lundi, 07 avril 2025
«Technoprimitivisme»: la souveraineté dans le futur de la civilisation technologique
«Technoprimitivisme»: la souveraineté dans le futur de la civilisation technologique
Sergio Filacchioni
Source: https://www.ilprimatonazionale.it/approfondimenti/tecnopr...
Rome, le 27 mars – Nous reprenons notre réflexion sur le sens de la notion d'occupation, continuant à découvrir des petits textes hérétiques et subversifs: le livre intitulé « Technoprimitivisme » (paru aux éditions Polemos) se présente comme une œuvre hybride entre essai théorique, un manifeste politique et une réflexion esthétique sur l'avenir de la civilisation technologique. L'auteur – un « militant au début du nouveau millénaire » – avec une approche qui résonne avec la pensée d'auteurs de la « droite hérétique » et des avant-gardes philosophiques du 20ème siècle, examine la relation entre technologie et domination, entre primitivisme et modernité, entre langage et pouvoir.
Technoprimitivisme, entre langage et pouvoir
Dès les premières pages, une atmosphère d'inquiétude et d'urgence émerge: l'auteur esquisse un monde qui a déjà franchi le point de non-retour, celui de l'informatisation globale, où le contrôle ne s'exerce plus par la force brute (comme Orwell l'avait erronément cru), mais par le langage, la symbolisation et l'organisation cybernétique des perceptions. Les théories sociologiques de Luhmann et les intuitions de Nietzsche sur la morale chrétienne comme instrument de répression apparaissent clairement dans cette analyse, suggérant que l'empathie et la communication ne sont que des mécanismes pour perpétuer la soumission. D'un point de vue stylistique, le livre alterne des passages de théorie pure avec des moments plus visionnaires et fascinants. La description des « villes mortes », par exemple, évoque une esthétique cyberpunk qui fait référence à la fois à Neuromancien de William Gibson et aux réflexions de Jünger sur la modernité comme champ de bataille. L'auteur décrit des métropoles comme Los Angeles, Tokyo et Singapour non pas comme des lieux de vie, mais comme des espaces sans âme, conçus pour dissoudre toute forme d'agrégation authentique et absorber toute résistance. Ces villes, définies comme des « bunkers » urbains, sont conçues pour prévenir toute éclosion révolutionnaire. Et c'est précisément à ce passage que nous pouvons nous relier à l'article précédent où nous tentions de redéfinir le concept d'occupation.
Les villes comme des « non-lieux »
Si la ville moderne est un « non-lieu » globalisé, alors son occupation doit cesser d'être seulement physique et devenir une prise de pouvoir sur la perception et l'infrastructure même de la métropole. Cela signifie qu'il ne suffit pas d'occuper un bâtiment, il faut redéfinir sa fonction. Un siège bancaire peut devenir un temple de la résistance numérique, un centre commercial peut être transformé en une zone franche symbolique, une infrastructure de réseau peut devenir le cœur d'une communauté clandestine. La ville est-elle construite pour dissoudre le sens ? Son occupation doit remplir les espaces anonymes de mythes nouveaux: fresques murales, interventions d'art radical, modifications clandestines des architectures urbaines. L'objectif est de déstabiliser le récit du pouvoir. Si la ville est maintenant une extension du réseau numérique, alors prendre le contrôle des infrastructures informatiques équivaut à occuper les centres névralgiques du pouvoir. Serveurs indépendants, réseaux autonomes, zones hors ligne où le pouvoir numérique ne peut pénétrer. Comme nous l'avons déjà vu par ailleurs, les T.A.Z. de Hakim Bey reposaient sur la temporalité: ouvrir des espaces de liberté et les dissoudre avant la répression. Mais dans une métropole hyper-contrôlée, cette approche risque de devenir stérile et inefficace. Ici, une autre stratégie est nécessaire: il ne suffit pas d'occuper pendant un jour, il faut transformer chaque acte d'occupation en une prise de position permanente sur la réalité. En ce sens, la leçon de Schmitt sur la souveraineté devient encore plus actuelle: celui qui décide de l'état d'exception urbaine, qui renverse l'usage d'un espace, qui impose un nouveau récit à son sujet, exerce déjà le pouvoir. L'objectif n'est plus seulement de soustraire des territoires, mais de redéfinir le concept même de domination à l'ère de la ville-machine.
La polis alternative, entre Locchi et Dune
Ici, la pensée du philosophe romain Giorgio Locchi offre une clé de lecture supplémentaire. Si, comme il le dit, les masses occidentales ont renié leur héritage et seules de petites minorités conservent la mémoire d'un ordre perdu, alors l'occupation ne peut être un acte de masse, mais doit partir d'une minorité consciente et stratégique. Locchi écrit qu'« une minorité, peut-être même infime, peut toujours en arriver à conduire une masse » : en ce sens, le technoprimitivisme nous suggère que l'occupation doit être avant tout un acte d'élite, d'avant-garde, une action qui ne cherche pas le consensus immédiat mais la construction d'un nouveau paradigme. L'occupation n'est donc plus seulement un acte physique, mais une stratégie qui doit investir le symbolique, l'infrastructurel, le technologique. Si le système construit des métropoles pour désagréger la communauté, l'occupation du futur devra devenir une architecture de résistance: chaque espace soustrait doit devenir un nœud stratégique, une base à partir de laquelle élargir un nouvel ordre, un fragment d'une future polis alternative. Pour comprendre ce passage, la lecture (ou la vision) de Dune de Frank Herbert peut nous aider: dans cette œuvre de science-fiction, le pouvoir n'est pas détenu par ceux qui gouvernent « officiellement », mais par ceux qui comprennent les mécanismes profonds de la réalité – qu'il s'agisse de la manipulation religieuse des Bene Gesserit, de la vision historique et écologique des Fremen ou de la capacité de Paul Atreides à lire et plier le destin. Cette idée s'imbrique parfaitement avec la pensée exprimée dans Technoprimitivisme, où l'occupation du présent passe par une guérilla symbolique et infrastructurelle, une stratégie qui ne vise pas à la domination immédiate, mais à la construction d'un avenir alternatif. Tout comme Paul utilise la crise pour prendre le pouvoir en transformant Arrakis en cœur d'un nouvel ordre, l'occupation contemporaine doit également exploiter l'état d'exception pour redéfinir la domination sur les villes-machines et sur l'infosphère. Cependant, Herbert met aussi en garde contre le danger qu'une minorité, une fois au pouvoir, puisse être submergée par sa propre création – un risque que Technoprimitivisme reconnaît également dans la relation entre révolution, technologie et nouvel ordre.
Au-delà de la critique, une pensée stratégique
Technoprimitivisme est un texte qui ne laisse personne indifférent. Ceux qui cherchent une simple critique de la société postmoderne pourraient le trouver excessivement radical, par moments ésotérique, tandis que ceux qui recherchent une pensée stratégique pour l'ère numérique trouveront des idées originales et stimulantes. L'œuvre navigue entre théorie et pratique, entre passé et futur, entre destruction et création, offrant une vision inédite de ce que signifie être « révolutionnaire » à l'époque de l'infosphère. Dans ce sens, le livre ne se limite pas à proposer une analyse de la société technologique, mais offre également une stratégie possible pour ceux qui doivent agir dans les villes-machines. Si le défi du futur se joue entre minorité stratégique et masse acéphale, entre occupation symbolique et domination algorithmique, alors le technoprimitivisme se propose comme une arme pour redéfinir le sens même de la souveraineté au 21ème siècle.
Sergio Filacchioni
14:41 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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