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mardi, 10 janvier 2023

Le thomisme et la guerre juste

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Le thomisme et la guerre juste

Carlos X. Blanco

Source: https://www.geopolitika.ru/es/article/el-tomismo-y-la-guerra-justa

L'Europe souffre une fois de plus dans la guerre et à cause de la guerre. L'Europe est à nouveau ce qu'elle a été trop souvent, un vaste champ de bataille. L'Europe est également un jouet aux mains de sa propre excroissance, l'anglosphère. Main dans la main avec une organisation militaire qui ne sert en rien la défense commune des Européens mais la défense des intérêts anglo-américains, l'Europe va vers son propre suicide. Elle se prête à la politique insensée d'expansion de l'OTAN vers l'Est, cherchant également à faire en sorte que l'anaconda s'enroula autour de sa proie, afin d'étrangler la Russie et de la laisser sans son cercle naturel de pays partenaires et de satellites. 

Avec l'intervention militaire spéciale de l'armée russe en Ukraine, il est logique que les considérations philosophiques-morales et théologiques classiques de la guerre juste reviennent à notre esprit. Nous détestons la guerre et nous savons que ce cavalier de l'Apocalypse est la grande calamité qui plane sur l'humanité, la hantant depuis aussi longtemps qu'elle vit sous une forme civilisée à la surface de la terre. Mais cela ne fait pas de nous des pacifistes, car nous ne sommes pas non plus des utopistes naïfs, et nous voyons une grande folie et un grand fanatisme dans le pacifisme. Ce pacifisme est une folie alors qu'il y a des menaces très réelles et très concrètes en face de nous. Nous sommes d'accord avec Spengler lorsqu'il voit dans le pacifisme et le mépris de l'armée un simple produit de la décadence, ce que les anciens savaient déjà. Les civilisations vieilles et fatiguées, à l'intérieur des murs artificiels qui séparent le cosmopolite, l'hédoniste apatride, autiste par rapport à la réalité, se permettent de dormir dans le pacifisme jusqu'à ce qu'un jour, sans crier gare, les nouveaux barbares (les barbares apparaîtront toujours à l'horizon) arrivent et fassent des montagnes de têtes coupées. Ils verront les veuves violées et des tours de cadavres s'élever avec les pacifistes qui les attendaient, portes et mains ouvertes et fleurs sur la tête.

Un vrai chrétien aime la paix, mais il n'est pas un fanatique (ni de la paix, ni de la guerre) et il aime la milice christique et les hommes qui s'y dévouent, car l'hidalgo chrétien sait qu'en de nombreuses occasions, la foi, la patrie et la paix dépendent existentiellement de cette milice. Saint Thomas d'Aquin, le grand exposant du catholicisme philosophique, explique clairement qu'il existe des guerres justes. Il n'y a pas d'autre choix que de faire la guerre, si le méchant existe, si le mal rôde. 

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Aujourd'hui, alors que tant d'idéologues se précipitent pour condamner Poutine, comme ils l'ont fait hier dans les cas de la Serbie, de la Syrie et de l'Irak, il convient de supprimer cette fausse idée du Pentagone et de tous ses chiens galeux et dressés : l'idée que seuls les Yankees et leurs franchises (OTAN, UE...) ont le droit de faire la guerre ou de la bénir. Le jour viendra où une civilisation chrétienne sera restaurée, restaurée à partir des deux méridiens éloignés, le méridien hispano-catholique à l'ouest en Espagne, et le méridien slave-orthodoxe à l'est de nos pays. Depuis les deux méridiens, embrassant la sphère terrestre dans les deux sens, la parole du Christ-Roi peut être entendue par les hommes. Un autre concept de civilisation, peut-être, un concept chrétien mais non puritain, un concept catholique et orthodoxe, est celui qui peut renaître des cendres, comme un germe de vie surgissant des ossements et des ruines, comme un rayon de lumière au milieu de la tragédie subie par nos frères slaves.

La guerre n'est pas toujours un péché. Saint Thomas fixe la justice comme critère. Pour qu'il y ait une guerre juste, il faut d'abord qu'il y ait une puissance publique pour la mener, un prince, dans le langage de son temps. Dans la Summa Theologiae, la guerre privée est condamnée. Le prince, sur terre, est un exécuteur de la justice divine.

[...] l'autorité du prince sous le commandement duquel la guerre est menée. Il n'appartient pas à l'individu privé de déclarer la guerre, car il peut faire valoir son droit devant une instance supérieure ; l'individu privé n'est pas non plus compétent pour convoquer la communauté, qui est nécessaire pour faire la guerre. Or, puisque le souci de la république a été confié aux princes, il leur appartient de défendre le bien public de la cité, du royaume ou de la province placés sous leur autorité. En effet, de même qu'il la défend légitimement avec l'épée matérielle contre les perturbateurs intérieurs et punit les malfaiteurs, selon les paroles de l'Apôtre : "Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, car il est serviteur de Dieu pour faire régner la justice et punir le malfaiteur" (Rm 13,4), de même il lui incombe de défendre le bien public avec l'épée de guerre contre les ennemis extérieurs. C'est pourquoi il est recommandé aux princes : Délivrez le pauvre et sauvez l'impotent des mains du pécheur (Ps 81,41), et Saint Augustin, pour sa part, dans le livre Contre Faust, enseigne: l'ordre naturel, adapté à la paix des mortels, postule que l'autorité et la délibération d'accepter la guerre appartiennent au prince. [II C.40. 1]

La deuxième condition est celle du motif valable. Tout caprice est exclu. Tout arbitraire est proscrit. La guerre motivée uniquement par le désir de pouvoir ou par la satisfaction de la concupiscence des princes ou des peuples n'est pas autorisée.

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Deuxièmement, une cause juste est requise. C'est-à-dire que ceux qui sont attaqués le méritent pour une cause quelconque. C'est pourquoi saint Augustin écrit aussi dans le livre Quaest : Les guerres sont généralement appelées justes lorsqu'elles vengent des blessures ; par exemple, s'il y a eu place pour punir le peuple ou la ville qui néglige de punir l'outrage commis par les siens, ou pour restituer ce qui a été injustement volé [II C.40. 1.].

Il ressort clairement du texte qu'il existe une vengeance juste. S'il y a eu une infraction (matérielle, sanglante, ou même une atteinte à l'honneur), en toute justice on peut alors faire la guerre. Il y a également une justice dans la guerre lorsque le prince et ses conseillers observent des indices raisonnables qu'un ennemi, qu'il soit interne ou externe, va commettre un préjudice à leur égard. Cela irait à l'encontre de l'essence de la fonction du prince, qui est de veiller à la justice et à l'ordre, de rester les bras croisés et d'attendre un préjudice très probable.

La troisième exigence que le Docteur angélique pose est celle de l'intention juste :

Il est exigé, enfin, que l'intention des parties au litige soit droite, c'est-à-dire une intention visant à promouvoir le bien ou à éviter le mal. C'est pourquoi saint Augustin écrit également dans le De verbis Dom : "Chez les vrais adorateurs de Dieu, les guerres elles-mêmes sont pacifiques, puisqu'elles ne sont pas promues par cupidité ou cruauté, mais par un désir de paix, afin de réfréner le mal et de favoriser le bien. Il peut cependant arriver que, bien que l'autorité de celui qui déclare la guerre soit légitime et la cause juste, elle soit néanmoins illégale en raison d'une mauvaise intention. Saint Augustin écrit dans le livre Contre Faust : En effet, le désir de nuire, la cruauté de la vengeance, un esprit impitoyable et implacable, la férocité dans le combat, la passion de dominer, et autres choses semblables, sont, en justice, répréhensibles dans les guerres. [II C.40. 1].

Dieu nous a créés comme des hommes, non comme des anges. Le mal se niche parmi les hommes, et l'une des façons dont le mal peut se nicher est l'obscurcissement de nos cœurs. Même lorsque nous sommes aidés par des causes raisonnables et justes, et - à titre d'exemple - lorsqu'il est évident que nous avons été injustement attaqués sans raison, nous pouvons nous jeter dans le combat non plus avec un désir légitime de réparation du tort que nous avons subi, mais avec un désir sinistre et malin d'augmenter le mal dû à l'ennemi à punir. La colère, l'envie de causer plus de mal que ce qui est proportionnel à la punition, le désir irrépressible de faire du mal au-delà des causes et en dehors des voies appropriées, voilà ce qui nuit aux bonnes intentions de ses actions. On va à une guerre juste avec une bonne intention. Sans elle, la cause juste qui permet la guerre, ainsi que tous les antécédents qui justifient la rupture de la paix, sont réduits au statut de simples excuses. Et n'oublions pas que la guerre, si elle est juste, est menée au nom d'une paix supérieure, tout comme Dieu permet le mal au nom d'un bien supérieur. L'hidalgo chrétien est, dans un certain sens, pacifique lorsque son combat est subordonné à une paix plus élevée, plus durable et plus authentique.

Dans la même Question, à l'article 3, le Saint Docteur rappelle qu'il n'est pas licite de tromper l'ennemi (par des stratagèmes), et que même avec l'ennemi on doit respecter les pactes. Cela ne signifie pas lui révéler ses secrets, rendre ses intentions publiques :  

"...personne ne doit tromper l'ennemi. En effet, il existe des droits de guerre et des pactes qui doivent être respectés, même entre ennemis, comme l'affirme saint Ambroise dans De Officiis.

Mais il existe une autre façon de tromper par les mots ou les actes; elle consiste à ne pas faire connaître notre but ou notre intention. Nous ne sommes pas obligés de le faire, car, même dans la doctrine sacrée, il y a beaucoup de choses qui doivent être cachées, surtout aux incrédules, de peur qu'on ne se moque d'eux, suivant ce que nous lisons dans l'Écriture : "Ne jetez pas ce qui est saint aux chiens" (Mt 7,6). C'est donc une raison de plus de dissimuler à l'ennemi les plans préparés pour le combattre. Ainsi, parmi les instructions militaires, la première place est accordée à la dissimulation des plans afin d'éviter qu'ils n'atteignent l'ennemi, comme on peut le lire dans Frontino. Ce type de dissimulation appartient à la catégorie des stratagèmes qui sont licites dans une guerre juste, et qui, à proprement parler, ne s'opposent pas à la justice et à la volonté ordonnée. Ce serait, en effet, un signe de volonté désordonnée que de prétendre que rien ne doit être caché aux autres [II C.40. 3].

Si garder des secrets ou ne pas tout révéler est quelque chose qui se fait - et peut et doit se faire - dans la doctrine sacrée, que dire de l'art militaire. À l'époque où nous vivons, dans ce qu'on appelle la "société de l'information", les États sont puissants non seulement en raison de leur portée économique, militaire et technologique, mais aussi en raison de leur capacité à obtenir des informations de leurs ennemis, de leurs rivaux et même de leurs partenaires et amis, et aussi en raison de leur capacité à les conserver. 

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Au sein des États, il existe une sorte de guerre privée qui, s'il n'y a pas d'effusion de sang, pourrait plutôt être appelée une querelle. Selon Thomas d'Aquin, elle implique toujours un péché - véniel ou mortel, selon le niveau d'excès dans lequel la personne est impliquée - et ceux qui, de manière juste et avec la modération qui s'impose, se limitent à se défendre contre les insultes, en sont épargnés. La politique des États démocratiques est une querelle permanente ("demogresca" est la façon dont l'écrivain Juan Manuel de Prada la décrit avec sa fine ironie). Tout le monde se dispute et s'enivre de passions désordonnées. Les politiciens d'aujourd'hui, chicaneurs professionnels, devraient écouter les mots de la Summa : 

"...la querelle est comme une guerre privée qui a lieu entre des personnes privées, non pas en vertu de l'autorité publique, mais par une volonté désordonnée. Par conséquent, il implique toujours le péché (II C.41, 1).

Thomas d'Aquin fait une distinction entre la guerre, la querelle et la sédition. Dans la guerre: pour qu'il y ait une vraie guerre au sens propre et de caractère juste, il faut qu'il y ait un prince, c'est-à-dire une puissance publique qui, par ses moyens, recherche réellement la paix. 

Dans une querelle, pour ne pas tomber dans le péché, seuls ceux qui se défendent avec raison et de manière proportionnée sont exonérés, car une querelle est comme une guerre, mais entre particuliers. Dans toutes les démocraties actuelles, nous vivons dans un état permanent de querelles. Les citoyens privés et les politiciens des partis (qui sont aussi des "partis" et ne représentent donc pas vraiment le peuple dans son ensemble ou l'État en tant que chose commune lorsqu'ils se disputent) sapent la paix dans leur "demogresca". Ils encouragent la guerre privée, la querelle qui, si elle entraîne une effusion de sang et une rupture irréversible de la coexistence, conduit à la guerre civile. 

La sédition est conceptuellement différente de la querelle en général. Aujourd'hui, alors que l'on parle tant, dans cette malheureuse Espagne, du "crime de sédition", redéfini ad hoc pour plaire aux traîtres politiciens de Catalogne (avec leur double trahison, contre l'Espagne et contre une partie de celle-ci, la Catalogne), il vaut la peine de revenir à saint Thomas, qui est, en plus de tant d'autres choses, un maître dans la rigueur des définitions: 

"...que les séditions sont des tumultes pour le combat, fait qui a lieu lorsque les hommes se préparent au combat et le recherchent. Elle en diffère aussi, en second lieu, parce que la guerre est faite, à proprement parler, avec des ennemis de l'extérieur, comme une lutte de peuple à peuple; la querelle, au contraire, est une lutte d'un individu contre un autre, ou de quelques-uns contre quelques autres; et la sédition, au contraire, a lieu, à proprement parler, entre les parties d'une foule qui se querellent entre elles; par exemple, quand une partie de la ville excite des tumultes contre l'autre. Par conséquent, puisque la sédition s'oppose à un bien particulier, à savoir l'unité et la paix de la multitude, elle constitue un péché particulier." [II C 42, 1].

Et en réponse à la première objection, il dit : 

"On appelle séditieux celui qui provoque la sédition, et comme la sédition implique une certaine discorde, est séditieux celui qui provoque non pas n'importe quelle discorde, mais celle qui divise les parties d'une même multitude. Mais le péché de sédition n'est pas seulement dans ceux qui sèment la discorde, mais aussi dans ceux qui dissertent avec désordre entre eux".

Il est bien connu que les temps modernes ont convulsé et même éviscéré le système de la philosophie politique. La catégorie "guerre" a rempli tous les espaces, et l'amoralisme le plus grossier domine chaque type de lutte. Les agressions contre les États sont devenues des guerres privatisées, et les querelles privées et les séditions internes sont devenues, à leur tour, des armes avec lesquelles les puissances étrangères mettent à genoux des États souverains. 

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Regardez le cas lamentable de l'Espagne: comment les Anglais, les Français et les Américains ont-ils réussi à mettre cette nation à genoux, démunie et sans voix propre dans le concert mondial ? Depuis la guerre de succession elle-même, dans un premier temps, l'Espagne a été occultée, devenant une colonie de la France et, plus tard, une colonie des Anglais et des Américains. Depuis la guerre contre Napoléon, dans un deuxième temps, nous n'avons connu que des querelles, des tueries caïnites, des séditions. Toute notre énergie nationale a été gaspillée dans la haine de notre frère de sang et de notre compatriote. Aujourd'hui, alors que nous entendons si souvent parler de "guerres hybrides" dans lesquelles les grandes puissances s'immiscent dans la vie de nations rivales ou gênantes, et qu'il est considéré comme acquis que les "informations" ainsi que les groupes d'individus financés par l'étranger participent à ces guerres, nous devrions réfléchir et prendre en charge notre situation: dans ce monde infecté jusqu'à la moelle par le péché, il n'y a d'espoir pour les individus, les familles et les nations que si nous avons un haut degré de conscience de ce que signifie le Bien Commun. Fuir les querelles, dénoncer et poursuivre les séditieux, défendre avec courage ce qui nous revient de droit, et s'efforcer de faire de notre patrie un havre pour le Règne de Jésus-Christ. Si nous sommes également conscients que notre Patrie est très vaste, car elle comprend non seulement la péninsule ibérique et l'ensemble des îles, ainsi que les parties correspondantes de l'Afrique (dont certaines ont été cédées à la mauvaise époque), mais aussi l'Amérique, qui vibre encore de son Hispanidad, une Hispanidad castillane ou lusophone, alors et seulement alors nous commencerons à réparer tant de siècles d'iniquité.

samedi, 19 novembre 2022

Vers la poliorcétique des cyborgs

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Vers la poliorcétique des cyborgs

par Georges FELTIN-TRACOL

En janvier 2022 paraissait Ces guerres qui nous attendent 2030 – 2060 (éditions des Équateurs/PSL – Université Paris Sciences et Lettres, 224 p., 18 €). Réuni à l’initiative du ministère français des Armées, « le collectif Red Team est composé d’auteurs, de dessinateurs et de scénaristes libres et indépendants ». On y trouve François Schuiten, Jeanne Bregeon, Virginie Tournay, Laurent Genefort, Romain Lucazeau, Xavier Mauméjean et Xavier Dorison ainsi que des pseudonymes comme Colonel Hermès, Capitaine Numericus et DOA. En revanche, le Lieutenant Sturm, Wilsdorf et Alryck n’y figurent pas ! Le projet a agacé, sinon indigné, les écrivains français de science-fiction fortement épris de progressisme, d’inclusivité et d’égalitarisme.

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Inspiré du complexe militaro-industrialo-médiatique qui regroupe outre-Atlantique les industries (numériques ou non), les militaires et le monde du divertissement, cet ensemble réfléchit aux guerres de demain et présente quatre hypothèses. Notons que le livre a été rédigé avant le début des hostilités en Ukraine. Il serait fastidieux de résumer chaque scénario. On insistera sur l’affirmation du combattant opérationnel cybernétique et le grand retour de la poliorcétique.

En science-fiction, le cyborg est un hybride entre l’organisme humain et la machine et/ou l’ordinateur. Les programmes militaires occidentaux ouvrent déjà la voie vers le transhumanisme avec les expériences d’exo-squelette de combat. Red Team imagine à assez brève échéance calendaire la finalité logique du passeport vaccinal et autre « visa numérique » : le puçage généralisé de la population. Cela va même encore plus loin avec NeTAM, soit Neuro Terre Air Mer, à savoir « un protocole d’interface neurale [… qui], selon l’auteur collectif, a pour but de pallier les défaillances humaines et d’améliorer les performances des sujets. [...] Le programme permet notamment l’échange de données homme/machine, la prise de contrôle d’équipements, l’amélioration des capacités du combattant en situation (perception, réception d’informations, gestion du stress, etc.), la collecte et l’archivage en temps réel par un double témoignage live et différé (objectif – subjectif) et l’exploitation de ces informations archivées en vue d’un usage ultérieur. De plus, le programme autorise l’accès à une banque de données sécurisée qui renseigne en flux continu sur le contexte de l’action en cours ».

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Il passe ensuite à un « programme ArmVie [qui] a pour vocation de recueillir l’ensemble des données d’implant des militaires connectés, en surveillant notamment leur sommeil, leurs habitudes alimentaires, leur activité physique, leur environnement quotidien, leurs interactions sociales, leur mobilité in et out de l’espace militaire, leurs réactions aux événements extérieurs, leur niveau de stress, etc. ». La surveillance actuelle des sportifs, en particulier des cyclistes, au nom de la lutte contre le dopage, en est une ébauche primaire et imparfaite.

La symbiose entre le combattant et l’intelligence artificielle devient une priorité aux yeux des contributeurs pour qui « les opérations spéciales, l’infiltration, les coups de main, le débarquement amphibie, visant à contourner les défenses adverses, redeviennent des enjeux fondamentaux ». Avec l’essor de l’IHM (interface homme machine), « l’homme sur le champ de bataille, du soldat jusqu’à l’officier, devient le centre d’un écosystème d’armement complexe. »

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Dans le même temps, les conditions de la guerre évoluent sous l’impulsion des armements à très grande vitesse. Le missile hypervéloce, entre Mach 15 et Mach 16, soit près de 20.000 km/h, frappe n’importe où. Facile à tirer, ce missile se montre peu maniable et nécessite une infrastructure de maintenance, de ciblage et de protection que seuls des États performants peuvent se permettre d’avoir. Face à cette nouvelle menace se développe l’« hyperbouclier » (ou « bouclier défensif »). Conçu autour de systèmes physiques (matériels et humains), informatiques (cybernétique et communications) et logistiques (flux matériels) complexes, il emploie de nombreux drones antipersonnels et antichars qui saturent le champ de bataille. Sa principale faiblesse reste cependant une consommation élevée d’énergie, surtout s’il utilise le railgun, un canon capable de propulser très vite des projectiles inertes. Par exemple, « une barre de tungstène de 100 kg accélérée à Mach 12 peut détruire un char situé à 200 km ».

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Ce nouveau cycle marque la fin d’une certaine forme de conflit d’autant que l’« hyperbouclier » se transforme bientôt en bastion de protection territoriale: l’« hyperforteresse ». « Arrivé à maturité, le concept de l’hyperforteresse cristallise la fin de la guerre de mouvement, paradigme dominant depuis les années 1940 (couple chasseurs/chars d’assaut). »

Défendant une zone de 150 km de rayon et se déployant autant sur terre, en mer, dans le milieu sous-marin que dans le champ aérien, le domaine spatial, l’univers informatique et la médiasphère, l’hyperforteresse utilise des essaims de drones que son « hyper IA » traite comme des entités uniques dotées de sous-systèmes de gestion. Son point névralgique demeure « l’hypercloud [qui] désigne un ensemble de systèmes de collecte et de traitement des informations ». Or, son entretien nécessite un « haut niveau de maintenance » du fait du vieillissement rapide de ses structures. Sa pérennité exige une autonomie dans la production et la fabrication « sur place de pièces, via des mini-usines et des imprimantes 3D ». En outre, « une hyperforteresse est extrêmement dépendante des flux logistiques. Par ailleurs, afin de bénéficier d’une énergie abondante et disponible, chacune d’elles dispose d’une mini-centrale nucléaire ». Dans cette nouvelle ère de la guerre, « seuls les pays qui disposent d’une base industrielle souveraine complète ou quasi complète, jusqu’à l’accès à l’espace, lit-on, peuvent garantir à leurs populations une protection face aux risques géopolitiques et conservent une grande marge de manœuvre diplomatique ». Il devient par conséquent fort probable que « dans la guerre de position, défaire l’hyperforteresse devient l’objectif principal pour vaincre ». C’est le grand retour de la poliorcétique, l’art militaire d’assiéger les villes.

Entre les hyperforteresses apparaît « le no man’s land […] une zone démilitarisée qui s’étend entre les bordures de deux hyperforteresses durant une guerre de position ». À l’intérieur de ces châteaux forts 4.0, dans un cadre douillet, les civils s’adonnent aux RZE (réseaux de services), c’est-à-dire des « réseaux communautaires qui se structurent autour de la profession, de la religion, de passions et convictions communes ou encore du quartier d’habitation ». La présence de ces communautés affectives dans le monde virtuel représente le transfert des déceptions de la réalité en enchantements dans les mirages dangereux d’une ambiance rêvée.

Red Team conçoit une guerre à haute technicité dans un cadre socio-psychologique qui rappelle plus le XVIIe siècle européen que l’époque médiévale. Le conflit en cours en Ukraine confirmera-t-il ou non ces spéculations ? Seul l’avenir nous le dira.    

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 51, mise en ligne le 15 novembre 2022 sur Radio Méridien Zéro.

mardi, 12 juillet 2022

La guerre hybride dans les zones grises

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La guerre hybride dans les zones grises

Anastasia Tolokonina

Source: https://www.geopolitika.ru/article/gibridnaya-voyna-v-seryh-zonah

Recension du livre de L.V. Savin Hybrid Warfare and the Grey Zones (en anglais)

"Celui qui sait faire la guerre conquiert l'armée d'autrui sans combattre ; prend les forteresses d'autrui sans les assiéger ; écrase l'État d'autrui sans garder longtemps son armée", dit le célèbre et antique traité chinois L'art de la guerre, dont la paternité est traditionnellement attribuée au chef militaire et stratège Sun Tzu (VIe-Ve siècles avant J.-C.).

Étonnamment, cette déclaration est encore très pertinente aujourd'hui. En outre, Sun Tzu peut être considéré comme l'un des premiers théoriciens dans le domaine de la guerre hybride, qui semble être un phénomène moderne. Le traité de cet ancien philosophe chinois sert encore de base aux approches théoriques des services de renseignements de nombreux pays, dont les États-Unis.

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En parlant du rôle des États-Unis dans la formation du concept de guerre hybride, il convient de noter que le terme a été développé et appliqué pour la première fois dans ce pays. Au fil du temps, le concept américain (et généralement occidental) de guerre hybride n'a cessé d'évoluer, provoquant de nombreuses controverses parmi les nombreux chercheurs et analystes qui étudient la guerre hybride. L'un de ces analystes est L. Savin, qui, dans son livre Hybrid War and the Gray Zone, a examiné en détail la genèse du concept de guerre hybride, les développements savants des auteurs occidentaux et la transformation ultérieure du terme. Dès le titre de la monographie, il est facile de comprendre qu'en plus de la guerre hybride, l'ouvrage examine un autre phénomène non moins remarquable, à savoir la "zone grise". Ainsi, Savin examine en détail l'évolution du concept occidental de guerre hybride et de zone grise, et analyse les changements intervenus dans les approches de l'étude de ces phénomènes dans le contexte de l'évolution de l'image géopolitique du monde.

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Avant d'aborder le contenu du livre, je voudrais dire quelques mots sur l'auteur. L.V. Savin est un politologue et l'auteur de nombreux ouvrages sur la géopolitique et les conflits contemporains, dont Towards Geopolitics, Networked et Networked Warfare. Une introduction au concept, Ethnopsychologie. Peuples et pensée géopolitique, Nouvelles façons de faire la guerre. How America Builds Empire, et bien d'autres. Il est le rédacteur en chef du portail d'information et d'analyse geopolitika.ru, qui suit la ligne et l'approche eurasiennes. À cet égard, même avant de lire le livre, on aurait pu supposer que L.V. Savin s'exprimerait dans l'esprit de l'eurasianisme, en critiquant le modèle mondialiste unipolaire du monde promu par les États-Unis. Il s'est avéré que ces hypothèses n'étaient pas fausses.

La monographie Guerre hybride et zone grise se compose de trois parties, elles-mêmes divisées en paragraphes plus petits. Toutefois, avant de passer directement à l'examen des concepts de guerre hybride et de zone grise, L.V. Savin met en lumière certains des changements intervenus dans les conflits contemporains ces dernières années. En outre, l'auteur aborde les nouvelles tendances des relations internationales dans le contexte de la réalité géopolitique actuelle. Selon le politologue, dans notre monde complexe et controversé, la question des nouvelles formes de conflits doit être abordée de manière aussi objective et prudente que possible, car il n'est pas facile de trouver une compréhension commune de tout problème moderne.

La première partie du livre est consacrée à l'évolution du terme "guerre hybride" depuis sa première mention en 1998 jusqu'à aujourd'hui. L.V. Savin examine les diverses interprétations du concept développées par la communauté militaro-scientifique occidentale. Ainsi, l'auteur étudie et analyse les travaux de R. Walker, J. Pinder, B. Nemeth, J. Mattis et F. Hoffman, C. Gray, M. Booth, J. McQueen, N. Freyer, R.W. Glenn, B. Fleming, ainsi que les documents doctrinaux américains sur la guerre hybride, notamment le concept américain de menace hybride de 2009, Le guide 2015 de l'organisation de la structure des forces pour contrer les menaces hybrides, Analyse de la stratégie militaire américaine 2015, TRADOC G-2, Joint Operating Environment 2035. La force interarmées dans un monde contesté et désordonné 2016. En outre, L.V. Savin examine les approches de l'OTAN et de l'UE, qui ont développé leur propre concept de guerre hybride.

Il convient de noter qu'une place à part dans tous les développements théoriques des pays occidentaux sur la question de la guerre hybride est accordée à la Russie. L'auteur de la monographie consacre un paragraphe séparé à ce phénomène. En particulier, Savin décrit en détail l'approche du major de l'armée américaine Amos Fox, qui évalue les actions de la Russie dans le contexte de la guerre hybride.

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Après avoir lu ce chapitre, il devient clair pourquoi le terme "guerre hybride" est si difficile à comprendre. La réponse est simple : il n'existe pas de définition unique de la "guerre hybride" car, premièrement, chaque chercheur interprète le concept différemment, et deuxièmement, il change et évolue constamment en fonction du contexte géopolitique.

En outre, le terme est très ambigu et est interprété par toutes les parties selon leurs propres intérêts. Quant aux interprétations occidentales du concept de guerre hybride, la plupart d'entre elles affirment que la guerre hybride est principalement menée par la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l'Iran. De toute évidence, qualifier ces pays d'"acteurs hybrides" est largement dépourvu de sens, puisqu'il n'y a pratiquement aucun pays (et encore moins de grandes puissances) qui ne soit actuellement engagé dans une guerre hybride. La guerre hybride est la nouvelle réalité (est-elle nouvelle ?) dans laquelle la société moderne existe. De plus, le fait d'étiqueter un "acteur de la guerre hybride" fait lui-même partie de la guerre hybride menée par les pays occidentaux, entre autres.

La deuxième partie de la monographie, comme on peut le deviner, explore un autre concept, la "zone grise". Ce chapitre commence à nouveau par l'étiquetage de la Russie. Cette fois, L.V. Savin cite l'exemple d'une déclaration de Brian Clark de l'Institut Hudson, qui a noté que "la Russie mène une guerre agressive dans la zone grise contre le Japon". Ainsi, l'auteur lance le sujet d'une nouvelle discussion - sur les interprétations du concept de zone grise.

Le deuxième chapitre examine à nouveau l'évolution du concept, en fournissant les interprétations du Département d'État et du Congrès américains, ainsi que des principaux groupes de réflexion tels que RAND et CSIS. Il convient de noter que de nombreuses approches sont accompagnées d'illustrations sous forme de diagrammes, ce qui facilite grandement la compréhension de l'une ou l'autre interprétation du concept de "zone grise". L.V. Savin considère deux interprétations de la "zone grise" - comme une zone géographique contestée et comme un instrument de lutte politique. L'auteur présente les cas de la Chine, qui a des territoires contestés en mer de Chine méridionale, et d'Israël avec son activité de longue date dans la zone grise.

Le concept de "zone grise" n'est pas moins ambigu que la notion discutée précédemment. Comme dans le cas de la guerre hybride, L. V. Savin pense également que la "zone grise" servira d'étiquette spéciale pour toute action de certains États dans les années à venir, principalement la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord. Après avoir lu ce chapitre, on peut tirer une conclusion similaire à celle citée précédemment sur la guerre hybride, et ce n'est pas un hasard : les concepts de "guerre hybride" et de "zone grise" sont en effet très similaires et interchangeables à bien des égards ; on ne voit pas immédiatement quelle est la différence, ou si elle existe tout court. C'est à cela que notre auteur consacre la troisième partie du livre.

Ainsi, dans le troisième chapitre, le politologue combine les deux concepts en question en analysant divers documents et études dans lesquels "zone grise" et "guerre hybride" semblent être synonymes. Cette partie du livre répond définitivement à la question de savoir si la guerre peut encore être menée sans hostilités directes. En outre, l'étude de cas la plus récente de l'auteur, l'opération spéciale russe en Ukraine, prouve une fois de plus que les acteurs de la guerre hybride et des actions dans les "zones grises" ne sont pas seulement la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord, mais aussi l'Occident "collectif". De nouveaux instruments et méthodes de confrontation sont en effet régulièrement introduits et testés dans les points chauds par divers pays, dont la Russie et les États membres de l'OTAN et d'autres acteurs internationaux.

Quant aux différences entre les deux termes, elles sont effectivement difficiles à définir, et le troisième chapitre le confirme. Comme le montrent de nombreuses études examinées par L.V. Savin, la confusion entre "zone grise" et "guerre hybride" est effectivement possible. Ce phénomène est expliqué le plus clairement par Arsalan Bilal, membre de l'équipe de recherche de l'Université de l'Arctique : "une guerre hybride elle-même peut avoir lieu dans une zone grise, et une zone grise, respectivement, crée les conditions d'une guerre hybride.

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En résumé, L.V. Savin répète la thèse selon laquelle l'Occident continuera à qualifier la Russie d'"acteur hybride" et à l'accuser d'actions malveillantes dans la zone grise, en utilisant pour ce faire une rhétorique politique et des données fabriquées. En outre, Savin explique pourquoi il est important et nécessaire d'étudier les approches et l'expérience occidentales en matière de guerre hybride.

En ce qui concerne l'impression de la lecture de la monographie, on peut dire sans aucun doute qu'elle ajoute grandement au bagage de connaissances sur le sujet de la guerre hybride, qui est actuellement plus pertinent que jamais. Cette monographie sera particulièrement utile aux lecteurs qui étudient les nouvelles formes de conflits - guerre de l'information, cyber-guerre, guerres économiques, etc.

Il convient également de noter plusieurs nuances. Tout d'abord, malgré la petite taille du livre, on ne peut pas dire qu'il soit facile à lire. La monographie de L.V. Savin contient beaucoup de terminologie complexe, qui ne convient pas au lecteur non préparé. Mais il ne faut pas oublier que cet ouvrage s'adresse à un public particulier - chercheurs et théoriciens dans le domaine de la polémologie, des relations internationales et de la stratégie militaire, décideurs politiques et personnes impliquées dans le développement de contenus d'information. Autrement dit, pour lire cette monographie, il faut avoir une certaine base de connaissances, au moins en relations internationales.

Deuxièmement, pour la plupart, l'ouvrage décrit des études occidentales sur le sujet donné. Bien que l'on ressente le point de vue et le sentiment de l'auteur "entre les lignes" en lisant la monographie, il aurait été souhaitable que L.V. Savin commente davantage et raisonne ouvertement. Cela aurait permis d'approfondir le sujet des guerres hybrides et des zones grises, ainsi que de mieux comprendre ce que les experts occidentaux tentent de transmettre aux lecteurs de leurs travaux. Les commentaires d'un expert ne sont jamais superflus.

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Deux conclusions importantes peuvent être tirées après la lecture de ce document. Premièrement, la guerre hybride est une réalité dans laquelle nous devrons toujours exister. Nous faisons nous-mêmes partie de la guerre hybride, et à bien des égards, nous en sommes l'objet. À l'ère de la société de l'information et de la technologie, il n'y a pas d'autre moyen : nous faisons partie de cette réalité géopolitique lorsque nous accédons aux réseaux sociaux, lisons les nouvelles, allumons la télévision, etc. Nous sommes tous des objets d'une influence omniprésente, des objets d'un flux d'informations sans fin qui sert les intérêts d'un côté ou de l'autre de la guerre hybride. La deuxième conclusion, qui découle de la première, est que nous devons être capables de prendre toute information de manière critique. Même si une source fait autorité (et les sources citées dans la monographie font très autorité), elles servent toutes également les intérêts de quelqu'un et sont toujours biaisées, comme le prouve le livre de L.V. Savin.

lundi, 21 mars 2022

Guerre de l'information et action psychologique en Occident à un niveau sans précédent

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Guerre de l'information et action psychologique en Occident à un niveau sans précédent

Par Marcelo Ramirez

Source: https://kontrainfo.com/guerra-informativa-y-accion-psicologica-en-occidente-en-un-nivel-sin-precedentes-por-marcelo-ramirez/

La guerre de l'information s'est définitivement installée à un niveau sans précédent en temps de paix, ou du moins de guerre non déclarée.

Les actions de Poutine ont été fermes, mais nous assistons aujourd'hui à une offensive de communication dans laquelle on tente de fixer un double concept dans l'esprit des sociétés occidentales : Poutine est un dirigeant dictatorial et sanguinaire, mais en même temps maladroit et improvisé qui prend des mesures sans calculer les répercussions de ses actions.

On assiste ainsi à une dualité incongrue mais répétitive, d'où l'insistance sur l'improvisation de l'armée russe dans son avancée sur l'Ukraine, soulignant les problèmes logistiques et la destruction de matériel, allant même jusqu'à dire que les rations alimentaires pour les troupes ont presque une décennie de retard.

Bien entendu, les sources de ces histoires sont des vidéos téléchargées sur les médias sociaux à partir de sources ukrainiennes, y compris des documents du SBU, le service de renseignement ukrainien, ou des États-Unis et du Royaume-Uni.

Ces documents sont pris pour vrais, même s'il s'agit de véhicules non identifiés écrasés par des explosions. Des chaînes spécialisées de YouTube ont même affirmé que plus d'un millier de véhicules russes ont été détruits par les forces ukrainiennes, en prenant ces sources pour vraies.

Cette situation s'accompagne de descriptions apocalyptiques des perspectives économiques de la Russie face à des sanctions sévères et inattendues. C'est là que nous voyons le double standard, Poutine est un fou qui n'a même pas estimé les dommages causés par l'Occident à son économie via les sanctions, ce qui, couplé à la planification militaire épouvantable, met en doute les perspectives d'avenir de Poutine à la tête du gouvernement russe.

Si vous ne détestez pas Poutine parce qu'il est un tyran sanguinaire, peu importe, au moins ne le soutenez pas parce qu'il est un homme inepte qui détruit la Russie.

L'une des erreurs qui lui est maintenant attribuée est que le dirigeant russe fait face à une opposition croissante dans son pays en raison des manifestations contre lui. Poutine est approuvé à 73 % ses initiatives militaires en Ukraine et les protestations proviennent d'un petit groupe aligné sur l'Occident, favorable aux politiques culturelles de Washington et financé par les Occidentaux.

C'est la même chose que ce qui s'est passé avec Navalny, qui était présenté comme une menace pour le pouvoir de Poutine et pourtant sa popularité n'a jamais dépassé 2%.

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Un autre exemple de la manipulation de l'information est que, profitant de l'ignorance générale en Occident, il est rapporté que les médias indépendants sont censurés, citant ce qui s'est passé avec la radio Echo de Moscou, présentée dans ces contrées comme une voix libre qui s'oppose à Poutine, omettant de dire qu'il s'agit simplement d'un média appartenant au capital américain.

La Russie a limité la participation de la propagande culturelle mondialiste occidentale, mais n'a pas réussi à la faire taire. De plus, contrairement à ce que les sociétés occidentales sont amenées à croire, Poutine est un dirigeant très populaire, mais il est loin d'être le maître de son pays.

Dans une nation où les leaders ont historiquement une forte personnalité, Poutine a dû faire face aux soi-disant oligarques, qui accueilleraient sûrement quelqu'un qui leur permettrait de contrôler le pouvoir politique grâce à leurs millions et sans se mêler des questions "patriotiques".

Ce sont ces personnes que l'Occident sanctionne aujourd'hui, en saisissant des yachts de luxe et en espérant que cela signifie que ces oligarques chercheront à renverser Poutine, mais l'équilibre interne des forces ne leur permet pas d'avancer comme dans nos pays habitués aux coups d'État économiques.

La Russie est un pays complexe avec plus de 150 nationalités et des intérêts différents, c'est pourquoi il est nécessaire de connaître son histoire et ses références politiques pour comprendre que Poutine ne fait qu'exprimer ce que la société russe dans son ensemble demande.

Seule l'ignorance peut faire croire que l'assassinat de Poutine, tel que proposé par le sénateur américain Lindsey Graham, changerait la position de la Russie vis-à-vis de l'OTAN.

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Ceux qui le pensent devraient prêter attention à certains détails tels que les demandes répétées de Ranzam Kadyrov, le leader tchétchène dont les hommes combattent le gouvernement de Kiev, qui a publiquement demandé au président d'avoir les coudées franches pour contrôler la situation dans les 48 heures.

En cela, nous voyons ce qui se passe réellement. La Russie n'a pas pris le contrôle de l'Ukraine simplement parce que l'intention de Poutine est de détruire l'appareil militaire de Kiev et de chasser les néonazis du pouvoir, mais pas d'annexer l'Ukraine ou d'anéantir sa population pro-occidentale.

Libérer Kadyrov aurait des résultats rapides, mais cela signifierait beaucoup de morts parmi les civils et la destruction des infrastructures. Une telle politique, similaire à celle de l'OTAN, c'est-à-dire des mois de bombardements jusqu'à ce que tout ce qui bouge soit détruit et ensuite passer sur les cendres pourrait bien être faite, la Russie a les moyens de l'exécuter, cependant, le ressentiment des Ukrainiens s'aggraverait et la Russie devrait également supporter les coûts ultérieurs de la reconstruction.

Ce n'est pas un problème pour les États-Unis car leur économie est beaucoup plus importante, mais surtout parce qu'il s'agit d'une entreprise à détruire et d'une autre à reconstruire, les sociétés américaines s'attellent à la tâche avec des prix gonflés et une qualité douteuse, laissant un trou dans les poches du trésor américain et dans les économies meurtries des pays dévastés.

La presse, et les communicateurs des médias sociaux, prennent cela comme un signe de faiblesse et d'incapacité, une telle stratégie est inconcevable, et cela a à voir avec les différents modèles que chaque camp a en tête.

L'action psychologique est si grande qu'elle finit par montrer que le pays qui a vu en quelques heures la perte de sa marine, de son aviation, de presque toutes ses bases militaires, d'une bonne partie de son armée de terre et qui a toutes ses villes principales encerclées, y compris sa capitale, est en train de gagner.

Ils ont également construit l'illusion que la Russie va se heurter à une résistance du peuple ukrainien comme cela s'est produit en Afghanistan, ignorant le fait qu'en réalité les caractéristiques du peuple ukrainien sont très différentes de celles de l'Afghanistan. Il n'y a pas de différence religieuse substantielle et ils sont tous slaves, bien que la moitié d'entre eux est pro-occidentale pour des raisons historiques et l'autre moitié pro-russe.

Pour cette raison, la population ukrainienne est à peu près divisée en deux en ce qui concerne la sympathie pour la Russie, et il y a tout lieu de croire que parmi ces Slaves occidentaux, une bonne partie doit être mécontente de la destruction de leur pays par la défiance de Zelensky et son soutien politique néo-nazi.

Un mensonge, s'il est répété mille fois, devient la vérité, est un principe de propagande désormais apprécié en Occident.

Une simple question permet d'exposer la réalité. Si l'OTAN est si puissante et l'armée russe si faible et mal préparée, comment se fait-il que la Russie défie ceux qui s'y opposent et annonce qu'elle détruira les convois d'armes occidentaux vers l'Ukraine, alors que l'OTAN ne fait que reculer et évite tout contact direct ?

À ce stade, nous constatons que si les villes ukrainiennes disposent aujourd'hui d'eau, d'électricité et d'Internet, c'est simplement parce que la Russie le permet, ce qui devrait faire réfléchir aux raisons ultimes et ne semble pas compatible avec le dirigeant sans cœur.

Les versions qui laissent penser que la Russie prépare des attaques contre des centrales nucléaires à ses propres frontières et à celles du Belarus ne manquent pas - quelle logique y a-t-il à générer une fuite radioactive à proximité de son propre territoire ?

Mais ce n'est pas tout, nous voyons aussi la Russie être accusée de préparer une attaque aux armes chimiques contre les Ukrainiens, tout en laissant l'eau et l'électricité fonctionner, personne ne remarque l'absurdité ?

Nous ne devrions pas être trop surpris quand nous voyons les allégations que la Russie fait depuis des années, allégations qui sont rendues vraies par les 26 laboratoires biologiques en Ukraine, en plus de la demi-douzaine trouvée au Kazakhstan et de la plus d'une centaine dans d'autres nations limitrophes de la Russie.

Les États-Unis ignorent ces allégations et, face aux preuves fournies par Moscou, choisissent d'expliquer qu'ils sont préoccupés par le fait que la Russie puisse avoir accès à ces agents pathogènes mortels.

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Personne en Occident ne semble s'inquiéter du fait que les États-Unis et l'OTAN possèdent plus d'une centaine de laboratoires pour la guerre biologique, que des programmes sont développés pour capturer le matériel génétique russe et chinois afin de fabriquer des armes ethniques qui ne sont mortelles que pour les groupes cibles.

Non, pour l'Occident, il est normal que de telles recherches soient menées à la frontière russe (et chinoise), et le danger est que la Russie puisse mettre la main sur ces informations.

Le niveau de l'approche est vraiment enfantin, et pourtant nous devons apprécier avec une certaine tristesse qu'une grande partie de la société occidentale est tellement aliénée par la propagande qu'elle est incapable de comprendre quelque chose d'aussi basique que ce que nous décrivons.

Une dernière question à mentionner dans ce sens est la question économique et financière, présentée une fois de plus dans la sphère occidentale comme des sanctions surpuissantes (la déconnexion de Swift a été annoncée comme une bombe nucléaire économique). Peu après le coup initial, nous voyons des données qui devraient amener l'Occident à se demander si c'est la bonne façon de vaincre la Russie.

Tout d'abord, nous avons assisté à la flambée des prix de l'énergie, des métaux et des denrées alimentaires, ce qui a exercé une pression inflationniste sur les économies. Mais ce n'est qu'un début, la déconnexion de Swift a fini par être partielle car l'UE, comme l'a reconnu Josep Borrell, ne peut se passer du gaz russe et son remplacement prendra plusieurs années, voire pas du tout, et à un coût exorbitant.

Pour avoir une idée de ce dont nous parlons, le gaz qui, il y a un an, coûtait environ 300 dollars pour 1000 m3, vaut aujourd'hui 3900 dollars, ce qui a un impact non seulement sur les poches des consommateurs européens qui ont besoin de chauffage, mais aussi sur l'industrie, déjà chère en soi, et qui perdra sa compétitivité dans le monde.

L'Europe est en train de se suicider et elle le fait aux mains de ses propres dirigeants, qui ont formé une croisade qui les conduit à interdire tout ce qui est russe, avec des absurdités telles qu'un orchestre symphonique qui a refusé de jouer Tchaïkovski parce qu'il était russe.

Les politiques de la "cancel culture" que nous avons vues à l'oeuvre il y a quelques mois dans leur absurdité progressiste ont maintenant une utilité géopolitique.

La Chine est le grand gagnant, elle obtient du gaz supplémentaire pour son économie et profite de l'absurdité du Swift car les États-Unis et leurs partenaires démontrent simplement que le dollar n'est pas une valeur refuge, que les réserves peuvent être confisquées à volonté et que la soi-disant sécurité juridique n'est qu'un bluff.

Tout est prêt pour que le yuan, désormais doté d'une version cryptographique, adossé à l'or et soutenu par CIPS, l'équivalent chinois de Swift, le supplante dans au moins deux tiers du monde non occidental.

Espérons que pour l'Occident, c'est le pire, s'il s'oriente vers une division mondiale en deux secteurs dans une répétition de la guerre froide, il se retrouvera avec la pire partie, celle d'une économie spéculative tandis que le camp rival dispose du secteur productif, avec le design et la technologie comme agrégat.

L'Occident s'est trompé sur la réalité, la Russie n'a pas été effrayée par les sanctions, qui loin d'être surprenantes ou dévastatrices comme la presse voudrait nous le faire croire, les a utilisées à son avantage en rachetant à prix cassés les entreprises qui quittent son pays et en nationalisant l'économie, en sapant le pouvoir réel des Etats-Unis, qui était le dollar comme monnaie de réserve et de commerce et en démontrant à l'Occident que ses entreprises dépendent des matières premières russes. Combien de temps faudra-t-il pour le remplacer et à quel prix ? Et ce n'est qu'un exemple.

En réalité, les sanctions occidentales ne sont qu'un catalyseur pour l'émergence d'une puissance alternative aux Anglo-Saxons et à leurs partenaires de moindre importance, qui a pour corrélat la perte de marchés tels que les 140 millions de Russes plus leurs alliés, auxquels on peut ajouter la Chine si on continue à faire pression sur elle.

L'UE est laissée pour compte, ses capacités sont réduites et ses contradictions internes sont exposées, ce qui la conduira à l'effondrement dans un court laps de temps. Les États-Unis perdent un partenaire tel que cette UE décadente et se referment sur eux-mêmes, mais pas en position de force comme le voulait Trump, mais en position de faiblesse.

Si nous prêtons attention aux acteurs mondiaux les plus pertinents, seuls les plus proches ont suivi les États-Unis, à preuve les pays que la Russie a signalés, l'UE plus 14 autres.

L'Inde, les 15 de l'ANASE, la Chine, les Africains, les Ibéro-Américains et les pays d'Asie centrale, entre autres, ont décidé de ne pas se plier aux États-Unis et à leurs sanctions.

Si le calcul de Poutine est si faux, si tout a si mal tourné pour lui, pourquoi ne se plie-t-il pas aux actions occidentales ? Il ne voit certainement pas le triomphe de l'Occident aussi clairement que la presse et les communicateurs de réseaux voudraient nous le faire croire.

Ces manipulateurs de nouvelles ont parlé de l'effondrement du rouble. Pourtant, lundi dernier, il a ouvert à 153 roubles pour un dollar et vendredi, il a clôturé à 114 roubles par unité de la devise américaine.

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Le fait de cacher cette nouvelle crée une réalité parallèle, un sentiment d'euphorie triomphale qui vise à maintenir le soutien du public et à faire passer les États hésitants dans le camp des vainqueurs.

Le problème réside dans le fait que les élites occidentales sont bien conscientes de la réalité : leur défaite à moyen terme est scellée et ne peut être évitée que par une action militaire visant à stopper la dérive naturelle des événements.

Bien sûr, même en cas de triomphe militaire hypothétique et douteux, le monde serait détruit et des milliards de personnes perdraient la vie directement et indirectement. L'hémisphère nord serait pratiquement inhabitable et c'est là que se concentre la majorité de la population mondiale.

Une question :

Qui pourrait souhaiter un monde réduit à 10 ou 20 % de sa population, car ce serait le résultat d'une guerre entre les grandes puissances. Il existe des groupes qui travaillent sur cette hypothèse.

Par coïncidence, on assiste à un boom des transactions immobilières où des méga-milliardaires occidentaux, notamment du monde anglo-saxon, investissent dans des terres de l'hémisphère sud comme l'Amérique du Sud ou des îles du Pacifique.

C'est peut-être un indice de ceux qui jouent le jeu et de ce qu'ils recherchent, utiliser les nations qu'ils ont parasitées à leurs fins pour imposer leur volonté de suicide afin d'imposer leur modèle.

jeudi, 18 novembre 2021

Guerre de l'espace : la course à la militarisation de l'espace est relancée

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Guerre de l'espace : la course à la militarisation de l'espace est relancée

Paolo Mauri

Source : https://it.insideover.com/difesa/space-warfare-si-riapre-la-corsa-alla-militarizzazione-dello-spazio.html

L'espace est redevenu un environnement dans lequel les puissances mondiales se défient de manière proactive. Depuis la mise en orbite du premier satellite artificiel, l'idée de l'exploiter à des fins militaires a été envisagée, y compris la possibilité de mettre des armes en orbite.

De ce dernier point de vue, c'est en 1967 qu'a été décidé l'OST (Outer Space Treaty), c'est-à-dire le traité sur l'espace extra-atmosphérique basé sur les résolutions de l'ONU datant de 1962-63. Elle établit les principes de référence pour l'utilisation de l'espace, qui peuvent être essentiellement résumés en trois points fondamentaux : son utilisation pacifique, la liberté de chaque pays d'accéder à l'espace et de l'utiliser puisque, comme les corps célestes, il n'est pas soumis à des déclarations de souveraineté, et enfin l'engagement des États à ne pas mettre en orbite des systèmes équipés d'armes nucléaires ou d'armes de destruction massive.

Le défi de la Russie et de la Chine

Le récent essai chinois d'un véhicule de rentrée hypersonique (HGV - Hypersonic Glide Vehicle), qui a volé en orbite basse, ne relève pas de l'OST en raison de ses caractéristiques : il s'agirait d'un FOBS (Fractional Orbital Bombardment System), c'est-à-dire d'un système qui vole à une altitude inférieure à celle couramment utilisée pour les systèmes orbitaux. Le principe du FOBS, développé pour la première fois par l'Union soviétique à l'époque de la guerre froide, suscite l'inquiétude en raison de sa capacité à contourner les défenses antimissiles et aussi de nombreuses capacités d'alerte précoce. Par rapport à un missile balistique intercontinental (ICBM) conventionnel, un FOBS peut en effet effectuer les mêmes attaques mais à partir de directions hautement imprévisibles. Les limites de portée deviennent un facteur non pertinent (l'échelle serait effectivement mondiale) et le moment de la première frappe est également beaucoup moins prévisible.

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Même le récent test d'un système russe ASAT (Anti Satellite), qui a touché un satellite désaffecté et généré des débris qui ont même mis en danger l'ISS (International Space Station), a été possible parce qu'il était en dehors des termes du traité. Sa simplicité, en fait, est aussi son point faible: tout d'abord, on ne sait pas exactement ce que l'on entend par "utilisation pacifique" de l'espace et quels comportements peuvent violer cette définition. Il n'est pas non plus question d'interdire l'utilisation de satellites à des fins militaires - pour autant qu'ils ne soient pas équipés d'armes de destruction massive - telles que la collecte d'informations, la surveillance, les communications et la navigation.

Depuis sa naissance en 1967, la simple idée d'armes antisatellites à micro-ondes ou à laser - qui ne relèvent pas du domaine des ADM (armes de destruction massive) - était confinée à la science-fiction et n'était donc pas envisagée. Comme indiqué, l'OST n'interdit pas l'utilisation d'armes antisatellites terrestres traditionnelles, telles que les missiles ASAT, ni le développement de systèmes à double nature, tels que des satellites capables de ravitailler et de réparer d'autres satellites qui peuvent être rapidement convertis en systèmes capables de détruire des moyens spatiaux ennemis.

L'évolution de la guerre spatiale

La guerre spatiale connaît aujourd'hui un renouveau, car les moyens spatiaux - ou les moyens liés à l'espace - sont des catalyseurs et des multiplicateurs de la force militaire pour les puissances mondiales: le champ de bataille d'aujourd'hui (et de demain) est multi-domaines, multi-couches, fusionnant les environnements terrestre, maritime, aérien, cybernétique et spatial.

Nous vivons aujourd'hui une époque où nous reprenons un chemin (bien qu'avec des objectifs différents) qui semblait abandonné dans les années 1980: à cette époque, aux États-Unis, la SDI (Strategic Defense Initiative), communément appelée "Guerre des étoiles", était lancée. À l'époque, le Pentagone avait l'intention de se doter d'un "bouclier spatial" pour frapper les véhicules de rentrée des missiles balistiques soviétiques et éliminer les satellites adverses.

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Aujourd'hui, nous vivons dans une période historique que nous pouvons définir comme "post-traité", qui a vu la disparition - entre autres - du traité ABM (Anti Ballistic Missile), ce "bouclier" est devenu une réalité (bien qu'avec des considérations sur son efficacité réelle) et donc l'activité ASAT est ressuscitée sous toutes ses formes.

Qu'est-ce que la guerre antisatellite ?

Les options pour la guerre antisatellite prévoient un certain nombre de systèmes différents: des armes à radiofréquence installées sur des véhicules en orbite, des lasers terrestres de grande puissance, des véhicules de manœuvre pour les opérations spatiales (tels que les satellites de mines) et le lancement de missiles antisatellites depuis le sol et depuis des avions tels que l'Asm-135. Il s'agissait d'un missile lancé par un F-15 Eagle spécialement modifié qui, grâce à une manœuvre spéciale du chasseur, a été placé sur une trajectoire de collision précise avec le satellite cible. En 1988, le programme a été officiellement annulé, mais selon certaines sources, il n'a été retiré du service qu'en apparence et son développement s'est poursuivi dans le secret. La Russie semble également disposer d'un système similaire actuellement en service : en septembre 2018, un MiG-31BM (Foxhound dans le code de l'OTAN) a été photographié à l'aérodrome de Joukovsky, à l'extérieur de Moscou, armé de ce qui a été identifié comme un potentiel missile antisatellite.

Il existe également des systèmes non cinétiques: les brouilleurs peuvent être montés sur des satellites ainsi que sur des plates-formes aériennes telles que des drones ou des avions pilotés, et même pour les lasers, il a été question dans les années 1980 d'un système aéroporté - l'ABL - monté sur un Boeing 747 spécialement modifié, mais le programme a ensuite été annulé, bien que récemment, certains pensent le ressusciter. De même, la Russie a révélé qu'elle disposait d'un nouveau laser monté sur avion capable de détruire ou d'aveugler les satellites ennemis, qui fonctionne avec un complexe innovant de suivi et de contrôle radar au sol fourni par Almaz-Antey. Parallèlement, le développement de lasers terrestres et satellitaires de forte puissance se poursuit : les États-Unis indiquent qu'en 2006, l'un de leurs satellites a été illuminé par un laser terrestre de faible puissance.

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Une autre solution pour éliminer les satellites de l'adversaire a été conçue au plus fort de la guerre froide : elle nécessitait l'explosion d'un missile nucléaire dans l'espace pour neutraliser les ressources en orbite au moyen de l'impulsion électromagnétique de la détonation atomique, mais l'impulsion électromagnétique générée devait également "brûler" son propre réseau de satellites.

En ce qui concerne les missiles ASAT basés au sol, la Russie et la Chine semblent avoir beaucoup d'avance : Moscou a démontré cette possibilité une fois de plus le 15 avril 2019 lorsqu'un missile Pl-19 Nudol s'est élevé d'un dispositif mobile de type Tel allant frapper sa cible dans l'espace. Le Pl-19 a effectué son premier essai réussi en novembre 2015 après deux tentatives infructueuses. En janvier 2007, Pékin a frappé et détruit un de ses vieux satellites inactifs (le Fengyun-1C) avec un missile terrestre KT-1.

L'idée de frapper les satellites adverses à partir de moyens spatiaux a également fait son chemin : Moscou a récemment effectué au moins deux tests de ce type (en 2017 et 2020) lorsque des satellites de la famille Cosmos ont libéré de petits véhicules tueurs qui ont frappé des cibles en orbite. Être présent dans l'espace, et disposer de capacités de contre-espace, devient donc de plus en plus essentiel pour rechercher la suprématie sur le champ de bataille.

mercredi, 03 mars 2021

"Survivre à la guerre économique" avec Olivier de Maison Rouge

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"Survivre à la guerre économique" avec Olivier de Maison Rouge

"La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde". Ces mots du président Mitterrand n'avaient rien d'une fable, la guerre économique et bien là et elle est totale. C'est ce qu'a voulu démontrer maître Olivier de Maison Rouge dans son ouvrage "Survivre à la guerre économique - Manuel de résilience" publié chez VA Editions. Il revient sur les principales attaques de "l'allié américain" : Prism, Alstom... sur la politique de censure des GAFAM, le grand Big Brother et décrit les contours de la politique publique de sécurité économique dont la France s'est dotée en 2019 pour tenter de survivre face à Washington.
 
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lundi, 15 février 2021

La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

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La guerre "off limits" des Colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui (1999) et le "rêve chinois" (2010) du Colonel Liu Mingfu

Irnerio Seminatore

 

Un dépassement du concept militaire de guerre?

Si dans la tradition occidentale la guerre comme "poursuite de la politique par d'autres moyens" (Clausewitz), associe à la finalité, conçue par la politique (Zweck), des actes de violence pour imposer à l'autre notre volonté, le concept décisif de la violence étatique et de l'action guerrière sont-ils toujours essentiels à la rationalité politique du conflit belliqueux dans la pensée militaire chinoise?

Avec le concept stratégique de "guerre sans limites" et de défense active, élaboré par les deux Colonels chinois Qiao et Wang en 1999, avons nous surmonté le concept militaire de guerre? Avons nous touché au "sens" même de la guerre, comme soumission violente de l'un par l'autre? Sommes nous passés d'une civilisation de la guerre violente et sanglante, à une ère dans laquelle l'importance de l'action non guerrière influence à tel point la finalité de la guerre comme lutte (kampf) que l'esprit, dressé contre les adversités parvient à remplacer la force par la "ruse" et à atteindre ainsi le but de guerre (Zweck)? A ce questionnement il faut répondre que, dans le manuel des Colonels Qiao-Wang nous sommes restés au niveau de la méta-stratégie et donc à l'utilisation d'armes et de modalités d'action qui distinguent en Occident, la défense passive de la défense active. Une posture stratégique n'est au niveau géopolitique qu'un mode asymétrique pour ne pas céder et ne pas se soumettre et, au niveau opérationnel et doctrinal, de mettre en œuvre un stratégie anti-accès.

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Le Général Qiao Liang.

Le livre des deux colonels de l'armée de l'air a été reçu par les analystes occidentaux comme un examen des failles de la force américaine de la part des spécialistes chinois et comme la recherche de ses talons d' Achille, à traiter par les biais de la "ruse". La "guerre hors limites" inclut, dans une conception unitaire, la guerre militaire et la guerre non-militaire et comprend tout ce qu’on a pu parfois désigner sous le terme d’opérations autres que la guerre. Dans une acception très extensive, la guerre économique, financière, terroriste, présentées avec une vision prémonitoire et anticipatrice. La guerre informatique et médiatique y fait figure de champs d'innovation ouvrant à de nouveaux théâtres d’opération, qui nécessitent d'un dépassement des objectifs de sécurité traditionnels. Dans cette "guerre omnidirectionnelle", la guerre ne sera même plus la guerre classique, car "ni l’ennemi, ni les armes, ni le champ de bataille ne seront ce qu’ils furent". Le jeu politique et militaire a changé. Dans cette situation aux incertitudes multiples, il va falloir définir une nouvelle règle du jeu (…), un produit hybride…" (Qiao-Wang), seule certitude, l’incertitude. Une recommandation toutefois pour tous! Savoir combiner le champ de bataille et le champ de non bataille, le guerrier et le non guerrier. Les préceptes de cette réflexion sont-ils encore valables aujourd’hui? (février 2021)

Du point de vue général, en aucun cas les conseils dispensés à l'époque n'ont conduit à une remise en cause de la notion de pouvoir/puissance, puisque la doctrine et la stratégie militaires de la Chine demeurent, depuis la parution de ce manuel, celles de ses principaux rivaux et visent la maîtrise de secteurs-clés des technologies avancées pour acquérir la supériorité dans une guerre locale et parvenir à une solution négociée, évitant que le risque assumé ne dégénère en conflit ouvert. Or le succès de la stratégie chinoise de contrôle des "secteurs clés" d’une campagne militaire repose sur un principe décisif: l’initiative. Cependant une succincte conclusion conduit à la considération que le "concept d'asymétrie" de la pensée et du programme de modernisation militaire chinois se situe sur le plan opérationnel et se concentre sur la capacité de saisir la supériorité dans le domaine de l'information et de l'exploitation du réseaux informatique et guère au niveau de la théorie politique ou militaire. En effet le centre de gravité des interrogations repose sur la question de fond pour la défense et la sécurité chinoise. Comment faire face à la superpuissance américaine La modernisation de l'Armée Populaire de Libération n'a pas débuté après les réformes économiques de Deng Tsiao Ping et elle n'a pas concerné la dissuasion nucléaire, qui structure étroitement la relation entre stratégie et pouvoir, mais sur les réponses à donner à la modernisation des armées, en vue d'un combat conventionnel et fut conçue comme un moyen de combler le retard et les lacunes accumulés à partir de la première guerre du Golfe (1991). Ce livre reflète les idées d'un des courants, le plus radical, qui s'est imposé dans le débat sur la modernisation des forces armées comme expression d'un pouvoir unique.

Pouvoir unique et plusieurs théâtres

Il prôna l'inutilité de songer à rattraper les États-Unis dans le domaine conventionnel et il est parvenu à la conclusion de concevoir une stratégie asymétrique et sans règles (ruse conceptuelle), pour s'opposer et réagir à la supériorité des moyens et des forces des États-Unis. La multiplication des foyers de conflit, des théâtres de confrontation et des alliances militaires dans un monde à plusieurs pôles de pouvoir, assure-t-elle encore la pertinence d'une telle analyse? Le concept de défense active, jugé insuffisant, n'a t-il pas infléchi le deux notions de Soft et de Hard Power et, par voie de conséquence, la rigidité ou la souplesse interne et extérieure du régime? Par ailleurs, dans une vision non militaire du rapport mondial des forces ne faut il pas prendre en considération, comme potentiel de mobilisation, les nouvelles routes de la soie, comme extension des moyens et d'emploi d'une autonomie stratégique globale et dépendante d'un pouvoir unique, utilisant la force et la ruse, la séduction et l'autorité? Et comment une philosophie et une  culture de l'esquive à la Sun-Tzu peut elle se traduire en posture et doctrine active, de pensée et d'action dans un contexte d'hypermodernité technologique? En revenant à l'analyse des deux Colonels chinois, la modernisation de l'ALP, envisagée dans l'hypothèse d'une confrontation avec les États-Unis, a exigé une observation attentive des avancées militaires et des talons d'Achille de la superpuissance américaine. Considérant que l'évolution de l'art de la guerre s'étend bien au delà du domaine de la pure technologie et de ses applications militaires, sur lesquelles tablent les américains, le domaine de la guerre est devenu le terrain d'une complexité brownienne, qui combine plusieurs enjeux et plusieurs objectifs, différenciant ainsi les buts de guerre. La frontière entre civil et militaire s'efface, de telle sorte que les composantes et les formes non militaires de l'affrontement, sont intégrées et annexées dans un effort beaucoup plus important, qui modifie non pas le "sens" ou la "logique (politique) de la guerre, mais sa "grammaire".

Liu Mingfu et le"Rêve Chinois" (Zhongguo meng)

imagesliumingfu.pngCe livre est par ailleurs l'illustration d'un courant nationaliste, qui n'exclut aucune hypothèse, y compris une confrontation avec les États-Unis. Cette hypothèse s'inscrit d'une part dans l'analyse des tendances stratégiques contemporaines et de l'autre dans le débat sur le destin national chinois, permettant d'accorder, au moins théoriquement, la "montée pacifique" du pays, avec la conception d'un "monde harmonieux"(ou d'un ordre politique juste et bienveillant) Cependant son point d'orgue repose sur l'idée de profiter d'une grande "opportunité stratégique", à l'ère post-américaine, dont témoigne le texte le "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, prônant la consolidation de la puissance chinoise et le rattrapage de l'Occident. En effet le rétablissement du rôle central de la Chine dans les affaires internationales, régionales et mondiales, opère dans une période d'affaiblissement des États-Unis (années 2010). Dans ce début de millénaire, l'Amérique ne serait plus "un tigre un papier", comme à l'époque de Mao Zedong, mais "un vieux concombre peint en vert" (Song Xiao JUn), de telle sorte que la Chine ne peut plus se contenter d'une "montée économique" et a besoin "d'une montée militaire".

Ainsi elle doit se tenir prête à se battre militairement et psychologiquement, dans un affrontement  pour la "prééminence stratégique". C'est "le moment ou jamais", pour le Colonel Liu Mingfu, puisque le but de la Chine est de "devenir le numéro un dans le monde", la version moderne de sa gloire ancienne, une version exemplaire, car "les autres pays doivent apprendre de la Chine- dit Liu Mingfu dans une interview en 2017 au New York Times, mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine!

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Le Colonel Liu Mingfu.

Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, de 2017, un livre intitulé "Le Crépuscule de l'hégémonie", qui a d'ailleurs été traduit en anglais. Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait." De façon générale, la revendication d'un statut de puissance mondiale de la part de la Chine, s'accompagne, depuis le livre "La Guerre hors limites" des Colonels Quiao et Wang, jusqu'au "Rêve Chinois" du Colonel Liu Mingfu, du sentiment historique d'un "but grandiose", celui d'une grande mission à poursuivre contre un ordre politique international injuste et amoral.

Bruxelles 15 février 2021

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/f-vrier/la-gue...

dimanche, 14 février 2021

La guerre d'anéantissement et la paix apparente

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La guerre d'anéantissement et la paix apparente
 
Irnerio Seminatore

En rappelant que la guerre n'a pas un caractère moral et ne peut comporter en soi un caractère criminel, en disqualifiant d'avance et par le droit la figure de l'ennemi, la guerre d'anéantissement, en dehors de toute référence aux legs de la civilisation, se développe en dessous de la paix apparente, conformément au sens originel de la lutte et de sa fureur élémentaire. Elle se définit dans la dimension conjointe de l'affrontement guerrier et de la perspective d'anéantissement de l'adversaire. Sous forme de lutte à mort, elle resserre en un seul concept, trois buts de guerre, politique, militaire et civil. Politique (par un choc étatique des armées), militaire (par une suppression de toute opposition et de toute résistance sur les arrières), et enfin, génocidaire (par la confusion des civils et des militaires et l'absence de toute retenue et contrainte violente). Elle produit une fusion destructrice de trois facteurs de résistance, la force actuelle, le potentiel de mobilisation et la force vive du peuple ou de la nation. Enfin, dans une apothéose de mort elle conduit à la suppression de tout antagonisme, peuple, race ou religion. Cela signifie l'éradication de l'ennemi du cours de l'histoire et, de ce fait, une guerre totale, en son pur principe. Ce type de guerre comporte la liquidation immédiate et soudaine d'une portion définie, organisée et territoriale de l'espèce humaine et configure ainsi la conception d'une guerre d'effacement existentiel, au dessus de laquelle tout armistice est trompeur, aléatoire et précaire. Deux exemples confirment cette analyse: la bataille de Canne (216 a.J-C) et la destruction de Carthage par les Romains dans l'antiquité et l'Opération "Barbarossa" pour l'anéantissement de l'URSS dans la troisième guerre mondiale (juin 1941). Le but d'éliminer l'adversaire et de raser Carthage après la deuxième guerre punique, fit de Rome la maîtresse du "Mare Nostrum"; la conquête de l'espace vital (le Lebensraum), devait permettre un repeuplement de l'immense étendue des terres de l’hémisphère Nord de l'Eurasie pour la constitution allemande d'un empire millénaire. Le Drang Nach Osten (la marche vers l'Est) aurait pu assurer une domination in-contrastée au Herrenvolk (le Peuple des Seigneurs).

Différente dans la forme, mais similaire pour les enjeux et surtout pour les issues, l'anéantissement des populations européennes par la guerre du ventre des femmes musulmanes. L'asymétrie démographique et la mobilité humaine compensent ainsi les buts de conquête politiques et militaires. La proclamation de la guerre du ventre fut une anticipation prémonitoire de Houari Boumediene. L'avait-on oublié?

En avril 1974, le président de la république algérienne, Houari Boumediene, prévenait l’Europe du projet de transplantation de peuple qui se préparait :

« Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas en tant qu’amis. Ils iront là-bas pour le conquérir, et ils le conquerront en le peuplant avec leurs fils. C’est le ventre de nos femmes qui nous donnera la victoire ».

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L'histoire c'est aussi la démographie, éruption irrésistible du vivant.

La perspective d'anéantissement du Nord par le Sud de la planète est la forme de la Lebensraum des opprimés contre les nantis Une perspective d'anéantissement lent, souterrain et insidieux, par l'étreinte démographique des populations. Une poursuite de la décolonisation, en forme d'invasion et de revanche, qui montent par vagues successives, par terre et par mer, soutenues par des organisations militantes. C'est le purgatoire des démunis et la noyade des populations autochtones. Ce sont les flux, refusés par la Grande Bretagne et sources de dissolution, de désagrégation et de conflit. Est loin des esprits, dans cette forme piétiste de la guerre des mondes, le principe westphalien du "cuius regio eius religio" (ou non ingérence idéologique), mais aussi celui du "cuius economia, eius regio" (individualisme ou étatisme économique), et encore le différent déterminisme des paradigmes de la connaissance "cuius religio, eius universalis cognitio"(telle religion, tel universalisme), visant l'identité, la famille, le groupe, la religion et la divinité. L'anéantissement touche ici aux principes premiers, ceux de la mission et de la foi. Un peuple ou un communauté affectés de l'intérieur par une "guerre des dieux" sont un peuple et une communauté condamnés à la disparition et à la sortie de l'histoire. Dans la guerre d'anéantissement démographique ou racial, la défense immunitaire de la philosophie et du droit est pervertie en son contraire, l'égalisation des conditions et des statuts. C'est la porte ouverte à l'exercice d'une violence disruptive, vindicative et revendicative de la part de l'étranger, devenu citoyen. Dans ces conditions la guerre n'est plus considérée comme une relation d’État à État, mais comme une révolte et insoumission permanentes, dépourvues de leaders et donc in-négociable. L’envahisseur, ami de l'ennemi extérieur est le premier fossoyeur de l'arène politique à qui on a remis les clés de la cité et qu'il livre au frère ennemi, lorsque la guerre civile est surmontée par la guerre étatique. La guerre de substitution, par noyade ethnique ou raciale, a son moment culminant dans la délivrance de toute obéissance, désignant une crise d'autorité et une prise de terre à repeupler.

Protégé par une philosophie humanitariste, consentie à l'ennemi sécessionniste, l'ekthrsos profite de la vie publique pour attiser les antagonismes des vieux conflits interconfessionnels et se hisser à la tête de la terreur extrémiste. De facto la guerre d'anéantissement se prépare dans l'antériorité de la guerre civile des sociétés ouvertes et dans la préparation souterraine des guerres d'étripement et de terreur qui la précèdent. Cela prouve que le monde n'est pas un village planétaire mais un espace protégé par les murailles du droit qui veillent à la sécurité des nations, sous le brouillard de la paix apparente de Saint Augustin. La bataille qui précède la guerre d'anéantissement est au même temps juridique et philosophique, afin que l’envahisseur ne puisse disposer des armes lui permettant de violer l'état de la pacification existante et de poignarder au dos le parti de la cohabitation et du "statu quo", par une fausse égalisation des conditions. Est guerre d'extermination dans les deux cas, la perspective d'anéantissement par l’atome, le globalisme prophétique, le millénarisme climatique et le réinitialisation de Davos. Concepts englobés dans les deux expressions de destruction complète et d'abattement total, sans pour autant que soit identifié l'auteur de cette guerre d'anéantissement qui, à l'inverse des perspectives civilisationnelles du passé, permettrait demain sa condamnation et sa mise au ban des nations.

Bruxelles, le 5 janvier 2021

NdR. Ce billet fait partie d'une étude sur le thème :"GUERRE ET POLITIQUE. La désignation de l'ennemi et la discorde dans les alliances"

Source: http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/janvier/la-gue...

samedi, 13 février 2021

De Mao au monde multipolaire : l'évolution de la doctrine militaire chinoise

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De Mao au monde multipolaire: l'évolution de la doctrine militaire chinoise

Par Lorenzo Ghigo

Ex : https://geopol.pt

Suite à la crise du modèle international unipolaire et à son énorme croissance économique et technologique, la République populaire de Chine (RPC) est le grand prétendant à l'hégémonie internationale aujourd’hui exercée par les États-Unis. Cette volonté chinoise s’exprime également au niveau militaire. La présence croissante des États-Unis en Asie, la crise persistante à Hong Kong et les relations avec Taïwan ont conduit le gouvernement chinois à abandonner l'isolationnisme qui caractérisait sa politique étrangère au début des années 2000, au profit d'une politique plus affirmée.

La stratégie de la Chine est basée sur la défense et la poursuite des intérêts nationaux, en assurant la sécurité intérieure et extérieure, la souveraineté nationale et le développement économique. Sous le gouvernement de Xi Jinping, le progrès technologique est considéré comme une occasion importante de relancer la nation chinoise et son rôle sur la scène internationale. Au cœur du projet du dirigeant chinois se trouve la création d'un nouvel ordre sinocentrique fondé, au moins formellement, sur des relations d'égalité avec les autres États et visant à la constitution d'"une Asie harmonieuse".

518cB6uGp7L.jpgLa nouvelle doctrine militaire chinoise est à toutes fins utiles une redécouverte et une extension des théories de L'Art de la guerre de Sun Tzu. L'objectif tactique est de conditionner l'esprit et la volonté de l'ennemi dans un cadre stratégique en constante évolution en profitant de situations favorables grâce à divers stratagèmes et tromperies. La pensée militaire chinoise se caractérise par une approche indirecte, il existe chez les Chinois une vision holistique des objectifs qui, contrairement à l'Occident, ne se concentre pas sur une cible spécifique mais sur l'ensemble du système, et le recours à la force doit être utilisé dans le cadre d'une stratégie à long terme en intégrant les sphères militaire et civile, en utilisant la guerre hybride et la cyberguerre dans la conduite des opérations de guerre traditionnelles. L'Armée populaire de libération est en effet en train de développer des capacités opérationnelles et technologiques incroyables dans le cyberespace, non seulement en ce qui concerne l'espionnage et l'acquisition d'informations sensibles, mais aussi en ce qui concerne les attaques sur les infrastructures critiques pendant les conflits armés. La RPC considère le contrôle du cyberespace comme une prérogative essentielle pour affirmer son pouvoir national.

L'armée n'est plus appelée à préparer des guerres menées à grande échelle sur le territoire chinois, mais plutôt des guerres limitées, tant sur le plan de l'entité des objectifs politiques que sur celui de l'intensité de la violence, soit des guerres à mener dans des zones périphériques et circonscrites, principalement des conflits régionaux à forte informatisation.

L'approche maoïste de la guerre semble avoir été définitivement abandonnée, les forces armées sont dépolitisées et, bien que l'influence du parti communiste chinois soit encore forte, on ne peut plus parler d'une armée populaire, mais d'une armée d’élite spécialisée et professionnelle dans les opérations militaires. De plus, en consolidant ses frontières, la Chine a renoncé à une défense stratégique en profondeur, en utilisant une stratégie de projection de forces sur les mers, et d'influence politique dans d’autres pays asiatiques.

Le texte Unristricted Warfare publié par les colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui a apporté une contribution notable à la nouvelle doctrine stratégique de la RPC. Cet ouvrage, qui dans l'édition américaine prend le sous-titre de China's Master Plan to Destroy America, prescrit les règles et les stratégies de conduite des conflits contemporains dans le but de défendre les intérêts nationaux en exploitant les nouvelles possibilités offertes par la mondialisation et l'évolution technologique. Le concept de guerre sans restriction prévoit une multiplication de nouveaux types d'armes et que chaque endroit peut devenir un champ de bataille. L'armée, pour faire face aux nouveaux conflits, doit mener des batailles adaptées à ses armes et adapter ses armes à la nouvelle bataille.

Dans le manuel Zhànlüè xué (Science de la stratégie), compilé par le département de recherche stratégique de l'Académie des sciences militaires, il est affirmé que "les champs de bataille sur terre, sur mer, dans les airs, dans l'espace extra-atmosphérique, dans l'espace électromagnétique ne font qu'un ; les combats et les opérations sur chaque champ de bataille sont des conditions pour les combats et les opérations sur les autres".

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Cette vision est basée sur des actions de guerre hybride, qui impliquent non seulement des capacités militaires mais aussi l'application d'un concept holistique de défense nationale par la coopération des secteurs civil et militaire. Les stratèges chinois développent également la doctrine Shashou Jian ("club de fer"), qui vise à dominer l'espace physique et cybernétique en désarmant l'ennemi et en l'empêchant d'être une menace pour l'intérêt national. Ce concept repose sur la nécessité de développer une capacité militaire capable de désarmer l'adversaire avant qu'il ne puisse frapper. L'utilisation d'armes hautement technologiques, de missiles, de cyberarmes, de bombes intelligentes, de drones, est finalisée pour annuler la puissance de feu ennemie.

Toujours à la lumière des conséquences dramatiques de la récente pandémie, la Chine doit se préparer à un scénario international incertain et indéterminé, caractérisé par de nouveaux types de conflits, de nouvelles menaces, de nouvelles technologies, de nouveaux champs de bataille et de nouvelles stratégies.

Publié à l'origine dans Osservatorio Globalizzazione

mercredi, 13 janvier 2021

Sun Tzu et Clausewitz - Guerre et politique

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Sun Tzu et Clausewitz

 

Guerre et politique

 

Irnerio Seminatore

 

Sun Tzu est une figure à la fois historique et légendaire, qui appartient à la Chine des royaumes combattants, celle du IVe siècle avant Jésus-Christ. Son identité est incertaine, sa biographie vide et la véracité de son œuvre contestée. Qui est donc Sun Tzu et pourquoi son actualité ? Mérite-t-il de figurer sur les frontons de gloires militaires et par là de nos maîtres à penser ? L’identité de Sun Tzu, quoiqu’incertaine, tire sa raison d’être de l’enseignement d’un grand texte, L’Art de la Guerre, qui est l’expression d’une philosophie de l’existence et la référence obligée d’une pensée, résumant les concepts essentiels d’une Chine septante fois séculaire.

s-l500.jpgSon actualité tient à la géopolitique mondiale et à l’importance croissante du pays de Chung Kuò sur le plan économique et stratégique, mais aussi à l’exotisme de formulations littéraires du texte, inspirant une tradition de savoir dont l’ambiguïté, comme celle des écrits de Lao Tse, est susceptible d’interprétations multiples. Par ailleurs, l’actualité de L’Art de la Guerre découle de la somme des dilemmes et des interrogations que les hommes de pensée et d’action doivent résoudre dans les drames individuels de leur vie, ou dans les engagements collectifs de leurs peuples ou encore dans les questionnements imposés par des situations graves, de danger existentiel et de menace imminente.

Étudié dans les écoles militaires occidentales, en particulier anglo-saxonnes, depuis les guerres révolutionnaires de la Chine, de l’Indochine et du Vietnam, comme source de réflexion stratégique, les options de Sun Tzu, leur niveau d’abstraction et leur rapport au réel sont davantage tributaires de la situation historique qui les a inspirés que d’une tradition militaire codifiée et spécifique. En effet, leurs leçons fondamentales sont d’ordre métapolitique et philosophique. Elles tiennent à l’idée que la guerre est une affaire aventureuse et aléatoire dans laquelle se joue la survie ou la mort des nations et que la réflexion qui la concerne doit être traitée avec élévation d’esprit et profondeur de jugement.

L’Art de la Guerre s’inscrit parfaitement dans la phraséologie combattante de notre époque, où la guerre classique, tout en se retirant du vécu quotidien, envahit les formes de communication les plus diverses, perçant dans les domaines de la vie civile, d’où elle avait été exclue sous l’apparence trompeuse d’un devenir pacifié de la scène mondiale. L’actualité de Sun Tzu s’inscrit parfaitement dans la logique des sciences économiques contemporaines, pensées en termes de compétition « hors limite ». En effet, l’idéologie du discours économique contemporain est pénétrée d’une terminologie guerrière, due pour une part à la dépolitisation du politique et pour l’autre à une guerre totale impraticable, mais omniprésente, celle d’une rivalité poussée à des formes de compétition sans règles. Cette actualité tient également à la fausse opinion que la guerre réelle s’identifie à la guerre économique. La guerre proprement dite, dans la pensée occidentale, est l’expression d’une lutte d’anéantissement, d’une antinomie éthique et de ce fait d’un « commerce sanglant », qui ne peuvent être réduits à une compétition marchande. La guerre économique, en revanche, tient à une opposition d’intérêts entre acteurs, zones et secteurs d’activités, dont le niveau d’innovation et de maturité relève de périodisations de développement différentes. Dans le sillage de cette deuxième interprétation, L’Art de la guerre devient un manuel pour des chefs d’entreprise et une référence, de lecture et de méthode, pour une stratégie de conquête des marchés. Ainsi, la Chine est vue comme le miroir inversé de l’Occident et L’Art de la guerre comme le modèle abstrait d’une militarisation de la société internationale et d’une dévalorisation parallèle des conflits sanglants.

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Au plan historique et dans l’empire du Milieu, à partir du VIe et Ve siècle avant Jésus-Christ, la guerre change complètement de nature, de méthode et de forme. Change en particulier la structure de l’organisation militaire, le sens du combat et le rôle du guerrier. C’est à cette époque que se modifie le rapport entre guerre et politique et entre politique et société. L’art chinois de la guerre est un art de l’oblique, qui prétend vaincre « sans ensanglanter la lame » en investissant le champ tout entier du politique et en dominant totalement l’adversaire, avant même le déclenchement du combat.

En Chine, la réflexion sur l’art de la guerre, en se hissant du savoir-faire militaire et du rapport de forces pur entre belligérants, tend à dépasser la sphère de l’affrontement violent et du conflit sanglant pour parvenir à la formulation d’une théorie globale du conflit qui s’étend à l’univers céleste et à l’ensemble du corps social.

Ainsi, la transformation de l’art de la guerre autour du Ve siècle, découle de trois mutations majeures :

  • la monopolisation et hiérarchisation de la violence, autrefois sacrificielle ;

  • la militarisation de la société chinoise de l’époque et la dévalorisation parallèle du guerrier, jadis noble et désormais piétaille ;

  • la transformation de la structure de l’armée, dans les mains de guerriers, investis, à l’époque archaïque d’une fonction aristocratique, mystique et de prestige, et au Ve siècle avant Jésus-Christ d’un rôle subalterne, au sein d’une armée de fantassins, encadrée sévèrement et tenu par un seul maître, commandant en chef ou souverain.

Au VIe siècle avant Jésus-Christ, la dévaluation des qualités guerrières, soustraites au privilège d’un exercice par définition mâle, s’accompagne d’une mutation des formes de combat, qui de rituelles deviennent réelles et de « viriles » (créditées du symbole du yang et porteuses de châtiments et de morts) deviennent « féminines » (cernées par le sceau du yin, emblème de la féminité) et marquées par la faiblesse, la souplesse et l’esquive. C’est ainsi que la victoire change de sexe et l’univers des combats devient un monde de stratagèmes, inspirés par le souci d’éviter l’affrontement et l’effusion de sang.

L’art du général s’inspire désormais de l’attitude du yin dans le cadre d’un conflit où l’issue de l’épreuve est d’induire un doute sur le statut du « fort » ou sur celui de la « force », eu égard au résultat du conflit. L’habilité suprême, selon les théoriciens de l’époque des royaumes combattants consistait à dominer un conflit par l’art de l’obliquité, en remportant la victoire par le détour de la violence ou par des affrontements peu meurtriers. Ce détour est tout autant diplomatie et stratégie, art de la subtilité et cruauté sélective. Il ne pourrait réussir, s’il n’était pas dominé par un postulat, la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire, de la ruse sur la vaillance, de la manipulation et de l’intrigue sur la manœuvre, ou encore de la gesticulation guerrière sur l’attrition des forces.

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À l’époque où Sun Tzu rédige son traité, les combats constituent des immenses boucheries et les morts se comptent par centaines de milliers auxquelles se rajoutent des centaines de milliers de vaincus, qui sont égorgés ou passés par les armées. La Chine de l’époque baigne dans le sang, mais aussi dans l’intrigue et dans un univers de suspicion. Le jeu diplomatique est stimulé par des tractations secrètes, des démarches biaisées, des pièges et des ruses retorses. Sur le front, les massacres demeurent la règle et la ruine des pays un facteur d’hésitation dans l’engagement belliqueux face aux calamités et aux tragédies collectives. Les sept royaumes combattants, qui restent de la centaine des principautés de l’époque Tchéou, nouent des manœuvres et des alliances éphémères pour isoler leurs rivaux, les vaincre et s’en partager les dépouilles. Malheurs et souffrances sont partout. Si l’expérience nous enseigne qu’un pays affaibli devient une proie pour des rivaux prédateurs, l’alliance devient alors un moyen de politique qui permet de préserver sa survie. Ainsi, la ruse diplomatique, visant à renverser une alliance, est un but indispensable du jeu de puissance. Chacun doit redouter la trahison et à tout moment. La faiblesse et la suspicion encouragent l’intoxication et l’espionnage. L’influence au sein d’une cour étrangère permettra l’achat des conseillers du roi et l’orientation d’une coterie, dont dépendra la décision du prince et la conduite militaire de ses armées. Le personnel diplomatique de la Chine ancienne est constitué de véritables professionnels de la politique qui se vendent à l’ennemi et passent de prince en prince, au service d’autres souverains et d’autres entreprises. On ne peut s’attendre à aucune fidélité, car celui qui a déjà trahi peut encore trahir, en servant un autre prince ou en restant attaché secrètement à l’ancien. Deux comportements insidieux règnent aux cours des souverains de l’époque : la manipulation et l’intrigue. L’intelligence politique est une intelligence rusée. Elle se définit par la capacité de prévoir à long terme, d’épouser les mutations, de renverser des positions, de permuter les rôles qui transforment le yin (féminin) en yang (masculin) et le yang en yin, dans une dialectique permanente et cyclique. L’intelligence politique se doit donc d’être divinatoire. Cette mutation est perceptible par l’instauration d’une « mentalité indicielle », car, dans la lecture du futur tout est signe, indice et symbole. Elle doit viser les implications d’un acte, d’une trace, d’un détail. Le chef de guerre ou le souverain sont tels, s’ils sont capables d’interpréter le temps, de saisir l’occasion, d’exploiter la circonstance, de mettre la ruse au profit de l’imprévu. L’anticipation, visible dans un détail éphémère, y joue une fonction essentielle, car le combat qu’on livre dans l’immédiat, doit être lu dans l’intention de l’ennemi, par une sorte de la prescience. La faculté d’anticiper, de décider et d’agir avant l’éclatement du conflit doit étouffer dans l’œuf toute velléité de l’adversaire d’attaquer en premier. La pensée conjecturale est à la racine de l’attaque préemptive et celle-ci fonde une stratégie d’équilibre entre adversaires déclarés, si elle est partagée et à condition qu’elle le soit. Il s’en dégage ainsi une doctrine de la parade ou de la non-guerre, autrement dit une dissuasion réciproque, fondée, comme aujourd’hui, sur la prééminence stabilisatrice d’une politique sans combat, d’une stratégie de frappe en premier, qui exorcise l’affrontement permanent. Le principe de subjuguer sans frapper fonde celui de vaincre sans recourir aux armes. Dans une situation caractérisée par la guerre permanente et par un univers de traîtrise omniprésente se forge peu à peu une doctrine qui prétend conjurer les convulsions de la guerre, la désolation ou le chaos.

LE « LIVRE DES MUTATIONS ». FRAPPER LA TRANQUILLITÉ PAR L’IMPRÉVU ET L’ÊTRE PAR LE CHAOS

9782081309890.jpgLa subtilité du coup d’œil et la rapidité d’exécution décident de la réussite immédiate et à long terme. Elles fondent dans l’instant, l’esprit et l’âme de l’action du stratège. Voir, agir et vaincre le futur se dévoilent totalement dans l’instant, dans l’occasion fugace, dans la saisie d’un acte, dans un détail divinatoire. Voir, interpréter et agir exigent de passer par des manifestations infimes, par un coup de regard et une étincelle des yeux ! Il faut saisir toutes les implications d’un acte par une décision foudroyante ! Agir sur le futur, c’est acter dans les amonts du temps, c’est penser la durée dans l’instant, c’est troubler l’ordre absolu par l’irruption du chaos, c’est former par l’informe, dans toute la profondeur des temps. La victoire, dans l’ordre absolu, est le fruit de l’ordre intérieur, brisant la législation du prévisible. C’est frapper par l’imparable, portant atteinte aux vertus du paisible. C’est là que la lame scinde la lumière de ses origines et coupe le regard de l’homme pour le faire rentrer dans les ténèbres de la nuit et dans celles du vide. Dans la domestication de la guerre et des conflits permanents, quatre écoles mènent le jeu et orientent les solutions dans la Chine ancienne :

  • l’école des diplomates, pour qui le combat doit être mené dans l’esprit même de l’adversaire et au cœur de son mental. L’arme-clé y est celle de la parole, de l’engagement, de la conviction, du sophisme ;

  • l’école des confucéens, qui prônent la rectitude et la vertu, seules capables de subjuguer la guerre ;

  • l’école des légistes, porteurs d’un ordre despotique, en mesure de remporter des victoires à la faveur d’une discipline sans pitié, inspirée par la soumission des sujets à une législation sans concessions ;

  • l’école des stratèges, à laquelle appartient Sun Tzu, qui élabore une synthèse des trois écoles, limitant l’affrontement aux issues consécutives à l’échec des trois méthodes.

SUN TZU ET CLAUSEWITZ. L'ART DE L'OBLIQUITÉ ET DE LA RUSE, OPPOSÉ AU PRINCIPE D'ANÉANTISSEMENT

Si les opérations militaires sont au cœur de la réflexion stratégique, la manière de les concevoir et de les conduire change radicalement en Occident et en Extrême-Orient. Change par ailleurs la distinction entre stratégie et tactique et la conception, directe ou indirecte de la manœuvre et de l’affrontement. En Occident, Clausewitz choisit d’allier la connaissance et l’épée et donne une définition kantienne de la guerre, comme action guerrière fondée sur une idée-maîtresse, le principe d’anéantissement. L’ambition de la pensée occidentale en général, et celle de Clausewitz en particulier, est de saisir la guerre par le raisonnement logique, par des démonstrations géométriques et par des certitudes rationnelles. Or, si une manœuvre peut se concevoir dans l’abstrait, la guerre comme action se développe dans le réel et ce réel montre à chaque fois et dans toute situation des résistances imprévisibles.

Soumettre la guerre à la catégorie de l’entendement et du libre jeu de l’esprit a pour finalité de mieux saisir le réel, afin de mieux le soumettre à la volonté et ce réel, pour Clausewitz, est politique. La guerre est donc conçue comme une activité dont la finalité est de porter préjudice à l’ennemi et pas seulement de le tromper, car tout dans une guerre repose sur le combat, sur le principe d’anéantissement de l’ennemi et sur la suprématie de l’intelligence politique sur les moyens militaires. Ainsi, il doit y avoir une connexion logique entre stratégie et tactique, une connexion qui s’atténue dans la conception de Sun Tzu. En effet, chez Clausewitz, la « tactique » est l’« enseignement qui a pour objet l’emploi des forces armées dans le combat » et la « stratégie », l’« enseignement de l’emploi des combats dans l’intérêt du but de guerre ». En ce sens, « le combat est à la stratégie ce que le paiement en espèces est au commerce par traites ». Dans l’empire du Milieu, les théories de la guerre font de l’occultation de l’affrontement, et donc de l’évitement du combat, le fondement même des discours de la guerre. La réflexion chinoise sur la guerre présente des caractéristiques incantatoires. Elle est axée sur le rejet du face à face avec l’ennemi et la valorisation des procédés indirects, les ruses stratégiques, les subterfuges, l’action oblique qui n’impliquent pas la manœuvre ou l’ampleur du mouvement stratégique et de ce fait la concentration des forces en vue de l’engagement.

51wRTp1v6CL._SX333_BO1,204,203,200_.jpgOr, si la stratégie à l’occidentale suppose l’organisation des combats en fonction du but de guerre (Zweck) et l’investissement des forces dans l’espace en fonction des combats, la stratégie chinoise conçoit le fondement de la stratégie dans l’action indirecte, comme pratique intelligente de la ruse. L’intelligence rusée du chef de guerre construit sa victoire sur le mouvement de l’adversaire, dans l’esprit même de l’ennemi. Or, si tel est un objectif important de la conduite des opérations militaires, de quelle manière peut-on assimiler une opération militaire, en particulier celle du stratège à un art, à une activité de l’âme. Comment par ailleurs, peut-on construire une philosophie ou une théorie de cet art ? Or, puisque toutes les guerres réunissent trois caractères essentiels, la violence originelle, la libre activité de l’âme et l’entendement politique, comment concilier violence et politique et dans quelles conditions justifier, au nom de l’entendement politique, l’abandon du principe d’anéantissement ou de victoire, sur l’ennemi ? Et encore, là où la décision est inséparablement politique et militaire, comment justifier un abandon du combat, qui est le seul conforme à l’essence de la guerre et à son concept pur ? Si la guerre n’est pas une réalité autonome du politique (d’après Carl Clausewitz, « la guerre a bien sa grammaire, mais non sa logique propre »), quel est le sens d’une action guerrière qui s’oriente délibérément vers la manœuvre et vers l’action indirecte, tournant le dos à la bataille et au combat ? Et pour terminer, la série des questionnements inhérents au débat stratégique, comment réconcilier le caractère historique, conditionné et déterminé d’une guerre, liée à des circonstances conjoncturelles et aux intentions politiques des belligérants, aux modèles abstraits, philosophiques et anhistoriques des guerres absolues, seuls conformes au concept pur de guerre ? En son temps, Sun Tzu suggère de « construire sa victoire sur les mouvements de l’ennemi » et cette recommandation opère par le renouvellement constant de deux modalités du combat : de « front » ou de « biais ». Or, la « puissance de l’action de biais » repose sur des ruses, des surprises et des procédées indirectes qui relèvent de l’action tactique, qui ne font appel ni à l’organisation des armés sur le terrain ni à leur réunion en vue de l’engagement. Elles appartiennent aux procédés des manœuvres hétérodoxes et à la tactique plus qu’à la stratégie.

DISCOURS OCCIDENTAL ET DISCOURS CHINOIS SUR LA POLITIQUE ET LA GUERRE

Les traités chinois sur la guerre et les livres militaires de Sun Tzu s’adressaient aux princes et aux gouvernants, et non pas aux officiers et aux généraux. La guerre était un prétexte pour la théorisation de la « bonne gouvernance ». Au cœur de la réflexion de ces théoriciens ne se situait pas la manœuvre militaire ou le combat, mais la toute-puissance du prince et sa maîtrise de l’univers. Politique et métaphysique étaient donc les objectifs des analystes, au lieu et à la place du stratégique et du politique. En Chine, la sphère la plus élevée de l’abstraction cesse d’être un discours sur la guerre, pour devenir une spéculation sur le devenir entre les deux entités, de l’être et du néant. Les traités sur la guerre de cet empire occultent le cœur des préoccupations occidentales, l’affrontement, le combat, la lutte (Kampf), l’anéantissement, la percée et la bataille de front. Puisque dans la conscience et dans la philosophie chinoises ce qui n’a pas de forme domine le monde des formes, la force suprême d’une armée est sa ductilité polymorphe qui, à la manière de l’eau, enveloppe et évolue, sans épuiser le modelage infini des formes. La force tient au fluide, à la souplesse, à la capacité de transformation, à l’habilité manœuvrière de la troupe et du chef de guerre, au perpétuel mouvement du devenir, la véritable anima mundi.

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L’art de la transformation et du camouflage d’une armée, tiennent à sa « forme informe » à l’insaisissable et au fuyant, à la dialectique inexorable et incessante du yin (féminin) et du yang (masculin), aux infinies combinaisons des deux forces, régulières et extraordinaires, en quoi se résume le dispositif stratégique d’une armée. L’indescriptible chaos de l’univers se rend sensible par les capacités de démiurge du grand chef de guerre, à même de déployer une armée dans une virtualité pure. L’engagement d’une armée est ainsi un accouchement du chaos, un enfantement cosmique. Dans cette projection métaphysique de la guerre se réalise une identité fusionnelle entre les figures du chef de guerre et du créateur de l’univers. Ainsi, les niveaux de l’action sont triples, politique, militaire et cosmique. La totale assimilation du général et du Tao, dilue le « sujet » de l’action en une force universelle, totalement désincarnée, où la bataille n’est plus un combat ou un moyen d’anéantissement, et l’État ou le souverain, ne sont plus des forces de violence primordiales et originelles, mais des forces cosmiques, au sein desquelles le général est doté des attributs du souverain, qui a pour le modèle le ciel. Selon cette pensée la réalité se produit à partir de l’imaginaire et de la supériorité du néant sur l’être, car si « Toutes les choses sous le ciel naissent de l’être, l’être est issu du néant.

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Sun Tzu serait philosophe et uniquement philosophe, s’il ne s’occupait pas de la morphologie des théâtres de guerre où des hommes s’affrontent en fonction des difficultés du terrain. De nombreux éléments définissent l’influence du milieu sur l’homme, dans des conditions normales et encore davantage s’il est dans l’obligation de combattre. Après la « vertu », qui influe sur la cohésion entre le peuple et ses élites et le « ciel », caractérisé par l’alternance des saisons et de cycles, lunaires et solaires, le « milieu » exerce une influence déterminante, par deux autres éléments, l’inconstance du « climat » avec la chaleur et le froid, et les difficultés du « terrain », ouvert ou resserré. Toutes ces variables, qui doivent être connues à l’avance par le chef de guerre, afin de dégager une bonne tactique, permettront aux combattants de bénéficier des meilleures dispositions du milieu physique et d’en tirer parti.

De ce constat découle toute une série d’enseignements et de préceptes, établissant un rapport entre les données instables de la nature et la psychologie craintive des combattants. Sun Tzu discerne lui-même six types de terrain dont le général doit s’occuper. Sa classification fait également place aux espaces de manœuvre et à ceux qui sont favorables aux grandes batailles, de même qu’aux territoires praticables ou impraticables. D’autres auteurs, bien successifs à Sun Tzu, ont repris, en le paraphrasant, les conceptions relatives à la stratégie et à l’espace, ainsi que les caractéristiques permanentes de la stratégie et de la tactique militaire, que Sun Tzu sut présenter et résumer subtilement dans son court traité sur « l’Art de la Guerre ».

LE « DÉSARMEMENT DE L’ENNEMI » DANS LA PENSÉE CHINOISE

614uDXVkE2L._SX260_.jpgDans la conception occidentale de la guerre est exclu tout principe de « limite » qui, dans la stratégie chinoise, trouve sa forme elliptique dans le désengagement et la « fuite ». L’expression plus fidèle de la philosophie chinoise est celle du « Livre des mutations » dont les figures divinatoires offrent une représentation symbolique de l’univers et une référence aux forces qui y sont à l’œuvre. Ces représentations de la « science des mutations », sont liées, depuis les origines, aux arts martiaux, à la dialectique du Yin et du Yang, au sein de laquelle il n’y a pas de négation, mais de simple dépassement. Grâce à l’art divinatoire, il est possible de déchiffrer et de prévoir ce qui est encore en germe, par l’identification des traces ou des signes avant-coureurs, des mutations ou des évènements qui se dessinent. L’énoncé philosophique selon lequel « l’occulte est au cœur du manifeste et non dans son contraire » est au cœur du système d’interprétation de la réalité contenu dans le « Livre des mutations ». Le réel se définit par son instabilité et ses configurations transitoires. Il faudra en déchiffrer les formes et en appréhender le sens afin d’en tirer parti.

« La dureté se cache sous la douceur ». On gagne la confiance en tranquillisant l’ennemi et on complote contre lui en préparant l’offensive.

« Créer de l’être à partir du non-être ». Tous les êtres de l’univers sont issus de l’Être, l’Être est issu du non-être.

Ainsi, dans une pensée où la ruse est essentielle, l’art du divin comme l’art du stratège constituent la science ce qu’il advient. Scruter les signes est capital, car dans la maîtrise du futur où tout est signe et indice, ceux-ci dévoilent les secrets du temps, lisibles dans les hautes combinaisons stratégiques, qui exigent à chaque fois déchiffrement et interprétation.

Or, dans la pensée chinoise qui est mélange de religion et de sagesse, l’importance des temps fonde l’inaction taôiste, comme observation de l’immuable, et celle-ci se révèle dans la supériorité de la transcendance sur l’immanence et de la « ruse du temps » sur la « ruse de l’homme ».

Dans cette science des mutations, qui fut la matière première des lettrés, la « ruse » de guerre apparaît comme le produit d’une malice et la forme suprême de cette « ruse » est la « fuite » face à l’ennemi, les meilleurs des stratagèmes en cas de revers militaire.

Face à cette malice, le gagnant doit « laisser filer l’adversaire pour mieux le capturer », ou donner du mou à la laisse. C’est miner son potentiel offensif, émousser sa volonté de combattre et affaiblir son ardeur de réagir. C’est vaincre sans combattre, gagner sans « ensanglanter la lame », conformément à l’un des enseignements capitaux de l’« Art de la guerre ».

LE DÉSARMEMENT DE L’ADVERSAIRE DANS LA PENSÉE OCCIDENTALE

La philosophie de l’Occident, élaborée à partir de la Renaissance, partait d’un postulat capital : la certitude que derrière les formes et les phénomènes les plus divers de la vie, existent des lois qui gouvernent ces évènements. Ces lois sont à découvrir pour réduire les incertitudes et gouverner le devenir. Machiavel, en homme de la Renaissance, partageait l’idée selon laquelle l’homme pouvait dominer la « Fortuna », le hasard de la vie et de la guerre, et que, par la raison, on pouvait constater et dominer l’empire du profond inconnu.

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La vie et encore davantage la guerre, lui apparaissait comme un combat entre la raison, empreinte d’une discipline sévère, et la Fortuna, soumises aux variables caprices d’une déesse féminine. Les hommes de la Renaissance ne doutaient guère que la raison finisse par l’emporter et cette croyance dans la suprématie de la raison était la clé de leur admiration pour Rome et les institutions militaires romaines.

L’invincibilité des armées de Rome était la preuve que cette ville s’était donné la meilleure organisation que la « raison » pouvait concevoir. Ses institutions militaires étaient l’expression du principe universel qui gouvernera pendant longtemps toutes les institutions militaires du monde. À sa base, nous retrouvons le postulat selon lequel le succès d’une guerre et d’une opération militaire, dépend de la résolution d’un problème intellectuel, d’ordre rationnel.

Le terme de la stratégie ne faisant pas partie du vocabulaire de la pensée militaire de l’époque, mais la pensée stratégique venait de naître. Si la bataille demeure le facteur décisif d’une guerre, l’ordre de bataille constitue le point culminant de celle-ci. Ainsi, l’étude rationnelle du plan de bataille et de l’ensemble de la campagne, fonde les moments de préparation théorique, sur lesquels se greffent l’organisation du commandement et la formation intellectuelle du chef de guerre. On s’aperçoit, depuis cet âge d’optimisme et de rationalité, que la guerre n’est pas une science, mais un art, qui réserve une place décisive aux impondérables et à l’esprit d’initiative et d’aventure.

Or, l’importance accordée à la particularité de la guerre et de la bataille, le caractère personnel et unique de l’intuition et du commandement, associent Machiavel et Clausewitz, dont le trait commun est la conviction que la validité et la pertinence de toute analyse des problèmes stratégiques ou militaires, dépend d’une perception générale, une idée « juste » sur la nature de la guerre.

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Clausewitz rejetait l’esprit scientifique de l’époque de l’Ancien Régime qui ennoblissait le combat et refusait l’idée de la guerre comme acte de violence extrême, en attachant de l’importance à des manœuvres, dans le but d’éviter tout affrontement. Il affirmait clairement que le côté scientifique du combat est d’importance secondaire. Clausewitz, insistant sur la prééminence des facteurs immatériels et moraux, confirmait que, ce qui fait le génie est, dans la figure de l’homme d’action, une étroite symbiose de philosophie et d’expérience. À l’instar de cette traduction « continentale de l’Occident », prônant le concept de guerre absolue comme « acte de violence, poussée à ses limites extrêmes et destinée à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », les penseurs « insulaires » (anglais) mettent l’accent sur le rétrécissement d’une stratégie « à sens unique » et, avec l’autorité d’un Liddel Hart, déclarent que « la stratégie doit réduire le combat aux proportions les plus minces possible ». L’accent mis sur le talent et la subtilité, rapprochent-ils ces théoriciens occidentaux et chinois, sur la préférence accordée à l’action indirecte, plutôt que directe ?

SUN TZU ET « L’ART DE LA GUERRE ».

LA « LUTTE MODERNE » ENTRE CLAUSEWITZ ET LIDDELL HART

Deux principes régisseurs inspirent l’« Art de la Guerre », selon deux maîtres de la stratégie, Sun Tzu (au VIe siècle avant l’ère vulgaire) et Napoléon, « Dieu de la guerre » selon Clausewitz et maître de la « brutalité extrême » et des « haines primaires » (à cheval entre le XVIIIe et le XIXe siècle en Europe) : Contraindre l’adversaire à abandonner la lutte et épargner l’ennemi en fuite pour le premier, en s’insérant dans le « dao » et en allant dans le flux, en s’adaptant aux conditions naturelles et aux circonstances. Battre l’adversaire par une méthode primitive et brutale, puis le poursuivre de manière impitoyable, et anéantir ses forces pour le deuxième. Il en ainsi pour l’école de ses héritiers occidentaux, en particulier ceux qui forgeront les conceptions et doctrines d’actions prusso-germaniques. En amont de ces deux principes, deux philosophies et deux visions de l’histoire, président à la définition sur la « nature » de la guerre, comme domaine primordial de l’existence sociale, ainsi qu’a la quête des lois des conduites belliqueuses. Une philosophie de l’inclusion et de la non-contradiction dans un cas, qui conçoit le renversement des rôles et des positions, selon une logique évolutionniste et organique, celle taôiste du yin et du yang et une dialectique de l’antagonisme et de la négation radicales, dictée par la « nature absolue » de la guerre, poussée aux extrêmes. Il s’agit de la négation radicale de l’adversaire, et d’une affaire révolutionnaire, là où la nation se réveille dans un engagement total, renversant les bornes naturelles des armées de métier et poussant à l’écrasement total des armées adverses. Utiliser la ruse et pousser l’adversaire à abandonner la lutte, laisser qu’il prenne la fuite, cela s’apparente à la « stratégie indirecte ». C’est autre chose que le détruire ou anéantir ses forces, par une stratégie de « percées centrales ». Une stratégie, qui selon le Mémorandum de 1905 de Schlieffen et ses réflexions antérieures, est conçue comme une bataille d’enveloppement contre les deux ailes de l’ennemi, afin de détruire sa liberté d’action. Dans le mode de combat de Sun Tzu., les sujets de l’ennemi sont intégrés à notre volonté et à notre autorité. Ils deviendront sujets de la cité et du pouvoir une fois la victoire assurée. Dans la stratégie occidentale, ils demeurent hostiles, car soumis à la loi nationale d’appartenance. Dans le cas de Sun Tzu il faut également s’interroger si le rapport de la guerre et de la politique est celui théorisé par Clausewitz, selon lequel les deux ont la même logique, quoiqu’elles n’utilisent pas la même grammaire, ni, forcément, la même philosophie d’action. Un autre aspect de la comparaison est de savoir si le rapport entre l’action militaire ou d’exécution, et l’action politique de décision et de direction, garde un contact étroit avec les opinions et les forces sociales, pour garantir l’unité des forces morales et le maximum d’efficacité, dans un état d’urgence, de mobilisation et de crise spirituelle. Trois autres éléments, sociologiques, philosophiques et historiques, influencent le caractère arbitraire de la comparaison entre stratégie chinoise et stratégie occidentale :

  • le premier est représenté par la notion d’ennemi, elle-même liée à celle d’incertitude ;

  • le deuxième au rapport entre offensive et défensive, influant sur la stratégie des percées centrales ;

  • le troisième, qui détermine avec la stratégie le succès des opérations militaires, est de tout temps la manœuvre tactique et il en découle que la victoire de la bataille est le produit de la mobilité ; celle-ci, dans le cas de Sun Tzu, est assurée par la tactique de la ruse et par l’esquive.

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La guerre commence, s’affirme et se termine par la destruction de tout système dogmatique de pensée. Elle résulte à chaque fois d’une percée d’abord intellectuelle. Or, le système dogmatique de nous jours, en Europe, consiste à émousser par le droit, l’économie, le scientisme et l’humanitaire, l’effet brutal de l’épée, du sang, de la destruction et de la mort. En effet c’est l’élément culturel qui constitue le concept d’ennemi et avec lui tout concept de guerre.

Sun Tzu et Napoléon vivent et agissent en deux périodes historiques dissemblables, mais qui ont un caractère commun, celui de troubles et de désordres publics. Pour Sun Tzu il s’agit d’une période (475-221 avant l’ère vulgaire) de violence et de chaos, engendrés par la lutte impitoyable et sanglante entre sept états qui aboutira en 221 après la défaite de l’État de Chu par Chin en 223, à la première unification territoriale et politique de Chung Kuo.

Les campagnes militaires par les États batailleurs pendant la période (770-446 avant Jésus-Christ) étaient de natures féodale et conquérante. Ceci n’atténuait guère leur caractère politique. En ce sens s’applique à cette ambition, l’idée que ces luttes visaient l’hégémonie continentale et la prééminence d’un État sur l’autre, justifiant l’énoncé que la guerre est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, un acte de violence poussé à ses limites extrêmes et destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté.

LES ENSEIGNEMENTS DE SUN TZU ET DE CLAUSEWITZ PEUVENT-ILS ÊTRE DES RÉFÉRENCES DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI ?

Comment traduire aujourd’hui l’enseignement si éloigné, des pensées stratégiques chinoises et occidentales, emblématisées par Sun Tzu et Clausewitz dans des lectures de la scène internationale actuelle et donc dans des conceptions et des doctrines ayant un sens politique et une application opérationnelles dignes de ces noms. Quel est par ailleurs l’aperçu de ce monde actuel ? D’après une communication sur les « Grandes Puissances au XXIe siècle, « présentée à la conférence du « Forum des Relations internationales « de Séoul du 27 février 2007 » Karl Kaiser, l’auteur de cette communication, faisant état de l’environnement mondial, souligne l’ascension de l’Asie, en particulier de la Chine et de l’Inde.

Il met au premier plan l’importance croissante : des ruptures démographiques, affectant différemment les grands ensembles politiques puis l’immigration, comme phénomène central du XXIe siècle.

Quant aux aspects politiques, il souligne : les caractéristiques de la « nouvelle nature » de la violence.

Ensuite l’érosion du système de non-prolifération des armes nucléaires et le risque d’une acquisition élargie de ces capacités, par des États menaçant la stabilité mondiale.

Puis l’expansion de l’Islam radical et la menace du djihadisme, pour la plupart des grandes puissances.

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En termes de répercussions, il attire l’attention sur la pénurie des ressources, induite ou aggravée par le réchauffement climatique, engendrant l’émergence de politiques réactives à l’échelle internationale. Quant à la logique des grandes puissances qui ont dominé jusqu’ici l’ordre international, cette étude précise que la tendance vers un monde multipolaire, est marquée par une forte influence des USA, mais que leur suprématie n’est plus si nette ou évidente. Ce monde multipolaire émergent est soumis à une sorte de « soft balancing » de la part des puissances régionales montantes, réagissant, en contre-tendance, à toute politique de primauté. Cette évolution est déjà visible, mais elle n’infirme pas la considération de fond que la solution des problèmes majeurs exigera toujours une intervention ou un soutien américains. L’avenir du multilatéralisme, dicté par la dépendance mutuelle des grandes puissances sera un multilatéralisme de groupe, qui pourra jouer un rôle croissant, à la condition qui y soient inclus les grands acteurs du système mondial.

Ainsi, les trois questions qui se posent à ce sujet peuvent être formulées de la manière suivante :

  • Comment le multilatéralisme et ses deux formes de gestion collective, la forme civile ou « gouvernance », et la forme militaire ou « défense collective » - forme régionale de l’OTAN - peuvent-elles s’adapter à un monde de conflits et de désastres humanitaires ?

  • Comment une idée, celle d’une institution mondiale réunissant toutes les démocraties, peut-elle nuire à la réforme des Nations unies, paralysées dans leurs responsabilités politiques et dans leur action pacificatrice ou d’équilibre.

  • Comment, enfin, l’Europe peut-elle trouver sa voie dans son but de s’affranchir ou de ne pas décliner en pesant sur les décisions stratégiques des USA et sur les grandes affaires mondiales ?

Hier comme aujourd’hui, la réflexion sur la guerre est à la base de toute philosophie de la paix, car elle est à la source de tout questionnement sur le destin de l’homme et sur sa capacité à maîtriser sa force et son pouvoir illimités et ultimes depuis que l’homme, comme le rappelèrent Jaspers et Sartre, a été mis avec l’atome en possession de sa propre mort.

Bruxelles, 2009

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mardi, 12 janvier 2021

La dernière évolution des guerres hybrides: les "nouveaux droits"

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La dernière évolution des guerres hybrides: les "nouveaux droits"

par Emanuel Pietrobon

Source : Inside Over & https://www.ariannaeditrice.it

Les premières décennies des années 2000 apparaissent comme annonçant un siècle de guerres hybrides, sans limites et multidimensionnelles. Des guerres qui se déroulent simultanément et de manière égale dans l'espace virtuel et dans la réalité physique. Tout le monde peut être enrôlé, même inconsciemment, dans l'armée de la dernière génération des guerres : les pirates informatiques, les spéculateurs financiers, les militants politiques, les ONG, les musiciens et les personnes d'influence.

L'objectif des guerres post-clausewitziennes n'est pas la destruction territoriale de l'ennemi, mais sa chute dans un vortex d'instabilité productive qui, en érodant les fondements de la paix sociale, est capable de conduire à des états de tension permanents entre classes, groupes sociaux, communautés ethniques et factions politiques qui, s'ils sont utilisés à bon escient, peuvent ouvrir la voie à des guerres civiles, des révolutions colorées, des coups d'État et des insurrections intermittentes. L'étude de cas de Jacobo Arbenz sur le Guatemala, la guerre hybride ante litteram, est extrêmement utile pour comprendre le phénomène analysé là-bas.

Les architectes de la nouvelle génération des guerres agissent en ayant pleinement conscience de l’adage latin concordia civium murus urbium, de sorte que les hommes d'État - en plus de s'inquiéter des interférences dans les processus électoraux, des attaques cybernétiques et des opérations psychologiques - devraient accorder une attention adéquate à un autre domaine exposé et vulnérable aux pénétrations exacerbées de l'extérieur : les "nouveaux droits".

Les ‘’nouveaux droits’’ comme arme

41EpSiTsDoL._AC_UL320_SR212,320_.jpgIl n'y a pas de force plus écrasante et imparable qu'une société qui exige le changement. Gustave Le Bon l'a compris à la fin du 19ème siècle, prévoyant l'avènement de la société des foules. Un siècle plus tard, le philosophe et politologue Gene Sharp élaborera une théorie pour transformer les changements sociaux et générationnels en une arme : les révolutions colorées.

Le souvenir de la division de l'Europe en blocs s'efface, mais celui des ‘’printemps’’ de liberté, qui ont émergé suite aux idées de Sharp, est plus vif que jamais. Le siècle des idéologies étant révolu, et le communisme s'étant effondré, les années 2000 ont vu l'émergence de ce qu'on appelle les ‘’nouveaux droits’’, au nom desquels sont nés des mouvements de protestation, des courants culturels et des révoltes, démontrant leur capacité à faire plier les gouvernements.

L'armement, que constitue la revendication de ‘’nouveaux droits’’, est particulièrement percutant en Occident, et aussi, en marge, en Amérique latine, où des situations d'insurrection intermittente et de troubles civils généralisés se répandent, prospèrent et prolifèrent, se nourrissant de la polarisation croissante des sociétés et réussissant fréquemment à provoquer la chute du gouvernement en place ou à modifier de manière significative son programme politique - de véritables coups d'État en douceur.

L'un des cas les plus récents d’une déstabilisation causée par des revendications de ‘’nouveaux droits’’, cas sur lequel plane l'ombre d'une possible manipulation occulte et extérieure, est celui qui s’attaque au parti au pouvoir en Pologne, « Droit & Justice » (PiS). Les forces qui ont été les moteurs des incidents les plus graves qui ont secoué le pays dans l'ère post-communiste, relèvent du mouvement ‘’arc-en-ciel’’ et du mouvement favorable à l'avortement, les chevaux de bataille d'un réseau d'organisations non gouvernementales et de collectifs - soutenus par des donateurs anonymes et privés - qui, entre août et novembre, ont mis à l'épreuve la résistance du gouvernement en organisant des marches et des affrontements, parfois assez violents.

D'où vient leur potentiel ?

9782296108721r.jpgLes ‘’nouveaux droits’’ sont attrayants aux yeux des gens, surtout des jeunes, car ils dégagent la sensation d’une liberté illimitée et d’un hyper-individualisme. Ils sont l'expression la plus manifeste de la corne d'abondance permissive, le phénomène qui, selon Zbigniew Brzezinski, mettrait à rude épreuve la stabilité des sociétés occidentales au cours du nouveau siècle. Poser l’hypothèse de leur instrumentalisation n'est pas du tout un argument de diétrologie (ndt : l’idéologie dominante donne la définition suivante de la diétrologie, terme forgé en Italie : « Tendance négative à rechercher systématiquement pour le moindre fait ou événement des causes différentes de celles déclarées ou apparentes, biais consistant à voir des complots partout »). L'Union européenne - pour citer un cas récent - a approuvé en août dernier un plan d'action visant à accroître la pression de la base biélorusse sur Alexandre Loukachenko. Ce plan d’action se base sur "un soutien accru au peuple biélorusse, y compris un engagement renforcé et financier au bénéfice de la société civile, et un soutien supplémentaire pour mettre sur pied une information indépendante".

Le soutien déclaré à la dite ‘’société civile’’, à l'opposition et à l' « « information indépendante » a un sens, que nous connaissons désormais trop bien depuis l'époque des révolutions de couleur anticommunistes : il s’agit de conditionner les valeurs, les attitudes et la perception du public du régime que l'on souhaite affaiblir, amener à la table des négociations ou renverser. Par conditionnement, on entend la diffusion et la promotion de systèmes de valeurs et de modes de vie contraires à ceux qui prévalent et qui, une fois enracinés, augmentent la probabilité d'un phénomène révolutionnaire venant d'en bas et apparemment authentique.

À l'ère des ‘’nouveaux droits’’ et de la politique identitaire (ndt : au sens BLM ou LGBT du terme), les fondations d'un gouvernement de gauche pourraient être attaquées en faisant appel aux sentiments conservateurs d'une partie de la population, tandis qu'un gouvernement conservateur pourrait être affaibli et/ou amené à une chute précoce en faisant appel aux forces de gauche. La même logique s'applique aux sociétés multiraciales - Black Lives Matter docet - et aux réalités politiques plus sécularisées et plus ‘’avancées’’ du point de vue des droits, où l’on assisterait alors à la radicalisation de mouvements anti-corruption, anti-système, écologistes, féministes et arc-en-ciel.

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Les démocraties libérales sont particulièrement perméables aux guerres hybrides, et à leur perpétuel mouvement évolutif, en raison de leur nature très pluraliste. Les autocraties et les dictatures ne sont cependant pas à l'abri d'un risque de renversement suite à une greffe voulue d'idées subversives : les cas du bloc communiste et des révolutions colorées dans l'espace post-soviétique au début des années 2000 en sont la preuve. Par conséquent, les guerres de la dernière génération ne sont pas seulement des opérations asymétriques et cybernétiques, mais aussi des armes moins visibles, articulées autour de revendications de ‘’droits’’, revendications qui peuvent frapper durement n'importe qui et n'importe où.

mercredi, 06 janvier 2021

La guerre d'anéantissement et la paix permanente

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La guerre d'anéantissement

et la paix permanente

 

Irnerio Seminatore

 

En rappelant que la guerre n'a pas un caractère moral et ne peut comporter en soi un caractère criminel, en disqualifiant d'avance et par le droit la figure de l'ennemi, la guerre d'anéantissement, en dehors de toute référence aux legs de la civilisation, se développe en dessous de la paix apparente, conformément au sens originel de la lutte et de sa fureur élémentaire. Elle se définit dans la dimension conjointe de l'affrontement guerrier et de la perspective d'anéantissement de l'adversaire. Sous forme de lutte à mort, elle resserre en un seul concept, trois buts de guerre, politique,militaire et civil. Politique (par un choc étatique des armées), militaire (par une suppression de toute opposition et de toute résistance sur les arrières), et enfin, génocidaire (par la confusion des civils et des militaires et l'absence de toute retenue et contrainte violente). Elle produit une fusion destructrice de trois facteurs de résistance, la force actuelle, le potentiel de mobilisation et la force vive du peuple ou de la nation. Enfin, dans une apothéose de mort elle conduit à la suppression de tout antagonisme, peuple, race ou religion. Cela signifie l'éradication de l'ennemi du cours de l'histoire et, de ce fait, une guerre totale, en son pur principe. Ce type de guerre comporte la liquidation immédiate et soudaine d'une portion définie, organisée et territoriale de l'espèce humaine et configure ainsi la conception d'une guerre d'effacement existentiel, au dessus de laquelle tout armistice est trompeur, aléatoire et précaire. Deux exemples confirment cette analyse: la bataille de Canne (216 a.J-C) et la destruction de Carthage par les Romains dans l'antiquité et l'Opération "Barbarossa" pour l'anéantissement de l'URSS dans la troisième guerre mondiale (juin 1941). Le but d'éliminer l'adversaire et de raser Carthage après la deuxième guerre punique, fit de Rome la maîtresse du "Mare Nostrum"; la conquête de l'espace vital (le Lebensraum), devait permettre un repeuplement de l'immense étendue des terres de l’hémisphère Nord de l'Eurasie pour la constitution allemande d'un empire millénaire. Le Drang Nach Osten (la marche vers l'Est) aurait pu assurer une domination in-contrastée au Herrenvolk (le Peuple des Seigneurs).

51fIcbT3hdL._SX318_BO1,204,203,200_.jpgDifférente dans la forme, mais similaire pour les enjeux et surtout pour les issues, l'anéantissement des populations européennes par la guerre du ventre des femmes musulmanes. L'asymétrie démographique et la mobilité humaine compensent ainsi les buts de conquête politiques et militaires. La proclamation de la guerre du ventre fut une anticipation prémonitoire de Houari Boumediene. L'avait-on oublié?

En avril 1974, le président de la république algérienne, Houari Boumediene, prévenait l’Europe du projet de transplantation de peuple qui se préparait :

« Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud pour aller dans l’hémisphère nord. Et ils n’iront pas en tant qu’amis. Ils iront là-bas pour le conquérir, et ils le conquerront en le peuplant avec leurs fils. C’est le ventre de nos femmes qui nous donnera la victoire ».

L'histoire c'est aussi la démographie, éruption irrésistible du vivant.

La perspective d'anéantissement du Nord par le Sud de la planète est la forme du Lebensraum des opprimés contre les nantis Une perspective d'anéantissement lent, souterrain et insidieux, par l'étreinte démographique des populations. Une poursuite de la décolonisation, en forme d'invasion et de revanche, qui montent par vagues successives, par terre et par mer, soutenues par des organisations militantes. C'est le purgatoire des démunis et la noyade des populations autochtones. Ce sont les flux, refusés par la Grande Bretagne et sources de dissolution, de désagrégation et de conflit. Est loin des esprits, dans cette forme piétiste de la guerre des mondes, le principe westphalien du "cuius regio eius religio" (ou non ingérence idéologique), mais aussi celui du "cuius economia, eius regio" (individualisme ou étatisme économique), et encore le différent déterminisme des paradigmes de la connaissance "cuius religio, eius universalis cognitio"(telle religion, tel universalisme), visant l'identité, la famille, le groupe, la religion et la divinité. L'anéantissement touche ici aux principes premiers, ceux de la mission et de la foi. Un peuple ou un communauté affectés de l'intérieur par une "guerre des dieux" sont un peuple et une communauté condamnés à la disparition et à la sortie de l'histoire. Dans la guerre d'anéantissement démographique ou racial, la défense immunitaire de la philosophie et du droit est pervertie en son contraire, l'égalisation des conditions et des statuts. C'est la porte ouverte à l'exercice d'une violence disruptive, vindicative et revendicative de la part de l'étranger, devenu citoyen. Dans ces conditions la guerre n'est plus considérée comme une relation d’État à État, mais comme une révolte et insoumission permanentes, dépourvues de leaders et donc in-négociable. L’envahisseur, ami de l'ennemi extérieur est le premier fossoyeur de l'arène politique à qui on a remis les clés de la cité et qu'il livre au frère ennemi, lorsque la guerre civile est surmontée par la guerre étatique. La guerre de substitution, par noyade ethnique ou raciale, a son moment culminant dans la délivrance de toute obéissance, désignant une crise d'autorité et une prise de terre à repeupler.

Protégé par une philosophie humanitariste, consentie à l'ennemi sécessionniste, l'ekthrsos profite de la vie publique pour attiser les antagonismes des vieux conflits interconfessionnels et se hisser à la tête de la terreur extrémiste. De facto la guerre d'anéantissement se prépare dans l'antériorité de la guerre civile des sociétés ouvertes et dans la préparation souterraine des guerres d'étripage et de terreur qui la précèdent. Cela prouve que le monde n'est pas un village planétaire mais un espace protégé par les murailles du droit qui veillent à la sécurité des nations, sous le brouillard de la paix apparente de Saint Augustin. La bataille qui précède la guerre d'anéantissement est au même temps juridique et philosophique, afin que l’envahisseur ne puisse disposer des armes lui permettant de violer l'état de la pacification existante et de poignarder au dos le parti de la cohabitation et du "statu quo", par une fausse égalisation des conditions. Est guerre d'extermination dans les deux cas, la perspective d'anéantissement par l’atome, le globalisme prophétique, le millénarisme climatique et le réinitialisation de Davos. Concepts englobés dans les deux expressions de destruction complète et d'abattement total, sans pour autant que soit identifié l'auteur de cette guerre d'anéantissement qui, à l'inverse des perspectives civilisationnelles du passé, permettrait demain leurs condamnation et leur mise au ban des nations.

Bruxelles, le 5 janvier 2021

NdR. Ce billet fait partie d'une étude sur le thème :"GUERRE ET POLITIQUE. La désignation de l'ennemi et la discorde dans les alliances"

samedi, 26 décembre 2020

L'influence de Carl Schmitt en Chine

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L'influence de Carl Schmitt en Chine

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com

"πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς μὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς μὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους."

"Conflit, de toutes choses père, de toutes choses roi, de quelques-uns il a fait des dieux, d’autres il a fait des mortels, d'autres des serviteurs, d'autres encore, il a fait des hommes libres"

(Héraclite, fragment 53)

Dans une lettre datée de 1933, Martin Heidegger, félicitait le juriste Carl Schmitt, son compatriote, pour le succès de l'ouvrage La notion du politique, qui en était alors à sa troisième édition. Heidegger le félicitait pour la citation que Schmitt avait faite du fragment 53 d'Héraclite et de l'interprétation correcte qu'il avait donnée des concepts fondamentaux de πόλεμος (polemos) et βασιλεύς (basileus). Dans le même temps, Heidegger a non seulement révélé à Schmitt qu'il préparait sa propre interprétation du fragment héraclitéen, directement lié au concept de ἀλήθεια (aletheia), mais aussi qu'il traversait lui-même une forme de "conflit".

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Heidegger et Schmitt étaient tous deux bien conscients que le Superbe d'Ephèse, avec le terme "conflit", ne voulait pas indiquer uniquement et exclusivement une lutte armée. En fait, cela devait être compris également dans le sens de conflit interne. Ce πόλεμος, pour Heidegger, n'était autre que ce "travail de l'ego" qui l'a conduit à ce qu'il a lui-même défini comme un "combat au corps à corps avec son propre moi", à abandonner l'enseignement pendant plusieurs années, mais aussi à produire par la suite quelques ouvrages fondamentaux comme la volumineuse étude sur Nietzsche et Holzwege (Les chemins qui ne mènent nulle part) [1].

Le choix de commencer par le fragment 53 d'Héraclite pour cette réflexion sur l'influence de la pensée de Carl Schmitt en Chine n'est pas fortuit. Le conflit dont s'occupe le penseur grec, et dont Heidegger a compris l'essence, appartient à juste titre à la liste de ces concepts théologiques qui, selon Schmitt, ont été "sécularisés" par la doctrine moderne de l'État.

photo-rabbin-daniel-farhi-héraclite.jpgDans le contexte islamique, puisque la révélation y est à la fois prophétie et loi, le sens réel du terme conflit utilisé par Héraclite apparaît avec toute sa force perturbatrice dans le concept théologique de djihad. Cela, rappelons-le, signifie littéralement "effort" et indique l'engagement de l'homme à s'améliorer, à devenir un "vrai" être humain, paraphrasant l'interprétation qu'en donne l'imam Khomeiny [2].

Le djihad, tel que rapporté dans un hadith bien connu du prophète Muhammad, peut être de deux types : majeur (ou intérieur) et mineur (ou extérieur). Le djihad majeur consiste en la lutte intérieure, comme nous venons de le dire, pour devenir un véritable homme ; tandis que le djihad mineur indique en fait la lutte armée contre un ennemi extérieur au dar al-Islam (maison de l'Islam). Donc, contre quelqu'un qui se trouve dans le dar al-harb (maison de la guerre).

Ce concept se retrouve déjà dans la civilisation chinoise traditionnelle. Au-delà des frontières impériales, en effet, se trouvait l'espace des "barbares" : une région "inculte", un royaume de la guerre et un espace purement quantitatif dans lequel les vertus de jen (solidarité de groupe) et de yi (équité) n'étaient pas pleinement réalisées.

En termes de théorie géopolitique classique, les concepts de conflit interne et externe peuvent facilement être appliqués à l'idée organique de l'État (une entité vivante qui est à la fois morale et spirituelle) développée par Friedrich Ratzel [3]. Ainsi, si l'État est considéré comme un organisme, son conflit intérieur est son effort pour devenir une entité forte, unie et pleinement souveraine, capable d'agir indépendamment et sur un pied d'égalité avec les autres acteurs internationaux dans un théâtre régional ou mondial. Et il est clair que cet effort interne représente la condition préalable essentielle de l'effort externe et, par rapport à ce dernier, joue un rôle primordial.

Maintenant, en voulant transposer l'idée, que nous venons de reconstruire dans le présent texte, à l'actualité géopolitique de la République populaire de Chine, il apparaît évident que les concepts schmittiens de la politique comme "conflit" et de l'opposition dichotomique ami/ennemi ont connu une diffusion notable (et peut-être même inconsciente) à Pékin.

La politique de la "Chine unique" menée par la République populaire se traduit en effet ouvertement par un effort interne dont l'objectif est la réalisation d'une unité nationale complète non seulement en termes territoriaux (rétablissement de la souveraineté sur Taiwan, par exemple), mais aussi en termes idéologiques, en luttant contre cet "ennemi interne" qui se présente sous les différentes formes de séparatisme soutenu par l'Occident : du modèle terroriste du Mouvement islamique du Turkestan oriental (qui a été supprimé récemment de la liste des organisations terroristes par les États-Unis par pure coïncidence) à la rébellion "sorosienne" à Hong Kong, jusqu'à l'influence exercée par des sectes anti-traditionnelles comme le Falun Gong, aujourd'hui revigorée par l'alliance avec le phénomène des QAnon.

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Le chercheur chinois Liu Xiaofeng (profondément influencé par Schmitt), dans son recueil d'essais Sino-Théologie et philosophie de l'histoire, souligne les différences entre le concept européen d'État-nation et le substrat idéologique dans lequel s'est développé l'État chinois actuel. Les meilleurs penseurs politiques chinois, dit le professeur de l'université de Renmin, ont parfaitement compris que l'impérialisme européen moderne était loin de l'ancien concept d'Empire (plus proche, à certains égards, de celui des Perses et des Chinois). Et ils ont réalisé qu'à l'époque moderne, il n'y avait pas qu'un seul impérialisme, mais plusieurs formes d'impérialisme contradictoires, une pour chaque État-nation[4].

coverimage.jpgDans ce contexte, selon l'historien et homme politique Liang Qichao, qui a vécu au tournant des XIXe et XXe siècles à l'époque du déclin inexorable et de la partition impérialiste de l'espace chinois, la solution ne pouvait être que la création d'une forme de nationalisme chinois. Cependant, ce que Qichao considérait comme du nationalisme était une forme de conscience politique et culturelle nationale, mais pas du nationalisme au sens européen du terme. En fait, ce concept est resté complètement étranger à la forme impériale traditionnelle qui, même aujourd'hui, dans son expression modernisée et influencée par le marxisme-léninisme, ressemble davantage au modèle achéménide qu'à l'idée européenne de l'État-nation et de ses impulsions impérialistes. Et, en tant que telle, elle s'est imposée dès son origine comme un dépassement en nuance de cette idée.

L'historiographie occidentale, à travers ce qu'on appelle l'histoire globale, a tenté de dépasser le système eurocentrique basé sur l'État-nation, en le remplaçant par une idée de l'histoire axée sur le changement des structures sociales. Liu Xiaofeng, contrairement à certains de ses collègues et compatriotes, a eu le mérite de réaliser que cette histoire mondiale n'est pas née avec l'essai de William H. McNeill de 1963, The Rise of the West. A History of Human Community [6]. Il a également compris que le désir de surmonter l'eurocentrisme a simplement abouti à une forme assez paradoxale de cosmopolitisme qui cache un impérialisme naturel de matrice anglo-américaine (celui qui est sorti vainqueur du choc avec les autres formes d'impérialisme européen). Ce cosmopolitisme, en effet, continue de considérer le canon "occidental", inspiré des valeurs du capitalisme libéral, comme le meilleur modèle dans l’absolu. Cependant, ce cosmopolitisme occidental examine d'autres modèles avec la bienveillance due au bon sauvage que l’on étudie selon les canons de l’anthropologie et, peut-être, que l’on éduquera à terme (même par le biais du "bombardement humanitaire") pour l'émanciper de lui-même.

81Oe29BuvPL.jpgAinsi, l'histoire mondiale n'a été que la superstructure historiographique du libéralisme occidental à l'époque de la guerre froide et de l'instant unipolaire.

Bien avant l'essai de McNeill, comme le rappelle à nouveau Xiaofeng, Carl Schmitt a publié Le Nomos de la Terre, un ouvrage qui, plutôt que de subvertir l'eurocentrisme aujourd'hui disparu, a pleinement réalisé qu'il avait déjà été remplacé par un système centré sur l'Amérique [7]. Mais Schmitt, contrairement aux prophètes de l'histoire mondiale, utilisait encore un modèle historiographique centré sur les entités étatiques. L'idée fondamentale de Schmitt était de comprendre que les affrontements entre États resteraient fréquents et intenses, indépendamment du mythe cosmopolite de la citoyenneté mondiale, et que cela deviendrait même extrême dans certains cas.

Schmitt, en effet, a compris que la création et la croissance/le développement des États-Unis se sont déroulés dans un contexte où le jus publicum europaeum (celui qui régissait la guerre entre les monarchies chrétiennes européennes sur le sol du Vieux Continent) n'avait aucune valeur.

31V21xQ3hSL._SX327_BO1,204,203,200_.jpgLes États-Unis sont nés dans un "espace libre" où prévalait la loi du plus fort, celle de l'état de nature et sur le fond idéologico-religieux du thème biblique de l'Exode et de la conviction messianique de la construction du "Nouvel Israël" et de la "Jérusalem sur terre" : des principes qui sont à la base de l'idée puritaine de supériorité morale et de prédestination et qui représentent les fondements existentiels de l'américanisme. Les États-Unis sont nés en totale opposition au modèle européen. Leur entrée sur le Vieux Continent marque le passage de la guerre "légale" à la guerre "idéologique" : l'ennemi doit non seulement être vaincu, mais diabolisé, criminalisé et donc anéanti. Ce que les États-Unis ont fait, c'est ramener en Europe la loi du plus fort, en la considérant, comme les Européens l'avaient fait avec l'hémisphère occidental à l'époque moderne, comme un "espace libre" à soumettre à la simple conquête.

Xiaofeng applique ces idées schmittiennes à la situation géopolitique actuelle en Extrême-Orient et en Chine en particulier. La Chine, à un moment où la « lutte intérieure », que nous évoquions, n'avait pas encore abouti à la formation d'un État fort et pleinement souverain qui lui permettrait de participer pleinement (et équitablement) au forum international, a dû opter pour un accès "technique" au système, par l'entrée dans les institutions internationales. Cette méthode était opposée à celle purement politico-militaire utilisée par le Japon au tournant des XIXe et XXe siècles, lorsque le processus de modernisation endogène réalisé par l'Empire nippon lui a permis de s'affirmer comme une puissance mondiale.

Cependant, l'erreur fondamentale de la classe politique chinoise dans la première moitié du XXe siècle a été de croire que le droit international s'appliquait avec équité à tous les membres de la communauté qui acceptaient ses normes. Xiaofeng rappelle que Tchang Kaï-chek restait fermement convaincu, malgré l'avertissement du conseiller militaire allemand Alexander von Falkenhausen, que les puissances européennes (France et Grande-Bretagne) et les États-Unis viendraient au secours de la Chine face à l'agression japonaise à la fin des années 1930 [8]. De toute évidence, rien de tout cela ne s'est produit et ce n'est qu'avec le début de la Seconde Guerre mondiale et l'entrée des États-Unis dans le conflit que la situation a commencé à changer. 

La nature réelle du droit international a été bien décrite au délégué en URSS de la République de Chine de l'époque, Chiang Ching-kuo, par Joseph Staline. Le "Vozhd", très franchement, lui a dit : "tous les traités sont des chiffons de papier, ce qui compte, c'est la force" [9].

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En effet, la méthode "technique" décrite par Xiaofeng, par laquelle la Chine a d'abord essayé de se garantir une participation au système des relations internationales, ne lui a pas permis d'atteindre pleinement un équilibre des pouvoirs avec les puissances européennes ou avec les Etats-Unis. Ce n'est qu'avec la révolution maoïste et la victoire dans la guerre de Corée que la possibilité de cet objectif a commencé à se manifester.

Il est bon de rappeler que les États-Unis ont historiquement appliqué à la Chine, avant et après Mao (et bien qu'en phases alternées), une stratégie appelée "politique de la porte ouverte". Dans la période unipolaire, cette politique stratégique a pris la forme d'une sorte d'accord (théoriquement parfait) selon lequel la Chine, exportateur de biens et importateur de liquidités, prenait en charge les titres de la dette américaine, tandis que les États-Unis, consommateur et débiteur, pouvaient compter sur une suprématie militaire durable en se concentrant sur une nouvelle révolution technologique, pour laquelle la concurrence chinoise n'était même pas prise en considération. Comme le dit l'historien Aldo Giannuli : "Dans la vision néo-libérale, l'ouverture mondiale des marchés aurait dû faire de la Chine le principal centre manufacturier du système mondial, mais à condition que le fossé technologique reste constant, voire s'élargisse, et que la balance commerciale ne penche pas trop vers l'Est" [10].

Cependant, avec la crise de 2008, cette entente s'est rapidement fissurée et s'est détériorée déjà sous l'administration Obama qui, dans une tentative de se mettre à l'abri, a opté pour la stratégie géopolitique du « Pivot vers l'Asie » en relation avec le déplacement rapide du centre du commerce mondial vers l'Extrême-Orient. Une stratégie que l'administration Trump a tenté de pousser à l'extrême par une militarisation constante des mers adjacentes aux côtes chinoises et en incitant aux opérations de sabotage le long des voies de communication de la nouvelle route de la soie.

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L'erreur de jugement américaine a donc une origine beaucoup plus lointaine que ce qui est constamment proposé dans les analyses géopolitiques actuelles. Avec la traversée du fleuve Yalu et l'entrée des volontaires chinois en Corée, Pékin avait déjà envoyé un signal assez clair aux États-Unis : vous n'êtes pas les bienvenus de l'autre côté du 38e parallèle. Avec les réformes et les politiques d'ouverture de Deng Xiaoping au début des années 1980 et l'échec du soulèvement de la place Tienanmen, Pékin a envoyé un autre signal aux États-Unis : la Chine n'est plus un "espace libre" où l'on peut opérer à volonté (comme l'a fait Washington en Europe) ou divisible par des moyens économiques et des politiques d'infiltration culturelle.

L'ascension rapide de la Chine hors du "contexte libéral" et en vertu d'un système "illibéral", profondément étatiste et bien décrit également dans le nouveau plan quinquennal du PCC centré sur le principe de la double circulation (demande interne/demande externe), a envoyé un nouveau signal: la fin du système mondial centré sur les États-Unis est proche.

L'accord de libre-échange RCEP - Regional Comprehensive Economic Partnership est le premier pas vers la construction d'une sphère de coopération asiatique libérée de la présence déstabilisatrice de l'Amérique du Nord.

Il est clair qu'une telle éventualité ne sera pas acceptée de plein gré par les États-Unis. Mais aujourd'hui, Pékin, consciente de la nécessité d'un État fort, y compris en termes d'homogénéité idéologique et d'objectifs, est également bien préparée à la lutte contre l'ennemi extérieur.

index.jpgNOTES

[1] J’ai traité ce sujet dans mon livre Essere e Rivoluzione. Ontologia heideggeriana e politica di liberazione, NovaEuropa, Milano 2018.

[2]Cf. R. Khomeini, La più grande lotta. Per liberarsi dalla prigione dell’ego ed ascendere verso Dio, Irfan Edizioni, Roma 2008.

[3]Cf. F. Ratzel, Lo Stato come organismo, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 3/2018.

[4]L. Xiaofeng, Sino-Theology and the philosophy of history. A collection of essays by Liu Xiaofeng, Brill, Boston 2015, p. 99.

[5]Ibidem.

[6]L. Xiaofeng, New China and the end of the international American law, www.americanaffairsjournal.org.

[7]Cf. C. Schmitt, Il nomos della terra, Adelphi Edizioni, Milano 1991.

[8]New China and the end of the international American law, ivi cit.

[9]Ibidem.

[10]A. Giannuli, Coronavirus. Globalizzazione e servizi segreti, Ponte alle Grazie, Milano 2020, p. 236.

 

 

lundi, 12 octobre 2020

L’Europe décadente de Julien Freund

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L’Europe décadente de Julien Freund

 
Nouvelle émission de « Fenêtre sur le Monde » présentée par Jean-Baptiste Noé sur l’oeuvre du philosophe et ancien résistant Julien Freud.
A l’occasion de la réédition de l’ouvrage L’Europe décadente aux éditions Europolis,
la philosophe Chantal Delsol,
l’économiste Markus C Kerber et 
le sociologue Michel Maffesoli nous présentent l’œuvre de Julien Freund.
A une époque où nous assistons à la faillite des élites, au rejet de la politique par le peuple, l’ouvrage L’Essence du politique de Julien Freud est plus que jamais d’actualité.

Ouvrages de Julien Freund: [...]

  • L’Essence du politique (Sirey, 1965 ; Dalloz, 2003, 870 p.).
  • Sociologie de Max Weber (PUF, 1966 et 1983).
  • Europa ohne Schminke (Drückerei Winkelhagen, Goslar 1967).
  • Qu’est-ce que la politique ? (Seuil, 1968 et 1978).
  • Max Weber (Collection « Sup-Philosophie » PUF, 1969).
  • Le Nouvel âge. Éléments pour la théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière, 1970).
  • Le Droit d’aujourd’hui (PUF, 1972).
  • Les Théories des sciences humaines (PUF, 1973).
  • Pareto. La théorie de l’équilibre (Seghers, 1974).
  • Georges Sorel. Eine geistige Biographie (Siemens-Stiftung, Munich 1977).
  • Les Problèmes nouveaux posés à la politique de nos jours (Université européenne des affaires, 1977),
  • Utopie et violence (Marcel Rivière, 1978).
  • Il luogo della violenza (Cappelli, Bologna 1979).
  • La Fin de la Renaissance (PUF, 1980).
  • La crisis del Estado y otros estudios (Instituto de Ciencia política, Santiago de Chile 1982).
  • Idées et expériences. Les activités sociales : regards d’un sociologue (Institut des Sciences Politiques et Sociales de l’U.C.L., Louvain-la-Neuve 1983).
  • Sociologie du conflit (PUF, 1983).
  • Idées et expériences (Institut de sociologie de l’UCL, Louvain-la-Neuve 1983).
  • La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984).
  • Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve 1984).
  • Politique et impolitique (Sirey, 1987).
  • Philosophie philosophique (Découverte, 1990).
  • Études sur Max Weber (Droz, Genève 1990).
  • Essais de sociologie économique et politique (Faculté catholique Saint-Louis, Bruxelles 1990).
  • L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991).
  • D’Auguste Comte à Max Weber (Economica, 1992).
  • L’Essence de l’économique (Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 1993).
  • Diritto e Politica. Saggi di filosofia giuridica (Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli 1994).
  • Il Terzo, il nemico, il conflitto. Materiali per una teoria del Politico (Giuffrè, Milano 1995).
  • Warfare in the modern world: a short but critical analysis (Plutarch Press, Washington D.C. 1996).
  • Voci di teoria politica (Antonio Pellicani Editore, Roma, 2001).
  • Vista de conjunto sobre la obra de Carl Schmitt (Struhart & Cía., Buenos Aires, 2002).
  • Les Lettres de la vallée (non paru).
  • Die Industrielle Konfliktgesellschaft (1977)
  • Der Unauffindbare Friede (1964 Berlin pour le 75e anniversaire de Carl Schmitt)
  • Die Politik als Heillehre (1974)
  • Die Demokratie und das Politische (Berlin 1967 288 pages)
  • Die neue Bewertung des Krieges als Mittel der auswärtigen Politik nach 1870 (1970)

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Traductions

Autres publications

Son œuvre comprend aussi un nombre très important d’articles, d’essais, de préfaces et de communications. On en trouvera la liste dans une bibliographie de Julien Freund établie par Piet Tommissen (de), qui va jusqu'en 1984 et qui figure en annexe de Philosophie et Sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 415-456 : « Julien Freund, une esquisse bio-bibliographique »).

large.jpgBibliographie

unnamedpatjf.jpgRevues

  • Revue européenne des sciences sociales, « Critique des théories du social et épistémologie des sciences humaines : études en l’honneur de Julien Freund », 19, no 54-55, Droz, Genève 1981.
  • Revue des sciences sociales de la France de l’Est, « Région et conflits. Hommage à Julien Freund » (Strasbourg), no 10.
  • (nl) Tijdschrift voor de studie van de verlichting en van het vrije denken, "Politiek en decadentie volgens Julien Freund", 11, no 4, 1983.
  • (it) Studi Perugini, Università degli Studi di Perugia, no 1, 1996.
  • (es) Empresas políticas, Sociedad de Estudios Políticos de la Región de Murcia, no 5, 2004.
  • Alain Bihr, "L’extrême droite à l’université : le cas Julien Freund", Revue Agone, no 54, 2014.
  • Charles Blanchet, "Julien Freund (1921-1993). Le maître de l’intelligence du politique et notre ami à l’« enfance éternelle »", Paysans (París), vol. 37, no 221, 1993, p. 7-20.
  • Thierry Paquot, "Julien Freund, l’intellectuel frontière qui n’a pas de frontière", Revue des sciences sociales, no 40, 2008, p. 154-161.

source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Freund

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voir aussi: Le Cercle Philosophique d'Ainay - Freund, le conflit au cœur du politique

vendredi, 28 août 2020

La « nouvelle guerre des mondes » selon Michel Geoffroy

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La « nouvelle guerre des mondes » selon Michel Geoffroy

 
Le coronavirus a révélé l’extraordinaire dépendance industrielle de l’Europe vis-à-vis de Pékin. L’émergence de nouvelles puissances comme la Chine, la Russie et l’Inde marque-t-elle le déclin de l’Occident ? Ce monde multipolaire en transformation est-il le théâtre de la « quatrième guerre mondiale » ? C’est la thèse de Michel Geoffroy, ancien haut-fonctionnaire, essayiste et auteur de « La nouvelle guerre des mondes » aux Editions Via Romana. Sputnik l’a interrogé.
 
 
Plus d'infos sur : https://sptnkne.ws/DwEd
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mardi, 23 juin 2020

Al principio fue... la guerra

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Al principio fue... la guerra

Traducción de Juan Gabriel Caro Rivera

Ex: https://www.geopolitica.ru

Fragmento de un libro inédito sobre la guerra.

El antiguo filósofo griego Heráclito afirmó que la guerra (en griego Polemos es el nombre de un antiguo dios griego, quien, junto con su hija Alala, se encuentra en el séquito de los dioses de la guerra, y este término se convirtió en la forma de designar una gran variedad de tipos de conflictos) es el padre de todas las cosas. "Todo surge en virtud de los opuestos... son los opuestos los que conducen al surgimiento (del cosmos), esto es lo que se llama guerra, mientras que lo que destruye el mundo se llama armonía y paz", dijo otro filósofo helénico Diógenes Laercio (1). El término "guerra" aplicado al universo también fue utilizado por los teólogos cristianos. En particular por Máximo el Confesor, comentando uno de los capítulos de Dionisio el Areopagita, dice que "lo concebible y lo sentido, es decir lo que se forma es lo que surge de los opuestos mismos, que están en paz unos con otros... Esta es la guerra interna que el Creador inventó sabiamente" (2).

Herakleitos-Hayatı.jpgSi hablamos de las causas de la guerra, entonces Platón las vio en la riqueza de la gente. Aristóteles argumentó que las guerras se libraban para vivir en paz. Algo similar fue expresado por el antiguo pensador chino Sun Tzu, quien calificó la guerra como una lucha para obtener ganancias. Su diferencia con otros tipos de conflicto era que cuando los ejércitos entran en una confrontación, este tipo de lucha termina siendo la más difícil. Además del hecho de que este método es el menos rentable, también es el más inseguro. Según el trabajo de Sun Tzu, el primer lugar en las prioridades de la guerra es preservar el país del enemigo, y solo en el segundo es su destrucción. De manera similar se piensa en el ejército del enemigo: debe ser derrotado solo cuando no hay forma de conquistarlo. Por lo tanto, "el objetivo principal (del arte de la guerra) debería ser la subyugación de otros Estados sin entrar en un conflicto militar: el ideal completo de la victoria se refleja aquí" (3).

Muchas ideas sobre la guerra se basaron en puntos de vista religiosos y espirituales. El hinduismo politeísta consideraba la guerra como un fenómeno natural normal, una ley del dharma que todos los creyentes deben seguir, independientemente de la casta a la que pertenezcan. En uno de los capítulos del Mahabharata, que habla sobre la batalla en el campo de los Kaurava, Krishna responde a la pregunta de Arjuna sobre cómo matar a sus seres queridos explicándole las leyes cósmicas de la reencarnación, la mortalidad de la vida terrenal y la inmortalidad: 

Lo igual no es razonable: lo igual nunca sucede 

Lo mismo quien mata como aquel a quien matan. 

Para el Espíritu no hay muerte, así como tampoco hay nacimiento, 

Y no hay sueño, y no hay despertar (4).

Otra epopeya india, el "Ramayana", refleja el plan cosmogónico de los dioses: estos decidieron encarnar en la tierra para derrotar al señor demonio Ravana, que una vez fue un gran asceta y un regalo de Brahma, sorprendido por sus hazañas, que eligió el poder sobre los dioses y los rakshasas.

Incluso los himnos sagrados de los hindúes están plagados de llamados a los dioses supremos, pidiéndoles que envíen la victoria sobre sus enemigos (5). Se creía que el dios del trueno y la guerra, Indra, atravesó las fortalezas enemigas con su mazo relampagueante, y que el dios del fuego Agni los quemó con sus llamas. Y en sánscrito, los términos dasa / dasyusignificaban tanto tribus hostiles de la población local como demonios. También hay descripciones de las batallas victoriosas de Indra contra el demonio Vritra y los Asuras. Sin embargo, por otro lado, muchos mitos narran que los dioses y los asuras, de hecho, están relacionados entre sí.

Según los expertos en el hinduismo y la cultura india antigua, las guerras eran una condición para la existencia de los arios y, en su modelo del mundo, la guerra tenía un significado religioso. “Existía la idea de que los enemigos del rey ario eran asesinados directamente por Dios, la mayoría de las veces por Indra. Cuando dos tribus arias luchaban entre ellas, cada una de ellas intentaba atraer a Indra a su lado con la ayuda de oraciones y sacrificios. Antes del inicio de una expedición militar, se realizaba un sacrificio. El rey sacrificaba a la víctima; se creía que esto le daba fuerza en la batalla. La batalla con los propios enemigos se basaba en la idea del sacrificio: los enemigos eran sacrificados a los dioses arios... Por lo tanto, la guerra se incluyó en el alcance de la ley cósmica del universo – rta” (6). El historiador de las religiones rumano, Mircea Eliade, propuso un intento de explicar racionalmente tal fenómeno, cantado en varias epopeyas. Como señala, “la Edad del Hierro se caracterizaba por una alternancia continua de guerras y masacres, de esclavitud y empobrecimiento casi completo. En la India, y no solo en ella, toda la mitología conecta a los fabricantes de hierro con diferentes tipos de gigantes y demonios: todos son enemigos de los dioses que representan otros siglos y otras tradiciones" (7).

main-qimg-7cd13c4e0b7e9fbc89aa4e7e855855e0.jpgLa escuela filosófica del tradicionalismo también consideró la manifestación del conflicto como un reflejo de las leyes universales. “La razón principal de la guerra, desde cualquier punto de vista, es considerada como el fin del desorden y la restauración del orden; en otras palabras, la unificación de lo plural por medios que pertenecen al mundo de la pluralidad misma... Según este entendimiento, la guerra no está limitada únicamente a la condición humana, expresa el proceso cósmico de reintegración de lo manifiesto en la unidad original; Por eso, desde el punto de vista de la manifestación misma, esta reintegración parece destrucción” (8). Además, el papel de catalizador de las cualidades espirituales fue algo atribuido a la guerra. Proporciona a una persona un despertar en sí mismo del héroe que duerme dentro. "La guerra permite que una persona se dé cuenta de la relatividad de la vida humana y, por lo tanto, aprenda la ley de que existe algo "más que la vida", por lo tanto, la guerra siempre tiene un significado espiritual antimaterialista", decía el destacado representante de la escuela del tradicionalismo Julius Evola (9). El filósofo italiano también habló de la necesidad de combatir al enemigo interno, que era una sed animal por la vida y lo extrapolaba a un enemigo externo (10).

Al igual que en los sagrados himnos indios, en la antigua Europa también existía la idea de que los dioses ayudan a las personas a librar guerras. La Ilíada de Homero describe con gran detalle cómo la enemistad entre los dioses olímpicos puede tener un efecto en las acciones combatientes de los pueblos, y cómo varios dioses simpatizan con los héroes y los ayudan personalmente en el campo de batalla. La diosa Pallas Athena en la antigua Grecia era considerada la patrona de las guerras justas, mientras que Ares lo era de las guerras traicioneras y sangrientas que se luchaban por el bien de la guerra en sí misma. También estaba la diosa Nike, que estaba a cargo de la victoria, en la mayoría de los casos, llegaba a la conclusión lógica del conflicto armado a favor de una de las partes. En otras culturas, hasta el establecimiento del cristianismo, también existieron complejos mitológicos significativamente arraigados en la estructura social. En Europa, el dios supremo era Odín (Wotan), considerado el santo patrón de las alianzas militares. Según varios investigadores, este dios no estaba incluido originalmente en el panteón supremo, y el aumento de su importancia específica se asocia con el fortalecimiento de las alianzas militares y la división de la idea inicial de la vida futura. El reino de los muertos se transfiere al cielo para los elegidos: los valientes guerreros que cayeron en la batalla (11). Por lo tanto, Odín superó a Thor (Donar), uno de los ases, el dios del trueno y la guerra, que era el protector de los dioses y de las personas frente a los monstruos y gigantes (12).

phpThumb_generated_thumbnailjpg.jpgLas profundas conexiones entre la cultura y la guerra en varias sociedades fueron estudiadas por el crítico cultural holandés Johan Huizinga en su estudio clásico Homo Ludens. Tanto la batalla sangrienta como los torneos en los festivales tenían ciertas reglas y se percibían como parte de la idea inicial del juego. Existían restricciones incluso si al enemigo no se le reconocía una naturaleza humana (bárbaros, demonios, herejes), pero luego se impusieron ciertas restricciones en nombre del honor. "Hasta el momento, tales restricciones se basaban en el derecho internacional, que expresaba el deseo de incluir la guerra en la esfera de la cultura" (13). La formación de la etiqueta en las artes marciales junto a los líderes militares y los duelo en la época medieval también se asocia con esto. Incluso la guerra se definió de manera diferente. Si se trataba de un conflicto de caballeros contra caballeros, era Guerre, pero si los caballeros se oponían a todas las demás enemigos, era Guerre guerroyante y no se consideraba una guerra como tal. En las guerras modernas, Huizinga observaba los rudimentos de tratar la guerra como un juego honesto y noble: este es un intercambio de regalos y cortesías, aunque a veces, sin embargo, toma la forma de una sátira. Huizinga también introdujo una tipología especial de la guerra, basada en el concepto de "agón" (competencia, un término aparentemente asociado con la palabra "ágora", asamblea popular). Así, el tipo de guerra agonal incluye aquellos "cuando los beligerantes comienzan a verse como un adversario que lucha por lo que tiene derecho" (14). Además de la agonal, existe la esfera sagrada de la guerra, cuando la guerra se considera en la esfera del deber sagrado y el honor. Y ambos tipos de guerra son difíciles de separar el uno del otro. Huizinga también notó una conexión etimológica, refiriendo la antigua palabra alemana oorlog (guerra) al reino sagrado, lo que indica que el significado de las palabras correspondientes a oorlog fluctúa entre el destino, la lucha frente al destino y cuando la alianza jurada por el juramento expira.

En las guerras del siglo XX, Huizinga vio directamente la emasculación del factor del juego y se preguntó qué elegirían las personas en el futuro: la acción volitiva como algo serio o la acción como un juego (15). La guerra como un estado de excepción (Ernstfall) niega la naturaleza de la competencia y obedece a nuevos principios, pasa de la relación final a la rabia más terrible. El culturólogo holandés también criticó el modelo bipolar de "amigo-enemigo" de Carl Schmitt, ya que el concepto del otro pertenecía solo a estas dos categorías. El Inimicus se convirtió en el hostis, el enemigo simplemente se convirtió en un extraño, en cierto sentido, un obstáculo, y esto redujo toda la gravedad, la profundidad y, en cierto sentido, la belleza del conflicto a una relación casi mecánica. Además, unas de las características modernos de la guerra, la propaganda, no se corresponde a la atmósfera del juego y, en el mejor de los casos, resulta ser su simulacro. "La propaganda que quiere penetrar en cada parte de la vida actúa por medios diseñados para provocar reacciones histéricas en las masas, y por lo tanto, incluso cuando toma la forma de un juego, no puede actuar como una expresión moderna del espíritu del juego, sino solo como su falsificación" (16).

Notas:

1 Фрагменты ранних греческих философов. Ч.1. – М.: Наука, 1989, с. 201 (Fragmentos de los primeros filósofos griegos. Parte 1. - M .: Nauka, 1989, pág. 201).

2 Мистическое богословие восточной церкви. – Харьков: Фолио, 2001. С. 552-553 (La teología mística de la iglesia oriental. - Jarkov: Folio, 2001.S.552-553).

3 У-Цзин. Семь военных канонов Древнего Китая. СПб.: ИГ Евразия, 2001, с.195 (Wu Ching. Siete cánones militares de la antigua China. San Petersburgo: IG Eurasia, 2001, p. 195).

4 Махабхарата. Рамаяна. М.: Художественная литература, 1974, с.175 (Mahabharata Ramayana M .: Ficción, 1974, p.175).

5 Que podamos conquistar presas en las batallas con el enemigo,

¡Obteniendo una parte para hacernos famosos entre los dioses!

I, 73 p. 90 K Agni.

Queremos pedir la felicidad del generoso Indra,

El más valiente para capturar presas en esta batalla,

(De Dios), quien nos escucha, amenazante - para el apoyo en las batallas,

¡Matar enemigos, ganar recompensas!

III, 50. К Индре. С. 339.

6 Ригведа. Мандалы I-IV. – М.: Наука, 1999, С. 456 (Rig veda. Mandalas I-IV. - M.: Nauka, 1999, S. 456).

7 Подробнее См. Мирча Элиаде. Азиатская алхимия. – М.: Янус-К, 1998 (Para más detalles, vease Mircea Eliade. Alquimia asiática - M.: Janus-K, 1998.).

8 Генон Рене. Символика креста. – М.: Прогресс-Традиция, 2004, С.77 (René Guénon. El simbolismo de la cruz. - M .: Progreso-Tradición, 2004, P.77).

9 Эвола Ю. Метафизика войны. – Тамбов, 2008, с. 9 (Julius Evola. Metafísica de la guerra. - Tambov, 2008, p. nueve).

10 Ibíd. С. 45.

11 Мифы народов мира. Т.2. – М.: Большая Российская Энциклопедия, 1998, с. 241 (Mitos de los pueblos del mundo. T.2 - M .: Gran Enciclopedia Rusa, 1998, pág. 241).

12 En las mitologías de otros pueblos, como se sabe, también había deidades correspondientes responsables de la guerra. Dado que el estudio de los mitos en relación con diversas formas de conflicto no es nuestro estudio central, nos limitamos a mencionar solo algunos episodios.

13 Хейзинга Йохан. Homo ludens/Человек играющий. – СПБ.: Азбука-Классика, 2007, с.130. (Johan Huizinga. Homo ludens / Man playing. - SPB.: Alphabet-Classic, 2007, p.130).

14 Ibid, с. 131.

15 Sin embargo, las guerras que tuvieron lugar en las últimas décadas tuvieron elementos obvios del juego. La emisión de bombardeos en vivo durante las campañas de Irak, el uso de simuladores de computadora para entrenamiento militar, la creación de un juego de rol basado en combates reales. - L.S.

16 Ibid, с. 285.

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mercredi, 01 avril 2020

Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

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Gaston Bouthoul, polémologue. Fin de l’omertà ?

par Arnaud Imatz

Le réalisme politique ne jouit pas en France d’une bonne réputation, ni dans les milieux académiques, ni dans les médias mainstream. Si dans les pays Anglo-saxons, en Amérique hispanique et dans le reste de l’Europe (en Italie tout particulièrement), l’intérêt ne se dément pas pour « l’école de pensée réaliste », dans l’Hexagone, elle est le plus souvent balayée d’un revers de main, taxée d’idéologie antidémocratique, manichéenne, opportuniste et désespérante, perçue comme une idéologie de dominants qui refusent de penser le changement et l’avenir. Le silence de la grande presse parisienne sur la remarquable synthèse du professeur Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie. Pourquoi le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, publiée en novembre dernier (Toucan / L’Artilleur, 2019), n’est qu’un révélateur de plus de cette censure « soft » mais efficace.

71ukXAUZq2L.jpgRéputé l’un des meilleurs politologues du monde hispanique, l’académicien Negro Pavón a beau montrer que le réalisme politique n’est pas une famille politique homogène mais un point de vue de recherche et d’étude qui vise à éclairer les règles de la politique, qu’il n’est pas la défense du statu quo, qu’il part de l’évidence des faits mais ne se rend pas devant eux, qu’il ne se désintéresse pas des fins dernières mais reconnaît au contraire la nécessité vitale des finalités non politiques (le bonheur et la justice), rien ne peut ébranler la foi de ses adversaires, ennemis autoproclamés de toute pensée « machiavélienne », ou plutôt, selon leurs dires, « machiavélique ». Dans le fond, on le sait, le postmodernisme (mélange de néo-marxisme et de néo-libéralisme), n’est qu’une rébellion contre la réalité. Et le péché capital que redoutent ses thuriféraires est moins la « démagogie populiste », comme on l’entend ad nauseam, que le « sain scepticisme politique ». Une manière de penser qui, précisément, fait dire à Pavón,  au grand dam de nos pseudo-progressistes, qu’il y a une condition essentielle pour que la démocratie politique soit possible et sa corruption beaucoup plus difficile: « il faut que l’attitude à l’égard du gouvernement soit toujours méfiante ». Et encore, citant Bertrand de Jouvenel : « le gouvernement des amis est la manière barbare de gouverner ».

Simone Weil, Bertrand de Jouvenel, Raymond Aron, Jules Monnerot ou Julien Freund, pour ne citer qu’eux, ont tous, à un moment ou à un autre de leurs vies et à des degrés divers, fait l’amère expérience de cette méfiance et de cette hostilité que suscitent le « sain scepticisme politique ». Mais en la matière, la victime, l’exclus ou le réprouvé par excellence est assurément le polémologue Gaston Bouthoul, tombé injustement dans l’oubli depuis des décennies. À l’occasion du 40e anniversaire de sa mort (1980-2020), le politologue de l’Université de Murcie, Jerónimo Molina Caro, déjà connu pour ses travaux sur Raymond Aron et Julien Freund, nous offre une véritable somme sur la vie et l’œuvre de « Gaston Bouthoul, Inventor de la Polemología » (Centre d’études politiques et constitutionnelles de Madrid, Prix Luis Díez del Corral).

mini_magick20190404-31551-1ulxni0.pngGaston Bouthoul (Boutboul selon son certificat de naissance), est né dans la petite ville côtière de Monastir en Tunisie, le 8 mai 1896. Élevé au sein d’une famille bourgeoise de la communauté juive d’Afrique du Nord, le jeune Gaston parle le français, le dialecte arabe de la région et l’italien. Une fois ses études secondaires terminées, il quitte Tunis pour Paris, mais il restera toujours très attaché à son pays de naissance. En mai 1916, il s’inscrit à la faculté de droit et de lettres de la Sorbonne, puis, en juillet 1918, à l’Université de Lyon. De retour à Paris, en novembre 1918, dès la fin de la Première guerre mondiale, il acquiert la nationalité française.

Bouthoul obtient successivement deux doctorats en 1924 et en 1931: un premier doctorat en sciences juridiques et sciences politiques et économiques à la Sorbonne, avec une thèse « principale » sur La durée du travail et l’utilisation des loisirs et une thèse « secondaire » Étude sociologique des variations de la natalité dans les faits et la doctrine ; puis,un deuxième doctorat en lettres, section philosophie, à l’Université de Bordeaux avec une thèse « principale » sur L’invention (dans laquelle il défend la psychologie sociale et s’oppose au sociologisme de Durkheim) et une thèse « secondaire » sur Ibn-Khaldoun, sa philosophie sociale.Le génial aventurier politique et érudit, Ibn Khaldoun (1332-1406), né à Tunis et mort au Caire, sorte de machiavélien avant la lettre, théoricien de la décadence et de ses causes historiques, conduit très tôt Bouthoul à adhérer au réalisme politique.

En 1923, Bouthoul se marie avec Vera Betty Helfenbein, une jeune femme brillante, née à Odessa. Avocate, écrivaine et peintre, Betty côtoie le milieu intellectuel de la capitale où elle introduit son mari, qui se lie d’amitié avec une pléiade d’intellectuels dont Jacques Prévert et le francophile et francophone Ernst Jünger. L’amitié avec l’auteur de Sur les falaises de marbre ne se démentira pas. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à deux reprises, en 1950 et 1951, le couple recevra Jünger dans sa résidence d’été d’Antibes.

La carrière universitaire semble s’ouvrir à Bouthoul, mais ses affinités intellectuelles, fort éloignées de la sociologie durkheimienne, qui est alors hégémonique en France, rendent difficiles son intégration dans les milieux académiques. Intellectuel libre, chercheur indépendant, il est rétif à se plier aux conventionnalismes, aux formalités et servitudes de la vie académique. Sa vertu et son caractère l’éloignent des chapelles et des coteries mais le revers de la médaille est son exclusion des postes universitaires importants. Personnalité non-conformiste, membre du Club des « Savanturiers » fondé par Boris Vian et Raymond Queneau, Bouthoul étonne, choque même les bien-pensants.

Gaston et Betty Bouthoul ont néanmoins un avantage appréciable : l’indépendance financière que leur assure la profession d’avocats bien établis laquelle les met à l’abri des revers et chausse-trapes académiques. Les deux défendront les intérêts de clients et d’amis célèbres dont, dans le cas de Gaston Bouthoul, Jacques Prévert, Henri Langlois, fondateur de la cinémathèque française, ou les enfants naturels de Picasso.

51lwf6+xpnL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgC’est en 1922 que le nom de Gaston Bouthoul est mentionné pour la première fois dans la Revue internationale de sociologie, organe de l’Institut international de sociologie fondé par le sociologue René Worms (1893). À partir de 1926, cette revue réputée est dirigée par un ami de Bouthoul, Gaston Richard, un disciple de Durkheim devenu anti-durkheimien. Collaborateur régulier de la Revue internationale de sociologie mais aussi du Mercure de France, le futur polémologue recense et commente les néo-machiavéliens italiens Roberto Michels, Gaetano Mosca et Vilfredo Pareto. Pacifiste, se situant politiquement au centre-gauche, Bouthoul adhère à la franc-maçonnerie et collabore, semble-t-il, avec Paul Reynaud. Mais ses prises de position partisanes sont accidentelles au regard de son scepticisme politique foncier. Personne n’a plus souligné que lui « l’extrême pauvreté intellectuelle de la vie politique », la persistance dans le temps de quelques idées politiques basiques qui permettent de parler d’une infrastructure psychologique ou mentale dont les effets opèrent constamment sur la pensée et l’action politique. La politique est, selon lui, le degré le plus bas de l’activité intellectuelle. N’importe qui peut aspirer à une brillante carrière s’il est capable de réciter quelques slogans.

Bouthoul contribue aux travaux du Congrès international et intercolonial de la Société indigène, publiés en 1931, sous la tutelle de Lyautey. Sa communication porte sur l’amélioration des conditions sociales en Tunisie. Durant les années 1920 et 1930, il fréquente assidument l’École coloniale et dirige la Revue d’Afrique (de 1928 à 1939). C’est l’époque ou le radical-socialiste, Albert Sarraut, ministre et président du gouvernement, justifie la colonisation comme une « œuvre de solidarité humaine », une obligation civilisatrice, le droit du fort à aider le faible, une entreprise d’association et de prolongation de l’Europe. Les colonies ne sont pas seulement des marchés mais la création d’une nouvelle humanité. Leur finalité n’est pas purement matérielle ou économique mais leur objectif est de développer un nouvel idéal moral, de créer une nouvelle tradition intellectuelle commune, un nouveau type humain imprégné de deux cultures. Optimiste, Bouthoul croit en la possibilité d’un islam français. Il se déclare partisan d’un fédéralisme européen (« l’autonomie ou l’indépendance dans l’interdépendance » diront pour leur part Edgar Faure ou Albert Camus dans les années 1950) qui repose sur l’autonomie des différentes régions de l’empire français. Plus tard, des considérations démographiques le convertiront en un partisan de l’abandon de l’empire.

A la fin des années trente, Bouthoul commence à s’intéresser à l’étude du « phénomène-guerre » et écrit dans la Revue de Défense nationale. En 1940, grâce à ses bonnes relations avec l’imam de la mosquée de Paris, il obtient un certificat d’appartenance à la religion musulmane qui le protège lui et sa femme sous l’Occupation. En janvier 1941, le couple se replie sur Antibes. Amis de l’écrivain-résistant René Laporte, les Bouthoul retrouvent chez lui Aragon, Georges Auric, Cocteau, Eluard, Claude Roy, Pierre Seghers, André Verdet et bien d’autres.

718T0q1iQgL.jpgLa profonde impression que produit la Deuxième guerre mondiale sur Bouthoul – l’hécatombe européenne et les effets de l’arme atomique -, réoriente sa vie intellectuelle. De retour à Paris en 1945, il fonde l’Institut Français de Polémologie pour l’étude scientifique des causes des guerres (IFP). La polémologie, c’est l’étude de la guerre considérée comme un phénomène d’ordre social et psychologique. Bouthoul cherche à remplacer le pacifisme idéologique par un pacifisme scientifique, c’est-à-dire une conception de la paix fondée sur l’étude multifactorielle du « phénomène guerre ».

Dès les années 1950-1960, les grandes lignes de sa pensée sont déjà nettement tracées. Bouthoul, dénonce la saturation ou l’inflation démographique, l’amoncellement humain, qui met en péril le respect de la dignité de la personne et son progrès moral. Il rejette la prétendue relation de causalité purement quantitative entre l’augmentation de la population et le progrès établie par les démographes populationnistes. Néomalthusien optimiste (alors que Malthus est un pessimiste), il combat le populationnisme par crainte et haine de la guerre. Il réfute le populationnisme d’Alfred Sauvy, fondateur et directeur de l’Institut National d’Études Démographiques. Il s’oppose au populationnisme du républicain de centre gauche Zola, comme à celui du socialisme militant (utopique, marxiste et social-démocrate lequel sera partisan de la lutte des classes… jusqu’au triomphe du Welfare State). La dépopulation est pour les populationnistes un symptôme non équivoque de décadence car elle impose à la nation une « atmosphère déprimante ». À l’inverse, pour Bouthoul le propre des civilisations qui optent résolument pour la quantité est la tendance à devenir chaque fois plus inhumaine.

La solution du problème de la guerre et de la paix n’est pas, selon lui, dans les doctrines politiques, ni juridiques, ni morales, ni économiques, mais dans la science et le savoir. Ou la polémologie ou la guerre ! A l’adage traditionnel, romain et clausewitzien, Si vis pacem, para bellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre), et à celui du pacifisme rhétorique, Si vis pacem, para pacem (Si tu veux la paix, organise la paix), Bouthoul préfère la devise, Si vis pacem, gnosce bellum (Si tu veux la paix, comprend la guerre). Les incriminations et les discours contre la guerre ne servent à rien ; l’important, c’est la connaissance de l’agressivité collective et des conditions qui la suscitent.

md1207020186.jpgBouthoul étudie la périodicité des guerres, leurs causes présumées et leurs fonctions sociales. Il remet en question toute forme de déterminisme économiciste qu’il soit d’inspiration libérale ou marxiste. Ce n’est pas l’économie, mais la démographie qui est « le facteur numéro 1 »  de la guerre. Ni le dirigisme économique ni le libre-échange influent décisivement sur l’agressivité des nations. Il ne faut pas nier l’influence des facteurs psychologiques, culturels ou économiques, mais les circonstances de nature démographique sont celles qui comptent le plus.

La guerre n’est pas une maladie sociale, ni une pathologie collective, mais l’expression constante et régulière du dynamisme biologique et démographique, une fonction stable de la biologie sociale qui s’exerce sous les prétextes les plus variés. La guerre est innée et acquise, un fait de nature et un fait d’histoire, ses racines sont dans l’animalité de l’homme, mais aussi dans son humanité et dans sa sociabilité projetées dans le devenir historique. La guerre est un phénomène sociologique ou psychologique plus que politique. Elle n’est pas intentionnelle, mais plus nécessaire et fatale que volontaire et optionnelle. Elle est indépendante, au moins en partie sinon totalement, de la volonté humaine. Elle ne dépend ni de la souveraineté, ni de la forme de gouvernement, mais du déséquilibre démo-économique et de l’agressivité collective.

Alors que pour Clausewitz la guerre a pour finalité la destruction de l’ennemi afin de lui imposer notre volonté. Pour Bouthoul, la guerre a comme finalité la « relaxation » démographique. Pour l’un, la guerre est un phénomène historique et contingent (la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens), pour l’autre, elle est un phénomène périodomorphique. La guerre a une fonction double : générique et spécifique. La première, est destructive (mortalité supplémentaire) et réductrice (effondrement de la natalité). La seconde, quintessence de la polémologie, consiste en l’élimination de jeunes garçons, une constante dans l’histoire des idées politiques et sociales. La causalité du phénomène guerre est majoritairement démographique. Ainsi, l’indépendance de l’Algérie sous De Gaulle s’explique par une conscience aigue du problème démographique qui plane sur la métropole : que deviendrait le haut niveau de vie de la France si quelques millions d’Africains arrivaient sur son territoire ?

La traversée du désert de Bouthoul se prolonge pendant plus de vingt ans. C’est seulement à partir de 1966 que son Institut prend vraiment son essor. Tout commence à changer lorsqu’il se lie d’amitié avec Lucien Poirier. C’est la première rencontre providentielle pour lui. Théoricien de la dissuasion nucléaire, principal représentant de la stratégie française de l’après-guerre, le général Lucien Poirier est un proche du gaulliste, ministre des armées, futur premier ministre, Pierre Messmer. Poirier fait appel à la collaboration de Bouthoul pour la Revue militaire d’information. Les finances de l’IFP s’améliorent et sa revue  Guerres et Paix est publiée aux PUF, de 1966 à 1970.

La seconde rencontre heureuse et inespérée de Bouthoul est celle de la journaliste pacifiste, femme de lettres et femme politique, Louise Weiss, qui assume le secrétariat général de l’IFP, de 1964 à 1971. En 1967, un Centre de sociologie de la guerre, dépendant de l’institut de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, est crée et dirigé par  le général Victor Werner enthousiaste divulgateur des thèses de Bouthoul. Un autre ami proche, le professeur de philosophie politique, Julien Freund, fonde l’Institut de polémologie de l’Université de Strasbourg (1970). La dédicace du livre de Freund Utopie et violence (1978) à Gaston Bouthoul et à la mémoire de sa femme Betty témoigne de leur proximité.

En 1971, paraît le premier numéro des Études polémologiques ; les membres du comité d’honneur de cette nouvelle revue de l’IFP sont pour la plupart des intellectuels du Collège de France et de l’Institut de France (Braudel, Fourastié, Guitton, Rueff etc.). Deux collaborateurs de Bouthoul sont parmi les plus actifs, Hervé Savon, chercheur au Collège de France et le général René Carrère.

la-surpopulation-dans-le-monde.jpgDurant toute sa vie, Bouthoul publie des centaines d’articles et une bonne vingtaine de livres dont les titres sont éloquents. Parmi eux citons : Cent millions de morts (1946), Huit mille traités de paix (1948) [pas moins de 8000 traités de paix « qui devaient durer éternellement » ont été conclus entre l’année 1500 av. J.-C. et 1860], Les guerres, éléments de polémologie (1951), Le phénomène-guerre (1962), Sauver la guerre : lettre aux futurs survivants (1962), La surpopulation dans le monde (1964), L’art de la politique (1969), L’infanticide différé (1970), Essais de polémologie ( 1976) ou encore, en collaboration avec René Carrère et Jean-Louis Annequin, Le Défi de la guerre de 1740 à 1974 (1976) et Guerres et civilisations (1979).

Bouthoul a été critiqué pour son « monocausalisme » démographique, sa corrélation trop simpliste entre démographie et guerre (Alfred Sauvy, Paul Vincent, Raymond Aron) ou sa « délocalisation » des conflits (Yves Lacoste). Il lui a été aussi fait le reproche moral de justifier la guerre en lui attribuant une fonction sociale. Mais en réalité, il présente la polémologie comme un chapitre de la sociologie dynamique, générale, en raison du grand nombre de facteurs interdépendants qu’elle implique (depuis l’anthropologie et l’ethnologie démographique, jusqu’à l’économie, en passant par le droit et la psychologie). S’il croit en la primauté des facteurs démographiques, il n’a jamais affirmé que la surpopulation ou les perturbations démographiques sont l’unique cause de la guerre. Selon lui, « La surpopulation ne conduit pas nécessairement à la guerre, mais elle est une situation dans laquelle s’activent les institutions destructives. La prépondérance de l’une ou de l’autre sera déterminée par la mentalité, la conjoncture politique et idéologique, la technique, la tradition et bien sûr le hasard ».De sorte que « bien qu’on ne peut pas affirmer scientifiquement une relation certaine de causalité entre la perturbation démographique et la naissance des conflits… celle-ci peut favoriser les conditions qui créent le lien polémogène ».

Avec un pourcentage majoritaire de sa population entre 20 et 35 ans, nous dit Bouthoul, un peuple est plus belligène et agressif. C’est au fond la doctrine du Youth Bulge des sociologues anglo-saxons d’aujourd’hui pour qui, lorsque dans un peuple la population des jeunes (entre 15 et 24 ans) dépasse les 20%, les possibilité de conflit intérieur ou de guerre extérieure se multiplient. Une société majoritairement gérontocratique et féminine est en revanche moins agressive.

Victime d’une grave maladie, Bouthoul décède en décembre 1980. Quelques mois plus tôt, il a accepté que l’IFP soit dissous et absorbé par la Fondation pour les Études de Défense nationale (1980). Respectant sa volonté, René Carrère en devient le directeur et Christian Schmidt, de l’université Paris IX Dauphine, le directeur adjoint. La FEDN sera à son tour dissoute, en 1992, sur proposition du ministre socialiste Pierre Joxe.

Sans projection universitaire, sans postérité véritable, surtout après la perte irréparable d’Hervé Coutau-Bégarie (2012), fondateur de l’Institut de stratégie comparée, et malgré les efforts méritoires de Myriam Klinger, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, Gaston Bouthoul a semblé pendant des années condamné à être ignoré, méconnu et oublié. Mais grâce au livre passionnant et remarquablement documenté de Jerónimo Molina Cano, Gaston Bouthoul, inventeur de la polémologie. Guerre, démographie et complexes belligène, il n’en est rien. C’est avec impatience qu’on attend sa traduction et sa publication en France.

Arnaud Imatz est historien des idées, membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne.

lundi, 23 septembre 2019

Nouvelles formes de guerre. Les UCAV ou drones de combat

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Nouvelles formes de guerre: les UCAV ou drones de combat

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Le remarquable article en anglais de Anthony Cordesman référencé ci-dessous pose la question de savoir si des pays tels que les Etats-Unis ont bien compris les difficultés que posent à leurs forces armées et ministères (Department) de la Défense des armes telles que les drones de combat qui ont vraisemblablement lancé les missiles ayant frappé récemment les sites pétroliers saoudiens.

Ces frappes ont été revendiquées par les « rebelles Houthis » du Nord Yémen que l'Arabie saoudite avait prétendu neutraliser. Mais beaucoup d'experts pensent que ces missiles provenaient d'un grand pays. Washington incrimine, il est vrai sans preuves décisives, l'Iran.

Ces missiles n'étaient pas de simples missiles. Ils avaient probableblement été lancés par des drones de combat passés inaperçus. Ces drones nommés unmanned combat aerial vehicle (UCAV)  peuvent avoir l'envergure d'un petit avion, mais ils peuvent être bien plus petits. Ils sont généralement contrôlés par un émetteur externe, mais ils disposeront de plus en plus de capacités d'autonomie. Celles-ci leur permettront non seulement de sélectionner seuls certains objectifs mais de choisir les trajectoires et les altitudes leur permettant d'échapper aux défenses anti-aériennes classiques, radars, artilleries et contre-missiles notamment. De plus, ils utiliseront en phase finale d'approche non seulement des relevés GPS précis mais des caméras ou système visuels analogues identifiant la cible avec une grande fiabilité. 

Aucune information n'est évidemment disponible concernant l'origine des missiles ayant atteint les champs pétroliers de l'Arabie saoudite. De rares systèmes de défense anti-aérienne sont à ce jour capables d'essayer de déjouer les attaques d'UCAV. La Russie a mentionné à cet égard un système dit 9K331-Tor-M1-SA-15 Gauntlet qu'elle avait précédemment fourni à l'Iran.

Des renseignements indiquent que, outre la Russie et l'Iran, la Corée du Nord, la Chine et sans doute d'autres pays ont mis au point des systèmes industriels capables de fabriquer des UCAV en quantité suffisante pour représenter une menace militaire. La France s'y intéresse. Les Etats-Unis disposent de drones, tels le MQ-9 Reaper, qu'ils ont vendu à la France, mais pas à une échelle suffisante, malgré un budget militaire annuel dépassant celui de tous les autres Etats réunis. Ils ont préféré construire des porte-avions d'un coût considérable, aujourd'hui sans défenses efficaces contre un UCAV bien positionné.

Le nouveau type de guerre que préfigurent les UCAV a été nommée guerre hybride ou guerre de zone grise ( gray area warfare). Elle n'entraîne pas de réponse de type « destruction mutuelle assurée » comme dans le domaine nucléaire, fut-ce avec l'utilisation d'armes nucléaires de faible intensité. Ceci dit, dans ce dernier cas, l'utilisation d'UCAV dotés de têtes nucléaires de faible intensité serait beaucoup plus efficaces qu'une nucléarisation à grande échelle.

Source

Iran, Yemen, and the Strikes on Saudi Arabia: The Changing Nature of Warfare
https://www.csis.org/analysis/iran-yemen-and-strikes-saud...

By Anthony H. Cordesman

lundi, 27 mai 2019

Analysis of "Storm of Steel" (Kulturkampf Podcast)

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Analysis of "Storm of Steel" (Kulturkampf Podcast)

**READ DESCRIPTION**
Ernst Jünger was well-known thanks to various works which - by contrast to the defeatist and pacifist literature prevalent in the aftermath of the war - emphasized the potentially positive and spiritual aspects of modern warfare. On this account, Jünger had even been labelled the 'anti-Remarque'. Nor was Jünger a mere writer: having joined the Foreign Legion in his youth, he had later volunteered to fight in the First World War, where he was repeatedly wounded and was awarded the highest military honors.
 
Following the collapse of Imperial Germany, Jünger was held in high esteem in nationalist and combat circles, and soon emerged as one of the representatives of the ‘Conservative Revolution' - the term I already used to describe those circles which I came to appreciate and collaborate with in central Europe.
 
Julius Evola on Jünger's later life:
 
"It is as if the spiritual drive that Jünger had derived from his life in the trenches of the First World War, and applied on an intellectual level, had gradually run out.
 
Besides, not only did Jünger play no significant role during the Second World War, but it also appears that, when in service in occupied France, he got in touch with those members of the Wehrmacht who in 1944 attempted to murder Hitler.
 
Jünger, therefore, should be numbered among those individuals who first subscribed to 'Conservative Revolutionary' ideas but were later, in a way, traumatized by the National Socialist experience, to the point of being led to embrace the kind of sluggishly liberal and humanistic ideas which conformed to the dominant attempt 'to democratically reform' their country; individuals who have proven incapable of distinguishing the positive side of past ideas from the negative, and of remaining true to the former. Alas, this incapability to discern is, in a way, typical of contemporary Germany (the land of the 'economic miracle')."
 

samedi, 18 mai 2019

Guerra y saber político: Clausewitz y Günter Maschke

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Guerra y saber político:
Clausewitz y Günter Maschke

Antonio Muñoz Ballesta

Ex: http://www.nodulo.org

Conviene, especialmente cuando suenan tambores de guerra, no malinterpretar a Carlos Clausewitz (1780-1831), y reconocer la conclusión realista del filósofo militar prusiano, que la Guerra es la expresión o la manifestación de la Política

«George Orwell advertía en una ocasión que, en las sociedades libres, para poder controlar la opinión pública es necesaria una «buena educación», que inculque la comprensión de que hay ciertas cosas que no «estaría bien decir» –ni pensar, si la educación realmente tiene éxito–.» (Noam Chomsky en Tarragona, octubre de 1998)

A José María Laso, luchador en la paz y en la guerra

1

 La inminente guerra del Imperio realmente existente en el planeta, EEUU, contra Irak, y contra otros países del llamado «Eje del mal», entre los que se encuentra, según expresión de Gabriel Albiac, el «manicomio militarizado» de Corea del Norte, y que puede provocar la primera Guerra Nuclear en la que los dos contendientes utilicen efectivamente armas atómicas –aunque en la Historia contemporánea se ha estado varias veces al borde de la misma, y no solamente en la crisis de los misiles de Cuba, sino también hace unos meses en la guerra silenciada entre Pakistán y la India–, requiere que nos dispongamos a contemplarla con las mejores armas conceptuales posibles (pidiendo, a la misma vez, a Dios, a Alá, o a Yahvè, según la religión de cada uno, que «el conflicto bélico» no nos afecte individualmente).

¿Qué mejor arma conceptual, para nosotros, que delimitar lo que sea verdaderamente la «guerra» desde el punto de vista del «saber político»?

Porque las guerras no son una «maldición divina o diabólica» a pesar de que las consecuencias en las víctimas humanas, y la destrucción que provocan, así lo sea.

Las guerras pertenecen también, como nos recuerda Clausewitz, al «ámbito de la acción humana», y aunque siempre han estado envueltas en las formas artísticas de su tiempo y han sido el ámbito en el que se han realizado avances técnicos, tecnológicos y científicos de eficaz transcendentalidad –en el sentido del materialismo filosófico– innegable para las sociedades, las guerras «no pertenecen al campo de las artes y de las ciencias», y sin embargo, no son un saber sencillo, sino al contrario, «llevar una guerra» consiste en un saber de los más complejos y racionales que existen.

En las guerras se trata de «movimientos de la voluntad aplicado... a un objeto viviente y capaz de reaccionar», y por ello, subraya Günter Maschke, para Clausewitz, la guerra (también la próxima guerra contra Irak y Corea del Norte, &c., habría que añadir) es «incertidumbre, fricción y azar» que no permite una simplificación –ni por los militares, ni por los políticos e intelectuales– de los «complejos procesos» de la guerra, presentándola de tal forma «que incluso un niño podía tener el sentimiento de ser capaz de dirigir un ejército» («militärische Kinderfreunde»). Ni admite el desarme conceptual de la Filosofía ante ella, pues estaríamos renunciando a la comprensión verdadera de una de las cuestiones más cruciales del Presente histórico. ¡Ya es hora que la Filosofía no quede al margen de la Guerra, de la Idea de «guerra»!

2

gm.jpgEl gran ensayista y pensador de lo político y la política, Günter Maschke, ha encontrado, al respecto y recientemente{1}, una solución plausible al laberinto interpretativo de lo que realmente nos quiso decir Carlos Clausewitz (1780-1831) sobre la Idea de la «Guerra» en su obra principal De la guerra, y en concreto en su relación con la «política».

Günter Maschke, después de un preciosa, y laboriosa, labor exegética de la correspondencia y demás obras, algunas inéditas, del famoso general prusiano, ha concluido, lo que muchos siempre hemos intuido, desde hace tiempo, a saber, que:

«La Guerra es la expresión o la manifestación de la Política».

Es ésta conclusión de Maschke una tesis que acerca el pensamiento de Clausewitz al «realismo político», y lo aleja, definitivamente, de los análisis bien intencionados y humanitaristas, de ciertos filósofos, intelectuales, especialistas universitarios y periodistas, que continuamente tratan de ocultarnos o silenciarnos la verdad de la geopolítica del inicio del siglo XXI en el Mundo (los que Antonio Gramsci denominó «expertos en legitimación»).

No podía ser de otra forma ya que la realidad política internacional, y nacional, es objetiva, y es la que es, independientemente de la propaganda orwelliana que realicen los «intelectuales», los «centros de educación» y los medios de comunicación.

3

La propaganda orwelliana de EEUU, y de sus «satélites» europeos –«satélites» porque no han conseguido tener una política exterior común, ni un ejército propio–, más o menos sutil, se presenta en dos frentes.

El primero es el frente de la opinión pública y consiste en conseguir que la misma adopte el consenso «políticamente correcto» de la élite intelectual.

En este caso el «consenso» significa que la guerra contra Irak es inevitable y necesaria por parte de EEUU y sus aliados (en cambio más razones tendría Irán), independientemente de saber si realmente el Irak de 2003 ha amenazado o agredido a EEUU o a Inglaterra o a Alemania o a España, o si sabemos con certeza las consecuencias sobre la población civil que tendrán los bombardeos y la invasión de los soldados de las fuerzas terrestres (bombardeos que se vienen haciendo, por lo demás, periódicamente desde 1991, y terminación «por tierra» de la guerra del golfo de 1991, sin hacer mención de la «medida política o militar» del «embargo de medicamentos, &c.»). Pueblo irakí y kurdo que, indudablemente, no se merece el régimen político de Sadam Husein (ni de Turquía), ni la ausencia de los derechos humanos elementales, inexistencia de derechos fundamentales que, lamentablemente, se suele olvidar por los que están en contra de la guerra contra Irak, salvo la honrosa excepción de Noam Chomsky, quién siempre ha defendido los derechos humanos auténticos contra cualquier organización estatal o no, sea EEUU o se trate de otro Estado.

El segundo frente de la propaganda orwelliana se presenta en el campo de las ideas del saber político. En el análisis político interesa que no se comprenda, no ya por la opinión pública, sino tampoco por parte de los dedicados a la «ciencia política», lo que significa la realidad de la guerra y la política, pues es propio de la ideología de un determinado régimen político que su «élite intelectual» posea unas herramientas conceptuales «apropiadas» para la consecución, no de la verdad, sino de los objetivos del régimen político –que suele coincidir con los objetivos de los más ricos y poderosos del régimen y sus monopolios económicos–.

Günter Maschke, en mi opinión, contribuye con su acertado análisis o comprensión verdadera del pensamiento de Clausewitz, a no convertirnos en víctimas conceptuales de este segundo frente de la propaganda orwelliana del «eje del bien» y/o del «eje del mal».

4

Los «intelectuales humanitaristas», que están afectados, del llamado por Noam, «problema de Orwell»{2}, suelen permanecer en la «ilusión necesaria» de que la política fracasa cuando se recurre a la guerra (de que la guerra es el «fin» de la política), porque han interpretado incorrectamente la famosa frase de Clausewitz:

«La guerra es un instrumento de la política/ Der Krieg ist ein Instrument der Politik»{3}

La «ilusión» de estos intelectuales de la «intelligentsia» viene de la confusión entre «instrumento» y «objetivo» de la «verdadera política». Si consideramos la guerra como un simple instrumento del «arte de la política», y la política tiene el instrumento pacífico de la diplomacia ¿no es, por tanto, un «fracaso» de la política, el recurrir al «instrumento de la guerra»?

Günter-Maschke+Kritik-des-Guerillero-Zur-Theorie-des-Volkskriegs.jpgPlanteados así las premisas o los presupuestos, habría que concluir que sí; pero ocurre que las cosas no son así, es decir, que el pensamiento de Clausewitz (ni de los más importantes y coherentes «pensadores políticos», incluido Noam Chomsky) no tiene esos presupuestos que se les atribuye falsamente. Y ello debido a que la frase de Clausewitz (ni el pensamiento de los filósofos a los que me refiero) no puede sacarse del contexto de toda su obra, incluido la correspondencia, del general prusiano (y de los autores que miren «sin prejuicios» los hechos ).

Y el «objetivo» de la «política», como sabemos, es la eutaxia de su sociedad política; y para ello el objetivo no es solamente la «paz a cualquier precio», pues ello implicaría la renuncia a su «soberanía», a su «libertad» (si, en un país, todos aceptaran ser siervos o esclavos, o vivir en la miseria y sin luchar, no habría jamás violencia o «guerras»), &c., y en el límite la renuncia, de la misma sociedad política, a su «existencia» o permanencia en el tiempo de sus planes y programas –de su prólepsis política–.

Renuncia a la existencia de la misma sociedad política, puesto que, y esto se reconoce por Clausewitz y todos los autores, la «paz» como las «guerras», no son conceptos unívocos.

La «paz», y la «guerra», puede ser de muchas formas, desde la «Pax romana» a la «Paz establecida en Versalles». Además de la existencia, quizás más realista, de un «status mixtus que no es ni guerra ni paz», por ejemplo, ¿cómo calificar la situación actual entre Marruecos y España después de la «batalla» del islote Perejil? ¿O en el futuro, entre España e Inglaterra, por el asunto del peñón de Gibraltar? ¿O en el futuro, entre España y el «País Vasco» o «Catalonia» o «Galicia»? ¿De «diplomacia» o de «guerra»?

5

En realidad la guerra es la expresión o manifestación de la política, y ella –la guerra– es como «un verdadero camaleón, pues cambia de naturaleza en cada caso concreto», aparentemente creemos que se produce la «desaparición» de la política (o del Derecho Internacional) cuando «estalla la Guerra», y en verdad no es así, pues la política y la diplomacia continúa implementando sus planes y programas, ¿para qué?, para conseguir una mayor eutaxia de la sociedad política vencedora o no, en el «tiempo de paz» posterior (así consiguió EEUU su predominio en Oriente Medio después de la Guerra Mundial II).

Pues, recordemos que las guerras terminaban con los Tratados de Paz, por lo menos hasta la Guerra Mundial I. Hoy en día, parece más bien, que estemos en un permanente «estado de guerra» mundial, en el que es imposible un «Tratado de Paz» entre los contendientes. Así las cosas en el «mundo del saber político» ¿Cómo y cuando se firmará el Tratado de Paz entre EEUU y Ben Laden? ¿Y es posible tal cosa?

Bien dice G. Maschke que Clausewitz es autor de las siguientes frases que inclinan la balanza en favor del primado de lo político sobre lo militar en el tema de la «guerra»:

«la política ha engendrado la guerra», «la política es la inteligencia... y la guerra es tan sólo el instrumento, y no al revés», «la guerra es un instrumento de la política, es pues forzoso que se impregne de su carácter » político, la guerra «es solo una parte de la política... consecuentemente, carece absolutamente de autonomía», «únicamente se pone de manifiesto –la guerra– en la acción política de gobernantes y pueblos», «no puede, jamás, disociarse de la política», «pues las líneas generales de la guerra han estado siempre determinadas por los gabinetes... es decir, si queremos expresarlo técnicamente, por una autoridad exclusivamente política y no militar», o cuando dice «ninguno de los objetivos estratégicos necesarios para una guerra puede ser establecido sin un examen de las circunstancias políticas», &c.

gmbew.jpgAhora bien, volvamos a la Guerra contra Irak, una manifestación más (en este caso de violencia extrema «policial») de la nueva «política «del «Imperio» constituido y constituyente de la también «nueva forma de la relación-capital» –el «Capitalismo como forma Imperio», según la reciente tesis del libro de Antonio Negri y M. Hardt– e intentemos «comprender» ahora, con las «armas conceptuales tradicionales» clausewitzianas, la política del bando «occidental». Entonces, EEUU, dirigido por Bush II, se nos presenta como un «nuevo Napoleón» que reuniera en su persona política la categoría de «príncipe o soberano» al ser, a los ojos del Mundo, al mismo tiempo «cabeza civil y militar» de la «civilización». Pero otorgándole que sea la cabeza militar en el planeta, ¿quién le otorga el que sea también la «cabeza civil»?{4} –Noam Chomsky es más realista al reconocer que desde el punto de las víctimas, es indiferente que el poder que los humilla y mata se llame «Imperio» o «Imperialismo». En cambio, el poder militar y civil de Sadam Husein se nos da en toda su crueldad dictatorial, apoyada –por cierto– hasta hace once años por los mismos EEUU y Occidente, que miraban, entonces, para otro lado, cuando se cometían innumerables atentados a los derechos humanos contra su propia población irakí y kurda.

6

En verdad la guerra es la expresión de la política, y en ese orden, es decir, que la política no es la manifestación de la guerra, lo cual viene a dar la razón, no solamente al realismos político de Carl Schmitt y Julien Freund, sino también a Gustavo Bueno, pues la existencia de las sociedades políticas auténticas, de los Estados o Imperios, requiere una capa cortical que se da, entre otras causas, por la acción política partidista y eutáxica.

Se consigue así que dichos intelectuales no incidan, como deseamos todos, en su lucha y defensa por una nueva política que se exprese predominantemente en diplomacia, y no en guerras de exterminio, predominantemente «exterminio de civiles».

Estos «intelectuales» y periodistas se concentran, en cambio, en la denuncia «humanitaria»{5} de los males de la guerra (males de la guerra que por más que se han denunciado en la Historia no han dejado de producirse salvo que se ha influido de manera práctica en la política), olvidándose de luchar conceptualmente, filosóficamente, por conseguir una vuelta a la verdadera política que no se exprese en guerras nucleares generalizadas o no.

Y, en cambio, la verdadera política incluye, como nos demuestra el análisis de G. Maschke, dos partes, en su expresión, la «diplomacia» y la «guerra». Y la política de una sociedad determinada no deja de ser «verdadera política» –utilizando conceptos de la «realista» filosofía política de Gustavo Bueno– cuando se manifiesta en diplomacia o en la guerra.

No se reduce la política a la paz, y a los medios pacíficos.

Otra de las causas del error habitual, hasta ahora, en la interpretación de Clausewitz, es no percatarse del origen histórico de determinadas Ideas del saber político, y viene recogida y resaltada por G. Maschke, a saber, la trascendental importancia del cambio histórico en la concepción de la guerra, con la Revolución Francesa de 1789 y Napoleón (príncipe o soberano, y no sencillamente «dictador»), ya que se pasó del «viejo arte de la guerra» de gabinete de los Estados Absolutistas, a «los grandes alineamientos engendrados por la guerras», por la Revolución.

ra-cl.jpgGustavo Bueno ha recogido también esta modificación crucial, sin hipostatizarla, con su análisis del surgimiento de la Idea de la «Nación política» o nación canónica:

«Algunos historiadores creen poder precisar más: la primera vez en que se habría utilizado la palabra nación, como una auténtica «Idea-fuerza», en sentido político, habría tenido lugar el 20 de septiembre de 1792, cuando los soldados de Kellerman, en lugar de gritar «¡Viva el Rey!», gritaron en Valmy: «¡Viva la Nación!» Y, por cierto, la nación en esta plena significación política, surge vinculada a la idea de «Patria»: los soldados de Valmy eran patriotas, frente a los aristócratas que habían huido de Francia y trataban de movilizar a potencias extranjeras contra la Revolución.» Gustavo Bueno, España frente a Europa, Alba Editorial, Barcelona 1999, página 109.

Por ello, el realismo político, y toda la filosofía política «realista» –en cuanto sabe separar la ideología y la verdad geopolítica– que incluye, en este sentido y a mi entender, a Gustavo Bueno y a Noam Chomsky, tienen que reconocer, lo que ya dijera Clausewitz:

«Que la «guerra no es otra cosa que la prosecución de la política por otros medios»

O como dice el mismo Günter Maschke: «La tesis fundamental de Clausewitz no es que la guerra constituye un instrumento de la política, opinión de los filántropos que cultivan la ciencia militar, sino que la guerra, sea instrumento o haya dejado de serlo, es la «prosecución de la política por otros medios.» Pero Clausewitz encontró una formulación aún mejor, sin percatarse de la diferencia con la precedente. Él escribe que las guerras no son otra cosa que «expresiones de la política» (tal cita proviene del estudio, todavía inédito, «Deutsche Streitkräfte», cfr. Hahlweg en la edición citada de Vom Kriege, pág. 1235), y en otro lugar, que la guerra «no es sino una expresión de la política con otros medios».» Empresas políticas, número 1, Murcia 2002, pág. 47.

7

En conclusión, es mucho más «humano» ser «realista» en el saber político, cuando se trata de Idea tan omnipresente como la «guerra», pues se evitan más «desastres humanitarios», y se consigue más auténtica libertad y justicia, cuando superamos el «problema de Orwell» y podemos contemplar la política tal como es, es decir, como la que tiene el poder real de declarar la guerra y la paz, que van configurando, a su vez, los «cuerpos de las sociedades políticas» en sus respectivas «capas corticales». Por ello la solución de G. Maschke a las ambigüedades de la obra de Clausewitz viene a contribuir al intento serio de cambiar la política para evitar las guerras. Se trata de una lucha por la verdad, en la paz y en la «guerra».

Notas

{1} «La guerra, ¿instrumento o expresión de la política? Acotaciones a Clausewitz», traducción de J. Molina, en la revista Empresas políticas (Murcia), año I, número 1 (segundo semestre de 2002).

{2} El «problema de Orwell» es el tema central de la labor de Noam como filósofo político, y consiste en la cuestión de «cómo es posible que a estas alturas sepamos tan poco sobre la realidad social» y política de los hombres(y olvidemos tan pronto las matanzas, miserias, etc. causados por el poder estatal imperialista), disponiendo, como se dispone, de todos los datos e informaciones sobre la misma. A Orwell no se le ocultó que una «nueva clase» conseguía en gran medida que los hechos «inconvenientes» para el poder político y económico, llegasen a la opinión pública «debidamente interpretados», y para ello si era preciso cambiar el Pasado, se hacía, pues se controlaba los hechos y los conceptos del Presente. La propaganda en las sociedades «libres» se consigue sutilmente, por ejemplo por el procedimiento de fomentar el debate pero dejando unos presupuestos o premisas de los mismos sin expresarse (y sin poder ser criticadas), o discutiendo por la intelligentsia, entre sí, cuestiones periféricas, dando la impresión de verdadera oposición.

{3} Clausewitz, Vom Kriege, págs. 990-998, 19 ed., Bonn 1980.

{4} La ONU, como institución internacional con «personalidad jurídica propia», ha sido «puenteada» continuamente por EEUU, cuando le ha interesado, y sus Resoluciones incumplidas sistemáticamente, siempre y cuando no sean como la 1441, que da a entender, o no –dicen otros– que se puede utilizar la «fuerza» contra el dictador irakí.

{5} ¡Como si no fuera «humano» el análisis científico y filosófico del concepto de las guerras y sus relaciones con la política, precisamente para conseguir mejores y mayor cantidad de Tratados de Paz!

samedi, 30 mars 2019

Mondialisation et prolifération de l'hostilité...

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Mondialisation et prolifération de l'hostilité...
par François-Bernard Huyghe
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux changements de forme de la guerre provoqués par la mondialisation. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

Pas d'idée de paix sans définition de la guerre

Comment sait-on que l'on est en guerre ? Il y a quelques années, la question aurait été absurde. La guerre était l’affaire des États (ou de groupes armés qui voulaient s’emparer de l’État, donc du monopole de la violence légitime, et il était alors convenu de parler de «guerre civile»).

- La guerre entraînait certains actes de langage : on la proclamait pour mobiliser son camp, au moins moralement, on la déclarait à l’autre, on l’exaltait par des discours, on la concluait par un écrit, tel un traité, on l’inscrivait dans les livres d’histoire ou sur des monuments. Le but était d’imposer le silence : silence des armes, silence du vaincu qui renoncerait à s’adresser à la postérité et à énoncer sa prétention politique

- L’état de guerre – une période avec un début et une fin- supposait des codes spécifiques : elle était ou bien juste ou bien injuste au regard du droit des gens ; des professionnels, les militaires (et eux seuls), avaient en fonction des circonstances le droit de tuer ou pas Chacun savait s’il était combattant (éventuellement « sans uniforme ») ou civil. La distinction ennemi privé / ennemi public était indépassable (extros contre polemos en grec, hostis contre innimicus en latin, etc..)

numerique.jpg- La guerre se déroulait en un lieu connu : front, champs de bataille, zones occupées ou libérées. Un coup d’œil sur la carte montrait quelles troupes progressaient et lesquelles se repliaient.

- La guerre s’accompagnait de destruction à commencer par un taux de mortalité anormal. : cette expérience du sacrifice revenait à chaque génération par cycles et apparaissait comme inhérente à la condition humaine. La belligérance, catégorie anthropologique fondamentale, stimulait les plus fortes passions de notre espèce.

- Les belligérants savaient qu’ils participaient à un conflit armé collectif ayant des fins politiques. Ils continuaient à s’infliger des dommages ou à occuper leur territoire respectif, jusqu’à la victoire ou au compromis (traité). Victoire ou compromis devaient modifier un rapport de souveraineté ou de pouvoir et s’inscrire dans l’Histoire. Le vaincu reconnaissait sa défaite ou disparaissait comme acteur (massacré, par exemple).


En termes de communication, de normes, de temps, d’espace, de forces, de conscience et de finalité, la distinction entre guerre et paix était aussi fondatrice qu’incontestable.
Tout ce que nous venons de rappeler correspond à une vision « classique » européenne ; celle de penseurs aussi divers que Clausewitz, Hegel, Weber, Schmitt, Freud, Caillois, Bouthoul, Aron, … et qui paraît aujourd’hui si désuète.

Les nouvelles violences

Sans même parler de la guerre froide dont la principale caractéristique fut de ne pas éclater à partir de la seconde moitié du XX° siècle, apparurent des formes de conflits inédites, certaines virtuelles ou fantasmées :

- Affrontements entre acteur étatique et combattants qui se considèrent comme armée de libération ou se réfèrent à une notion similaire. Reste à savoir à partir de quel degré d’organisation, permanence, visibilité (une « guerre clandestine » est-elle une vraie guerre ?), suivant quels critères politiques relatifs à la noblesse ou au sérieux de sa cause, un belligérant mène une vraie guerre de partisan. Sinon, il s’agit d’émeutes, d’incidents, de raids de groupes armés… relevant plus ou moins de la police et du maintien de l’ordre. Pour ne prendre qu’un exemple, dans les années 50, il n’y avait pas une guerre mais des « événements d’Algérie ». Quarante ans plus tard, l’État algérien se demandait s’il faisait la guerre aux maquis islamistes ou s’il s’agissait de maintien de l’ordre.

- La question devient cruciale soit lorsqu’il y a pluralité d’acteurs armés, comme la prolifération des milices au Liban dans les années 80, soit quand la distinction entre politique et criminalité devient presque indiscernable. En Amérique latine ou dans des le « triangle d’or » proche de la Birmanie, bien subtil qui sait distinguer une bande armée de trafiquants de drogue d’une guérilla.

- La distinction militaire/civil est remise en cause par la tendance à mobiliser des combattants sans uniforme, et la propension croissante des conflits à tuer bien davantage de civils que de militaires. Au moins d’un côté (voir le fantasme du « zéro mort »). Quand des milices massacrent des civils qui ne se défendent guère, comme au Darfour, faut-il continuer à parler de guerre ? Dans un tout autre genre : quand un membre d’une société militaire privée accomplit-il une mission de sécurité, est-il un assistant d’un « vrai » militaire et quand commence-t-il à « faire » la guerre ? Où passe la frontière entre terrorisme, guerre secrète, guerre du pauvre, guérilla ?

- Inversement, le système international - pour ne pas dire l’Occident – a inventé des interventions armées inédites des représailles sanctions jusqu’aux interventions humanitaires. Elles doivent séparer des protagonistes ou protéger des populations. Le discours des puissances intervenantes souligne qu’elles mènent une guerre « altruiste » censées ne leur apporter aucun avantage. Elles disent lutter contre des criminels ou ennemis du genre humain, contre des dirigeants et non des peuples qu’elles sont au contraire venues sauver. De là le droit d’ingérence qui autorise le recours à la force armée pour empêcher des violences inacceptables. Les opérations militaires, que nous nommerions « de contrôle », se multiplient, pour maintenir la violence armée des pauvres et des archaïques (conflits ethniques par exemple) à un degré supportable .

- Les situations intermédiaires -pas vraiment la paix, pas encore la guerre - se multiplient. Ainsi, en Afghanistan, la guerre contre les talibans est censée être finie, et pourtant les troupes de la coalition doivent utiliser des armes lourdes. Corollairement, des citoyens de pays industrialisés peuvent ignorer dans combien de conflits ou d’opérations de « maintien de la paix » sont engagés leurs troupes et ne pas ressentir l’état de belligérance. Pour reprendre le même cas, la perte de quelques soldats d’élite français en Afghanistan en 2007 a soulevé moins d’émotion que certains accidents de la route. Le sentiment de sécurité qu’éprouvaient la plupart des Européens (mais moins d’Américains depuis 2001), l’idée que la guerre est une vieillerie dont le droit, la démocratie et la prospérité nous ont délivrés, tout cela serait apparu proprement stupéfiant il y a quelques décennies.

Daesh.jpg- Les stratèges ne cessent d’imaginer des formes de conflit où les armes prendrait une forme inédite ; ils intègrent dans leurs panoplies des outils informationnels au sens large qui agissent plus sur les esprits que sur les corps. Qu’il s’agisse de priver l’adversaire de ses moyens de communiquer, de le désorganiser ou de le désinformer, de percer tous ses secrets, de le sidérer psychologiquement, de rendre la force plus intelligente et mieux ciblée…, les spécialistes de la Revolution in Military Affairs et des diverses cyberwar et autres information warfare, n’ont jamais manqué d’imagination. Parallèlement, les notions de guerre de quatrième génération, de faible intensité, guerre continue ou celle, chère aux stratèges chinois, de guerre sans limite, reflètent les formes inédites du conflit technologiques, psychologiques, économiques, et devient de moins en moins évident que la guerre se pratique avec ces outils reconnaissables que sont les armes.

- Parmi les catégories utilisées pour décrire les nouvelles formes de l’affrontement armé, celle de guerre asymétrique est particulièrement révélatrice. Elle porte sur les moyens employés (guerre du pauvre contre guerre du riche high tech et surarmé), sur la stratégie (attrition contre contrôle), mais elle porte aussi sur les objectifs. Pour le fort la règle est : annuler ou limiter l’action du faible. Pour le faible : durer, infliger une perte sur le terrain moral ou de l’opinion, démoraliser celui que l’on ne peut désarmer, lui rendre le prolongement du conflit insupportable. La guerre asymétrique repose plus sur l’utilisation de l’information que sur celle de la puissance et partant contredit toutes les conceptions classiques. Elle postule que la victoire stratégique n’est pas une addition de victoires tactiques ; elle déplace la question de la légitimité de la guerre (donc de la croyance qui la soutient) non pas en amont de la guerre mais comme son objectif même.

Ces tensions et contradictions trouvent leur point culminant le jour où les États-Unis proclamèrent une « Guerre globale au terrorisme ». Elle appelle la notion complémentaire de « guerre préemptive » autorisant une intervention armée à l’étranger contre des groupes terroristes ou contre des tyrans susceptibles de les aider et/ou de posséder des armes de destruction massive.

Guerre des absolus

La plus grande puissance de tous les temps ( qui, a priori devrait avoir le moins à craindre) considère que l’état de guerre existe est susceptible de durer plus d’une génération. Et ce jusqu’à la disparition de tout acteur hostile (État Voyou, groupe terroriste), de toute intention hostile (le terrorisme, ceux qui haïssent la liberté, l’extrémisme violent, pour reprendre diverses formulation des dirigeants américains) et de tout instrument hostile (les Armes de Destruction Massive). Il est tentant d’en déduire qu’il s’agit d’une guerre perpétuelle pour une paix perpétuelle. On n’y nomme ni son adversaire, ni sa limite, ni les conditions de sa victoire. Faire du monde « un lieu plus sûr pour la démocratie » est un programme politique pour Sisyphe. Six ans de Guerre Globale au Terrorisme semblent indiquer que, loin d’éliminer les régimes hostiles, les groupes armés (y compris avec l’arme de l’attentat suicide) et les ADM (en Iran ou en Corée), elle semble les encourager.

Symétriquement, la guerre comme jihad défensif voire offensif (Daech voulait rien moins qu’étendre le califat à la planète) telle que la prônent les groupes islamistes n’est pas moins surprenante : elle est licite aux yeux de ses acteurs (elle est commandée par Dieu et constitue une obligation). Non seulement elle ne connaît pas de limites dans son extension territoriale ni dans le choix de ses victimes (pratiquement n’importe qui sauf un jihadiste est « éligible »). Il n’est pas certain qu’elle vise à une victoire (sauf à supposer la conversion de l’humanité entière à la variante salafiste du sunnisme). Au contraire,le jihad trouve sa propre justification non dans la réalisation de fins politiques, mais en lui-même, comme occasion de sanctification par le martyre ou comme compensation mimétique (ben Laden parle même de « talion ») des souffrances et humiliations subies par l’Oumma.

Et dans les deux cas, la dimension symbolique du conflit prédomine. D’un côté montrer la résolution des États Unis et démentir qu’ils soient un « tigre en papier ». De l’autre, infliger une humiliation à l’Occident orgueilleux et idolâtre. Et, si l’on remonte plus haut, ce sont deux guerres de conversion : il s’agit de faire disparaître une croyance qui offense le droit universel dans le premier cas (la haine de la liberté des terroristes), qui contredit loi divine dans le second (la haine de Dieu des juifs, des croisés et des apostats).

Chacun est libre de penser que « guerre » n’est qu’une catégorie juridico-philosophique particulièrement héritée de la pensée classique voire une très longue parenthèse historique (pour certains commençant au néolithique) et dont ni l’universalité, ni la perpétuité ne sont démontrées. Ou peut aussi la considérer comme degré dans les violences que les hommes s’infligent sans trop se soucier des catégories.

Notre propos n’est pas une quelconque forme de nostalgie envers les bonnes guerres d’autrefois qui se faisait au moins dans l’ordre et la discipline et que nous n’avons pas connues. Simplement il faudra apprendre à vivre avec ce paradoxe : mondialisation et affaiblissement du principe de souveraineté politique, autrefois considéré comme belligène, n’impliquent pas la fin de l’hostilité mais sa prolifération et sa privatisation.

François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 22 mars 2019)

mardi, 19 mars 2019

USA: Guerre économique ou « guerre absolue » ?

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USA: Guerre économique ou « guerre absolue » ?

par Jean-Claude Paye

Ex: http://www.wikistrike.com

S’appuyant sur la Stratégie de sécurité nationale de Donald Trump, Jean-Claude Paye revient sur l’articulation des politiques économique et militaire de la Maison-Blanche. Il analyse l’opposition entre deux paradigmes économiques, l’un promouvant la mondialisation du capital (soutenu par le parti Démocrate) et l’autre l’industrialisation US (soutenu par Trump et une partie des Républicains). Si le premier conduisait à éliminer tout obstacle par la guerre, le second utilise la menace de la guerre pour rééquilibrer les échanges d’un point de vue national.

Dans le texte précédent « Impérialisme contre super-impérialisme » [1], nous avons soutenu que, en désindustrialisant le pays, le super-impérialisme états-unien avait affaibli la puissance des USA en tant que nation. Le projet initial de l’administration Trump était de procéder à une reconstruction économique sur une base protectionniste. Deux camps s’affrontent, celui porteur d’un renouveau économique des USA et celui en faveur d’une conflictualité militaire de plus en plus ouverte, option qui semble être principalement portée par le Parti démocrate. La lutte, entre les Démocrates et la majorité des Républicains, peut ainsi être lue comme un conflit entre deux tendances du capitalisme états-unien, entre celle porteuse de la mondialisation du capital et celle prônant une relance du développement industriel d’un pays économiquement déclinant.

Ainsi, pour la présidence Trump, le rétablissement de la compétitivité de l’économie US est prioritaire. La volonté de son administration d’installer un nouveau protectionnisme doit être lue comme un acte politique, une rupture dans le processus de mondialisation du capital, c’est à dire comme une décision d’exception, dans le sens développé par Carl Schmitt : « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle » [2]. Ici, la décision apparaît comme une tentative de rupture d’avec la norme de la trans-nationalisation du capital, comme un acte de rétablissement de la souveraineté nationale US face à la structure impériale organisée autour des États-Unis.

Le retour du politique

La tentative de l’administration Trump se pose comme une exception face à la mondialisation du capitalisme. Elle se montre comme une tentative de rétablir la primauté du politique, suite à la constatation que les USA ne sont plus la super-puissance économique et militaire, dont les intérêts se confondent avec l’internationalisation du capital.

Le retour du politique se traduit d’abord par la volonté de mettre en œuvre une politique économique nationale, de renforcer l’activité sur le territoire US, grâce à une réforme fiscale destinée à rétablir les termes de l’échange entre les États-Unis et ses concurrents. Actuellement, ces termes se sont nettement dégradés en défaveur des USA. Ainsi, le déficit commercial global des États-Unis s’est encore creusé de 12,1 % en 2017 et se monte à 566 milliards de dollars. En soustrayant l’excédent que le pays dégage dans les services, pour se concentrer sur les échanges de biens uniquement, le solde négatif atteint même 796,1 milliards de dollars. C’est évidemment avec la Chine que le déficit est le plus massif : il a atteint, en 2017, le niveau record de 375,2 milliards de dollars pour les seuls biens [3].

La lutte contre le déficit du commerce extérieur reste centrale dans la politique économique de l’administration US. Privée par les Chambres états-uniennes de sa réforme économique fondamentale, le Border Adjusment Tax [4] destiné à promouvoir une relance économique grâce une politique protectionniste, l’administration Trump tente de rééquilibrer les échanges au cas par cas, par des actions bilatérales, en exerçant des pressions sur ses différents partenaires économiques, principalement sur la Chine, afin qu’ils réduisent leurs exportations vers les USA et qu’ils augmentent leurs importations de marchandises états-uniennes. Pour ce faire, d’importantes négociations viennent d’avoir lieu. Le 20 mai, Washington et Pékin ont annoncé un accord destiné à réduire de manière significative le déficit commercial US vis-à-vis de la Chine [5]. L’administration Trump réclamait une réduction de 200 milliards de dollars de l’excédent commercial chinois, ainsi que des droits de douane en forte baisse. Trump avait menacé d’imposer des droits de douane de 150 milliards de dollars sur les importations de produits chinois, et, comme mesure de rétorsion, la Chine se proposait de riposter en visant les exportations US, notamment le soja et l’aéronautique.

Opposition stratégique entre Démocrates et Républicains

Globalement, l’opposition entre la majorité du Parti républicain et les Démocrates repose sur l’antagonisme de deux visions stratégiques, tant au niveau économique que militaire. Ces deux aspects sont intimement liés.

 

Pour l’administration Trump le redressement économique est central. La question militaire se pose en terme de soutien d’une politique économique protectionniste, comme moment tactique d’une stratégie de développement économique. Cette tactique consiste à développer des conflits locaux, destinés à freiner le développement des nations concurrentes, et à saborder des projets globaux opposés à la structure impériale US, tel, par exemple, celui de la nouvelle Route de la soie, une série de « corridors » ferroviaires et maritimes devant relier la Chine à l’Europe en y associant la Russie. Les niveaux, économique et militaire, sont étroitement liés, mais, contrairement à la position des Démocrates, restent distincts. La finalité économique n’est pas confondue avec les moyens militaires mis en œuvre. Ici, le redéploiement économique de la nation états-unienne est la condition permettant d’éviter ou, du moins, de postposer un conflit global. La possibilité de déclencher une guerre totale devient un moyen de pression destiné à imposer les nouvelles conditions états-uniennes des termes de l’échange avec les partenaires économiques. L’alternative qui s’offre aux concurrents est de permettre aux USA de reconstituer leurs capacités offensives au niveau des forces productives ou d’être engagé rapidement dans une guerre totale.

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La distinction, entre objectifs et moyens, présent et futur, n’apparaît plus dans la démarche des Démocrates. Ici, les moments stratégique et tactique sont confondus. L’écrasement de ces deux aspects est caractéristique du schéma de la « guerre absolue », d’une guerre débarrassée de tout contrôle politique et qui n’obéit plus qu’à ses propres lois, celles de la « montée aux extrêmes ».

Vers une guerre « absolue » ?

La conséquence de la capacité du Parti démocrate à bloquer une relance interne aux USA est que si les USA renoncent à se développer, le seul objectif reste d’empêcher, par tous les moyens, dont la guerre, les concurrents et adversaires de le faire. Cependant, le scénario n’est plus celui des guerres limitées de l’ère Bush ou Obama, d’une agression contre des puissances moyennes déjà affaiblies, tel l’Irak, mais bien celui de la « guerre totale », telle qu’elle a été pensée par le théoricien allemand Carl Schmitt, c’est à dire d’un conflit qui entraîne une mobilisation complète des ressources économiques et sociales du pays, tels ceux de 14-18 et de 40-45.

Cependant, la guerre totale, de par l’existence de l’arme nucléaire, peut acquérir une nouvelle dimension, celle de la notion, développée par Clausewitz, de « guerre absolue ».

Chez Clausewitz, la « guerre absolue » est la guerre conforme à son concept. Elle est la volonté abstraite de détruire l’ennemi, tandis que la « guerre réelle » [6] est la lutte dans sa réalisation concrète et son utilisation limitée de la violence. Clausewitz opposait ces deux notions, car la « montée aux extrêmes », caractéristique de la guerre absolue, ne pouvait être qu’une idée abstraite, servant de référence pour évaluer les guerres concrètes. Dans le cadre d’un conflit nucléaire, la guerre réelle devient conforme à son concept. La « guerre absolue » quitte son statut d’abstraction normative pour se transformer en un réel concret.

Ainsi, comme catégorie d’une société capitaliste développée, l’abstraction de la guerre absolue fonctionne concrètement, elle se transforme en une « abstraction réelle » [7], c’est à dire une abstraction qui ne relève plus seulement du processus de pensée, mais qui résulte également du procès réel de la société capitaliste [8].

La « guerre absolue » comme « abstraction réelle »

Comme l’exprime le phénoménologue marxiste italien Enzo Paci, « la caractéristique fondamentale du capitalisme... réside dans sa tendance à faire exister des catégories abstraites comme catégories concrètes » [9]. Ainsi, en 1857, dans les Grundrisse(Fondamentaux), Marx écrivait déjà que « les abstractions les plus générales ne prennent au total naissance qu’avec le développement concret le plus riche… ».

Ce processus d’abstraction du réel n’existe pas seulement à travers les catégories de la « critique de l’économie politique », telles qu’elles ont été développées par Marx, comme celle de « travail abstrait », mais porte sur l’ensemble de l’évolution de la société capitaliste. Ainsi, la notion de « guerre absolue » quitte, à travers les rapports politiques et sociaux contemporains, le terrain de la seule abstraction de pensée pour devenir également une catégorie acquérant une existence réelle. Elle ne trouve plus sa seule fonction comme horizon théorique, comme « concret de pensée », mais devient un réel concret. La guerre absolue cesse alors d’être un simple horizon théorique, une limite conceptuelle, pour devenir un mode d’existence, une forme possible, effective, de l’hostilité entre les nations.

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Déjà, dans un article de 1937 « Ennemi total, guerre totale et État total » [10], Carl Schmitt suggère que les évolutions techniques et politiques contemporaines réalisent une identité entre la réalité de la guerre et l’idée même de l’hostilité. Cette identification conduit à une montée des antagonismes et culmine dans la « poussée à l’extrême » de la violence. C’est dire implicitement que la « guerre réelle » devient conforme à son concept, que la « guerre absolue » quitte son statut d’abstraction normative pour se réaliser en « guerre totale ».

Alors, le rapport guerre-politique se renverse, la guerre n’est plus, tel que le développait Clausewitz, pour caractériser son époque historique, la forme la plus haute de la politique et son achèvement momentané. La guerre totale, en devenant guerre absolue, échappe au calcul politique et au contrôle étatique. Elle ne se soumet plus qu’à sa propre logique, elle « n’obéit qu’à sa propre grammaire », celle de la montée aux extrêmes [11]. Ainsi, une fois déclenchée, la guerre nucléaire échappe au cran d’arrêt de la décision politique, de la même manière que la mondialisation du capital échappe au contrôle de l’État national, des organisations supra-nationales et plus généralement à toute forme de régulation.

Pour Donald Trump, les armées US ne sont plus là pour anéantir les États ne participant pas à la mondialisation du capital, par choix ou par nécessité, mais pour menacer toute puissance qui freinerait la réindustrialisation des États-
Unis.
De la « guerre contre le terrorisme » à la « guerre absolue » ?

Le 19 janvier 2018, parlant à l’Université Johns Hopkins dans le Maryland, le Secrétaire à la Défense du gouvernement Trump, James Mattis, a dévoilé une nouvelle stratégie de défense nationale reposant sur la possibilité d’un affrontement militaire direct entre les États-Unis, la Russie et la Chine [12]. Il a précisé qu’il s’agissait là d’un changement historique par rapport à la stratégie en vigueur depuis près de deux décennies, celle de la guerre contre le terrorisme. Ainsi, il a précisé : « C’est la concurrence entre les grandes puissances – et non le terrorisme – qui est maintenant le principal objectif de la sécurité nationale américaine ».

Un document déclassifié de 11 pages, décrivant la Stratégie de défense nationale en termes généraux [13], a été remis à la presse. Une version confidentielle plus longue, qui inclut les propositions détaillées du Pentagone pour une augmentation massive des dépenses militaires, a été, quant à elle, soumise au Congrès [14]. La Maison-Blanche demande une augmentation de 54 milliards de dollars du budget militaire, en la justifiant par le fait qu’« aujourd’hui, nous sortons d’une période d’atrophie stratégique, conscients du fait que notre avantage militaire compétitif s’est érodé » [15]. Le document poursuit : « La puissance nucléaire — la modernisation de la force de frappe nucléaire implique le développement d’options capables de contrer les stratégies coercitives des concurrents, fondées sur la menace de recourir à des attaques stratégiques nucléaires ou non-nucléaires ».

Pour l’administration Trump, l’après-Guerre froide est terminée. La période pendant laquelle les États-Unis pouvaient déployer leurs forces quand ils le veulent, intervenir à leur guise, n’est plus d’actualité. « Aujourd’hui, tous les domaines sont contestés : les airs, la terre, la mer, l’espace et le cyberespace » [16].

« Guerre absolue » ou guerre économique

La possibilité d’une guerre des USA contre la Russie et la Chine, c’est-à-dire le déclenchement d’une guerre absolue, fait partie des hypothèses stratégiques, tant de l’administration états-unienne que des analystes russes et chinois. Cette faculté apparaît comme la matrice qui sous-tend et rend lisible la politique étrangère et les opérations militaires de ces pays, par exemple l’extrême prudence de la Russie, une retenue qui peut faire penser à de l’indécision ou à un renoncement, par rapport aux provocations états-uniennes sur le territoire syrien. La difficulté de la position russe ne provient pas tant de ses propres divisions internes, du rapport de forces entre les tendances mondialiste et nationaliste au sein de ce pays, que des divisions inter-états-uniennes balançant entre guerre économique et guerre nucléaire. L’articulation entre menaces militaires et nouvelles négociations économiques sont bien deux aspects de la nouvelle « politique de défense » US.

Cependant, Elbrige Colby, assistant du Secrétaire à la Défense a cependant affirmé que malgré le fait que le discours de Mattis mette clairement l’accent sur la rivalité avec la Chine et la Russie, l’administration Trump veut « continuer de rechercher des zones de coopération avec ces nations ». Ainsi, Colby disait, « il ne s’agit pas d’une confrontation. C’est une démarche stratégique de reconnaître la réalité de de la compétition et l’importance du fait que "les bonnes clôtures font les bons voisins" » [17].

Cette politique prônant le rétablissement de frontières contrarie frontalement la vision impériale US. Bien résumée par le Washington Post, cette dernière pose une alternative : la persistance d’un Empire états-unien « garant de la paix mondiale » ou bien la guerre totale. Cette vision s’oppose au rétablissement d’hégémonies régionales, c’est à dire d’un monde multipolaire dont, selon cet organe de presse, « le résultat serait la future guerre mondiale » [18].

[1] « USA : Impérialisme contre ultra-impérialisme », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, 26 février 2018.

[2] Carl Schmitt, Théologie politique I, trad J.-L. Schiegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 16.

[3] Marie de Vergès, « Les Etats-Unis de Donald Trump enregistrent leur plus gros déficit commercial depuis 2008 », Le Monde économie, le 7 février 2018.

[4] Jean-Claude Paye, « USA : Impérialisme contre ultra-impérialisme », Op. Cit.

[5] « Washington et Pékin écartent pour l’heure une guerre commerciale », La Libre et AFP, le 20 mai 2018.

[6] Voir C. von Clausewitz, De la guerre, ouvr. cit., p. 66-67 et p. 671 et ss., et C. Schmitt, Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat, ouvr. cit, p. 268 : « Il y a toujours eu des guerres totales ; cependant il n’existe de pensée de la guerre totale que depuis Clausewitz, qui parle de « guerre abstraite » ou de « guerre absolue » ».

[7] Lire : Emmanuel Tuschscherer, « Le décisionisme de Carl Schmitt : théorie et rhétorique de la guerre », Mots. Les langages du politique, mis en ligne le 9 octobre 2008.

[8] Alberto Toscano, « Le fantasme de l’abstraction réelle », Revue période, février 2008.

[9] Enzo Paci, Il filosofo e la citta, Platone, Whitebread, Marx, editions Veca, Milano, Il Saggitario, 1979, pp. 160-161.

[10] C. Schmitt, « Totaler Feind, totaler Krieg, totaler Staat », in Positionen und Begriffe, Berlin, Duncker und Humblot, p. 268-273, voir note 1 in Emmanuel Tuschscherer, « Le décisionisme de Carl Schmitt : théorie et rhétorique de la guerre », op.cit., p. 15.

[11] Bernard Pénisson, Clausewitz un stratège pour le XXIe siècle ?, conférence à à l’Institut Jacques Cartier, le 17 novembre 2008.

[12] “Remarks by James Mattis on the National Defense Strategy”, by James Mattis, Voltaire Network, 19 January 2018.

[13Summary of the National Defense Strategy of The United State of America.

[14National Defense Strategy of The United State of America, The President of The United State of America, December 18, 2017. Notre analyse : « La Stratégie militaire de Donald Trump », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 26 décembre 2017.

[15] Mara Karlin, « How to read the 2018 National Defense Strategy », Brookings, le 21 janvier 2018.

[16] Fyodor Lukyanov, « Trump’s defense strategy is perfect for Russia »,The Washington Post, January 23, 2018.

[17] Dan Lamothe, « Mattis unveils new strategy focused on Russia and China, takes Congress to task for budget impasse », The Washington Post, January 19, 2018.

[18] « The next war. The growing danger of great-power conflict », The Economist, January 25, 2018.

 

Jean-Claude Paye

Jean-Claude PayeSociologue. Dernier ouvrage publié en français : De Guantanamo à Tarnac . L’emprise de l’image(Éd. Yves Michel, 2011). Dernier ouvrage publié en anglais : Global War on Liberty (Telos Press, 2007).

lundi, 04 février 2019

Guerra irrestricta, guerra civil molecular y guerra híbrida: tres modos de hacer la guerra en el S. XXI

Ex: http://www.elespiadigital.com

La guerra es “el más espectacular de los fenómenos sociales”, rezaba la consigna del prestigioso sociólogo y polemólogo francés Gaston Bouthoul. Mucho antes en el tiempo, el llamado “Profeta de la Guerra Estatal” Carl Von Clausewitz en su tratado “Vom Kriege” (De la Guerra) nos ilustraba acerca del gran desorden que representaba la guerra como duelo a gran escala, y la forma geométrica de tratar el reordenamiento en el caos provocado durante el fragor de la batalla.

Sebastián Tepedino

Leer: Guerra irrestricta, guerra civil molecular y guerra híbrida: tres modos de hacer la guerra en el S. XXI

vendredi, 25 janvier 2019

Le mouvement des Gilets jaunes comme conflit asymétrique

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Le mouvement des Gilets jaunes comme conflit asymétrique

par Michel Goya

Ex: https://lavoiedelepee.blogspot.com

Le mouvement des Gilets jaunes est une guérilla moderne, sous le seuil heureusement lointain de la guerre civile, mais guérilla quand même dans son sens premier de petite guerre. De la guerre, il en a le caractère politique et la volonté de faire plier une entité politique opposée : le président de la République, désormais en première ligne après avoir fait le vide entre le peuple et lui.

Techniquement, c’est une guérilla intelligente utilisant au mieux les capacités d’organisation, de mobilisation, mais aussi de résonance des technologies de l’information, des réseaux sociaux aux chaines d’infos. Certaines trouvailles tactiques sont remarquables, comme l’emploi du gilet jaune, une sorte de cape de visibilité pour ceux qui se sentaient dans l’ombre, le choix des rond-points comme points d’occupation, la combinaison de cette occupation et des « actes », comme au théâtre. D'autres initiatives, par les actes et la parole, sont également désastreuses (ou inadmissibles comme la dégradation de l'Arc de triomphe) mais construit par en bas avec de multiples initiatives, essais et erreurs, le mouvement a émergé comme système efficace de lutte. Tout cela n’est pas nouveau.

Les tentatives d’organisations de contestations sont en réalité fréquentes mais peu atteignent une masse critique. Pour atteindre un seuil de visibilité et de puissance (désormais presque des synonymes), il ne faut pas seulement de l’intelligence tactique. Il y a en France des professionnels de l’« agit-prop » qui s’« agitent » en vain depuis des années, car leur cause ne rencontre pas de masse. Pour réussir et susciter des centaines de milliers de volontaires de lutte, avec cela implique d’efforts, il faut toucher le cœur et l’esprit de millions de gens.

Pour toucher des millions de gens en ces temps de mondialisation, il faut évoquer sa face sombre : l’insécurité sous toutes ses formes. En ce sens, le mouvement des Gilets jaunes est aussi une guérilla moderne, car c’est une guérilla « en réaction ». Pour les thuriféraires de la mondialisation, la « grande ouverture » et la multiplication des flux en tous genres, financiers, matériels, informatifs, humains, devaient avoir pour effet d’apporter progressivement le meilleur à tous. Le monde devenait ainsi de plus en plus plat, selon l’expression de Friedman, c’est-à-dire de plus en plus lisse et uniforme, et même fixe (la fin de l’histoire) dans l’optimum des marchés en tous genres.

Ils n’avaient pas tort sur les bienfaits macroéconomiques de l’affaire puisque « globalement » jamais autant de monde n’est sorti de la pauvreté en aussi peu de temps. Ils avaient tort sur l’uniformisation. Au début du XIXe siècle, les costumes typiques des Alsaciennes et des Bretonnes étaient très proches. Puis, au fur et à mesure de la multiplication des échanges au sein de la France ouverte grâce au chemin de fer, aux technologies de l’information, et à la volonté de centralisation, les costumes ont divergé jusqu’à être très différents à la fin du siècle. L’ouverture a généré un sentiment d’insécurité et ce sentiment a poussé à une réaction identitaire. C’est un détail folklorique mais qui illustre combien les réactions, si elles n’ont pas été toujours violentes, ont été vives au cours de cette Première mondialisation, contestations sociales, crainte devant l’arrivée de nombreux étrangers (notamment les « dangereux » catholiques polonais et italiens) et même le long mouvement terroriste des anarchistes.

Lorsqu’il n’y a que le sentiment de subir advient rapidement celui de la colère. Lorsqu’on a le sentiment d’être piégé dans sa classe parce qu’une aristocratie bloque l’ascenseur social et squatte les hauts étages, lorsqu’on a le sentiment d’être coincé dans son travail parce qu’il est difficile d’en trouver un autre ou de monter en grade puisque les grades sont occupés par les machines pensantes, lorsqu’on a le sentiment de subir à plein la pression fiscale parce que justement on ne peut s’en échapper, lorsque ses revenus stagnent alors que l’on sait que la richesse globale augmente, lorsqu’on voit enfin ses façons de vivre ne plus forcément constituer la norme de ce que l’on accueille, cela finit par faire beaucoup.

Lorsque le beaucoup s’accumule et ne trouve pas d’exutoire, il devient forcément le trop. Il fut un temps en France où les poches de colère, pour reprendre l’expression d’Arjun Appadurai, trouvaient une écoute et une réponse dans certains partis politiques, à gauche notamment. Il fut un temps où des intellectuels se targuaient d’être l’avant-garde de la France d’en bas. Ils se plaisaient même à dire qu’ils en étaient, même si ce n’était pas le cas. Ce temps n’est plus depuis longtemps. Les partis de gauche ont été détruits par la mondialisation, par défaut de modèle alternatif efficace pour les uns, par séduction pour les autres. Quant aux intellectuels, ils ont rapidement abandonné le peuple (les beaufs) et l’universalisme après mai 1968 pour s’intéresser à des « communautés » ou « sections ». La démocratie ne fonctionne bien que si elle permet l’alternance de deux agrégats de valeurs également estimables mais plutôt opposés, comme la création destructrice et la protection, la liberté et l’égalité. Les effets négatifs de l’un finissent par être compensés par les effets positifs de l’autre selon un régime stable dans son instabilité et sa souplesse. Lorsque ne règne qu’un seul modèle, le système n’est stable que par sa rigidité et son destin est la cassure.

Comme dans le film Ridicule de Patrice Leconte, on reconnaît une aristocratie à l’âge des vanités (Chateaubriand) à son aveuglement ou au mieux pour certains à son inertie consciente. Tout ce qui a été dit plus haut n’est pas une nouveauté. Qui n’a pas entendu depuis des années que « ça allait péter » ? Qui a pu bien être surpris par le fait que le sentiment croissant d’injustice, de mépris et d’insécurité de toute une partie du peuple allait déboucher sur autre chose que le vote « hors système » ou l’abstention ? On savait aussi qu’il était possible de se mobiliser via les « nouvelles » technologies de l’information sans passer par les cadres partisans. Des tentatives de révolte horizontale, il y en a eu régulièrement dont certaines ont réussi à prendre forme, comme les émeutes de banlieue d’octobre-novembre 2005, quelques mois après un référendum sur la Constitution européenne dont le triomphe annoncé du oui avait été largement enrayé par une guérilla internautique. En octobre 2013, ce n’était pas les banlieues qui s’enflammaient mais les Bonnets rouges bretons.

Tout cela était bien connu, documenté, écrit. On disait que Christophe Guilluy avait été entendu par tous les candidats à la présidentielle, voire à plusieurs présidentielles successives, sans visiblement qu’il soit écouté. L’écouter supposait en effet des ruptures. Il fallait revenir à un peu plus de protection, la mission première de l’Etat, un peu plus de justice et à un peu moins de mépris. C’était impossible sans une « nuit du 4 août » et la fin des multiples privilèges réels ou fantasmés (mais comment savoir quand tout est caché) d’une élite, désormais largement endogamique, et apparemment seule à profiter des bienfaits de l’ouverture. Comme par ailleurs concevoir une colère ? Beaucoup de gens subissent la mondialisation à la française mais ils bénéficient aussi d’un magnifique système de redistribution. Pourquoi les gens se plaindraient-ils quand des centaines de millions d’autres rêveraient d’être à leur place. Oui mais voilà l’être humain ne se nourrit pas que d’allocations. Passé la satisfaction des besoins vitaux, il se nourrit de justice. Il est même possible que cela fasse partie des besoins vitaux. Frustration d’un côté, vieil aveuglement et nouvelles maladresses de l’autre, le choc était inévitable.

Comme toujours dans les conflits de ce type, beaucoup de choses se jouent au début lorsque les analyses et le choix qui sont faits rétrécissent très vite le champ des possibles. Le diagnostic qui est fait, par le pouvoir en particulier, est fondamental. Que celui-ci sous-estime le phénomène et la contestation aura le temps de s’incruster dans le paysage. Que la réponse soit inadéquate et l’adversaire s’en trouvera renforcé. C’est exactement ce qui est arrivé et c’est hélas très classique. Un diagnostic honnête impose toujours une remise en cause, exercice difficile mais pourtant moins douloureux que la gestion de la suite. La reconnaissance d’une confrontation politique suppose aussi la désignation de facto d’un interlocuteur, et donc de conférer à ceux à qui on s’oppose un statut d’égal. Cela va de soi lorsqu’on affronte un autre État, quoiqu’on ait souvent tendance à le dévaloriser (« État-voyou », « membre de l’axe du mal »), c’est très rare lorsqu’on affronte une autre organisation politique. On qualifiera plus volontiers le mouvement opposé de tout autre chose que politique. Il sera social ou sociétal au mieux, criminel au pire. Dans le premier cas, il suffit d’attendre que les manifestants arrêtent de faire des ronds pour rien, dans le second cela supposera une réponse policière qui exemptera de tout dialogue, négociation et surtout de remise en cause. Cette négation peut parfois fonctionner si le mouvement opposé n’a pas de masse de soutien, elle échoue dans les autres cas.

La réponse à un incendie doit être rapide et il ne pas faut lancer l’eau à côté. La première réponse aux Gilets jaunes a été lente, car centralisée, et ratée. Il ne s’agissait pas d’une révolte contre « une taxe qui allait sauver la planète » mais d’un mouvement politique. C’est dès le début qu’il fallait faire le discours qui n’est venu que le 10 décembre, presque un mois après le début des événements. Entre temps, la violence s’est installée, initiée par les profiteurs d’un côté, voleurs, casseurs, radicaux, parfois tout ensemble, mais aussi par les erreurs de la réponse policière, initialement hésitante au niveau opérationnel et parfois maladroite au niveau tactique. Dans le monde militaire, on parle depuis plus de vingt ans de « caporal stratégique », cette capacité pour un seul soldat de déclencher, généralement par une erreur, des effets considérables grâce notamment à l’amplification des médias. Il y de la même façon des « policiers stratégiques ». Quelques erreurs, minimes en nombre au regard du nombre total d’actions mais graves par leurs effets, vont contribuer à accroître la colère et la violence au lieu de la contrôler.

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À ce jour, avec 1700 blessés de part et d’autre, sans même parler des dix morts par accident, le mouvement des Gilets jaunes est sans doute le plus violent que la France ait connu depuis la fin de la guerre d’Algérie. Les effets politiques de la violence sont ambigus. Ils peuvent être utilisés pour discréditer les Gilets jaunes mais dans le même temps, outre que les torts sont devenus plus ou moins partagés en la matière, il est évident, hélas, que le pouvoir n’a cédé que sous cette pression.

La force du mouvement des Gilets jaunes a été sa structuration émergente et sa capacité à fédérer des sentiments de colère, sa faiblesse est d’être un mouvement en réaction. Il n’y a pas d’objectif positif, de projet de société seulement une « expression de besoins » parfois de fantasmes. La Révolution française avec ses pulsions parfois immenses de violence ou ses innombrables rumeurs stupides (les infox de l’époque), était encadrée et structurée par un corpus idéologique mouvant mais puissant. Chez les Gilets jaunes, il n’y pas de théorie, car il n’y a pas vraiment, pour l’instant, de théoriciens. Il n’y a pas de stratèges pour atteindre un « état final recherché » mais simplement des tacticiens. Or, un bon tacticien n’est pas forcément un grand stratège et encore moins un théoricien. Il peut même desservir complètement la cause lorsqu’il s’y essaye et c'est actuellement plutôt le cas.

Dans l’état actuel des choses, les réponses stratégiques (mesures sociales, Grand débat national) et tactiques (dispositifs de sécurité mieux adaptés) ont permis de regagner du terrain mais pas de gagner la guerre. D’un autre côté, les Gilets jaunes peuvent tenir les rond-points et multiplier les « actes » indéfiniment mais ils ne peuvent pas imposer leur volonté de cette façon purement défensive.

Le front devrait être désormais sur le champ des idées. Les Gilets jaunes ne pourront s’imposer autrement que comme nuisance que s’ils construisent une théorie. Négliger le Grand débat national au prétexte qu'il s'agirait d'un changement pour que rien ne change serait sans doute une erreur stratégique. Il faut l’investir bien sûr. Il faut infuser au moins l’idée de Français comme actionnaires des services publics, à qui on doit des dividendes (c’est déjà le cas), de la transparence sur les rémunérations et avantages de leurs employés (ce n’est pas absolument pas le cas, notamment les plus hauts fonctionnaires), des justificatifs de bonne gestion (la preuve que l’on traque vraiment les fraudeurs en tous genres par exemple et surtout le plus gros) et des services de base comme la sécurité et la justice. Beaucoup plus de transparence et de justice (sous toutes ses formes) ferait déjà beaucoup de bien à notre société, avant même d’aborder la reconquête des champs perdus de la République française.

Tout cela il faut l’incarner par une vraie structure politique. Soit les partis actuels se transforment pour revenir à une vraie alternative pour tous, gauche-droite pour simplifier, et non un immense marais cerné par à gauche et à droite par des mouvements qui accueillent désormais plus les divisionnistes que les défenseurs du peuple dans son ensemble. Soit ce mouvement devient à son tour  un parti. Dans tous les cas, ce sera difficile.

Le conflit ne fait que commencer. Une nouvelle phase, aux contours inconnues, débutera en mars.

jeudi, 08 février 2018

Jean-Michel Valantin, le Machiavel de l’anthropocène

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Jean-Michel Valantin, le Machiavel de l’anthropocène

par Alice Audouin

Ex: http://www.aliceaudouin.com

Dans son dernier ouvrage Guerre et Nature (Prisma, 2013), Jean-Michel Valantin, chercheur spécialisé sur le lien entre Défense et Environnement, partage sa connaissance approfondie de la Défense américaine, explore et analyse la manière dont cette « première armée du monde » intègre les enjeux du développement durable. Cette exploration le conduit à remettre en perspective la notion d’hégémonie à l’ère de l’« anthropocène » (cette nouvelle ère géologique façonnée par l’homme) et montre que les techniques de résilience vont permettre de dominer un monde  soumis chaque jour davantage aux pénuries, pandémies et catastrophes naturelles. Tel Machiavel en son temps, Jean-Michel Valantin identifie les clés de la pérennité au pouvoir. Cette nouvelle version du Prince, érudite, visionnaire et d’une grande intelligence s’impose comme le livre de chevet indispensable des dirigeants politiques et militaires.

valantinLivre.jpgL’armée américaine intègre le développement durable

Le coup d’envoi est donné en 2006, avec la publication du rapport militaire National Security and the Threat of Climate Change.  L’armée américaine joue ici les précurseurs. Non seulement le rapport reconnait le réchauffement climatique comme une menace, mais le présente  (contrairement au risque nucléaire) comme une catastrophe inévitable. Si le gouvernement de Georges Bush n’avait pas su quoi faire de ce rapport, il marque néanmoins le premier changement culturel du pays. Depuis, plusieurs facteurs ont contribué à l’avancée du développement durable dans la défense américaine.

Tout d’abord, le peak oil se rapproche.  Or l’armée américaine fonctionne avec des énergies fossiles importantes, de plus en plus chères.  Avions, bateaux et chars et autres engins énergivores posent d’immenses problèmes d’approvisionnement, surtout dans un pays comme l’Irak ou le danger impose des convois renforcés, le tout devenant encore plus énergivore. L’amélioration des conditions de vie des combattants est elle aussi, très consommatrice de pétrole. L’utilisation massive de climatiseurs pendant la guerre en Irak a nécessité une gigantesque consommation d’énergie. C’est justement en Irak avec le casse-tête des climatiseurs, que les premières solutions de production d’énergie décentralisée et autonome, à base de photovoltaïque, a été mise en place. Le vol du premier avion de l’US Navy en 2010 avec 50 % de biofuel est le prémisse du passage vers une « great green fleet » et marque l’avancée de la Navy  sur l’US Air Force sur son propre terrain, l’aviation.  La Navy est précurseur dès 2008 avec la création de la Task Force on Climate Change, dans un contexte où l’Arctique, nouvel eldorado né de la fonte accélérée de la banquise, oblige à définir rapidement une stratégie.

Un autre facteur, lui aussi de plus en plus prépondérant, concerne l’ampleur croissante des catastrophes naturelles aux Etats-Unis, aboutissant à des destructions massives d’infrastructures, des pertes humaines, ce qui fragilise le pays et donc sa sécurité. Avec Katrina, le pays a découvert sa vulnérabilité.  Les catastrophes dues à la négligence humaine, comme Deepwater-Horizon, laissant écouler du pétrole sur 30 jours prouve l’existence d’un nouveau type de catastrophe,  dont l’ampleur des dégâts ne cesse de croître. La National Security entre en jeu, s’invite ainsi au débat, dès lors que les besoins en énergie et les conditions de vie sont impactés. La National Security évolue vers la Natural Security.

valantinL2.jpgEnfin, de nouvelles opportunités de domination apparaissent au fur et à mesure de la montée des enjeux environnementaux. Les  terres rares essentielles aux technologies propres du futur, situées dans des pays émergents, mais également les besoins d’aides après les catastrophes qui se multiplient, sont autant d’occasions de coopération et d’intervention dans les pays. Il est désormais prouvé que le réchauffement climatique accentue la puissance des catastrophes naturelles, ainsi que la pénurie de ressources nécessaires à la vie.  La mauvaise gestion de l’eau ou de la chaine alimentaire crée l’opportunité de dépendre de solutions américaines et d’ainsi étendre la puissance américaine. C’est sur ce dernier plan que selon Jean-Michel Valantin, la pensée stratégique prend un tournant inédit. Elle cesse ici d’être uniquement fondée sur la supériorité militaire, mais intègre la capacité à répondre technologiquement à la déstabilisation socio-environnementale planétaire. Le leadership en climate resiliency devient un atout stratégique. Le besoin croissant de se sortir rapidement et efficacement d’une catastrophe naturelle ou industrielle fera appel à un savoir-faire dont les meilleurs experts auront un avantage majeur.
 
Les films de guerre, annonciateurs d’un nouveau paradigme

Révélateur des représentations et mythes reliés à la puissance, Hollywood est un thermomètre fiable pour voir l’évolution de la société américaine et de son rapport à sa propre hégémonie. Pour pleinement mesurer l’avancée du développement durable dans la culture de la Défense, Jean-Michel Valantin analyse finement  les films de guerre issus des studios Hollywoodiens depuis la seconde guerre mondiale et retrace son évolution au travers de nombreux exemples. On démarre avec la Bombe A, qui est le premier socle culturel, les images des bombardements nucléaires ayant été eux-mêmes largement diffusés dans les media.

Avec Hiroshima, un imaginaire de « l’après catastrophe » se façonne : dévastation, retour au cannibalisme, guerres tribales entre survivants, etc.  La bombe nucléaire permet d’identifier une menace pour ce que l’homme a de plus élevé : la société, l’humanité.  La planète des singes ou encore Mad Max 2 sont  des avertissements de cette régression.

Le Seigneur des Anneaux et Avatar occupent eux l’avant-scène d’un nouveau paradigme, celui d’une alliance nécessaire entre l’homme, la nature et le « surnaturel » pour éviter la catastrophe finale. Ils rappellent tous deux l’importance de la relation avec la vie et ses mystères. Le Seigneur des Anneaux actionne une mythologie de la « vitalité », au travers du rôle symbolique des Elfes. Les ingrédients indispensables à la vie sont imbriqués dans une recette qui inclut une part de sacré.

valantinCIN3.jpgAvatar montre le changement de camp d’un ancien marine, passant du champ de la puissance militaire à la puissance naturelle. Il défend ce changement de camp, le présentant comme légitime et nécessaire à l’heure où l’humanité détruit le vivant. Là encore, la dimension sacrée est du côté de la vie et de ce qui mérite que l’on se batte et que l’on renonce au monde militaro-industriel qui la menace. Dans un autre ordre, le dernier James Bond Quantum of Solace montre que les nouveaux trésors sont naturels, comme l’eau, et qu’ils seront  les enjeux des luttes de demain. Leur raréfaction va multiplier les conflits. Enfin, les grands films sur les pandémies révèlent le potentiel viral et global de destruction d’un acte au départ isolé, montrant bien les jeux d’interdépendances entre les différents risques systémiques et globaux. L’imaginaire du nucléaire continue : l’enjeu derrière la dégradation environnementale, est la destruction de l’humanité.
 
Guerre et Nature prévient les princes du monde à l’heure du réchauffement climatique. La lutte  pour acquérir de gré ou de force les dernières ressources, les dernières terres rares, le dernier pétrole,  la dernière eau potable ou les derniers kilos de lithium, ne fera que condamner l’ensemble des acteurs sur l’échiquier du pouvoir, l’enjeu de conquête devenant une véritable peau de chagrin. La vitesse dans la course aux ressources manquantes ne sera pas le véritable levier de puissance, mais la capacité à faire fonctionner un monde moins dépendant des ressources. Le pouvoir sera au contraire à celui qui aura la capacité de changer son mode de vie fondé sur l’ensemble de ces ingrédients, pour définir une société alternative et durable.  Le prince qui saura s’adapter à l’anthropocène, qui saura mettre en œuvre la responsabilité de l’homme vis-à-vis d’un bien commun, la Terre, sera le Prince durable. La clé de la puissance sera désormais le développement durable.