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vendredi, 16 février 2007

Geschiedenis van de Kosakken

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GESCHIEDENIS VAN DE KOZAKKEN

Scythen, Sarmaten, Chazaren, Mongolen

http://home.hetnet.nl/~gabby-pat/kozakkengeschiedenis.htm

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lundi, 12 février 2007

1683: Bataille de Vienne

Renato CIRELLI :

12  septembre 1683 :
Bataille et libération de Vienne

 

Ci-dessous le texte d’inspiration catholique et impériale de Renato Cirelli, paru en version espagnole dans la revue “Arbil”. Le 12 septembre doit devenir une “date-culte” dans le mouvement identitaire européen, tout comme le 7 octobre, date de la Bataille de Lépante. Un conseil, ces jours-là, pavoisez ! Sortez les bannières de vos régions, mais évitez les tissus tricolores républicains en France ou belgicains en Belgique, où l’on serait mieux inspiré de réhabiliter l’aigle impérial, présent dans de nombreux blasons communaux (Anvers, Malines, Saint-Trond, etc.) ou les Croix de Bourgogne, présentes dans la procession du Gouden Boom à Bruges ou de l’Ommegang à Bruxelles. Notre histoire glorieuse date d’avant 1792. Après cette date funeste, c’est le règne des braillards et des histrions. Oublions-les, eux et leurs symboles médiocres. Notons également qu’il y avait avant Vatican II des papes guerriers qui ravivaient des stratégies romaines et non chrétiennes. Il est vrai que Vatican II voulait expressément mettre un terme au “triomphalisme constantinien”, donc aux racines impériales romaines de l’Europe. C’est une trahison, non pas au message chrétien, éthéré et abstrait, dont nous n’avons cure, mais à l’histoire européenne, réalité concrète, tangible, vivante.

 

La civilisation européenne, combattante, se sauve du péril ottoman

L’union des princes européens a sauvé notre civilisation du danger mortel que constituait l’Empire ottoman en reprenant Vienne, encerclée par les troupes innombrables de Kara Moustapha.  Un siècle et demi auparavant, Vienne avait été assiégée une première fois. Le Roi d’Espagne s’était rangé du côté des Autrichiens. De même à l’époque de la Bataille navale de Lépante, l’Espagne et le Saint-Empire avaient fait cause commune contre l’invasion barbare des Ottomans.

Le scénario politico-militaire de la seconde moitié du 17ième siècle était inquiétant, les guerres se succédaient et aucune paix ne semblait se dessiner à l’horizon; ce fut un siècle terrible, un siècle de malheurs, qui a marqué l’Europe à jamais. La Guerre de Trente Ans (1618-1648) avait commencé comme une guerre de religions mais s’était poursuivie par un conflit entre la maison royale de France, les Bourbons, et les Habsbourgs. Ces derniers finiront pas conserver leur hégémonie sur l’Allemagne, centre de l’Europe, et par assumer l’autorité impériale romaine-germanique, seule légitime. Pour contester l’hégémonie habsbourgeoise sur le Saint-empire, le ministre français Armand du Plessis, Cardinal-Duc de Richelieu (1585-1642), inaugure une politique de rébellion ouverte contre la légitimité impériale en forgeant des principes d’action politique axés sur les seuls intérêts nationaux français au détriment des intérêts de l’Europe catholique. Richelieu s’allie ainsi avec les princes rebelles protestants.

Les Traités de Westphalie de 1648 sanctionnent l’affaiblissement définitif du Saint Empire Romain en Allemagne, territorialement mutilé et divisé entre catholiques et protestants, fractionné politiquement; en Europe, le Roi de France Louis XIV (1638-1715) détient une hégémonie de fait. Le rôle prépondérant qu’il joue sur le continent induit le “Roi-Soleil” à briguer la couronne impériale et, dans cette perspective, il n’hésite pas à s’allier avec les Ottomans, se montrant totalement indifférent à tout idéal européen et catholique. Le résultat de cette alliance calamiteuse et de cette trahison sans vergogne a provoqué la ruine de l’Europe, a perpétué des divisions religieuses inutiles, a affaibli l’ensemble civilisationnel européen par des luttes dynastiques tout aussi inutiles, le tout sur fond d’une crise économique et d’un déclin démographique, conséquences de la guerre. L’Europe était donc particulièrement vulnérable au lendemain de la Guerre de Trente Ans.

L’offensive turque

L’Empire ottoman, qui avait déjà conquis les pays balkaniques et s’était installé dans la plaine hongroise, avait été toutefois contenu dans ses tentatives d’expansion, le 1 août 1664, par les armées impériales commandées par le Lombard Raimundo Montecuccoli (1609-1680) à la Bataille de Saint-Gotthard en Hongrie.

Mais rapidement, les Ottomans se remettent de cette défaite, sous l’énergique impulsion du Grand Vizir Kara Moustapha (1634-1683) et reprennent leurs offensives, encouragés inconsciemment pas la politique de Louis XIV, résolument anti-habsbourgeoise, et par la faiblesse du Saint-Empire et de l’Europe toute entière.

Seule la République de Venise combattait efficacement les Ottomans à l’époque, le long des côtes de l’Egée, en Grèce et en Dalmatie. Ce fut un combat impavide et glorieux, la dernière guerre que la Sérénissime République mènera en tant qu’Etat indépendant. Cette guerre s’achèvera par la chute de Candia en 1669, défendue héroïquement par Francisco Morosini, dit du Péloponnèse (1618-1694).

Après la Crète, la Podolie, partie de l’actuelle Ukraine, est arrachée en 1672 à la Pologne et, en janvier 1683, à Istanbul, les étendanrds de guerre sont tournés vers la Hongrie. Une immense armée se met en marche en direction du coeur de l’Europe, sous le commandement de Kara Moustapha et du Sultan Mehmet IV (1642-1693), dont les intentions étaient claires  : créer une “grande Turquie européenne et musulmane” dont la capitale  serait Vienne.

Les forces impériales, peu nombreuses et appuyées seulement par les milices urbaines et rurales hongroises, commandées par le Duc Charles V de Lorraine (1643-1690), tentèrent de résister mais en vain. Le grand chef de guerre lorrain, au service des Habsbourg, a accepté cette mission difficile, malgré qu’il était convalescent et sortait à peine d’une grave maladie qui l’avait quasiment amené au seuil de la mort, dont, dit-on, l’avait sauvé les prières d’un capucin, le vénérable Marco d’Aviano (1631-1699). Ce prêtre italien, envoyé par le Saint Père auprès de l’Empereur, était un prédicateur infatigable, qui ne cessait de prêcher la croisade contre les Turcs,  conseilla aux militaires impériaux de placer l’image de la Mère de Dieu sur les insignes des armées du Saint Empire. C’est pourquoi les bannières militaires autrichiennes ont porté toutes l’effigie de la Vierge pendant plus de deux siècles et demi, jusqu’au jour où Adolphe Hitler (1889-1945) les a fait retirer.

Les cloches sonnent pour avertir l’Europe du danger turc

Le 8 juillet 1683, l’armée ottomane quitte la Hongrie et s’avance en direction de Vienne, installe son campement autour de la ville le 13 et commence le siège. Pendant la progression de cette armée, les régions traversées sont dévastées, les villes et les fermes sont mises à sac, les églises et les monastères détruits, les populations autochtones de confession chrétienne sont soit massacrées soit réduites à l’esclavage.  

L’Empereur Léopold I (1640-1705), après avoir confié le commandement militaire de la place de Vienne au Comte Ernst Rüdgier von Starhemberg (1638-1701), quitte la ville et s’installe à Linz pour organiser de là la résistance des peuples germaniques au péril mortel qui fond sur elles.

Dans tout l’Empire, les cloches sonnent à toute volée pour signaler l’arrivée des Turcs, comme en 1664 et un siècle auparavant. Alors commence la mobilisation de toutes les ressources du Saint Empire, tandis que l’Empereur négocie fébrilement pour faire convoquer tous les Princes, catholiques comme protestants. Cette initiative est lâchement torpillée par Louis XIV et par Frédéric Guillaume de Brandebourg (1620-1688). Il sollicite l’intervention immédiate de l’armée polonaise, invoquant la nécessité suprême de sauver l’Europe (chrétienne).

Le Pape Innocent XI

A ce moment dramatique de l’histoire européenne, la politique continentale et orientale préconisée depuis plusieurs années par le Saint Siège, surtout grâce au Cardinal Benedetto Odescalchi (1611-1689), élu Pape sous le nom d’Innocent XI en 1676 et béatifié en 1956 par le Pape Pie XII (qui occupa le Saint Siège de 1939 à 1958).

Se posant comme le gardien du grand esprit des croisades, le Pontife énergique, qui fut auparavant Cardinal-Gouverneur de Ferrara et avait gagné le titre de “Père des pauvres”, avait amorcé une politique prospective, visant à créer un système d’équilibres entre les princes chrétiens pour permettre à sa politique extérieure, hostile à l’Empire ottoman, de se consolider. Pour y parvenir, il s’est servi d’hommes habiles, capables de décision, comme les nonces Obizzo Pallavicini (1632-1700) et Francisco Buonvisi (1626-1700), du Vénérable Marco d’Aviano et d’autres. La diplomatie pontificale s’était posée en médiatrice conciliante entre les antagonismes européens, amenant la paix entre la Pologne et l’Autriche, favorisant tous les rapprochements possibles avec le Brandebourg protestant et la Russie orthodoxe, allant jusqu’à défendre les intérêts des protestants hongrois face à l’épiscopat local, car, à ses yeux, toutes les divisions qui traversaient l’Europe chrétienne devaient s’estomper et disparaître au profit d’une unité combatttante face au péril islamique. Malgré les échecs, les querelles et les incompréhensions, en 1683, année dite “des Turcs”, le Pape avait réussi à devenir l’âme de la grande coalition chrétienne, donnant de l’argent à toute l’Europe pour financer les troupes des grands  et des petits princes, payant personnellement un détachement de cosaques pour l’armée polonaise.

Le siège de Vienne

Pendant ce temps, à Vienne, submergée par les réfugiés, commence le “chemin de croix” que constitue le siège. La ville tiendra, héroïquement. Six mille soldats et cinq mille miliciens urbains, isolés du reste du monde, vont s’opposer à une immense armée ottomane, soutenue par 300 canons. Toutes les cloches de la ville sont réduites au silence, sauf celles de la Cathédrale Saint Etienne, que l’on appelle l’Angstern, l’”angoisse”, qui, de ses battements incessants, convie les défenseurs à exécuter leurs tâches. Les assauts contre les murailles de la ville, les batailles au corps à corps se succèdent jour après jour et chaque jour semble être le dernier... mais les secours sont en route. Avec la bénédiction du Pape et sous la direction de l’Empereur, qui prend la tête de ses armées, les troupes impériales avancent à marches forcées vers la ville assiégée. Le Roi de Pologne Jean III Sobieski (1624-1696) se joint à elles, car, par deux fois déjà, il a sauvé la Pologne des Turcs. Finalement, le 31 août il opère sa jonction avec les troupes du Duc Charles de Lorraine, qui exerce le commandement suprême. Quand Impériaux et Polonais ont conjugué leurs forces, l’armée chrétienne-européenne marche enfin sur Vienne, où la situation est vraiment dramatique. Les Turcs ont ouvert des brèches dans les murailles et les défenseurs survivants, après avoir repoussé dix-huit attaques et effectué vingt-quatre sorties, sont totalement épuisés. Les janissaires ne cessent d’attaquer, exaltés par les imams. Les cavaliers tatars ravagent l’Autriche et la Moravie. Le 11 septembre, Vienne vit dans l’angoisse : elle a l’impression qu’elle vit ses dernières heures de liberté. Le Comte Starhemberg envoie à Charles de Lorraine un ultime message désespéré : “Ne perdez pas de temps, mon très clément Seigneur!”.

La bataille

Le matin du 12 septembre 1683, le Vénérable Marco d’Aviano célèbre la messe et le Roi de Pologne y fait fonction d’acolyte. Il  bénit ensuite l’armée massée à Kahlenberg près de Vienne : 65.000 soldats européens-chrétiens vont affronter sur un champ de bataille 200.000 Ottomans.

Les princes de Bade et de Saxe, les Wittelsbach de Bavière, les seigneurs de Thuringe et du Holstein sont présent à la tête de leurs troupes; viennent ensuite les Polonais et les Hongrois, le Général Comte italien Enea Silvio Caprara (1631-1701) ainsi que le jeune Prince Eugène de Savoie (1663-1736) qui va connaître son baptême du feu.

La bataille va durer toute la journée et se terminer par une terrible charge à l’arme blanche, conduite par Jean Sobieski en personne; elle met les Ottomans en fuite et donne la victoire à l’armée européenne. Celle-ci ne perd que deux mille combattants, tandis que les Ottomans doivent en déplorer 20.000. L’armée du Sultan prend la fuite en désordre, abandonnant son butin et son artillerie, après avoir massacré les prisonniers et esclaves chrétiens. Le Roi de Pologne envoie au Pape les bannières capturées, en les accompagnant de  ces paroles : “Veni, vidi, Deux vincit” (“Je suis venu, j’ai vu et Dieu a vaincu”). Par décision du Pape Innocent XI, le 12 septembre est dédié au “Plus saint Nom de Marie”, en souvenir et en remerciement de la victoire.

Le jour suivant, l’Empereur entre dans Vienne, joyeuse et libérée, à la tête des princes du Saint Empire et des troupes confédérées. Il assiste au Te Deum d’action de grâces en la Cathédrale Saint Etienne, où officie l’évêque de Vienne-Neustadt, qui fait fonction de Cardinal, le Comte Léopold-Charles Kollonic (1631-1707), âme spirituelle de la résistance.

Le ressac de l’Islam

La victoire de Kahlenberg  et la libération de Vienne sont le point de départ de la contre-offensive des Habsbourg contre les Ottomans dans l’Europe danubienne, ce qui conduira, au cours des années suivantes, à la libération de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Croatie, permettant à la Dalmatie de se joindre à Venise. C’est le moment historique où se manifeste  de la manière la plus éclatante la vocation et la mission de la Maison d’Autriche, qui consistaient à libérer et à défendre l’Europe dans le Sud-est du continent. Pour réaliser cette mission, elle a mobilisé sous la bannière impériale romaine-germanique des Allemands, des Hongrois, des Tchèques, des Croates, des Moraves, des Slovaques, des Italiens, des Roumains, des Lorrains, des Savoisiens, des Franc-Comtois, des Flamands, des Wallons, des Luxembourgeois, des volontaires irlandais et arméniens, alliés aux Polonais et aux Vénitiens. La Maison d’Autriche a pu, ainsi, créer cet Empire multi-ethnique, multi-confessionnel mais entièrement européen qui donnera à l’Europe centrale et orientale la stabilité et la sécurité jusqu’en 1918.

La Grande Alliance a donné vie aux projets du Pape Innocent XI, qui entendait s’inscrire dans la tradition d’un énergique prédécesseur, Saint Pie V (1504-1572), artisan de la  victoire navale des Européens à Lépante, le 7 octobre 1571. La Bataille de Vienne constitue un tournant majeur dans l’histoire européenne, si bien qu’on peut parfaitement la comparer à la fameuse Bataille de Poitiersde 732, emportée par le chef austrasien Charles Martel (688-741), qui a arrêté l’avance des Arabes vers le Nord. Rappelons également que l’alliance reconduite en 1684, ratifiée sous le nom de Sainte Ligue, a sanctionné une alliance unique entre Allemands et Polonais, a redoré le blason de l’Empire exsangue après la Guerre de Trente Ans, a rapproché Protestants et Catholiques grâce à la clairvoyance et à la  diplomatie d’un grand Pape, bien décidé à réaliser l’objectif qu’il s’était donné : libérer l’Europe des Turcs.

En cette année s’est forgée une fraternité d’armes entre tous les peuples de l’Europe christianisée, ce qui a permis une grande croisade victorieuse, qui a éliminé définitivement le danger mortel de l’ottomanisme. Force est de constater tout de même que ce danger millénaire, une fois écarté, a été vite oublié. Mais le siège de Vienne doit nous rappeler que, toujours dans nos mémoires, les cloches qui sonnent pour mobiliser l’Europe contre le péril turc et islamique ne doivent jamais cesser de sonner.

Renato CIRELLI.
[VERSION ESPAGNOLE, TRADUCTION D’Angel ESPOSITO : http://www.iespana.es/revista-arbil/(56)vien.htm ]


 

 

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Ian Kershaw über Lord Londonderry

Ian Kershaw über Lord Londonderry und andere Befürworter Hitlers :

http://www.webarchiv-server.de/pin/archiv06/0320060121paz48.htm

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jeudi, 08 février 2007

Trois livres sur les relations germano-soviétiques

Luc NANNENS:

Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

La problématique complexe des relations ger-mano-soviétiques revient sur le tapis en Alle-magne Fédérale depuis quelque temps. Trois livres se sont penchés sur la question récem-ment, illustrant leurs propos de textes officiels ou émanant de personnalités poli-tiques. Pour connaître l'arrière-plan de l'accord Rib-bentrop-Molotov, l'historien britannique Gordon Lang, dans le premier volume de son ouvrage (le se-cond volume n'est pas encore paru),

²... Die Polen verprügelnŠ³. Sowjetische Kriegstreibereien bei der deutschen Führung 1920 bis 1941, 1. Teilband, 1914 bis 1937, Askania-Weißbuchreihe, Lindhorst, 1988, 175 S., DM 24,50,

retrace toute l'histoire des rapprochements entre l'Allemagne et l'URSS, isolée sur la scène diploma-tique, contre les puissances bénéfi-ciaires du Traité de Versailles et contre l'Etat polonais né en 1919 et hos-tile à tous ses voi-sins. L'enquête de Gordon Lang est minutieuse et, en tant que Britannique, il se réfère aux ju-gements sévères que portait David Lloyd George sur la création de l'Etat polonais. Lloyd George, en effet, écrivait: "La proposition de la Commission po-lonaise, de placer 2.100.000 Allemands sous la do-mination d'un peuple qui, jamais dans l'histoire, n'avait démontré la ca-pacité de se gouverner soi-même, doit néces-sairement déboucher tôt ou tard sur une nou-velle guerre en Europe orientale". Le Premier Ministre gallois n'a pas été écouté. John May-nard Keynes, qui quitta la table de négociation en guise de protestation, n'eut pas davantage l'oreille des Français qui voulaient à tout prix installer un Etat ami sur les rives de la Vistule. Notable exception, le Maréchal Foch dit avec sagesse: "Ce n'est pas une paix. C'est un ar-mistice qui durera vingt ans".

Ni les Soviétiques, exclus de Versailles et virtuelle-ment en guerre avec le monde entier, ni les Alle-mands, punis avec la sévérité extrême que l'on sait, ne pouvaient accepter les condi-tions du Traité. Leurs intérêts devaient donc immanquablement se rencon-trer. En Alle-magne, les troupes gouvernementales et les Corps Francs matent les insurrections rouges, tandis que Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés. D'autres chefs rouges, en re-vanche, furent courtisés par le gouvernement anti-bolchévique, dont Radek, emprisonné à Berlin-Moabit puis trans-féré en résidence sur-veillée, et Viktor Kopp, venu de Moscou pour suggérer au Directeur du Département de l'Est du Ministère des Affaires Etrangères alle-mand, le baron Adolf Georg Otto von Maltzan, de jeter les bases d'une coopération entre l'Armée Rouge et la Reichswehr pour lutter contre la Pologne. Malt-zan écrivit, immédiatement après l'entrevue, un mé-morandum qui stipulait en substance que, vu l'échec des négociations à Copenhague entre Britanniques et Soviétiques, Lénine voulait éliminer la Pologne, pion des Occidentaux, afin de faire fléchir Londres. Pour réaliser cet objectif, il fallait combiner une en-tente entre Russes et Allemands. Maltzan ex-plique que l'Allemagne ne marchera jamais avec les Français pour sauver la Pologne, que la Reichswehr, réduite à 100.000 hommes, suffi-sait à peine pour maintenir l'ordre intérieur, et que des relations avec l'URSS s'avèrraient illu-soires tant que la propagande bolché-vique vitu-pérait contre le gouvernement de Berlin et créer des désordres dans la rue. Kopp promit de mettre en frein à cette propagande et suggéra les bases d'un accord commercial, mettant dans la balance l'or russe à échanger contre des locomotives et des ma-chines-outils allemandes.

L'objectif soviétique: renforcer l'industrie allemande et faire vaciller l'Empire Britannique

Au cours des mois qui suivirent, il apparut clai-rement que l'objectif des Soviétiques était de renforcer l'industrie allemande, de façon à s'en servir comme "magasin" pour moderniser la Russie, dont l'objectif politique n'était pas, pour l'instant, de porter la révo-lution mondiale en Europe, mais de jeter son dévolu sur l'Asie, l'Asie Mineure, la Perse et l'Afghanistan et de susciter des troubles en Egypte et aux Indes, afin de faire vaciller l'Empire britannique. En juillet 1920, Kopp revient à la charge et fait sa-voir que l'URSS souhaite le retour à l'Allemagne du Corridor de Dantzig, afin de faciliter les communications com-merciales entre le Reich et la Russie, via la Poméranie et la Prusse Orientale. L'aile gauche du parti socia-liste polonais reçut l'ordre de Moscou de ré-clamer le retour aux frontières de 1914, réduisant la Pologne à la pro-vince russe qu'elle avait été de 1815 à 1918. L'objectif des Allemands, surtout de l'état-major du Général von Seeckt, et des Soviétiques était de contourner tout éventuel blocus britannique et de bri-ser la vo-lonté française de balkaniser l'Europe cen-trale. L'élimination militaire de la Pologne et l'entente germano-russe pèseraient d'un tel poids que jamais les armées françaises ex-sangues n'oseraient entrer en Allemagne puisqu'un tel geste serait voué à un cuisant échec. Seeckt, avec son armée insignifiante, devait menacer habilement les Français tout en ne les provoquant pas trop, de façon à ce qu'ils ne déclenchent pas une guerre d'encerclement avant que les Russes ne puissent intervenir.

L'analyse était juste mais, sur le terrain, l'Armée Rouge est battue par les Polonais et par la stratégie de Weygand, dépêché dare-dare à Varsovie. Cet échec soviétique, assorti d'énormes compensations territo-riales au béné-fice de la Pologne (Traité de Riga, 18 mars 1921), n'empêcha pas la collaboration secrète avec la Reichswehr: toutes les armes interdites à l'Allemagne par les clauses du Traité de Ver-sailles, comme les avions, les bombes, les blin-dés de combat et de reconnaissance, l'artillerie lourde, les gaz de combat, les canons anti-aé-riens, etc. furent cons-truites et testées en Russie dans des bases se-crètes. Gordon Lang consacre un très long chapitre sur la collaboration ger-mano-russe partant de l'accord Ra-thenau-Tchit-chérine (1922), avec pour toile de fond l'occupation de la Ruhr (1923) et l'affaire Schlageter, le Pacte de Locarno (1925), le refus de la part de la SPD de réviser les clauses de Versailles, l'éviction de Trotski et l'avènement de Staline (1927), l'accession de Hindenburg à la Présidence du Reich (1927), la montée du national-socialisme.

Staline donne l'ordre au KPD de collaborer
avec la NSDAP

La politique de Staline était de créer le socia-lisme dans un seul pays et de transformer l'URSS en un "croiseur cuirassé", en lutte contre les impérialismes. Pour parvenir à cet objectif, il fallait industrialiser à outrance un pays essentiellement agricole. On sait à quelles tragédies cette volonté à conduit pour le pay-sannat slave et les koulaks. L'Allemagne, elle, s'est partiellement sauvée du marasme grâce à cette volonté politique: dès l'arrivée de Staline au pouvoir, les échanges économiques entre les deux pays quintu-plent. Les machines quittent les usines allemandes pour la Russie nouvelle et, en échange, les Sovié-tiques, livrent du pé-trole, des minerais et des céréales.

Quand le parti de Hitler prend de l'ampleur et obtient le soutien de la droite (de la "Deutsch-Nationale Volkspartei",  en abrégé DNVP), les communistes allemands visent la création d'un front commun avec la SPD, un parti modéré dont la ligne globale avait été d'accepter bon gré mal gré les réparations. L'ordre de Moscou, formulé par Staline lui-même, exigeait une po-litique diamétralement opposée: marcher avec la NSDAP contre les modérés qui acceptaient Versailles! Dans l'optique de Staline, un pou-voir socialo-communiste dans le Reich aurait affaibli l'industrie alle-mande, réservoir de machines pour la Russie nou-velle, et aurait donc en conséquence diminuer la puis-sance mon-tante de Moscou. Les communistes alle-mands reçurent l'ordre précis de ne rien entreprendre d'aventureux contre la droite, contre les nazis ou contre la Reichswehr, de façon à ce que la collabora-tion germano-russe puisse créer un front anti-occi-dental et anti-impérialiste.

Le 1 juin 1932, le nouveau gouvernement von Papen place le Général von Schleicher à la tête du Ministère de la Reichswehr en remplace-ment du Général Groe-ner, fidèle exécutant de la doctrine de von Seeckt. Moscou ordonne aussitôt aux communistes allemands de com-battre les sociaux-démocrates et de les présen-ter à leurs ouailles comme les ennemis princi-paux de la classe ouvrière. Pas question donc d'assigner ce rôle négatif aux nationaux-socialistes. Le chef du Komintern, Dimitri Ma-nouilski, explique que, dialectiquement, la NSDAP est à l'avant-garde de la dicta-ture du prolétariat tandis que les sociaux-démocrates trompent les masses en agitant l'épouvantail anti-fas-ciste. Pendant la campagne électorale, la KPD et la NSDAP militent pour une abrogation pure et simple de toutes les clauses de Ver-sailles et rejettent toutes les formes de répara-tions. La SPD, elle, ne veut pas de révision du Traité et perd sa crédibilité auprès des millions de chômeurs allemands.

La Reichswehr aurait été incapable de mater un putsch conjoint des nazis
et des communistes

Aux élections du 6 novembre 1932, malgré le recul des nationaux-socialistes, l'ambassadeur soviétique Khintchouk réitère les ordres de Moscou aux communistes allemands car "Hitler ouvre la voie à une Allemagne soviéti-sée". Communistes et Nationaux-Socialistes organisent de concert une grève des trans-ports en commun à Berlin, qui connaît un franc suc-cès. Schleicher est inquiet: il met les circons-criptions militaires en alerte et simule des man¦uvres pour sa-voir si la Reichswehr serait capable de briser un putsch perpétré de concert par les communistes et les nazis. Le rapport fi-nal qui lui est transmis le 2 dé-cembre 1932 est alarmant: l'armée serait incapable de faire face à un putsch unissant les deux partis "extrémistes". Ne disposant que de 100.000 hom-mes, elle est en infériorité numérique de-vant les 130.000 militants du Kampfbund communiste, ren-forcés par les 30.000 adoles-cents de l'organisation de jeunesse, et des 400.000 SA et HJ de la NSDAP. De plus, la réussite du mouvement de grève conjoint dans les transports publics berlinois a démontré que les putschistes éventuels pourraient paralyser les chemins de fer, empêchant tout mouvement de troupes vers les centres insurrectionnels. Schleicher est dès lors obligé, pour sauver la République de Weimar aux abois, de faire des concessions aux Al-liés pour que ceux-ci per-mettent à la Reichswehr de disposer de 300.000 hommes lors de la Conférence de Genève prévue pour 1933.

Poussé dans le dos par le Komintern, la KPD entonne des refrains aussi patriotiques que les nationaux. Le Komintern proclame le 10 jan-vier 1933: "Il faut com-battre sans merci les oppresseurs de la nation; il faut lutter contre l'occupation de la Sarre, l'oppression des Alsa-ciens et des Lorrains, contrer la politique ra-pace de l'impérialisme polonais à Dantzig, lut-ter contre l'oppression des Allemands en Haute-Silésie, en Po-mérélie et au Tyrol du Sud, contre la mise en escla-vage des peuples et des minorités ethniques en Tchécoslovaquie, contre la perte de ses droits par le peuple autrichien". Mais Moscou continue à faire davantage confiance à la NSDAP. Le 22 janvier 1933, les hitlé-riens projettent une manifestation provo-catrice devant le quartier général communiste de Berlin. Les Sovié-tiques donnent l'ordre à leurs coreligionnaires berli-nois de ne pas s'y opposer. Après la prise du pouvoir par Hitler, l'immeuble sera perquisitionné et la police y trouvera des "preuves" d'un projet de putsch com-muniste. Le Reichstag brûle le 27 février, apparem-ment par l'action d'un communiste hollandais, Mari-nus van der Lubbe. La KPD est interdite. A Moscou, les milieux gouverne-mentaux restent calmes et choi-sissent l'attentisme: il faut sauver les relations privilé-giées entre l'URSS et l'Allemagne et ne pas les gâ-cher par une propagande anti-nazie irréflé-chie.

Litvinov, Hitler
et Rosenberg

Les Soviétiques refuseront de tenir compte des dé-clamations anti-communistes des dirigeants nazis. Litvinov avertit cependant Dirksen, am-bassadeur du Reich à Moscou, que cette bien-veillance cessera si l'Allemagne tente un rapprochement avec la France, comme l'avaient fait les sociaux-démocrates de Stre-semann et vraisemblablement le Général Schleicher. Lit-vinov déclare que le gouvernement soviétique n'a pas l'intention de changer sa politique à l'égard de l'Allemagne mais fera tout pour em-pêcher une alliance germano-française. En échange, Litvinov promet de ne pas s'allier avec la France et de ne pas réitérer la politique d'encerclement de l'Entente avant 1914, l'URSS n'ayant pas intérêt à reconnaître les clauses du Traité de Versailles et l'existence de l'Etat polo-nais. Le 29 avril 1933, Hitler reçoit Khintchouk en présence du Baron Konstantin von Neurath, et pro-met de ne pas s'occuper des affaires inté-rieures russes à la condition expresse que les Soviétiques n'interviennent pas dans les affaires intérieures alle-mandes (en clair: cessent de soutenir les communistes allemands).

Pendant les premières années du régime hitlé-rien, les relations germano-russes sont donc restées positives avec toutefois une seule petite ombre au tableau: les activités d'Alfred Rosen-berg, chef du bureau des af-faires étrangères de la NSDAP et rédacteur-en-chef de son organe de presse, le Völkischer Beobachter. Né dans les pays baltes, ayant étudié à Moscou, Rosenberg haïssait le communisme soviétique. Il rê-vait d'une balkanisation de l'URSS et notam-ment d'une Ukraine indépendante. Hitler ne le nomma pas Ministre des Affaires Etrangères du Reich, ce qui soula-gea les Soviétiques. Des en-voyés spéciaux laissaient sous-entendre régu-lièrement que si Rosenberg deve-nait Ministre des Affaires Etrangères, les Soviétiques pour-raient être amenés à reconduire leur alliance avec la France. La tragédie de la "Nuit des longs cou-teaux", au cours de laquelle Schlei-cher est éliminé, satisfait Staline qui voyaient dans les victimes des instruments d'une poli-tique d'alliance avec la France (donc avec la Pologne).

Démontant le système de Versailles pièce par pièce, Hitler rapatrie les usines d'armement dis-séminées en Russie. Les installations de Kama et de Tomka, où furent élaborés les premiers chars allemands et la tac-tique offensive de l'arme blindée, sont démantelées et recons-truites en Allemagne. Ensuite, c'est au tour du centre aérien de Vivoupal, matrice de la future Luft-waffe. Les usines avaient bien servi le Reich et l'URSS; les deux puissances avaient pu moderniser leurs armées à outrance. Dans l'Armée Rouge et la nouvelle Wehrmacht, on retrouvera les mêmes armes modernes, supé-rieures à celles de tous leurs adver-saires.

L'élimination de Toukhatchevski

Hitler, en annulant les effets de l'article 198 du Traité de Versailles, se rendait parfaitement compte que la Reichswehr avait créé l'Armée Rouge de Staline. Comment ôter aux Sovié-tiques l'atout que les rela-tions privilégiées entre les deux armées leur avaient octroyés? Gordon Lang décrit le rôle de Heydrich: celui-ci avait pu observer les purges contre les trots-kistes et constater avec quelle rage paranoïaque Sta-line poursuivait et éliminait ses adversaires. Soup-çonneux à l'extrême, le dictateur géorgien pre-nait as-sez aisément pour argent comptant les bruits de com-plot, vrais ou imaginaires. Hey-drich en conclut qu'il suffisait de faire courir la rumeur que le Maréchal Toukhatchevski com-plotait contre Staline. Or une vieille haine cou-vait entre les deux hommes. Lors de l'offensive soviétique contre la Pologne en 1920, Toukhat-chevski marcha victorieusement sur Varsovie et donna l'ordre au deuxième corps d'armée sovié-tique, commandé par Vorochilov et Boudienny, de faire mouvement vers la capitale polonaise et de prendre en tenaille leur adversaire. Voro-chilov et Boudienny, sous l'impulsion de Sta-line, alors commissaire politique aux armées, refusèrent de suivre cet ordre et marchèrent sur Lemberg, capitale de la Gali-cie. Weygand, commandant en chef des troupes po-lonaises, s'engouffra dans la brèche et battit tour à tour les armées de Toukhatchevski et de Vorochi-lov, Boudienny et Staline. Toukhatchevski n'avait jamais raté l'occasion de rappeler cette gaffe monumentale de Staline. En fabriquant de faux documents accablants pour le Maréchal, Heydrich savait que Staline saute-rait sur l'occasion pour éliminer ce témoin génant de sa faute politique majeure. L'élimination de l'état-major soviétique réduisit l'Armée Rouge à l'im-puissance pendant plusieurs années. Parmi les res-capés des purges: Vorochilov et Bou-dienny...

Si Staline était indubitablement germanophile, Tou-khatchevski, contrairement à la plupart des trotskistes épurés ou dissidents, l'était aussi. Lang reproduit un document intéressant de 1935: les notes prises lors de l'entrée en fonc-tion du nouvel attaché militaire alle-mand en URSS, le Général Ernst-August Köstring. Ces notes révèlent la volonté de Toukhatchevski de s'en tenir aux principes de von Seeckt. En 1936, Toukhatchevski conseille au Ministre des Af-faires Etrangères roumain, Nikolae Titulescu de ne pas lier le destin de la Roumanie à la France et à la Grande-Bretagne, Etats vieux et usés, mais à l'Allemagne, Etat jeune et dynamique. Pourquoi Heydrich a-t-il contribué à liquider un militaire compétent, ami de son pays? Parce que la germanophilie de Toukhat-chevski n'était pas inconditionnelle, vu le pacte Anti-Komin-tern: le Maréchal avait organisé des ma-n¦uvres et des Kriegspiele,  dans lesquels l'Al-le-magne envahissait l'URSS et l'Armée Rouge orga-nisait la défense du territoire. Ce fait dément les ac-cusations d'espionnage au profit de l'Allemagne. Est-ce l'encouragement aux Rou-mains à s'aligner avec l'Allemagne qui a servi d'alibi aux épurateurs sta-liniens? En effet, une Rou-ma-nie sans garantie al-lemande aurait été une proie facile pour l'URSS qui voulait récupérer la Bessarabie...

Le premier volume du livre de Gordon Lang s'arrête sur l'épisode de l'élimination de Tou-khatchevski. Un autre historien, Karl Höffkes, dans

Deutsch-sowjetische Geheimverbindungen. Unveröffentliche diplomatische Depeschen zwischen Berlin und Moskau im Vorfeld des Zweiten Weltkriegs, Grabert Verlag, Tübingen, 1988, 298 S., DM 38,

présente tous les documents relatifs au pacte ger-mano-soviétique, signé le 23 août 1939.

Höffkes classe les documents par ordre chronolo-gique, ce qui permet de suivre l'évolution des événe-ments qui ont conduit au partage de la Pologne en septembre 1939. Il si-gnale aussi que, vu la participa-tion militaire ac-tive des Soviétiques au démembrement de la Pologne, à l'occupation des Pays Baltes et de la Bessarabie/Bukovine entre le 17 septembre 1939 et le 22 juin 1941, la culpabilité alle-man-de dans le déclen-chement de la seconde guerre mondiale ne saurait être exclusive, indé-pen-damment des raisons qui ont poussé les deux puissances à agir. Officiellement, les So-vié-ti-ques prétendent être rentrés en Pologne parce que l'Etat polonais avait cessé d'exister et que leur devoir était de protéger les populations ukrainiennes et biélorusses de Volhynie et de Galicie. Les Alliés avaient déclaré la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939 mais ne feront pas de même pour la Russie après le 17 sep-tembre. Dans la Pravda  du 29 no-vembre 1939, Staline lui-même justifie ses positions:
1. Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais ce sont la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne et ont donc pris sur elles la responsabilité de la guerre actuelle.
2. Après le déclenchement des hostilités, l'Allemagne a fait des propositions de paix à la France et à l'Angleterre et l'Union Soviétique a ouvertement soutenu ces propositions alle-man-des, parce qu'elle a cru et croit toujours qu'une fin rapide de la guerre améliorerait ra-dicale-ment le sort de tous les pays et de tous les peuples.
3. Les castes dominantes de France et d'Angle-terre ont rejeté de façon blessante les propo-sitions de paix allemandes et les efforts de l'U-nion Soviétique en vue de mettre rapidement fin à la guerre. Voilà les faits.

Les "protocoles secrets", niés par les Soviétiques

En annexe au texte officiel du Pacte germano-sovié-tique existaient des "protocoles secrets supplémen-taires", où les intentions les plus of-fensives des deux partenaires transparaissaient très clairement. Ces pro-tocoles n'ont pu être évoqués lors du Procès de Nu-remberg en 1946. L'avocat de Hess, le Dr. Seidl, re-çut l'inter-diction de lire le texte, sous pression du pro-cureur soviétique Rudenko. L'hebdomadaire lon-donien The Economist  s'insurgera contre cette attein-te aux droits de la défense, si fla-grante puis-que la te-neur des "protocoles secrets supplé-mentaires" avait pu être vérifiée dans les faits.

Dans les documents consignés dans le livre de Höffkes, nous avons repéré beaucoup de détails inté-ressants. Ainsi, dans le texte du protocole des conver-sations entre le Dr. Schnurre et le chargé d'affaires soviétique Astakhov, daté du 17 mai 1939, on ap-prend que l'Union Sovié-tique souhaitait que les accords commerciaux entre la Tchécoslovaquie et l'URSS demeurent tels quels sous le protectorat alle-mand, instauré après la disparition de la République tchécoslo-vaque. Il suffisait, disait Astakhov, de les re-conduire purement et simplement. L'élimination de la Tchécoslovaquie ne créait aucun problème entre le Reich et l'URSS (cf. Höffkes, doc. n°5).

Dans un rapport envoyé par l'ambassadeur al-lemand à Moscou, von der Schulenburg, au Se-crétaire d'Etat aux Affaires Etrangères von Weizsaecker (père de l'actuel Président de la RFA), daté du 22 mai 1939, on apprend les difficultés que rencontrent les Alliés à Moscou pour créer un gigantesque front anti-fasciste englobant l'URSS. Les Anglais hésitent à ga-rantir les frontières de l'URSS, de peur de pous-ser complète-ment les Japonais dans les bras des Allemands (doc. n°8).

Le document n°15, consistant en un rapport du sous-secrétaire Dr. Woermann à propos de ses conversa-tions avec l'envoyé bulgare Draganoff, daté du 15 juin 1939, nous apprend le rôle que joua ce diplomate bulgare dans la gestation du Pacte du 23 août. Draga-noff connaissait per-sonnellement Astakhov, lequel lui avait dit que l'URSS était sollicitée par deux straté-gies: l'une postulait l'alliance avec la France et l'Angle-terre, l'autre l'alliance avec l'Allemagne, indé-pendamment des idéologies communiste et na-tionale-socialiste. L'URSS choisirait l'Allema-gne sans hésiter si l'Allemagne décla-rait offi-ciellement qu'elle n'atta-querait pas la Russie ou si elle signait avec l'URSS un pacte de non-agression.

Pour les Soviétiques, l'URSS et le Reich s'opposent aux démocraties capitalistes

Le document n°24, un rapport de Schnurre sur ses conversations avec Astakhov et Babarine (Directeur de la représentation commerciale so-viétique à Berlin), témoigne des intentions so-viétiques à la date du 27 juillet 1939. Les Soviétiques souhaitent une reprise des relations économiques, politiques et culturelles avec le Reich. La presse des deux pays doit modérer ses propos, suggèrent les deux diplomates sovié-tiques, et ne pas publier d'articles offensants contre l'autre. L'Allemagne, l'Italie et l'URSS ont une chose en commun, malgré toutes les di-vergences idéolo-giques: l'hostilité aux démocraties capitalistes. De ce fait, l'URSS ne peut s'aligner sur les démocraties oc-cidentales. Asta-khov signale, rapporte Schnurre, que des pro-blèmes peuvent surgir du fait que l'Allemagne comme l'URSS considèrent que les Pays Baltes, la Finlande et la Roumanie appartiennent à leur sphère d'influence. Il peut ainsi apparaître que l'Allemagne cherche à utiliser ces petites puis-sances contre l'URSS, comme avait cherché à le faire la France, en créant le "cordon sanitaire" après Versailles.

Et Astakhov poursuit: l'Angleterre ne peut rien offrir de concret à la Russie; l'alliance germano-japonaise n'est pas dirigée contre la Russie; la question polo-naise, avec le corridor de Dantzig, finira par être ré-solue au bénéfice du Reich. Une inquiétude point tout de même chez Asta-khov: l'Allemagne hitlérienne se considère-t-elle comme l'héritière de l'Autriche en Eu-rope orientale, en d'autres mots, cherche-t-elle à in-clure dans sa sphère d'influence les pays gali-ciens et ukrainiens soumis jadis à la Double Monarchie austro-hongroise? L'objet du rapport de Schnurre contribua à dissiper des malenten-dus. Aujourd'hui, il nous ren-seigne admirable-ment non seulement sur les intentions sovié-tiques de l'été 1939 mais aussi sur les intérêts éternels de la Russie en Europe Orientale.

Le document n°28, un câble de Schulenburg au Mi-nistère des Affaires Etrangères (3 août 1939), révèle quelques réticences de Molotov: le pacte Anti-Ko-mintern n'est pas une simple façade comme on tente depuis quelques se-maines de le faire accroire tant du côté sovié-tique que du côté allemand. En effet, ce pacte a soutenu les projets agressifs du Japon à l'égard de l'URSS  ‹le Japon venait d'être battu aux confins de la Mandchourie par les troupes de Jou-kov‹  et l'Allemagne a appuyé le Japon, tout en re-fusant de participer à des conférences internationales si l'URSS y participait aussi, l'exemple le plus fla-grant étant Munich. Schu-lenburg rétorqua que l'URSS, en signant un traité avec la France en 1935, s'est laissée en-traîner dans des menées anti-alle-mandes et qu'en conséquence l'Allemagne a dû révi-ser certaines de ses positions, au départ russophiles.

Les positions de Ribbentrop et d'Oshima, ambas-sadeur du
Japon à Berlin

Le document n°33, un télégramme de von Rib-bentrop à Schulenburg daté du 14 août 1939, nous indique la position du Ministre des Af-faires Etrangères du Reich. Il n'y a pas de conflit d'intérêts entre l'URSS et le Reich sur la ligne reliant la Baltique à la Mer Noire; les di-vergences de vue dues aux idéologies ont certes engendré la méfiance réciproque, mais ce bal-last doit être progressivement éliminé car il ap-paraît de plus en plus évident, sur la scène in-ternationale, que les démocraties occidentales capitalistes sont égale-ment ennemies de l'Alle-magne nationale-socialiste et de la Russie stali-nienne. Si la Russie et l'Allemagne s'entre-dé-chirent, ce sera dans l'intérêt des démocra-ties occidentales: voilà ce qu'il faut éviter. Les me-nées bellicistes de l'Angleterre postulent un rè-glement ra-pide du contentieux germano-sovié-tique. Dans ce même télégramme, Ribbentrop suggère une visite per-sonnelle à Moscou.

Le document n°48, daté du 22 août 1939, la veille de la signature du Pacte, rend compte d'une conversation téléphonique entre Ribben-trop et l'ambassadeur du Japon, Oshima, sur les projets allemands et sovié-tiques. Outre que l'apparent changement d'attitude des Allemands risquait de choquer quelques milieux japonais, l'ambassadeur nippon émettait une seule réti-cence: l'URSS, rassurée en Europe, renforcerait sans doute son front extrême-oriental et rallu-merait le conflit sino-japonais pour en tirer toutes sortes de pro-fits. Quoi qu'il en soit, l'évolution dans cette di-rection était prévisible et comme le Japon ne souhaite pas réanimer le conflit qui venait de l'opposer à l'URSS, l'ambassadeur nippon rassure Ribbentrop: la position du Japon ne changera pas. L'ennemi n°1 du Japon comme de l'Allemagne était dé-sormais l'Angleterre: il fallait donc que les deux puissances du Pacte Anti-Komintern normali-sent leurs relations avec Moscou.

Les conversations entre Staline, Ribbentrop
et Molotov

Le document n°51 est mieux connu et consiste en un rapport du sous-secrétaire Hencke sur les conversa-tions entre Ribbentrop, Staline et Mo-lotov dans la nuit du 23 au 24 août 1939. Les trois hommes d'Etat pas-sèrent en revue l'état du monde. L'Allemagne offrait sa médiation pour aplanir les différends entre l'URSS et le Japon. Staline critiquait l'annexion de l'Albanie par l'Italie et craignait que Mussolini ne s'attaque à la Grèce. Ribbentrop répondit que Mussolini se félicitait du rapprochement entre Russes et Al-lemands. L'Allemagne souhaitait de bonnes re-lations avec la Turquie mais celle-ci avait ré-pondu en adhérant à la coalition anti-allemande, sans en informer le gouver-nement du Reich. Tous se plaignaient de l'attitude turque et évo-quaient les sommes d'argent versées par l'An-gleterre pour la propagande anti-allemande en Turquie. Quant à l'Angleterre, Ribbentrop se rendait compte qu'elle cherchait à troubler le rapprochement germano-russe et Staline consta-tait la faiblesse numé-rique de l'armée an-glaise, le tassement en importance de sa flotte et son manque d'aviateurs patentés. Mais Staline ajou-tait que malgré ses faiblesses, l'Angleterre pour-rait mener la guerre avec ruse et tenacité. Sta-line demanda à Ribbentrop ce qu'il pensait de l'armée française, très importante numéri-quement sur le pa-pier; l'Allemand répondit que les classes de recrues dans le Reich s'élevaient à une moyenne de 300.000 hommes, alors qu'el-les n'étaient que de quelque 150.000 hommes en France, vu le recul démogra-phique du pays. La ligne Siegfried (Westwall)  était cinq fois plus puissante que la ligne Maginot et, par con-séquent, toute attaque française contre l'Allema-gne serait vouée à l'échec.

Le document n°53 reproduit les fameux "pro-tocoles secrets supplémentaires", signés par Ribbentrop et Molotov, où Russes et Alle-mands se partagent l'Eu-rope Orientale en zones d'in-fluence (cf. la carte qui illustre cet article). Rappelons que le point 3 men-tionne l'intérêt soviétique pour la Bessarabie attribuée en 1918 à la Roumanie. L'Allemagne déclare se dés-intéresser de cette région.

L'avis de Mussolini

Le document n°55 est une lettre de Hitler adres-sée à Mussolini et datée du 25 août 1939. Hitler demande l'avis de Mussolini sur la situation nouvelle.
Le document n°56 reproduit la réponse du Duce, en-voyée le jour même. En voici le contenu intégral: "Führer, je réponds à votre lettre que vient de me remettre à l'instant l'ambassadeur von Mackensen. 1) En ce qui concerne l'accord avec la Russie, j'y sous-cris entièrement. Son Excellence Göring vous dira que je confirme les propos tenus lors des entre-tiens que j'ai eus avec lui en avril dernier: en l'occurence qu'un rapprochement entre l'Alle-magne et la Russie est nécessaire pour éviter l'encerclement par les dé-mocraties.
2) J'estime qu'il est utile de faire le nécessaire pour éviter une rupture ou un refroidissement avec le Ja-pon, à cause du nouveau rapproche-ment de celui-ci avec les Etats démocratiques qui en résulterait. Dans ce sens, j'ai envoyé un télégramme à Tokyo et il semble qu'après avoir surmonté l'effet de surprise, l'opinion publique japonaise adoptera une meilleure attitude psy-chologique.
3) L'accord de Moscou bloque la Roumanie et peut contribuer à faire changer la position de la Turquie, qui a accepté les prêts anglais, mais n'a pas encore signé d'alliance. Une nouvelle attitude de la Turquie ré-duirait à néant tous les plans stratégiques des Français et des Anglais en Méditerranée orientale.
4) Pour ce qui concerne la Pologne, je com-prends parfaitement l'attitude de l'Allemagne et admets le fait qu'une situation aussi tendue ne peut perdurer à l'infini.
5) Pour ce qui concerne l'attitude pratique de l'Italie en cas d'une action militaire, mon point de vue est le suivant:
Si l'Allemagne attaque la Pologne et que le conflit demeure localisé, l'Italie accordera à l'Allemagne toutes formes d'aide politique et économique.
Si l'Allemagne attaque et que les Alliés de la Pologne amorcent une contre-attaque contre l'Allemagne, je porte d'avance à votre connais-sance, qu'il me paraît opportun que je ne doive pas prendre moi-même l'initiative d'activités belligérantes, vu l'état actuel des préparatifs de guerre de l'Italie, dont nous vous avons tenus au courant régulièrement et à temps, vous, Füh-rer, ainsi que von Ribbentrop.
Mais notre intervention peut être immédiate si l'Alle-magne nous livre sans retard le matériel militaire et les matières premières nécessaires à contenir l'assaut que Français et Anglais diri-geront essentiel-lement contre nous.
Lors de notre rencontre, la guerre était prévue pour 1942; à ce moment-là j'aurais été prêt sur terre, sur mer et dans les airs selon les plans prévus.
Je suis en outre d'avis que les simples prépara-tifs mi-litaires, ceux déjà entamés et les autres, qui devront être commencés dans l'avenir en Europe et en Afri-que, immobiliseront d'impor-tantes forces fran-çaises et britanniques.
J'estime que c'est mon devoir inconditionnel, en tant qu'ami loyal, de vous dire toute la vérité et de vous avertir d'avance de la situation réelle: ne pas le faire aurait des conséquences dés-agréables pour nous tous. Voilà ma conception des choses et, puisque sous peu je devrai convoquer les plus hauts organes du régime, je vous prierais de me faire connaître la vôtre.
s. MUSSOLINI.

L'enquête de Höffkes ne reprend que des do-cuments datés entre le 17 avril 1939 et le 28 septembre 1939. Après cette date, Russes et Allemands collaborent étroitement pour réduire toute résistance polonaise au silence. Staline tente de réaliser sur le terrain la zone d'in-fluence qui lui a été octroyée le 23 août. La Fin-lande résiste héroïquement pendant la guerre d'hiver de 1939-40 et Staline doit se contenter de quelques lambeaux de territoires qui sont toutefois stratégique-ment importants. Dans le sillage de la campagne de France, il occupe les Pays Baltes, avec, en plus, une bande territo-riale de la Lithuanie, normalement attri-buée au Reich. Ensuite, il occupe la Bessarabie et la Bukovine, contre les accords qui le liaient à Hitler (1). A partir de ce moment, l'Allemagne devient réticente et la méfiance de Hitler à l'égard des "bolchéviques" ne cesse plus de croître. Le discours "anti-fasciste" est réinjecté dans les écoles de l'Armée Rouge. Staline en-courage les Yougoslaves à résister aux pres-sions allemandes; les Anglais lui suggèrent, contre sa promesse d'entrer en guerre à leurs côtés, la "direction des Balkans". Molotov en parle à Hitler et demande au Führer s'il est prêt à faire une concession équivalente. A partir de ce moment, Hitler envisage la guerre avec l'URSS. Le gouvernement yougoslave adhère à l'Axe puis est renversé par un putsch; Staline recon-naît le nouveau gouvernement et Hitler envahit la Yougoslavie. Les relations privilé-giées entre le Reich et l'URSS avaient cessé d'exister...

Les protocoles du
 9 novembre 1940

La dernière tentative allemande de mener une politique commune avec la Russie date du 9 novembre 1940. Molotov est à Berlin pour né-gocier. Il détient une position de force: l'URSS a reconstitué le territoire des tsars de 1914, Finlande exceptée. L'Allemagne n'a pas réussi à mettre l'Angleterre à genoux. Molotov exige dès lors les Dardanelles, la Bulgarie, la Rouma-nie, la Finlande, un accès à la Mer du Nord... Hitler rétorque en soumettant un plan de "coalition continentale euro-asiatique", inspiré du théoricien de la géopolitique, Haushofer. L'Allemagne et la Russie se partageraient la tâche: le Reich réorganiserait l'Europe tandis que la Russie recevrait en héritage une bonne part de l'Empire britannique en Asie. Staline domine-rait ainsi la Perse, l'Afghanistan et les Indes, tout en bénéficiant d'une immense façade maritime dans l'Océan Indien. Les protocoles du 9 novembre 1940 n'ont jamais été signés. Les Soviétiques ont toujours nié leur authenti-cité, comme ils ont nié l'authenticité des "protocoles secrets supplémentaires" du 23 août 1939.

Le texte de ces protocoles non signés, nous l'avons retrouvé dans le livre de Peter Kleist (Die euro-päische Tragödie,  Verlag K.W. Schütz KG, Pr. Oldendorf, 1971, 320 S.). Les trois pays de l'Axe suggéraient à l'URSS de participer à la construction de la paix, promet-taient de respecter les possessions soviétiques, de ne pas adhérer individuellement à une coali-tion qui serait dirigée contre l'une des quatre puissances signataires. La durée de cet accord serait de 10 ans. Dans le protocole secret n°1, soumis aux quatre puissances, l'Allemagne promettait de ne plus étendre sa puissance en Europe mais de faire valoir ses droits en Afrique centrale. L'Italie promettait de ne plus poser de revendications territoriales en Europe mais de concentrer sa pression en Afrique du Nord et du Nord-Est. Le Japon promettait que ses aspirations seraient circonscrites à l'espace extrême-oriental au Sud de l'archipel japonais. L'URSS devait promettre que ses aspirations d'expansion territoriale se porte-raient à l'avenir vers l'Océan Indien.

Un second protocole secret, devant être signé par les trois puissances européennes de la "quadripartite" en-visagée, prévoyait de dégager la Turquie de ses obligations à l'égard de la France et de l'Angleterre. Une offensive diplomatique dans ce sens devait être amorcée dans la loyauté, avec échanges d'information réci-proques. Les trois pays devaient viser à établir un accord avec la Turquie, respectant l'intégrité territo-riale turque. Un troisième point prévoyait le règlement de la navigation dans les détroits, impliquant une révision du statut de Montreux. L'URSS recevrait le droit de franchir les dé-troits, tandis que toutes les autres puissances, y compris l'Allemagne et l'Italie, renonceraient à ce droit, sauf bien sûr les autres Etats riverains de la Mer Noire. Les navires de commerce pourraient sans difficultés majeures continuer à fran-chir les détroits.

Les Soviétiques refusent de participer à la construction de la "Grande Eurasie"

Cette suggestion, pourtant pleine de sagesse, n'a pas été retenue par les Soviétiques, encore fas-cinés par la volonté séculaire des Tsars de contrôler tout l'espace orthodoxe du Sud-Est de l'Europe et de conquérir Constantinople. Le re-fus de participer à la construc-tion de la "Grande Eurasie" semble être corroboré par le témoi-gnage récent d'un officiel soviétique passé à l'Ouest, Viktor Souvorov (ou Suworow) (in Der Eisbrecher. Hitler in Stalins Kalkül,  Klett-Cotta, 1988, 420 S., DM 38). Pour le transfuge russe, le calcul de Staline a été le suivant: lais-ser les forces allemandes venir à bout de la France et de l'Angleterre, puis dicter des condi-tions énormes à l'Allemagne exsangue, de façon à la tenir totalement sous la coupe de la Russie. En cas de refus, les Armées Rouges envahi-raient l'Europe. Hitler aurait été conscient de ce projet et n'aurait jamais envisagé de conquérir un "espace vital" à l'Est, explique un autre his-torien, Max Klüver (in: Präventivschlag 1941. Zur Vorgeschichte des Rußland-Feldzuges,  Druffel Verlag, Leoni am Starnberger See, 1986-89 (2. Auflage), 359 S., DM 38). Son en-quête minu-tieuse retrace au jour le jour l'évolution de la situation en Europe depuis le 23 août: la dépendance de l'Allemagne vis-à-vis des matières premières russes, les plans colo-niaux du Reich après l'effondrement de la France, la création d'un foyer juif à Madagascar, le problème épineux de la Bukovine, l'offre de paix de Hitler à l'Angleterre, l'accord éco-nomique limité entre la Grande-Bretagne et l'URSS du 27 août 1940, l'arrivée de Eden sur la scène et l'amélioration des re-lations soviéto-britanniques, la nouvelle doctrine de l'Armée Rouge, l'arbitrage de Vienne réglant les pro-blèmes de frontières entre la Hongrie et la Roumanie, la pomme de discorde finlandaise, le refus de la part de Molotov d'accepter le proto-cole du 9 novembre 1940, la campagne des Balkans, le Traité soviéto-yougoslave du 5 avril 1941. Ce livre explique l'échec de l'accord d'août 1939 et révèle en fait que l'"Opération Barbarossa", déclenchée le 22 juin 1941, était une "guerre préventive". Nous y revien-drons.

Cette "guerre préventive" se déclenche donc le 22 juin 1941. Les Allemands avancent rapidement. Après quatre jours, toute la Lithuanie tombe entre leurs mains; vers la mi-juillet, ils sont aux portes de Leningrad. Le Reich se trouve désormais confronté à une mosaïque de peuples slaves et non slaves, aux frontières floues, disséminés sur un territoire immense, qu'il s'agit d'administrer, d'abord pour faciliter les opérations militaires, ensuite pour créer les bases d'un avenir non soviétique. Les avis divergeaient considérablement: les uns souhaitaient imposer un régime dur de type colonial dans l'espace balte, ukrainien, biélorusse, russe et caucasien; les autres estimaient qu'il fallait se mettre à l'écoute des aspirations des peuples occupant ces pays, canaliser ces aspirations au profit du reste de l'Europe et atteler leurs potentialités humaines et économiques à un grand projet d'avenir: l'espace indépendant de la Grande Europe, de l'Atlantique à l'Oural et au-delà. Le Professeur Alfred Schickel, Directeur de la "Zeitgeschichtliche Forschungsstelle"  d'Ingolstadt (Bavière), a exhumé six mémoranda du Prof. Theodor Oberländer, mobilisé pendant la guerre avec le grade de Capitaine (Hauptmann)  dans l'Abwehr. Oberlän-der était un adversaire résolu des plans de type co-lonial pour l'espace slave; professeur de sciences politi-ques et d'agronomie, il avait effectué plusieurs voyages dans le Caucase comme conseiller agricole à l'époque du tandem germano-soviétique sous Weimar, avant de devenir Doyen de l'Université de Prague en 1940.

Ami de Canaris, Oberländer fut, tout au long du conflit, un chaleureux partisan de la coopération entre les peuples de l'Est et l'Allemagne ainsi qu'un avocat passionné de la mise sur pied d'unités militaires composées de ressortissants des divers peuples d'URSS. Les éditions Mut (Asendorf) ont récemment publié les textes intégraux de ses six mémoranda sous le titre:

Theodor OBERLÄNDER, Der Osten und die Deutsche Wehrmacht. Sechs Denkschriften aus den Jahren 1941-43 gegen die NS-Kolonialthese, Mut Verlag (Postfach 1 - D-2811 Asendorf), Asendorf, 1987, 144 S., DM 18,80.

Le premier mémorandum (octobre 1941) concerne le Caucase, région bien connue du Professeur Oberländer. Outre une description géographique, ethnographique et historique de la région, le texte comporte
une esquisse des événements qui ont conduit à la bolchévisation du Caucase
et un plan suggéré aux nouvelles autorités allemandes.
Ce plan prévoit 1) un nouvel ordre agricole, comprenant un démantèlement des kolkhoses et adapté à chaque ethnie et à chaque type de culture ou d'élevage; 2) une administration autonome, gérée par des élites autochtones; 3) la liberté religieuse et culturelle, qui permettra d'enthousiasmer les Caucasiens pour l'idée d'une Europe continentale libre et indépendante. Oberländer souligne l'importance stratégique de la région, plaque tournante entre la plaine ukrainienne et les plateaux iranien et anatolien, surplombant les champs pétrolifères irakiens. Si le bloc continental européen doit voir le jour, il importe que le Caucase puisse y jouer un rôle capital et que les populations qui le composent se sentent intimement concernées par la création de la Nouvelle Europe et lui apportent la richesse de leur diversité culturelle et leur pétrole.

Le second mémorandum (28 octobre 1941) avait pour objet de donner des directives au haut commandement afin d'assurer l'approvisionnement des armées en marche et de garantir l'acquisition d'un maximum de surplus en substances alimentaires sur les terres ukrainiennes. Articulé en cinq volets, le texte décrit notamment l'atmosphère dans les villes et villages ukrainiens au moment de l'entrée des troupes allemandes; à l'Ouest de l'ancienne frontière polono-soviétique, les Allemands furent d'emblée reçus en libérateurs et l'on attendait d'eux qu'ils contribuent à réaliser les aspirations du nationalisme ukrainien. A l'Est de l'ancienne frontière, les Allemands rencontrèrent une population attentiste, inquiète, amortie par deux décennies de terreur communiste mais non directement hostile aux nouveaux occupants. Cette population était prête à accepter un régime d'occupation très dur car elle était parfaitement habituée à des traitements d'une incroyable rudesse.

Pour Oberländer, ce fatalisme ne devait pas induire les autorités allemandes à profiter de cette sinistre flexibilité mais au contraire à offrir généreusement des libertés afin de susciter les enthousiasmes. Le paysannat, qui n'avait pas oublié les rigueurs staliniennes de 1933, devait pouvoir espérer un régime plus favorable voire un avenir radieux, sur les terres les plus fertiles en blé d'Europe. Le gouvernement militaire devait dès lors prévoir la distribution de graines, le démantèlement graduel du système kolkhosien par l'octroi de primes à la production, éveiller l'initiative personnelle à tous les niveaux, engager des ingénieurs autochtones pour surveiller et maximiser la production, mettre sur pied une Croix-Rouge ukrainienne, offrir à l'Ukraine toute sa place dans la Nouvelle Europe à égalité avec les autres nations de l'Axe, recruter une police et une armée ukrainiennes. Pour parfaire cette politique, il importait d'éviter les bavures; en filigrane, on perçoit une dénonciation véhémente des erreurs psychologiques déjà commises par les militaires et les administrateurs allemands.

Le troisième mémorandum d'Oberländer (automne 1942) signale le phénomène des partisans à l'arrière des lignes allemandes. Les partisans sont peu nombreux, signale Oberländer; beaucoup d'entre eux ne sont pas des habitants de la région mais des troupes soviétiques parachutées. Mais la déception de certains Ukrainiens nationalistes, d'abord prêts à collaborer avec les Allemands contre les Staliniens, grossira indubitablement leurs rangs. En conséquence, il faut prévoir et favoriser une politique allant dans le sens des intérêts nationaux ukrainiens, créer les conditions d'un Etat ukrainien pleinement souverain. Le quatrième mémorandum formule les mêmes desiderata de manière quelque peu plus formelle.

Le cinquième mémorandum consiste en 24 thèses sur la situation militaire à la mi-mars 1943. Comme le signale les éditeurs, ces 24 thèses constituent une sévère critique de la politique menée par le gouvernement allemand dans les territoires occupés mais, vu la censure, contiennent des éléments de phraséologie nationale-socialiste, évoquant, entre autres, le "génie du Führer". Ce texte est d'une importance capitale: il révèle une vision grandiose du destin de l'Europe, quoiqu'encore marqué d'un catholicisme impérial que l'on retrouve chez Carl Schmitt. Oberländer part d'un éventail de faits historiques connus: les peuples dominants ont de tous temps fondé des Empires et assuré une paix intérieure aux territoires qu'ils dominaient.

Les événements de la guerre en cours prouvent que les techniques modernes, réduisant les pesanteurs du temps et de l'espace, ont rapproché les peuples et favorisé les projets d'unification européenne. Dans la thèse troisième, Oberländer pose l'équation "Allemagne (le Reich auquel il accorde une dimension spirituelle et non raciale) = Continent européen", exactement comme l'avaient propagée les théoriciens de la géopolitique Kjellén et Haushofer. "Thèse 3: L'Allemagne et son continent sont inséparables. Le moment est enfin venu, de transformer en réalité politique ces faits naturels, c'est-à-dire de créer le Großraum européen, sous la direction de l'Allemagne (Oberländer reprend ici le jargon national-socialiste). La situation qu'occupe l'Allemagne est défavorable en ceci: nous avons, en l'espace de très peu d'années  ‹donc simultanément si l'on veut parler en termes d'histoire‹   voulu parfaire deux tâches historiques s'excluant l'une l'autre sur le plan pratique: 1) Créer la Grande-Allemagne (Großdeutschland), ce qui a suscité la désapprobation de tous les peuples limitrophes, directement concernés, et la méfiance de bon nombre d'autres nations; 2) Parfaire l'unification européenne, tâche pour laquelle nous devons transformer les mêmes peuples hostiles en alliés et les gagner à notre cause. C'est pourquoi il est important de prendre systématiquement en compte tous les réflexes psychologiques, en tous les domaines de la politique européenne. Fuir cette tâche serait de la trahison; non seulement à l'endroit de l'Europe mais aussi à l'endroit de notre propre peuple. Car tout peuple appelé à exercer le leadership mais qui cherche à se soustraire à sa tâche, sombre dans l'insignifiance spirituelle et politique, comme le prouve l'exemple historique des Etats grecs de l'Antiquité".

Les points suivants du mémorandum d'Oberländer constituent un réquisitoire contre les diverses formes de matérialisme massificateur: l'Europe de l'avenir doit se baser sur des valeurs de personnalité collective, propres à chaque peuple. La garantie accordée à ces innombrables personnalités devait, pensait Oberländer, susciter une synergie à l'échelle continentale. Les pays "occupés" ne devaient plus être nommés de cette façon: il fallait systématiquement, surtout à l'Est, parler de "territoires libérés". Au centre de la problématique néo-européenne, Oberländer place la "question slave". C'est cette question qui a déclenché la première guerre mondiale. L'Allemagne doit apparaître comme la puissance libératrice des peuples slaves soumis à la Russie et/ou au bolchévisme, non comme une nouvelle puissance coloniale, comme la manipulatrice d'un nouveau knout. Les Slaves de l'Ouest et de l'Est doivent être mobilisés pour la construction de l'Europe Nouvelle, à l'instar des Bulgares, des Slovaques et des Croates. L'Europe ne peut se passer d'eux: ni sur le plan géopolitique-stratégique ni sur le plan économique (complémentarité des richesses minières et agricoles des pays slaves avec l'infrastructure industrielle de l'Europe occidentale).

Dans cette optique, Oberländer critique les thèses anti-slaves à connotations racistes: la composition ethnique des peuples russe, ukrainien et biélorusse englobe un solide pourcentage de "sang nordique", donc la thèse d'une radicale différence somatique entre Slaves et Germains ne tient pas debout. La question de l'accroissement du territoire national allemand, des zones de peuplement allemand, doit se résoudre raisonnablement, sans raidir l'ensemble des peuples slaves: Allemands et Ukrainiens doivent trouver un modus vivendi, peut-être au détriment de la Pologne.

Dans son sixième mémorandum (22 juin 1943), Oberländer précise sa pensée quant au grand-espace européen. La Petite-Europe, c'est-à-dire l'Europe sans l'espace slave, n'est qu'un appendice péninsulaire de la masse continentale asiatique, comparable à la Grèce au sein de l'Empire romain. Pour éviter cet handicap et pour inclure les potentialités des peuples slaves, ce qui signifie, du même coup, agrandir et consolider la charpente de la Grande Europe, l'Allemagne doit pratiquer une politique de la main tendue, favoriser des réformes agraires pour s'allier le paysannat ébranlé par le communisme, recréer des strates d'artisans indépendants dans la population, etc.

Les propositions d'Oberländer sont restées lettre morte. La disgrâce de Canaris provoqua son éclipse des rangs des décisionnaires allemands.

A l'heure de la perestroïka, des remaniements multiples en Europe centrale et orientale, à l'heure d'une volonté générale mais confuse de modernisation, de l'abandon des chimères étriquées et obsolètes du marxisme-léninisme, il importe de connaître tous les éléments des complicités et des inimitiés qui ont marqué l'histoire des peuples russe, allemand, polonais, balte, ukrainien, caucasien, etc. La construction d'un ensemble solide ne peut reposer sur les sables mouvants des proclamations idéologiques. L'histoire tragique, mouvementée, glorieuse ou sanglante, représente un socle de concrétude bien plus solide... Les amateurs de terribles simplifications, les spécialistes de l'arasement programmé de tous les souvenirs et de tous les réflexes naturels des peuples, partent perdants, sont condamnés à l'échec même s'ils mobilisent des moyens colossaux pour se hisser momentanément sous les feux de la rampe. Construire la "maison commune", c'est se mettre à l'écoute de l'histoire et non pas rêver à un quelconque monde sans heurts, à un paradis artificiel de gadgets éphémères. Les adeptes soft-idéologiques de la gorbimania tombent sans doute dans le panneau, mais au-delà des promesses roses-bonbon du gorbatchévisme, veillent les gardiens de la mémoire historique.

Luc NANNENS.
 

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mercredi, 31 janvier 2007

Mircea Eliade et la Garde de Fer

Mircea Eliade et la Garde de Fer

 

 

par Giovanni MONASTRA

 

 

Analyse:

 

Claudio MUTTI, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro,  Ed. All'Insegna del Veltro, Parma, 1989, 57 p., lire 8.000.

 

 

Au-delà des mythes de signes contraires qui cir­culent sur la Garde de Fer, au-delà des apologies ou des démonisations, on peut affirmer que le mou­vement de Codreanu était profondément lié à la culture et à l'âme de la Roumanie; tentant de se mettre au diapason de cette culture et de cette â­me, d'en épouser toute la complexité, cherchant à s'i­dentifier à elles, le mouvement de Codreanu lut­tait pour faire sortir la nation roumaine de son é­tat de décadence, de ces conditions d'existence ju­gées inférieures et propres aux pays balka­ni­ques marqués par l'esprit levantin. La Roumanie était sujette aux influences extérieures les plus dis­parates, qui aliénaient ses racines les plus an­ciennes, niées purement et simplement par une cer­taine culture de tendance «illuministe» qui s'in­crustait dans une société roumaine aux ré­fle­xes largement ruraux et intacts. L'action de la Gar­de de Fer, dans cette perspective, apparaît com­me une entreprise titanesque, parfois velléi­tai­re, vu la disproportion entre les forces en pré­sen­ce (les ennemis de la Garde de Fer détenaient le pouvoir absolu en Roumanie). Les légionnaires voulaient faire renaître leur peuple en très peu de temps, par le biais d'un activisme radical, portant sur de multiples niveaux: existentiel, éthique, spi­ri­tuel, où la politique n'était, finalement, qu'un ins­trument de surface, utilisé par une stratégie d'u­ne ampleur et d'une épaisseur bien plus vastes et profondes.

 

 

Dans les faits, la plupart des militants du mouve­ment s'exprimaient dans un style volontariste, en­tendaient témoigner de leur foi, faisaient montre d'un activisme fébrile, parfois aveuglé­ment a­gres­sif: lumières et ombres se superposent inévi­ta­blement dans le phénomène légionnaire. Cepen­dant, la force de ces militants profondé­ment sin­cè­res a attiré la sympathie des intellec­tuels atta­chés à la patrie roumaine, à sa culture nationale et populaire, à sa substance ethnique; parmi ces in­tel­lectuels: Mircea Eliade, un jeune chercheur, spé­cialisé dans l'histoire des religions et du fol­klore.

 

 

Stefan Viziru, est-il Mircea Eliade?

 

 

Récemment, la publication posthume en français et en anglais d'une partie des journaux d'Eliade a jeté une lumière nouvelle sur cette période et sur l'attitude du grand historien des religions. Clau­dio Mutti a analysé ces journaux, offrant à ses lecteurs, condensées en peu de pages, de nom­breu­ses informations inédites en Italie. Ce travail était nécessaire parce qu'en effet nous avons tou­jours été confrontés à une sorte de «trou noir» dans la vie d'Eliade, sciemment occulté par l'au­teur du Traité d'histoire des religions. Mutti, pour sa part, croit discerner les indices d'un en­ga­ge­ment dans l'un des romans d'Eliade, La forêt in­ter­dite,  aux accents largement autobiogra­phi­ques, qui se limite toutefois aux années 1936-1948.

 

 

Le protagoniste principal de l'intrigue du roman, Stefan Viziru, pourrait, d'après Mutti, dissimuler Eliade lui-même, mais sous un aspect qui, au pre­mier abord, n'est pas du tout crédible. Viziru, en effet, se manifeste dans le roman comme un an­ti­fasciste démocratique, bien éloigné des posi­tions de la Garde de Fer, mais qui est néanmoins arrêté pendant la répression anti-gardiste de 1938, parce qu'il a donné l'hospitalité à un légionnaire. Dans un tel contexte, Mutti estime très significatif le ju­gement exprimé par Viziru quand il s'adresse à un autre prisonnier de son camp d'internement: «Vous et votre mouvement accordez une trop gran­de importance à l'histoire, aux événements qui se passent autour de nous. La vie ne mérite­rait pas d'être vécue si, pour nous, hommes mo­dernes, elle ne se réduisait exclusivement qu'à l'histoire que nous faisons nous-mêmes. L'his­toi­re se déroule exclusivement dans le Temps, et, avec tout ce qu'il a de meilleur en lui, l'homme cherche à s'opposer au Temps [...]. C'est pour cette raison que je préfère la démocra­tie, parce qu'elle est anti-historique, je veux dire par là qu'el­le propose un idéal qui, dans une cer­taine me­sure, est abstrait, qui s'oppose au mo­ment de l'histoire». Sous bien des aspects, nous retrou­vons, dans ce jugement de Viziru, tout Eliade, a­vec son refus d'un devenir linéaire, ab­solu, quan­titatif, totalisant.

 

 

Justement, Mutti nie que l'identification Viziru-Eliade puisse être poussée au-delà d'une certaine limite. Pour appréhender la position réelle d'Elia­de vis-à-vis de la Garde de Fer  —on a af­firmé qu'il lui avait été totalement étranger—   il faut li­re le volume posthume de ses mémoires, concer­nant les années 1937-1960, où Eliade dé­ment ef­fectivement que le héros central de La fo­rêt in­terdite  est son alter ego, tout en donnant d'in­téressantes précisions pour comprendre quelles furent ses positions politiques et idéolo­giques à l'époque. Eliade nous livre en outre d'intéres­san­tes informations sur le climat qui rè­gnait en Rou­manie à la fin des années 30, au moment où le mouvement légionnaire connaissait un véritable triomphe. L'historien des religions nous décrit le sombre tableau des répressions gouvernementales contre la Garde de Fer: le roi et l'élite libérale-con­servatrice au pouvoir cher­chaient, par tous les moyens, à arrêter les progrès du mouvement lé­gion­naire. Pour éviter toute pro­vocation, Co­drea­nu avait choisi la voie de la non-violence, mais le gouvernement, vu l'insuccès électoral des listes qui le soutenaient et vu l'augmentation continue du prestige légionnaire  —comme l'écrit Eliade—  op­te pour le recours à la force: des milliers de mem­bres de la Garde de Fer furent emprisonnés, à la suite de procédures d'une brutalité inouïe, qui semblent propres aux gouvernants roumains de tou­tes tendances, comme l'a prouvé encore l'his­toire récente.

 

 

Mircea Eliade, assistant

 

de Nae Ionescu

 

 

Pendant la répression de 1938, plusieurs intellec­tuels qui avaient adhéré au mouvement de Co­drea­nu furent arrêtés, tandis que le Capitaine était assasiné, la même année, par des sicaires du ré­gime. Parmi les intellectuels embastillés, il y avait Nae Ionescu, un professeur d'université célèbre, dont Eliade était l'assistant. A propos de cette ar­restation, il écrit: «De manière directe ou indi­rec­te, nous étions tous, nous ses disciples et colla­borateurs, solidaires avec les conceptions et les choix politiques du professeur». Cette «syntonie» a duré  —même si Mario Bussagli a dissimulé une divergence de vue précoce entre les deux hom­mes—  car Eliade a prononcé le dis­cours fu­nèbre aux obsèques de son maître en 1940.

 

 

Au cours de la répression anti-gardiste, Eliade lui-même a été interné dans un camp de concen­tration, mais pour une période assez brève. Il re­fu­sa de signer une abjuration pré-rédigée du mou­ve­ment légionnaire, malgré les fortes pres­sions qui étaient exercées sur les prisonniers (et face aux­quelles un certain nombre d'entre eux cé­daient). Eliade affirme dans ses mémoires: «Je ju­geai qu'il était inconcevable de me dissocier de ma génération en plein milieu de la terreur, quand on poursuivait et persécutait des innocents». Une an­née auparavant, répondant à une question po­sée par le journal légionnaire Buna Vestire,  Elia­de avait déclaré: «Le monde entier se trouve au­jour­d'hui sous le signe de la révolution, mais, tan­dis que d'autres peuples vivent cette révolution au nom de la lutte des classes et du primat de l'é­conomie (communisme) ou de l'Etat (fascisme) ou de la race (hitlérisme), le mouvement légion­naire est né sous le signe de l'Archange Michel et vaincra par la grâce divine [...]. La révolution lé­gionnaire a pour fin suprême la rédemption du peu­ple». Dans cette phrase, transparait une adhé­sion au projet global de la Garde de Fer, qui n'est pas purement épidermique, de même qu'une men­talité bien différente de celle du personnage Stefan Viziru.

 

 

Après avoir consulté d'autres sources, Mutti sou­tient qu'Eliade a été candidat sur les listes électo­rales du parti de Codreanu et aurait été élu député peu avant la répression de 1938. Cette affirmation nous apparaît étrange, parce que si tel avait été le cas, si, effectivement, Eliade avait occupé un pos­te officiel et public, on l'aurait su depuis long­temps, sans même avoir eu besoin de recou­rir aux informations parues dans des publications jus­qu'ici méconnues et rédigées par des légion­nai­res en exil, publications auxquelles Mutti pou­vait accéder. Parmi les diverses mises au point pré­sentées dans ce petit volume, signalons la par­tie visant à démontrer qu'Eliade était antisémite, ce qui est un mensonge et ne peut servir qu'aux détracteurs fanatiques de sa pensée. Toutes cho­ses prises en considération, le travail de Mutti est équilibré quant au fond, en dépit de certains ex­traits qui idéalisent outrancièrement la Garde de Fer. Nous pouvons considérer que ce livre est une première contribution  —qu'il s'agira d'ap­pro­fondir—  à l'étude d'un segment de la vie d'E­liade, tenue par lui-même dans l'ombre, pour des raisons somme toute bien compréhensibles. D'un segment de vie étroitement lié à l'une des plus tragiques périodes de l'histoire roumaine.

 

 

Giovanni MONASTRA.

 

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Ph. Conrad sur la "reconquista"

Entretien avec l'historien PHILIPPE CONRAD sur la “Reconquista” espagnole

 

 

Q.: Qu'appelle-t-on “Reconquista”? Qu'en est-il du mythe et de la réalité pour l'histoire espagnole et européenne?

 

 

Ph.C.: Le terme n'apparaît pour la première fois qu'au XVIème siècle, dans le contexte bien précis de la lutte engagée entre Charles-Quint et les Ottomans, sur le front danubien comme en Méditerranée. Il désigne alors le conflit qui, pendant près de huit siècles a permis, avec des alternances de paroxysme et de relâchement, de libérer la péninsule ibérique de la domination musulmane qui s'y était imposée après la victoire remportée sur le roi wisigoth Roderic en 711, lors de la malheureuse bataille du rio Guadalete. Il est clair que les premiers “résistants” qui remportent, en 722 la “bataille” de Covadonga n'imaginent pas qu'ils sont les premiers acteurs d'une aussi vaste entreprise. Ce n'est qu'au cours des IXème et Xème siècles que les Chrétiens mozarabes, venus se réfugier dans les réduits chrétiens du nord de la péninsule, ont fourni à l'expansionnisme des jeunes principautés appelées à devenir les royaumes des Asturies, de Leon, de Castille, de Navarre et d'Aragon, les justifications religieuses de leur expansionnisme. A partir du XIème siècle, quand l'Islam andalou divisé se trouve en position de faiblesse, la croisade d'Espagne participe au grand mouvement d'expansion européenne et chrétienne des lendemains de l'an mil, un mouvement qui paraît ici irrésistible, une fois acquise, en 1085, la chute de Tolède. Mais l'irruption dans la péninsule des empires berbères, almoravide puis almohade, remet tout en question et maintient jusqu'au début du XIIIème siècle un certain équilibre des forces. La victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa, obtenue en 1212, prélude à la reconquête du Portugal, de Valence, de Cordoue et de Séville, réalisée avant le milieu du XIIIème siècle. Seul demeure le petit royaume nasride de Grenade, qui ne sera finalement reconquis par les Rois Catholiques qu'en 1492. L'expulsion des derniers Morisques, à partir de 1611, peut être considérée comme la dernière étape de cette Reconquista qui a vu finalement le reflux des forces musulmanes vers l'Afrique du Nord.

 

 

La prise de Grenade a été célébrée aussi bien à Rome qu'à Londres ou en France où elle est apparue comme une revanche, près de quarante ans après la prise de Constantinople par le sultan Mehmed II... Pour l'Europe, cette longue Histoire apparaît donc comme l'un des épisodes d'une lutte multiséculaire menée contre le péril musulman, qu'il soit arabe ou turc. D'un point de vue strictement espagnol, cette confrontation prolongée a contribué à donner à la société, spécialement en Castille, le royaume majeur qui se trouvait en première ligne, un caractère militaire et aristocratique qui va la marquer profondément. Une fois accompli le gigantesque effort qui aboutit à la prise de Grenade, les hidalgos de Castille et d'Extremadure mettront leur indomptable énergie et leur foi intense au service d'un autre grand projet, la Conquête des Indes occidentales, qui allait donner à l'Espagne le gigantesque Empire que l'on sait.

 

 

Q.: Que pensez-vous de l'“hispanité” de l'Islam andalou?

 

 

Ph.C: C'est la thèse célèbre défendue par Claudio Sanchez Albornoz dans son España, un enigma historico. Selon ce brillant médiéviste, l'Espagne, depuis les Ibères, aurait manifesté des caractères particuliers, exprimé un génie propre qui ont fait qu'elle a toujours absorbé et assimilé ses différents conquérants, Celtes, Romains, Wisigoths ou Arabes. Cet “espagnolisme géologique” a été vigoureusement attaqué par son principal adversaire, Americo Castro, qui a soutenu pour sa part que l'Espagne était née au Moyen Age, dans le creuset où se mêlent les éléments divers issus de ses trois religions, le christianisme, le judaïsme et l'Islam. On peut renvoyer dos à dos ces deux auteurs. Contrairement à ce que croyait Sanchez Albornoz, les travaux les plus récents ont montré que l'Espagne a été beaucoup plus “arabisée” qu'on ne l'a cru longtemps. Les musulmans d'al Andalus se sont sentis, à l'évidence, musulmans avant d'être espagnols et l'Espagne a été perçue avant tout comme une terre d'Islam. A l'inverse, on peut penser, contre Americo Castro, que c'est la Reconquista et l'adhésion militante à un catholicisme de combat qui ont fait, pour l'essentiel, l'identité profonde de l'Espagne. L'hidalguismo, le souci de la limpieza de sangre, un code d'honneur très particulier ne peuvent guère se concevoir en dehors du système de valeurs issu de la Reconquista qui apparaît, sur le long terme, comme un élément fondateur de l'“hispanité”, celle qui est honorée le 12 octobre, lors de la fête de la Race, qui commémore la découverte du Nouveau Monde par Colomb...

 

 

Q.: Pouvez-vous nous tracer un bilan rapide de l'occupation musulmane de l'Espagne? Peut-on parler de l'échec du multiculturalisme dans l'Europe chrétienne?

 

 

Ph.C.: Ce bilan présente des aspects incontestablement positifs, notamment la très belle floraison culturelle qui fait de la Cordoue du Xème siècle l'une des villes, avec Byzance et Bagdad, les plus évoluées du temps. A cette époque, l'Islam andalou a créé une civilisation autrement riche et raffinée que celle de l'Occident chrétien, qui n'entamera qu'au lendemain de l'an mil son irrésistible ascension. Le bilan est également positif, dans la mesure où, zone de combats, l'Espagne fut aussi, comme la Sicile, une région d'échanges culturels très intenses, notamment grâce aux écoles de traduction de Tolède qui mirent à la disposition de la Chrétienté occidentale les textes antiques dont bon nombre avaient été conservés et transmis par l'intermédiaire des musulmans. L'occupation musulmane a également façonné le paysage et déterminé les activités de certaines régions d'Espagne, des vegas  andalouses aux huertas  du Levant valencien. Pour le reste, parler de “multiculturalisme” au sens que certains donnent aujourd'hui à ce terme, n'a guère de signification, dans le contexte de l'époque considérée. Là où les musulmans s'imposent, les chrétiens mozarabes se retrouvent en position subordonnée, victimes de nombreuses vexations, soumis à un impôt spécial et tout simplement tolérés comme des dhimmis, des “protégés” qui forment par ailleurs un bétail (rafa)  très intéressant sur le plan fiscal. A l'inverse, quand les chrétiens vont l'emporter, les mudejares, devenus les morisques après 1492, n'auront finalement d'autre choix que la conversion  —à laquelle s'attacheront sincèrement les souverains catholiques—  ou l'exil. Des notions telles que celle de “tolérance” sont totalement anachroniques dans ce cas et il est tout aussi absurde de parler, à propos des Morisques, de “racisme d'Etat”, une simple et authentique conversion au christianisme suffisant à règler la question de l'assimilation...

 

 

Q.: L'installation incontrôlée sur le sol européen de minorités musulmanes ne peut-elle pas être considérée comme une revanche des vaincus de la Reconquista espagnole? Comme une Reconquista islamique?

 

 

Ph. C.: Il faut bien sûr se garder de tout anachronisme, mais il est évidemment tentant d'établir certains parallèles, dans le contexte actuel de revival  musulman. La première question qui s'est posée aux souverains espagnols au XVIème siècle, les Rois Catholiques, Charles Quint, Philippe II et enfin Philippe III, c'était de savoir si l'on pourrait “assimiler” par la catéchèse et la conversion les minorités religieuses. On sait comment l'Espagne catholique a répondu finalement sur ce point. Les conversions de Juifs et de musulmans ont été assez nombreuses mais une minorité a résisté jusqu'au bout et la seule solution qui apparut alors aux souverains fut l'expulsion. On peut se demander si, aujourd'hui, nos gouvernements “démocratiques” et “laiques”, tentés  —par faiblesse et sottise davantage que par conviction—  par le “multiculturalisme”, ne se font pas quelques illusions quant à la capacité qu'auraient les sociétés libérales européennes de la fin de notre siècle d'assimiler, sur la base d'une idéologie laïque et républicaine, des communautés étrangères cimentées par une foi solide, placées de plus  —du fait des mutations économiques en cours—  dans une situation sociale relativement marginale et peu décidées  —tout du moins pour une bonne partie d'entre elles—  à accepter les contraintes d'une laïcisation contradictoire avec certains choix fondamentaux d'une religion dont les caractéristiques ne relèvent pas seulement de la sphère de l'individualité et du privé mais correspondent à une vision globale de la vie sociale, à une anthropologie à beaucoup d'égards différente de celle qui caractérise les sociétés européennes.

 

 

Beaucoup d'immigrés de tradition musulmane franchiront le pas et s'intègreront sans doute au creuset européen mais cela implique certainement que soient remplies plusieurs conditions: l'importance démographique des populations concernées, la proximité culturelle, notamment linguistique, un contexte économique favorable, un étalement dans la durée qui soit raisonnable et ne donne pas aux populations “indigènes” d'Europe le sentiment d'une invasion en provenance du sud. Nous sommes loin du compte et les perspectives d'avenir peuvent justifier de grandes inquiétudes. Si l'on se replace dans la longue durée, la Méditerranée a été, depuis le VIIIème siècle, le lieu d'un affrontement perpétuel entre Musulmans et Chrétiens et ce face à face s'est étendu aux Balkans à partir du XIVème siècle, puis à la Mer Noire, au Caucase et à l'Asie centrale pour la Russie aux XVIIIème et XIXème siècles. Sur la défensive jusqu'au XIème siècle, la Chrétienté latine a desserré l'étau à parir des Croisades et porté l'offensive jusqu'en Terre Sainte avant de refouler définitivement l'Islam hors de la péninsule ibérique, du XIIIème au XVème siècles. A l'inverse, l'empire byzantin, ébranlé dès le XIème siècle par les Seldjoukides, succomba au XVème à la poussée ottomane. Engagée dès la fin du XVIIème siècle par l'Autriche, du XIXème par la Russie, accélérée par le soulèvement des peuples chrétiens orthodoxes des Balkans, la reconquête s'est poursuivie en cette direction jusqu'à la chute de l'Empire ottoman, alors que l'expansion coloniale francaise, anglaise ou italienne plaçait les pays musulmans en position de subordination durable.

 

 

Ruinée par la monstrueuse guerre de Trente Ans engagée en 1914, vaincue en 1945, l'Europe n'a pu maintenir l'hégémonie qui était la sienne au début du siècle ou après 1920 dans tout l'espace musulman. La décolonisation dans un premier temps, le réveil islamique dans un second, combinés avec un différentiel démographique et des inégalités économiques très lourdes ne peuvent qu'alimenter la volonté de revanche des peuples musulmans exaspérés par les injustices dont ils sont victimes, notamment au Proche-Orient du fait de la politique israëlo-américaine. On peut donc tout craindre dans cette perspective, car c'est l'Europe qui, par sa position géographique, se retrouve confrontée, pour l'essentiel, avec les redoutables défis qui se profilent au sud et au sud-est, des banlieues immigrées au corridor turc des balkans...

 

(Propos recueillis par Patrick CANAVAN)

 

 

Source: Philippe CONRAD, Histoire de la Reconquista, PUF, Coll. “Que sais-je?”, n°3287, 1998, ISBN 2-13-048597-9.

 

 

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mardi, 30 janvier 2007

Frédéric Guillaume II de Prusse: hédoniste tyrannique

Robert STEUCKERS :

 

Frédéric Guillaume II de Prusse ou l’hédoniste tyrannique

 

En hommage à Elfrieda Popelier et à son fils Dirk Vandenbosch, tous deux décédés et passionnés par l’histoire de Prusse

 

Le 25 septembre 1744 est la date de naissance du neveu de Frédéric II de Prusse, qui règnera sous le nom de Frédéric Guillaume II. De ce neveu, Frédéric II disait, avec le cynisme qui lui était coutumier : «Mon neveu va dilapider le trésor et les femelles règneront sur le royaume». Frédéric-Guillaume était effectivement un garçon totalement dépourvu de sérieux. Son oncle avait vu juste : dès son accession au trône en 1786,  les favoris et les maîtresses donnent le ton, les finances de l’Etat ne tardent pas à sombrer dans le rouge. La Prusse perd son redoutable appareil militaire, qu’elle ne peut plus financer dans de telles conditions, et ne peut pas faire face efficacement aux troupes jacobines qui ravagent les Pays-Bas et la Rhénanie. Avec une armée prussienne de facture frédéricienne intacte et des finances publiques solides, la sinistre farce parisienne de 1789 aurait été rapidement terminée et nous n’en supporterions plus les exécrables conséquences au quotidien, avec notre effroyable cortège de ministricules wallons qui  ne jurent que par les “valeurs” (?) de 1789 et qu’on imagine fort bien coiffés d’un bonnet phrygien, dont les affublait souvent, jadis, le coup de crayon de l’inoubliable Alidor, dessinateur de Pan puis de Père Ubu.

 

Les sergents de cette armée prussienne, si elle était restée intacte, auraient sifflé la fin de la récréation et remis les trublions au pas, de concert avec leurs homologues impériaux, croates,  wallons, autrichiens, dont nos magnifiques régiments de Ligne ou de Beaulieu. La piétaille jacobine aurait été balayée comme fétus de paille à Valmy et Paris serait tombé sans retard. L’incurie du neveu farfelu a rendu cette œuvre de salubrité continentale impossible. Nous en payons toujours les conséquences aujourd’hui, car l’Europe aurait été unie sans grandes effusions de sang et surtout sans l’intervention de l’Angleterre.  Celle-ci n’aurait jamais plus été capable de semer la discorde sur le continent.

Au moment de la paix de Bâle, en 1795, Frédéric Guillaume II renonce au profit de la France jacobine à la rive gauche du Rhin, ce qui constitue une trahison inouïe vis-à-vis du Saint-Empire et de son histoire car la maîtrise du bassin du Rhin constitue le socle géographique de l’impérialité romaine et germanique. C’est parce qu’il a réussi à maîtriser les bassins du Rhône et du Rhin que César a  donné son nom à  la fonction impériale. C’est parce qu’il maîtrise et le Rhin et le Rhône et le Danube (du moins  jusqu’à la plaine hongroise) qu’Othon I restaure l’impérialité en Europe, portée cette fois par l’ensemble  des peuples germaniques (et non plus seulement des Francs  comme du temps des Pipinnides, de Charlemagne et des Carolingiens). Renoncer au Rhin, c’est renoncer à la mission romaine des Germains, c’est nier la seule dynamique féconde de l’histoire européenne, sans laquelle l’Europe n’est plus l’Europe, mais un conglomérat amorphe de tribus indisciplinées, qui se suicident par leurs incessantes chamailleries.

Pour faire face aux critiques acerbes qui stigmatisaient l’intolérable laxisme de Frédéric Guillaume II, critiques qui regrettaient la Prusse spartiate de son oncle, le roi noceur et impolitique impose une censure très sévère, alors que Frédéric II, roi fort, capable de décisions justes et tranchées, était connu pour sa libéralité sur le plan des idées. On connaît d’ailleurs son amitié pour Voltaire. La leçon à tirer de ce règne calamiteux, c’est que les régimes laxistes sont souvent plus liberticides que les régimes quiritaires et virils. La censure sert à faire taire les critiques constructives, seules critiques pertinentes. Les régimes de démagogues véreux que nous subissons contrôlent bien davantage la presse, notamment en la subsidiant et en subsidiant les histrions de tous poils qui s’y produisent, que certains régimes réputés “autoritaires”.
(Robert STEUCKERS).

 

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lundi, 29 janvier 2007

Il principe Eugenio, eroe europeo

Gilberto Oneto:

Il principe Eugenio, un eroe europeo

 La cultura europea è da sempre oggetto di attacchi feroci di nemici che vogliono distruggerla. I suoi avversari sono interni ed esterni. Dentro c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non ama questa civiltà antica come il mondo e ricca di risorse spirituali e morali che sembrano inesauribili e che anche dopo periodi di prostrazione ritrovano ogni volta nuova energia. Fuori c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non sopporta la bellezza della nostra cultura, le nostre ricchezze e il nostro modo di vivere. Gli attacchi sono continui e negli ultimi secoli hanno assunto una ciclicità secolare. A cavallo fra il ’700 e l’800 è il giacobinismo a sovvertire dal suo stesso cuore la vecchia identità europea; esattamente un secolo dopo esso si evolve nella peste comunista che avvilisce e prostra gran parte del continente. Il nemico esterno più "fedele" e costante è l’Islam che da quattordici secoli aggredisce l’Europa da più parti e cerca di annientarne la grande civiltà. Alla fine del ’600 le sue orde sanguinarie sono arrivate fino al cuore pulsante dell’Europa più vera e assediano Vienna ma è ancora una volta a cavallo del secolo (esattamente trecento anni fa) che gli Europei ritrovano l’antico vigore dei padri e cominciano a ricacciarli verso le loro tane anatoliche, e l’artefice e il simbolo di quei giorni è un padano: il Principe Eugenio di Savoia. Oggi, a tre secoli da quegli avvenimenti, a due dalla rivoluzione giacobina e a uno da quella bolscevica, tutti questi nemici si ripresentano tutti assieme, con un nuovo compare: il mondialismo che ha posto il suo covo in America settentrionale e che da lì spinge i suoi tentacoli dappertutto utilizzando nella sua lotta contro l’Europa i suoi nemici di sempre, fatti uscire come zombies dai sepolcri in cui li avevano relegati la storia e la volontà dei nostri popoli. Oggi però gli schieramenti non sono più chiaramente delineati (con le insegne crociate da una parte e quelle islamiche dall’altra, con i rossi comunisti o i blu giacobini da una parte e i difensori bianchi delle libertà o gli insorgenti dall’altra): il nemico è fra di noi, è dentro di noi, controlla le nostre città, i nostri mezzi di comunicazione, le nostre scuole. Anche la Chiesa (che di questa difesa d’Europa è sempre stata uno dei più robusti baluardi) è disorientata e infiltrata; i Musulmani poi non sono dall’altra parte del muro o del fiume ma sono incistati nelle nostre case e nei nostri paesi. Sappiamo però (e per fortuna) che la vera forza delle tribù d’Europa viene fuori proprio quando il pericolo è massimo e quando tutto sembra perduto: è l’antico spirito di Salamina, di Teutoburgo, di Poitiers, di Lepanto e di Lipsia. Gli esempi e i riferimenti storici che ci possono dare coraggio e fiducia sono moltissimi ma uno più di tutti gli altri sembra essere particolarmente adatto ai giorni che stiamo vivendo. Eugenio di Savoia era nato a Parigi nel 1663, debole e malaticcio era stato avviato alla carriera ecclesiastica ma non ne voleva sapere. Appassionato di armi, si era presentato a Luigi XIV che lo aveva respinto dicendo che non aveva bisogno di "abatini". Si era allora rivolto agli Asburgo che gli avevano invece dato fiducia: come un altro grande padano, Raimondo Montecuccoli, diventerà uno dei migliori condottieri dell’armata imperiale impegnata contro i Turchi. L’Impero aveva appena respinto i Musulmani che, nel 1683, avevano assediato Vienna ma che continuavano a minacciare il cuore dell’Europa cristiana. Sotto gli ordini di Eugenio (diventato il leggendario Prinz Eugen) l’esercito cristiano batte i Turchi a Zenta l’11 settembre del 1697, a Peterwardein nel 1716 e a Belgrado nell’anno successivo. Nel 1706 era anche intervenuto a sostegno del cugino Amedeo II, spezzando l’assedio di Torino e mettendo in fuga i Francesi: un grande giorno per lui che si vendicava del disprezzo con cui i Francesi (amici dei Musulmani) l’avevano trattato e che contribuiva coi fratelli "bogianen" a salvare la sua Piccola Patria di origine. Il principe Eugenio era diventato (assieme alle navi veneziane) il vero protettore d’Europa dalle aggressioni turche (e dai tradimenti interni), era una sorta di reincarnazione di San Giorgio, difensore della Cristianità e patrono della Padania. Non potremmo oggi trovare un esempio più calzante. Figlio fedele delle Alpi padane (con lui c’erano sempre ufficiali e soldati arruolati nella Lombardia storica), al servizio dell’Impero asburgico (erede legittimo del più autentico spirito d’Europa, di Ambigato e di Carlo Magno), è stato il più audace e forte nemico delle orde islamiche che aggredivano l’antica terra dei padri. In questi tempi in cui la nostra Heimat padana e la grande patria europea sono ancora una volta assalite dagli Islamici, sono devastate da traditori e disfattisti, sono indebolite da mille cedimenti, e aggredite dal nuovo devastante potere mondialista, non potremmo trovare un riferimento più entusiasmante nella nostra lotta: il Principe Eugenio, piemontese e padano, fedele soldato dell’Austria e fiero nemico degli aggressori islamici. di Gilberto Oneto

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mercredi, 24 janvier 2007

Erich Wichman (fr.)

Sur l’itinéraire d’Erich Wichman (1890-1929)

 

Un isolé anarchisant de la “révolution conservatrice” néerlandaise

 

Frank Goovaerts

 

 

La gauche et la droite ne se combattent qu’en apparence.

En réalité, elles te combattent, toi!

(Erich Wichman).

 

http://es.geocities.com/sucellus24/3094.htm

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samedi, 20 janvier 2007

La Russie dans le débat politique berlinois

Robert STEUCKERS:
Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945
Conférence prononcée lors de l'Université d'été 2002 de "SYNERGIES EUROPEENNES", Basse-Saxe
http://www.voxnr.com/cc/d_allemagne/EpuEkVpuppOEopHamb.sh...

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vendredi, 19 janvier 2007

Citoyenneté roaime et "origo"

Citoyenneté romaine et "origo"

par Frédéric KISTERS

Suite à la guerre des alliés (81-89), la citoyen-neté fut octroyée aux hommes libres d'Italie. Apparut alors un problème épineux: le Ro-main était lié à deux droits, celui de la Cité aux sept collines et celui de son lieu d'origine (origo).  Les conflits d'autorité proliférèrent après les guerres d'Octave et d'Antoine dont l'Empire est issu. Le prince concéda la ci-toyenneté à ses vétérans, des provinciaux ou des "polis" pérégrines. Les nouveaux "Ro-mains" demeuraient citoyens de leurs com-mu-nautés d'origine mais, curieusement, étaient libérés de toutes obligations fiscales en-vers celles-ci comme envers Rome. Ainsi naquit une caste de privilégiés provinciaux qui accapara les magistratures rémunéra-toires; par exemple, en Cyrénaïque, deux-cent quinze "Romains" contrôlaient les tri-bunaux, se présentant tour à tour comme ju-ges, accusateurs ou témoins, selon l'affaire (1).

Comment se concilièrent les différentes cou-tumes de l'Empire? Pour répondre à cette ques-tion, nous effectuerons un petit périple his-toriographique de Mommsen à nos jours. L'extension de la citoyenneté romaine attei-gnit son optimum avec la constitution anti-nonienne de 212; nous évoquerons les rejail-lissements de ce texte.

A l'aurore fut Mommsen... Il y a un siècle, ce génie très, trop, systématique exposait sa théo-rie de l'origo  dans la troisième édition de son Rechtsstaat.  Selon lui, la citoyenneté ro-maine eut été incompatible avec toute autre. Le Carthaginois qui recevait le droit de cité romaine cessait par là même d'être Cartha-ginois. Inversément, un Romain n'obtenait pas une citoyenneté pérégrine sans qu'il ne per-dît la sienne. Auguste aurait par la suite rendu conciliable la citoyenneté ro-maine avec les autres droits de cité, qu'ils fussent latins, pérégrins ou autonomes. Ainsi, sous le prin-cipat, notre susdit Carthaginois aurait pu de-venir Romain tout en restant Carthaginois (2).

Depuis, les découvertes épigraphiques, papyrologiques ou archéologiques ont démenti la théorie de l'éminent historien allemand, qui, d'ailleurs, en ce cas précis, ne se basait sur nul document (il n'empêche que le Rechts-staat  reste, sur bien des points, un outil pré-cieux, un monument et non un céno-taphe; son raisonnement pêchait par son caractère universel et absolu; Mommsen pen-sait selon les catégories de son temps, qui sont encore souvent les nôtres); à son sens, la souve-raine-té était un concept totalitaire et, conséquem-ment, deux droits de cité (d'Etat) ne pouvaient que s'exclure, que l'un s'assujettissât à un au-tre, même aussi émi-nent que Rome, était impossible (3). Plus sou-vent qu'à leur tour, les historiens du XIXième siècle, et souvent les érudits plus proches de nous, sont restés interdits devant le portail de la pensée tudes-que!

La table de Rhosos nous a sauvegardé un tex-te qui octroyait à Seleukos, un général qui avait participé à toutes les campagnes d'Octa-ve, la citoyenneté romaines et quelques privi-lè-ges dont l'un concerne particulière-ment no-tre sujet: il aurait pu requérir, à son choix, devant un tribunal de sa nation, un tribunal romain ou le tribunal d'une ville libre. Le privilège (le choix de ses juges!) eût été exhorbitant s'il n'avait été limité: soit Seleukos ne le détenait que pour les litiges commis pen-dant son absence (durant une campagne militaire) soit il n'aurait été va-lable qu'à titre de défendeur. Il appert que notre général et ses descendants, pour trai-ner quelqu'un en justice, devaient s'adresser aux tribunaux lo-caux, donc malgré qu'ils devinssent cito-yens romains, ils demeuraient soumis aux lois nationales; au plus, dispo-saient-ils d'un re-cours devant les magistrats romains (4). De même, une ville, née et cons-tituée en dehors de l'orbe romaine, accédant au statut de mu-nicipe ou de colonie romaine, conservait sa cou-tume et ses cadres adminis-tratifs (5).

L'existence des divers droits locaux fut bien établie par Arango Ruiz, Taubenschlag et Schönbauer, quoique le premier considérât qu'ils ne subsistaient que par la grâce d'une "tolérance" romaine. Notre auteur, plus ju-riste qu'historien, commit les mêmes fautes que Mommsen; il considéra que l'Edit de Caracalla supprimait toutes les coutumes lo-ca-les (6). Or, une lettre de Gordien III, dé-cou-ver-te à Aphrodisias, donnerait raison à ses contradicteurs: l'empereur s'y référait aux se-natus-consultes et aux constitutions de ses prédécesseurs afin de donner aux cou-tumes locales la valeur de loi (7).

Taubenschlag a étudié le problème pour l'E-gypte, région où la documentation papyro-lo-gique abonde. Les citoyens romains sont gé-né-ralement cités dans les papyrus avec la mention de la tribu romaine à laquelle ils étaient rattachés (tout citoyen romain était d'of-fice rattaché à l'une des trente-cinq tribus romaines, même s'il habitait au fin fond de l'I-bérie ou de la Cappadoce). Un nouveau ci-toyen romain originaire d'Alexandrie se di-sait Alexandrinam civitatem romanam;  un Grec s'affirmait par exemple Hermopolites et Romaios.  L'empereur pouvait concéder la ci-toyenneté romaine mais nous ne connaissons aucun cas où il octroya le droit d'origo; com-me si la première dépendait de la souve-rai-ne-té éminente d'un demi-dieu et que la se-conde fût issue de la terre et du sang (8).

Autre preuve d'une matérialité incontestable (elle est en bronze!): la table de Banasa (Ma-roc), découverte en juillet 1957: 53 lignes cou-chées, d'une lecture certaine. La plaque, des-ti-née à l'affichage, concernait l'accès à la ci-to-yenneté romaine d'une famille berbère de la tribu des Zegrenses, les "Julianus". Nos nou-veaux citoyens, auparavant justiciables selon la coutume de leur tribu, traiteraient do-réna-vant leurs affaires, au privé comme au pénal, devant des magistrats romains. Ils auraient eu la capacité de tester, de recevoir des legs romains, d'acheter des terres dans l'ager pu-blicus.  Ils acquerraient une égalité formelle par rapport aux Romains de souche. Perdaient-ils pour autant leurs anciens droits? Non. Seston déduisit quatre consé-quences de ce texte:
1) Une loi garantissait l'existence des droits coutumiers; ils n'existaient donc pas, par le sim-ple effet de la tolérance romaine, comme l'affirmait un peu trop péremptoirement Aran-go Ruiz, qu'infirma par la suite le do-cu-ment d'Aphrodisias.

2) Le citoyen n'était pas nécessairement, com-me on l'a cru longtemps, le civis d'une cité puis-que nos Juliani étaient originaires d'une fa-mille de nomades ou de semi-no-mades.

3) Il n'existait pas de contradiction entre droit d'empire et droits locaux.

4) Le quatrième point nous amène à parler du fameux édit de Caracalla: sa clause de sau-vegarde était une garantie que rien ne serait changé pour le nouveau citoyen, en raison de sa nouvelle dignité (9).
 

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*  *


Du texte de la constitution antinoninienne, nous ne possédons qu'une laconique note d'Ul-pien: "Ceux qui vivent dans le monde ro-main ont été faits citoyens romains par une constitution de l'empereur antonin" (10)! Les chercheurs ont même hésité sur la datation du texte: été ou automne 213 pour Seston (11), entre mars et juillet 212 pour Follet (12). Longtemps, ils espérèrent posséder une copie qui eût été couchée, sur le Papyrus Giessen 40, document fameux qui suscita moultes interprétations et lectures (13); actuellement, si les érudits ne s'entendent pas sur la nature exacte du document (copie, préface, commen-taires,...), ils s'accordent toutefois pour dire qu'il ne s'agit pas du texte original de l'édit de Caracalla. Malgré cela, on peut aborder le document en tant que tel, comme source indi-recte. Jacques propose la formulation sui-vante du contenu du texte: "Je donne à tous les pérégrins qui sont dans le monde (oe-kou-mène) le droit de cité des Romains sans dé-tri-ment pour les droits de leurs commu-nautés, les déditices mis à part" (14).

Pour évaluer la portée de la décision de Cara-cal-la, il nous faudrait connaître le nombre d'esclaves et de déditices; le statut des pre-miers nous est connu, non leur nombre; celui des seconds est fort mystérieux. Les dé-ditices classiques étaient des esclaves flétris par une condamnation; même affranchis, la ci-to-yen-ne-té leur restait interdite. Les dédi-tices péré-grins étaient constitués par les peuples vain-cus (15); en Egypte, l'infâmie de leur con-di-tion était sanctionnée par un impôt supplémen-taire (16). Tout aussi inexplicable est la présence de pérégrins dans l'Empire après 212 (17).

Si une approche quantitative semble impos-si-ble, nous évaluons toutefois l'ampleur de la me-sure. Tout d'abord, nous sommes certains qu'elle eut des effets immédiats, par exemple, à Athènes, le nombre de nouveaux citoyens (que l'on repère facilement car ils prirent pres-que tous le nom de la gens Aurelia) sur les listes d'éphèbes augmentent de manière prodigieuse (18). Du reste, nous citerons Sher-win-White qui, selon nous, dans son sty-le romantique, exprima parfaitement la révo-lu-tion qu'occasionna l'édit de Caracalla: "L'em-pire serait agité de convulsions, brisé, ébranlé partiellement ou totalement, progres-sivement, mais il resterait quand même une conception de l'unité et de la grandeur de Ro-me, qui inspirerait les hommes à vouloir ras-sembler les morceaux. L'importance de Ca-ra-calla, c'est, qu'en complétant le proces-sus amorcé depuis un siècle, il hissa la maiestas populi Romani  sur la base la plus large qui soit. L'élément unificateur qui rap-prochait les constituants très divers de l'Empire, c'é-tait l'intérêt commun dans Rome; l'édit de Ca-racalla identifiait l'ensemble de la popu-lation de l'Empire à Rome et fournissait de la sorte le fondement juridique qui developpera ultérieurement l'idée de Romania. La chose pou-vait appa-raître malhabile à l'époque et sans doute un peu prématurée mais elle était incontesta-blement grandiose; son importance est appa-rue au moment des invasions, lors-que les habitants de l'Empire, voyant ce qui les diffé-renciaient des barbares, savaient qu'ils étaient les vrais Romani, et non seule-ment tels par simple courtoisie" (19).

Ici s'achève notre petit périple; nous osons croi-re que notre quête ne fut point divagation. L'existence de la double citoyenneté est bien établie; évidemment l'historien n'imagine pas avec exactitude comment les anciens vé-curent cette situation, écartelés entre une ci-to-yenneté romaine commune à presque tous les hommes libres, et une origo  qui les enra-cinait en leur terroir, en une culture natale. Pour la première, il aurait sacrifié sa vie, la se-conde dominait, envahissait sa vie quotidien-ne; pourtant, l'Empire était présent près de sa domus:  ses ma-gistrats es-sai-maient dans les provinces, l'armée gardait ses fron-tiè-res, la culture se diffusait au sein de la no-bi-litas.  Le sentiment de la différence, qu'é-vo-que Sherwin-White, fut admirablement ex-pri-mé dans les lettres de Sidoine-Apollinaire (20).
 

Frédéric KISTERS.

Notes:


(1) François JACQUES & John SCHEID, Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J. C. - 260 ap. J.C.), tome I, Les structures de l'Empire romain, Paris, PUF, 1990, pp. 211-212; F. DE VISSCHER, Les édits d'Auguste découverts à Cyrène, Paris, Les Belles Lettres, 1940.
(2) Theodor MOMMSEN, Le droit public romain, trad. de Paul Frédéric GIRARD, 3ième éd., Paris, Ernest Thorn, 1889, t. VI, 1, p. 145; t. VI, 2, pp. 265-268; t. VI, 2, pp. 329-332.
(3) F. DE VISSCHER, Le statut juridique des nou-veaux citoyens romains et l'inscription de Rhosos, in L'Antiquité classique, t. XIII, 1944, pp. 13-18; complète et précise dans F. DE VISSCHER, Les édits d'Auguste...,  op. cit., pp. 108-118.
(4) F. DE VISSCHER, Le statut juridique des nou-veaux citoyens romains et l'inscription de Rho-sos, in L'Antiquité classique, t. XIII, 1944, pp. 21-32 (restitution du texte); t. XIV, 1945, pp. 29-35 (nature et caractère du document; entre 34-36 ap. J.C.), pp. 35-48 (privilèges de Seleukos); pp. 49-59 (exploitation du document).
(5) F. DE VISSCHER, Le statut..., Ant. cl., op. cit., t. XIV, 1945, pp. 57-58. Voir aussi Dieter NÖRR, Imperium und Polis in der Hohen Prinzipatszeit, 2ième éd., Munich, Beck, 1969, pp. 123 (Mün-che-ner Beiträge zur Papyrusforschung und Antiken Rechtsgeschichte, Heft 50) qui se départit fort bien des concepts juridiques modernes.
(6) ARANGO-RUIZ, Storia del diritto romano, 7iè-me éd., Napoli, Dott. Eugenio Jovene, 1957, pp. 338-341 et notes ajoutées à la 7ième éd., pp. 424-427, dans laquelle il répond aux thèses de E. SCHÖN-BAUER, Deditizien, Doppelbürgerschaft und Per-so-na-li-tätsprinzip, in Journal of Juristic Papyrolo-gy, t. VI, 1952, 17 ff.; id., Rechtsentwicklung in der Kaiserzeit, in Journal of Juristic Papyrology, t. VII-VIII, 1954, 107 ff et 137 ff.; id., Municipia und Coloniae in der Prinzipatszeit, in Anzeiger der Österreichischen Akademie der Wissen-schaf--ten in Wien, Philos. Hist. Klasse, n°2, 1954, 34 ff.
(7) Erwin KENAN, Joyce REYNOLDS, A Letter of Gordian III from Aphrodisias in Caria, in Jour-nal of Roman Studies,  t. LIX, 1969, pp. 56-58.
(8) Raphaël TAUBENSCHLAG, The Law of Gre-co-Roman Egypt in the Light of the Papyri 332 BC - 640 AD, 2ième éd., Varsovie, Panswowe Wydaw-nic-two Naukowe, 1955, pp. 586-595, avec un abon-dant appareil critique, vieilli pour les tra-vaux mais non pour les papyrus.
(9) William SESTON, Maurice EUZENNAT, La citoyenneté romaine au temps de Marc-Aurèle et de Commodeet après la Tabula Banasitana, in Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, nov.-déc. 1961, pp. 317-321 et in Scripta varia. Mélanges d'histoire romaine, de droit, d'épigraphie et d'histoire du christianisme, Rome, Ecole française de Rome, 1980, pp. 77-84 (Coll. de l'Ecole française de Rome, 43).
La table comprend trois textes:
- Une lettre de Marc-Aurèle et Lucius Verus au procurateur de Maurétanie Tingitane, Coédius Ma-ximus en réponse à la demande du Zegrensis Julianus (168-169 ap. J.C.).
- Marc-Aurèle et Commode répondent à la requête d'Aurélius Julianus (sans doute fils de Julianus le Zegrensis) et écrivent au procureur Vallius Maximiamus. Le Berbère demandait la citoyen-neté pour lui-même, sa femme et ses enfants. L'Em-pereur demanda un complément d'in-for-ma-tion, entre autres choses, l'âge de l'éventuel béné-ficiaire (an 177).
- Extrait des régistres impériaux, douze signa-tures apposées au bas de l'acte (6 juillet 177).
- Un certain nombre d'éléments nouveaux furent apportés par A.N. SHERWIN-WHITE, The Ta-bula of Banasa and the Constitutio An-to-ni-nia-na, in Journal of Roman Studies, LXIII, 1973, pp. 86-98.
(10) Ulpien, Digeste,  1, 5, 17.
(11) William SESTON, Marius Maximus et la date de la Constitutio Antoniniana, in Mélanges d'archéologie, d'épigraphie, d'histoire, offerts à Jé-rôme Carcopino, Paris, 1966, pp. 877-888 ou Scripta Varia,  pp. 65-76.
(12) J. FOLLET, Athènes au IIième et au IIIième siècle. Etudes chronologiques et prosopogra-phi-ques, Paris, Les Belles Lettres, 1976, pp. 64-72.
(13) C. SASSE, Literaturberichte zur Constitutio Antoniniana, in Journal of Juristic Papyrology, t. 14, 1962, 109 ff; t. 15, 1965, 329 ff; a compté 90 études!
(14) F. JACQUES, J. SCHEID, op. cit., p. 284.
(15) GAIUS, Institutes, I, pp. 13-15.
(16) TAUBENSCHLAG, op. cit., p. 588.
(17) F. JACQUES, J. SCHEID, op. cit., p. 285.
(18) J. FOLLET, op. cit., pp. 63-107. Le nombre des Aurelii était infime avant 210-211; ils apparte-naient le plus souvent à quelques grandes fa-mil-les qui avaient acquis la citoyenneté romaine. Après 212, leur nombre s'accroît prodigieusement.
(19) SHERWIN-WHITE, The Roman Citizen-ship, Oxford, Clarendon Press, 1939, pp. 223-224. L'auteur a sorti une nouvelle édition; id., The Roman Citizenship,  2ième éd., Oxford, Claren-don Press, 1983; pour notre sujet, voir pp. 297-386.
(20) Sidoine Apollinaire, Epistolae et Carmina, éd. Chr. LUETJOHANN et corr. B. KRUSCH, Berlin, 1887 (MGH, Auctores antiquissimi, VIII). 
 

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J.J. Langendorf : Contre-Révolution

La lanterne magique de la contre-révolution 
(1789-1799)

par Jean-Jacques LANGENDORF

Comme tout mouvement engendre la chaleur, toute ré-volution engendre une contre-révolution, qui est à la fois réaction armée à ses actes et réponse "idéo-logique" à ses postulats (1).

Déjà face aux premiers tâtonnements "modérés" de la révolution française, les exigences d'une "contre-ré-volution pacifique"  (l'expression est de Barnave) se font jour. Dans ce stade initial de la fermentation, vécu par la plupart comme une étape correctrice et néces-saire des erreurs du passé, on commence à devenir contre-révolutionnaire, lentement, non sans hésita-tions. A de rares exceptions près (quelques grands aristocrates qui émigrent immédiatement au lendemain du 14 juillet 1789 ou quelques pamphlétaires, Mira-beau-Tonneau constituant le cas le plus marquant), il n'existe pas de contre-révolutionnaire suis generis.  On ne naît pas contre-révolutionnaire, on le devient. Tous ceux qui ne tarderont pas à s'ériger en féroces censeurs de la révo-lution passent d'abord par une phase d'approbation, qu'il s'agisse de Bonald, Maistre, Mal-let-Du Pan ou Gentz. Les motiva-tions qui poussent les uns et les autres à re-joindre la contre-ré-volution et à la servir par les armes ou par la plume sont variées, et elles ne procèdent que rarement d'une froide détermina-tion théorique a priori.  On rompt in-dividuelle-ment avec la Révolution en fonction de si-tuations précises qu'elles a engendrées, qu'il s'agisse d'un château brûlé, d'un parent assassiné, d'un privi-lège aboli, ou, collectivement, lorsqu'il s'agit de la suppression du satut quasi-millénaire du clergé ou, plus rationnellement, du refus total ou partiel des lois sécrétées par l'Assemblée na-tionale.

Et plus la Révolution dégénèrera, plus le refus se fera massif et global, les ralliements contre-révolution-naires ne se comptant plus sous la Terreur. Sans même tomber dans le paradoxe, on peut affirmer que tous ceux qui, en France, ont tra-versé la Révolution l'ont été, quelqu'ait été leur idéologie, contre-révolution-naire à un moment donné, objectivement ou subjectivement, car il est vrai qu'on est toujours le contre-ré-volution-naire de quelqu'un. Dans la nuit du 9 au 10 Thermidor 1794 Robespierre qui a la mâchoire fracas-sée par un coup de pistolet, agonise sur une table de l'Hôtel de Ville, aura tout le temps d'imaginer qu'il est la victime de la contre-révo-lution, alors que ceux qui s'apprêtent à le con-duire, avec ses amis, à la guillo-tine, sont con-vaincus qu'ils vont exécuter un dange-reux con-tre-révolutionnaire. D'ailleurs dans Paris une étrange rumeur circule alors: l'incorruptible au-rait eu l'intention de se faire couronner roi. Ultérieurement, sous la plume de gens aussi dif-férents que les Thermi-doriens, que les jacobins irréductibles, ou qu'un G. Babeuf, qui aimerait tant que la Révolution, qu'il conçoit angélique, n'ait pas été souillée par la Terreur, le terme contre-révolutionnaire est utilisé pour désigner tout ce qui s'oppose à sa propre idéologie.

Récemment, confrontés à cette inflation de contre-ré-volutionnaires, certains historiens ont voulu clarifier le concept et le restreindre en lui op-po-sant celui d'anti-révolution. A leurs yeux est an-ti-révolutionnaire celui qui, rallié à l'idée de pro-grès incluse dans celle de ré-volution, n'en ac-cep-te pourtant pas tous les aspects. C'est ainsi qu'on constate l'existence de couches po-pu-lai-res, paysans et  Lumpenproletariat  urbain (sur-tout dans le sud de la France) qui rejettent ponc-tuellement, mais violemment, certaines émana-tions de la révolution (2).

Dans cette nouvelle perspective historique, il serait par conséquent plus légitime de parler, globa-lement, de ré-sistances à la révolution que de contre-révolution (3).

Il ne peut être question, dans un article limité, d'aller plus avant dans ces subtilités d'école. Si l'on demeure sur le terrain classique, on peut dire qu'un contre-ré-volutionnaire est celui qui reste attaché à ce qu'il considère comme des condi-tions d'essence indispen-sables au fonction-ne-ment même de la société et de l'Etat: la monar-chie et l'Eglise, le trône et l'autel. A partir de là, il ne verra plus l'épisode révolutionnaire que com-me une parenthèse malheureuse qui doit être close (et qui peut l'être) le plus rapidement pos-sible afin de revenir au statu quo ante.  C'est en définitive sur cette notion de status quo ante  que les divergences entre les contre-révolutionnaires vont se manifester. Pour les uns, on recom-mence, comme si rien ne s'était produit, pour les autres au contraire, afin de prévenir la réappari-tion d'une nouvelle parenthèse révolution-naire, il s'agit d'introduire de très prudentes modifications, qui ouvriraient la porte à un "Ancien régime" certes restauré, mais également régénéré. Mais quoi qu'il en soit, l'idéal réformateur ne s'aventure pas au-delà des limites étroites d'un exécutif monarchiste tout puissant et d'une Eglise auxquelles les âmes doivent se soumettre impérativement. Ainsi circonscrite, la pen-sée contre-révolutionnaire peut varier à l'infini. Dans ses formes d'abord. C'est par milliers que l'on compte les libelles et pamphlets (souvent aussi brefs que mé-diocres) qui réagissent à chaud et épidermiquement aux événements révolutionnaires. Toutefois, nous re-levons aussi l'existence de toute une littérature qui veut, en utilisant les arguments de la philosophie, de la métaphysique ou de la théologie, démontrer l'inanité des thèses révolutionnaires.

Toutefois nous relevons aussi l'existence de toute une littérature qui veut, en utilisant les arguments de la philosophie, de la métaphysique ou de la théologie, démontrer l'inanité des thèses révolutionnaires. Et cette littérature souvent profonde et souveraine ‹nous son-geons à Bonald, Maistre, Rivarol ou Chateaubriand‹ si elle s'en prend à un événement inédit (la Révolution) s'inspire de motifs souvent préexistants, et procède soit d'une sensibilité d'Ancien régime, soit d'une cul-ture "médiévale". Nous voulons dire par là que les uns se réfèrent à une philosophie "moderne" de l'Abso-lutisme (telle qu'un Voltaire, par exemple, l'incarne), alors que d'autres au contraire, plus tournés vers l'an-cien droit de la France et vers ses institutions tra-di-tionnelles, considèrent la monarchie sous un angle organique. Et ce sont eux, en définitive, qui incarnent les authentiques réactionnaires.

Au départ la succession d'événements décousus et violents qui, à Paris et en Provence, se situent en amont et en aval de la prise de la Bastille sont perçus, même par les plus conservateurs, comme un orage ré-générateur. Travaillés par le déisme, le sensualisme, le matérialisme, abreuvés des leçons de l'Encyclopédie, saoûlés par les palabres de salon, énervés par la nou-velle littérature théâtrale ou romanesque (un Beaumar-chais et un Cho-derlos de Laclos sont les parfaits reflets de l'époque), les beaux esprits sont mûrs pour s'engager fort loin sur la voie de ce qu'ils imaginent être le renouveau. Il va de soi d'ailleurs que la situation matérielle du pays facilite cette effervescence: mauvais impôts, mauvaise gestion, pri-vilèges souvent ab-surdes, mauvaise organisa-tion, mauvaise politique in-térieure et étrangère, la liste est très longue. Mais en tout état de cause, rien, dans ce pays riche, prospère et hautement civilisé, ne justifiait le bouleversement san-glant qu'il allait connaître.

Toutefois la volonté des "philosophes" est implacable: "Du passé faisons table rase.". Au nom de la toute-puissante raison régénératrice, us, coutumes, croyances, traditions les plus vénérables sont traînées dans la boue et les bases du trône et de l'autel sont gri-gnotées par l'infatigable travail d'une armée de ron-geurs. Tout d'ailleurs se passe très vite. Il aura fallu moins de cin-quante ans, relève le royaliste Balzac, pour dé-truire le solide tissu français. Cette rapide dé-com-position est une source inépuisable d'étonnement pour l'historien contemporain. Elle s'explique en partie par une sorte de langueur qui s'est emparée des âmes et des esprits et que Taine, dans des pages admirables, met au compte de la "douceur de vivre". Le noble n'est plus qu'un petit maître, attaché par une chaîne d'or à la niche de Versailles, le prêtre, un abbé de salon qui fait profession d'athéisme et qui dissimule honteusement son crucifix sous son tablier ma-çonnique, le phi-lo-sophe un sophiste ingénieux dans le persiflage.
 

Les monarchiens et Stanislas de Clermont-Tonnerre

Les débuts de la Révolution voient émerger toute une couche d'esprits libéraux et éclairés qui jugent possible la mise en ¦uvre de vastes ré-formes sociales et fis-cales, dans le cadre de la monar-chie. Attachés au roi, anglophiles convaincus, défendant l'idée de la possibi-lité d'une Révo-lution modérée, ces "monarchiens" militent pour le bicaméralisme, la séparation des pou-voirs, tout en demeurant partisans d'un exécutif royal qui s'exprime par le droit de veto réservé au sou-verain. Mais devant l'impitoyable durcis-sement de la révolu-tion, leur désillusion ne cesse de s'accroître et bientôt, au lendemain du 6 oc-tobre 1789 (le roi est ramené à Paris par la popu-lace), les "idéologues" du mouve-ment, les Mounier, Malouet, Lally-Tolendal, exhaleront un "das haben wir nicht gewollt"  (nous n'avons pas vou-lu ça!), alors que tout déjà est con-sommé. Rien n'illustre peut-être mieux la trajec-toire pathétique des "monarchiens", engloutis dans la sanglante tempête révolutionnaire, que le destin et les errements ‹qui sont ceux de toute une époque et de toute une classe‹ de Stanislas Clermont-Tonnerre. Les fées se sont pen-chées sur son berceau. Filleul de la reine de France et du roi de Pologne, riche, beau, adulé, âme sen-sible, il flirte avec toutes les modes de l'époque. Franc-maçon, il admire les Encyclopédistes et Rousseau. Epris d'humanitarisme, il prend la dé-fense des protestants, des comédiens, des juifs etŠ du bourreau. Présidant pour un temps la Constituante, il participe allègrement, selon l'expres-sion de son biographe, "au suicide d'une élite". Après le 6 octobre ‹ce 6 octobre qui va mar-quer le passage des monarchiens à la contre-révolu-tion‹ il ouvre enfin les yeux, se lançant dans une at-taque de grand style contre la Déclaration des Droits de l'Homme et l'¦uvre de la Constitutante. Ayant pré-paré, plus par inconscience que par malignité, comme tant de ses emblables, le lit de la Révolution au nom de la liberté, il en arrive maintenant à écrire que "la liberté est l'unique cause des malheures publics". Mais l'éveil est trop tardif et l'incendie, qu'il a contribué à allumer, le dévore: il est massacré le 10 août. Plus chanceux, les autres grands noms monarchiens émigreront et, de leur exil, ils deviendront les plus zélés contempteurs de la révolution. Si nous avons mentionné ici Stanislas de Clermont-Tonnerre et les monarchiens, c'est parce que leur cas possède presque une valeur symbolique pour ce que l'on pourrait nommer "l'éveil paresseux" à la contre-révolution, un éveil à la fois tortueux et réticent qui, en passant d'un "oui, mais" à un "non, mais", fi-nit par aboutir à un non radicalŠ alors qu'il est trop tard.

C'est à d'autres, moins aveuglés par les illusions d'un possible "libéralisme" révolutionnaire, à des "gens simples et directs" serait-on tenté de dire, qui ne sont pas prisonniers d'un carcan idéologique que reviendra le mérite d'organiser la première résistance intransi-geante à la Révolution.
 

La ligue des ironistes

Avec Mirabeau-Tonneau  (le frère du tribun) (4), Peltier, Suleau, l'abbé Royou et le redoutable abbé Maury, à la carrure de lutteur, se constitue, d'une manière infor-melle, ce que l'on pourrait nommer "la ligue des iro-nistes". Théoriciens, ils ne le sont guère. Ils réagissent à chaud à l'évé-nement en maniant un humour assassin, ils fusti-gent de leur plume corrosive les hommes nou-veaux et leurs gesticulations intellectuelles, tout en se rangeant inconditionnellement derrière le roi. Leurs li-belles et journeaux à un sou, qui font pendant à la presse populaire révolutionnaire (L'Ami du Roi  de Royou sera interdit le même jour que L'Ami du Peuple  du pustuleux Marat) connaissent une grande diffusion, le plus brillant d'entre eux étant sans aucun doute Les Actes des Apôtres  de J.G. Peltier. Ces intrépides pamphlétaires ont compris que les révolutionnaires sont totalement dépourvus d'humour (une des premières mesures de l'Assemblée nationale n'a-t-elle pas été d'interdire le carnaval?) et que c'est sous cet angle-là qu'il faut les provoquer. Ils payeront d'ailleurs très cher cette opposition: une mort atroce pour Suleau, as-sassiné le 10 août, la mort par misère physiologique pour Royou, traqué part la police, l'exil pour Mira-beau-Tonneau, Maury et Peltier.
 

Le Groupe des Genevois

Mais assez rapidement la révolution engendrera un autre courant contre-révolutionnaire, représenté par ce que je nommerais le "groupe des Genevois" (F. d'Ivernois, F.-P. Pictet) que domi-ne de très haut la personnalité de J. Mallet-Du Pan. Ce dernier, fils d'un modeste pasteur, ne fai-sait pas partie du patriciat qui gouvernait la "Parvulissime" sous l'Ancien Régime. Libéral au départ, et ami des philosophes, il rejoint, au début de la Révolution, les "monarchiens" dont il de-vient le penseur attitré. Mais, tout en évoluant vers des positions plus extrêmes, il se met au service de la mo-narchie pour des missions se-crètes et est contraint d'émigrer en Suisse. Mal-let-Du Pan n'est ni un philo-sophe, ni un mé-taphysicien de la contre-révolution. Analyste aigu, il se révèle dans les Correspondances qu'il fournit à divers cours européennes, l'incomparable observateur de la situation et, contrairement à tant d'autres contre-révolution-naires, il ne se berce d'aucune illusion, en ce qui concerne le pou-voir de réaction de l'aristocratie et de l'émi-gration. Mais ce qui rend peut-être Mallet-Du Pan unique (avec Iver-nois, qui a vécu la même situation), c'est le fait que dans sa jeunesse, il a participé, mais cette fois de l'autre côté de la barricade, à la révolution genevoise de 1782 et qu'il a été contraint de fuir devant le triomphe de la contre-révolution. C'est dire qu'il connait à mer-veille, "de l'intérieur", les mécanismes de l'émeute et le caractère des hommes qui en sont le moteur. Contrairement à tant d'autres, il distingue le chemine-ment que prendra la Révolution. A ses yeux, le vide créé par la dis-parition de la monarchie a été successi-vement comblé par la bourgeoisie possédante, puis par la petite bour-geoisie, puis par les non-possédants, en-fin par les sans-culottes, chacune de ces classes ayant éliminé celle qui l'a précédée. Et à chaque éli-mi-nation, la violence monte d'un cran. Mallet-Du Pan est un des rares (avec Rivarol toutefois) qui discerne que tout cela doit logiquement aboutir à la "dictature du sabre".

Jusque-là en France, la contre-révolution théo-rique n'était guère sortie de la voie empirique, critiquant coup par coup les innovations des révolutionnaires. Ce fut là essentiellement la tâche des monarchiens, et de la droite parlementaire (S. de Girardin, Mathieu Dumas, Viennot-Vauban) qui combattent les décisions de la Constituante et de la Législative, attaquant, outre la Dé-claration des Droits de l'Homme et la constitution, leur po-litique religieuse, financière, sociale, militaire et étrangère. Mentionnons à ce titre les travaux, souvent fort techniques, d'un N. Bergasse, qui démontre l'inanité de la politique financière de l'Assemblée na-tionale.
 

Edmund Burke: premier grand théoricien anti-révolutionnaire

C'est d'Angleterre toutefois que viendra le véritable opus  de la contre-révolution. Le 29 novembre 1790, la traduction des Reflections on the Revolution in France  d'E. Burke est mise en vente à Paris, où elle connaît un succès foudroyant, qui s'explique par le fait que le public, confronté à cette vaste synthèse, a le sentiment d'enfin mieux comprendre ce qui lui arrive. En dépit de multiples défauts, l'ouvrage de l'Anglo-Irlandais propose une analyse des événements qui les domine de très haut. S'en prenant aux concepts abs-traits, donc stériles, mis en ¦uvre par les nouveaux philosophes de la raison, l'auteur démonte point par point les concepts de droit naturel, de liberté, égalité et fraternité, de sou-veraineté populaire, de démocratie, du bon-heur qui doit devenir le lot de tous.

Il est frappant de constater que la "grande critique" française ou francophone de la révolution se fera, elle, attendre quelques années encore et se manifestera, au fond, alors que tout est joué. Les Considérations sur la nature de la Révolution de France (Š)  de Mallet-Du Pan sont publiées en 1793, La défense de l'ordre so-cial contre les principes de la révolution française  de l'abbé Du--voisin en 1796 (et dans un tirage confidentiel), comme La Théorie du pouvoir politique et reli-gieux  de Bonald, et il faudra attendre 1797 pour pou-voir lire les Considérations sur la France  de Maistre, et 1798 l'Essai sur les révolutions  de Chateaubriand. En règle générale, on peut di-re que les contre-révolu-tionnaires fournis-saient avant Thermidor une ¦uvre de pamphlé-taires, et que c'est seulement après l'extinction de la terreur que leur critique "métaphysique" voit le jour, qui est précisément celle que la pos-térité retien-dra.
 

La contre-révolution dans ses grandes lignes théoriques

Il ne peut être question, dans le cadre restreint d'un ar-ticle, de passer systématiquement en revue la pensée des auteurs importants et d'en dresser une sorte de ca-talogue. Contentons-nous d'esquisser les grandes lignes qui reviennent à satiété chez tous les auteurs contre-révolution-naires.

1) La critique la plus générale et la plus répandue re-lève en premier lieu du simple bon sens et de l'évidence même: privée du trône et de l'autel, la France cesse d'exister, car ils lui sont, pourrait-on dire "consubstantiels". Il n'existe aucun contre-révolution-naire, "réactionnaire" ou "progres-siste", qui remette en question ce qui consti-tue une vérité intan-gible. Il en découle na-turel-lement qu'une partie im-portante de la littéra-ture contre-révolutionnaire est consacrée à la dé-fense et à l'illustration du roi, de sa famille et de l'E-glise opprimée.

2) L'idéologie, ou la philosohie, qu'invoque la révo-lution est ressentie comme abstraite et artificielle. Que signifient des notions aussi vagues que Liberté et Ega-lité? Où commencent-elles? Où finissent-elles? Il n'est pas vrai que les hommes soient nés libres et égaux. La liberté de l'assassin qui s'échappe de prison n'a rien de commun avec celle de l'honnête homme. Il n'existe au-cune véritable égalité entre un homme intelligent et un imbécile, entre un fort et un faible, entre celui qui est armé et celui qui ne l'est pas, entre l'enfant né dans un palais et celui né dans une chaumière. Proclamer la liberté ne revient pas à la réaliser et il ne suffit pas d'exprimer une idée pour qu'elle se mette à exister. Quant à la fra-ternité  ‹et la notion est déjà ambigue en soi puisqu'elle évoque le premier meurtre de l'his-toire humaine‹  elle relève du domaine de la sen-timentalité et ne possède aucun contenu réel. Les révolutionnaires se meuvent dans l'abstrait (5). Ils postulent la toute-puis-sance d'une raison (et d'une vertu) qui va bientôt re-vê-tir les formes les plus grotesques ou les plus tra-giques: assas-sinat du roi au nom de la raison, déclara-tion de guerre à l'Europe au nom de la raison, profa-na-tion des tombes royales au nom de la raison, dilapi-dation des biens nationaux au nom de la raison, terreur au nom de la raison, etc. Face à cette usurpation de la raison par la dé-raison, nombreux seront les théoriciens de la contre-révolution qui se considéreront, eux, comme les authentiques porte-paroles de la rai-son. Ils se vou-dront également les seuls véri-tables réalistes, détenteurs d'une somme d'expériences très anciennes et qui, à ce titre, ont pour devoir de lutter contre l'illusionnisme révo-lutionnaire, contre les fabriquants en gros d'utopies et contre les marchands de vertu.

3) La révolution croit au progrès: les révolutionnaires sont convaincus qu'ils sont en mesure de réaliser le bonheur et l'harmonie sur terre grâce à des moyens particuliers qui leur sont propres. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen constitue l'un de ceux-ci et ses articles sont censés baliser la voie qui conduit à la félicité universelle. Mais quoi qu'on en dise, il est impossible de bannir le malheur de la so-ciété et le bonheur ne peut être le résultat de décrets et de lois, ou de déclarations d'intention aussi creuses que bien intentionnées. L'évolution d'une humanité entachée par le péché originel ne se fait que dans des soubresauts tragiques, dans les larmes et dans le sang. Il ne suffit pas de ravaler la façade d'un antique édi-fice, bâti par des générations d'architec-tes et de ma-çons, pour modifier sa structure et ses dispositions. Dans le meilleur des cas la Révolution ne sera rien d'autre qu'un ba-digeon provisoire, dans le pire ses maladresses et son arbitraire infligeront des dommages irrépa-rables à la substance même de l'édifice.

4) La démocratie est une illusion. Comment croire que des millions d'hommes qui délèguent leur souverai-neté, leurs "droits" et leur portion du pouvoir à quelques centaines de députés se trouveront mieux re-présentés que par un monarque ‹et ses ministres‹ qui incarne depuis des siècles les aspirations orga-niques du pays et dont l'autorité n'est pas fondée sur une quelconque loi écrite (dans le sens que Condorcet donne à ce terme) mais sur la loi divine uniquement. La fragmentation des compétences et des volontés aboutit au nivellement ou, pire encore, à la dictature d'un parti et à l'arbitraire de la tyrannie. Et le fait de prendre une décision à la majorité ne signifie nullement que cette dernière soit bonne. L'arithmétique démocra-tique, la loi du nombre, n'est pas une valeur positive en soi. Au contraire, elle engendre la médio-crité, impose un lit de Procuste aux aspirations origi-nales. Si par le passé certains ont plaidé en faveur de la démo-cratie ‹Rousseau par exemple‹ c'est parce qu'ils ne l'ont considérée comme applicable qu'à de très petits Etats, comme la République de Genève.

Cette critique de la démocratie a conservé jusqu'à nos jours tout son poids et elle incarne peut-être l'héritage le plus vivant de la pensée contre-révolutionnaire.

5) Celui qui détruit l'ordre traditionnel (et organique), l'harmonie fondée en définitive sur et en Dieu, pro-voque la catastrophe. Dès le début de la Révolution, la plupart des contre-révolutionnai-res ont discerné qu'elle portait dans son sein ses futurs "dérapages", comme les nomment pudi-que-ment les historiens libéraux, et qu'elle finirait par engendrer une "catastrophe française" sui generis.  Ils reconnaissent d'ailleurs qu'il est dif-ficile de prendre la mesure de son ampleur, car par sa soudaineté et sa violence elle est, comme dit Burke, "étonnante". Plus la terreur s'étendra, et plus les contre-révolutionnaires se verront confirmés dans leur analyse.

6) Toutefois certains d'entre eux, comme Maistre, Mallet-Du Pan, Chateaubriand ou Gentz, jugeront que la Révolution possède une incomparable charge d'énergie et ils compren-dront qu'elle doit être mesurée à une aune nou-velle. Pour d'autres au contraire, l'arbitraire et la violence de la Révolution ne constituent qu'un boule-versement provisoire ‹et finalement positif‹ puisqu'il prépare une restauration régénératrice. C'est ainsi que les théocrates ou de nombreux cléricaux la considèrent comme un élément de la volonté divine, comme le châtiment nécessaire pour l'amollissement et les vices de l'Ancien Ré-gime. Lorsque l'orage aura pu-rifié l'atmos-phè-re, il sera alors possible de fonder une monarchie régénérée, de s'appuyer sur une nou-velle souve-raineté fortifiée et renforcée. C'est là, grosso mo-do, le point de vue de Maistre, alors que d'autres penseurs (Rivarol, Sénac de Meilhan) voient avant tout dans la Révolution un acte cruel et barbare qui a irrémédiablement mis fin à la "douceur de vivre" de l'Ancien Régime. Quant à Bonald ‹et c'est entre autres ce qui constitue l'originalité de sa position‹ il situe en dehors du projet divin la Révolution qui de-vient sinon un non-être, du moins une simple maladie.

7) Si la dégénérescence des m¦urs de la société fran-çaise en général et de la cour en particulier, ainsi que l'accumulation des abus, sont parfois mentionnés comme causes de la Révolution, il en est toutefois une autre qui est constamment évoquée. Inlassablement, les théoriciens de la contre-révolution soulignent le rôle destructeur exercé par ce qu'ils nomment "la secte", c'est-à-dire les philosophes. La machine rationaliste qui s'est mise en mouvement dans la première moitié du XVIIIe siècle, se propose de détruire le vieil esprit français et de saper les bases du trône et de l'autel. Cet hydre de la subversion possède mille têtes: le criticisme de Bayle, le sensualisme de Con-dillac, le naturalisme de Rousseau, l'ironie de Voltaire, la doctrine des phy-siocrates, le poison distillé par les palabres des salons, les malheureux exemples donnés depuis l'étranger par Frédéric de Prusse ou Joseph II. Le solide bon sens gaulois a été contaminé par tous ces raisonneurs et il est désormais incapable de résister à la contagion.

Certains contre-révolutionnaires iront encore plus loin et tenteront de déceler la cause des causes qui ont conduit à la catastrophe. Il y a ceux qui accusent le duc d'Orléans, Necker ou La Fayette, d'avoir travaillé à la ruine de la monarchie pour satisfaire leurs ambitions personnelles. Il y en a d'autres comme Barruel qui pensent que l'¦uvre de sape a été systématiquement organisée par les Francs-Maçons, les Illuminés, les protestants, voire les jansénistes ligués dans un gigan-tesque complot. Les plus radicaux croient même dis-cerner dans la Révolution proprement dite un épisode tardif et accessoire, tout ayant déjà été joué avec la ré-forme qui, en sapant l'unité de l'Eglise et l'autorité du pape, a facilité l'éclosion en Europe du libertinage et de la discorde. Sabatier de Castres fut le penseur contre-révolutionnaire qui développa cette thèse jusqu'à ses consé-quences ultimes. Selon lui, il faut rechercher l'origine de la révolution dans l'invention de la poudre, de l'im-primerie, dans les progrès de la médecine, etc. Il en découle que c'est déjà à la fin du Moyen Age qu'il aurait fallu qu'une pensée et une action contre-révolu-tionnaires se dévelopas-sent, afin de barrer la route aux fatales idées nouvelles.

8) Les contre-révolutionnaires se montrent allergiques à la rhétorique creuse de la Révolution. Leurs sar-casmes s'adressent au style ampoulé et prétentieux des décrets et des discours, au sentimentalisme des décla-rations théoriques, à la phra--séologie des tribuns qui puise ses ressources autant dans la grandiloquence à l'antique que dans les effusions rousseauistes. Pour eux, celui qui écrit mal, pense mal et ne peut donc pré-tendre être le créateur d'une société nouvelle. Il serait d'ailleurs possible de constituer une anthologie de la contre-révolution uniquement avec des tex-tes révolu-tionnaires qui offrent tant d'exem-ples de délire verbal et d'incontinence stylistique.

9) Il ne faudra toutefois pas conclure des points sus-mentionnés que la pensée contre-révolutionnaire se cantonna uniquement dans la critique, le sarcasme, ou dans une vision restaurative plus ou moins absolue. P.-H. Beik (6) a eu le mérite de montrer, en son temps, que les contre-révolutionnaires surent répondre égale-ment au défi révolutionnaire par des propositions de ré-formes sociales ou politiques souvent originales (7). Dans cette perspective, la réflexion du Comte de Montlosier, par exemple, revêt une importance par-ticu-lière.
 

L'Europe élabore la réponse théorique à la Révolution Française

Très vite, la Révolution, idéologiquement et matériel-lement, se proclame conquérante et prétend faire "souf-fler le vent de la liberté sur l'univers entier", comme elle l'annonce dans sa logomachie. Devant ses menaces, l'Europe organise sa défense et met sur pied sa réponse. Parmi les ténors de la contre-révolution ce sont  ‹Bonald et Chateaubriand exceptés‹  des non-Français qui donneront le ton: l'Anglais Burke, le Sardo-Piémontais Maistre, le Genevois Mallet-Du Pan, le Prussien Gentz, les Hannovriens Rehberg et Bran-des ou, avec une ¦uvre rédigée en latin, Braschi, le pape Pie VI. Il va sans dire que la réaction à la Ré-volution se teinte là de sensibilités, et de préoccupa-tions, nationales. Dans les Etats allemands, on dis-tingue diverses attitudes: il y a ceux qui, séduits au dé-but, se détourneront avec horreur des excès de la Ré-volution terroriste. C'est, par exemple, le cas d'un Schiller. Il y a également ceux qui, abominant le dés-ordre et la canaille, contemplent l'événement avec une distance et un mépris aristocratiques: c'est le cas de Goethe. Notons aussi l'existence d'une tendan-ce for-tement représentée: les amis de l'Aufklärung  qui finis-sent par condamner les glissements de la Révolution comme contraire aux exigences de la raison. C'est le cas, en Autriche, de J. von Sonnenfels, ou en Alle-magne de J.L. Ewald. Les critiques d'un Rehberg et d'un Brandes, qui subissent l'influence de Burke, possèdent par contre une toute autre di-mension. Dans ses Untersuchungen über die französische Revolution  (1793) (en fait un re-cueil de recensions), Rehberg ex-pose que le des-tin de l'homme, produit d'une histoire complexe, ne peut être arbitrairement et violemment modi-fié. On ne peut lui imposer une constitution artifi-cielle et il est impossible de remplacer, du jour au lendemain, dans un tour de passe-passe, l'édifice des va-leurs traditionnelles par une "déclaration des Droits de l'Homme" surgie du néant. Rien ne fonde en droit la "volonté du peuple" et la bourgeoisie a commis une er-reur fatale en s'agenouillant devant la canaille. En même temps il soumet la "revo-lutiomania" des Alle-mands à une critique impi-toyable, ce qui va lui attirer les foudres des "es-prits avancés", Fichte en tête. Quant à son dios-cure Brandes, il est, après avoir défendu des po-sitions "monarchiennes", obligé de reconnaître ‹d'un c¦ur lourd, il est vrai‹ que chaque pas fait "en avant" par la Révolution, ne signife en réalité qu'un faux progrès, un retour vers la barbarie.

Mais il existe aussi une catégorie d'auteurs qui ont été encore plus incisifs dans leur critique de la Révolution qu'ils éprouvent directement comme une manifestation du mal absolu, comme une rupture de l'ordre divin, comme une souil-lure in-fligée à l'harmonie mystique de l'univers: c'est le cas d'un Jung-Stilling, d'un Mathias Claudius et, plus tardivement, d'un Novalis (8).

Comme en France, on assistera en Allemagne à l'éclosion de toute une "littérature de combat" aux prétentions parfois humoristiques, dont souvent les clubistes de Mayence font les frais. Parallèlement on observe aussi la naissance d'une pres-se contre-révolu-tionnaire dont émerge le remarquable Revolutions-Al-manach  de Reichard ou, pour l'Autriche, le Wiener Zeitschrift  de A. Hoffmann qui, corrosif et sarcas-tique, s'inspire des Actes des Apôtres  de J.G. Peltier.

C'est toutefois à F. von Gentz que revient la palme du "grand penseur allemand de la contre-révolution". La lecture de Burke lui ouvre les yeux sur la vraie nature de la Révolution, qu'il avait jugée favorablement dans ses premiers moments. Traducteur inspiré de Burke, de Mallet-Du Pan, et d'autres encore, il pourvoit ses traductions d'abondantes annexes et notes, qui finis-sent par constituer une ¦uvre en soi. Comme Mallet-Du Pan, Gentz est un réaliste implacable qui ne se berce d'aucune illusion et ne fait intervenir dans sa ré-flexion ni considérations morales, ni larmoiements humanitaires. La Révolution est puissante, il s'agit de la combattre et de la détruire afin de rétablir l'équilibre euro-péen. Toutefois les cours continentales auraient tort de surestimer leurs forces. Seule une inter-vention armée de l'Angleterre pourra modifier le cours des choses. Dans cette perspective, Gentz est un des rares écrivains contre-révolutionnaires qui, dans son ¦uvre, concède une place centrale à la réflexion militaire.

La Suisse, avec ses treize républiques oligarchiques, joue un rôle important dans le combat contre la Révo-lution, tant sur le plan de l'accueil fait aux émigrés que sur celui de la propagation des idées contre-révolution-naires. Les Suisses, qui s'estiment détenteurs du seul auhentique républicanisme, se détournent avec horreur de l'expérience française, à leurs yeux pervertie et caricaturale. Le massacre de leurs compatriotes à Paris, le 10 août 1792, les touchera au plus profond d'eux-mêmes et suscitera un flot de pamphlets et de libelles contre-révolutionnaires. Il faudra tou-tefois attendre la Restauration pour que la Suisse, avec le "Bonald ber-nois", C.L. von Haller, pro-duise un penseur contre-révolution-naire et réac-tionnaire de premier plan. Il convient aussi de relever le rôle joué à Neuchâtel  ‹alors prin-ci-pau-té prussienne‹  par L. Fauche-Borel, "l'im-primeur de la contre-révolution" qui publie, avec des lieux d'édition fictifs, une quantité con-si-dérable d'ouvrages importants, dont les Consi-dérations  de Maistre.

Dans les Etats de l'Eglise, qui ouvrent toutes grandes leurs frontières aux émigrés ecclésiastiques, on relève également une très vive activité intellectuelle, les thèses conspiratives de l'abbé Barruel étant reprises à satiété par les publicistes en soutane. Le pape Pie VI est peut-être le plus convaincant d'entre eux. Non content de dénoncer l'hérésie révolutionnaire dans son bref Aliquantum,  il en démonte aussi fort adroitement le mé-canisme philosophique (9).

Ce rapide et schématique tour d'horizon n'a eu pour propos que de démontrer l'ampleur prise par la ré-flexion contre-révolutionnaire dans la dé-cennie 1789-1799. On a toutefois le sentiment que la moisson fut, sur le moment, presque trop abondante pour avoir été complètement engrangée. En effet, il faudra attendre l'ère restaurative (et même au-delà), pour qu'une partie des idées contre-révolutionnaires, dans la mesure où elles esquissent les contours d'une philosophie de la réaction, portent leurs fruits.

Toutefois tous ceux qui ont ardemment lutté pour le relèvement du trône et de l'autel auront, au lendemain de 1815, de bonnes raisons de ressentir une certaine amertume, car la parenthèse révolutionnaire n'a pas été vraiment refermée comme ils l'auraient souhaité et même, aux yeux de beaucoup, n'a pas été refermée du tout. Les uns déplorent que l'inimitable douceur de vivre de l'Ancien Régime se soit irrémédiablement évaporée, alors que d'autres expriment des regrets plus concrets: ils ne retrouvent plus leurs biens et leurs pri-vilèges et, pour les prêtres, leur Eglise ne sera plus ja-mais ce qu'elle
 

Que deviennent les contre-révolutionnaires sous la Restauration?

Mais il y a pire encore: si les contre-révolutionnaires retrouvent leur roi, ils doivent en même temps s'accomoder d'une constitution. Ce qui est fondamen-talement en cause, toutefois, c'est l'écou-lement, le cruel écoulement du temps, qui ne peut plus être re-monté, c'est ce quart de siècle évanoui qui a vu l'avènement d'une république, la persécution du clergé et de la noblesse, la terreur avec ses massacres (en soi parfaitement démocratique car dirigée contre tous), l'assassinat d'un roi et d'une reine, la poursuite de guerres incessantes et, enfin, l'avènement d'un des plus singuliers empereurs de l'histoire et de l'hu-manité. Si restaurer la monarchie s'est avéré possible, il s'est par contre avéré impos-sible de faire rétrograder les aiguilles du temps, et les contre-ré-volu-tionnaires en prendront cruellement cons-cience lors de la seconde Restauration. D'ail-leurs, progressivement, la pensée contre-révolu-tionnaire de restauratrice de-viendra prophylacti-que: il ne faut pas que la ca-tastrophe révolution-naire puisse se reproduire et c'est à cette tâche dorénavant qu'un Bonald ou Maistre, devenus ministres en leurs royaumes respectifs, ou un Gentz conseiller de Metternich, s'attèleront. C'est alors que de contre-révolutionnaire leur pen-sée devient, à pro-prement parler, réaction-naire puisque l'objet qu'elle se proposait de com-battre, la révolution, a (momentanément) disparu (10).

L. Hampson compare la Révolution à un autobus dans lequel beaucoup de monde est monté, et beaucoup des-cendu (11). On peut en dire autant des contre-ré-volutionnaires. Sous le Consulat, et surtout sous l'Empire, les défections sont massives, et même un Bonald finira par se rallier. Voilà qui démontre que dès le début du XIXe siècle la contre-révolution n'est plus assurée du bien-fondé absolu de ses exigences et que la revendication de restauration sine qua non  de la mo-narchie s'estompe devant le désir d'ordre, de prospé-rité et devant le mirage impérial. Alors qu'aux yeux des Anglais (qui ont très largement accueilli les contre-ré-volutionnaires pourchassés) le général Bonaparte res-tera jusqu'à sa mort le gé-néral Bonaparte, et l'implacable continuateur de la révolution qui ne s'arrête pour eux, qu'à Waterloo, les contre-révolu-tionnaires théoriciens et practiciens français viennent se blottir au pied du nouveau trône, l'abeille valant dès lors bien le lys, à leurs yeux. Dans une doctrine qui a haussé la fidélité au niveau d'un véritable dogme, une infidélité aussi massive peut surprendre. C'est pour-quoi il convient de saluer la constance d'un J.G. Peltier qui, dès le premier jour de la Révo-lution, resta in-ébranlablement fidèle à ses idéaux contre-révolution-naires, sous le Directoire, le Consulat, l'Empire Š et à l'époque de la Restauration.

Il n'en demeure pas moins qu'à partir de 1815 la pen-sée contre-révolutionnaire, bien que privée de son "objet" révolutionnaire par la restauration et trahie dans certaines de ses exigences essentielles (à cette époque, en France, un monarchien de 1789 aurait presque passé pour un ultra)  (12) s'engagera sur des voies in-édites, de plus en plus souterraines à partir de 1830 et de plus en plus diffuses à partir de 1918. Ses doctrines, consti-tuées entre 1789 et 1799 ne meurent pas, elles se transforment en un terreau fécond qui vivifie, souvent sous des formes inédites, le champ de la pen-sée politique. Invisibles comme l'oxygène, elle n'en nourrissent pas moins encore pour une bonne part cer-tains courants de la pensée conser-vatrice et réaction-naire, du romantisme au maurrasisme, en passant par un Proudhon et un Bakounine. Et c'est la raison pour laquelle les rares individus qui se désignent au-jourd'hui encore comme contre-révolutionnaires ne désespèrent pas de vivre un jour la Restauration totale et universelle ‹qui coïncidera avec la vraie révélation du projet de Dieu, selon la formule de l'essayiste co-lombien ultra-catholique, Nicolás Gómez Dávila: "Lorsqu'un réactionnaire parle d'une "inéluctable res-tauration", il convient de ne pas oublier que le réac-tionnaire compte en millénaires" (13).
 

Jean-Jacques LANGENDORF.

Notes

1) Nous n'envisageons ici la contre-révolution que sous son as-pect théorique, et laissons de côté la contre-révolution en acte (Toulon, Lyon, Vendée, guerres des coalisés contre la Révolu-tion, etc.). Les liens entre la contre-révolution pratique et la théo-rique ont été extrêmement ténus. Une sorte de pont a toute-fois été établi entre les activistes et les théoriciens par des gens comme Antraigues ou Mallet-Du Pan chargés de missions se-crètes ou officielles. Si l'on veut pousser les choses à l'extrême, on peut dire que le seul écrivain contre-révolutionnaire qui ait eu une influence directe ‹d'ailleurs, a contrario‹ sur les événe-ments fut le marquis de Limon, rédacteur du Manifeste du duc de Brunschwick,  ce texte étant en partie à l'origine de la fatale jour-née du 10 août 1792, qui vit la chute de la monarchie!!!
2) Cf. C. Lucas, "Résistances populaires à la révolution dans le Sud-Est", in Mouvements populaires et Conscience sociale (XVIe - XIXe siècles),  Actes du col-loque de Paris, 24-26 mai 1984, Pris, 1985, pp. 473-488.
3) C'est précisément le titre choisi par le colloque de Rennes, 17-21 septembre 1985: Les résistances à la révolution,  Paris, 1987.
4) On doit entre autres à Mirabeau-Tonneau une Lanterne ma-gique nationale  (Paris, 1790), qui fustige avec humour et cruauté les nouvelles m¦urs "parlementaires", telles qu'elles se dévelop-pent au sein de la Constituante. C'est cette brochure qui a inspiré le titre de cet article.
5) Lorsque je me promène dans la France actuelle, je ne peux m'empêcher de sourire devant les frontons des Palais de Justice et des prisons ornés de l'inscription "Liberté - Egalité - Fraternité", alors qu'on devrait lire "Justice" sur les premiers, et "Expiation" sur les seconds.
6) The French Revolution Seen from the Right. Social Theories in Motion, 1789-1799.  Transactions of the American Philoso-phical Society, vol.46, February 1956, PP. 3-122.
7) Nous aurions pu prolonger cette liste presque ad libitum.  Ajoutons seulement qu'en défendant la monarchie et l'Eglise le contre-révolutionnaire a aussi le sentiment de défendre l'universalité contre le patriotisme chauvin, donc particulariste, des révolutionnaires.
8) Le travail de certains historiens contribuera également à nour-rir les sentiments contre-révolutionnaires des Allemands. Il convient de mentionner ici les Historische Nachrichten und poli-tische Betrachtungen über die französische Revolution  du Suisse C. Girtanner, publication périodique commencée  en 1794, en fait une collection de matériaux, qui dévoile impitoyablement les crimes de la Révolution.
9) Si l'Espagne n'apparaît pas dans ce concert contre-révolution-naire, c'est parce qu'une stricte censure allait jusqu'à interdire toute mention, même négative, de la Révolution.
10) Dans Le vocabulaire politique et social en France de 1861 à 1872 à travers les ¦uvres des écrivains, les revues et les jour-naux,  Paris, 1962, p.55, J. Dupuis montre qu'à partir de 1869 les termes "contre-révolution/contre-révolu-tionnaire" cèdent le pas à "réaction" et "réactionnaire", précisément à une époque où l'ère de la révolution fran-çaise est considérée comme achevée.
11) N. Hampson, "La Contre-Révolution a-t-elle existé?", in Résistances à la Révolution,  op. cit., p. 462.
12) Mais on peut également assister au phénomène inverse. Dans son roman Les mouchoirs rouges de Cholet  (Paris, 1984), Mi-chel Ragon montre fort bien comment les Vendéens les plus ar-demment contre-révolutionnaires, qui sous la restauration ne ces-sent d'exiger un retour aux conditions d'avant 1789, seront traités de révolutionnaires par les monarchistes.
13) N. Gómez Dávila, Einsamkeiten, Glossen und Text in ei-nem,  Wien, 1987, p. 147. 
 

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jeudi, 18 janvier 2007

Europese Rijksgedachte (Nederlands)

Europese rijksgedachte door Robert STEUCKERS in Synergon, december 2006.

Inleiding

Geopolitiek is een studie van geschiedenis en aardrijkskunde en dus van ruimte en tijd. Geopolitiek is een verzameling disciplines (niet één discipline) die een goed beheer van ruimte en tijd beoogt. Geen macht kan immers overleven zonder de noodzakelijke continuïteit van tijd en ruimte. Vanuit een niet-lineaire (cyclische of sferische) tijdsopvatting is het verleden nooit een afgesloten hoofdstuk. Zo is de rijksgedachte nog springlevend voor Hongaren en Serviërs. In de geopolitieke geschriften van de heer Steuckers speelt de Balkan bijgevolg een zeer belangrijke rol en zo ook in deze lezing. Als men spreekt over spirituele decadentie, dan betekent dat volgens hem evenzeer dat men zijn eigen aardrijkskundige milieu niet meer correct begrijpt. Julius Evola spreekt immers in Révolte contre le monde moderne van de numena[1], de krachten uit de natuur of uit de fysische gegevens, die de spirituele mens niet kan loochenen. Tot slot: een onontbeerlijk hulpmiddel in de geopolitiek van de rijksgedachte zijn historische atlassen, zoals die van Colin McEvedy. Zij behandelen de menselijke geschiedenis immers vanuit culturen en beschavingen, volkeren en rassen. Kortom, vanuit een organische zienswijze.

1. De oudste bronnen

Elke rijksgedachte heeft drie dimensies: een symbolische, een geografische en een praktische. Het gaat dan respectievelijk om een spirituele bron, een politieke ruimte en een communicatiemiddel. In de 19de eeuw hadden vooral Groot-Brittannië en Duitsland een belangrijke filologische traditie. Niettemin was het Frankrijk dat met betrekking tot het onderwerp van deze lezing een belangrijke filoloog voortbracht: Arthur de Gobineau. Filologen zochten de bronnen van de Indo-Europese beschaving in de vergelijkende taalwetenschap, meer bepaald die van het Grieks, het Latijn en het Sanskriet. Het was gemeengoed onder de humanisten van die tijd om de wortels van de Europese Beschaving in het Oude Griekenland te zoeken. Maar welk Griekenland? Ons moderne beeld van het Oude Griekenland is immers herleid tot iets intellectualistisch en sofistisch. De grote verdienste van Gobineau, oud-ambassadeur te Teheran, is dat hij als eerste Europeaan erop gewezen heeft dat de oudste bronnen van de Indo-Europese beschaving Iraans (Arisch) waren en niet Grieks. Zijn werk zou later een grote invloed hebben op dat van Léopold Sédar Senghor en Henri Corbin.

1.1 De Iraanse

De oorsprong van de rijksgedachte leidt ons naar de protohistorie. Er is in dezen geen strikt onderscheid tussen prehistorische, historische en metahistorische feiten. Elk rijk heeft vooreerst een stichter. In de Indo-Europese traditie (Indo-Iraanse) traditie is dat de mythische figuur van de zegevierende koning-held Rama (ook Yama of Yima genoemd). Hij moest in een ver verleden zijn noordse oerheimat verlaten na de komst van een “eeuwige winter” en zijn volk zuidwaarts leidden naar de Kaukasus, de Oeral en de Hindoekoesj. Met andere woorden: van Rusland naar Afghanistan, Europa, Iran en India[2]. Volgens Colin McEvedy mag de Indo-Europese bakermat niet worden herleid tot een klein gebied. Hetzelfde geldt eveneens voor de Afro-Aziatische en de Elamitisch-Dravidische bakermat. Er wordt te weinig rekening gehouden met de grote beweeglijkheid van die volkeren. De oerheimat van de Indo-Europeanen bestreek volgens McEvedy het hele gebied van de Noordzee tot de Kaspische Zee. Hij treedt aldus de Duitse archeoloog Lothar Kilian bij.

De Indo-Europeanen verwierven in het Midden Oosten naam en faam als ruitervolk. Zij leenden zelfs ruiters aan Semitische en Elamitisch-Dravidische volkeren. Omstreeks 1800 v. Chr. veroverden de ruitervolkeren de Elamitisch-Dravidische beschaving in Iran. Ze vormden er een ruiteraristocratie bij Dravidische volkeren (bijv. Kassieten) of bij Kaukasische (bijv. Hoerrieten). Die laatste werden militair georganiseerd door de Indo-Europese Mitanni. Tussen 1600-1400 v. Chr. vielen de Indo-Europese Tocharen China binnen en legden er de grondslagen voor de latere Chinese rijken. Omstreeks 1275 v. Chr. bezetten drie verschillende Indo-Europese (Indo-Iraanse) takken in het Midden Oosten[3]: de Cimmeriërs-Scythen, de Iraniërs en de Indiërs.

In 714 v. Chr. wierpen Cimmerische en Scythische legers het Hoerritische koninkrijk Oerartoe omver en ze vestigden zich in Anatolië. In 705 v. Chr. versloegen zij de Assyriërs. Tot de komst van de islam zouden er geen Semitische rijken meer in het Midden Oosten zijn, maar wel Scythische, Cimmerische, Medische, Perzische, Griekse, Macedonische, Parthische of Romeinse. De Perzen, een kleine stam uit Zuid-Iran, namen in 539 v. Chr. de leiding van het geheel over van de Meden. De leer van de religieuze hervormer Zoroaster of Zarathoestra kon zich aldus over het hele Midden Oosten verspreiden en een belangrijke Indo-Europese stempel drukken op de wereldgeschiedenis en de wereldgodsdiensten. Cyrus de Grote stond ook na de verovering van Babylon en Mesopotamië bekend als een edelmoedige veroveraar. De Romeinse keizers Trajanus en Julianus zagen het belang in van de Perzische Golf als een venster op de Indische Oceaan. Mesopotamië zou later nog dikwijls het strijdtoneel worden van Oost en West…

1.2 De Romeinse

Het einde van de Derde Punische Oorlog in 146 v. Chr. luidde het einde in van de Romeinse Republiek, zoals zij tot dan toe had bestaan. Het leger werd voortaan het instrument van een rijk dat het Iberische schiereiland, Noord-Afrika en Turkije omvatte. Die expansie vereiste een sterkere militaire organisatie van de onbestuurbaar geworden Republiek. Er brak een burgeroorlog uit tussen optimates[4] van de “conservatieve” Sulla en de populares[5] van de “progressieve” Marius. Marius voerde verschillende belangrijke hervormingen door. Zo werd het huurlingenleger bestaande uit boeren vervangen door een beroepsleger bestaande uit legionairs. Marius versloeg in 102 v. Chr. de Teutonen bij Aquae Sextiae (Aix-en-Provence) en in 101 v. Chr. de Kimbren bij Vercellae (Vercelli), nadat geen van de vorige consuls erin geslaagd was de Germaanse opmars naar Rome af te slaan. Marius werd zelfs beschouwd als “derde stichter van Rome” (Plutarchus) en zou uiteindelijk zeven keer consul worden. De figuur van de zegevierende generaal herinnerde onder anderen aan Rama, maar dat zou later evenzeer gelden voor Julius Caesar en Otto de Grote.

Consul Gaius Julius Caesar – nog geen caesar of keizer – trad later met zijn veldtocht door Gallië in de voetsporen van Marius. Nu volgt de geopolitieke dimensie: Marius besefte dat het Italische schiereiland bij de Rhône moest worden verdedigd. Caesar ging nog verder en besefte dat de Rhône, de Sâone en de Doubs één geheel vormden met de Rijn. Het was die laatste die door de Sequanen te hulp werd geroepen tegen Germaanse invallers (Sueven of Zwaben). Caesar werd na zijn Gallische veldtocht “dictator voor het leven”. Hij werd door zijn tijdgenoten niet alleen gezien als een zegevierende generaal, maar eveneens als een heerser over de rivierbekkens. Rivierbekkens bepaalden de territoriale organisatie van het Romeinse Rijk, niet volk of taal. De latere keizers moesten door de verdere uitbreiding van het Rijk bovendien niet alleen de bekkens van de Rhône en de Rijn, maar ook die van de Donau beheersen. De beheersing van het Donau was niet alleen toen van groot strategisch belang voor Europa, maar is het nu nog steeds. De beheersing van de Donau is hét doel van de NAVO in de Balkan (cf. Edward Luttwak, Zbigniew Brzezinski).

In 105 n. Chr. voltooide keizer Trajanus Caesars geopolitieke strategie door Dacië – de enige Romeinse provincie ten noorden van de Donau – te veroveren. De controle over de Balkan verleende hem toegang tot de Zwarte Zee en zelfs Anatolië, Armenië en Mesopotamië (113-117 n. Chr.). Hij was de eerste Europese keizer die de Perzische Golf bereikt had. Zijn opvolger keizer Hadrianus achtte het wijselijk om zich strategisch terugtrekken achter de Eufraat (uit Assyrië en Mesopotamië). De frontlinie tegen de Parthen was immers te lang geworden. De duurzame vrede in het Romeinse Rijk die daarvan het gevolg was, liet een culturele en economische bloei toe.

De Ottomanen konden Mesopotamië slechts veroveren in de 16de eeuw, nadat ze eerst de controle over de Balkan hadden verworven. Zo was de Slag op het Merelveld of Kosovo Polje (1389) al het voorspel van de Val van Constantinopel (1453). Moskou zou na Constantinopel het Derde Rome worden. Wat ooit voor de Ottomanen gold, geldt nog steeds voor de Amerikanen. Zij brachten vanaf 1999 stelselmatig hun Brzezinski-strategie in de praktijk. Een eerste stap in die strategie was de inplanting van grote militaire bases in de Balkan, waarin ze pas echt geslaagd zijn na de bombardementen op Servië. Een tweede stap waren Afghanistan en Oezbekistan. Een derde stap was uiteindelijk Mesopotamië (Irak). De Amerikanen werpen zich ten aanzien van Europa (Rusland incluis) op als de verdediger van de Ottomaanse erfenis. De strategie van de Britse en later de Amerikaanse zeemachten is al oud en houdt onder andere in dat geen enkele Europese landmacht controle over de Perzische Golf – het venster op de Indische Oceaan – mag hebben. De organisatie van de economie of de infrastructuur in het Midden Oosten door Europeanen of allianties van Europeanen willen ze te allen prijze verhinderen.

Geopolitiek = Hydropolitiek

Het Romeinse Rijk had het Middellandse-Zeegebied als kerngebied, maar het Heilige Roomse Rijk der Duitse Natie kon nooit een gelijkaardig kerngebied vinden. De waterwegen van Midden Europa leiden naar de Noordzee, de Baltische Zee of de Zwarte Zee, maar zonder een onderlinge verbinding. Van de rivierbekkens van Frankrijk en Rusland gaat een middelpuntzoekende kracht uit: vanuit respectievelijk Parijs of Moskou kan men het hele land beheersen. Van de rivierbekkens in Duitsland gaat echter een middelpuntvliedende kracht uit: de rivieren lopen immers veelal evenwijdig met elkaar. De Karolingers dachten net zoals de Romeinen in hydropolitieke termen. Ze zagen al de noodzaak in om het vrije verkeer op de Donau te herstellen en om een continentale rivierverbinding te graven tussen Rijn en Donau (Fossa Carolina). De opdeling van het Frankische Rijk met het Verdrag van Verdun (843) gebeurde eveneens volgens de rivierbekkens.

De as Boedapest-Wenen-Belgrado was steeds de achilleshiel van de Romeinse verdediging. Er waren tien legioenen gestationeerd, omdat de Pannonische/Hongaarse vlakte (Poesta) een bres vormde in een natuurlijke bergachtige verdedigingslinie. De ruiterij bestond vooral uit huurlingen[6]. Na de inval van de Aziatische Hunnen verwierven die laatste de controle over het centrale Donau-bekken. De Hunnen konden echter niet ingeschakeld worden als ruiterij. Er ontstond aldus een machtsvacuüm voor een tijdsspanne van ongeveer 500 jaar. In Europa bestond ook vóór 814 (de dood van Karel de Grote) steeds een zeker heimwee naar het Romeinse Rijk. Niettemin moet het beleid van Karel de Grote als een geopolitieke mislukking worden beschouwd. Hij slaagde er immers niet in de controle over het Donau-bekken te heroveren. De Donau was en is van cruciaal en vitaal belang voor Europa’s eenheid (vrede, orde, bloei).

De NAVO-strategieën – zoals geformuleerd door onder anderen Brzezinski en Luttwak – beogen Europa’s opdeling tussen Old Europe en New Europe, respectievelijk moeilijke en gemakkelijke VS-vazallen. De strategen van het Pentagon beseffen beter het belang van de Balkan en de Donau dan hun Europese collega’s. Een anti-imperialistisch regime zoals het Servische van Milosevic paste dan ook niet in hun strategie. Wie echter zegt dat de Europeanen kort van geheugen zijn, dat de rijksgedachte dood is, vergeet de duizenden Serviërs die zich in 1999 op en rond de bruggen van Belgrado en Novi Sad verzamelden om een levend schild te vormen tegen de misdadige NAVO-bombardementen. Onder NAVO-vlag hebben Europeanen toen Europeanen gebombardeerd! Het maffieuze UCK kreeg zowel de steun van de NAVO als van Al Qaeda. De bombardementen op de bruggen over de Donau hadden – evenmin toevallig – economische gevolgen tot in Oostenrijk.

De Karolingers

In 800 herstelde Karel de Grote, koning der Franken en Longobarden, de orde in Rome, zodat de weggejaagde paus Leo III kon terugkeren. De paus verleende hem daarvoor de keizertitel. Noch Karel de Grote noch de Frankische adel namen echter die titel ernstig. (Hij wou liever zichzelf kronen.) Karel de Grote zag immers zichzelf in overeenstemming met de traditie als mainbour[7]. Een eerste gevolg was de ontluikende investituurstrijd, een tweede het tweekeizersprobleem. De paus verwachtte van Karel de Grote dat hij ten strijde zou trekken tegen de Byzantijnen, terwijl die laatste terecht alleen in de Saracenen een gevaar zag. Een toenadering tussen het Frankische en het Byzantijnse Rijk was mogelijk geweest door een gearrangeerd huwelijk, maar – hoe stom het ook moge klinken – Karel de Grote wilde zijn dochters liever bij zich in de buurt hebben. In 812 erkende het Byzantijnse Rijk dan toch het Frankische Rijk. De Duits-protestantse interpretatie van Karel de Grote als de eerste grote keizer is dus vals. Karel de Grote heerste slechts over de Rhône en de Rijn. Het Westen en de Atlantische Oceaan stelden toen nog niets voor. De Donau en de Middellandse Zee waren belangrijk. Als gevolg van die geopolitieke zwakte had het Frankische Rijk af te rekenen met invallen uit alle windrichtingen: o.a. Magyaren[8] uit het oosten, Saracenen[9] uit het zuiden, en Vikingen[10] uit het noorden. De opvolger van Karel de Grote, keizer Lodewijk de Vrome, was op zijn zachtst gezegd géén referentie voor de rijksgedachte.

De Ottonen

Hoewel imperium en imperialisme niet met elkaar mogen worden verward, heeft elk rijk een (geestelijke) natie als drager. Zo was er sprake van de Senatus Populusque Romanus[11] (SPQR) en het Heilige Rooms Rijk der Duitse Natie. De translatio imperii ad Germanos[12] bepaalde dat de keizer van Germaanse afkomst moest zijn. De eerste grote keizer was zoals gezegd niet de Frank Karel de Grote, maar wel de Saks Otto de Grote. Hij was de stichter van de Ottoonse dynastie en tevens van het Heilige Roomse Rijk der Duitse Natie. Otto de Grote dankte zijn keizertitel aan de belangrijke zege die hij behaalde tegen de Magyaren in de Slag bij Lechfeld (955). Als gevolg van die zege “bekeerden” de heidense Magyaren zich tot het christendom. Die bekering hield in dat de nieuwe Magyaarse khan Arpad I plechtig trouw zwoer aan de Christenheid, de Europese Beschaving. Arpad I schakelde zich anders dan de Hunnen wél in in de grensverdediging en liet geen nieuwe stammen toe in zijn land. De Magyaren moesten met andere woorden hun geopolitieke koers 180° draaien. De imperiale dynamiek die de overwinning van Otto de Grote teweegbracht, zorgde in heel Europa voor economische en demografische groei. Na de Val van Constantinopel (1453) deed paus Pius II[13], oud-kanselier van keizer Frederik III, de Ottomanen een gelijkaardig voorstel, maar hun sultan wees dat af. Het zou trouwens geen loze eed blijken voor de Magyaren (Hongaren), want tot 1945 kwamen er geen invallen meer uit het oosten. Tijdens de Hongaarse Opstand van 1956 herinnerden de nationalistische opstandelingen opnieuw aan de eed van Arpad I.

Het rijk werd geopolitiek hersteld, omdat Pannonië/Hongarije geen doorgangsweg meer was voor Aziatische nomadenvolkeren. Het hele Donau-bekken werd bijgevolg hetzij Rooms-Germaans, hetzij Grieks-Byzantijns. In 1919 vernielden de vijanden van Europa met het Verdrag van Versailles (voor Duitsland) en het Verdrag van Trianon (voor Oostenrijk-Hongarije) wat de rijksgedachte had beoogd in de Balkan en ze herstelden de oude vetes uit donkere tijden. Langs de Donau werden zoveel mogelijk kunstmatige en vijandige staatjes uitgetekend met sterke (Hongaarse) minderheden. De oorlogen in ex-Joegoslavië hebben aangetoond dat de Balkan een zone van permanente instabiliteit is. Alleen het lange heugen, de rijksgedachte, kan ons opnieuw tot subject – en niet object – van ons eigen lot maken. De lineaire of progressieve tijdsopvatting leidt tot geheugenverlies. Ze maakt van Europa een macht zonder wil.

De Kruistochten

De opvolgers van Otto de Grote waren zwakke figuren. Over de Ottoonse dynastie werd bijgevolg niet verder uitgeweid in de lezing. De volgende grote dynastie was de Koenradijnse. Het was de verdienste van Koenraad II dat hij Bourgondië en Provence (de rivierbekkens!) als Duitse provinciën organiseerde. Een ramp voor Europa was echter wel de investituurstrijd tussen het pausschap en het keizerschap, evenals de verschillende schismata tussen Oost en West (vanaf 1054). Onder paus Urbanus II kwam er verbetering, omdat hij de ridders en ridderorden nodig had voor de Kruistochten. Die onderneming vereiste een bundeling van de politieke, de militaire en de spirituele krachten. De scheiding van die krachten – of beter van macht (potestas) enerzijds en gezag (auctoritas) anderzijds – is een belangrijke oorzaak van het verval van de Europese Beschaving. De Europese ridderorden belichaamden als “gewapende priesters” een kortstondige heroïsche restauratie van de Europese Beschaving. In het Midden Oosten herontdekten zij bovendien de Indo-Europese (Indo-Iraanse) bron van de ridderlijke ethiek en spiritualiteit. Een spiritualiteit van de ridderlijke actie, tegenover een van de priesterlijke contemplatie. Een gevolg van die herbronning was dat de Tempeliers in 1314 na een schijnproces van “ketterij” werden beschuldigd en op de brandstapel gezet. De Franse koning en de Roomse paus spanden om uiteenlopende laag-bij-de-grondse motieven samen in dezen. De middeleeuwse kroniekschrijvers vertelden dat de laatste Grootmeester van de Tempeliers, Jacques de Molay, die gedurende zijn schijnproces had gezwegen, beiden vervloekt had van op de brandstapel. Alleszins zijn zowel de paus als de koning datzelfde jaar nog gestorven en stierf na één generatie de lijn van Filips de Schone uit (begin van de 100-jarige oorlog tussen Engeland en Frankrijk).

De Staufers

De laatste grote dynastie was de Zwabische van Hohenstaufen. Naast Frederik I Barbarossa, is vooral Frederik II bekend. Frederik II was als keizer zijn tijd ver vooruit, in de positieve zin welteverstaan. Hij trachtte het Mare Nostrum te herstellen met Sicilië als kerngebied. Als Sicilië met in het verlengde Triëste en Boedapest strategisch verenigd waren, dan had Europa alle invallen van woestijn- en steppevolkeren kunnen trotseren.

Door de voortdurende investituurstrijd liep zijn poging uit op een tragische mislukking. Sinds de voltooiing van het Rijn-Main-Donau Kanaal in 1992 is pas een nieuwe rijksvorm mogelijk. Er is nu immers één waterweg tussen de Noordzee en de Zwarte Zee, die de commerciële en culturele krachten van Midden Europa toelaat de landen van de Zwarte Zee en de Kaukasus te bereiken. Degenen die een goed historisch geheugen hebben, herinneren zich de rol van de kusten van de Zwarte Zee in de geestelijke geschiedenis van Europa: op de Krim werden verschillende oude tradities – zij het Heidens of Byzantijns – in grotten bewaard door monniken. Zo kan Europa opnieuw aanknopen met zijn oudste wortels, met de waarden van de oudste ridderlijkheid uit de wereldgeschiedenis. Dat kan de ontwikkeling van gelijkaardige geestelijke krachten in Midden- en West-Europa gunstig beïnvloeden.

Frederik II had eveneens het Midden Oosten nauwkeurig geobserveerd en kwam tot het besluit dat de moslims grotendeels werden overheerst door Koerden en Perzen. Hij besefte – anders dan zijn tijdgenoten – terdege dat die laatste Indo-Europese volkeren waren en dat met hen wel te praten viel. Hij zette daarom een eigen keizerlijke diplomatie op, niet tegen de paus maar wel buiten diens medeweten. Frederik II bewonderde niet zozeer de islam, als wel de Arabisch-Perzische kunst om een duurzaam rijk op te bouwen. In 1229 leidde zijn diplomatieke en geopolitieke talent tot de Vrede van Jaffa en de vreedzame herovering van Jeruzalem. Frederik II was tevens voorstander van een eigen keizerlijk hospitalen- en scholennet en van een arme Kerk in overeenstemming met beginselen van Sint-Franciscus van Assisi. Hij joeg aldus weliswaar de Rooms-katholieke Kerk tegen zich in het harnas, maar hem daarom “verlicht” of “verdraagzaam” noemen is onzin. In 1240-’41 leidde de voortdurende investituurstrijd tot nieuwe Turks-Mongoolse invallen in Oost-Europa.

De Habsburgers

Het Heilige Roomse Rijk der Duitse Natie naderde zijn einde, het officieuze in 1648 (Vrede van Westfalen) en het officiële in 1806 (oprichting van de Rijnbond). Een laatste grote keizer was de Habsburger en Gentenaar Karel V. Opnieuw wordt zijn bewind gekenmerkt door een verstandshuwelijk tussen een Franse koning (Frans I) en een Roomse paus (Clemens VII). Eigenaardig genoeg was opnieuw de keizer en niet de paus in dezen de grote verdediger van het katholieke Europa. Door zich met de Fransen tegen de keizer te keren, kreeg de paus er immers een Ottomaanse “bondgenoot” bij. Karel V moest dus op meerdere fronten vechten, maar slaagde er niettemin telkens in het belegerde Wenen te ontzetten. Een Franse nationalist kan zich vandaag de dag onmogelijk tegelijk beroepen op Karel Martel – nota bene een man uit onze contreien – én op ronduit anti-Europese koningen als Filips de Schone, Frans I en Lodewijk XIV. De Rooms-katholieke Kerk keerde zich deels bezorgd om haar geestelijke gezag, deels om haar wereldlijke macht (de Pauselijke Staten) liever tegen de keizers. Een rampzalige geopolitieke stommiteit.

Onder paus Innocentius XI werden nieuwe kruistochten georganiseerd, maar dan in Europa. De Ottomanen rukten op door de Balkan in de richting van Wenen. Zij wilden eveneens de Donau veroveren, maar dan vanuit hun geopolitieke perspectief. De paus steunde met grote sommen geld de kruisvaarders, voornamelijk van Poolse afkomst (bijv. Jan van Sobieski). Tijdens het Tweede Beleg van Wenen (1683) waren het vrouwen en studenten (voorlopers van de Burschenschaften) gekleed in juten zakken die de kanonnen bedienden en de beroemde Janitsaren, de elite van het Turkse leger, tegenhielden. De ontzetting van Wenen door de Poolse koning Jan van Sobieski en diens Heilige Alliantie was het startschot voor de bevrijding van de Balkan en de Krim door prins Eugène van Savoye en diens gelijknamige alliantie. Die laatste verbeterde voorts onder andere de verdediging van de Pannonische/Hongaarse bres en nam een Donau-vloot in gebruik. De Europese geschiedenis dient véél meer te worden beschouwd in het licht van dergelijke continentale allianties.

In de 18de eeuw werden de Zuidelijke Nederlanden een deel van dat zegevierende Oostenrijkse Keizerrijk. In de Franse en Napoleontische tijd (1794-1815) waren onze contreien overwegend anti-Fransgezind, maar wel rijksgezind. Getuige daarvan de Boerenkrijg pro aris et focis[14]. Zo werden de brigands in Brabant geleid door een oud-officier van het Oostenrijkse leger, Charles-François Jacqmin alias “Charlepoeng”. De gilden die na de Napoleontische tijd opnieuw de aansluiting vroegen bij het Oostenrijkse Keizerrijk – maar met méér zelfstandigheid – vormen volgens de heer Steuckers het bewijs dat het rijk voldoende volkse legitimiteit bezat.

Organisatie en communicatie

De heer Steuckers haalde tot slot Tijl Uilenspiegel van Charles De Coster aan om het belangrijkste organisatiebeginsel toe te lichten, namelijk het subsidiariteitsbeginsel. Die volksheld van de Lage Landen die zich verzet tegen de Spaanse overheersing wijst ons op het verschil tussen enerzijds het traditionele koningschap en anderzijds het absolutistische koningschap en zijn moderne varianten. De rijksgedachte beoogt geen gelijkschakeling (naar beneden) maar een ordening (naar boven). De moderne ideologieën zijn in wezen totalitair, want ze vloeien voort uit de tabula rasa van het absolutisme en het jacobinisme. Dat absolutisme-jacobinisme wilde een organische eenheid (de edelen, gilden, standen, provincies, talen) vervangen door een abstracte mechanische eenheid (de ene en ondeelbare republiek).

Naast het subsidiariteitsbeginsel heeft elk rijk een communicatienetwerk nodig voor culturele en commerciële uitwisseling. Dat is een eerste voorwaarde voor een lange geschiedenis. Sommige traditionele rijken steunden op postboden (Iran), andere op waterwegen (Egypte, Mesopotamië, China) of op landwegen (Rome). Aangezien de geschiedenis niet stilstaat, mag men vandaag de dag de ontwikkeling van de vliegtuigbouw (cf. Boeing versus Airbus) en de satellietbouw (cf. Echelon versus Galileo) zeker niet uit het oog verliezen. Door het mislukken van het Galileo-project is er tot op heden echter géén onafhankelijk Europees communicatienetwerk. Het Amerikaanse communicatie- en spionagenetwerk Echelon heeft er een slaafse Europese “klant” bij.

Besluit van de censor

Ons nationalisme van de 21ste eeuw moet een opbouwende Europese kracht zijn. Oude vetes en broederoorlogen hebben Europa gedegradeerd tot de speelbal van buiten-Europese machten. We kunnen geen nationalisten zijn, zonder continentalisten te zijn. Laten we dus het voorbeeld van Europese Synergieën volgen en nieuwe banden smeden onder (jonge) Europeanen en Europese nationalisten. Ideologische bloedarmoede, geopolitieke en historische bijziendheid zijn slechts enkele katjes die het nationalistische kamp te geselen heeft.




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[1] “Gedurende praktisch twee eeuwen beeldden de Romeinen hun godheden niet af – hoogstens werden zij voorgesteld door een symbool. Het ‘animisme’ zelf – de idee van ‘ziel’ aan de basis van een algemene voorstelling van het goddelijke en de krachten van het universum – komt niet overeen met het oorspronkelijke stadium. Wat ermee overeenkomt, is eigenlijk de idee of de opvatting van zuivere krachten, waarvan de Romeinse opvatting van het numen een van de meest geschikte uitdrukkingen is. In tegenstelling tot de deus (zoals hij daarna werd begrepen) is het numen geen wezen of een persoon, maar een naakte kracht die zich definieert door zijn vermogen om effecten voort te brengen, te handelen, te verschijnen. Het gevoel van de werkelijke aanwezigheid van die krachten, van die numena, zoals iets transcendents en immanents, wondermooi en geducht tegelijk, vormde de kern van het oorspronkelijke ‘heilige’”.
Vertaald uit: EVOLA, J., Révolte contre le monde moderne. L'Age d'Homme, Lausanne, 1991, p. 84.
[2] Er splitste zich toen ook een groep af die naar Europa trok en later zou uiteenvallen in Germaanse, Keltische, Italische, Slavische en Baltische stammen.
[3] Meer bepaald de ruimte van de Zee van Azov tot aan China; van het Aral-meer tot Perzië (in het westen) en India (in het oosten).
[4] De “volkspartij” die onder andere streefde naar uitbreiding van het Romeinse burgerschap tot de provincies, kwijtschelding van schulden en landherverdeling.
[5] De “senaatspartij” die bestaande orde wilde bewaren en uitbreiden naar de provincies. Het stemgedrag werd bepaald door de fides (trouw) tussen patronus en cliens, waardoor “ideologie” van weinig belang was. Er woedde onder de verschillende adellijke families die de senatoren leverden wel een strijd om de patronus van nieuwe clientes (uit de provincies) te worden.
[6] O.a. Roxolanen en Jazygen. Ze waren eveneens van Indo-Europese (Indo-Iraanse) afstamming.
[7] De beschermheer van de Christenheid.
[8] Tot in Rijnland.
[9] Tot aan de Alpen.
[10] Door keizer Arnulf van Karinthië in Leuven.
[11] De Senaat en het Romeinse Volk.
[12] De rijksoverdracht van de Romeinen aan de Germanen.
[13] “In een vorig leven als Italiaanse humanist vertaalde hij De Germania van Tacitus en ontwierp hij een geopolitiek project: De Europa. Daarin argumenteerde de latere Paus Pius II dat Europa alleen kon overleven, als het Bohemen en Brabant stevig in handen had. Ergens kunnen we Pius II als een soort oervader van het Duitse en Vlaamse nationalisme beschouwen. Van Tacitus nam hij de idee van de ‘hogere kwaliteit’ van de Noordse volkeren over”. In: “Turkije behoort niet tot de EU!”.
In: CLAES, K., BRANCKAERT, J., 2004. Branding sprak met Robert Steuckers (Synergies Européennes, Vouloir): “Turkije behoort niet tot de EU!”. Branding. 27 (1). p 11.
[14] Voor outer en heerd.

Bron: Robert Steuckers

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Réflexions sur le destin des Arméniens

SYNERGIES EUROPEENNES – Bruxelles/Vienne – Novembre 2006

 

 

 

Albrecht ROTHACHER :

Réflexions sur le destin des Arméniens depuis la fin du 19ième siècle

 

 

 

Albrecht Rothacher est journaliste libre. Il écrit notamment pour l’hebdomadaire viennois « Zur Zeit ». Nous publions ici en traduction française quelques extraits de son long essai sur l’histoire arménienne. L’objectif de son journal est bien évidemment d’éviter à tout prix l’adhésion turque à l’UE, en montrant bien que la Turquie n’a nulle envie d’appliquer les principes de liberté religieuse et intellectuelle que lui imposerait une adhésion à l’Europe bruxelloise. Ensuite, même si nous critiquons, avec l’Académicien et Professeur français René Rémond (*)(voir note en bas d’article), la multiplication déraisonnable des « lois mémorielles », force est tout de même de constater que le cas arménien est différent des autres : il s’agit d’un peuple européen, de souche indo-européenne, qui a courageusement été, à l’époque des Croisades notamment, un bouclier pour protéger le reste de l’Europe des invasions seldjoukides. Nous avons une dette à l’égard de l’Arménie. Il est donc normal que nous la défendions sans fléchir. Et pour cela, nul besoin de « lois mémorielles » : rien que de la volonté, de l’inflexibilité. Cet extrait de l’essai de Rothacher porte sur les diverses péripéties du massacre des Arméniens, qui s’est déroulé en plusieurs phases. Un rappel utile.

 

 

 

Dès la phase dernière du lent déclin de l’Empire ottoman, sous le règne du Sultan Abdoul Hamid II (1878-1908), les massacres d’Arméniens survenaient à intervalles réguliers. Le déclencheur et le prétexte de ces opérations macabres étaient, la plupart du temps, des protestations arméniennes contre les abus du fisc ottoman ou des manifestations contre l’arbitraire des autorités musulmanes. A cette époque, une idée faisait son chemin au sein de l’Empire ottoman moribond : il fallait absolument maintenir sous la férule turque le noyau territorial anatolien d’Asie Mineure, tandis que le reste de l’Empire, hétéroclite et multiethnique, se désagrégeait. Le moyen ? Imposer une turcisation forcée. Cette politique a bien sûr rencontré la désapprobation des peuples qui vivaient dans cette région depuis des temps immémoriaux, comme les Grecs, les Arméniens, les Chaldéens et les Araméens. Les Kurdes sunnites, eux, s’étaient installés dans l’Est de l’Asie Mineure, avec pour mission militaire de protéger les frontières de l’Empire ottoman contre les Perses chiites. Leurs alliés dans cette mission étaient quelques éléments tcherkesses/circassiens originaires du Caucase du Nord. La Sublime Porte leur a garanti l’impunité et accordé le droit de piller et de s’emparer des propriétés foncières de leurs victimes. Ainsi, entre 1893 et 1896, 320.000 Arméniens ont été massacrés, 570 églises et monastères ont été détruits. En 1909, en Cilicie, les massacres font encore 30.000 victimes supplémentaires.

 

 

 

La « forme » de ces épurations ethniques ressemblent aux massacres généraux de chrétiens que l’on repère traditionnellement dans l’histoire des pays majoritairement musulmans ; exemples : les Moluques en Indonésie, le Soudan, le Nigeria où ils sont encore pratique courante. Malgré l’horreur de ces faits, il restait une chance d’échapper à la mort : en corrompant les sicaires de la Porte ou en faisant semblant de se convertir à l’Islam. Le génocide de 1915/16, en revanche, ne s’assimile pas à ces débordements sanglants. Les Jeunes Turcs l’ont planifié sans pitié et l’ont mené avec une précision toute militaire. Leur objectif en perpétrant ces horreurs ? Créer un Etat national mono-ethnique, excluant tous les non Turcs, et l’étendre à tous les autres peuples de souche turco-mongole jusqu’au cœur de l’Asie centrale. C’est le projet « pantouranien ». Pour assurer une cohérence géographique et une continuité territoriale sans obstacle à ce projet, il fallait régler la question arménienne, du moins liquider tous les Arméniens d’Arménie occidentale.

 

 

 

Massacres et marches de la mort, résistance héroïque à Van

 

 

 

Au début de l’année 1915, tous les soldats et officiers arméniens de l’armée turque ont été désarmés et versés, comme tous les Arméniens mâles de 16 à 65 ans, dans des bataillons de travailleurs forcés. On les a contraints à ériger des barricades ou des réseaux de tranchées, à porter des charges, souvent jusqu’à l’épuisement et la mort. Parfois, on les abattait après les travaux qu’ils avaient réalisés. Le 24 avril 1915, toute l’élite intellectuelle et politique arménienne de Constantinople est arrêtée et immédiatement exécutée de la manière la plus sommaire qui soit. A la suite de cette Saint Barthélemy, la population arménienne, dans les régions qu’elle habitait traditionnellement en Cilicie, dans le Nord de la Syrie, en Arménie occidentale et en Anatolie occidentale, a été immédiatement massacrée ou contrainte de déménager, formant de long cortèges, des marches de la mort, qui ont duré plusieurs semaines, tout en subissant pillages et viols dans les régions kurdes et dans les déserts de Syrie et d’Irak septentrional. Les survivants y ont péri de faim ou y ont été molestés jusqu’à ce que mort s’ensuive. A Van, le centre culturel de l’Arménie occidentale, les Arméniens sont parvenus à résister pendant de longues semaines à leurs bourreaux jusqu’à l’arrivée des troupes russes.

 

 

 

Mais en 1917, le front tenu par les Russes en Arménie occidentale s’effondre, à cause de la révolution menchevique puis bolchevique, ce qui permet aux troupes turques de reprendre l’offensive en direction du Caucase. Au début de l’année 1918, de nombreux civils arméniens tombent aux mains des troupes turques, des bandes kurdes et tcherkesses qui perpètrent de nouveaux massacres. Les prisonniers de guerre arméniens, qui avaient combattu auparavant aux côtés des Russes, sont systématiquement massacrés. 500.000 réfugiés fuient vers l’Arménie orientale, toujours aux mains des Russes. Dans les camps de fortune, qui abritent ces malheureux, épidémies et famines font rage et exigent leur macabre tribut.

 

 

 

Lors du Traité de Sèvres, l’Arménie obtient en théorie, en 1920, une bonne partie de l’ancienne Arménie occidentale, territoire peuplé d’Arméniens depuis des siècles voire depuis des millénaires, y compris la côte pontique de Batoum à Giresun. Mais Atatürk parvient à s’assurer le soutien de la nouvelle Union Soviétique et refuse de tenir compte des exigences alliées. Les troupes turques pénètrent une nouvelle fois en Arménie occidentale et y commettent une nouvelle vague de massacres. Après un putsch communiste en novembre 1920, que l’on a pu mater en peu de temps, le gouvernement Dajnaken, au pouvoir depuis 1918, lassé de la guerre, harcelé par les menaces d’annexion turque, jette l’éponge quand l’Armée Rouge entre dans le pays en avril 1921. Une fois de plus, l’Arménie disparaît de la carte. Il y avait deux millions et demi d’Arméniens dans l’Empire Ottoman avant la guerre ; après les hostilités et les massacres à grande échelle, il n’en restait plus qu’un million, pour la plupart sous le statut précaire de réfugié. En Cilicie, en Arménie occidentale et dans les grandes villes turques, la vie arménienne s’était éteinte.

 

 

 

Seule défense turque : les bobards de « Hill & Knowlton »

 

 

 

Bon nombre de Jeunes Turcs, responsables de ces massacres de grande ampleur, se disputèrent avec Atatürk, devenu dictateur, et furent contraints à l’exil. Dans les années 20, des Arméniens exilés les repérèrent et les abattirent. La Turquie conteste, on le sait, le génocide perpétré contre les Arméniens. Et persiste dans sa négation. Tout au plus, reconnaît-elle des pertes humaines dues à des faits de guerre, des épidémies ou des transports mal organisés. Toute personne qui parle de génocide en Turquie aujourd’hui, risque, comme l’écrivain Orhan Pamuk, de subir une peine de prison pour « insulte à la nation ». Pour faire taire toute critique venue de l’étranger, la Turquie fait feu de tout bois. Quand les Etats-Unis ou la France adoptent des résolutions parlementaires, Ankara menace, avec succès, de faire fermer la base aérienne américaine d’Inçirlik, ou annule, pour faire pression sur Paris, des contrats d’exportation s’élevant à des milliards d’euro. Pour soutenir sa campagne de désinformation, la Turquie a engagé l’agence de manipulation médiatique américaine Hill & Knowlton, véritable fabrique de bobards et de mensonges, pour faire triompher son point de vue. Pour rappel, l’agence Hill & Knowlton avait, en son temps, propagé le bobard des bébés tués dans leurs couveuses par les soldats de Saddam Hussein.

 

 

 

Les souffrances du peuple arménien n’étaient pas pour autant terminées, avec l’arrivée de l’Armée Rouge. En Arménie soviétique, la situation n’était guère enviable. Entre 1928 et 1934, les collectivisations forcées ont été imposées dans les pays du Caucase méridional, comme partout ailleurs en Union Soviétique. Les purges staliniennes contre les « ennemis du peuple », les « nationalistes » et les églises ont commencé en 1936 en Arménie par la défenestration littérale du Premier Secrétaire du PC arménien, Khandjan, tombé de la fenêtre du bureau de Beria. Trois ans plus tard, elles s’achèvent dans ce pays à la conscience nationale aiguë avec un sinistre bilan : 300.000 victimes. La deuxième guerre mondiale provoque la mort de 300.000 autres Arméniens. Après 1945, la répression soviétique fait rage et plonge le pays dans un sous-développement social affligeant, ce qui explique pourquoi les diasporas arméniennes des Etats-Unis et de France cultivent un héritage culturel, religieux et intellectuel bien plus riche et varié que la patrie est-arménienne. Les conséquences néfastes de l’histoire tumultueuse de ce peuple perdurent.

 

 

 

Albrecht ROTHACHER.

 

(Extrait d’un long essai paru dans l’hebdomadaire viennois « Zur Zeit », n°46-47, 2006). 

 

 

 

(*) René Rémond est le Président de la Fondation nationale des sciences politiques en France. Il est également membre de l’Académie française. Ce printemps, en avril 2006, il a publié un ouvrage remarquable, en fait un long entretien accordé à François Azouvi, où il explique pourquoi il a cosigné avec de nombreux historiens éminents une pétition demandant l’abrogation de toutes les lois relatives à l’histoire, dont la Loi Gayssot du 13 juillet 1990, concernant la « Shoah », la loi du 29 janvier 2001 concernant la reconnaissance du génocide arménien, la loi dite Taubira sur la traite négrière et l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant un « rôle positif » à la présence française outre-mer. Cette pétition résultait directement du scandale de la mise en accusation du respectable professeur Olivier Pétré-Grenouilleau parce qu’il avait écrit un ouvrage scientifique, trois fois primé, intitulé «Les Traites négrières. Essai d’histoire globale », paru chez Gallimard en 2004. Pour René Rémond, il fait laisser l’histoire aux histoires et proscrire toutes les interventions de l’Etat, et de la « justice » à sa solde, dans le travail des historiens. Ce petit ouvrage, lecture impérative pour tout identitaire, a pour références : René Rémond, « Quand l’Etat se mêle de l’histoire », Ed. Stock, Paris, 2006, 13,45 euro (prix Benelux), ISBN 2-234-05919-4. C’est l’ouvrage qu’il faudra avoir en main, quand on légifèrera pour abroger définitivement ces lois scélérates, qui interdisent la liberté scientifique, et pour punir très sévèrement tous leurs inventeurs et surtout les magistrats qui auront osé les appliquer, en allant fourrer leur sale groin de juristes cuistres et ignorants dans les arcanes d’une aussi noble science que l’histoire. Suum cuique : les éboueurs évacuent les ordures, les magistrats évacuent les voyous; les historiens et les narrateurs donnent du sens à l'ensemble de la société, ils énoncent le ciment intellectuel qui fera les sociétés fortes. Car, pour le salut de la communauté scientifique, pour le respect des intellectuels dignes de ce nom, pour le salut de nos enfants à qui il faudra transmettre des corpus intelligents et solides, il faudra bien qu’un jour une répression impavide se déploie et purge les rangs d’une magistrature fondamentalement corrompue. René Rémond, mu par une juste colère, nous indique la voie à suivre dans ce travail d’assainissement de nos sociétés.

 

 

 

 

 

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Mythes et réalités du néo-paganisme russe

TIERRA y PUEBLO / TERRE & PEUPLE - Bruxelles/Valencia – Novembre 2006

 

 

 

Oriol RIBAS :

 

Mythes et réalités du néo-paganisme russe contemporain

 

 

 

Aujourd’hui, partout en Europe, des associations tentent de raviver les traditions païennes. Dans ce vaste panorama, le cas russe est l’un des plus particuliers qui soit ; d’abord à cause de l’immensité du pays ; ensuite, à cause de la répression qui a frappé tous les mouvements de réaffirmation nationale ou identitaire à l’ère soviétique. Quoi qu’il en soit, le néo-paganisme, comme tous les autres regroupements pouvant être englobés dans la catégorie du « nationalisme », tels les néo-monarchistes tsaristes, les nationaux bolcheviques ou les divers partisans d’un nationalisme fort, connaîtront indubitablement un essor considérable dans ce pays immense, plus que dans d’autres contrées du continent, si l’on excepte toutefois le culte de l’ancienne religion scandinave en Islande, où celle-ci se trouve mêlée à certains éléments d’origine moderne, comme dans le réseau « Asatru », ou la réémergence du paganisme balte en Lituanie, à l’initiative du mouvement « Romuva ».

 

 

 

Le voyageur curieux, qui circule dans les rues de Moscou et y visite les librairies du centre ou les échoppes de livres d’occasion ou les points de vente des magazines patriotiques, constatera la pléthore de publications qui font référence aux traditions païennes de l’antique « Rus » (nom médiéval et scandinave de la Russie). Certaines de ces publications reproduisent et commentent les travaux d’académiciens et d’historiens sérieux et établis ; d’autres reflètent l’imagination fébrile et l’inspiration toute personnelle de leurs auteurs.

 

 

 

Ensuite, nous trouvons des groupes qui célèbrent des rituels solsticiaux dans les nombreuses forêts qui couvrent le territoire russe, comme les adeptes de « Rodnovery » (« Foi des ancêtres »), qui érigent également des stèles à l’effigie et à l’honneur des anciens dieux slaves.

 

 

 

Il faut tenir compte d’un fait : à la différence des autres traditions européennes comme l’antique paganisme gréco-romain, ou des traditions celtiques ou germaniques, nous savons finalement peu de choses sur le passé de la Russie pré-chrétienne. On connaît les noms des dieux, on connaît aussi certains rituels matrimoniaux et funéraires, mais il nous manque des éléments fondamentaux que l’on retrouve dans d’autres mythologies (voir les sagas scandinaves et les cosmogonies et légendes de la Grèce antique) et qui nous permettraient de connaître avec exactitude la « Weltanschauung » des Slaves de l’antiquité. Raison pour laquelle les néo-païens russes d’aujourd’hui se voient contraints de se référer à des mythes relativement modernes pour légitimer leurs démarches.

 

 

 

Notre article se donne pour objectif d’analyser deux de ces mythes de référence, les plus importants, afin de voir quelle est leur influence sur les milieux païens de la Russie actuelle. Le premier de ces mythes se réfère à la découverte, à la fin des années quatre-vingt du 20ième siècle, des ruines d’Arkaïm, une ancienne cité, de petites dimensions, située dans la région des Monts Oural. Le second de ces mythes se retrouve dans le fameux « Livre de Veles », qui prétend raconter l’histoire du peuple russe depuis la préhistoire jusqu’à la conversion au christianisme.

 

 

 

Arkaïm : la Cité du Soleil (1)

 

 

 

En 1987, un groupe d’archéologues de l’Université russe de Tcheliabinsk se réunit pour aller récupérer des pièces éparses, trouvées préalablement sur un site, dans une vallée qui devra être inondée suite à la construction d’un barrage au sud des Monts Oural. Leur surprise fut grande quand, en travaillant, ils découvrirent les restes d’une petite cité de forme circulaire, présentant des caractéristiques inconnues jusqu’alors, du moins dans cette zone. Les mesures de datation révélèrent une ancienneté remontant aux 17ième et 20ième siècles avant l’ère chrétienne. Les archéologues russes ont calculé que la population de cette petite cité devait s’élever à environ 2500 habitants, véritable métropole pour l’époque.

 

 

 

La découverte fit l’effet d’une bombe non seulement dans les milieux de l’archéologie mais aussi dans les cénacles patriotiques de cette Russie, qui vivait les dernières années du régime soviétique. Immédiatement, des spécialistes proclamèrent qu’Arkaïm fut le berceau du prophète perse Zarathoustra, ce qui est au demeurant possible, en dépit des distances, si l’on tient compte du fait que les bâtisseurs de cette petite cité étaient en réalité des proto-indo-iraniens qui ont séjourné au sud de l’Oural avant de se mouvoir, avec armes et bagages, vers le sud. D’autres hypothèses conduisent les archéologues à penser que le site était un observatoire astronomique semblable à Stonehenge, mais de plus grandes dimensions.

 

 

 

Finalement, les autorités décident de ne pas construire le barrage et la découverte fut annoncée urbi et orbi dans tous le pays. Plus tard, les archéologues ont découvert encore plus de vestiges de petites cités circulaires dans cette région ; les archéologues baptiseront donc ce complexe du nom de « Culture de Sintashta-Arkaïm », laquelle appartient à la proto-histoire indo-iranienne. La découverte n’intéressait pas seulement les spécialistes de la science archéologique mais aussi, bien sûr, tout le petit univers des patriotes, qui après la longue parenthèse soviétique, sortait de la clandestinité et trouvait, pour justifier sa vision du monde, un argument pertinent, une preuve tangible. Une découverte, présentant de telles caractéristiques, n’échappa nullement à tous ceux qui, en marge de la récupération générale de l’orthodoxie et du passé impérial, cherchaient des références « nationalisables » sur lesquelles s’appuyer.

 

 

 

On a donc proclamé qu’Arkaïm avait en fait été la capitale d’un empire « aryen » qui s’était étendu des plaines de l’Ukraine jusqu’au cœur de la Sibérie, que la population de cet empire était slave, et, enfin, que dans les textes antiques sacrés tels l’Avesta perse ou le « Livre de Veles », controversé, l’existence d’un centre comme Arkaïm était mentionné. D’une part, nous pouvons dire qu’il est fortement exagéré de déclarer « slave » une population aussi ancienne, en un lieu aussi éloigné ; mais, par ailleurs, il est absolument certain que des éléments indo-aryens ont joué un rôle important dans les territoires du sud de la Russie au cours de la proto-histoire. La présence de peuples comme les Scythes, les Sarmates et les Ossètes (ou Alains, qui habitent aujourd’hui dans la Caucase) le démontre. Autre argument pertinent : tant les langues slaves que les langues indo-iraniennes appartiennent au groupe dit « satem » des langues indo-européennes ; les correspondances lexicales sont également fort nombreuses, plus nombreuses qu’entre les autres langues indo-européennes.

 

 

 

Actuellement, Arkaïm est l’un des sites archéologiques les mieux conservés en Russie aujourd’hui, même si chaque année des centaines de touristes et de curieux s’approchent du lieu, tandis que les archéologues continuent leurs fouilles dans les environs à la recherche de nouveaux indices. Le 16 mai 2005, le Président russe Vladimir Poutine a visité le site et s’est intéressé à son bon état de conservation. L’intérêt que portent les autorités russes à ce site est important pour que les vestiges demeurent bien conservés.

 

 

 

Le « Livre de Veles »

 

 

 

A la différence du site d’Arkaïm, le second élément mythique du néo-paganisme russe contemporain, le « Livre de Veles », suscite nettement la controverse. Il génère d’âpres discussions dans les milieux patriotiques russes. Peu d’universitaires estiment crédible la teneur du « Livre de Veles » (« Velesova kniga » en russe) et beaucoup doutent de son authenticité. Néanmoins, très nombreux sont les historiens amateurs et les chercheurs indépendants qui propagent l’idée de son authenticité.

 

 

 

L’histoire de la découverte et de la diffusion du « Livre de Veles » est déjà étonnante et rocambolesque. Tout commence en 1919. Durant la guerre civile russe, un officier de l’Armée Blanche, Izenbeck, découvre dans un manoir abandonné une série de planchettes de bois sur lesquelles figurent d’étranges inscriptions. En 1924, exilé à Bruxelles, Izenbeck confie les planchettes à Youri Mirolioubov, un autre Russe blanc en exil dans la capitale belge. Mirolioubov est paléographe et byzantiniste de profession. Il photographie les planchettes et en retranscrit le contenu. Le texte est écrit, dit-il, en vieux slavon, dans une variante de l’alphabet cyrillique, influencée par les runes scandinaves.

 

 

 

Le texte commence par une invocation au dieu slave Veles et raconte l’histoire du peuple russe depuis environ 20.000 ans avant J.C. jusqu’à la conversion de la Russie au christianisme, au 10ième siècle de notre ère. On allègue que le texte a été écrit par des prêtres païens entre les 5ième et 9ième siècles après J.C. Voilà, en résumé, l’histoire, qui y est contée : il y a plusieurs millénaires, les plus lointains ancêtres du peuple russe vivaient en un pays riverain de l’Océan Glacial Arctique (notons la similitude avec les autres mythes de l’antiquité comme celui de l’Hyperborée, de Thulé ou des Védas hindous). A cause des glaciations, ils furent obligés de se déplacer vers des zones plus chaudes au sud. Lors de cette migration, ils se sont divisés en clans et ont guerroyé contre d’autres peuples. Les « Oriyanos », ou « Aryens », du « Livre de Veles » sont mis en équation avec les Slaves, car ceux-ci, d’après le texte, procèdent directement de la matrice aryenne au contraire des autres peuples tels les indo-iraniens, les germains, etc. Ces « Oriyanos » se seraient portés vers la Chine, la Perse, puis la Mésopotamie, l’Egypte et le bassin méditerranéen, où ils fondèrent la ville de Troie avant d’affronter les Grecs. Plus tard, ils se fixèrent définitivement dans la plaine russe, mèneront une vie pacifique sous la houlette bienveillante de leurs dieux et de leurs monarques, ne faisant front que contre des envahisseurs comme les Goths et les légions romaines de l’Empereur Trajan. Notons que le texte nous présente les Romains et les Grecs comme des barbares et octroie aux Russes un haut niveau éthique et un degré élevé de spiritualité. Le reste du document évoque les rois successifs de cette Russie mythique, comme Bravline ou Bus’Beloyar, qui régnèrent jusqu’à notre haut moyen âge, soit jusqu’au moment où les Scandinaves et les missionnaires byzantins mettront fin à cette civilisation et créeront les conditions de la naissance de la Russie telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.

 

 

 

Revenons à notre époque. Les planchettes de bois originales du « Livre de Veles » vont disparaître pendant la seconde guerre mondiale ; on parle d’une confiscation par l’Ahnenerbe allemand, intéressé à posséder toutes sortes de documents antiques ; on parle aussi d’un incendie qui les aurait détruites. Il reste donc les photographies et les transcriptions de Mirolioubov. A partir de 1957, certains membres de l’Académie soviétique commencent à recevoir des lettres d’exilés russes qui leur parlent du « Livre de Veles » et des transcriptions de Mirolioubov. On leur envoie également des copies des photos des planchettes. La réaction des académiciens soviétiques fut unanime : il s’agit, selon eux, d’une falsification, réalisée sans doute vers la moitié du 19ième siècle.

 

 

 

Malgré cela, dans bon nombre de milieux comme dans certains cénacles plus nationalistes des Jeunesses communistes ou même du Parti communiste, le texte acquiert une certaine popularité. Les autorités ne cessent toutefois de veiller afin que le nationalisme ne renaisse d’aucune manière. Avec la chute de l’Union Soviétique en 1991, plus rien n’empêchait les fans du « Livre de Veles » de relancer la publication du texte, assorti de leurs commentaires et opinions. Les milieux néo-païens devinrent ipso facto les récepteurs les plus avides de cette littérature exégétique. Parmi les exégètes les plus connus, citons Aleksandr Asov qui affirme dans des revues d’histoire et dans des programmes de télévision l’authenticité du texte, qui revêt dès lors un caractère éminemment sacré.

 

 

 

Notre point de vue est le suivant : le « Livre de Veles » contient tout de même pas mal de contradictions. D’abord, les premiers fragments dateraient du 5ième siècle de notre ère, à une époque où les peuples slaves ne connaissaient aucun type d’écriture ; ensuite, aucun texte de l’antiquité ne mentionne les attaques des « oriyanos » proto-russes ; enfin, notre scepticisme vient du fait que le texte est écrit dans une langue grandiloquente, qui rappelle curieusement l’Ancien Testament.

 

 

 

Mais, quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur le « Livre de Veles » et sur les péripéties de sa découverte et de son exploitation, on ne peut esquiver le fait que les mythes, les légendes et les narrations sont d’une importance capitale pour les hommes, surtout les hommes d’aujourd’hui, qu’il faut faire rêver, alors qu’ils sont pris dans le rythme trépident de la vie moderne, qui détruit et annihile les identités. Lui montrer un passé où tout était possible est donc une bonne chose.

 

 

 

Oriol RIBAS.

 

(Texte paru dans la revue espagnole « Tierra y Pueblo », n°13, sept. 2006).

 

 

 

Note :

 

(1)     Voir également « Tierra y Pueblo », n°7, pp. 26-27.

 

 

 

Bibliographie :

 

-          V. DEMIN, Severnaya prarodina Rusi, Ed. Veche, Moscou, 2005.

 

-          I. STROGOFF, Revolyutsia seychas !, ed. Amphora, Moscou, 2002.

 

-          A. ASOV, Slavyanskie Bogi I rozhdenie Rusi, ed. Veche, Moscou, 1999.

 

-          W. LAQUEUR, La Centuria Negra, Anaya & Mario Muchnik, Madrid, 1995.  

 

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Les Yezidis

Synergies européennes – Bruxelles/Anvers – Novembre 2006

 

 

 

Moestasjrik / ‘t Pallieterke (Anvers) :

 

Les Yezidis : adorateurs du Diable

 

 

 

L’hebdomadaire nationaliste flamand, très riche en informations diverses, publie depuis cette année une rubrique fort intéressante, intitulée « Ex Oriente Lux » et consacrée aux peuples et aux religions de la rive orientale de la Méditerranée jusqu’à l’Inde et l’Extrême-Orient. Elle mérite une lecture attentive. Robert Steuckers publie ici une première traduction française de cette rubrique hors du commun, unique en Flandre et en Belgique, qui nous révèle quantité d’informations inédites. On reproche au mouvement flamand de refuser le dialogue avec l’ « Autre », d’être sourd aux identités non européennes : rien de plus faux, cette rubrique le prouve. Intolérance, ignorance et surdité à l’Autre sont bien plutôt le propre d’une certaine pseudo-intelligentsia francophone, qui s’exprime surtout dans  le quotidien à ahurir qu’est le « Soir ». Effectivement, dans les colonnes de ce journal, entend-on jamais parler des recherches wallonnes en ces mêmes domaines ? Comme celles de l’iranologue liégeois, feu le Prof. Duchêne-Guillemin ? Ou du professeur actuel de l’UCL, Julien Ries ? Non. Evidemment. Alors où est l’intolérance ?

 

 

 

A Bologne, les musulmans exigent que l’on ôte une peinture de Giovanni de Modène qui, inspiré par la description de l’enfer de Dante, représente Mohammed soumis aux tourments de la malédiction éternelle. Pourtant, sur cette même peinture se trouve une autre figure, systématiquement assimilée au mal, tant par les chrétiens que par les musulmans. Si une figure est bien victime de préjugés, d’une phobie, objet d’intolérance, alors c’est bien celle-là. Nous pouvons même dire que nous n’aurons pas de véritable société multiculturelle tant que nous ne la considérons pas et ne l’accueillons pas comme un « enrichissement ». Et tant qu’un interdit ne sera pas institué pour contrer les paroles ou les écrits ou les dessins malveillants à son égard, tant que des stéréotypes négatifs seront impunément véhiculés à son encontre.

 

 

 

Pour comprendre ce que je dis, retournons en arrière dans l’hémicycle du Parlement irakien, en date du 10 août 2005. Le Premier Ministre Ibrahim Djaafari, dans l’une de ses allocutions, utilise une formule rhétorique : « Que Dieu nous protège contre le Diable ! », s’écrie-t-il. C’était son protecteur, son patron, le « Grand Satan » de Washington qui était visé par cette formule usuelle en terre d’islam, comme naguère en terre chrétienne.

 

 

 

Un membre de ce Parlement, le Kurde Kameran Chairi Saïd, l’interrompt aussitôt : « Monsieur le Premier Ministre, nous nous sentons insultés lorsque vous utilisez de manière répétée cette expression, ‘Que Dieu nous protège contre le Diable !’, car chaque fois que cette parole est prononcée, mes collègues tournent la tête vers moi comme si j’étais le représentant du Diable. Il y a effectivement de 600.000 à 700.000 Yezidis kurdes qui se sentent insultés chaque fois que vous utilisez cette expression. Nous demandons à tous les représentants du gouvernement d’en tenir compte ». Le Premier Ministre a répondu qu’il n’avait voulu injurier personne, que toutes les religions devaient montrer du respect les unes envers les autres, mais que les Yezidis devaient aussi respecter la majorité, et que cette majorité, étant musulmane, était coutumière d’utiliser l’expression incriminée.

 

 

 

Saïd s’était exprimé en son nom et en celui de ses deux autres collègues du Parlement irakien, qui compte 275 députés. Trois de ces députés sont donc des Yezidis. Ceux-ci parlent la langue kurde mais se considèrent comme une nation à part. Ils ne se marient pas avec des musulmans et se répartissent en trois castes, qui, elles aussi, ne se mêlent pas sur le plan matrimonial. Ils n’acceptent aucun converti en leurs rangs : on est yezidi par naissance. La plupart d’entre eux habitent les régions montagneuses autour de la ville de Mossoul et le long de la frontière entre l’Irak et la Syrie. Il existe également une diaspora yézidie, dont 30.000 personnes vivent en Allemagne et quelques-unes en Belgique.

 

 

 

Le sacrifice du taureau

 

 

 

Le nom de « yezidi », selon certains érudits, vient de la langue perse, du terme « yazata » signifiant « divinité » ; d’autres estiment pourtant que leur nom dérive de celui du calife ommeyade Yazid (qui régna entre 680 et 683). Dans le combat pour la prééminence dans l’Oumma, qu’il a mené contre les chiites, Yazid avait appelé à l’aide des non musulmans, qu’il a par la suite protégés contre toutes les tentatives de les convertir de force à l’Islam. Dans cette optique, le terme « Yezidi » signifierait « protégé de Yazid ». Et qu’il fallait donc, sous peine d’essuyer la colère du calife, que les autres musulmans laissent la paix à cette population non musulmane. Pour les Chiites, Yazid est le mauvais chef par excellence ; il est l’assassin de leur héros Hussein et, qui plus est, un homme qui aimait le vin, les femmes et la musique (la tradition considère qu’il est l’inventeur du luth). Tous ces traits de caractère ont contribué à donner une image diabolique à Yazid, et, par extension, à ses protégés.

 

 

 

Le plus ancien de leurs chefs connus fut le cheikh Adi (qui vécut vers 1100). Il mourut dans la petite ville kurde de Lalich qui, depuis lors, est le site d’un pèlerinage annuel. Les sources de la religiosité yezidie sont toutefois plus anciennes ; cette religiosité est la résultante de linéaments religieux divers. Les Yezidis utilisent, tout comme les Juifs, le calendrier babylonien. Celui-ci est constitué d’années solaires divisées parfois en douze parfois en treize mois lunaires. Le Nouvel An ne tombe pas automatiquement le premier jour du printemps, comme dans le calendrier iranien qu’utilisent les autres Kurdes, mais environ deux semaines plus tard, exactement comme la fête de Pâques des chrétiens. Leur fête principale a lieu au début de l’automne, exactement comme chez les Juifs. Lors de cette fête, les Yezidis sacrifient rituellement un taureau, exactement comme dans le culte de Mithra, très populaire à la fin de l’Empire romain. Mithra était le dieu-soleil des Iraniens. Les tabous yezidis sur la pureté, dans le domaine des menstruations féminines, des fonctions excrémentielles et des rapports avec des étrangers à la communauté diffèrent peu de ceux des Juifs, des Musulmans et des Zoroastriens. Dans leurs rites, le respect des éléments est typiquement d’inspiration zoroastrienne. Ainsi, il leur est interdit de cracher dans le feu ou dans l’eau.

 

 

 

Certains Yezidis prétendent qu’ils maintiennent en vie l’authentique religion iranienne, telle qu’elle existait avant Zarathoustra. C’est ce qui explique pourquoi ils ont gardé le rituel du sacrifice du taureau, alors que Zarathoustra avait interdit tous les sacrifices d’animaux. Ce serait aussi la raison pour laquelle ils auraient conservé un calendrier avec mois lunaires, correspondant à des cycles naturels observables aisément par toute personne non atteinte de cécité, tandis que le calendrier solaire strict des Zoroastriens, avec ses douze mois « abstraits », non directement visibles et observables, correspondant aux signes du Zodiaque, postule une science plus avancée et est donc historiquement plus récent.

 

 

 

Adam seul

 

 

 

Les Yezidis croient en un Dieu qui a créé le monde sous la forme d’un embryon, mais a ensuite laissé tous les autres travaux particuliers de cette œuvre de création à sept anges. Le plus important de ces anges est Taous-i Melek, l’ange-paon. Il est objet de vénération et le cheikh Adi est célébré comme étant sa réincarnation. Cet ange est perçu par les Musulmans comme étant le Diable.

 

 

 

Lorsque Dieu demanda aux anges de créer l’homme, il leur ordonna de s’incliner devant ce couronnement de son œuvre créatrice. Taous-i Malek refusa : il procédait, lui, de la lumière divine et ne s’inclinerait donc pas devant l’homme, fait au départ d’une motte d’argile. C’est sans doute cet élément de fierté qui fait de lui, aux yeux des Musulmans, un ange orgueilleux et donc une manifestation du Diable. Les Yezidis ne croient pas en la puissance cosmique du mal : selon eux, le mal n’existe que dans le cœur de l’homme, mais conjointement au bien.

 

 

 

L’une des doctrines les plus étranges des Yezidis réside dans la croyance en une ascendance uniquement adamique, sans intervention d’Eve. Le couple originel voulut un jour savoir lequel des deux avait la prééminence dans le processus de reproduction. Chacun plaça alors ses humeurs reproductives dans une cruche et lorsqu’ils ouvrirent plus tard les deux cruches, celle d’Eve contenait toutes sortes de vermines et de créatures monstrueuses, mais celle d’Adam un magnifique bébé mâle. Au Proche- et au Moyen Orient, il n’y donc pas que les Musulmans qui adoptent des réflexes misogynes. Ce bébé mâle a grandi et s’est ensuite marié à une houri, une nymphe céleste, et c’est de cette union naturelle que procèdent les Yezidis.  

 

 

 

Tout comme leurs voisins syriens, les Druzes, les Yezidis croient en la réincarnation. Dans toute la région, on peut donc observer un bon nombre de mouvements religieux en marge de l’islam, qui, d’une manière ou d’une autre, se conforment aux normes de la religion musulmane, mais se réfèrent à des doctrines non musulmanes et conservent des pratiques pré-islamiques. Ainsi, les Yezidis ne connaissent pas la circoncision obligatoire, mais, chez eux, cette mutilation sexuelle est très fréquente, afin de ne pas se faire remarquer dans un environnement à prédominance musulmane. Tout comme les Musulmans, les Yezidis prient cinq fois par jour, mais à l’abri des regards, pour dissimuler le fait qu’ils ne se tournent pas vers La Mecque mais vers le Soleil.

 

 

 

C’est donc par l’exercice d’une prudence constante, comme pour les cinq prières quotidiennes, et par le caractère isolé de leurs régions de résidence, dans les montagnes, que les Yezidis ont pu survivre, en dépit des siècles de domination musulmane.

 

 

 

Moestasjrik/’t Pallieterke, Anvers, n°43/2006 (trad. franç. : Robert Steuckers).

 

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