samedi, 01 mars 2025
Rod Dreher et la civilisation de l’avenir
Rod Dreher et la civilisation de l’avenir
Claude Bourrinet
Source: https://www.facebook.com/profile.php?id=100002364487528
Rod Dreher, dans un article paru dans The European Conservative, repris par breizh-info.com, le 27 février, rappelle ce qui peut sembler une évidence, que, « sans les Européens, l’Europe n’a pas d’avenir ».
Ce catholique américain a publié, il y a quelques années, un essai roboratif, quoique pessimiste, Le Pari bénédictin, remettant, pour ainsi dire, l’église au centre du village, non sans souligner combien il serait vain d’attendre de cette restitutio un « avenir » redonnant, comme un « rivival » civilisationnel, un nouveau souffle à l’Occident. Il constatait en effet que la société engendrée par le triomphe matérialiste, consumériste, hédoniste, individualiste de la modernité, avait vidé de tout sens religieux, spirituel, et même humain, les relations politiques, sociales, familiales, amoureuses etc.
Il concluait donc que le « progrès » avait instauré un monde radicalement hostile au christianisme et à ce qu’il incarne, à ses valeurs de solidarité, d’amour du prochain, de sacrifice, de pauvreté assumée, de beauté gratuite, de respect des choses, et à sa croyance en une réalité suprahumaine qui nous inspire et règle, pour certain, le mode d‘existence. Il percevait même dans cette disparition intégrale de ce qui faisait notre identité un oubli total des principes métaphysiques et des grands Récits constitutifs de ce que nous avions été. Le passé n’est plus connu, et l’inculture religieuse est fréquente, même aux États-Unis, où, dorénavant, les athées sont en nombre supérieur à celui des croyants, et où même ces derniers, candidement, adhèrent à un programme « progressiste » (avortement, GPA, euthanasie, changement de sexe etc.) qui aurait fait horreur à leurs grands-parents. Il anticipait, de ce fait, les conclusions d’Emmanuel Todd, qui a désigné l’étape actuelle de la déchristianisation dans l’Occident décadent, comme le degré zéro de la religion, après l’étape précédente, le stade « zombie ».
Pour lui, l’une des déclinaisons de cet effondrement civilisationnel est la baisse démographique catastrophique des pays européens. Il s’empresse de rappeler, néanmoins, que cette décroissance touche toutes les nations, sauf celles de l’Afrique subsaharienne. Le renouvellement des générations n’est donc pas assuré. L’avenir, notre avenir, nous est donc fermé. No Future, clamaient les Punks.
Cette diminution affolante de la substance vitale de l’Europe est prise comme une fatalité, qui a semblé justifier les politiques européistes d’immigration massive. Dreher assure que les députés « conservateurs » ont protesté contre ce programme, qui s’impose aux dépens d’autres politiques possibles. A vrai dire, et nous n’entrerons pas dans les détails, il paraît plutôt que cette perspective démographique a été mise en œuvre aussi bien par la gauche que par la droite, contredisant apparemment les peuples, qui, pourtant, ont toujours voté pour eux, et marginalisant les réfractaires par des accusations de racisme. L’immigration de masse a été organisée au nom des « valeurs » de l’Occident, de ses valeurs humanistes, etc. Toute hostilité la concernant s’est heurtée à un mur de béton, à une « pensée unique ».
Toutefois, comme Dreher le rappelle, l’évolution du rapport des forces a changé. Pour lui, on entre dans un nouveau « paradigme ». La pression de la « réalité » a permis à certains partis de droite anti-immigration d’accéder au pouvoir, comme en Hongrie. Il cite, à cet égard, longuement Viktor Orbán.
L’alternative à l’immigration serait bien entendu un surcroît d’enfants. Le gouvernement hongrois a déployé une politique nataliste décidée, mais sans grands effets. La dernière mesure est «une exonération à vie de l’impôt sur le revenu pour les femmes qui ont deux enfants ou plus ». Il s’agit là, pour l’État, d’un manque à gagner considérable, mais qui fait le pari de l’avenir. Les résultats sont « mitigés ». Dreher cite le démographe nataliste Lyman Stone : « Les politiques de la Hongrie jusqu’à présent révèlent une triste réalité: les changements de politique, même spectaculaires, ne suffisent tout simplement pas à créer le monde que de nombreux conservateurs souhaitent ». Le volontarisme, en ce domaine, est vain, comme, dans un autre ordre, l’interdiction de l’avortement.
Car, en vérité, les raisons de faire ou de ne pas faire d’enfant(s) ne dépendent pas du facteur financier. La cause en est surtout culturelle, au sens large, sociologique, du terme. Dans tous les pays où le niveau de vie a augmenté, et où il aurait été possible de « nourrir » plus d’enfants, c’est le contraire qui s’est produit. Ce sont dans les milieux pauvres, voire misérables, que la natalité est prolifique. Les ménages qui accèdent à un certain statut d’existence lié à la société de consommation, et à tout ce que ce cadre promet de divertissement, de loisirs, de « libertés » (même conditionnées par le marché), ne désirent pas s’embarrasser d’une progéniture qui implique des servitudes. En outre, nous sommes dans une société où le présent est le seul horizon existentiel. On ne se soucie pas de laisser une descendance, laquelle symbolise l’idée d’« avenir ». Et il est difficile de contraindre à procréer !
On invoque, pour justifier l’immigration, à la suite du constat que les Européens ne font plus d’enfants, les nécessités de main-d‘œuvre. Il faut bien avouer que Viktor Orbán lui-même, à la suite de Giorgia Meloni, qui a régularisé 500.000 « sans-papiers », a été obligé de se plier à cet impératif économique, puisqu’il a « importé » 500.000 immigrés, ce qui représenterait, pour notre pays, qui affiche six fois plus d’habitants que la Hongrie, quelque trois millions d’étrangers.
In fine, Rod Dreher, à la fin de son article, revient à son idée première: c’est bien l’effondrement religieux qui est cause de l’effondrement civilisationnel, donc démographique (dans le sens où l’espoir, vertu humaine essentielle, se projette sur ce qui nous perpétue).
Nous sommes donc dans une impasse, à moins que ne se produise un miracle, comme le Baby Boom, qui s’est initié en France, je le rappelle, sous Pétain. Les « lois » de la démographie, les spécialistes en conviennent, sont très capricieuses.
Pour finir, je ne manquerai pas de souligner la grande contradiction dans laquelle s’enferre Dreher. En effet, dans Le Pari bénédictin, il insiste sur l’idée que tout projet politique est vain. Mais dans son dernier article, il procède comme s’il pensait qu’un sursaut fût possible, avec toutes les limites que nous avons rappelées, et que, même, la « civilisation » occidentale existerait encore, ce qui le conduit à vouloir la sauver. Pourtant, dans son essai, il parait de couleurs apocalyptique ce qui ressemblait bien à une fin du monde, du moins d’un monde. Pour lui, il était devenu impossible de redresser quoi que ce fût. Il était nécessaire, pour les chrétiens, de se grouper, et de créer une contre-culture.
Or, la civilisation européenne, quant à elle, n’existe plus. Peut-être d’ailleurs faudrait-il parler de plusieurs civilisations européennes. Celle du moyen âge est complètement différente de celle des Temps modernes, cette dernière de l’âge contemporain (à partir de 1789), et le 19ème siècle du 20ème siècle. Quant à la rupture actuelle, il semblerait bien que l’on entrât dans une autre ère, celle du transhumanisme nihiliste. A cette aune, la question démographique promet d’être radicalement réglée par la robotique.
Pourtant certains affirment que ce serait une solution. Le Japon s’est largement et profondément plongé dans cette voie. Mais que dire d’un pays qui ne serait peuplé que de vieillards, destinés du reste à disparaître rapidement ? Une société est-elle vivable, habitable, si les machines remplaçant les jeunes pullulent, quitte à nous submerger, et où ces jeunes, qui délivrent de l’énergie, de l’inventivité, de la séduction, bref, de la vie, manquent ?
A mon sens, il nous faut désormais repenser notre civilisation, qui n’est pas un passé (qui sait vraiment ce qu’elle est, tant l’inculture et l’amnésie ont fait table rase des références au passé ou les ont viciées?), mais reste à faire. Elle est encore en gestation, et elle est dans l’avenir. Nous sommes dans une époque de transition.
15:12 Publié dans Réflexions personnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rod dreher, avenir, démographie | |
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