lundi, 15 décembre 2025
En mémoire d’un grand contributeur du nationalisme-révolutionnaire, Jean-Gilles Malliarakis

En mémoire d’un grand contributeur du nationalisme-révolutionnaire, Jean-Gilles Malliarakis
par Georges Feltin-Tracol
Décédé le 7 décembre dernier à l’âge de 81 ans, Jean-Gilles Malliarakis, dit « Mallia », est inhumé au cimetière de Cluny en Saône-et-Loire en Bourgogne–Franche-Comté, le mercredi 10. Sa disparition a suscité de nombreuses condoléances dont celles de Roland Hélie, directeur de Synthèse nationale, de Jean-Yves Le Gallou, président de Polémia, et de Pierre-Alexandre Bouclay, le patron de Radio Courtoisie dont le défunt dirigea une émission de 1995 environ à 2007.
Jean-Gilles Malliarakis a même eu droit à un article nécrologique dans la livraison du Monde du 13 décembre 2025. On ne sera pas surpris par le ton hargneux employé par l’auteur qui suit habituellement l’«extrême droite» en général et le Rassemblement national en particulier…
Proche dans la décennie 1990 de Christian Poucet (1956-2001) et du CDCA (Confédération de défense des commerçants et artisans), Jean-Gilles Malliarakis tente de relancer, après Gérard Nicoud et le CIDUNATI (Confédération intersyndicale de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants) des années 1970, un néo-poujadisme contestataire et revendicatif. Il choisit aussi le chemin du libéralisme conservateur d’expression française sous l’influence décisive d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), de Frédéric Bastiat (1801-1850), voire de Léon Walras (1834-1910) et du Franco-Italien Vilfredo Pareto (1848-1923). Prix Nobel d’Économie en 1988, Maurice Allais (1911-2010) faisait-il partie de ses références libérales hétérodoxes ? Peut-être…

Cependant, avant d’adhérer au corpus libéral et conservateur, Jean-Gilles Malliarakis est d’abord un remarquable protagoniste du dépassement vitaliste des idéologies modernes issues des «Lumières» du XVIIIe siècle, développées au XIXe siècle et appliquées au XXe. Ce grand admirateur de Benito Mussolini et des arditi en «chemises noires» - avec un indéniable sens théâtral pour des provocations calculées – parvient à combiner au cours des années 1970–1980 le nationalisme-révolutionnaire et le solidarisme (expression forgée par l’homme politique républicain Léon Bourgeois et reprise dès la fin de la guerre d’Algérie par les jeunes activistes de l’OAS en Métropole). De ce mélange et en suivant l’exemple italien de Terza Posizione sortent bientôt la troisième voie et le tercérisme.
À l’époque du Mouvement nationaliste-révolutionnaire (MNR), son périodique imprimé officiel s’intitule Jeune Nation Solidariste, ce qui soulève l’indignation, la colère et le mécontentement de l’Œuvre française de Pierre Sidos, continuation directe de Jeune Nation (1949-1958) et du Parti nationaliste (1958 - 1959). Ainsi, du 27 avril 1978 au 7 mai 1981, trouve-t-on dans chaque numéro de Jeune Nation Solidariste un éditorial de Jean-Gilles Malliarakis. En 1985, la Librairie Française qu’il gère, et les Éditions du Trident qu’il a fondées et animent, co-publient le recueil Ni trusts ni soviets, soit « l’ensemble des éditoriaux de principe et d’actualité ». Outre un avertissement liminaire et une explication sur « Qu’est-ce que le Solidarisme : le Nationalisme comme doctrine sociale », s’y ajoutent une conférence sur l’État nationaliste prononcée à Nantes, le 14 février 1983, un éditorial paru en juillet–août 1984 et une intervention fracassante tenue au congrès du PFN (Parti des forces nouvelles), le 3 novembre 1984.
Prônant entre autre «l’entreprise communautaire» et «la Propriété comme fonction sociale», Jean-Gilles Malliarakis affirme que «le Solidarisme n’est pas autre chose que cette Troisième Voie, cette affirmation du Nationalisme en tant que Doctrine sociale. Le Solidarisme constate que les solidarités communautaires enracinées dans la Région, dans la Nation et aujourd’hui, plus largement, dans l’Europe, pensent et doivent s’organiser dans le métier, dans la profession, dans la corporation, dans l’entreprise par delà les antagonismes de classe». Adversaire déterminé des institutions de la Ve République, il s’élève volontiers contre les solutions faciles et erronées qu’il désigne comme des impostures. Il dénonce le mythe royaliste orléaniste, les fumisteries parlementaire et présidentialiste, le recours technocratique délétère, le leurre national-conservateur et le mirage militaire putschiste. Il préfère l’action militante imaginée et présentée en fer de lance d’une «Seconde Révolution française»: comprendre la liquidation complète des valeurs révolutionnaires bourgeoises de 1789-1793.

À rebours d’un milieu qui se détourne des rapports sociaux et des questions d’«intendance», Jean-Gilles Malliarakis insiste sur l’importance du sujet. Il rappelle qu’«il existe un lien évident entre le social, le politique et l’économique. Le Nationalisme comme doctrine sociale professe avant tout que l’économique reflète le politique, que la production doit être ordonnée à des fins qui ne sont pas techniques et matérielles, mais humaines et spirituelles. Augmenter sans cesse la consommation de richesses, la circulation de monnaie, l’accumulation des profits, ne saurait être le but de l’activité humaine». Cela ne l’empêche pas de critiquer très sévèrement l’emprise économique sur la vie quotidienne.
Cette critique radicale s’inscrit nettement dans son Yalta et la naissance des blocs (Albatros, 1982). Il étudie dans cet essai «l’histoire de Yalta, c’est-à-dire l’histoire des connivences anglo-soviétiques et américano-soviétiques de la Seconde Guerre mondiale». Il soutient que «l’Occident […] s’identifie plus profondément au projet de Bretton Woods et au FMI qu’à l’héritage de Godefroy de Bouillon». Il souligne par ailleurs que «les blocs sont solidaires, de par leur nature, de par les dangers des forces centrifuges qu’ils affrontent chacun, de par leurs origines historiques».
Récusant autant Washington et son bloc atlantiste-occidental que Moscou et son bloc communiste soviétique, Jean-Gilles Malliarakis n’accorde aucun confiance, à l’instar de Charles De Gaulle qu’il n’apprécie guère, au cas yougoslave titiste supposé agir en matière diplomatique pour un tiers parti planétaire largement illusoire. Il précise volontiers que «Tito ne représente pas l’indépendance yougoslave, mais un modèle expérimental distinct. Ce n’est pas le refus de l’alignement, c’est un alignement hybride. Ce n’est pas le sujet du non-alignement: c’est un partage hybride qui se fait à l’intérieur même du système national (60% du socialisme stalinien, 40% d’affairisme anglo-saxon) au lieu de passer d’un côté ou de l’autre de la frontière». Il rappelle même que « la carrière de Tito avait commencé dans les rangs de la fraction la plus extrême du Komintern. Natif d’Odessa où son patronyme était Wais, il usurpe l’identité de Josip Broz, révolutionnaire communiste croate et son pseudonyme de résistance correspondait au sigle TITO de Tajna Internationalna Terroricka Organizatia en serbe », soit en français « Organisation terroriste internationale secrète». Il poursuit qu’«après guerre, la mère de Josip Broz ne reconnaîtra pas Tito»…

«Dans le monde qui s’est développé depuis le triomphe des Superpuissances, seules règnent des forces, polarisées autour de deux conglomérats qui ne sont pas des Nations. Ces forces sont, d’une part, le Bloc des compagnies multinationales, des superprofits, des placements spéculatifs itinérants, des grands palaces internationaux, des êtres angoissés ballotés entre la psychanalyse et la bondieuserie, le sexe et l’ésotérisme – le Bloc dit occidental – et le monde glacial du matérialisme dialectique abrégé en diamat, du KGB, des grands combinats d’industrie lourde et d’une vie culturelle sclérosée dans le ballet classique et imbibée de vodka».
On devine néanmoins les prémices d’une convergence des blocs vers une synthèse effrayante. Guy Debord évoquera sous peu sa thèse du «spectaculaire intégré». Malgré ce constat implacable, Jean-Gilles Malliarakis croit au renouveau de la France et à la renaissance de l’Europe ainsi qu’à leur symbiose féconde. «Entre la légitimité sacrale de l’Ancienne France et la légitimité nationale de la Nouvelle Europe, une parenté plus étroite que l’on croit existait. Le sacre des Rois de France par l’archevêque de Reims, dans la réjouissance populaire et après que la couronne, la couronne de Charlemagne, ait été maintenue par les pairs du royaume, n’était pas autre chose que cette sublimation de la vieille loi des Francs». Dans cette perspective héroïque française et européenne ou franco-européenne, voire euro-française, il s’approprie le slogan «Europe! Jeunesse! Révolution!» qu’il explique de manière magistrale et sur un ton hautement romantique. «La Jeunesse est le moteur de l’Éternel retour. L’Europe demain sera le faisceau des nations libérées du joug de Yalta. Et notre Révolution sera l’annonciatrice de l’ordre nouveau, troisième voie entre le capitalisme et le marxisme».
Avec une rare prescience, il prévient dans l’ultime éditorial qu’il signe à la veille de l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, que la victoire probable du candidat socialiste redynamisera l’Opposition nationale. Attention toutefois aux «fronts à répétitions, animés depuis les années cinquante par l’inlassable Jean-Marie Le Pen, personnage tellement kitch désormais qu’on ne peut se départir d’une certaine affection à son égard. Surtout dans la presse du système. C’est un adversaire tellement gentil, tellement reposant. Voyez comme tout le Monde a “regretté” son absence au dernier scrutin [la présidentielle de 1981]». On sait que le mouvement Troisième Voie éclate en 1991 quand Jean-Gilles Malliarakis négocie directement avec Jean-Marie Le Pen son ralliement (inabouti) au Front national sans se soucier des méfiances et des réticences de la part d’une base sceptique envers ce projet.

«Depuis un quart de siècle, conclut-il dans Ni trusts ni soviets, ma vie n’est pas autre chose que mon combat. Les gens qui m’intéressent sont ceux qui pensent comme cela. Avec eux, je suis prêt à tout entreprendre, à tout oublier, à tout reconstruire. À chacun de ceux qui m’écoutent, je dis donc : si tu penses comme ça, camarade, si tu vis comme ça, prenons-nous par la main et marchons ensemble vers le soleil et vers la victoire, la victoire totale. Oui, nous vaincrons parce que nous sommes les plus nobles». Certes, Jean-Gilles Malliarakis n’a pas connu la «victoire totale», mais ses actes ont révélé de lui une belle et forte noblesse d’âme.
17:26 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommage, jean-gilles malliarakis, france, nationalisme révolutionnaire |
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La vieille passion géopolitique et l’intérêt du Royaume-Uni pour la Russie

La vieille passion géopolitique et l’intérêt du Royaume-Uni pour la Russie
"En 1613, les ambassadeurs anglais John Merrick et William Russell débarquent dans la cité portuaire d'Arkhangelsk, dans le nord de la Russie".
par Lorenzo Ferrara
Source: https://www.barbadillo.it/126802-lantica-passione-attenzione-geopolitica-delluk-per-la-russia/ & London – History Today, Volume 73, Numéro 11, novembre 2023, Shahid Hussein: “The English Plan to Colonise Russia”
When England’s search for a Northwest Passage via sea failed, an audacious plan to forge a land route was hatched by the Muscovy Company (= Lorsque la recherche par l'Angleterre d'un passage nord-ouest échoua, un plan audacieux de créer une voie terrestre a été conçu par la Muscovy Company). Ou encore : Le plan anglais pour coloniser une partie de la Russie. Voyons-en plus.
“Lorsque la recherche par l’Angleterre d’un passage nord-ouest par voie maritime échoua, la Muscovy Company mit au point un plan audacieux pour créer une route terrestre. En 1613, les ambassadeurs anglais John Merrick et William Russell débarquèrent dans la ville portuaire d’Arkhangelsk, dans le nord de la Russie. Le premier objectif de leur mission était relativement innocent. À ces deux hommes furent remis une série d’instructions écrites pour protéger la situation financière de la Muscovy Company, qui à l’époque était la principale entité commerciale régulant le commerce avec la Russie. Mais ils avaient aussi un objectif secret: explorer la possibilité d’annexer une partie du nord de la Russie et de fonder une colonie anglaise en Moscovie. On espérait que cette colonie pourrait s’étendre le long du fleuve Volga et atteindre la frontière russe avec la Perse.
Cette tentative assez audacieuse de landgrabbing (de conquête territoriale) dans le nord de la Russie était en soi déjà remarquable. Ce qui la rendait encore plus significative, c’est le fait que la proposition a reçu le soutien de plusieurs groupes à Londres. Cela comprenait des membres de la Royal Navy anglaise, des mercenaires, de vieux courtisans, le roi et, bien sûr, la Muscovy Company.

Les plans de l’Angleterre pour coloniser la Russie ont été conçus dans une période de troubles politiques. En 1605, le premier Faux Dimitri, un imposteur prétendant être le plus jeune fils d’Ivan le Terrible, mena une révolte contre le tsar de Moscovie, Boris Godounov (illustration).
Cela est souvent considéré comme le début du Temps des Troubles (1605-1613) en Russie, une période de conflits politiques où plusieurs prétendants rivaux se disputèrent le trône. L’absence d’autorité centrale permit à la Pologne et à la Suède de lancer des invasions en Moscovie entre 1610 et 1612. C’est dans ce contexte que le soldat mercenaire anglais Thomas Chamberlain, avec d’autres militaires, formula et développa l’idée d’une invasion anglaise de la Russie. En 1613, l’idée d’une colonie anglaise en Russie reçut également le soutien de hauts courtisans, comme le comte de Pembroke, le Lord Chancelier et même le roi Jacques Ier. Il ne fait aucun doute que Thomas Smythe (illustration), gouverneur de la Muscovy Company, soutint le projet d’établir une colonie en Moscovie.

Au cours de la première décennie du XVIIe siècle, sous la direction de Smythe, la Muscovy Company et la East India Company sponsorisèrent des expéditions à la recherche d’un passage nord-ouest. On croyait qu’un tel passage permettrait aux voyageurs de se diriger vers le nord, puis vers la Chine, l'Inde et l'Asie centrale. Cela aurait pu économiser des mois sur la route commerciale traditionnelle vers l’Extrême-Orient et l’Inde qui passait par le Cap de Bonne-Espérance en Afrique. La malheureuse destinée de ces expéditions pour découvrir un passage septentrional via la mer, en lesquelles Smythe était partiellement ou totalement impliqué, le conduisit à soutenir la proposition la plus extrême: celle d’annexer une partie de la Russie, en hiver 1612-1613. Mais le plan de colonisation de l’Angleterre eut peu de résultats; le passage tant attendu, par mer ou par terre, resta un rêve éveillé. Quand Merrick et Russell arrivèrent à Moscou en 1613, ils apprirent la nouvelle de l’élection d’un nouveau tsar, Michaël Ier. Une annexion militaire était désormais impossible. L'astucieux stratège Merrick présenta simplement ses lettres de créance au nouveau tsar et demanda le renouvellement des privilèges commerciaux antérieurs de la Muscovy Company. Le projet d’invasion britannique de la Russie avait échoué”.
Il y a peu à ajouter à ce texte, qui décrit des intentions et des projets d'une annexion partielle, déguisés en entreprise commerciale, si ce n’est que derrière chaque déclaration retentissante où les Anglo-Saxons évoquent la liberté et la défense des droits, se cachent, surtout dans le chef des Anglais, des intérêts économiques et stratégiques profonds, qui surgissent comme des bulles toxiques à chaque page de leur histoire. La liste serait longue, une rapacity vendue comme une attention ou du regard (de la considération), qui n’est en réalité qu’ingérence. Est-ce la découverte de "d'une eau toujours chaude"? Il vaut toujours mieux s’appuyer sur des faits prouvés pour décrire l’histoire et pour comprendre les attitudes, déclarations et tendances du passé et du présent.
Shadid Hussain étudie les réseaux et le patronage parmi les ambassadeurs britanniques en Moscovie au XVIIe siècle à l’Université College London.
16:16 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, russie, angleterre, muscovy company, moscovie, arkhangelsk |
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