijuana dans l'ancienne Union soviétique.

Plus tard, Ulysse se retrouve dans les locaux de la déesse sorcière Circé, dont les pouvoirs ont transformé ses marins échoués en cochons. Ces nouvelles créatures porcines, bien que dotées d'une intelligence humaine, ne se plaignent plus de leur nouvelle vie. Bien au contraire. Le processus d'oubli peut être bénéfique[x]. Dans un tel environnement propice à l'oubli, la célèbre phrase de Nietzsche semble bien dépassée : "Heureux les oublieux, car ils se remettent aussi de leurs bêtises". Se souvenir d'une vie antérieure sur Terre peut être un enfer pour beaucoup de gens. Le Système, avec ses récits d'amélioration du monde, utilise maintenant des méthodes homériques de la transformation en porcs pour abrutir les masses, promettant la naissance du La La Land, mais la reportant encore et encore jusqu'à un avenir indéfini où tout le mal aura été expurgé. En outre, le Système emploie des techniques raffinées pour garder ses citoyens sous contrôle, soit par l'oubli forcé, soit par la mémorisation sélective.

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Et ce n'est pas nouveau dans l'histoire. La Damnatio memoriae ou damnation de la mémoire était un procédé courant dans la Rome antique contre les politiciens méprisables, bien que décédés. Rares sont ceux qui ont le courage de s'attaquer aux tyrans vivants. Le même procédé consistant à maudire la mémoire des hérétiques ou des dissidents modernes continue de faire rage en force dans l'Allemagne, aux États-Unis et dans l'UE modernes. Ce qui est nouveau, cependant, c'est la montée de l'autocensure et de l'autosurveillance de la grande majorité des politiciens, mais aussi de la majorité des universitaires de l'establishment. La censure a toujours fait partie de l'oubli collectif imposé par l'État, puisqu'elle existe depuis l'Antiquité. Dans l'Occident contemporain, cependant, l'autocensure est synonyme de renoncement à soi, c'est-à-dire que même les personnes intelligentes décident, à un moment donné de leur carrière, de renoncer à leur propre personne. Le poète et médecin allemand Gottfried Benn, ainsi que de nombreux autres penseurs européens qui ont réussi à survivre aux bombardements de terreur et aux purges des Alliés pendant et après la Seconde Guerre mondiale, a écrit dans son poème Le moi perdu l'image d'un individu perdu dans le temps et l'espace, sans direction ni valeurs.

    Perdu I - explosé par les stratosphères,
    victime d'un ion - : agneau à rayons gamma - : particule et champ - : chimères et autres choses
    particule et champ - : chimères et infini
    sur ta grande pierre de Notre Dame.[xi]

Autocensure et autodénigrement

Il convient de rappeler le philologue et universitaire allemand très apprécié, le professeur Harald Weinrich, qui est souvent cité par les médias amis du système et qui a écrit un bon livre sur la culture de l'oubli et du souvenir dans la littérature européenne. Comme d'innombrables universitaires de l'establishment, il est cependant mandaté pour accomplir de temps en temps des rites expiatoires. C'est ce qui frappe l'œil au chapitre IX de son livre Lethe : The Art and Critique of Forgetting, où il s'exprime sur le souvenir perpétuel d'Auschwitz. "L'oubli n'est plus autorisé ici. Il ne peut pas y avoir d'art de l'oubli ici non plus et il ne devrait pas y en avoir." [xii] Dans ses remarques destinées aux médias, il poursuit ses déclarations de vertu : "Je ne peux donc que souscrire de tout cœur à l'interdiction absolue d'oublier le génocide"[xiii].

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De telles confessions de culpabilité à la Canossa font aujourd'hui partie du folklore politique en Allemagne. Pas un mot de Weinrich et d'autres compagnons de route antifa sur l'oubli forcé imposé par le Système à l'égard de millions d'Allemands, de Croates et d'autres Européens de l'Est pourchassés après la marche victorieuse des Alliés en 1945. Weinrich et nombre de ses semblables, avec leur religion du souvenir nouvellement acquise, correspondent à l'archétype hyper-moraliste de Nietzsche, "où cet homme de mauvaise conscience s'est emparé d'un présupposé religieux pour donner à son autotorture sa dureté et son acuité les plus horribles"[xiv] Weinrich n'est qu'un minuscule exemple de la majorité des universitaires boucs émissaires de l'UE qui rivalisent pour une visibilité médiatico-universitaire clinquante par leur auto-flagellation et leur reniement de soi. Il y a longtemps, l'allégorie de cette auto-démasculation spirituelle allemande a été décrite par le poète et peintre allemand Wilhelm Busch dans son histoire sarcastique sur Saint Antoine. L'éternel repenti saint Antoine, grand ami des animaux, décide de se fiancer à un cochon, sans doute pour mieux assurer son ascension transgenre zoophile au paradis pour l'éternité :

Bienvenue ! Entrez en paix !
Ici, aucun ami n'est séparé de son ami. Pas mal de
quelques moutons entrent,
pourquoi pas un bon cochon aussi ! [xv]

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Plusieurs auteurs ont écrit des articles critiques sur la conscience historique déformée et le processus de mémoire sélective des Blancs. Il semble que plus on parle aujourd'hui de la nécessité de se souvenir des victimes du fascisme, plus ces souvenirs antifascistes régurgités deviennent des objets d'incrédulité et de ridicule de masse. Pendant ce temps, la mémoire des millions de victimes du communisme est reléguée dans le royaume de l'oubli. Se souvenir du sort des civils allemands expulsés et tués après la Seconde Guerre mondiale ne présente progressivement plus qu'un intérêt archivistique et antiquaire, et ce de manière sporadique. Les médias allemands, américains et européens, y compris les historiens et les politiciens de l'establishment, lorsqu'ils évoquent les champs de la mort communistes, font très attention à ne jamais éclipser le souvenir du nombre de victimes de l'Holocauste. Par exemple, la catastrophe croate de l'après-guerre avec ses centaines de milliers de morts, connue chez les Croates à l'esprit nationaliste sous le nom de "tragédie de Bleiburg", n'est pratiquement jamais mentionnée comme faisant partie de la mémoire collective occidentale[xvi].

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En Belgique, également, les innombrables victimes des bombardements anglo-saxons ne sont quasi jamais commémorées, dont les 936 victimes innocentes de Mortsel (dont de nombreux enfants) et le bombardement sauvage d'Ixelles-Etterbeek... L'historien Pieter Serrien a consacré à la tragédie de Mortsel un ouvrage poignant et très documenté, rendant hommage à presque toutes les victimes de ce crime atroce commis par l'Empire du Bien. Honte à la vermine politique qui n'y songe jamais...

En revanche, la surenchère dans les mémoires antifasciste, juive et anticoloniale, où le proverbial "mauvais Allemand" figure toujours sur le devant de la scène, joue un rôle central dans le droit international. Les mémoires anticommunistes sporadiques, qui correspondent un peu aux festivités commémoratives parrainées par le Système, sont reléguées au rang d'événements semi-mythologiques et folkloriques que l'on peut observer de temps à autre dans l'Europe de l'Est d'aujourd'hui.

Tout comme il existe des différences entre les vivants, il doit y avoir des différences entre les morts. La question se pose de savoir si le Système et ses ramifications post-communistes et libérales en Allemagne, dans l'UE et aux Etats-Unis peuvent survivre sans appeler à la rescousse les souvenirs des "bêtes fascistes" ? Sans évoquer des démons domestiques tels que Ante Pavelic, Francisco Franco, Vidkun Quisling, etc. Et sans évoquer sans cesse Adolf Hitler, le démon cosmique intemporel ? La culture du souvenir aux heures de grande écoute d'aujourd'hui, c'est-à-dire le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, s'est transformée depuis longtemps en un psychodrame religieux qui va bien au-delà du souvenir historique. En outre, de nombreux peuples non-européens se battent aujourd'hui avec passion pour leur propre piédestal de victime afin de le mettre en avant comme étant le seul digne d'être rappelé au monde. Nous pouvons ici nous référer à la citation d'A. de Benoist :

L'outil favori de la surenchère victimaire est le "devoir de mémoire". La mémoire s'inscrit sur un fond d'oubli, car on ne peut se souvenir qu'en sélectionnant ce qui ne doit pas être oublié. (Une telle tâche n'aurait aucun sens si l'on devait se souvenir de tout). La mémoire est donc hautement sélective. ... L'un des points forts du "devoir de mémoire" est l'imprescriptibilité du "crime contre l'humanité" - une notion également dépourvue de sens. Strictement parlant, seul un extraterrestre pourrait commettre un crime contre l'humanité (d'ailleurs, les auteurs de tels crimes sont généralement représentés au sens métaphorique comme des "extraterrestres"). - et en totale contradiction avec la tradition culturelle européenne qui, en accordant l'amnistie, offre la forme judiciaire de l'oubli. [xvii]

Il faut rappeler ici les propos critiques de Nietzsche, lorsqu'il écrit sur la surenchère de nos mémoires " monumentales " et " antiquaires " : "La surabondance de l'histoire d'une époque me semble hostile et dangereuse pour la vie...."[xviii] L'avertissement de Nietzsche s'applique toutefois aujourd'hui à tous les peuples européens et à leurs victimologies respectives, qu'elles soient de nature antiquaire ou monumentale. Jusqu'à quel point les Européens, et surtout le peuple allemand, doivent-ils étirer leur mémoire historique ? Jusqu'au massacre des Saxons à Verden en 782, jusqu'aux millions de morts de la guerre de Trente Ans, ou jusqu'aux millions d'Allemands de souche et d'Européens de l'Est tués au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ? Le débat sur les mémoires opposées devient aujourd'hui inutile. Avec ou sans leurs morts oubliés et ressuscités, l'ensemble du système germano-euro-américain ressemble à une grande librairie d'antiquités multiculturelle et dépassée où de faux apprentis sorciers continuent à donner des conférences sur les mémoires sélectives et fausses.

NOTES :

[i] T. Sunic, Titans are in Town(A Novella andAccompanying Essays), préface de Kevin MacDonald (Londres, Budapest : Arktos, 2017).

[ii] Poèmes de Friedrich Hölderlin, choisis et traduits par James Mitchell ; bilingue, en allemand et en anglais (San Francisco : Ithuriel's Spear, 2007), p. 95.

[iii] Ambrose Bierce, An Occurrence at Owl Creek Bridge and other stories -Ein Vorfall an der Eulenfluß-Brücke und andere Erzählungen) (édité par Angela Uthe-Spencker), (München : Deutscher Taschenbuch-Verlag, bilingue 1980).

[iv] Erwin Stransky, Der Deutschenhass (Wien und Leipzig : F. Deuticke Verlag, 1919), p. 71.

[v] William Shakespeare, Hamlet (Acte III, Sc 1) (Philadelphie : J.B. Lippincott & Co., 1877) p. 210-211.

[vi] Écrits dramatiques de Shakespeare, Henri IV, 2e partie, Acte III, Sc. I, Londres : ed. John BellBritish Library, 1788), p.60.

[vii]Ernst Jünger, Annäherungen : Drogen und Rausch (München : DTV Klett-Cotta, 1990), p. 37.

[viii] Cf. Tomislav Sunic, "Rechter Rausch ; Drogen und Demokratie", Neue Ordnung (Graz, IV/2003).

[ix] The Oddyssey of HomeBook IX, avec des notes explicatives de T.A. Buckley, (Londres : George Bell and Sons, 1891). p. 118.

[x] Ibid, livre X, p. 137-146. Harald Weinrich, Lethe-Kunst und Kritik des Vergessens, (München : Verlag C.H Beck, 1997), p. 230.

[xi] Gottfried Benn, "Das verlorene Ich", Statische Gedichte (Hambourg : Luchterhand Ver., 1991), p. 48. Également traduit en anglais par Mark W. Roche : https://mroche.nd.edu/assets/286548/roche_benn_verlorenes_ich_english.pdf.

[xii] Harald Weinrich, Lethe-Kunst und Kritik des Vergessens (München : Verlag C.H Beck, 1997), p. 230.

Cf. Lethe, The Art and Critique of Forgetting (Cornell University Press, 2004).

[xiii] H. Weinrich, émission " Bayerischer Rundfunk " du 4 avril 1999.

https://www.br.de/fernsehen/ard-alpha/sendungen/alpha-forum/harald-weinrich-gespraech100~attachment.pdf ?

[xiv) Friedrich Nietzsche, De la généalogie de la morale, Deuxième essai, Section 22. Traduit par Carol Diethe (Cambridge University Press, 2007), p. 63.

[xv] Voir le texte allemand complet, Wilhelm Busch, Der Heilige Antonius von Padua, (Straßburg ; Verlag von Moritz Schauenburg, sans date), p. 72. Egalement parties en anglais : https://second.wiki/wiki/der_heilige_antonius_von_padua#:~:text=Saint%20Anthony%20of%20Padua%20is,anti%2Dclerical%20attitude%20Wilhelm%20Buschs.

[xvi] Cf. T. Sunic, "Es leben meine Toten ! - Die Antifa-Dämonologie und die kroatische Opferlehre ".Neue Ordnung (Graz, I/2015).

[xvii] Alain de Benoist, Les Démons du Bien, Paris, éd. P. Guillaume de Roux, 2013, p. 34-35.

[xviii] F. Nietzsche, De l'avantage et du désavantage de l'histoire pour la vie, section 5, trad. par P. Preuss (Indianapolis : Hackett Publishing Co., 1980), p. 28.

Pologne contre Russie: qui va unir les forces conservatrices en Europe?

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Pologne contre Russie: qui va unir les forces conservatrices en Europe?

Ex: http://www.elespiadigital.com/index.php/noticias/historico-de-noticias/35989-2021-11-24-11-28-27

Institut RUSSTRAT. Le président du parti polonais au pouvoir, le parti Droit et Justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, a invité des représentants des partis conservateurs et de droite, dont les membres siègent au Parlement européen, à se rendre à Varsovie début décembre. Parmi eux figurent le leader du parti espagnol "Vox" Santiago Abascal, le Premier ministre hongrois et chef du parti Fidesz Viktor Orban, la présidente du parti italien "Frères d'Italie" Georgia Meloni et le chef du parti italien "Ligue" Matteo Salvini.

Le thème principal du sommet sera les tendances qui prévalent actuellement dans l'Union européenne et qui façonneront son avenir. Comme Kaczynski l'a déclaré précédemment, lui et ses partisans ne veulent pas d'une "révolution morale et d'une restriction des libertés". Selon lui, l'UE a "une structure et des objectifs peu clairs", et ses organes "réinterprètent trop souvent le contenu des traités de l'Union signés". C'est pourquoi les politiciens de droite et conservateurs souhaitent une "réforme profonde de l'UE" et un retour aux idées qui, selon lui, disparaissent conjointement "avec la souveraineté des États".

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Mais ce n'est qu'une facette de l'idéologie du président du parti au pouvoir en Pologne. Il y en a une autre. Il en a parlé le 10 novembre à Varsovie et à Cracovie le 11 novembre, jour de l'indépendance de la Pologne. Au départ, Kaczynski a déclaré que la Pologne était attaquée par l'est et l'ouest. L'attaque de l'est est, selon lui, une crise humanitaire à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, causée par le "dictateur bélarussien Alexandre Loukachenko". Quelle était l'attaque de l'Ouest ? Il ne l'a pas dit.

Mais il a fait des allusions. "Quel est le dénominateur commun de tout ce qui se passe ? - a demandé Kaczynski. Bien que les intentions soient différentes et que les centres qui provoquent ces conflits soient différents, le fait est que beaucoup, des deux côtés de l'Europe, ne veulent pas accepter notre propre subjectivité (identité), les perspectives de notre développement, la croissance de notre force, la croissance de notre détermination, la détermination d'être une nation qui est non seulement indépendante, libre, mais aussi forte et qui joue un rôle important. Parce que seule une telle Pologne peut survivre.

Il est revenu sur cette thèse à Cracovie : "Nous avons un gros problème en Occident. Tout cela est bien connu : nous parlons de la reconnaissance de notre identité, de la décision du Tribunal constitutionnel polonais (sur la priorité du droit polonais sur le droit européen), de notre droit d'organiser nos propres affaires en Pologne..... Il ne dépend que de nous de savoir si nous pouvons le faire.

Comme le soulignent certaines publications polonaises, le directeur du PiS a prononcé son discours dans un lieu significatif : la société Sokol de Cracovie, qui a joué un grand rôle "libérateur" lors des divisions du Commonwealth polonais au XIXe siècle et était associée à l'Endek (les démocrates romains-nationaux, c'est-à-dire 'nationaux-catholiques' de Dmowski). Mais l'historien polonais Adam Leszczynski voit dans le discours de Kaczynski des échos de "la doctrine diplomatique d'avant-guerre du régime Sanation, le principe de "distance égale" entre l'Allemagne et l'URSS".

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Leszczynski rappelle qu'après la mort du maréchal Jozef Pilsudski en 1935, les élites dirigeantes de la république polonaise autoritaire ont adhéré au principe selon lequel la Pologne a deux "ennemis mortels : la Russie stalinienne et l'Allemagne nazie, avec lesquels il faut, si possible, entretenir des relations pacifiques, mais pas d'alliances". Cependant, "depuis janvier 1939, lorsque l'Allemagne a fait des revendications territoriales sur la Pologne, espérant qu'elle rejoindrait également l'alliance contre l'URSS, il est devenu impossible de maintenir un équilibre entre la Russie soviétique et l'Allemagne".

Ainsi, la doctrine Kaczynski a au moins une dimension extrêmement dangereuse. Elle crée les conditions et les prérequis pour revenir aux réalités d'une Europe divisée d'avant-guerre et provoquer un nouveau conflit mondial, qui pourrait se transformer en une troisième guerre mondiale. Les alliés du droit et de la justice sont-ils préparés à cela? Nous ne le pensons pas. Salvini, par exemple, ne demande qu'à Varsovie et Rome de créer un "nouvel équilibre" dans l'UE après des années de "domination de l'axe franco-allemand". Nous pensons que les autres forces conservatrices et de droite européennes ne sont pas intéressées par l'augmentation des tensions.

Cependant, l'expérience de la Première Guerre mondiale montre qu'il suffit d'un seul tir d'une seule personne pour déclencher un terrible incendie. C'est pourquoi une alternative à la doctrine Kaczynski est si importante. Moscou l'offre. Ce n'est pas une coïncidence si la plupart des publications polonaises ont attiré l'attention sur le discours du président russe Vladimir Poutine lors de la réunion du club Valdai. Leur attention a été attirée par les mots suivants du chef d'État russe.

"Aujourd'hui, alors que le monde connaît un effondrement structurel, l'importance d'un conservatisme raisonnable en tant que base du cours politique s'est multipliée, précisément en raison de la multiplication des risques et des dangers, de la fragilité de la réalité qui nous entoure", a déclaré M. Poutine. L'approche conservatrice n'est pas une tutelle irréfléchie, ni une peur du changement, ni un jeu de rétention, encore moins un enfermement dans sa coquille. Il s'agit, avant tout, de la confiance dans une tradition éprouvée, de la préservation et de la croissance de la population, du réalisme dans l'évaluation de soi et des autres, de l'alignement précis d'un système de priorités, de la corrélation entre ce qui est nécessaire et possible, de la formulation prudente des objectifs, du rejet fondamental de l'extrémisme comme méthode d'action".

Selon les experts polonais, le président russe a dit exactement ce que les opposants conservateurs à l'idéologie libérale actuellement dominante voulaient entendre aux États-Unis et dans l'UE. Le fait que son discours ait été remarqué et lu "peut être vu dans les déclarations des politiciens occidentaux qui le jettent dans un sac avec le nom de 'populisme de droite'", note-t-on en Pologne. Et encore : "Poutine attire les dirigeants politiques avec son idéologie, les incite à faire des affaires avec lui, après quoi ils font pression sur les électeurs de leurs pays pour qu'ils défendent ces vues".

C'est ce que craint le chef du parti au pouvoir en Pologne. Après tout, le succès du "conservatisme raisonnable" russe enterrera à jamais les tentatives de Kaczynski de mener lui-même un quelconque projet d'intégration de la droite européenne. Il continuera donc à gonfler le mythe de la Pologne, soi-disant menacée simultanément par l'Est et l'Ouest, afin d'empêcher l'unification des forces conservatrices saines en Russie et dans l'UE.

Le connétable des lansquenets

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Le connétable des lansquenets

par Georges FELTIN-TRACOL

Dans Le roman vrai d’un fasciste français, une biographie romancée de René Resciniti de Says, vieux militant royaliste maurrassien, Christian Rol rapporte une anecdote révélatrice. « Néné l’Élégant » passe un jour à « La Mère Agitée », un restaurant parisien bien connu de la mouvance. Il dîne non loin de la table de Dominique Venner qu’il n’apprécie guère et avec qui il engage pourtant une vive discussion historique. « Ce soir-là, la conversation dévie sur le Connétable de Bourbon qui avait levé les armes contre la papauté et  François Ier. Ce à quoi Venner était très favorable (1) ».

Toute l’historiographie française officielle fait du Connétable de France l’un de ses principaux traîtres. En 2000, compagnon de route de la « Nouvelle Droite » et professeur d’histoire spécialisé dans les Temps modernes (1492 – 1815), Jean-Joël Brégeon publie une belle biographie de ce mal-aimé (2). Il estime « qu’il y avait nécessité impérieuse de réhabiliter sa mémoire, entreprise qui, jusqu’alors, n’avait pas tenté grand monde. Le réhabiliter ou tout au moins le comprendre, l’analyser sans préjugé et, pour cela, le replonger dans son temps ».

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Une puissante lignée féodale

Né en 1490, Charles de Montpensier appartient à une branche cadette des Bourbons. «La maison ducale de Bourbon est l’une des plus anciennes, des plus prolifiques et donc des plus ramifiées de la noblesse française. » Sixième fils de Louis IX dit bientôt « Saint Louis », le comte Robert de Clermont-en-Beauvaisis (dans l’actuel département de l’Oise) épouse Béatrix de Bourbon, l’ultime héritière d’une famille qui prétend descendre des Troyens et des Carolingiens. Par ce mariage, Robert devient le seigneur du Bourbonnais alors que ce « fief [...] était reconnu fief féminin, et ne suivait pas la loi salique excluant les filles de la succession de leur père ». Si leur deuxième fils, Jacques, est « à l’origine de la branche Bourbon – Vendôme qui finit par monter sur le trône de France avec Henri IV » en 1589, leur aîné, Louis Ier de Bourbon, unit son propre fils, Louis II, à « l’héritière du dauphin d’Auvergne [qui] lui permit d’arrondir son patrimoine avec le Forez et le Dauphiné d’Auvergne ». Sous son impulsion, la ville de Moulins devient la « capitale » d’un vaste domaine.

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Princes de sang aptes à porter éventuellement la Couronne des Lys, les Bourbons dont la devise est « Espérance », participent à la vie du royaume sous les derniers Capétiens directs et sous les Valois. Au XVe siècle, Jean II de Bourbon se montre d’une parfaite loyauté envers Louis XI. Deux de ses frères sont des clercs. Louis est prince-évêque de Liège qui aurait épousé sans aucune autorisation Catherine van Egmond, d’où la branche actuelle non dynaste des Bourbon-Busset. Charles de Bourbon est, pour sa part, l’archevêque de Lyon. Leur sœur, Isabelle, est la femme du «Grand Duc d’Occident», Charles le Hardi, duc de Bourgogne. Elle est donc l’arrière-grand-mère de Charles Quint. Leur plus jeune frère, Pierre de Beaujeu, se voit marié à Anne de France, la fille aînée de Louis XI dont elle a hérité le terrible sens politique.

Jean II de Bourbon n’a pas d’enfant. Or, son domaine forme, « pour reprendre la formule d’un chroniqueur “ un pays nouvellement composé, comme en marqueterie ou mosaïque, de plusieurs pièces rapportées, acquises des seigneurs voisins ”. Au duché de Bourbon étaient venus s’ajouter le Forez, le Beaujolais, l’Auvergne, les Haute et Basse Marches, le Carladès, Murat, Gien, les Dombes... ». Le patrimoine des Bourbons s’accroît encore. En 1476, Louis XI offre à son gendre « les comtés de la Marche et de                 Montaigut-en-Combrailles  ». En 1481, Anne de France reçoit le comté de Gien. La même année, Jean II de Bourbon doit remettre sur injonction royale à son frère Pierre de Beaujeu «le comté de Clermont-en-Beauvaisis, la baronnie de Beaujolais et les Dombes». Henry Montaigu explique que « la Marche, les comtés de Clermont et de Beaujolais, diverses autres seigneuries prises ici et là, devaient en attendant permettre aux époux Beaujeu de tenir rang parmi les princes (3) ».

Au décès de Jean II en 1488, son frère l’archevêque de Lyon se proclame chef de la Maison. Mais cruellement endetté, il renonce finalement à tous ses droits au profit de Pierre en échange d’une forte pension. Ainsi, « le 30 août 1488, Pierre de Beaujeu devenait duc de Bourbon et d’Auvergne, comte de Clermont, de Forez, de la Marche, de l’Isle-Jourdain et de Villars, seigneur de Beaujolais “ à la part de l’Empire ”, de Château-Chinon et d’Annonay... ». En 1491, Anne et Pierre de Bourbon – Beaujeu ont une fille d’aspect chétif, Suzanne.

Très tôt, forte de son influence à la Cour et régente de facto quand son frère Charles VIII part guerroyer en Italie, Anne de Beaujeu assure à sa fille les moyens légaux de conserver l’intégralité de leurs possessions territoriales. Elle s’attache aussi à régler la querelle vieille d’un demi-siècle avec les Bourbons – Montpensier dont les « terres [étaient] enclavées dans celles de la branche aînée des Bourbons, surtout à Aigueperse».

L’unité des Bourbons

Le père du futur Connétable se nomme Gilbert de Bourbon, comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne. Au cours des premières Guerres d’Italie, il trouve sa femme en la personne d’une Italienne, Claire de Gonzague, la « fille aînée du marquis de Mantoue ». Le couple a six enfants (trois garçons et trois filles). L’arrivée de Claire dans le centre de la France introduit la Renaissance italienne dans le Massif Central ! La tragédie frappe rapidement cette famille heureuse. Charles devient à onze ans chef de famille en 1496 quand meurt son père de la malaria dans le Sud de l’Italie. En 1503 disparaît sa mère. Son éducation dépend de sa marraine, Anne de Beaujeu.

L’adolescent apprend le service de la chevalerie et se passionne pour les récits arthuriens. Son caractère le pousse vers le métier des armes. Pierre de Bourbon et sa redoutable épouse décident de lui donner leur fille unique Suzanne. Pour eux, « l’union des deux branches avait pour principal mérite d’éteindre le contentieux qui les séparait depuis trois générations tout en achevant l’unité territoriale du duché, faisant de lui le fief le plus étendu et le plus peuplé du royaume ». Quel est donc ce si grand domaine ? « Au Bourbonnais et à l’Auvergne s’ajoutaient les comtés de Clermont-en-Beauvaisis, de Forez, de la Marche, de Gien et de Clermont en Auvergne; les vicomtés de Carlat et de Murat, les seigneuries de La Roche-en-Rénier, de Bourbon – Lançay, d’Annonay, sans oublier, en pièces rapportées, les Dombes, le Beaujolais et les fiefs propres aux Montpensier, le comté de Montpensier, le dauphiné d’Auvergne, la baronnie de Mercœur, la seigneurie de Combrailles. À cet immense domaine – qui couvrait plus de 26.000 km² – s’ajoutaient les titres et les charges qui faisaient du nouveau duc de Bourbon le Grand le plus titré du royaume, pair de France, grand chambrier, en attendant le gouvernement du Languedoc et, bien sûr, la connétablie ». Jean-Joël Brégeon précise que « pour mieux considérer les domaines de Charles et de Suzanne, on peut les faire tenir dans les actuels départements, à savoir l’Allier, le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Loire, une partie du Rhône, de l’Ain et à l’autre extrémité, de la Haute-Vienne et de la Creuse ». Par son mariage, Charles de Montpensier qu’on désigne comme « Charles-Monsieur », devient le plus puissant féodal de France depuis la Maison de Bourgogne…

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La Dame de Beaujeu gouverne remarquablement ses terres. Elle dispose de « la châtellenie qui était la réalité administrative la plus tangible de l’« État » bourbonien. Leur nombre et leur taille étaient variables. Le Beaujolais n’en comptait que dix-huit mais le Forez en avait quarante. Beaucoup étaient minuscules, d’autres immenses, comme celle de Moulins avec ses soixante-seize paroisses réparties sur environ 1800 km² ». Elle entend surtout les conserver pour ses futurs petits-enfants. La mort en 1498 de Charles VIII et l’avènement de leur cousin le duc d’Orléans, Louis XII, la détachent de l’intérêt royal pour privilégier les intérêts familiaux et terriens de sa fille et de son gendre. Par chance, « attaché à la seigneurie, écrit Henry Montaigu, [le futur connétable] en possède la mystique (4) ».

Au service de deux rois de France

Le « Roi du peuple » Louis XII apprécie Charles-Monsieur. Quand il ne se bat pas en Italie avec les armées françaises, il sert d’« otage princier » dans la suite de l’archiduc Philippe de Habsbourg qui traverse la France pour se rendre dans les Espagnes qu’il va bientôt régner aux côtés de son épouse Jeanne, la fille des Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Jeanne et Philippe sont les parents du futur Charles Quint. Une autre fois, « à Valenciennes, Charles de Bourbon fit la connaissance de ses cousins, les Croy, une puissante famille attachée au service et à la fortune des                             Habsbourg ».

En 1513, Louis XII le charge de « restaurer l’autorité royale et la paix publique » en Bourgogne. Charles-Monsieur « fit procéder à des travaux de fortification à Dijon, Châlons, Beaune et Auxonne. Sa sévérité à l’égard des gens de guerre coupables d’abus et d’exactions sur la population, sa rigueur et sa détermination, l’attention qu’il porta à cette mission sans gloire mais si impérieuse amenèrent Louis XII à manifester sa gratitude ». Charles de Bourbon reçoit la charge considérable de connétable de France.

Chef suprême de l’armée royale en l’absence du souverain, le connétable                  « porte l’épée royale et la présente, nue, à l’assistance » le jour du sacre à Reims. Il « possède sa propre juridiction – la connétablie et maréchaussée de France – qui lui donne des pouvoirs disciplinaires, sans appel, pour juger les délits et crimes des gens de guerre ». Fidèle à sa sévère réputation, le nouveau connétable interdit les pillages; il exige que ses troupes paient au juste prix les denrées prises aux paysans; il impose une réelle discipline à ses hommes d’armes; il punit le défaut de tenues particulières, reconnaissables et attribuées à chaque régiment royal. Cette dureté s’impose tant les mœurs sont rudes.

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À la fin du Moyen Âge, les fantassins sont appelés « les “ gens de pied ” [qui] se regroupaient en “ bandes ”, réparties en “ nations ”. On pouvait trouver là des Gascons, des Picards, des Allemands, que l’on qualifiait tantôt d’aventuriers tantôt de “ bandes noires ” et qui étaient pour l’essentiel des lansquenets, ces éternels rivaux des Suisses». Les combattants helvètes servent divers souverains dès que ces derniers leur versent une solde régulière, ce qui est rarement le cas. Les mercenaires helvètes manient avec une redoutable dextérité les « “ longs bois ” [qui] faisaient la loi sur les champs de bataille depuis plus d’un siècle [...]. C’étaient en fait des hallebardes dites de Soleure ou de Berne que les Suisses complétaient par une forte dague, lorsqu’ils ne maniaient pas la redoutable Zweihänder, l’épée à deux mains. Sûrs de leur tactique qui les voyait formés en hérissons, les Suisses se protégeaient peu et s’en faisaient même une gloire ». C’est dans cet univers âpre et violent que le Connétable de Bourbon parvient à s’imposer. Aux côtés de Louis XII, puis de François Premier (5), il se fait un nom en Italie. « Depuis Marignan, on le tenait pour un des meilleurs capitaines de sa génération. »

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Conscient de sa valeur et de ses qualités militaires, le Connétable de Bourbon n’hésite jamais à déployer un train de vie fastueux lors des grands événements comme au Camp du Drap d’Or où François Premier accueille Henry VIII d’Angleterre en 1520. Ce décorum luxueux agace le roi français. Par ailleurs, sa droiture et sa franchise lui valent d’irréductibles ennemis dans l’entourage immédiat du souverain: le duc d’Alençon, un temps fiancé à Suzanne de Bourbon, est un piètre homme de guerre que méprise le Connétable; le surintendant des finances Samblançay, Bonnivet et le chancelier Antoine Duprat, tous deux originaires de domaine dont il est le seigneur. Le plus redoutable de ses ennemis est néanmoins une femme, Louise de Savoie, la propre mère de François Premier !

Les visées de Louise de Savoie

La reine-mère a-t-elle des vues lubriques et concupiscentes sur le fringant homme à peine plus âgé que son propre fils ? Toute une littérature brode autour de cette « romance » fantasmée par l’une et refusée par l’autre. Il est en revanche certain que Louise de Savoie agit en féodale qui rêve « d’augmenter le patrimoine des Valois – Angoulême », surtout si c’est aux dépens des Bourbon. Bien qu’élevée par Anne de Beaujeu, Louise de Savoie (portrait, ci-dessous) la déteste profondément. La réciproque est aussi vraie.

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Homme à femmes soumis à l’inflexible volonté de sa mère, François Premier vexe fréquemment le Connétable à partir de 1521. Cette année-là est un tournant majeur dans la vie de Charles de Bourbon. Suzanne meurt précocement. Outre son époux qui détient en sa faveur une série de dispositions testamentaires légales, l’héritage territorial de Suzanne est revendiqué par sa cousine, Louise de Savoie. Or, « la succession de Suzanne de Bourbon était compliquée à démêler tant le statut juridique de ses biens dépendait d’origines extrêmement diverses ».

Louise de Savoie lance en 1522 un procès au Connétable devant le Parlement de Paris, seul autorisé à statuer sur les litiges liés à un pair de France. Elle réclame l’éventuelle saisie des duchés de Bourbon et d’Auvergne et des comtés de Clermont, de Forez et de la Marche. « Reine mère et régente à la fois, [Louise de Savoie] allait user de son rang prééminent pour influencer les magistrats. » Pendant ce temps, Charles de Bourbon se préoccupe de reprendre un fief italien. Son père, Gilbert, avait été fait archiduc de Sessa dans le royaume de Naples. Le Connétable souhaiterait relever le titre à son profit et adresse une ambassade conduite par Philibert de Saint-Romans auprès de Charles Quint.

Bien qu’ayant le droit féodal pour lui, le Connétable déchante vite, tant les magistrats parisiens craignent Louise de Savoie. Le Parlement de Paris rendra son arrêt en juillet 1527: tous les biens de Suzanne et Charles de Bourbon reviendront à la Couronne. S’estimant dupé et voyant que le roi se refuse d’intervenir de manière impartiale, Charles de Bourbon entre en négociations secrètes avec Charles Quint et Henry VIII d’Angleterre. Le Tudor exige d’être reconnu comme le seul roi de France légitime. Le Connétable refuse d’abord. Quant à l’Empereur, il lui propose d’épouser l’une de ses sœurs, Éléonore, veuve du roi de Portugal, ou Catherine.

Le Connétable de Bourbon a-t-il vraiment trahi ? Dans une perspective téléologique nationalitaire plus qu’anachronique, maints historiens français répondent par l’affirmative. Toutefois, dans une logique féodale plus factuelle qui correspond au contexte de l’époque, la trahison n’existe pas. Charles de Bourbon « était de sang italien par sa mère et son duché, bien inscrit dans la mouvance française, débordait sur l’Empire pour une petite part, les Dombes à l’est du Beaujolais. Il était le vassal du roi de France mais l’empereur était aussi son suzerain... ». Délaissant la devise habituelle des siens, il prend pour nouvelle devise personnelle : « Omnis spes in ferro est (Tout mon espoir est dans le fer). »

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Le chef des lansquenets

Pendant que les hommes du roi de France confisquent tous ses biens et arrêtent ses proches, le Connétable se réfugie en Franche-Comté. En juillet 1523, il noue une alliance avec Charles Quint et l’Angleterre. Il propose sans succès de soulever ses terres et la Normandie… Bientôt « dépossédé de sa connétablie, Charles de Bourbon en était réduit à se muer en condottière ». Il devient assez vite « un pion que Charles Quint et Henry VIII manipulaient. Le connétable, chef de guerre avisé et excellent stratège, n’avait pas toujours la même perspicacité dès lors qu’il s’agissait de politique et de manœuvres diplomatiques ». Ruiné et pourchassé, Charles-Monsieur se voit contraint de jurer fidélité à Henry VIII en tant que roi de France en 1524.

C’est seulement auprès des troupes impériales que s’épanouit encore le Connétable. Il envahit en juillet 1524 la Provence avec le marquis de Pescara. Le siège de Marseille tourne cependant au désastre. Les Impériaux doivent battre en retraite. Leur reculade permet la reconquête rapide du Milanais par les Français. Mais leur avancée se termine par la monumentale défaite de Pavie en 1525. François Premier est fait prisonnier à Madrid. Le Connétable cherche à peser sur le cours des négociations. Sans aucune réussite. Il ne devient pas le beau-frère de l’Empereur et le roi de France se montre intraitable à son sujet. C’est à ce moment-là qu’il intègre le monde viril des lansquenets. « Leurs costumes bariolés, leurs larges chapeaux de feutre hérissés de plumages multicolores, leurs barbes et leurs longs cheveux donnaient un aspect impressionnant aux lansquenets. Le grondement des hauts tambours et les sons aigrelets tirés des fifres accompagnaient des chants presque psalmodiés qui pouvaient glacer d’effroi leurs adversaires. » « Le mot Landsknecht francisé en lansquenet signifie tout simplement “ gens du pays ”. Il apparaît vers 1470 et désigne un combattant à pied, d’origine germanique, recruté principalement en Alsace, Pays de Bade, Wurtemberg ou dans le Tyrol autrichien. Les lansquenets sont répartis en régiments. Chaque régiment comprend environ quatre mille hommes, divisés en dix compagnies – Fähnlein – subdivisées en Rotten. Chacune de ces escouades est forte de dix lansquenets ou de six porteurs d’épée à deux mains. Le Doppelsöldner, qui porte cuirasse à guimpe et bassinets de fer sur la tête, est un rude gaillard qui, outre son immense épée à deux mains, trouve encore le moyen de porter au ceinturon l’épée normale du lansquenet. »

Charles Quint charge le Connétable de Bourbon de se rendre au Tyrol. Le bon catholique qu’il est y rencontre le principal meneur des lansquenets, le réformé Georg Frundsberg. Les deux hommes de guerre s’apprécient vite. À partir de 1526, Charles de Bourbon dirige les lansquenets allemands luthériens en Italie du Nord. Tous ces marcheurs et leurs homologues à cheval, les reîtres, n’ont qu’un seul objectif en tête : fondre sur Rome la pontificale et la saccager !

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Naguère vice-roi du Milanais à la demande de son souverain, le Connétable aspire à fonder un royaume. « Charles Quint lui fit croire qu’il pourrait ceindre la couronne de fer des Lombards. Il a sans doute rêvé d’un royaume d’Italie, de Milan à Naples. » Il se transforme progressivement en un aventurier à la tête des lansquenets. « Prince du sang, connétable de France puis lieutenant général des armées impériales, il finira comme un réprouvé à la tête d’une armée livrée à elle-même. » En effet, après la mort de Georg Frundsberg, les lansquenets « décidèrent les autres corps à se constituer en une république militaire et on désigna douze soldats, douze élus, pour représenter l’armée auprès de Bourbon ».

La fin d’un puissant songe géopolitique

Au printemps 1527, les troupes impériales assiègent la Ville éternelle. Le 6 mai, un coup d’arquebuse frappe Charles III de Bourbon devant les remparts. Fous de rage, les lansquenets dont le nouveau chef est le prince d’Orange, Philibert de Chalon, s’emparent de la ville et la ravagent. Cela vaudra au Connétable une excommunication posthume. « Le concile de Trente avait pris la peine de rendre un décret ordonnant l’exhumation et la dispersion des ossements. » La légende noire du Connétable commence ! Les sbires de François Premier l’accuseront de vouloir « démanteler le royaume capétien, en donner la couronne au Tudor, s’approprier un immense domaine comprenant aussi bien le Poitou, l’Anjou, le Maine, la Touraine, le Berry que ses terres patrimoniales. Une sorte de reconstitution hybride du grand duché d’Occident, de la Lotharingie et du royaume des Plantagenêts ».

En réalité, le Connétable de Bourbon serait, selon Jean-Joël Brégeon, « le dernier avatar, l’ultime tenant du rêve lotharingien, cette construction politique improbable qui naquit du traité de Verdun (843) pour satisfaire le fils aîné de Louis le Pieux, Lothaire. La Lotharingie allait des îles frisonnes à l’Italie du Nord jusqu’à l’Adriatique et au golfe de Gênes, empruntant le couloir rhénan et franchissant les Alpes pour réunir cette spectaculaire transversale. La Lotharingie disparut avec Lothaire Ier (855) et pourtant son souvenir hanta l’imaginaire médiéval. Elle inspira les ducs de Bourgogne et Charles le Téméraire en avait reconstitué une partie avant de disparaître (1477). Charles de Montpensier était familier de l’histoire de la Bourgogne; ses prétentions sur la Provence, son acharnement à constituer un immense domaine articulé entre Loire et Méditerranée indiquent bien une tentation “ lotharingienne ” qui ne pouvait être tolérée par les Capétiens ». Il s’inscrit néanmoins dans une tradition nobiliaire de contestation de l’État royal capétien. À l’instar des Cabochiens pro-bourguignons de Paris sous la Guerre de Cent Ans, des révoltes féodales de la fin du Moyen Âge comme la Ligue du Bien public et de certaines factions hétérodoxes de la Ligue pendant les Guerres de Religion, « Bourbon avait tout pour séduire ceux qui se complaisaient dans un idéal féodal volontiers frondeur à l’égard de l’institution monarchique ». La révolte justifiée du connétable de France Charles de Bourbon préfigure surtout les actions vaines d’une aristocratie soucieuse de préserver ses libertés d’état. On retrouvera ces réticences à l’extension du pouvoir royal avec la coterie autour de Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII, l’« esprit mousquetaire » dépeint par Alexandre Dumas contre la puissante volonté du Cardinal de Richelieu, et la Fronde des princes (1650 – 1653).

Honni autant par des générations d’historiens et que par une Église catholique romaine qui entame à ce moment-là son long déclin, Charles-Monsieur ne pouvait que plaire, par sa tenue fière et altière, à Dominique Venner. Grâce au livre de Jean-Joël Brégeon, il faut admettre le Connétable de Bourbon, chef des lansquenets de l’Empereur - Roi, parmi les rares Français d’Empire.

Georges Feltin-Tracol

Notes:

1 : Christian Rol, Le roman vrai d’un fasciste français, La manufacture de livres, 2015, p. 307.

2 : Jean-Joël Brégeon, Le Connétable de Bourbon. Le destin tragique du dernier des grands féodaux, Perrin, 2000, 290 p. Les citations non mises en notes sont extraites de cet ouvrage.

3 : Henry Montaigu, La guerre des Dames. La fin des féodaux, Olivier Orban, 1981, p. 95.

4 : Idem, p. 272.

5 : « François, qui voulait être le “ roi chevalier ” et le “ père des lettres ”, souligne Henry Montaigu, est donc bien davantage le père de cette “ patrie ” dont d’ailleurs il porte le nom. C’est pourquoi nous écrivons “ François              Premier ” en toutes lettres et non en chiffres comme il est d’usage, parce que cela devient une manière de surnom qui marque l’origine, le départ d’un cycle nouveau. », Id., p. 282.

  • D’abord mis en ligne sur Vox NR – Les Lansquenets, le 15 novembre 2021.

 

"Le pouvoir des idées de l'unité russo-biélorusse"

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Le pouvoir des idées et l'unité russo-biélorusse

Daria Platonova

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/ideya-sila-rossiysko-belorusskogo-edinstva

En appliquant la doctrine géopolitique de Carl Schmitt, le processus de rapprochement Russie-Biélorussie que nous pouvons observer aujourd'hui, bien qu'à très faible vitesse, est la création d'un "Grand espace" (Großraum) - une alliance volontaire de plusieurs pays s'efforçant d'affirmer collectivement leur souveraineté. L'union des Etats en un seul bloc devient une "idée-puissance" (concept de G. Sorel).

Le 16 septembre, les manœuvres stratégiques des forces armées de Russie et de Biélorussie, baptisées "Ouest-2021" (Zapad-2021), se sont achevées avec la participation d'environ 200.000 militaires de Russie, de Biélorussie, ainsi que d'Inde, du Kazakhstan, de Kirghizie et de Mongolie. Un article du chroniqueur de la rubrique National Security, Mark Episcopos, publié dans la revue néoconservatrice américaine The National Interest, note que l'exercice démontre l'approfondissement des liens militaires entre la Russie et le Belarus. "Cela intervient à un moment où le président Lukashenko, qui se trouve dans une position difficile, subit une pression accrue des sanctions", note Episcopos.

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Dans un autre article, des observateurs de la société privée américaine de renseignement et d'analyse Stratfor (également appelée la "CIA de l'ombre") soulignent que les exercices confirment l'évolution de l'équilibre géopolitique du Belarus en faveur de la Russie ("l'exercice militaire West-2021 souligne la dépendance croissante du Belarus vis-à-vis de la Russie pour contenir l'opposition interne et les actions occidentales", et "pour la Russie, les exercices montrent son engagement à protéger le Belarus").

La plupart des analyses du partenariat russo-biélorusse, que l'on peut trouver dans le segment des médias russophones, se concentrent sur les relations économiques entre les deux pays : discussion sur la création de marchés communs du pétrole et de l'électricité, volumes des prêts russes, maintien des prix du gaz russe au niveau de l'année en cours, unification de la législation du travail et des principes de collecte des impôts indirects. Les libéraux, bien sûr, mettent en avant la "nature dictatoriale" du régime autoritaire de Loukachenko de toutes les manières possibles, et reprochent directement ou indirectement à Moscou son soutien.

Mais la plupart des commentateurs négligent le niveau et la signification sous-jacents des processus d'intégration des États alliés, ce qui est immédiatement remarqué par les publications occidentales dans leur analyse. Et ce n'est pas un hasard, car la géopolitique s'est formée dans le monde anglo-saxon (principalement aux États-Unis), et reste la principale discipline pour l'analyse des relations de politique étrangère.

En appliquant la doctrine géopolitique de Carl Schmitt, le processus de rapprochement entre la Russie et le Belarus que nous pouvons observer, bien qu'à très faible vitesse, est la création d'un "Grand espace" (Großraum) - une alliance volontaire d'un certain nombre de pays cherchant à affirmer collectivement leur souveraineté. L'"idée-puissance" (concept de G. Sorel) unit les États concernés en un seul bloc.  Dans le cas de la Russie et du Belarus, la question se pose de savoir quelle idéologie peut générer cette idée-puissance, ce qui peut lier les pays ensemble, alors qu'ils sont jusqu'ici divisés? Qu'est-ce qui, en dehors des intérêts économiques et des marchés communs, peut assurer l'unité civilisationnelle ? 

Le "pouvoir des idées" devrait se situer au-dessus du plan économique, car il ne s'agit pas d'une question de coopération situationnelle.  Le grand espace garantit une alliance durable des entités constitutives. En termes géopolitiques, la Russie et la Biélorussie visent cette alliance, en rétablissant la logique continentale en opposition à l'expansion de l'hégémonie des puissances atlantiques. Mais quelle idée-puissance se cachera derrière ce bloc géopolitique stratégique ? S'il n'y a pas de pouvoir des idées, tout peut s'écrouler, tout comme le Grand Espace de l'URSS s'est effondré lorsqu'il a perdu son "pouvoir des idées".

Les Velikorosses et les Biélorusses sont les branches d'un arbre dont la racine commune est l'ethnicité slave orientale. Il ne faut pas oublier que la troisième branche est constituée par les Ukrainiens ; l'idée même d'unir les Slaves orientaux dans un seul Grand Espace est déjà assez forte et approfondie. Mais nous pouvons constater que les Ukrainiens, du moins aujourd'hui, sortent de cette logique. Et tout n'est pas si simple avec les Biélorusses. Contrairement à Kiev, Minsk a une attitude positive à l'égard de Moscou, mais plus modérément que les Ukrainiens, les Biélorusses veulent toujours préserver, renforcer et défendre leur identité. Si nous l'oublions, nous versons de l'eau au moulin des nationalistes bélarussiens, qui sont depuis longtemps devenus les outils de l'Occident et qui agissent aujourd'hui au Bélarus, avec les libéraux droits-de-l'hommistes, comme la principale force torpillant l'État d'union. Par conséquent, l'alliance russo-biélorusse doit être construite en tenant compte des particularités de l'identité biélorusse. Ensuite, l'intégration se fera.

L'ennemi commun face à l'Occident, qui impose des sanctions à la Russie et au Belarus, est également un argument important. Mais cette stratégie de résistance deviendra forte lorsque l'idée géopolitique de la civilisation continentale, confrontée à la civilisation maritime, prendra des contours plus nets en Russie même. C'est là que réside le problème. S'unir à la Biélorussie en tant qu'idée de la Russie elle-même exige une nouvelle esquisse, claire et imposante, de l'idée russe. Elle deviendra alors une unification des peuples et des idées, et l'intégration y gagnera en force et en dimension historique.