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vendredi, 27 septembre 2024

Le labyrinthe méta-ontologique

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Le labyrinthe méta-ontologique

Santiago Mondejar Flores

Source: https://geoestrategia.eu/noticia/43415/opinion/el-laberinto-metaontologico.html

Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant de construire un bâtiment que d'avoir une vision claire des fondations des bâtiments possibles.

Wittgenstein

Dans sa « Lettre sur l'humanisme » de 1947, Heidegger [1] modifie l'image de l'être en tant que langage pour le caractériser comme la maison de l'être, affirmant que le langage est le domaine dans lequel l'être réside et se manifeste. Cette image de la maison montre que la langue ne se contente pas d'accueillir l'être humain, mais qu'elle définit également l'espace dans lequel l'être peut apparaître. Heidegger affirme ainsi que le langage aménage l'espace et la structure nécessaires à l'émergence et au développement de l'être, et souligne que ce lieu ne sert pas seulement à exprimer l'être, mais qu'il façonne également la vie dans le monde.

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Cette idée n'est pas sans rappeler le concept de Geltungssphäre [2] d'Emile Lask (photo), qui est moins un espace propositionnel qu'une sphère nomologique d'objets signifiants, un domaine de validité (pour Lask, l'objet lui-même n'est rien d'autre que du sens). Nous reviendrons sur Lask à la fin de cet article. Pour l'instant, ce qui nous intéresse est de souligner l'idée métaphysique selon laquelle le langage permet un cadre topologique dans lequel nos expériences individuelles sont organisées et acquièrent un sens, reflétant une réalité commune qui influence nos interactions et la façon dont nous construisons des significations, au moyen d'opérations mentales qui sont fondamentalement développées par la socialisation des sujets, qui est ontologiquement constituée par l'espace sémantique du langage, en tant que maison commune.

La fonction de l'esprit consiste donc à structurer l'univers auquel il appartient, et cette structure représente le registre de l'intelligibilité par rapport au monde et à la connaissance : ce n'est qu'à travers les structures sémantiques superposées du langage que la socialisation devient un espace normatif pour le sujet, et les expériences et les pensées, vécues de manière privée, ne sont structurées comme telles que dans la mesure où elles sont liées à cet espace normatif, à un moment objectif et intersubjectif, sinon isothymique et mégathymique [3].

Dans une perspective ontologique, la sémantique, entendue avec Heidegger [4] de manière topologique, ne représente donc pas seulement la réalité, mais permet aussi de l'organiser et de la structurer. L'étude de la sémantique transcende donc l'analyse des relations entre les termes et leurs significations, pour devenir une exploration de la manière dont ces relations façonnent la signification et la structure de la réalité. Tels sont, en substance, les éléments épistémiques avec lesquels le philosophe italien Giovanni Gentile [5] a élaboré sa notion d'ontologie de l'existence sociale, dans laquelle il postule que la réalité n'est pas une entité indépendante de la pensée, mais une construction de l'acte de penser, où l'existence se réalise à travers l'activité de la pensée, de sorte que les relations et les structures sociales sont des actualisations continues de la pensée dans le lieu social.

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Ainsi, pour Gentile (photo), l'existence sociale ne constitue pas une entité objective indépendante, mais plutôt une élaboration dynamique de l'esprit et de l'action humaine, manifestant comment la réalité sociale est intrinsèquement liée à la pensée et à l'action dans un contexte social où l'individu acquiert un sens. L'ontologie de l'existence sociale rend donc compte de l'unicité du sujet, de sa relation avec la réalité centrée sur le logos et de l'appréhension authentique de la suidad [6] selon des critères anthropocentriques.

L'ontologie de l'existence sociale à la Gentile impose alors que la société et ses structures ne soient pas des entités objectives qui existent indépendamment des individus, mais qu'elles se constituent dans le processus de la pensée et de l'action collectives. Pour le philosophe italien, la société est un processus constant de construction, où le je et le nous s'influencent mutuellement, tissant une réalité partagée qui ne peut être comprise que comme une concausalité.

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Bruno Latour et Graham Harman

Les travaux d'une nouvelle génération de réalistes spéculatifs qui ont vu le jour abondent dans cette idée, mais ils vont plus loin, appelant à un tournant ontologique qui critique l'anthropocentrisme dans la théorie sociale et la philosophie, remettant en question, d'une part, la vision qui réduit les objets à de simples instruments de l'action humaine et, d'autre part, la perspective qui limite les objets à des manifestations de nos perceptions. Les représentants les plus importants de ce courant sont probablement l'intellectuel catholique Bruno Latour (photo) [7], avec sa théorie de l'acteur-réseau, et le philosophe américain Graham Harman (photo) [8], avec son ontologie orientée objet. Les deux postulats convergent dans le substantiel, de sorte que, pris ensemble, ils proposent une modification de la totalité de l'exceptionnalité humaine dans le cadre d'une altérité radicale fondée sur la prolifération des entités. Si le premier conteste non seulement la centralité du sujet, mais accorde l'autonomie à un réseau d'acteurs humains et non-humains (à partir duquel il soutient que la réalité sociale émerge d'interactions distribuées plutôt que d'être une création exclusive de la pensée humaine), le second défend l'existence d'objets indépendants de nos perceptions et conceptions, de sorte que les objets ont une existence propre et interagissent d'une manière qui transcende leurs relations avec d'autres objets et êtres humains.

Ce que proposent ces penseurs réalistes implique en effet un renversement de l'intentionnalité phénoménologique (post-phénoménologique, pourrait-on dire), reconfigurant la relation traditionnelle à l'objet et rejetant l'attribution de qualités subjectives à l'objet. Pour sa part, Harman reconceptualise l'objet expérimenté au sein des actes intentionnels, à partir de la notion heideggérienne d'être, mais ensuite, afin d'établir l'autonomie de l'objet et de réduire la primauté du sujet, il applique une sorte de suspension du jugement à l'égard du sujet, afin de libérer l'objet de ses liens avec lui, tout en conservant une certaine structure phénoménologique.

Ce déplacement conceptuel entraîne une modification de l'ensemble des attributs existentiels associés à l'objet, de sorte que la conscience et la subjectivité de l'être disparaissent, et que l'objet émerge avec une vie propre. En d'autres termes, l'objet ne se limite pas à être une entité passive, mais, au contraire, il acquiert progressivement de l'autonomie, se détachant de son contexte d'origine pour entamer une existence indépendante. C'est-à-dire qu'il subit, à la manière cartésienne [9], un certain dualisme en tant qu'idée de séparation ontologique : les objets sont considérés comme des entités autonomes qui existent par elles-mêmes, sans dépendre de leur relation à d'autres objets ou à des sujets humains. Cela implique d'ailleurs une résistance à la réduction : là où Descartes met l'accent sur la séparation entre l'esprit et le corps comme deux types d'existence, Harman met l'accent sur l'autonomie des objets en eux-mêmes.

Cependant, sa métaphysique systématique n'est pas exempte d'ambiguïtés. Il est, par exemple, douteux que l'égalitarisme ontologique appliqué à tous les objets parvienne à surmonter la force centripète des objets au sein de l'esprit, puisque le tournant ontologique proposé n'est saisissable qu'à partir de l'intellection sensible. À son tour, comme conséquence de la négation de l'existence d'une base ultime pour les objets, afin d'éviter le réductionnisme, l'égalitarisme ontologique tend, par définition, à une régression à l'infini.

À ces incohérences s'ajoute une certaine fragilité inhérente au pluralisme ontologique, dérivée du théorème qui postule que tous les objets doivent être pris en compte de manière égale. Cela n'implique pas que tout existe dans la même mesure, mais plutôt que tout peut (et doit) être considéré comme un objet. En d'autres termes, dans le cadre du pluralisme ontologique, même si les objets ne sont pas également réels, ils sont également des objets, ce qui signifie que quelque chose peut exister en tant qu'objet irréel qui mérite d'être inclus dans le domaine de la pensée ontologique, parce qu'il représente un aspect donné de la réalité.

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Ces entités ne sont pas seulement irréelles du point de vue de l'objectivité, mais elles se multiplient immédiatement en quatre modes d'être distincts : chaque objet est une entité quadruple, divisée en quatre aspects qui ne coïncident jamais complètement les uns avec les autres : (a) l'objet réel, (b) ses multiples qualités réelles, (c) l'objet sensible et ses (d) multiples qualités sensibles. En outre, les relations sont divisées en fusion et fission, générant dix concepts relationnels principaux : (i) fusion : causalité - essence, (ii) fusion : attraction - espace, (iii) fission : théorie - eidos, (iv) fission : confrontation - temps, (v) sincérité, (vi) disjonction, (vii) contiguïté, (viii) duplicité, (ix) contraction et (x) émanation.

Naturellement, cette conception de l'ontologique s'oppose au précepte de Guillaume d'Ockham [10] selon lequel il ne faut pas multiplier inutilement les entités pour décrire la réalité, et est au contraire inflationniste sur le plan ontique, s'efforçant d'intégrer le plus large éventail possible d'objets pour représenter la réalité.

En outre, le concept d'essence cachée des objets se caractérise par son indépendance par rapport à toutes les relations extérieures et par son existence en tant que séparation des éléments qui la composent. Cette essence reste inaccessible à l'état pur, car la substance se trouve dans une sorte de sphère éternelle -au-delà du temps - et persiste comme un vestige qui rend le changement possible, même si ce changement peut entraîner la désintégration de l'objet.

Selon ce pluralisme ontologique, les substances sont omniprésentes et il n'y a pas d'ensemble ultime d'éléments constitutifs qui explique tout le reste ; au contraire, comme nous l'avons vu plus haut, on plonge dans une régression indéfinie de parties et de tout : chaque objet est à la fois une substance et un complexe de relations, défini parce que les objets ne peuvent pas être réduits à des constituants d'un plus grand tout ou décomposés en la somme de leurs parties.

11295389.jpgEn somme, quelque chose reste toujours caché, de sorte qu'on ne peut même pas imaginer une entité capable d'accéder pleinement à tout le reste, puisque la substance d'un objet est sa dissimulation, tandis que son aspect relationnel est sa représentation, ce qui conduit à la ramification de tous les objets en modes d'enfermement multiples et singuliers. Il est évident que cette notion tend vers la circularité, puisque si les objets sont toujours cachés et ne peuvent être pleinement connus, toute déclaration à leur sujet est spéculative et circulaire, puisque la notion de dissimulation est une hypothèse axiomatique, qui n'est ni réfutable ni vérifiable. Et maintenant. Malgré ces idiosyncrasies terminologiques et les incohérences déjà notées, l'effort de l'ontologie orientée objet pour transcender la portée du réalisme (compris comme la croyance en une réalité qui existe en dehors de l'esprit) afin d'ouvrir un débat spéculatif sur la question de savoir si les objets possèdent une réalité indépendante des perceptions individuelles est louable ; en d'autres termes, qu'il n'y a pas seulement une réalité extra-fondamentale, mais aussi une réalité extra-mentale, mais qu'elle transcende par addition les interactions partielles entre les objets, posant ainsi que les objets interagissent avec une réalité partagée au-delà des simples schématisations de chaque entité.

Rappelons que Heidegger soutenait déjà que l'une des difficultés de la philosophie réside dans l'incapacité de l'état d'esprit cartésien - également compagnon de route du tournant kantien [11]- à distinguer entre le monde comme ensemble d'objets (comme cosmos, κόσμος) et le monde comme praxis à laquelle l'être participe et à travers laquelle il s'affirme poïétiquement. Selon Heidegger, au lieu de considérer l'être humain comme un sujet séparé d'une totalité d'objets, il faut comprendre que ce n'est que dans une perspective pragmatique [12] que l'on peut remettre en question l'existence d'objets individuels ou même de tout un système d'objets.

En définitive, ce que Heidegger propose ici, c'est le passage d'une épistémologie à une ontologie existentielle. Selon l'Allemand, la perception de la réalité dans une culture est intimement liée à l'interprétation de ses pratiques, sans que cela ne réduise l'authenticité de cette interprétation. En ce sens, on peut voir en Heidegger un réaliste pluraliste à l'égard de la réalité ultime : pour lui, nous ne disposons pas d'une perspective univoque pour en comprendre l'essence véritable. La compréhension de la réalité est liée à l'être du Dasein [13], et ce que nous percevons comme réel est lié à nos objectifs.

Comme la réalité dépend d'un Dasein fini, il peut y avoir plusieurs réponses vraies à la question de savoir ce qui est réel. Heidegger n'est ni idéaliste ni relativiste si l'on comprend qu'il n'existe pas de système descriptif unique capable de refléter toute la réalité. Au contraire, les différentes manières de comprendre l'être révèlent des entités différentes, et l'acceptation d'une perspective n'implique pas le rejet des autres.

Il s'agit là d'une torpille dans la ligne de flottaison de la radicalisation cartésienne de la dualité corps/psyché, obtenue en grande partie en rejetant la catégorie hellénique et scolastique de phantasia [14] (φαντασία), qui servait à réconcilier de manière quasi-matérielle les images mentales et le corps. À partir du paradigme cartésien, la philosophie abandonne la connaissance de la nature du monde, qui passe aux mains de la science empirique, et met l'accent sur la possibilité de connaître le monde. Mais c'est véritablement Kant qui franchit le Rubicon de la modernité avec les armes et le bagage de sa réponse aprioristique, qui marque un tournant dans le développement de la pensée occidentale, notamment parce que les sciences sociales ont eu tendance à se concentrer davantage sur la psyché que sur le corps, et sur l'intellect que sur l'expérience vécue.

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S'il existe encore des courants matérialistes dans les sciences sociales, il n'en reste pas moins que nombre de ces courants ont eu tendance à privilégier une approche mentaliste, voire carrément idéaliste. Cette tendance a entraîné une redéfinition du concept d'épistémologie, qui est passé de l'étude de la nature et de la viabilité de la connaissance à un simple traitement des questions liées à la connaissance, voire à une assimilation fréquente à la notion même de connaissance.

Cette évolution est d'une grande importance. Quelques exemples peuvent nous aider à y voir plus clair : d'une part, bien que le structuralisme puisse influencer nos conceptions de la connaissance, il ne doit pas être confondu avec une épistémologie en soi. D'autre part, l'anthropologie culturelle se concentre sur l'étude de divers systèmes de connaissances, qu'elle désigne généralement sous le nom de cultures.

En partant du principe que nous ne pouvons accéder qu'à la corrélation phénoménologique entre la pensée et l'être, sans pouvoir examiner ces éléments de manière isolée, ce point de vue est en effet anti-réaliste. De plus, en liant la vérité à l'acceptation sociale ou épistémique, elle détourne l'attention de l'objectif du réalisme : alors que le réalisme nous pousse à rechercher un lien authentique avec la réalité extérieure, la vérité comprise en termes de vérification et d'acceptation dicte la modalité des interactions sociales, minimisant l'importance de la vérité elle-même.

Ainsi, en recadrant la vérité en termes épistémiques, l'anti-réalisme adopte souvent une approche néo-comportementaliste, qui réduit la signification à des comportements observables, en ignorant les aspects plus profonds de la vérité et en limitant artificiellement les concepts. Cet aspect a des implications politiques importantes, car fonder la vérité sur l'acceptation et le comportement impose des restrictions simplistes et arbitraires qui sont socialement et moralement injustifiables [15].

C'est ici que les propositions de Harman deviennent vraiment pertinentes, car son système cherche à résoudre le conflit dilemmatique entre la valeur d'un réseau de descriptions qui n'accède pas à la réalité des choses et la valeur d'un système métaphysique de réalisme épistémique, en particulier lorsque la réalité est limitée à ce qui a déjà été découvert par la science.

À cette fin, son modèle de pluralité ontologique part d'une critique de l'idée d'un monde unique et indifférencié : l'insistance sur une nature unitaire est un reflet de l'ontologie dualiste post-cartésienne, et l'on peut se demander s'il est légitime de l'imposer à d'autres cultures en raison d'une interprétation subjective de celles-ci.

Il est facile de voir comment, à partir de ces prémisses, la tentation peut naître d'utiliser la pluralité ontologique comme un instrument d'ontologie politique dans la lutte pour une anthropologie culturelle militante. Mais cette application du réalisme spéculatif de Harman et Latour est fallacieuse et contradictoire [16], et conduit à créer plus de problèmes qu'elle n'en résout : si la culture est composée d'ensembles de symboles partagés et appris qui désignent le soi et la manière d'agir sur lui, alors la culture et l'ontologie peuvent être comprises comme des formes de symbolisation culturelle.

L'ontologie, par essence, s'intéresse aux symboles relatifs à la nature de l'être. Cela implique que la culture, en tant que système de symboles, peut être considérée comme un processus de construction ontologique, dans lequel les symboles jouent un rôle crucial dans la conceptualisation de l'être et les manières d'interagir avec lui.

En outre, les symboles culturels présentent une hiérarchie de degrés d'abstraction et de portée. Les symboles à haut degré d'abstraction et de portée sont de nature plus ontologique, c'est-à-dire qu'ils traitent de l'essence de l'être dans un sens plus profond et plus abstrait. En revanche, les symboles à faible degré d'abstraction et de portée se concentrent sur les éléments directement observables, c'est-à-dire sur ce qui peut être perçu et vu plus immédiatement.

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La critique des limites de l'application du pluralisme ontologique à l'anthropologie est évidente : en mettant l'accent sur l'autonomie des objets et leur existence indépendamment des relations et des perceptions humaines, elle tend à traiter les objets comme des entités en soi, qui occultent toute relation ou interaction complète. Cela conduit, en pratique, à formuler une conceptualisation des objets comme des noumènes kantiens, c'est-à-dire des réalités qui existent au-delà de notre capacité de compréhension complète.

Naturellement, cela pose problème du point de vue des symboles culturels, car, à première vue, cela impose une perspective qui traite les objets comme des entités purement abstraites, déconnectées des relations culturelles et contextuelles qui leur donnent un sens, ce qui, paradoxalement, ignore la pluralité et la variabilité des perspectives culturelles et contextuelles qui influencent la manière dont les objets sont compris et expérimentés.

C'est le cas, par exemple, des symboles culturels hautement abstraits, qui se concentrent sur l'essence de l'être, et dont on voit mal comment ils pourraient rendre compte de la complexité de la pluralité ontologique à l'aide des modèles de Harman.

Par conséquent, toute évolution un tant soit peu substantielle de l'anthropologie culturelle vers le domaine de l'étude des objets implique l'adoption d'une interprétation métaphysique pour recadrer la discipline en termes d'altérité ontologique, ce qui , à l'extrême, peut conduire à postuler l'existence de mondes multiples inhérents aux objets, afin de contourner les contradictions susmentionnées. En d'autres termes, l'instrumentalisation de l'anthropologie culturelle pour reformuler les ontologies sociales à travers la perspective des objets a pour conséquence de reléguer les agonismes politiques des sujets humains à l'arrière-plan, permettant aux théories de la réalité d'être formulées sans considération profonde des conséquences politiques de leurs postulats, et en fait, à toutes fins utiles, de perpétuer la domination épistémique cartésienne qui favorise la préservation du statu quo académique dans les sciences sociales en termes de relations de pouvoir internationales. En conséquence, la complexité des expériences et des perspectives humaines est ignorée [17] au profit d'interprétations abstraites de la nature fondamentale du monde (ou des mondes, selon le cas), ce qui permet le développement de théories sociopolitiques utopiques, dans le sens où l'on sacrifie le présent pour l'avenir en partant du principe que ce qui n'est pas faisable aujourd'hui le sera demain.

Son péché originel tient au volontarisme qui consiste à ne pas admettre que le concept fonctionne comme un reflet de ce qu'il représente, sans être lui-même identique à ce qui est représenté. En d'autres termes, le concept n'est pas synonyme de ce qu'il imite superficiellement ; n'étant qu'une simple similitude, il ne possède pas lui-même la nature de ce qui est représenté. Par conséquent, l'esse naturale (l'être existentiel dans son essence la plus profonde) est confondue avec l'esse intentionale (l'être par rapport à l'intention ou à la représentation), ce qui conduit à la conviction erronée que les concepts possèdent une sorte d'être ou de réalité intrinsèque qui reflète directement l'essence de ce qu'ils représentent, alors qu'en vérité, ils ne fonctionnent que comme des similitudes et non comme des entités réelles dotées d'une existence autonome.

Cette façon d'instrumentaliser l'ontologie n'est rien d'autre qu'un simulacre métaphysique, dans les mystifications duquel on trouve des traces du néo-kantianisme d'Emile Lask, incarné dans sa théorie de la validité dans le traitement du concept d'être. Heidegger, initialement influencé par Lask, a noté comment la validité et le sens sont imbriqués dans l'histoire et la conscience, bien qu'il se soit distancié des abstractions logiques employées par Lask pour étudier la relation entre l'être et l'expérience historique concrète.

Heidegger a critiqué le système de Lask précisément parce qu'il met l'accent sur la validité logique en tant qu'abstraction qui ne permet pas de saisir de manière adéquate la dynamique de l'expérience humaine. Il propose au contraire une ontologie capable de reconnaître l'importance du contexte historique et de la subjectivité de l'expérience humaine dans la concrétisation de la détermination du sens.

Heidegger a également remis en question la façon dont Lask traite la validité du jugement comme étant directement comparable aux objets réels : pour Lask, les objets ne sont connus qu'à travers la cognition et le jugement, et il a jugé cette perspective insuffisante, car elle n'aborde pas la façon dont la conscience est intentionnellement orientée vers les objets. Il a donc développé une logique subjective qui intègre l'intentionnalité de Husserl [18] à la théorie de la validité de Lask. Au lieu de considérer la validité comme une catégorie fixe, Heidegger l'a comprise comme une dynamique profondément liée au contexte historique et à l'expérience subjective.

Dans Être et temps, il étudie la manière dont l'être se manifeste dans notre compréhension interprétative du monde, soutenant que la validité des objets n'est pas une entité isolée, mais qu'elle est liée à la manière dont nous nous engageons avec eux. L'histoire et le soin (Hingabe [19]) de l'être sont essentiels pour comprendre le sens, car l'être ne se présente pas comme une entité fixe, mais dans le réseau d'implications que nous construisons à travers nos pratiques et nos valeurs historiques.

Reprenant à Karl Jaspers [20] le concept d'Ur-etwas (ce qui sous-tend l'expérience humaine et le fondement de l'existence), Heidegger s'intéresse à la manière dont l'histoire et la dynamique de l'être influencent l'imposition de normes et de valeurs, abordant ainsi Gentile sous l'angle de l'expérience humaine et du contexte historique. Pour Heidegger, cependant, la validité ne doit pas être comprise comme un domaine spécifique ou une sphère séparée, mais comme quelque chose qui se manifeste dans l'interaction entre la matière et la forme [21] au sens de Zubiri. L'empreinte de Martin Heidegger - qui n'est pas totalement exempte de l'influence d'Emile Lask - sur l'émergence de la métaphysique et de l'ontologie orientée objet de Graham Harman est inappréciable. Bien que Harman s'écarte de la phénoménologie heideggérienne en attribuant aux objets une autonomie ontologique qui transcende la perception humaine, sa pensée est ancrée dans la critique heideggerienne de l'idéalisme pré- et post-kantien.

Cependant, en mettant l'accent sur la praxis et l'histoire comme essentielles à la compréhension de l'être, Heidegger a jeté les bases d'une réévaluation des objets en eux-mêmes, et Harman, avec Latour, pousse cette idée jusqu'à ses ultimes conséquences, en proposant que les objets possèdent une réalité qui va au-delà de leur interaction avec les êtres humains. Cette conception est finalement une extension de la critique heideggerienne de la réduction de la réalité à une simple construction cognitive. L'école réaliste de Harman étend cette critique en proposant un cosmos où les objets réels interagissent et existent indépendamment de tout observateur ou schéma particulier, établissant ainsi un nouveau jeu méta-ontologique.

Notes:

[1] Heidegger, M. (2012). Lettre sur l'humanisme. Ediciones Istmo.

[2] Lask, E. (1999). La théorie de la valeur : une introduction à la phénoménologie. Editorial Losada.

[3] L'isothymique et le mégathymique sont des catégories qui articulent différentes formes d'aspiration à la reconnaissance dans la sphère sociale et personnelle. Le concept d'« isothymie » renvoie à l'aspiration à être reconnu sur un pied d'égalité avec les autres, où l'individu cherche à recevoir un statut et un respect comparables à ceux de ses pairs, préservant ainsi un équilibre dans la distribution de la reconnaissance. Ce penchant isotymique peut être compris comme une demande de justice distributive dans le domaine symbolique et social. En revanche, la « mégathymie » exprime une aspiration à la prééminence et à la distinction. Le sujet mégathymique ne se contente pas d'une reconnaissance égale, mais aspire à une position de supériorité, cherchant à s'élever au-dessus des autres en termes d'autorité, de pouvoir ou de prestige. Cette quête de suprématie repose sur une structure hiérarchique de reconnaissance, où la valeur personnelle est mesurée en fonction de la capacité à exceller et à dominer. Les deux termes, dans leur contraste, permettent une compréhension plus nuancée de la dynamique du désir de reconnaissance et des structures sociales qui le façonnent.

[4] Heidegger, M. (2008). De l'essence de la vérité. Editorial Paidós.

[5] Gentile, G. (2003). El pensamiento y la realidad : Ensayos de filosofía política. Editorial Alianza.

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[6] Pour Xavier Zubiri (photo), la suidad est le moment de la formalité de la réalité. Il exprime que le contenu de la chose est « son » contenu.

[7] Bruno Latour s'est imposé comme une figure clé des sciences sociales depuis les années 1990. Sa principale contribution est la théorie de l'acteur-réseau (ANT), dans laquelle il propose que les objets humains et non humains interagissent et s'influencent mutuellement, remettant en question la division traditionnelle entre l'humain et le non humain. Bien que Latour accorde une place centrale à l'observateur humain, son approche reconnaît également l'importance des relations entre objets. Contrairement à Heidegger et Whitehead, Latour a été critiqué pour avoir défini les objets en fonction de leurs relations. Selon Latour, une entité ou un acteur est défini par ce qu'il fait, une perspective qui rappelle la théorie de Hume selon laquelle les objets sont des « paquets » de propriétés. Cette vision limite l'exploration de l'écart entre la qualité de l'objet et son apparence, une préoccupation centrale dans la phénoménologie de Husserl. En outre, elle s'écarte de la notion heideggerienne de l'être comme quelque chose qui se retire, puisque dans les théories de Latour et de Whitehead, le caché est conçu comme une énigme temporelle que des relations futures pourraient résoudre. Dans ce contexte, Latour présente un défi important à l'influence durable de Kant sur la philosophie contemporaine, en particulier en ce qui concerne sa notion de noumène (la chose-en-soi).

[8] Harman, G. (2017). L'art de la phénoménologie : les objets en eux-mêmes. Editorial Losada.

[9] Descartes, R. (2005). Méditations métaphysiques. Editorial Gredos.

[10] Ockham, W. (2008). Summa Logicae. Editorial Biblioteca de Autores Cristianos.

[11] Kant, I. (2001). Critique de la raison pure. Editorial Losada.

[12] La praxis est l'action consciente et réfléchie orientée vers la transformation de la réalité, guidée par des principes éthiques. Les pragmata (ou prágmata) désignent les matières, les choses ou les actions concrètes qui résultent de la pratique et qui ont une dimension tangible ou utilitaire. Poeisis, quant à elle, est le processus créatif qui consiste à faire naître quelque chose, généralement associé à la production artistique. Ces notions sont liées, car la praxis implique des décisions et des actions concrètes (pragmata) et se nourrit souvent de créativité et de création (poeisis), influençant la manière dont la transformation pratique se manifeste dans le monde.

[13) Le concept de Dasein de Heidegger fait référence à l'être humain dans son existence concrète et son immersion dans le monde particulier. Le Dasein est un être défini par sa relation au monde et non par une essence abstraite. Cette notion est similaire à l'idée du « je » d'Ortega y Gasset dans El yo y sus circunstancias, où l'être humain est intrinsèquement lié à ses circonstances historiques et sociales. Les deux approches soulignent l'importance du contexte dans la formation de l'identité et de l'expérience, révélant l'interdépendance entre l'individu et son environnement

[14] Descartes introduit une distinction claire entre l'imagination et la raison. Pour lui, la raison est la faculté première de la vraie connaissance, tandis que l'imagination est plutôt associée à la capacité de former des images et des représentations mentales qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Dans son ouvrage « Méditations métaphysiques », Descartes met l'accent sur la pensée rationnelle et la méthode du doute systématique pour atteindre les certitudes, reléguant l'imagination à un rôle secondaire dans la recherche du savoir absolu. L'imagination est considérée comme une fonction du corps et non de l'âme. Descartes considère l'imagination comme une activité du corps, liée à la glande pinéale et à la capacité du cerveau à former des images, par opposition à la pureté de la pensée rationnelle, qui réside dans l'esprit immortel ou l'âme. L'imagination n'a pas la même valeur épistémologique que la raison pure, capable d'atteindre les vérités universelles. Bien que Descartes n'élimine pas complètement le concept d'imagination, il remet en question la validité des représentations mentales dans l'obtention d'une connaissance véritable. Les images mentales peuvent être des constructions du corps et ne reflètent pas nécessairement la réalité objective. Descartes se concentre sur la pensée claire et distincte comme base de la connaissance certaine.

[15) Les sciences de la vie en général, et la psychologie comportementale en particulier, ont adopté une perspective réductionniste et déterministe qui présente une vision déshumanisante de l'humanité, conçue comme une simple entité instinctive et mécanisée. Dans cette perspective, la croyance dans le libre arbitre est rejetée comme une simple illusion. En substance, on affirme que les êtres humains sont le résultat de processus physiques dans le cerveau, qu'ils soient innés ou façonnés par des stimuli environnementaux, tels que la structure familiale et la culture. Dans ce cadre, chaque événement physique est régi par une causalité immuable, où les états antérieurs du cerveau et du corps déterminent inexorablement les états ultérieurs. Le cerveau et le corps étant considérés comme des objets physiques, leurs événements sont, en principe, totalement prévisibles et déterminés. Ainsi, bien que notre compréhension de tous les facteurs qui influencent le comportement humain soit limitée, on peut affirmer que le comportement humain est complètement conditionné par des éléments qui échappent à notre contrôle, tels que la neurochimie et notre histoire personnelle. Par conséquent, l'existence du libre arbitre et de l'agence est niée, et la conscience n'est qu'un épiphénomène illusoire du cerveau, sans réalité ontologique propre.

[16] Latour, B. (2012). Réassembler le social : une introduction à la théorie de l'acteur-réseau. Editorial Siglo XXI.

[17] Il s'agit d'une stratégie similaire à la formulation de la théorie des multivers, qui représente en réalité un « vol par élévation » qui tente de contourner les limites de la science pour répondre aux questions fondamentales sur l'origine de l'univers connu. Au lieu d'admettre les limites de la science, la théorie des multivers propose l'existence d'univers multiples comme une solution qui n'est pas falsifiable et qui échappe donc au domaine de la science empirique, évitant ainsi d'affronter la possibilité que certaines questions restent sans réponse dans le cadre scientifique[18].

[18] Husserl, E. (2013). Recherches logiques. Ediciones Trotta.

[19] Hingabe est un terme utilisé par Lask pour désigner l'« abandon » ou le « dévouement » qui caractérise notre relation au monde. Dans le contexte de la philosophie de Lask, Hingabe exprime la manière dont les êtres humains se rapportent au monde par une attitude d'attention et d'engagement. Ce concept implique que notre compréhension du monde ne repose pas uniquement sur une cognition abstraite, mais sur une implication active et expérimentale dans la réalité. L'hingabe reflète une manière d'être au monde qui est immergée dans l'expérience et la valeur historique, contrairement à une simple observation externe ou désintéressée. Pour Lask, la validité et le sens émergent de cette relation engagée et attentive, où les valeurs et les catégories ne sont pas simplement des constructions théoriques, mais des aspects vitaux de la façon dont nous nous donnons au monde. Hingabe ne décrit pas seulement une attitude personnelle, mais devient également une base pour comprendre comment les significations sont façonnées et expérimentées dans la vie pratique et la théorie philosophique.

[20] Jaspers, K. (2011). El camino de la sabiduría : Introducción a la filosofía. Editorial Losada.

[21] Au sens zubirien, la « forme » est comprise comme une dimension essentielle et intrinsèque de la réalité qui définit et organise les objets, influençant leur identité et la perception que nous en avons. Pour Xavier Zubiri, la forme n'est pas un agrégat superficiel, mais un principe constitutif qui met en relation la matière et la forme dans une dynamique réciproque. La forme façonne les objets et, en même temps, elle est fondamentale pour l'expérience cognitive, car elle détermine la manière dont ils se manifestent et sont connus dans la réalité. Cette vision intègre la forme comme un aspect central de l'ontologie et du processus de connaissance.

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