jeudi, 05 juin 2025
Pourquoi les guerres sont-elles nécessairement inévitables
Pourquoi les guerres sont-elles nécessairement inévitables
En réalité, il y aura toujours une tension entre centre et périphérie, et par conséquent, des conflits seront toujours en cours, et l’histoire continuera de se dérouler.
Jan Procházka
Source: https://deliandiver.org/proc-se-valky-deji-nutne/
Si tous les États du monde déployaient leurs activités dans les mêmes conditions, si leurs citoyens avaient tous le même pouvoir d’achat, s'ils étaient ancrés dans la même géographie, avaient la même population, un accès égal à l’océan, au commerce international, aux ressources, aux minéraux et aux corridors de transport, et si tous les États avaient une superficie, une position, des frontières naturelles, un réseau de rivières navigables et une histoire similaires, il n’y aurait aucune autre raison pour la violence que la pure malveillance. Le problème est que les continents, les océans, les ressources et les corridors sont et seront toujours répartis de manière inégale sur la Terre.
En conséquence, chaque État aura toujours des intérêts différents, et ces intérêts entreront en conflit en raison de la distribution même des terres. Le devoir du dirigeant est d’assurer la prospérité et la sécurité de son État — et ici, le dirigeant se trouve inévitablement en conflit avec d’autres États. Cela n’a aucun sens d'émettre des jugements moraux sur le fait que les dirigeants font la guerre, aussi tragique que cela soit ; aucun être humain sur cette planète (hormis quelques exceptions pathologiques) n’agit de manière immorale, mû par une pulsion intérieure et pathologique de faire du mal aux autres. Si nous voulons expliquer la marche du monde en disant qu’un dirigeant est bon et un autre mauvais, il faut nécessairement conclure que tous les dirigeants, sauf celui dont le Royaume n’est pas de ce monde, sont intrinsèquement mauvais. Ne cherchons pas dans la dynamique de l’histoire des bons ou des mauvais, car chaque dirigeant fait simplement ce qu’il considère comme bon pour son État, malgré toutes ses erreurs et ses fautes, selon sa conviction la plus sincère.
Ce qui est cependant difficile à supporter pour moi, c’est la conviction totalement débridée de l’Hégémon, selon laquelle ce qui est bon pour lui-même est bon pour le monde entier ; une conviction qui se mue en hypocrisie extraordinaire. Dans la théologie de l’Hégémon, le monde depuis Reagan se divise en « l’Empire du Bien » et « l’Empire du Mal ». Qu’exprime d’autre la notion d’« axe du Mal », forgée par George Bush ? (1). La mentalité de l’Hégémon ne diffère en principe pas de celle de l’État islamique de sinistre réputation, dont l’idéologie divise le monde en dar al-islam — le pays où le régime wahhabite est déjà établi — et dar al-harb, là où il doit encore l’être (peut-être est-ce pour cette raison que les Américains s'entendent si bien avec les Saoudiens).
L’Hégémon voit les relations internationales comme une équation à somme nulle. Dès que le Bien quitte un espace — par exemple l’Afghanistan ou l’Irak — le vide est immédiatement comblé par le Mal selon la conception de l’Hégémon. C’est pourquoi le Bien ne doit à aucun moment faiblir; il doit soit triompher glorieusement comme en Yougoslavie ou au Koweït, soit envenimer les conflits avec le Mal jusqu’à la menace d’une guerre nucléaire. Et dès que le Mal vacille dans un espace, par exemple en Géorgie, le Bien est obligé d’y sauter immédiatement.
Dans ce contexte, on peut aussi se demander pourquoi l’Hégémon hait autant l’Iran, alors qu’il n’a aucune raison objective de le faire. Peut-être s’agit-il de cette mentalité de philatéliste maniaque qui, dans les années 1990, a rassemblé presque tous les États de la planète dans sa collection, sauf ce dernier pays, qui l'empêchait de la compléter. Ce sont précisément ces « États voyous » — un terme qui mérite réflexion— qui sont rétifs à la fringale du collectionneur. Les États voyous commettent leurs méfaits « intentionnellement », affirme l'Hégémon. Surtout parce que leur simple existence « menace la paix mondiale ». La paix mondiale ou la domination du monde par quelqu’un de bien précis ?
La religion de l’Hégémon est l’économie libérale, une doctrine imposée avec une autorité lourde et ubiquitaire dans les années 1990, que ses adeptes considèrent comme une infaillible science de la nature, comme lorsque les anciens Aryens appelaient leur religion pleine de rituels sacrificiels compliqués et de formules magiques la Veda — c’est-à-dire la Science ou la Loi. Selon le dogme du parti libéral planétaire, l’hégémonie mondiale ou plutôt la hiérarchie prédatrice mondiale avec l’Amérique au sommet, est naturelle et nécessaire, car ce qui se produit selon la nature, doit nécessairement arriver. En même temps, c’est bon et moral, parce que, selon l'éthique protestante, ce qui est « en accord avec la nature » est considéré comme moral. Cette religion a sa propre eschatologie — les enseignements de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire et l’avènement du millénaire du libéralisme éternel. Dans les années 1990, il ne manquait qu’un pas pour atteindre le nirvana et l’ascension céleste — mais il y avait toujours un État qui « nuisait intentionnellement » à la "bonne marche" des choses.
En réalité, il y aura toujours une tension entre le centre et la périphérie, et par conséquent, des conflits se produiront toujours, et l’histoire continuera de se dérouler. Les souverains des États seront toujours à la tête de leurs intérêts, encadrant nos agitations et nos frénésies sur la planète. Je crois qu’en beaucoup de cas, ces conflits peuvent aussi être résolus pacifiquement — par des accords, par la location de ports, la construction de canaux ou de corridors ferroviaires, ce qui devrait aujourd’hui être plus facile qu’avant grâce aux progrès technologiques. Cependant, le rêve de l’Hégémon de maintenir une domination mondiale par des guerres sans fin complique considérablement ces louables tentatives.
Note :
(1) « Je vous exhorte à éviter dans vos débats les propositions de gel des armes nucléaires, la tentation (…) d’ignorer les intentions agressives de l’Empire du Mal (…) et ainsi de vous soustraire à la lutte qui se déroule entre le bien et le mal », déclara Ronald Reagan en 1983.
Note de Délský potápěč:
Sur ce sujet, Carl Schmitt a également écrit dans La théorie du partisan et La notion de politique. Nous résumons ici de manière simple et succincte ses propos :
Le droit de la guerre classique fait la distinction claire entre l’ennemi et le criminel, entre les combattants et les non-combattants, la guerre entre États est dès lors menée comme une guerre entre armées régulières. La guerre entre les détenteurs souverains du jus belli, qui se respectent en tant qu’ennemis dans la guerre et ne se discriminent pas mutuellement comme criminels, se déroule selon le droit international et selon la politique post-guerre de Genève. L’agresseur, en droit international, devient alors ce qu’est un délinquant ou un criminel en droit pénal. Cette criminalisation et cette attribution d’un statut criminel à l’attaque et à l’attaquant ont été considérées comme un progrès juridique par les juristes de la politique post-guerre de Genève. Mais un sens plus profond à toutes ces tentatives de définir l’agresseur et de préciser la nature de l’attaque consiste à construire l’ennemi… le criminel. La criminalisation de l’ennemi permet ensuite la formulation que nous entendons depuis plusieurs années contre la Russie, que des idiots (au sens politique) répètent à satiété.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, les institutions invoquent toujours le « droit » plutôt que la « loi »; quant aux différences entre légalité et légitimité, Schmitt en a également parlé.
En fin de compte, l’hypocrisie libérale commence par le renommage du « ministère de la Guerre » de Louis XVI en « ministère de la Défense. »
12:59 Publié dans Polémologie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carl schmitt, polémologie, théorie politique, guerre, politologie, sciences politiques | |
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