Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 25 mars 2007

Symon Petlura

Trouvé sur: http://theatrumbelli.hautetfort.com/

Symon Petlura

C’est à Poltava, dans une Ukraine asservie et divisée entre empires russe et austro-hongrois que naquit le jeune Symon dans une famille descendante de cosaques appauvris, en mai 1879. L’émergence du sentiment national chez ce peuple farouchement attaché à sa liberté et son identité s’était accélérée à la fin du 19ème siècle, surtout dans la partie autrichienne (Galicie). Dans l’empire des tsars, au contraire, les Ukrainiens, qualifiés de « Petits Russes » subissaient une domination quasi coloniale nantie d’une répression impitoyable et d’une interdiction de leur langue, dont l’existence même était niée. Dès sa tendre enfance, Petlura montre une capacité de travail et une intelligence peu communes alliées à une grande sensibilité.
Très tôt acquis à la cause nationale, il adhère au Parti révolutionnaire Ukrainien (RUP) et se fait virer du séminaire en 1901. Pour échapper à la police, il doit partir dans le Kouban où il participe à la rédaction de plusieurs publications nationalistes.
A l’automne 1904, Petlura se trouve en exil à Lviv en Galicie, après un premier séjour en prison, où il devient un membre dirigeant du Parti social démocrate ouvrier ukrainien.
Le mouvement national ukrainien de cette époque est très hétérogène et fortement marqué à gauche avec un mélange particulier de socialisme et de fédéralisme.
Dans cet environnement idéologique, Petlura s’affirme clairement antimarxiste et s’impose par son éloquence et son pouvoir de persuasion.
Son activité débordante de militant et de publiciste dans de multiples journaux et les bons soins de la police tsaristes le font voyager de Saint- Pétersbourg à Kyiv pour aboutir enfin à Moscou en 1912 où il épouse sa compatriote Olha Bilska qui lui donnera une fille unique.
A la veille du premier conflit mondial, Petlura est mobilisé sur le front sud ouest et affecté comme délégué général adjoint aux services auxiliaires pour former et préparer au combat les recrues ukrainiennes de l’armée impériale : 3 millions de ses compatriotes luttent dans les rangs tsaristes alors que 250 000 revêtent l’uniforme autrichien.
L’heure de la délivrance sonne pour l’Ukraine avec la révolution de février 1917 qui prend une coloration fortement nationale sur la vieille terre des cosaques zaporogues.
A Kyiv, Petlura intègre un parlement provisoire, la Rada centrale, représentatif de toutes les forces vives du pays, incluant les minorités nationales, qui se met en place dès le mois de mars. En tant que président élu de l’Organisation militaire ukrainienne, il convoque trois congrès militaires pan ukrainiens à Kyiv pour constituer l’embryon d’une armée nationale et doter la Rada de forces crédibles.
Il se heurte à la fois à l’opposition du gouvernement provisoire de Kerenski, mais aussi aux réticences de nombreux responsables socialistes ukrainiens, idéalistes et antimilitaristes, comme Hrouchevskyi et Vynnytchenko.
Il se distingue également en se montrant attaché à la poursuite de la guerre aux côtés des pays alliés de l’Entente et mise de grands espoirs sur la France.
Au moment où survient la révolution bolchevique, l’Ukraine s’est engagée dans une marche irrésistible vers la souveraineté qui aboutit le 20 novembre 1917 à la création de la République populaire ukrainienne (UNR).
Cela est inacceptable pour Lénine qui lance une première invasion du pays après un ultimatum et la création d’une république bolchevique fantoche à Kharkiv.
Petlura, en désaccord avec Vynnytchenko qui désire sortir de la guerre et participer aux pourparlers de paix avec les empires centraux, avait déjà démissionné de son poste de secrétaire général aux affaires militaires et gagné la province pour former de nouvelles unités .
A la tête d’un corps d’armée il se distingue par son courage et son abnégation dans la résistance à l’envahisseur.
Après la proclamation de l’indépendance de l’UNR le 22 janvier 1918, Kyiv est investie une première fois par les bolcheviks après le départ du gouvernement dont les délégués signent la paix de Brest-Litovsk avec les empires centraux le 9 février.
Les armées allemandes et austro-hongroises envahissent le pays et repoussent les bolcheviks dans l’espoir de faire main basse sur les immenses ressources de ce traditionnel « grenier à blé ».
Un coup d’état soutenu par les Allemands propulse au pouvoir le général Pavlo Skoropadskyi qui se fait nommer hetman et établit un régime conservateur et monarchique, sans assise populaire, en dépit d’une œuvre non négligeable dans la promotion de la culture ukrainienne.
Ami de l’Entente, Petlura quitte l’armée, avant d’être emprisonné quelque temps par les Allemands, puis prend part au soulèvement contre l’hetman qui abdique le 14 décembre 1918 et s’enfuit en Allemagne.
La Rada revient à Kyiv et un Directoire de cinq personnes assure le pouvoir. Petlura y occupe la fonction d’otaman général, c'est-à-dire de chef suprême des armées de la République.
Il se consacre énergiquement à l’organisation des forces militaires, qui, à part quelques régiments réguliers disciplinés, sont composées d’un trop grand nombre d’unités hétéroclites et volatiles.
Mais la guerre reprend en ce début d’année au moment où un vieux rêve ukrainien se réalise, l’union, le 22 janvier 1919, avec la Galicie qui avait proclamé son indépendance deux mois plus tôt sous le nom de République populaire d’Ukraine occidentale (ZUNR).
Dans ce champs clos qu’est devenue l’Ukraine, les invasions et les fronts se multiplient avec l’intervention de plusieurs armées, toutes adversaires du Directoire.
Les Bolcheviks avec l’armée rouge organisée par Trotsky ouvrent le bal, suivis de peu par les Polonais de Pilsudski, nouvellement indépendants et qui n’avaient pas renoncé à la Galicie, longtemps restée sous leur domination.
Au sud du pays, les troupes françaises et grecques débarquent pour choisir de soutenir l’armée blanche du général Dénikine, lequel, fidèle à sa vision d’une Russie une et indivisible, considère qu’un « séparatiste » ukrainien ne vaut pas mieux qu’un Bolchevik.
Il ne faut pas oublier, dans ce tableau dantesque, les Roumains qui s’emparent de la Bucovine, les cavaliers anarchistes de Nestor Makhno et surtout les innombrables bandes de soldats perdus, de bandits et de paysans qui, sous la conduite de chefs autoproclamés, écument le pays, se vendant souvent au plus « offrant ». Petlura prend la tête du Directoire après le départ de Vynnytchenko, ce qui consacre le triomphe des nationaux démocrates sur les socialistes-révolutionnaires.
Mais, à ce moment là , en dépit d’un engagement total sur le terrain, à la tête d’une armée sous équipée et sans grande cohésion, Petlura ne contrôle plus grand-chose et s’efforce de sauver ce qui peut encore l’être.
Comment pourrait-il en être autrement dans ce pays plongé dans un chaos indescriptible où, entre flux et reflux incessants des armées, se succèdent massacres, exactions et dévastations. C’est dans ce contexte qu’interviennent des pogroms généralisés contre les populations juives au cours desquels les veilles haines accumulées éclatent et provoquent des dizaines de milliers de victimes.
Il est important de préciser un fait indéniable, à savoir que toutes les forces en présence se sont rendues coupables de tels actes : des Blancs aux Rouges en passant par les Polonais, les anarchistes ou les diverses bandes irrégulières qui parcouraient le pays.
Des détachements de l’UNR ont aussi été concernés, mais nous savons aujourd’hui, à la lumière de travaux sérieux et impartiaux, qu’il s’agissait généralement de troupes plus ou moins ralliées qui échappaient à tout contrôle efficace de la part du commandement général.
Petlura s’est toujours montré personnellement dénué de toute forme de judéophobie et était, de plus, conscient que les pogroms causaient un tort important à la réputation de son pays. Il lutta énergiquement contre ces excès par la formation de commissions d’enquête, des proclamations aux troupes, des indemnisation aux victimes et l’application de la peine de mort pour les auteurs de massacres.
Il faut également noter que le gouvernement de la Rada a, dès ses débuts, pratiqué une généreuse politique en faveur des minorités nationales, notamment les Juifs qui comptèrent plusieurs ministres aux affaires. Politique, d’ailleurs, pas vraiment suivie en retour. Tous ces faits historiques sont indiscutablement établis aujourd’hui autant par des chercheurs dignes de foi que par des personnalités juives marquantes comme le sioniste Vladimir Jabotinsky ou l’historien Léon Poliakov.
En août 1919, la situation est devenue intenable, l’armée ukrainienne, en proie à une épidémie de fièvre typhoide et au blocus de l’Entente, bat en retraite et Petlura, en désespoir de cause, se résigne à rechercher l’appui des Polonais.
Celui-ci se concrétise dès avril 1920 et se fait aux prix de conditions très dures dont l’abandon de la Galicie et de la Volhynie, ce qui coûte à Petlura une partie de sa popularité en lui aliénant les Ukrainiens de l’Ouest et le privant du soutien militaire des unités galiciennes.
Une offensive conjuguée des forces ukraino- polonaises libère à nouveau Kyiv, la dernière fois d’ailleurs pour une ville qui aura changé à neuf reprises de maître en l’espace de deux ans et demie ! Mais la contre offensive soviétique renverse la tendance et arrive jusqu’à Varsovie au moment où se produit le « miracle de la Vistule »au cours duquel, fait méconnu, les unités de Petlura jouent un rôle décisif en contribuant à sauver la Pologne et l’Occident de la menace bolchevique.
Pressés par la France, les Polonais abandonnent leur allié ukrainien et se partagent le pays avec les Soviétiques après la signature du traité de Riga en octobre 1920.
Le combat est désormais inégal, l’armée ukrainienne se replie en Galicie pour y être désarmée et internée. Pour Petlura et ses compagnons, c’est le commencement de l’exil.
Après plusieurs étapes européennes, Symon Petlura arrive à Paris en octobre 1924 avec les siens. Il va y mener une vie simple et active, logeant dans un petit hôtel du Quartier Latin et dirigeant le gouvernement ukrainien en exil, multipliant ses efforts pour unifier l’émigration tout en maintenant des contacts avec la patrie occupée.
Plus que jamais, il offre l’exemple d’un homme intègre et désintéressé, entièrement dévoué à son idéal.
Le 25 mai 1926, sortant d’un restaurant rue Racine et se dirigeant vers le boulevard Saint Michel, il est lâchement abattu de cinq balles par le juif Samuel Schwarzbard. Ce personnage, militant anarcho-communiste au passé trouble, justifie son crime par son désir de venger les pogroms antijuifs en Ukraine.
Après des funérailles grandioses, le procès de l’assassin se tient du 18 au 26 octobre 1927.
Schwarzbard était défendu par une vedette du barreau de l’époque, un certain Henry Torrès, communiste notoire.
Celui-ci, en écartant soigneusement les éléments et les témoignages gênants pour son client, transforme ce jugement en procès spectacle très médiatisé au cours duquel la victime sera érigée en bourreau.
Il fait habilement passer le meurtrier pour un honnête militant de la Ligue des droits de l’homme n’ayant somme toute commis qu’un crime passionnel à l’encontre d’un affreux criminel de guerre avant la lettre.
Or, il est clairement avéré que Schwarzbard a agi pour le compte des services secrets soviétiques dans le cadre d’une campagne de propagande bien orchestrée par Moscou, relayée sur place par les compagnons de route et de nombreuses organisations juives du monde entier. C’était tuer une deuxième fois la victime en l’érigeant injustement comme bouc émissaire de tous les pogroms commis durant cette tragique période.
Dans cette ambiance passionnelle et viciée, Schwarzbard fut donc acquitté par la Cour d’assises de la Seine sous les acclamations de la foule.

Pour le peuple ukrainien et tous les patriotes sincères du continent, Petlura, malgré des décisions discutables, laissera le souvenir d’un homme d’état et d’un chef juste et énergique, ardent combattant d’une Ukraine libre et indépendante aujourd’hui tiraillée entre les sirènes atlantistes et les nostalgies impériales du « grand frère » russe.

Pascal LANDES

===========================================================================
Pour en savoir plus :

Alain DESROCHES : Le problème ukrainien et Simon Petlura, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1962.
Borys MARTCHENKO : Simon Petlura, Paris, 1976.
Taras HUNZCZAK : Symon Petlura et les Juifs, paris, 1987.
Ces deux derniers ouvrages sont édités par la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura, 6, rue de Palestine, 75019 (Tél.: 01 42 02 29 56) où il est possible, outre la consultation de nombreux ouvrages sur tout ce qui touche de près ou de loin à l‘Ukraine, de visiter un petit musée consacré à l’otaman.

06:15 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 23 mars 2007

Raices de las relaciones entre Rusia y Espana

medium_bujan1.jpg

Pavel TULAEV :

Universidad Estatal Lingüistica de Moscu

Las raices de las relaciones entre Rusia y Espana

http://www.red-vertice.com/disidencias/textosdisi36.html...

06:15 Publié dans Affaires européennes, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 21 mars 2007

Safavid Iran

Library of Middle East History v. 5

Safavid Iran
- Rebirth of a Persian Empire


AUTHOR: Andrew J. Newman


The Safavid dynasty, which reigned from the late fifteenth to the eighteenth century, links medieval with modern Iran. The Safavids witnessed wide-ranging developments in politics, warfare, science, philosophy, religion, art and architecture. But how did this dynasty manage to produce the longest lasting and most glorious of Iran's Islamic-period eras? Andrew Newman offers a complete re-evaluation of the Safavid place in history as they presided over these extraordinary developments and the wondrous flowering of Iranian culture. In the process he dissects the Safavid story, from before the 1501 capture of Tabriz by Shah Ismail (1488-1524), the point at which Shi`ism became the realm's established faith; on to the sixteenth and early seventeenth century dominated by Shah Abbas (1587-1629), whose patronage of art and architecture from his capital of Isfahan embodied the Safavid spirit; and culminating with the reign of Sultan Husayn (reg. 1694-1722). Based on meticulous scholarship, Newman offers a valuable new interpretation of the rise of the Safavids and their eventual demise in the eighteenth century. "Safavid Iran", with its fresh insights and new research, is the definitive single volume work on the subject.



PUBLISHER : I. B. Tauris, London
PRICE: £35.00
COVER: Hardback
PAGES: 296
ISBN:9781860646676
PUBLICATION DATE: 31 Mar 2006

medium_safavid.jpg

>

09:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Rome, le Prince et la Cité

medium_Rome.gif

 

A lire :

Stéphane BENOIST : Rome, le prince et la Cité

Sur ce livre : http://www.clionautes.org/spip.php?article733 (recension de Stéphane Haffemayer).

06:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 12 mars 2007

Subha Chandra Bose et l'indépendance indienne

Il y a soixante ans disparaissait le combattant national-révolutionnaire indien Subha Chandra Bose !

Thomas HARTENFELS :

Subha Chandra Bose : le troisième homme dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde

Le Premier ministre indien actuel, Atal Bihari Vajpayee a rendu visite fin mai au lieu où est née la nation indienne moderne, le pays où, pour la première fois, on a joué son hymne national, où l'on a hissé pour la toute première fois le drapeau national indien et où l'on a imprimé les premiers timbres-poste indiens : Atal Bihari Vajpayee a visité l'Allemagne.

Les premières manifestations indépendantes de l'Etat indien actuel se sont en effet déroulée en Allemagne, notamment grâce aux impulsions données, à l'époque par Subha Chandra Bose. A côté de Gandhi et de Nehru, Bose est le plus connu des combattants indépendantistes indiens. Lors de son exil en Allemagne, il a forgé des plans pour libérer sa patrie du joug colonial britannique.

Les exilés indiens déclarent la guerre à l'Empire britannique

Après que la police britannique ait procédé à de nombreuses arrestations en Inde, Subha Chandra Bose, l'ancien maire de Calcutta, décide de quitter le pays en 1941, en compagnie de son épouse allemande, qu'il avait connue lors d'un séjour prolongé à Vienne. Muni d'un passeport de diplomate italien, il se rend en Allemagne en passant par Kaboul et l'Union Soviétique (qui n'était pas encore en guerre avec le Reich; ndt). Âgé à l'époque de 44 ans, Bose appelle les Indiens par radio depuis l'Allemagne à se soulever comme les colonisateurs britanniques; en même temps, il recrute des volontaires pour l'“Azad Hind”, la Légion “Inde Libre”.

Les succès militaires allemands contre l'Union Soviétique, à partir de juin 1941, et contre les Britanniques en Afrique du Nord, encouragent Bose à former une “Légion indienne” en 1942, dont l'objectif est de libérer l'Inde avec l'aide des forces de l'Axe. Les quelque 3000 volontaires de la “Légion indienne” seront instruits dans la région de Dresde. Ils portent des uniformes allemands avec, sur la manche, les couleurs nationales indiennes, sur lesquelles se détachent un tigre bondissant et la mention, en allemand, de “Freies Indien” (= “Inde Libre”). La langue de cette unité est une forme simplifiée d'hindoustani, qui tient compte de la grande diversité des dialectes indiens et de la complexité du système des castes. Les officiers allemands, affectés à l'unité, doivent l'apprendre via un manuel spécial, édité par la Wehrmacht, intitulé Hindustani-Sprachlehre (= Manuel d'hindoustani). Les symboles extérieurs de l'Etat indien ont donc été utilisés et présentés pour la première fois en Allemagne, quatre ans avant l'indépendance de l'Inde. En 1943, Bose fonde à Hambourg la “Deutsch-Indische Gesellschaft” (= La société germano-indienne). Lors des cérémonies qui présidèrent à cette fondation, la mélodie de l'actuel hymne national indien a été jouée pour la première fois et les trois couleurs indiennes ont été hissées au mat. Au même moment, les premiers timbres-poste indiens sortent d'une imprimerie berlinoise.

Le 26 janvier 1943, des officiers allemands et la “Légion Indienne” fêtent de concert le jour de l'indépendance indienne, fête nationale célébrée aujourd'hui encore en Inde. L'Inde libre, comme le voulait le mouvement indépendantiste, a pris forme en Allemagne.

Bose voulait étendre la lutte pour l'indépendance sur plusieurs fronts. En 1943, il se rend au Japon comme passager à bord d'un sous-marin allemand, l'U-Boot 180. Arrivé à Tokyo, il lance quelques-uns de ses célèbres appels radiophoniques, très écoutés et quasi légendaires en Inde, et, avec l'aide des Japonais, met une armée nationale indienne de 50.000 hommes sur pied. Tandis que la “Légion indienne” se battait aux côtés des Allemands en France, notamment pour tenter d'enrayer la progression des Alliés occidentaux après le débarquement de Normandie, l'“Armée Nationale” de Bose participait avec succès à l'offensive japonaise en Birmanie. En tant que chef du gouvernement indien en exil, Bose déclare la guerre en 1943 à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Le 18 août 1945, deux ans avant que son objectif ne se soit réalisé, c'est-à-dire l'indépendance de l'Inde, Subha Chandra Bose périt dans un accident d'avion au-dessus de Taiwan, en revenant du Japon.

La fille de Bose vit toujours en Allemagne aujourd'hui

La fille de Subha Chandra Bose, Anita, née en 1941 en Allemagne, est aujourd'hui professeur d'économie politique à l'Université d'Augsbourg. Anita Pfaff s'occupe beaucoup d'histoire indienne et, plus particulièrement, du rôle de son père dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde. Comme la plupart des Indiens aujourd'hui, elle sait que l'indépendance de leur grand pays n'a été possible que par l'action résolue de quelques hommes comme Bose, Nehru et Gandhi. Les festivités qui se sont déroulées partout en Inde à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Bose en 1997 le prouvent amplement. Un aéroport et plusieurs artères dans les grandes villes indiennes portent son nom. Il y a des monuments à sa gloire, ainsi que des pièces de monnaie et des timbres-poste.

Thomas HARTENFELS.

(article paru dans Junge Freiheit, n°28/2003 - http://www.jungefreiheit.de ).

06:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 10 mars 2007

Erreurs stratégiques des Gaulois

medium_Cesar_gaulois.jpg

 

LES ERREURS STRATEGIQUES DES GAULOIS FACE A CESAR

Par PHILIPPE RICHARDOT

La guerre des Gaules est presque toujours vue du côté des Romains, car il n'y a pas eu de grands historiens gaulois pour rapporter l'évènement. Qui plus est, la guerre des Gaules est vue du côté du conquérant romain, Jules César, auteur du seul grand récit sur le sujet, admirablement ramassé dans ses Commentaires. Même lorsque certains historiens contemporains essaient de prendre César en flagrant délit de désinformation, c'est toujours du côté romain qu'ils se placent, tant la conquête de la Gaule a, après deux millénaires, romanisé les descendants des fils de la Gaule vaincue. Le nom même de 'Gaulois' est un jeu de mots latins qui signifie 'coq', déformé d'après le nom que se donnaient les Celtes de Gaule. Limage classique de César est celle d'un conquérant de marbre qui réalise un grand projet de civilisation sur un peuple aussi indiscipliné que divisé dont l'ardeur bravache vient se briser contre l'art des légions. Hors des poncifs et d'une analyse romanocentrique, cet ouvrage montre un César politicien qui mène une quasi-guerre privée, sinon partisane pour financer sa carrière à Rome, voire pour échapper au tribunal. En face de lui, des Gaulois, certes divisés, dont la partie méridionale, déjà romanisée, choisit le camp de César. Des Gaulois, dont la communauté de culture apparaît malgré les clivages politiques aussi profonds entre tribus rivales qu'à l'intérieur d'elles-mêmes. Mais c'est une Gaule riche, en proie à une crise démographique et militaire qu'aggresse César avec un cynisme implacable : une Gaule incapable de s'opposer aux migrations armées des Germains et des Helvètes, avant d'être écrasée par le conquérant Romain. Si le résultat de la lutte est connu, les calculs des Gaulois, la valeur stratégiques de leurs chefs, l'art militaire des peuples celto-germaniques, les opérations les moins avouables de César sont peu étudiées, les Gaulois pouvaient-ils l'emporter? César était-il un maître joueur d'échecs ou a-t-il vaincu sur les erreurs de stratégie des Celtes ?

Ed. Economica

Texte en français
184 pages
Format : 155 X 240

21:11 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Petite histoire de l'idéologie roumaine

Petite histoire de l'idéologie roumaine

 

 

 

par Robert STEUCKERS

 

 

 

Analyse:

 

Armin HEINEN, Die Legion "Erzengel Michael" in Rumänien. Soziale Bewegung und politische Organisation. Ein Beitrag zum Problem des internationalen Faschismus,  R. Oldenbourg Verlag, München, 1986, 558 S., DM 128, ISBN 3-486-53101-8.

 

 

 

L'ouvrage d'Armin Heinen, consacré au mouve­ment de Codreanu, diffère de beaucoup d'autres tra­vaux consacrés à la Garde de Fer et aux tu­mul­tes de la politique roumaine de l'entre-deux-guer­res. Il en diffère parce qu'il explore à fond le con­texte historique de la Roumanie depuis son émer-gence en tant qu'Etat et parce qu'il résume, de ma­nière limpide et pédagogique, les multiples li­néa­ments de l'idéologie nationale roumaine. Ce sont ces pages-là que nous analyserons dans le pré­sent article, laissant de côté  —mais pour y re­venir plus tard—  l'exposé brillant et détaillé des é­vé­nements politiques du terrain que Heinen nous livre dans son remarquable ouvrage. 

 

 

 

Au XIXième siècle, les principautés roumaines (la Moldavie et la Valachie), en s'émancipant de la tutelle ottomane, entrent automatiquement dans un champ conflictuel, excitant la convoitise des puis­sances voisines, l'Autriche-Hongrie et la Rus­sie. La société, marquée par l'orthodoxie aux ré­­flexes ruraux et par l'idéologie guerrière tur­que/ot­tomane, reçoit comme de mauvais gref­fons les éléments épars de l'occidentalisme, le li­béra­lis­me économique et politique. La société roumai­ne est affectée par une cascade de crises dues aux facteurs de modernisation: dans une société ac­coutumée à la dépendance voire au ser­vage, l'é­man­cipation moderne ébranle les struc­tures so­cia­les. En amont, chez les dirigeants, les principes in­dividualistes, propres à la modernité politique, disloquent le sens du devoir de solida­rité et de cha­rité, plongeant du même coup les masses ru­ra­les dans la perplexité puis dans la co­lère. En aval, dans les masses, le respect pour les élites tradi­tion­nelles s'estompe et, vis-à-vis des élites im­por­tées ou de la bourgeoisie urbaine émergente, éclot une haine qu'il sera de plus en plus difficile de contenir. Pour les masses, les élites tradition­nel­les ont succombé aux tentations du mirage oc­ci­dentaliste; elles ont basculé dans le péché, en ou­bliant leurs devoirs paternalistes de solidarité et de charité. Les élites importées et les élites urbai­nes (ou fraîchement urbanisées) sont, elles, les ten­tatrices, les vectrices du péché.

 

 

 

Le poporanisme, équivalent roumain du narodnikisme russe

 

 

 

Dans un tel contexte, à terme explosif, se profi­lent quatre filons idéologiques, dont trois sont cal­qués sur leurs équivalents ouest-européens: le libéralisme, le conservatisme, le socialisme; qua­trième filon, le «poporanisme», lui, est «na­tio­nal» (au sens ethnique) et paysan, c'est-à-dire at­ta­ché aux modulations traditionnelles des rela­tions sociales. Le libéralisme roumain est coincé en­tre une volonté théorique de démocrati­sation et la défense effective d'intérêts précis (ceux de la bour­geoisie «parvenue» et importée). Le conser­va­tisme roumain est, quant à lui, im­mobiliste: rai­sonnant en termes d'idéaltypes con­servateurs fi­gés, il refuse de prendre en compte toutes les mo­difications politiques survenues après 1848. Dans le conservatisme roumain, émerge tout de même une figure intéressante, celle de Constantin Radu­lescu-Motru, auteur de Cultura româna si politi­cia­nismul (= La culture roumaine et la poli­ti­cail­le). Radulescu-Motru es­time que les Roumains, par manque d'énergie, n'ont pas transformé leur culture rurale du départ en une culture plus vaste, plus générale, plus viable, semi-urbaine, ou d'u­ne urbanité non ou­blieuse de ses racines, à la mo­de allemande. Dans cette ruralité demeurée primi­tive et en consé­quence fragilisée, des «politi­cards» et des «avocats», rusés et spéculateurs, ont instrumen­talisé des idées étrangères, occi­den­tales, ont ra­tionalisé à leur profit l'appareil étati­que, pour prendre la place des élites déclinantes et pour bar­rer la route à toute élite nouvelle, issue du peuple roumain, qui se profilerait à l'horizon.

 

 

 

Une doctrine de l'Etat démocratique paysan

 

 

 

Le socialisme roumain, enfin, est un socialisme sans ouvrier, dans un pays aux structures indus­trielles peu développées. Le poporanisme, spéci­fi­cité roumaine, élabore une doctrine de l'Etat dé­mocratique paysan, optant pour une voie non ca­pitaliste. Le poporanisme est donc bel et bien une expression de l'ethnicité rurale roumaine, or­phe­line de ses élites et haïssant les nouveaux ve­nus dans la société roumaine. Il est démocratique par­ce qu'il estime ne plus avoir d'élites tradition­nel­les ou a perdu toute confiance dans les élé­ments qui subsistent de celles-ci. Les dominants tradi­tion­nels ayant dérogé, le peuple roumain doit pren­dre son destin en mains: ses élites doivent sortir directement de ses rangs. Mais son carac­tè­re démocratique ressort également parce qu'il re­fuse toute domination des masses rurales par de nouvelles élites dans lesquelles il ne se reconnaît pas. La voie est non capitaliste parce que le capi­talisme est porté par des éléments non issus de ces masses rurales. L'idéologie poporaniste se ba­­se, au départ, sur les écrits de Constantin Ste­re, un socialiste qui a refusé le marxisme et s'est inspiré des narodniki  russes (et ortho­doxes). Le terme narodniki vient de narod (= peuple), com­me "poporanisme" vient de popor  (= peuple) (Cf. Constantin Stere, «Socialdemocratism sau po­poranism», in Viata românesca, 2, 1907-1908). Stere refuse le marxisme parce qu'il ne con­vient pas à un pays à forte dominante agraire comme la Roumanie. L'idéologie marxiste a été in­capable de produire un discours cohérent sur les masses rurales. Le modèle de l'idéologue po­pu­liste-paysan roumain est le Danemark (qui, en Grundvigt, avait eu son théoricien-poète de la ru­ralité et de la populité, initiateur du courant d'i­dées folkelig, de l'adjectif dérivé de folk, "peu­ple"). Le Danemark a su conserver intact son pay­sannat; par un réseau de coopératives, il a ren­du les petites fermes familiales viables et les a cou­plées au monde industriel. En termes plus en­thousiastes, G. Ibraileanu, un disciple de Stere, ima­gine une Roumanie démocratique, avec un Par­lement de petits producteurs et une armée de paysans-soldats, à la mode des Boers sud-afri­cains; ces chefs de famille permettraient à leurs cadets, filles et garçons, d'étudier des ma­tières cul­turellement enrichissantes, à l'université ou dans les conservatoires, générant ainsi une nou­velle élite intellectuelle ayant acquis ses quali­tés en dehors de toutes préoccupations utilitaires. Con­trairement aux conservateurs, les popora­nis­tes se considéraient comme les successeurs des ré­volutionnaires de 1848. Mais, comme les con­ser­vateurs du mouvement Junimea, ils refu­saient d'inclure dans leur vision idéale de la so­ciété, les éléments non issus des masses rurales.

 

 

 

Les piliers d'un nationalisme ethnique, farouchement

 

anti-occidental

 

 

 

Le conservatisme du mouvement Junimea, dont Radulescu-Motru fut le principal théoricien, et le poporanisme ruraliste de Stere et Ibraileanu sont les deux piliers de l'anti-occidentalisme roumain, dont la Garde de Fer sera, plus tard, un avatar ra­di­calisé. Ceci dit, Stere refusera toujours la ra­di­ca­lisation légionnaire; demeurant rationnel et fi­dèle à son «modèle danois», basant ses argu­ments sur des statistiques et sur des observations empiriques, se bornant à déplorer l'accroissement trop rapide des populations non roumaines en Rou­manie (et des Juifs en particulier), Stere res­te­ra éloigné de toutes les déformations mystiques de son socialisme agrarien.

 

 

 

Sur cette double généalogie idéologique, s'est gref­fé un antisémitisme qui, dans un premier temps, était principalement littéraire. Des figures com­me Mihail Eminescu, Aurel C. Popovici et Ni­colae Iorga effectueront, petit à petit, la syn­thè­se entre le populisme roumain, conservateur ou po­poraniste, le nationalisme inspiré des autres na­tionalismes européens et de l'antisémitisme. Par­mi les leitmotive de cette synthèse: la moder­nité, en accordant un droit égal à tous, confisque aux pay­sans pauvres, porteurs de la substance ethni­que roumaine, l'égalité des chances; la so­ciété mo­derne, impliquant la division du travail, induit un clivage entre producteurs (paysans et artisans) et «parasites» (commerçants et spécula­teurs). L'an­tisémitisme qui découle de ces res­sentiments sociaux présente toutes les nuances et gradations du genre: pour les uns (Iorga et Eminescu), les Juifs sont assimilables s'ils adoptent des «métiers productifs»; pour Stere, qui raisonne en termes ra­tionnels, la naturalisa­tion demeure possible, si les Juifs s'adaptent à la culture roumaine (ce qui re­vient en fait à adopter les mêmes métiers que les Roumains); pour d'autres, comme V. Alecsandri, B.P. Hasdeu, N.C. Paulescu et Alexandru C. Cu­za, toute vie en commun avec les Juifs est im­pos­sible. Comment justifient-ils cette exclusion sans appel? En mettant en avant, comme beau­coup d'autres antisémites européens, des citations du Talmud (Rohling, Rosenberg, Picard, etc.). Pour cette tradition anti-talmudiste, l'existence du Tal­mud dans l'héritage spirituel juif interdit l'as­si­milation et la coexistence pacifique.

 

 

 

Nicolae C. Paulescu introduit cependant des nu­an­ces: la substance populaire roumaine n'est pas tant menacée par la concurrence économique de l'élément juif que par la perte des «directives res­trei­gnantes». Une société rurale est une société «é­conome», épargnante, qui restreint ses pul­sions vers la consommation. Le rôle de la morale est de pérenniser cette propension à la restriction, pour que la société ne perde ni son équilibre ni son harmonie. A.C. Cuza introduit dans ce dis­cours des éléments tirés de Malthus: deux peu­ples, les Roumains et les Juifs, ne peuvent pas vi­vre «dissimilés» sur un même territoire, sans que n'éclate une guerre à mort.

 

 

 

Le divorce entre le peuple et l'élite

 

 

 

Pour Eminescu, la Roumanie est passée de l'o­béissance aux Turcs à l'obéissance à l'étranger (hongrois, juif ou allemand), parce qu'en 1878, au Congrès de Berlin, qui instaure l'indépen­dan­ce définitive de la Roumanie, les puissances im­posent comme clause que les non orthodoxes peu­vent acquérir la citoyenneté rou­maine, intro­dui­sant de la sorte une cassure diffici­lement sur­montable entre la ville et la campagne. Cette cas­su­re marginalise une intelligentsia bril­lante, de souche paysanne et roumanophone, très nom­breu­se et privée d'avenir parce que les postes sont déjà occupés dans les villes, par les franco­philes, les fils urbanisés et francisés des boyards (dénoncés surtout par Iorga), les Juifs, les étran­gers. L'idéal de ces laissés-pour-compte, c'est une culture authentiquement roumaine qui puisse accéder à l'universel, être appréciée dans le mon­de entier, exprimer la créativité profonde de l'âme roumaine aux yeux de tous les peuples de la pla­nète, souder la solidarité des Roumains vi­vant à l'intérieur et à l'extérieur des frontières du ro­yaume.

 

 

 

Cet idéal, les Roumains sentent qu'ils ne pour­ront le réaliser. Raison pour laquelle leur nationa­lisme, au début du XXième siècle, est le produit d'une «conscience malheureuse», de doutes et de peurs. Les Roumains ont l'impression, en 1900, que, dans le siècle qui s'annonce, ils auront le statut d'«ilotes». Heinen (pp. 86-87) résume ce pas­sage au nationalisme angoissé chez Eminescu: «[Chez Eminescu], la nation apparaît comme une essence spécifique, qui déploie ses propres re­ven­dications et a sa propre personnalité. Elle se trouve au-dessus de l'idée de liberté individuelle, ce qui veut dire qu'elle ne se constitue pas par la volonté de ses membres mais est un donné natu­rel se situant au-delà d'eux. Le sens qu'acquiert la vie individuelle d'un chacun existe par la Na­tion et pour la Nation. Le corps populaire me­nace toutefois d'être détruit à cause de la lutte des clas­ses, principe égoïste, rendant impossible le don de soi à la Nation. L'inégalité, résultant de la di­vi­sion du travail social, et les conflits qui en dé­coulent doivent être limités par la conscience d'u­ne appartenance à la Nation. Quant à A.C. Cuza, il estime que la réalité Roumanie ne réside pas dans la lutte des classes mais dans la lutte des races, c'est-à-dire dans la question de savoir si ce sont des Roumains ou des Juifs qui conduiront le pays».

 

 

 

Un vigoureux plaidoyer

 

contre la «raison pure»

 

 

 

Aurel C. Popovici introduisit dans la littérature roumaine la critique conservatrice moderne des fondements du libéralisme. Appuyée sur les tra­vaux de Burke, de Joseph de Maistre, de Gustave Le Bon, de Taine, Langbehn, Houston Stewart Chamberlain et Gumplowicz, sa démarche vise es­sentiellement à déconstruire le mythe de la rai­son pure. Heinen la résume comme suit (p. 87): «L'oeil humain n'a pas été créé pour ne regarder que le soleil. Nous ne pouvons pas éduquer nos jeunes gens pour n'être que de purs savants; nous aurions pour résultat une catégorie sociale de de­mi-cultivés ridicules, avançant des prétentions ir­réalisables [...]. La raison pure dissout tout, re­met en question les structures traditionnelles et met ainsi en danger l'intégration sociale [...]. Sans religion, les gens simples du peuple perdent leur retenue morale, la haine sociale et l'envie "ron­gent des trous" dans la vie spirituelle de la na­tion». Popovici estime que tous les maux du mon­de moderne sont réunis dans la démocratie. Par le fait qu'elle hisse les intérêts matériels de la plèbe insatiable et égalitariste au rang de source des décisions politiques, nous voyons nécessai­rement naître un monde de démagogie, de lutte des classes, orienté seulement vers la satisfaction des intérêts particuliers et éphémères. La ville mo­derne reflète d'ores et déjà, pour Popovici, cet­te dégénérescence des mœurs politiques.

 

 

 

A la décadence de la Roumanie de la fin du XIXième siècle, les nationalistes opposent, nous ex­plique Heinen (p. 89), la grandeur nationale des XVième et XVIième siècles ou évoquent les Da­ces. Les nationalistes roumains préféraient d'of­fice tout ce qui s'était passé avant 1800, les époques de simplicité patriarcale, où règnait une so­lidarité naturelle entre paysans, boyards et let­trés. L'assaut des mœurs occidentales délétères, la pénétration en Roumanie d'éléments étrangers a ruiné définitivement cette harmonie.

 

 

 

Un César lié au peuple

 

 

 

Mais les nationalistes ne veulent pas pour autant d'un retour au Moyen Age. Les innovations de la modernité, notamment dans les domaines éco­no­mique et militaire, doivent être assimilées et sou­mises à des principes directeurs pré-mo­dernes. L'évolution de la société doit être gra­duelle, mais c'est le paysannat de souche qui doit la contrôler, de façon à ce qu'il demeure toujours la classe so­ciale dominante. Pour chapeauter ce paysannat, les nationalistes réclament une monar­chie héré­di­taire, se plaçant au-dessus des classes sociales; le monarque souhaité n'est pas absolu: il devra ê­tre un César lié au peuple. A ses côtés, devra se trou­ver une oligarchie politique capable de com­pren­dre l'évolution naturelle des choses. Raison­nant sur un mode «évolutionnaire», rejet­tant toute forme de rupture révolutionnaire, A.C. Cuza et N. Iorga préconisaient une démocratie constitu­tion­­nelle, ayant pour organe législatif un parle­ment des états, calqué sur ceux de l'Ancien Ré­gime mais adapté aux impératifs de l'heure. Con­trairement à Popovici, influencé par les idéolo­gèmes sociaux-darwiniens, Cuza et Iorga préco­ni­saient l'intervention de l'Etat, notamment dans les domaines de l'enseignement et de la forma­tion professionnelle, parce que le retard économique de la Roumanie était dû, pour une bonne part, à l'absence de corps de métier, de maîtres éduca­teurs, de gildes, d'instituts agronomiques. Emi­nes­cu, Iorga et Cuza réclamaient le partage des grands domaines au profit de groupes, fami­liaux ou villageois, composés de petits paysans. Cette re­vendication distingue les nationalistes des con­servateurs, pour qui l'Etat agrarien doit être dirigé par les gros propriétaires et pour qui l'indivi­dua­lisme de type occidental ne doit pas être abandon­né et/ou éradiqué au profit d'un don total de la personne à la nation.

 

 

 

L'influence de la revue «Samanatorul»

 

 

 

Après la première guerre mondiale, quand la don­ne change de fond en comble, le poporanisme de Stere se transforme en «taranisme» (de "tsa­ra", paysan). Le néo-nationalisme gardiste prend une coloration mystique, absente chez Iorga et Cu­za. Le projet de fonder un système d'éducation ra­tion­nel, mettant l'accent sur l'agronomie et le dé­veloppement des corps de métier, cède le pas, dans l'idéologie gardiste, à une éducation de type militaire (milice de Dieu) et activiste. Ce glisse­ment vers le mysticisme armé et politisé, s'est o­pé­ré, graduellement, par l'intermédiaire d'une re­vue très lue, Samanatorul  (= Le Semeur), dont Ni­colae Iorga fut pendant un certain temps le ré­dacteur-en-chef. Le «samanatorisme» esquissa, dans le monde des lettres roumain, l'image d'un vil­lage où vivent deux peuples, selon des modes très différents. D'un côté, la Roumanie patriar­ca­le, avec ses boyards, ses lettrés, ses prêtres et ses paysans; de l'autre, les étrangers et les parvenus so­ciaux d'origine non roumaine, qui ne vivent que pour satisfaire leurs intérêts et leurs pulsions.

 

 

 

Dans l'orbite de cette vision samanatoriste, d'abord circonscrite à la littérature, naît un ro­man, de la plume de Bucura Dumbrava, Haiducul (= L'Haiduc). Dumbrava y décrit une société dé­terminée par des conflits qui ne sont pas de nature sociale mais ethnique. Les Phanariotes grecs ont pu régner sur les Valaques et les Moldaves parce que l'élite nationale était désunie. Précisément par­ce qu'elle était étrangère, la domination des Pha­nariotes était arbitraire. L'idéal de Dumbrava est le Prince Vlad Tepes (1448-1476), souverain im­placable mais national. Dans son roman, les ban­des de brigands que sont les Haiducs, repré­sentent le renouveau national. Ils se placent déli­bérément en dehors des lois, pour faire triompher le véritable droit national, oblitéré par les domi­nants étrangers. Les paysans considèrent les Hai­ducs comme leurs protecteurs et leurs sau­veurs; ils les nourrissent et les cachent comme des par­ti­sans. A l'intérieur des bandes, les membres sont liés par serment et se placent sous l'autorité d'un chef aux qualités exceptionnelles, le Capitan. Tra­hir le Capitan  implique non seule­ment une entor­se aux règles du groupe mais est un crime contre l'ensemble du peuple roumain et mérite, de ce fait, la mort. Dans ce roman, lu par des quantités d'adolescents roumains, se retrou­vent l'éthique na­tionale et l'esprit de corps de la Garde de Fer, expression d'un nationalisme nou­veau par rap­port à celui, littéraire et idéologique, des Emines­cu, Iorga et Cuza, fondateurs du Parti National-Dé­mocrate. A l'intérieur de ce parti, dans les an­nées 20, nous trouvons une aile radi­cale, dirigée par Corneliu Sumuleanu et Ion Zelea-Codreanu. De cette aile radicale naîtra, après une rupture survenue quelques années plus tard, la Légion de l'Archange Michel.

 

 

 

(Nous donnons ici une vision assez incomplète du livre d'Armin Heinen; les chapitres sur l'é­volution des doctrines nationalistes en dehors de la Légion et de la Garde sont importants eux aus­si; notamment, quand il évoque, dans l'œuvre de Mihail Maïnolesco, le passage du néo-libéra­lisme technocratique roumain à la doctrine du parti uni­que et du corporatisme moderne. Maïnolesco a eu une influence très importante en Allemagne, en I­talie, dans la France de Vichy et dans la Po­litieke Akademie de Victor Leemans à Lou­vain en Flan­dre. Maïnolesco a donné une di­men­sion euro­péen­ne à l'idéologie roumaine. Nous y revien­drons).

 

 

 

Robert STEUCKERS.    

 

06:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 03 mars 2007

Une histoire de l'empire byzantin

medium_stesophie.jpg

 

La réédition de

"L'Histoire de l'empire byzantin"

du grand historien Charles Diehl (Strasbourg 1859- Paris 1944) vient à point nommé pour répondre au préjugé antibyzantin.

Cet ancien préjugé se révèle aujourd'hui fort utile à la politique mondialiste. Depuis les années 1990 il a permis aux disciples de Huntington et de Brzerzinski de convaincre les occidentaux, par exemple qu'il faut expulser les pays orthodoxes d'Europe, bombarder Belgrade, prendre le parti des musulmans et des Turcs en particulier, etc.

Révélons à nos lecteurs la conclusion de l'auteur:

Ainsi finit l’empire byzantin, après plus de mille ans d’existence, et d’une existence souvent glorieuse, après avoir été, durant des siècles, le champion de la chrétienté contre l’Islam, le défenseur de la civilisation contre la barbarie, l’éducateur de l’Orient slave, après avoir, jusqu’en Occident, fait sentir son influence. Mais alors même que Byzance fut tombée, alors qu’elle eut cessé d’exister en tant qu’empire, elle continua d’exercer dans tout le monde oriental une action toute puissante, et elle l’exerce encore aujourd’hui. Des extrémités de la Grèce au fond de la Russie, tous les peuples de l’Europe orientale, Turcs et Grecs, Serbes et Bulgares, Roumains et Russes, ont conservé le souvenir vivant et les traditions de Byzance disparue. Et par là cette vieille histoire, assez mal connue, un peu oubliée, n’est point comme on le croit trop volontiers, une histoire morte ; elle a laissé jusqu’en notre temps, dans le mouvement des idées comme dans les ambitions de la politique, des traces profondes, et elle contient toujours en elle pour tous les peuples qui ont recueilli son héritage des promesses et des gages d’avenir. C’est par là que la civilisation byzantine mérite doublement l’attention, autant pour ce qu’elle fut en elle-même que pour tout ce qui reste d’elle dans l’histoire de notre temps.  Charles Diehl

Dès le début de sa carrière, dès ses séjours à l’École française de Rome (1881-1883) puis d’Athènes (1883-1885), puis sa thèse de doctorat, Études sur l’administration byzantine dans l’exarchat de Ravenne (1888) Charles Diehl faisait figure de rénovateur de l’histoire de Byzance et de l’empire byzantin. Il continuera en publiant en 1896 son Afrique byzantine et, en 1901 un Justinien. Ses travaux, notamment ses études sur l'art byzantin aboutiront à réviser et rénover entièrement ce dernier chapitre de l’histoire du monde antique.

Il avait ainsi courageusement entrepris de redresser le préjugé antibyzantin, dominant en cette période de fureur anticléricale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Depuis sa première édition en 1919, la remarquable petite synthèse de Charles Diehl, que nous réimprimons en ce moment, a évidemment vu apparaître plusieurs travaux monumentaux qui la complètent et la développent heureusement. On ne saurait citer ceux-ci de manière exhaustive. Mentionnons par exemple Arnold Toynbee dans son immense synthèse sur L'Histoire publiée entre 1934 et 1961, Georg Ostrogorsky s'agissant de l'Histoire de l'État byzantin (édition originale en 1940), Jean Meyendorff (1926-1992) par ses nombreux travaux sur la théologie byzantine, Basile Tatakis pour l'Histoire de la Philosophie byzantine (1949), sans omettre de citer un éminent disciple français de Diehl comme Paul Lemerle (1903-1989) qui ont su continuer cette œuvre dans diverses directions.

L'Histoire de l'empire byzantin de Diehl reste toujours inégalée, comme point de départ, regard d'ensemble, alerte et intelligent, base d'une découverte indispensable à l'honnête homme.

Son propos consiste très exactement à réfuter l'erreur absurde, remontant aux gens des Lumières, et notamment à Gibbon, qui se sont complu à représenter, contre toute évidence [une "décadence" qui dure mille ans ce n'est pas une décadence, c'est au contraire une grande civilisation puissante, intelligente et raffinée], Byzance comme une société décadente et arriérée. Un tel cliché est revenu en force, après Diehl.

Citons Alain Ducellier pour qui, finalement Byzance n'est qu'un "échec" : "l'échec d'une société chrétienne" [sous titre de son livre de "référence" édité en collection pluriel en 1976]. À la vérité les sectaires à la Gibbon et Ducellier ont-ils jamais pensé à présenter toute l'Histoire comme une pareille "faillite" : "faillite" de la Monarchie capétienne de 987 à 1789 ; "faillite" de l'Empire britannique, "faillite" de l'empire romain d'occident, qui durèrent tous moins longtemps que Byzance ?

Le beau jugement de Paul Valéry selon lequel "nous autres civilisations nous savons désormais que nous sommes mortelles" ne doit précisément pas servir aujourd'hui à ceux qui entendent précisément assassiner notre civilisation, et s'y emploient activement.

L'aventure et le legs immenses de Byzance méritent donc à nouveau d'être reconnus et réhabilités.

•••  Un livre de 170 pages au prix de 20 euros
••• Pour le commander :
http://www.editions-du-trident.fr/catalogue.htm

06:10 Publié dans Histoire, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 02 mars 2007

R. Steuckers: Notion d'Empire

Robert Steuckers

La notion d'Empire, de Rome à nos jours

avec un appendice sur la "subsidiarité"


     Dans la mémoire européenne, souvent confuse voire inconsciente, l'Empire romain
     demeure la quintessence de l'ordre. Il apparaît comme une victoire sur le chaos,
     inséparable de la "pax romana". Le fait d'avoir maintenu la paix à l'intérieur des
     limes et d'avoir confiné la guerre sur des marches lointaines (Parthes, Maures,
     Germains, Daces) pendant plusieurs siècles, pour notre inconscient, est une preuve
     d'excellence. Même s'il est difficile de donner une définition universelle du terme
     d'Empire - l'Empire romain n'étant pas comparable à l'Empire inca, l'Empire de
     Gengis Khan à l'Autriche-Hongrie des Habsbourgs -  Maurice Duverger s'est efforcé
     de souligner quelques caractéristiques des Empires qui se sont succédé sur la scène
     de l'histoire (dans son introduction au livre du Centre d'analyse comparative des
     systèmes politiques, Le concept d'Empire,  PUF, 1980):

     - D'abord, comme l'avait déjà remarqué le linguiste français Gabriel Gérard en 1718,
     l'Empire est un "Etat vaste et composé de plusieurs peuples", par opposition au
     royaume, poursuit Duverger, moins étendu et reposant sur "l'unité de la nation dont il
     est formé". De cette définition, nous pouvons déduire, avec Duverger, trois éléments:
     a) L'empire est monarchique, le pouvoir suprême est assumé par un seul titulaire,
     désigné par voie d'hérédité et présentant un caractère sacré (une fonction
     sacerdotale).
     b) L'étendue du territoire constitue un critère fondamental des em-pires, sans que l'on
     ne puisse donner de mesure précise. La grandeur du territoire est ici subjective.
     c) L'Empire est toujours composé de plusieurs peuples, sa grandeur territoriale
     impliquant d'office la diversité culturelle. Selon Karl Werner, "un royaume, c'est un
     pays; un empire, c'est un monde".

     - L'Empire, qui est donc un système politique complexe qui met un terme au chaos, et
     revêt une dimension sacrée précisément parce qu'il génère l'ordre, a une dimension
     militaire, comme nous allons le voir quand nous aborderons le cas du Saint-Empire
     romain de la Nation Germanique, mais aussi une dimension civile constructive: il n'y
     a pas d'Empire sans organisation pratique de l'espace, sans réseau de routes (les
     voies romaines, indices concrets de l'impérialité de Rome), les routes étant
     l'armature de l'Empire, sans un commerce fluvial cohérent, sans aménagement des
     rivières, creusement de puits, établissement de canaux, vastes systèmes d'irrigation
     (Egypte, Assyrie, Babylone, l'"hydraulisme" de
Wittfogel). Au XIXiè-me siècle,
     quand la nécessité de réorganiser l'Europe se fait sentir, quand surgit dans les débats
     une demande d'Europe, l'économiste allemand Friedrich List parle de réseaux
     ferroviaires et de canaux pour souder le continent. Le grand espace, héritier laïque et
     non sacré de l'Empire, réclame aussi une organisation des voies de communication.

     - "Dans tout ensemble impérial, l'organisation des peuples est aussi variée que
     l'organisation de l'espace. Elle oscille partout entre deux exigences contraires et
     complémentaires: celle de la diversité, celle de l'unité" (Duverger, op. cit.). "Les
     Perses ont soumis plusieurs peuples, mais ils ont respecté leurs particularités: leur
     règne peut donc être assimilé à un empire" (Hegel). Par nature, les Empires sont donc
     plurinationaux. Ils réunissent plusieurs ethnies, plusieurs communautés, plusieurs
     cultures, autrefois séparées, toujours distinctes. Leur assemblage, au sein de la
     structure impériale, peut prendre plusieurs formes. Pour maintenir cet ensemble
     hétérogène, il faut que le pouvoir unitaire, celui du titulaire unique, apporte des
     avantages aux peuples englobés et que chacun conserve son identité. Le pouvoir doit
     donc à la fois centraliser et tolérer l'autonomie: centraliser pour éviter la sécession
     des pouvoirs locaux (féodaux) et tolérer l'autonomie pour maintenir langues, cultures
     et moeurs des peuples, pour que ceux-ci ne se sentent pas opprimés. Il faut enfin, ajoute
     Duverger, que chaque communauté et chaque individu aient conscience qu'ils gagnent
     à demeurer dans l'ensemble impérial au lieu de vivre séparément. Tâche éminemment
     difficile qui souligne la fragilité des édifices impériaux: Rome a su maintenir un tel
     équilibre pendant des siècles, d'où la nostalgie de cet ordre jusqu'à nos jours. Les
     imperfections de l'administration romaine ont été certes fort nombreuses, surtout en
     période de déclin, mais ces dysfonctionnements étaient préférables au chaos. Les
     élites ont accepté la centralisation et ont modelé leur comportement sur celui du
     centre, les masses rurales ont conservé leurs moeurs intactes pratiquement jusqu'à la
     rupture des agrégats ruraux, due à la révolution industrielle (avec la parenthèse noire
     des procès de sorcelleries).

     - Duverger signale aussi l'une des faiblesses de l'Empire, surtout si l'on souhaite en
     réactualiser les principes de pluralisme: la notion de fermeture, symbolisée
     éloquemment par la Muraille de Chine ou le Mur d'Hadrien. L'Empire se conçoit
     comme un ordre, entouré d'un chaos menaçant, niant par là même que les autres
     puissent posséder eux-mêmes leur ordre ou qu'il ait quelque valeur. Chaque empire
     s'affirme plus ou moins comme le monde essentiel, entouré de mondes périphériques
     réduits à des quantités négligeables. L'hégémonie universelle concerne seulement
     "l'univers qui vaut quelque chose". Rejeté dans les ténèbres extérieures, le reste est
     une menace dont il faut se protéger.

     - Dans la plupart des empires non européens, l'avènement de l'empire équivaut au
     remplacement des dieux locaux par un dieu universel. Le modèle romain fait figure
     d'exception: il ne remplace pas les dieux locaux, il les intègre dans son propre
     panthéon. Le culte de l'imperator s'est développé après coup, comme moyen d'établir
     une relative unité de croyance parmi les peuples divers dont les dieux entraient au
     Panthéon dans un syncrétisme tolérant. Cette République de divinités locales
     n'impliquaient pas de croisades extérieures puisque toutes les formes du sacré
     pouvaient coexister.

     Quand s'effondre l'Empire romain, surtout à cause de sa décadence, le territoire de
     l'Empire est morcellé, divisé en de multiples royaumes germaniques (Francs,
     Suèbes, Wisigoths, Burgondes, Ostrogoths, Alamans, Bavarois, etc.) qui s'unissent
     certes contre les Huns (ennemi extérieur) mais finissent par se combattre entre eux,
     avant de sombrer à leur tour dans la décadence (les "rois fai-néants") ou de
     s'évanouir sous la domination islamique (Wisigoths, Vandales). De la chute de Rome
     au Vième siècle à l'avènement des Maires du Palais et de Charlemagne, l'Europe, du
     moins sa portion occidentale, connaît un nouveau chaos, que le christianisme seul
     s'avère incapable de maîtriser.

     De l'Empire d'Occident, face à un Empire d'Orient moins durement étrillé, ne
     demeurait intacte qu'une Romania italienne, réduite à une partie seulement de la
     péninsule. Cette Romania ne pouvait prétendre au statut d'Empire, vu son exigüité
     territoriale et son extrême faiblesse militaire. Face à elle, l'Empire d'Orient,
     désormais "byzantin", parfois appelé "grec" et un Regnum Francorum
     territorialement compact, militairement puissant, pour lequel, d'ailleurs, la dignité
     impériale n'aurait pu être qu'un colifichet inutile, un sim-ple titre honorifique. A la
     Romania, il ne reste plus que le prestige défunt et passé de l'Urbs, la Ville initiale de
     l'histoire impériale, la civitas  de l'origine qui s'est étendue à l'Orbis romanus. Le
     citoyen romain dans l'Empire signale son appartenance à cet Orbis, tout en conservant
     sa natio (natione Syrus, natione Gallus, natione Germanicus,  etc.) et sa patria,
     appartenance à telle ou telle ville de l'ensemble constitué par l'Orbis. Mais la notion
     d'Empire reste liée à une ville: Rome ou Byzance, si bien que les premiers rois
     germani-ques (Odoacre, Théodoric) après la chute de Rome reconnaissent comme
     Empereur le monarque qui siège à Constantinople.

     Si la Romania italienne conservait symboliquement la Ville, Rome, symbole le plus
     tangible de l'Empire, légitimité concrète, elle manquait singulièrement d'assises
     territoriales. Face à Byzance, face à la tentative de reconquête de Justinien, la
     Romania et Rome, pour restaurer leur éclat, pour être de nouveau les premières au
     centre de l'Orbis, devaient très naturellement tourner leur regard vers le roi des
     Francs (et des Lombards qu'il venait de vaincre), Charles. Mais les lètes francs, fiers,
     n'avaient pas envie de devenir de simples appendices d'une minuscule Romania
     dépourvue de gloire militaire. Entretemps, le Pape rompt avec l'Empereur d'Orient.
     Le Saint-Siège, écrit Pirenne, jusqu'alors orienté vers Constantinople, se tourne
     résolument vers l'Occident et, afin, de reconquérir à la chrétienté ses positions
     perdues, commence à organiser l'évangélisation des peuples 'barbares' du continent.
     L'objectif est clair: se donner à l'Ouest les bases d'une puissance, pour ne plus tomber
     sous la coupe de l'Empereur d'Orient. Plus tard, l'Eglise ne voudra plus se trouver
     sous la coupe d'un Empereur d'Occident.

     Le Regnum Francorum aurait parfaitement pu devenir un empire seul, sans Rome,
     mais Rome ne pouvait plus redevenir un centre crédible sans la masse territoriale
     franque. De là, la nécessité de déployer une propagande flatteuse, décrivant en latin,
     seule langue administrative du Regnum Francorum (y compris chez les notaires, les
     refendarii  civils et laïques), les Francs comme le nouveau "peuple élu de Dieu",
     Charlemagne comme le "Nouveau Constantin" avant même qu'il ne soit couronné
     officiellement Empereur (dès 778 par Hadrien 1er), comme un "Nouveau David" (ce
     qui laisse penser qu'une opposition existait à l'époque entre les partisans de
     l'"idéologie davidique" et ceux de l'"idéologie constantinienne", plus romaine que
     "nationale"). Avant de devenir Empereur à Rome et par la grâce du Pape,
     Charlemagne pouvait donc se considérer comme un "nouveau David", égal de
     l'Empereur d'Orient. Ce qui ne semblait poser aucun problème aux nobles francs ou
     germaniques.

     Devenir Empereur de la Romania posait problème à Charlemagne avant 800, année
     de son couronnement. Certes, devenir Empereur romano-chrétien était intéressant et
     glorieux mais comment y parvenir quand la base effective du pouvoir est franque et
     germanique. Les sources nous renseignent sur l'évolution: Charlemagne n'est pas
     Imperator Romanorum  mais "Romanum imperium gubernans qui est per
     misericordiam Dei rex Francorum et Langobardorum". Sa nouvelle dignité ne
     devait absolument pas entamer ou restreindre l'éclat du royaume des Francs, son titre
     de Rex Francorum  demeurant l'essentiel. Aix-la-Chapelle, imitée de Byzance mais
     perçue comme "Anti-Constantinople", reste la capitale réelle de l'Empire.

     Mais l'Eglise pense que l'Empereur est comme la lune: il ne reçoit sa lumière que du
     "vrai" empereur, le Pape. A la suite de Charlema-gne, se crée un parti de l'unité, qui
     veut surmonter l'obstacle de la dualité franco-romaine. Louis le Pieux, successeur de
     son père, sera surnommé Hludowicus imperator augustus, sans qu'on ne parle plus
     de Francs ou de Romains. L'Empire est un et comprend l'Allemagne, l'Autriche, la
     Suisse, la France et les Etats du Bénélux actuels. Mais, le droit franc ne connaissait
     pas le droit de primogéniture: à la mort de Louis le Pieux, l'Empire est partagé entre
     ses descendants en dépit du titre impérial porté par Lothaire 1er seul. Suivent
     plusieurs décennies de déclin, au bout desquels s'affirment deux royaumes, celui de
     l'Ouest, qui deviendra la France, et celui de l'Est, qui deviendra le Saint-Empire ou,
     plus tard, la sphère d'influence alle-mande en Europe.

     Harcelée par les peuples extérieures, par l'avance des Slaves non convertis en
     direction de l'Elbe (après l'élimination des Saxons par Charlemagne en 782 et la
     dispersion des survivants dans l'Empire, comme en témoignent les Sasseville,
     Sassenagues, Sachsenhausen, etc.), les raids sarazins et scandinaves, les assauts des
     Hongrois, l'Europe retombe dans le chaos. Il faut la poigne d'un Arnoulf de Carinthie
     pour rétablir un semblant d'ordre. Il est nommé Empereur. Mais il faudra attendre la
     victoire du roi saxon Othon 1er en 955 contre les Hongrois, pour retrouver une
     magnificence impériale et une paix relative. Le 2 février 962, en la Basilique
     Saint-Pierre de Rome, le souverain germanique, plus précisément saxon (et non plus
     franc), Othon 1er, est couronné empereur par le Pape. L'Empire n'est plus
     peppinide-carolingien-franc mais allemand et saxon. Il devient le "Saint-Empire". En
     911 en effet, la couronne impériale a échappé à la descendance de Charlemagne pour
     passer aux Saxons (est-ce une vengeance pour Werden?), Henri 1er l'Oiseleur
     (919-936), puis Othon (936-973). Comme Charlemagne, Othon est un chef de guerre
     victorieux, élu et couronné pour défendre l'oekumène par l'épée. L'Empereur, en ce
     sens, est l'avoué de la Chrétienté, son protecteur. Plus que Charlemagne, Othon
     incarne le caractère militaire de la dignité impériale. Il dominera la papauté et
     subordonnera entièrement l'élection papale à l'aval de l'Empereur. Certaines sources
     mentionnent d'ailleurs que le Pape n'a fait qu'entériner un fait accompli: les soldats
     qui venaient d'emporter la décision à Lechfeld contre les Hongrois avaient proclamé
     leur chef Empereur, dans le droit fil des traditions de la Germanie antique, en se
     référant au "charisme victorieux" (le Heil)  qui fonde et sanctifie le pouvoir suprême.
     En hissant ce chef saxon à la dignité impériale, le Pape opère le fameuse translatio
     Imperii ad Germanos  (et non plus ad Francos).  L'Empereur devra être de race
     germanique et non plus seulement d'ethnie franque. Un "peuple impérial" se charge
     dès lors de la politique, laissant intactes les identités des autres: le règne des
     othoniens élargira l'¦kumène franc/européen à la Polo-gne et à la Hongrie (Bassin
     danubien - Royaume des Avars). Les othoniens dominent véritablement la Papauté,
     nomment les évêques comme simples administrateurs des provinces d'Empire. Mais
     le pouvoir de ces "rois allemands", théoriquement titulaires de la dignité impériale,
     va s'estomper très vite: Othon II et Othon III accèdent au trône trop jeunes, sans avoir
     été véritablement formés ni par l'école ni par la vie ou la guerre; Othon II, manipulé
     par le Pape, engage le combat avec les Sarazins en Italie du Sud et subit une cuisante
     défaite à Cotrone en 982. Son fils Othon III commence mal: il veut également
     restaurer un pouvoir militaire en Méditerra-née qu'il est incapable de tenir, faute de
     flotte. Mais il nomme un Pape allemand, Grégoire V, qui périra empoisonné par les
     Romains qui ne veulent qu'un Pape italien; Othon III ne se laisse pas intimi-der; le
     Pape suivant est également allemand: Gerbert d'Aurillac (Alaman d'Alsace) qui
     coiffe la tiare sous le nom de Sylvestre II. Les barons et les évêques allemands
     finissent pas lui refuser troupes et crédits et le chroniqueur Thietmar de Merseburg
     pose ce jugement sévère sur le jeune empereur idéaliste: "Par jeu enfantin, il tenta de
     restaurer Rome dans la gloire de sa dignitié de jadis". Othon III voulait fixer sa
     résidence à Rome et avait pris le titre de Servus Apostolorum  (Esclave des
     Apôtres). Les "rois allemands" ne pèseront plus très lourd devant l'Eglise après l'an
     1002, dans la foulée des croisades, par la contre-offensive théocratique, où les Papes
     vont s'enhardir et contester aux Empereurs le droit de nommer les évêques, donc de
     gouverner leurs terres par des hommes de leur choix. Grégoire VII impose le
     Dictatus Papae, par lequel, entre moultes autres choses, le roi n'est plus perçu que
     comme Vicarius Dei, y compris le "Rex Teutonicorum" auquel revient
     prioritaire-ment le titre d'Empereur. La querelle des Investitures commence pour le
     malheur de l'Europe, avec la menace d'excommunication a-dressée à Henri IV
     (consommée en 1076). Les vassaux de l'Empe-reur sont encouragés à la
     désobéissance, de même que les villes bourgeoises (les ³ligues lombardes²), ce qui
     vide de substance politi-que tout le centre de l'Europe, de Brême à Marseille, de
     Hambourg à Rome et de Dantzig à Venise. Par ailleurs, les croisades expédient au
     loin les éléments les plus dynamiques de la chevalerie, l'inquisi-tion traque toute
     déviance intellectuelle et les sectes commencent à prospérer, promouvant un
     dualisme radical (Concile des hérétiques de St. Félix de Caraman, 1167) et un idéal
     de pauvreté mis en équa-tion avec une "complétude de l'âme" (Vaudois). En acceptant
     l'hu-miliation de Canossa (1077), l'Empereur Henri IV sauve certes son Empire mais
     provisoirement: il met un terme à la furie vengeresse du Pape romain qui a soudoyé
     les princes rebelles. Mort excommu-nié, on lui refuse une sépulture, mais le simple
     peuple le reconnait comme son chef, l'enterre et répend sur sa pauvre tombe des
     grai-nes de blé, symbole de ressurection dans la tradition paysanne/ païenne des
     Germains: la cause de l'Empereur apparaissait donc plus juste aux humbles qu'aux
     puissants.

     Frédéric Ier Barberousse tente de redresser la barre, d'abord en aidant le Pape contre
     le peuple de Rome révolté et les Normands du Sud. L'Empereur ne mate que les
     Romains. Il s'ensuivra six campagnes en Italie et le grand schisme, sans qu'aucune
     solution ne soit apportée. Son petit-fils Frédéric II Hohenstaufen, sorte de surdoué,
     très tôt orphelin de père et de mère, virtuose des techniques de com-bat, intellectuel
     formé à toutes les disciplines, doté de la bosse des langues vivantes et mortes, se
     verra refuser d'abord la dignité im-périale par l'autocrate Innocent III: "C'est au
     Guelfe que revient la Couronne car aucun Pape ne peut aimer un Staufer!". Ce que le
     Pape craint par-dessus tout c'est l'union des Deux-Siciles (Italie du Sud) et l'Empire
     germano-italien, union qui coincerait les Etats pontificaux entre deux entités
     géopolitiques dominées par une seule autorité. Frédéric II a d'autres plans, avant
     même de devenir Empereur: au départ de la Sicile, reconstituer, avec l'appui d'une
     chevalerie allemande, espagnole et normande, l'oekumène romano-méditerranéen.

     Son projet était de dégager la Méditerranée de la tutelle musulmane, d'ouvrir le
     commerce et l'industrie en les couplant à l'atelier rhénan-germanique. C'est la raison
     de ses croisades, qui sont purement géopolitiques et non religieuses: la chrétienté
     doit demeurer, l'islam également, ainsi que les autres religions, pour autant qu'elles
     apportent des éclairages nouveaux à la connaissance; en ce sens, Frédéric II redevient
     "romain", par un tolérance objective, ne cherchant que la rentabilité pragmatique, qui
     n'exclut pas le respect pieux des valeurs religieuses: cet Empereur qui ne cesse de
     hanter les grands esprits (Brion, Benoist-Méchin, Kantorowicz, de Stefano, Horst,
     etc.) est protéiforme, esprit libre et défenseur du dogme chrétien, souverain féodal en
     Allemagne et prince despotique en Sicile; il réceptionne tout en sa personne,
     synthétise et met au service de son projet politique. Dans la conception hiérarchique
     des êtres et des fins terrestres que se faisait Frédéric II, l'Empire constituait le
     sommet, l'exemple impassable pour tous les autres ordres inférieurs de la nature. De
     même, l'Empereur, également au sommet de cette hiérarchie par la vertu de sa
     titulature, doit être un exemple pour tous les princes du monde, non pas en vertu de
     son hérédité, mais de sa supériorité intellectuelle, de sa connaissance ou de ses
     connaissances.

     Les vertus impériales sont la justice, la vérité, la miséricorde et la constance:

     - La justice, fondement même de l'Etat, constitue la vertu essentielle du souverain.
     Elle est le reflet de la fidélité du souverain envers Dieu, à qui il doit rendre compte
     des talents qu'il a reçus. Cette jus-tice n'est pas purement idéale, immobile et
     désincarnée (métaphysique au mauvais sens du terme): pour Frédéric II, elle doit
     être à l'image du Dieu incarné (donc chrétien) c'est-à-dire opérante. Dieu permet au
     glaive de l'Empereur, du chef de guerre, de vaincre parce qu'il veut lui donner
     l'occasion de faire descendre la justice idéale dans le monde. La colère de
     l'Empereur, dans cette optique, est noble et féconde, comme celle du lion, terrible
     pour les ennemis de la justice, clémente pour les pauvres et les vaincus. La
     constance, au-tre vertu cardinale de l'Empereur, reflète la fidélité à l'ordre natu-rel de
     Dieu, aux lois de l'univers qui sont éternelles.

     - La fidélité est la vertu des sujets comme la justice est la vertu principale de
     l'Empereur. L'Empereur obéit à Dieu en incarnant la justice, les sujets obéissent à
     l'Empereur pour lui permettre de réaliser cette justice. Toute rébellion envers
     l'Empereur est assimilée à de la "superstition", car elle n'est pas seulement une
     révolte contre Dieu et contre l'Empereur mais aussi contre la nature même du monde,
     contre l'essence de la nature, contre les lois de la conscience.

     - La notion de miséricorde nous renvoie à l'amitié qui a unit Frédéric II à
     Saint-François d'Assise. Frédéric ne s'oppose pas à la chrétienté et à la papauté, en
     tant qu'institutions. Elles doivent subsister. Mais les Papes ont refusé de donner à
     l'Empereur ce qui revient à l'Empereur. Ils ont abandonné leur magistère spirituel qui
     est de dispenser de la miséricorde. François d'Assise et les frères mineurs, en faisant
     v¦u de pauvreté, contrairement aux Papes simoniaques, rétablissent la vérité
     chrétienne et la miséricorde, en acceptant humblement l'ordre du monde. Lors de leur
     rencontre en Apulie, Frédéric II dira au 'Poverello': "François, avec toi se trouve le
     vrai Dieu et son Verbe dans ta bouche est vrai, en toi il a dévoilé sa grandeur et sa
     puissance". L'Eglise possède dans ce sens un rôle social, caritatif, non politique, qui
     contribue à préserver, dans son 'créneau', l'ordre du monde, l'harmonie, la stabilité.
     Le 'péché originel' dans l'optique non-conformiste de Frédéric II est dès lors
     l'absence de lois, l'arbitraire, l'incapacité à 'éthiciser' la vie publique par fringale
     irraisonnée de pouvoir, de possession.

     - L'Empereur, donc le politique, est également responsable du savoir, de la diffusion
     de la "vérité": en créant l'université de Naples, en fondant la faculté de médecine de
     Salerne, Frédéric II affirme l'indépendance de l'Empire en matière d'éducation et de
     connais-sance. Cela ne lui fut pas pardonné (destin de ses enfants).

     L'échec du redressement de Frédéric II a sanctionné encore davantage le chaos en
     Europe centrale. L'Empire qui est potentiellement facteur d'ordre n'a plus pu l'être
     pleinement. Ce qui a conduit à la catastrophe de 1648, où le morcellement et la
     division a été savamment entretenue par les puissances voisines, en premier lieu par
     la France de Louis XIV. Les autonomies, apanages de la conception impériale, du
     moins en théorie, disparaissent complètement sous les coups de boutoir du
     centralisme royal français ou espagnol. Le "droit de résistance", héritage germanique
     et fondement réel des droits de l'homme, est progressivement houspillé hors des
     consciences pour être remplacé par une théorie jusnaturaliste et abstrai-te des droits
     de l'homme, qui est toujours en vigueur aujourd'hui.

     Toute notion d'Empire aujourd'hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II
     Hohenstaufen: justice, vérité, miséricorde et cons-tance. L'idée de justice doit se
     concrétiser aujourd'hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de
     citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le
     droit à l'autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe
     par une revalorisation de la "connaissance", de la "sapience" et d'un respect des lois
     naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la
     planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir
     scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne
     quotidienne.

     Nul ne nous indique mieux les pistes à suivre que Sigrid Hunke, dans sa persepective
     'unitarienne' et européo-centrée:

     - Affirmer l'identité européenne, c'est développer une religiosité unitaire dans son
     fonds, polymorphe dans ses manifestations; contre l'ancrage dans nos esprits du mythe
     biblique du péché originel, elle nous demande de réétudier la théologie de Pélagius,
     l'ennemi irlandais d'Augustin. L'Europe, c'est une perception de la nature comme
     épiphanie du divin: de Scot Erigène à Giordano Bruno et à Goethe. L'Europe, c'est
     également une mystique du devenir et de l'action: d'Héraclite, à Maître Eckhart et à
     Fichte. L'Europe, c'est une vision du cosmos où l'on constate l'inégalité factuelle de
     ce qui est égal en dignité ainsi qu'une infinie pluralité de centres, comme nous
     l'enseigne Nicolas de Cues.

     Sur ces bases philosophiques se dégageront une nouvelle anthropo-logie, une
     nouvelle vision de l'homme, impliquant la responsabilité (le principe
     'responsabilité') pour l'autre, pour l'écosystème, parce que l'homme n'est plus un
     pécheur mais un collaborateur de Dieu et un miles imperii,  un soldat de l'Empire. Le
     travail n'est plus malédiction ou aliénation mais bénédiction et octroi d'un surplus de
     sens au monde. La technique est service à l'homme, à autrui.

     Par ailleurs, le principe de "subsidiarité", tant évoqué dans l'Europe actuelle mais si
     peu mis en pratique, renoue avec un respect impé-rial des entités locales, des
     spécificités multiples que recèle le monde vaste et diversifié. Le Prof. Chantal
     Millon-Delsol constate que le retour de cette idée est due à trois facteurs:

     - La construction de l'Europe, espace vaste et multiculturel, qui doit forcément
     trouver un mode de gestion qui tiennent compte de cette diversité tout en permettant
     d'articuler l'ensemble harmonieusement. Les recettes royales-centralistes et
     jacobines s'avérant obsolètes.
     - La chute du totalitarisme communiste a montré l'inanité des "systèmes"
     monolithiques.
     - Le chômage remet en cause le providentialisme d'Etat à l'Ouest, en raison de
     l'appauvrissement du secteur public et du déficit de citoyenneté. "Trop secouru,
     l'enfant demeure immature; privé d'aide, il va devenir une brute ou un idiot".

     La construction de l'Europe et le ressac ou l'effondrement des modèles
     conventionnels de notre après-guerre nécessite de revitaliser une "citoyenneté
     d'action", où l'on retrouve la notion de l'homme coauteur de la création divine et
     l'idée de responsabilité. Tel est le fondement anthropologique de la subsidiarité, ce
     qui a pour corol-laire:
     - la confiance dans la capacité des acteurs sociaux et dans leur souci de l'intérêt
     général;
     - l'intuition selon laquelle l'autorité n'est pas détentrice par nature de la compétence
     absolue quant à la qualification et quant à la réalisation de l'intérêt général.

     Mais, ajoute Chantal Millon-Delsol, l'avènement d'une Europe subsidiaire passe par
     une condition sociologique primordiale:
     - la volonté d'autonomie et d'initiative des acteurs sociaux, ce qui suppose que
     ceux-ci n'aient pas été préalablement brisés par le totalitarisme ou infantilisés par un
     Etat paternel.
     (solidarité solitaire par le biais de la fiscalité; redéfinir le partage des tâches).

     Notre tâche dans ce défi historique, donner harmonie à un grand espace pluriculturel,
     passe par une revalorisation des valeurs que nous avons évoquées ici en vrac au sein
     de structures associatives, préparant une citoyenneté nouvelle et active, une milice
     sapientiale.
 
 

 
 Conférence prononcée à la Tribune du "Cercle Hélios", Ile-de-France, 1995


 

SYNERGIES EUROPÉENNES - BRUXELLES/PARIS - 15   FÉVRIER 2002

06:40 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 01 mars 2007

Mensur: rituel des "Waffenstudenten"

Trouvé sur : http://theatrumbelli.hautetfort.com/

Franz WISSANT : La Mensur, rituel sanglant des "Waffenstudenten"medium_mensur.jpg

 

C’est à Heidelberg, sous les ruines du château, au cœur du quartier de l’Université, dans une Kneipe de la rue principale : Le Bœuf Rouge. Sous la tête hirsute du bœuf qui rumine sur l’enseigne, on peut lire "Hist. Studentenlokal". Rendez-vous avec l’histoire, alcoolique et bruyante des étudiants allemands. Il n’est pas tard, mais la salle est sans doute plus comble que bien des amphithéâtres de l’Université voisine.

Certaines Kneipe sont si proches de l’Université qu’elles semblent en être des dépendances : impression que confirme la joyeuse pédagogie qui se déploie autour des tables où s’entassent des étudiants diserts et démonstratifs. On prétend qu’autrefois les étudiants pouvaient suivre les cours de certains de leurs professeurs par la fenêtre de "Studentenlokale" de cette sorte. Pourquoi pas ? Le professeur teuton a tendance à ne pas bien résister à l’euphorie euristique, et se mue aisément en un stentor tonitruant , pourpre et apoplectique. Le "Bœuf Rouge" doit, parait-il, son nom à l’un de ces phénomènes d’érudition, de santé et de dimensions thoraciques.

Tâtant d’une main de la chopine et de l’autre une Gretschen potelée, les étudiants de ce temps profitaient, comme on se l’imagine, énormément de ces leçons auxquelles ils se montraient assidus. 

Mais voici que l’histoire vous rattrape et que s’abattent sur votre  table deux cent années de tradition, en la personne d’un quintal de viande soûle. Votre Bock se renverse et souille le pantalon de l’intrus. On vous traite de truie. Abasourdi, vous saisissez le gros personnage ruisselant à bras le corps. Vous empoignez un mince ruban tricolore qu’il porte en sautoir sur son plastron et qui ficelle son ventre replet comme un grotesque paquet. C’en est fait de vous : soudain l’ivrogne n’est plus ivre. D’un ton mauvais il vous fait remarquer que vous venez de porter atteinte à l’honneur de sa corporation et vous somme de  "donnez satisfaction…". 

Mais que vous veut cet ivrogne ? 

Naguère, à moins de s’exposer aux quolibets et aux vexations, il aurait fallu relever le défi. Et bien sûr en découdre… bien que le duel soit interdit à l’Université de Heidelberg depuis 1386.

La pratique du duel dans les universités allemandes

medium_Dusacks.jpgEn réalité, l’ancienne Allemagne, bien avant que ne fussent constituées les corporations d’étudiants, prisait déjà fort le combat singulier et l’interdiction était loin d’être respectée. Les autorités des villes étaient trop heureuses de compter des citoyens exercés au combat et aptes à se défendre en des temps peu sûrs. On vit fleurir aux XIVè et XVè siècles, les écoles d’escrime et les sociétés d’épées. Des privilèges leurs furent octroyés. Les étudiants y côtoyaient les bourgeois et les artisans. On se battait à l’épée, au poignard, à la hallebarde. Peu à peu, une arme plus légère, plus maniable et permettant des combats plus engagés tout en diminuant les risques de blessures mortelles, fit son apparition. Le "Dusack" est un sabre, long de 60 à 70 cm et large de 5, généralement en bois, et dont le nom signifiait probablement « couteau émoussé ». Ce n’est que plus tard que les actuelles rapières se répandirent. Dès la fin du XVè siècle, le succès des armes à feu détourna de la pratique de l’escrime les bourgeois, soucieux en premier lieu d’éloigner les assaillants. Désormais, seuls les aristocrates, les soldats et les étudiants pratiquaient encore le duel à l’arme blanche. Cette différence constituait aussi une opposition de valeurs. A Vienne, par exemple, la méfiance des bourgeois prit ombrage du privilège qu’avaient les étudiants de porter des armes et obtinrent en 1514 que cela leur fut interdit. Humiliés et la rage au cœur, 800 étudiants viennois se rendirent en long cortège à Wels supplier l’Empereur Maximilien de leur rendre leurs armes. L’Empereur des romains, le roi-chevalier épris de chansons de geste et de courtoisie, accéda à leur désir.

Les premières corporations allemandes qui se constituèrent à la fin du XIXè siècle, se développèrent sur un terreau favorable, fait des souvenirs d’anciens privilèges et d’anciennes luttes semblables à celle-ci. Goethe lui-même témoigne que les étudiants qui comme lui ne faisaient partie d’aucune association d’étudiants, acceptaient les règles du duel. On sait qu’il provoqua, à Leipzig, un étudiant balte qui lui barrait l’entrée du théâtre. Il se battit et fut blessé au bras. Des années plus tard, se souvenant de cet épisode, il devait dire : "Quelle est l’importance d’une vie humaine ? Une seule bataille en enlève des milliers. L’honneur est plus important. Il faut défendre un point d’honneur passionnément".

 

Le code des duels
 

medium_duel.jpgLa pratique du duel ("Mensur") connut alors dans les universités une évolution remarquable. Tout d’abord, on s’efforça de la codifier. On entreprit en premier lieu d’interdire de jouter d’estoc, pratique trop meurtrière ; à Iéna, par exemple, au cours des deux premiers mois du semestre d’hiver 1839, deux étudiants trouvèrent la mort de cette façon et huit autres eurent un poumon perforé. D’ailleurs la tradition allemande du duel recommandait de porter ses coups non pas d’estoc, mais de taille ("Hiebfechten"). On finit par ne plus frapper d’estoc. C’est à Munich, en 1847, qu’on recense le dernier cas d’un étudiant mort d’un coup d’épée lui ayant traversé le corps. Mi-juristes, mi-poètes, les gais étudiants de toutes les Allemagnes réglementèrent dans le détail aussi bien les causes de duel que les armes utilisées, les lieux de rencontres, le nombre des témoins… 

A l’origine, tout duel commence par un affront, qu’il sert à réparer. Les étudiants corporés sont tenus à un certain respect pour leurs semblables et il n’y a au fond que deux sortes d’affront. L’outrage verbal et l’affront matériel. Le catalogue des insultes (Verbalinjurie) est lui aussi réglementé, et il n’en est en général qu’une d’autorisée entre étudiants, celle de "dummer Junge" (jeune sot). A Heidelberg, on varie un peu, "Hundefott" est aussi recevable. L’affront matériel n’est permis qu’à l’égard d’étudiants n’appartenant à aucune corporation ou refusant de se battre.

Pour rester sauf, l’honneur se doit de se montrer particulièrement chatouilleux : "Dès que j’ai entendu qu’à la table voisine, on parlait d’un jeune sot, je me suis emporté et nous en sommes tout de suite venus aux mains", confesse un étudiant dans une caricature célèbre, datant de 1853.

Il est interdit à deux membres d’une même corporation de se défier en duel. Toute injure subie par l’un des siens engage l’honneur de sa "patrie", c'est-à-dire de la corporation entière. C’est ainsi que la forme de duel la plus fréquente au début du XIXè siècle est le duel pro patria. Ce terme de patrie, vient des anciennes associations d’étudiants, qui se regroupaient par "pays", par terroir, au sein d’une ville universitaire. Ces "Landmanschaften" sont les ancêtres des corporations ("Burschenschaften") et le mot patrie s’entendait, au XVIIIè siècle, au sens propre. De nos jours, on ne règle plus les affaires d’honneur par le duel pro patria.

Un étudiant s’estimait injurié par une autre corporation avait aussi la possibilité de demander réparation "viritim", d’homme à homme (Viritim Suite). 

Le duel se déroulait dans des tavernes ou des maisons d’étudiants changées pour l’occasion en salles d’armes. On préférait souvent les choisir à l’écart des villes. On se battait aussi dehors, quelle que fût la saison, de préférence dans un bois ou dans les ruines d’un château. On s’y rendait secondé de deux membres de sa corporation. A Iéna, chaque corporation de la ville pouvait envoyer un "observateur". A Heidelberg, les duels n’avaient qu’un seul témoin. Partout, les curieux étaient éloignés du combat par un service de sécurité constitué par les corporations impliquées.

Il existe dès 1820, à Heidelberg encore, un médecin attitré pour les duels. Les combattants étaient protégés par des bandes molletonnées qu’ils enroulaient autour de leur cou et par un masque grillagé ou de cuir. Ils portaient des gants de cuir et des lunettes spéciales. Les blessures n’étaient plus mortelles mais restaient parfois sérieuses, notamment en cas de combat au sabre, arme réservée aux affaires les plus graves, et aux vexations les plus infâmantes. Chaque ville étudiante privilégiait un type d’épée différent ; à garde en forme de cloche pour les uns, en corbeille pour les autres… Lorsque les protagonistes appartenaient à des universités différentes, il fallait convenir au préalable de l’arme employée. Peu à peu,  à partir des années 1820, l’usage du pistolet se répandit, même pour la réparation d’offenses vénielles lorsque l’un des protagonistes n’était pas au fait des coutumes locales en matière de duel. Il en allait de même quand des combattants étaient officiers. 

Si l’un des combattants ne comparaissait pas le jour dit, il s’exposait à un blâme et perdait son droit à obtenir satisfaction. Il était déshonorant de répugner à croiser le fer et il ne se passait pas de jour dans une université sans qu’il y eût duel ou menace de duel. A Iéna, une Verbindung de seize hommes se livra à elle seule, en quatre semaines, au cours de l’été 1815 à plus de 200 duels. Dans les années 1840, les Bursche de Suevia, à Heidelberg avaient tous derrière eux plus de dix combats singuliers. Beaucoup en totalisèrent de quarante à soixante. Dans cette ville, le médecin dont c’était la fonction assista à 20 000 duels en vingt quatre ans de carrière. 

Pour l’emporter, il fallait "chasser" (chassieren) son adversaire cinq pas derrière la ligne de Mensur, ou l’acculer dans un coin de façon à l’immobiliser. Il était bienvenu de laisser sa signature sur le visage de son adversaire ; de telles cicatrices ("Schmisse") étaient presque plus glorieuses encore pour celui qui les recevait que pour celui qui les avait imprimées. Elles constituaient un véritable signe extérieur de richesse pour leur propriétaire. En attestant son appartenance aux "étudiants armés" (Waffenstudenten) elles témoignaient d’un genre de vie particulier, consacré aux valeurs de l’honneur viril. Elles indiquaient aussi tout simplement qu’il avait fait des études, qu’il était "Akademiker". On raconte que certains étudiants recalés à tous leurs examens se firent faire, sous anesthésie, une cicatrice chirurgicale. A défaut de diplômes, ils pensaient gagner de la sorte une sorte de prestige intellectuel dans leurs relations avec leurs féaux dans leurs provinces d’origine.

Cette vanité éloignait beaucoup d’étudiants de l’esprit chevaleresque qu’ils prétendaient incarner. D’ailleurs, petit à petit, le duel d’honneur fit place à une autre forme d’épreuve des armes. Le combat singulier prend alors le caractère d’un rite initiatique, destiné à éprouver le courage de tout impétrant désireux être admis au nombre des Bursche d’une corporation.

 

Nouvelle fonction du duel
 

medium_waffenstudenten.jpgDès les années 1850, le duel constitue de plus en plus sa propre fin. On ne croit plus sincèrement aux motifs d’honneur qu’on continue d’invoquer pour se battre. Au contraire, on provoque l’adversaire jusqu’à ce que, hors de soi, il se sente contraint (ou le feigne) de réagir (Verabredungsmensur). Puis cette provocation pro forma elle-même disparaît, au profit des Bestimmungsmensure, dans lesquelles il n’est pas besoin d’avoir été provoqué pour se battre. 

Les corporations se rendent à une heure convenue (Verabredung) en un lieu convenu, Kneipe ou autre, qu’ont préparé les leurs. Chaque corporation occupe une table. Un lourd silence se fait dans la salle. Chacun se demande quel prétexte on trouvera cette fois, mais personne ne doute que l’issue de la soirée sera comme toujours sanglante. D’une table, une insulte fuse, dans la direction d’une corporation attablée à côté. L’insulté répond, avec humour, s’il connaît ce mot, mais le plus souvent avec morgue. Sa provocation (Tusch) lance le signal de moqueries de plus en plus vives, de plus en plus grinçantes auxquelles tous les participants s’associent. Le désordre est indescriptible, le vacarme, épouvantable. De toutes les tables montent des cris de guerre, en réponse à ce premier "Kontrahage".

On se bat avec bravoure et indifférence pour les coups. Le duel à l’épée tend à devenir immobile, seul le poignet et le bras armés se mouvant, les duellistes prouvant leur vaillance par leur refus de reculer. Ceci a pour conséquence qu’on se tape incroyablement dessus, dès qu’a retenti le "Los" par lequel s’engage le combat. La rencontre est une violente succession de coups encaissés sans sourciller.

Avec le temps, toutes les Verbidungen pratiquant le duel ("schlagend") finirent par inscrire dans leurs statuts que tout novice (Fuchs), devait, pour devenir Bursche, s’être livré à un certain nombre de combats singuliers. Cette exigence n’était d’ailleurs pas sans présenter des difficultés à l’égard des dispositions du droit pénal. Le code pénal autrichien de 1852, de même que le code pénal allemand de 1871 interdisent de se battre en duel "au moyen d’armes meurtrières".

Le statut juridique du duel connut une évolution contrastée, les divers régimes qui se succédèrent jusqu’à nos jours imprimant dans les dispositions du code pénal relatives au duel leur marque propre. Celles-ci constituent par la même aussi à chaque fois le cachet de leur conception des rapports sociaux en Allemagne. La pratique d’ailleurs contredisait souvent les dispositions légales.


Le duel à la fin du IIè Reich
 

medium_honneur.jpgAlors que le Reichsgericht, par un célèbre arrêt en date de 1883 réprimait au pénal la Mensur entre étudiants, quelles que soient les circonstances, l’Empereur Guillaume Ier semblait encourager ouvertement cette pratique. Il déclara, par exemple, en 1874, qu’il ne saurait tolérer dans son entourage ni "un officier incapable de défendre son honneur ni un officier mal éduqué".

On retrouve la même contradiction à la fin de l’empire austro-hongrois. Le duel était interdit. Un officier surpris alors qu’il se battait en duel était sévèrement puni. Mais un officier refusant de se battre en duel était dégradé. C’était même devenu un passe-temps apprécié de quelques reîtres, chevaliers restés bien près du cheval, ou étudiants corporés, que de provoquer en duel des officiers de réserve catholiques. On compte ainsi dans la seule Austria Innsbruck six officiers de réserve dégradés pour avoir refusé de se battre. 

Une ligue des étudiants corporés hostiles au duel vit le jour au début du siècle en Allemagne et en Autriche, regroupant plus de cent associations d’étudiants. D’autres corporations au contraire, telles les membres de la Deutsche Burschenchaft se réunissaient dans le même temps à Marburg pour convenir d’un protocole sur l’élimination des injures matérielles et sur la réparation des "offenses", constituant un véritable syndicat du duel. Le fossé s’accrut entre corporations pratiquant le duel ("schlagend") et les autres. Mais la camaraderie soudée au cours de la Première Guerre mondiale entre soldats appartenant à l’un ou l’autre des modèles de corporation, finit par triompher des préjugés. Les corporations qui ne se battaient pas furent reconnues comme aussi honorables que les autres. Cela d’autant plus que la décision du Reichsgericht de 1883 s’appliquait toujours, ce qui constituait sans aucun doute un obstacle à de nombreux duels. 

Le national-socialisme, qui modifia de manière totalitaire le droit pénal, se montra au contraire plus libéral à l’égard de la Mensur, qui fut à nouveau autorisée dès 1933. Le régime alla même, en 1935, jusqu’à préciser dans le paragraphe 210 A du code pénal que les Mensuren ne pouvaient faire l’objet de poursuites. Les révolutionnaires nationaux-socialistes ne s’illustraient pas toujours de manière très brillante dans cet exercice issu d’une longue histoire et chargé de tradition ; lors d’un duel au sabre lourd, un professeur de l’Université de Leipzig, qui avait provoqué le Führer du groupe de SA de sa ville, eut raison de son adversaire en trois minutes et trente secondes. Peu après l’interdiction des corporations, en 1937, le Reichsstudentenführer mit également la Mensur hors la loi. 

La réconciliation des deux modèles de corporatisme ?
 

L’impunité pénale dont jouissait la Mensur depuis 1933 fut supprimée par les alliés en 1945. La situation juridique actuelle a été précisée à l’occasion d’une affaire dont eut à connaître le cour suprême de justice de Karlsruhe (BGH) dont on parla sous le nom du "Mensur-Prozess" de l’Université demedium_combat.jpg Göttingen. La cour relaxa un étudiant duelliste, inculpé pour coups et blessures. La décision relève que si la Mensur peut en effet entraîner des blessures graves au sens du code pénal, celles-ci ne sont pas répréhensibles, les règles de la Mensur ayant été acceptées par les deux protagonistes. La cour relève également que cette pratique ne porte pas atteinte aux bonnes mœurs. Il n’y a donc pas lieu d’en réprimer l’exercice. Le recteur de l’Université de Berlin de l’époque ne se réjouit pas de ce jugement. Peu de temps après l’arrêt, il tenta de pénétrer dans une Kneipe pour empêcher un duel qui était en train de s’y dérouler ; on l’en chassa avec la dernière fermeté et non sans quelques brutalités choisies. 

Si la loi n’interdit plus vraiment la Mensur, les statuts de nombreuses corporations ont cessé de l’exiger. La vague contestataire de la fin des années 1960 conduisit plusieurs corporations membres de la Deutsche Burschenchaft à refuser le duel. Elles furent exclues du mouvement, tambour battant. Mais refusant de se le tenir pour dit, elles demandèrent en justice leur réintégration. Elle leur fut accordée. Pour maintenir un semblant d’unité entre les différentes tendances, la DB finit par remettre la décision de continuer à pratiquer le duel à l’appréciation de chaque corporation. Ce qui explique qu’une certaine hétérogénéité règne sur le front des corporations allemandes, cristallisée notamment autour de cette question du duel. Sur les 133 associations de Burschenschaften actuelles, 10 ont aboli la Mensur, 64 continuent de la considérer comme obligatoire, 59 comme facultative. 

Il n’est plus indispensable aujourd’hui que le sang coule. Nul n’est déshonoré s’il ne parvient pas à entamer le cuir ou la couenne de son Kontrahent. La Mensur exige seulement de chacun des participants qu’il s’expose et qu’il coure un risque sérieux d’être blessé. On a un temps envisagé de remplacer le cérémoniel du combat à l’épée par une forme plus moderne, ou plus exotique, la "Sportmensur" : les adversaires, torse nu, tiennent à la main un long bâton de bois dont ils doivent se porter de rudes coups, au besoin jusqu’à s’assommer. Mais cette idée n’a pas réussi à s’imposer. 

De façon plus générale, il est curieux de voir dans certaines corporations le rôle du duel devenir de plus en plus purement esthétique, voire spirituel. On redécouvre la symbolique du combat. L’enjeu véritable de la Mensur n’a jamais tant été la victoire que la défense des valeurs d’une caste, il ne s’agit pas de triompher d’un adversaire plus faible, mais au contraire de se montrer capable de défendre le faible en toute circonstance. Avant tout, il importe de surmonter sa propre peur. Certaines corporations le reconnaissent. Il est d’autres moyens que la Mensur d’arriver à ce but. Et d’autre part, quel intérêt de classe les étudiants ont-ils encore à défendre, dans les universités-usines avec vue sur le chômage de masse ? Peut-être le seul privilège qui restent à certains nostalgiques des parfums exaltants de l’ancien honneur, est-il celui d’avoir encore des yeux pour pleurer. 

 

medium_UNITAS.2.jpg
Franz WISSANT, juriste, pour Theatrum Belli

Membre de la Verbindung catholique UNITAS

Corporation étudiante ne pratiquant plus la Mensur.

06:35 Publié dans Histoire, Mouvements de jeunesse, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 28 février 2007

Charles IV, Duc de Lorraine: cauchemar de Richelieu

Laurent SCHANG :

Charles IV, Duc de Lorraine: le cauchemar de Richelieu

Trouvé sur : http://theatrumbelli.hautetfort.com/

medium_lorraine.jpgGlorieuse et apaisée. C’est en ces termes que le Père Wilhelm, dans son Histoire abrégée des Ducs de Lorraine (terminée de rédiger en 1735), conte la mort, survenue trois quarts de siècle plus tôt, de Charles IV de Lorraine et de Bar, de très noble et antique lignée.

Comme le comédien rêvait de mourir sur scène, Charles IV expira sur son lit de camp, dans sa douzième campagne, au quatorzième jour du cinquième mois de sa soixante et onzième année, son fidèle tambour ruisselant de larmes à ses pieds.

Lorsque, soulevant le lourd brocart, le chirurgien général parut hors de la tente, sa perruque à la main, tous comprirent que l’âme de leur seigneur et duc s’en était retournée vers Dieu. Alors la plaine résonna d’une même plainte et dix mille Lorrains s’agenouillèrent pour demander pardon.

Une dernière salve, puis l’instrument se tut. L’enfant avait crevé la peau du tambour.

Ainsi s’acheva la vie courtoise et picaresque du chevalier Charles de Vaudémont, duc de Lorraine, descendant en ligne directe de l’Empereur Charlemagne et de Godefroy de Bouillon, le 18 septembre 1675, consacré depuis date de grande affliction pour les défenseurs des libertés ducales.

La dépouille, encore toute auréolée de l’écrasante victoire remportée le 11 août à Consarbrück, non loin de la ville de Trèves, contre l’armée du roi de France, sous le commandement du présomptueux maréchal de Créqui, fut prestement embaumée et ramenée à Nancy.

Destin de reître que celui de cet aristocrate, promis à briller dans les meilleures cours d’Europe, et qui voua sa vie et sa fortune à contrecarrer les plans hégémoniques de la couronne de France sur tous les champs de bataille du continent.

Fils né le 5 avril 1604 de François de Lorraine-Vaudémont et de Chrétienne de Salm, Charles va prendre une part active à tous les événements d’un siècle agité par les appétits de conquête et l’émergence, sur fonds de guerre religieuse, d’une idée nouvelle : les frontières « naturelles » des Etats. S’il rechigne à l’étude, le garçon montre tôt des dispositions de bretteur et de cavalier, de même qu’un goût prononcé pour l’art de la guerre, qu’il saura mettre à profit le moment venu.

Sa majorité seigneuriale acquise, Charles monte sur le trône de Lorraine. L’historien Christian Bouyer nous brosse le portrait du jeune souverain : « Agé de vingt-trois ans, Charles IV est un personnage orgueilleux, insouciant, étourdi et brouillon. Au physique, c’est un homme d’une taille élancée, avec un visage osseux, une abondante chevelure blonde et ‘‘un nez flairant loin’’. Malgré une éducation incomplète, le duc possède certaines qualités : c’est un excellent cavalier qui aime l’exercice au grand air, il est aussi un beau parleur qui ne néglige pas les choses de l’esprit. » (in La duchesse de Chevreuse, Pygmalion, 2002)

Une autre de ses qualités, et non des moindres, est sa fidélité. Fidélité intangible au Saint Empire romain germanique. Fidélité à la parole donnée à ses sujets lors du sacre, en la chapelle des Cordeliers. Fidélité enfin au parti catholique, dont il s’érige en champion.

Aussitôt, la guerre de Trente Ans le jette dans la mêlée européenne.

Ses détracteurs posthumes auront beau jeu de lui reprocher son entêtement à refuser le retournement d’alliance offert par Louis XIII, sur les conseils de son Premier ministre, le cardinal de Richelieu. Rarement l’adjectif machiavélique convint davantage à un homme d’Etat. Depuis Louis XI, le royaume de France convoite le duché, à la fois passage obligé vers la riche Alsace, Strasbourg et le Rhin qui la borde, et obstacle intolérable dans sa politique du Pré carré. Or, Charles IV ne cache pas ses ambitions d’intercesseur dans le conflit qui déchire l’Europe rhénane. Le cardinal, que hante le souvenir des ducs de Guise et leurs intrigues – des Lorrains eux aussi – tient son prétexte.

Quarante années durant, dont vingt à cheval et en armure, Charles IV va défendre bec et ongles l’indépendance du duché. Prenant la longue route de l’exil à la tête de son armée pour soutenir la maison d’Autriche. N’hésitant pas à abdiquer en faveur de son frère Nicolas-François afin que la famille ducale ne soit pas inquiétée.

L’époque, le « Grand Siècle » comme on l’appellera plus tard, est à la rouerie, la duplicité diplomatique. Charles IV évolue dans ce monde de faux semblants en grand capitaine de compagnie. Quand il ne franchit pas le Rhin pour reprendre Nancy, il chevauche du Palatinat jusqu’aux Flandres et porte secours aux Impériaux.

De siège interminable en bataille rangée, sa témérité, sa crâne attitude sous la mitraille stupéfient les chroniqueurs. De Lisbonne à Moscou, les cours d’Europe s’enthousiasment au récit de ses exploits. Charles n’est pas homme à diriger ses troupes à bonne distance du feu ennemi. Piétinée par les Suédois, occupée par les Français, ravagée par les Croates, la Lorraine moribonde renaît partout où se dressent ses couleurs : « Etendard à fond jaune, traversé d’une croix rouge. Au centre, l’écusson ovale de Lorraine surmonté d’une couronne ducale ; à chaque angle une croix à double croisillon. » (M. Dumontier)

En 1638, déferlant du Luxembourg, il réussit un temps à chasser l’armée royale du pays. Un camouflet pour Louis XIII et une humiliation personnelle pour Richelieu, qui désormais, jusqu’à sa mort, va poursuivre Charles IV d’une haine vengeresse. Par tous les moyens, « l’âne rouge », ainsi que le surnomme Charles, va tâcher d’attenter à la vie de son irréductible ennemi. Des tentatives d’assassinat, d’empoisonnement par lettre dont les mémorialistes tiendront le registre détaillé. Le cardinal botté et caparaçonné du siège de La Rochelle s’avère bien digne du sinistre personnage dépeint par Alexandre Dumas dans Les trois mousquetaires.

Le 5 août 1643, tandis que les foudres cardinalesques se déchaînent contre le malheureux duché, Charles IV défait encore de belle manière Turenne et le Grand Condé à la bataille de Fribourg. Mais en cette vingt-cinquième année de guerre ininterrompue en Europe, les gazettes se passionnent d’abord pour ses péripéties amoureuses.

Charles IV a épousé Nicole de Lorraine en 1621. Son titre, il le doit à Nicole. Cela ne l’empêche pas en avril 1637 de contracter secrètement mariage avec Béatrix de Cusance, veuve de François-Thomas de Cantecroix, sa maîtresse.

Le prince des Ligueurs, bigame ! Excédé, le Pape Urbain VIII finit par excommunier Charles le 13 avril 1642. Les Lorrains, pourtant fervents catholiques, ne lui en tiendront pas rigueur, bien au contraire, qui continueront à acclamer Béatrix comme leur seconde duchesse. Il est vrai qu’à la différence de Nicole, la belle accompagne le duc Charles dans toutes ses expéditions militaires.

En 1648, le subit mouvement de Fronde qui succède au traité de Westphalie redonne à Charles l’espoir de reconquérir son duché. Il caresse même l’idée grandiose d’assiéger Paris. Mais ses talents de négociateur révèlent bientôt leurs limites et Charles, abandonné par les Impériaux, doit rebrousser chemin.

D’autres aventures l’attendent ailleurs. Contraint à un nouvel exil en 1654, sous la poussée des armées françaises, Charles IV est arrêté par les Espagnols ses alliés le 25 février et envoyé sous forte escorte à Tolède. La trahison scandalise jusqu’au Pape. Libéré en 1659, il ne fait son entrée à Nancy qu’en 1663, sous la protection, ironie de l’Histoire, de Louis XIV.

L’idylle cependant ne dure pas. Le roi de France accorde certes aux Lorrains le droit de tenir cour, de légiférer, mais Charles est empêché de commander et toute politique étrangère lui est interdite. Convaincu de conspiration en 1670 par un Louis XIV qui prépare l’invasion de la Hollande et a besoin pour ce faire de garantir la paix sur ses marches, Charles IV prend la fuite à l’arrivée des mousquetaires puis rejoint le camp des Impériaux. Sa dernière campagne commence.

 Laurent SCHANG

-------------------------------------------------

Charles IV en quelques dates :

•5 avril 1604 : naissance de Charles IV

• avril 1637 : Charles IV épouse en secret Béatrix de Cusance, sa maîtresse.

• 13 avril 1642 : le pape Urbain VIII l’excommunie.

• 5 août 1643 : Charles IV bat à plate couture Turenne et le Grand Condé à la bataille de Fribourg. Richelieu fait raser les villes fortifiées qui jalonnent les frontières sud et ouest du duché.

• 1645 : Charles IV arme le navire « L’Espérance de Lorraine » pour venir en aide aux Irlandais insurgés.

• 1648 : signature du traité dit de Westphalie. La Lorraine sort de la guerre dépeuplée aux deux tiers, sa population décimée par les pillages, la famine et la peste.

• 25 février 1654 : Charles IV est arrêté par les Espagnols et envoyé en détention à Tolède.

• 1663 : Charles IV rentre à Nancy.

• 1665 : Charles IV épouse Marie-Louise d’Apremont, de très loin sa cadette.

• 1670 : Charles IV s’enfuit de Nancy et rejoint le camp des Impériaux en Hollande.

• 11 août 1675 : victoire de Charles IV à la bataille de Consarbrück

• 18 septembre 1675 : mort de Charles IV. Enterré en l’église de la Chartreuse de Bosserville, au sud de Nancy, sa dépouille ne sera pas transférée dans le caveau ducal de la Chapelle des Cordeliers avant 1823.

------------------------------------------------- 

A lire également :

Henry Bogdan, La Lorraine des ducs –  Sept siècles d’histoire, Perrin, 2005.

06:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 24 février 2007

Nationalismes constitutionnel et dynastique en Russie

medium_moscou.gif

 

Nationalisme constitutionnel et nationa­lisme dynastique, germanophobie et anglo­phobie, néoslavisme et panslavisme dans le débat russe du début du siècle

Robert STEUCKERS

Analyse: - Caspar FERENCZI, «Nationalismus und Neoslawismus in Rußland vor dem Ersten Weltkrieg», in Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, Band 34, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1984. - Caspar FERENCZI, Außenpolitik und Öffentlichkeit in Rußland 1906-1912,  Matthiesen Verlag, 1982.

A l'aube du siècle, la question d'Orient et celle des Détroits mobilisent l'attention de tous les polémistes russes. Après la pa­renthèse du communisme, qui a duré 70 ans, la Russie semble confrontée aux mêmes défis géopolitiques. Nous allons exa­miner, tout au long de cet exposé, comment se cristallisait les idéo­logies et leurs compléments géopolitiques. En effet, chaque idéologie russe proposait une géopolitique différente, sans qu'on ne puisse distinguer réellement un “bloc d'idées incontes­tables” qui aurait pu susci­ter le consensus en politique étrangère, en dépit des dissensus intérieurs.

Deux formes de “nationalismes” s'affrontent à l'aube du siècle: le nationalisme constitutionnel, libéral et pro-occidental, anglo­phile et germanophobe, et le nationalisme dynastique, autocratique et anti-occiden­tal, anglophobe et plutôt germanophile.

1. Le nationalisme constitutionnel:

La caractéristique majeure de ce nationalisme constitutionnel est une référence au “peuple” (narod), non pas dans le sens es­sentiel et métaphysique des slavophiles du XIXième siècle, mais comme concept de transition entre la réalité autocratique de la Russie tsariste et la Douma, appelée à “libéraliser” la Russie. Le peuple des nationalistes constitutionnels n'est donc pas un concept désignant une classe, ou les classes pauvres et exclues du pouvoir, comme chez les socialistes qui déclenchent la révolution avortée de 1905. Il n'est pas non plus un concept religieux-mythique comme chez les narodniki du XIXième siècle.

Pourtout, dans le contexte de l'époque, la classe ouvrière s'éveille. Des troubles sociaux graves écla­tent. En 1912, les ouvriers des mines d'or de la Lena déclenchent une grève violente. La troupe tire dans le tas. Le nombre des morts est impressionnant. Depuis cet incident jusqu'en 1914, les troubles sont constants, apportant de l'eau au moulin des socialistes et des futurs bol­cheviques.

Les nationalistes constitutionnels raisonnent en termes progressistes sans limiter le concept de peuple aux seuls ouvriers, comme les socialistes, ou sans en faire la notion-clé d'une métaphysique nationa­liste, à la façon des narodniki slavophiles du XIXième siècle.

Jamais la Russie ne connaîtra de synthèse entre ces deux formes d'appréhension du peuple. En Allemagne, la sociale-démo­cratie parvient à intégrer la classe ouvrière dans le fonctionnement du pays. Les socialistes ne partagent peut-être pas la mys­tique germano-nordique de la bourgeoisie, pendant al­lemand du narodnikisme slavophile, mais, en fin de compte, le wagné­risme était révolutionnaire en 1848 et on assiste à la fin du siècle à une wagnérisation et une nietzschéisation du socialisme. Mystique natio­nale et souci socialiste se compénètrent dans le Reich de Bismarck et les socialistes russes modérés, et, même, certains nationalistes constitutionnels admirent et envient cette synthèse. Ils sont enchantés de voir que Lassalle ap­puie Bismarck et que Liebknecht senior introduit une forme bien profilée de natio­na­lisme dans la sociale-démocratie: l'Allemagne est la patrie des ouvriers, c'est là qu'ils bénéficient de la sé­curité sociale la mieux élaborée du monde, c'est là que leurs syndicats ont leur mot à dire. Les ouvriers allemands sont les mieux émancipés. C'est grâce à l'excellence des tradi­tions politiques allemandes.

Le modèle germanique ne pourra pas être importé en Russie en dépit des efforts de Stolypine et de Kokovtchov. La juxtaposi­tion sans fusion ni synthèse des deux formes de nationalisme donnent les cli­vages suivants, qui ne seront pas surmontés:

1) Orthodoxie, autocratie paternaliste, peuple et populité au sens mystique du terme.

2) Peuple-société (idem chez Gorbatchev et Eltsine!), démocratie constitutionnelle (Eltsine jusqu'en oc­tobre 1993!), réformes.

Parmi les tenants du nationalisme constitutionnel, on compte les “Cadets”, qui théorisent dans la cohé­rence un projet politique pro-occidental en Russie, que ne partagent évidemment pas les nationalistes dynastiques, les orthodoxes intégristes et les mystiques narodniki. Les Cadets, comme plus tard Gorbatchev, voudront accorder aux peuples périphériques une pleine auto­nomie (Polonais, Finlandais). Leur théoricien est Struve. Il veut la démocratie dans le cadre d'un impérialisme libéral. Mais il ne veut pas d'une Russie faible qui serait incapable de s'affirmer sur la scène internationale. Les efforts de la Russie doivent se porter vers le Moyen-Orient (ce qui est pourtant contradictoire avec son désir d'une alliance anglaise) et elle doit dominer pour toujours et fermement l'ensemble du bassin de la Mer Noire.

Struve s'oppose à la xénophobie et à l'antisémitisme. Comme en Allemagne, dit-il, il existe des Juifs pa­triotes, qui peuvent servir d'intermédiaire entre la Russie et les autres peuples, via les relais de la dia­spora. Les Polonais sont un tremplin vers les Slaves de l'Ouest de confession catholique. Il faut valoriser le rôle des Polonais dans l'Empire russe, pense Struve, pour s'opposer efficacement à l'Autriche-Hongrie et à l'Allemagne. Une Pologne loyale constitue une protection du flanc occidental de la Russie, permettant par ailleurs une poussée vers le Sud et une maîtrise de la Mer Noire. Si la Russie ne parvient pas à fidéli­ser les Polonais à sa cause, la Pologne deviendra automatiquement un tremplin de l'Allemagne et de l'Autriche en direc­tion de la Russie. La non-résolution de la question polonaise conduira à une vassalisa­tion de la Russie par le Reich allemand.

L'impérialisme libéral préconise donc une alliance avec la France (pour clouer les Allemands à l'Ouest) et avec l'Angleterre, qui doit toutefois laisser à la Russie les mains libres en Mer Noire. Mais Struve aura quelques difficultés à faire admettre cette alliance anglaise: les souvenirs de la guerre de Crimée, où les Anglais et les Français s'étaient alliés aux Turcs, restent cui­sants et douloureux.

A l'intérieur Struve veut une organisation bismarckienne, avec un appareil d'Etat réconcilié avec le peuple, par le biais de l'idée nationale (démocratique). L'appareil d'Etat doit se servir de l'idée nationale-démocratique, c'est-à-dire du nationalisme de la révolution de 1848, et se laisser compénétrer par elle. En bout de course, on aura un renforcement de l'Etat, comme dans la nouvelle Allemagne de Bismarck.

Finalement, l'impérialisme libéral de Struve est d'inspiration parlementariste à la mode anglo-saxonne, as­sorti de quelques correctifs d'origine allemande. Dans sa vision géopolitique, les Polonais et les Finlandais deviennent des alliés des Russes. Quant aux autres peuples, considérés comme moins impor­tants ou moins développés, ils doivent subir une assimilation douce au modèle russe, comme dans le creuset américain.

2. La germanophobie et la crise bosniaque:

La germanophobie, en dépit de la fascination pour le modèle bismarckien, éclate surtout en 1908, au mo­ment de la crise bos­niaque, quand l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine (en respectant les accords de 1878). Cette main-mise sur la province centrale des Balkans, qui permet de contrôler toute cette vaste péninsule, pousse définitivement l'opinion publique russe dans l'alliance franco-britannique, alors qu'elle était fort hésitante auparavant.

Les Cadets, qui se perçoivent comme révolutionnaires dans le cadre de l'autocratie russe, chantent les mérites de l'Allemagne culturelle et sociale mais s'opposent à l'Allemagne officielle. De même qu'à la forte présence allemande et balte-germanique à la Cour du Tsar. Cette aristocratie germanique est accusée de pratiquer une politique coercitive, qui maintient les ouvriers et les paysans russes dans un état de sujé­tion dramatique. Les Cadets admirent la dynamique industrielle alle­mande mais cons­tatent que cette dy­namique s'oriente vers les Balkans, l'Empire Ottoman, le Moyen-Orient (la “Question d'Orient”) et la Perse, ce qui menace l'exclusivité russe en Mer Noire et confisque l'espoir de s'ancrer à demeure sur les rives du Bosphore et dans les Dardennelles. En 1906, la revue Novoïe Vremje évoque un complot “germano-sioniste”, où le sionisme de Herzl est défini comme un instrument allemand pour péné­trer l'Empire Ottoman.

3. Le nationalisme dynastique:

Ce nationalisme dynastique repose sur trois piliers: l'autocratie (paternaliste), l'orthodoxie et la populité au sens mystique des narodniki. Ce nationalisme dynastique s'oppose à toute forme de constitution, à toute idée de progrès, mais veut réaliser la fraternité entre tous les Orthodoxes, car l'Occident a promis la fraternité lors de la Révolution française, sans jamais avoir été capable de la réaliser. En politique inté­rieure, les nationalistes dynastiques veulent diminuer l'influence allemande dans la Cour, dans le haut fonctionnariat, et l'influence juive dans l'économie et le socialisme. En politique extérieure, en revanche, ils refusent toute alliance avec la France ou l'Angleterre, parce que ces pays sont les foyers du parlemen­tarisme, du capitalisme et du constitutionalisme, toutes formes politiques jugées perverses et délétères. Les nationalistes dynastiques évoquent sans cesse le “péril jaune”: il faut battre les Chinois, les Perses, les Turcs, pour redorer le blason de l'armée. Ils développent une perspective eurasienne somme toute assez agressive et impérialiste et nous décou­vrons chez eux les premiers balbutie­ments de cet eurasis­me récurrent, de Staline aux néo-impérialistes actuels. Les nationalistes dynastiques préconisent de se retirer d'Europe, sous-continent en proie à la décadence, et de se chercher, par les armes, un destin en Asie. La Russie, di­sent-ils, n'a pas intérêt à participer à l'équilibre européen, car toute notion d'équilibre est une idée “germano-romaine” prou­vant la mesquinerie et l'étroitesse d'esprit des Occidentaux. Enfin, les nationalistes dynastiques s'opposent au néoslavisme des Slaves occidentaux, surtout des Tchè­ques, car ce néoslavisme est tout compénétré d'idées modernes et libérales, donc inadéquates pour la Russie.

Face à l'Allemagne, les nationalistes dynastiques sont ambivalents. Avant 1908, donc avant l'annexion par Vienne de la Bosnie-Herzégovine, ils voulaient une alliance avec le Reich. En 1908, au plus fort de la crise bosniaque, ils veulent la guerre contre l'Allemagne et l'Autriche. A partir de 1909, quand les esprits se calment, ils veulent une alliance avec l'Allemagne seule. La faiblesse des nationalistes dynastiques, c'est de ne pas avoir un théoricien de la trempe de Struve. Si ce dernier avait eu des opposants de son acabit, il n'est pas sûr que la Russie serait resté dans l'Entente.

En 1909, Menchikov, théoricien et polémiste nationaliste dynastique, développe, après la crise bos­niaque une vision géopoli­tique assez contradictoire. La Russie ne doit pas servir de réservoir de chair à canon pour l'Angleterre. Contre le péril jaune japonais et chinois, et contre la péril blanc allemand, elle doit forger une réseau d'alliance. Dans le Pacifique et en Extrême-Orient, elle doit s'allier à la Chine et aux Etats-Unis pour damer le pion au Japon. Pour barrer la route à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, elle doit s'allier à la France, à l'Italie et aux petites puissances balkaniques (surtout la Serbie). Mais en dépit de cette esquisse contradictoire, où Menchikov est anglophobe tout en voulant s'allier à tous les pions de l'Angleterre dans le monde, il croit à la paix, estimant que les nations occidentales sont désormais trop décadentes pour oser commencer une guerre.

Les autres polémistes nationalistes dynastiques se bornent à vouloir une politique militaire défensive, impliquant un modus vi­vendi  avec le Reich allemand. Les nationalistes dynastiques ont peur de la guerre parce que celle-ci pervertira immanqua­blement le peuple. Les masses de soldats mobilisés entreront en contact avec le socialisme et le libéralisme de l'Europe. Si la guerre éclate demain, disent-ils, la révolution éclatera après-demain, parce que les soldats issus du prolétariat et du paysan­nat seront fascinés par le modèle allemand et voudront le transposer de force dans une Russie qui n'est pas prête à le rece­voir. Pire, ce modèle, occidental, germanique, ne pourra jamais harmonieusement se greffer sur le corps gigan­tesque de la Russie.

Dournovo, plus germanophile, plus fidèle à l'ancienne alliance entre le Tsar et Bismarck, plaide pour un partage de l'Europe centrale et orientale entre l'Allemagne et la Russie. Il souhaite une disparition de l'Empire austro-hongrois et l'apparition d'une Grande Allemagne et d'une Grande Russie, flanquées de deux petites puissances balkaniques, la Roumanie et la Serbie. Dournovo affirme que les “progressistes” sont les alliés objectifs de l'Angleterre, pire ennemie de la Russie. Les soldats russes, dit-il en reprenant l'argumentation de Menchikov, vont servir de chair à canon pour les capitalistes anglais qui veulent abattre leurs concurrents allemands. La Russie doit dès lors mettre tout en œuvre pour détourner les Allemands des Balkans et pour soutenir leurs projets coloniaux en Afrique et en Micronésie. Germa­no­phi­le, Dournovo rappelle que l'Allemagne, de­puis 1813, a toujours été fidèle à sa parole, qu'elle n'a pas sou­tenu les Occidentaux et les Turcs lors de la Guerre de Crimée et qu'en 1905, pendant la guerre russo-ja­ponaise, elle n'a pas participé au projet anglais d'affaiblir la Russie partout dans le monde. L'Allemagne et la Russie ont des ennemis communs, argumente Dournovo: la franc-maçonnerie occiden­tale et le péril jaune.

Mais même les germanophiles sont hostiles à l'Autriche-Hongrie. Cet Empire est faible et bigarré (la “Ka­kanie” de Musil), af­firment-ils avec mépris; pire, il domine des Slaves, ce qui est jugé inacceptable. La Russie et l'Allemagne doivent donc liqui­der de concert l'Etat aus­tro-hongrois et s'en partager les dé­pouil­les. Mais, nous allons le voir, l'hostilité des nationalistes dy­nas­tiques russes à l'Autriche-Hongrie n'est pas du tout de même nature idéologique que l'hostilité des néoslaves tchèques.

4. L'anglophobie russe:

L'anglophobie russe est de même nature que l'anglophobie allemande de la même époque. Les polémistes anglophobes utili­sent le même vocabulaire. Pour eux, l'Angleterre est le berceau de la modernité et du capitalisme. Les anglophobes russes les plus radicaux et les plus virulents opèrent une distinction entre anglo-osvoboditel'noïe (anglo-libéral ou, plutôt, anglo-libériste) et germano-pravoïe (germano-juste, ger­mano-orthodoxe, germano-droit, germano-cohérent, en vertu de la grande plasticité sémantique du terme pravo). De plus, vogue darwino-racialiste aidant, les Russes anglophobes proclament que les Allemands sont plus fiables parce qu'ils ont du sang slave, alors que les Anglais en sont dépourvus. L'anglophilie est attribuée aux Cadets, aux “Oktobristes” et à certains “néo-slavistes”. L'anglophilie veut introduire le par­lementarisme en Russie, ce qui l'affaiblira et la ruinera, la réduira à un statut de colonie. Il y a incompatibi­lité entre orthodoxie et anglicanisme.

La question bosniaque, estiment les polémistes anglophobes, est exploitée par Londres pour entraîner la Russie dans une guerre contre l'Allemagne, donc pour utiliser le potentiel biologique des masses russes pour éliminer un concurrent en Europe. Les Anglais veulent aussi attirer la Russie hors d'Asie, où elle fai­sait directement face aux Indes, clef de voûte de l'Empire britannique.

Cette droite national-dynastiste radicale et anglophobe minimise curieusement les contradictions qui existent entre Allemands et Russes au Proche-Orient. Car si la puissance économique allemande s'empare des Balkans dans leur ensemble, en fait un “espace complémentaire” (Ergänzungsraum) de la machine industrielle germanique, s'allie aux Ottomans et contrôle de ce fait implicitement les Dardan­nelles, tous les vieux espoirs russes et panslavistes de contrôler effectivement l'ancienne et my­thique Byzance s'évanouissent. Les nationaux-dynastistes radicaux veulent une grande offensive de la puis­sance russe en Asie, car là-bas, les soldats russes ne seront jamais contaminés par les idées subver­sives et révolu­tionnaires de l'Allemagne et de l'Occident.

Dans la Question d'Orient, où l'Allemagne, qui n'est pas une grande puissance coloniale africaine en dépit de son installation au Togo, au Cameroun, au Tanganika et dans le Sud-Ouest africain, cherche des dé­bouchés dans les Balkans et dans l'Empire Ottoman. Elle cherche à organiser une diagonale partant de Hambourg pour s'élancer vers Istanbul, Mossoul, Bagdad, Bassorah et, de là, se tailler une “fenêtre” sur l'Océan Indien, que les Britanniques considéraient comme leur chasse gardée. L'organisation de cette diagonale impliquait une alliance entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie et l'Empire Ottoman. Les Russes, du moins qui ne voient aucun inconvénient à cette gigantesque alliance, estiment que la Russie doit s'y joindre indirectement en organisant de son côté une diagonale parallèle, partant de Moscou vers le Caucase et, depuis cette chaîne de montagne, vers les hauts plateaux de l'Iran et, enfin, vers les rives du Golfe Persique et de l'Océan Indien. La Russie aussi devait se tailler une “fenêtre” don­nant sur la “Mare Nostrum” indo-britannique. Pour réaliser cette diagonale Moscou-Téhéran, il fallait em­pêcher l'avènement du parlementarisme en Iran. Le diplomate polonais, inféodé aux Cadets, Poklevsky-Kotsell, tente, avec l'appui implicite des Anglais, d'introduire le parlementarisme en Iran; ce sera un échec qui conduira à l'anarchie. Les nationalistes-dynastistes tirent les leçons de cette aventure: la Russie doit soutenir l'autocratie du Shah; ils es­quissent ensuite une politique eurasienne: les Alle­mands s'allient aux Ottomans et organisent l'économie du Moyen-Orient, les Russes soutiennent le Shah et aident à la réor­ga­nisation de la Perse. Allemands et Russes marchent de concert vers l'Océan Indien, sur des routes dia­gonales différentes, pour y occuper des positions bien circonscrites.

Les nationalistes-dynastistes veulent une politique de force. Leur raisonnement? Si les Français occu­pent le Maroc et les Anglais l'Egypte (1882), alors la Russie a le droit d'avancer ses pions en Perse et de les y ancrer. Les Allemands et les Austro-Hongrois s'installent dans les Balkans parce qu'ils sont bloqués en Afrique et en Amérique latine par la «baleine an­glaise». Si les Slaves balkaniques sont lésés, c'est à cause de l'Angleterre.

5. Le néo-slavisme:

Entre 1905 et 1914, avec une nette recrudescence lors de la question bosniaque en 1908, s'organise en Europe orientale un mouvement “néoslaviste”. On ne confondra pas ce néoslavisme avec le panslavisme, dont l'apogée se situe entre 1860 et 1880. Le néoslavisme préconise le libéralisme, pour les Russes comme pour les autres peuples slaves. Mais ce libéralisme conduira à un échec relatif du néoslavisme, dans le sens où, à l'époque des guerres balkaniques, la majorité balkanique des congrès néoslavistes impose une ligne conservatrice, plus proche de l'ancien panslavisme. Mais ces congrès demeurent hé­té­roclites: les clivages religieux (entre Catholiques et Orhodoxes) restent trop forts, mêmes dans leurs formes laïcisées. Les Polonais s'opposent aux Russes et les Serbes aux Bulgares. Le seul résidu du néoslavisme a été le renforcement de l'illyrisme ou yougoslavisme, y compris chez les Croates.

Le néoslavisme entendait “libéraliser” les idées de Danilevski et de Dostoïevski, où austrophobie et anti-catholicisme se mê­laient étroitement. Il voulait promouvoir un slavisme libéral, constitutionaliste, pro-oc­cidental, “européen”, mais les nationa­listes-dynastistes, souvent germanophiles, estimaient, sans doute à juste titre, que ce néoslavisme était une manœuvre an­glaise, car il ne contrecarrait pas les projets bri­tanniques en Asie. Il convenait aux Tchèques et aux Polonais, moins aux Russes, qui entendaient con­server les atouts de l'autocratie, ou qui préféraient le retour à la ligne conservatrice dure du pan­slavisme ou de l'école de Danilevski. Tchèques et Polonais, en outre, ne saisissaient pas l'importance géopolitique de la Perse et de l'Asie centrale, où les intérêts russes et anglais entraient directement en collision. Ce néoslavisme était diamétra­lement opposé aux idées de Konstantin Leontiev, pour qui l'Empire ottoman et l'Empire russe devaient coopérer pour barrer la route au libéralisme anglais et occidental, éventuellement avec l'appui du Reich. Leontiev ne voulait pas d'irrédentisme slave en Autriche-Hongrie et dans l'Empire Ottoman, à la condition que les Slaves puissent vivre sous un régime traditionnel, auto­cratique, religieux, sans être livrés aux affres de la déliquescence libérale/occidentale. Les dissidences slaves dans les Em­pires sont toujours, aux yeux de Leontiev, des dissidences libérales.

6. Conclusion:

Les polémiques entre les différentes fractions du nationalisme russe du début du siècle sont instructives à plus d'un égard: elles nous enseignent quelles sont les diverses options géopolitiques qui s'offrent à la Russie. Aujourd'hui, où la chape com­muniste n'existe plus, ces options contradictoires et divergentes re­vien­nent à l'avant-scène. Il me semble bon d'analyser les effervescences actuelles ou les projets géo­po­li­tiques formulés dans l'actuelle Douma sur base d'une bonne connaissance historique. Tel est l'objet de cet exposé et de cet article.

Robert STEUCKERS.

(Conférence prononcée à Strasbourg en avril 1994, dans le Cercle animé par Pierre Bérard et à Paris, en juin 1994, lors de la visite d'Alexandre Douguine en France)

06:30 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 22 février 2007

Une étude sur Paul Colin

Pascal Martin

(correspondant scientifique du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale) :

D'une croisade à l'autre ou la paix à tout prix

Analyse du regard porté par le journal "Cassandre" sur les événements d'Espagne

http://www.flwi.ugent.be/btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2019,%201988,%203-4,%20pp%20395-416.pdf

 

Article fouillé permettant de comprendre certains glissements dans la politique belge des années 30, sans tomber dans les errements de la "correction politique"

 

06:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 16 février 2007

Geschiedenis van de Kosakken

medium_cosaque.jpg

GESCHIEDENIS VAN DE KOZAKKEN

Scythen, Sarmaten, Chazaren, Mongolen

http://home.hetnet.nl/~gabby-pat/kozakkengeschiedenis.htm

06:00 Publié dans Eurasisme, Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 12 février 2007

1683: Bataille de Vienne

Renato CIRELLI :

12  septembre 1683 :
Bataille et libération de Vienne

 

Ci-dessous le texte d’inspiration catholique et impériale de Renato Cirelli, paru en version espagnole dans la revue “Arbil”. Le 12 septembre doit devenir une “date-culte” dans le mouvement identitaire européen, tout comme le 7 octobre, date de la Bataille de Lépante. Un conseil, ces jours-là, pavoisez ! Sortez les bannières de vos régions, mais évitez les tissus tricolores républicains en France ou belgicains en Belgique, où l’on serait mieux inspiré de réhabiliter l’aigle impérial, présent dans de nombreux blasons communaux (Anvers, Malines, Saint-Trond, etc.) ou les Croix de Bourgogne, présentes dans la procession du Gouden Boom à Bruges ou de l’Ommegang à Bruxelles. Notre histoire glorieuse date d’avant 1792. Après cette date funeste, c’est le règne des braillards et des histrions. Oublions-les, eux et leurs symboles médiocres. Notons également qu’il y avait avant Vatican II des papes guerriers qui ravivaient des stratégies romaines et non chrétiennes. Il est vrai que Vatican II voulait expressément mettre un terme au “triomphalisme constantinien”, donc aux racines impériales romaines de l’Europe. C’est une trahison, non pas au message chrétien, éthéré et abstrait, dont nous n’avons cure, mais à l’histoire européenne, réalité concrète, tangible, vivante.

 

La civilisation européenne, combattante, se sauve du péril ottoman

L’union des princes européens a sauvé notre civilisation du danger mortel que constituait l’Empire ottoman en reprenant Vienne, encerclée par les troupes innombrables de Kara Moustapha.  Un siècle et demi auparavant, Vienne avait été assiégée une première fois. Le Roi d’Espagne s’était rangé du côté des Autrichiens. De même à l’époque de la Bataille navale de Lépante, l’Espagne et le Saint-Empire avaient fait cause commune contre l’invasion barbare des Ottomans.

Le scénario politico-militaire de la seconde moitié du 17ième siècle était inquiétant, les guerres se succédaient et aucune paix ne semblait se dessiner à l’horizon; ce fut un siècle terrible, un siècle de malheurs, qui a marqué l’Europe à jamais. La Guerre de Trente Ans (1618-1648) avait commencé comme une guerre de religions mais s’était poursuivie par un conflit entre la maison royale de France, les Bourbons, et les Habsbourgs. Ces derniers finiront pas conserver leur hégémonie sur l’Allemagne, centre de l’Europe, et par assumer l’autorité impériale romaine-germanique, seule légitime. Pour contester l’hégémonie habsbourgeoise sur le Saint-empire, le ministre français Armand du Plessis, Cardinal-Duc de Richelieu (1585-1642), inaugure une politique de rébellion ouverte contre la légitimité impériale en forgeant des principes d’action politique axés sur les seuls intérêts nationaux français au détriment des intérêts de l’Europe catholique. Richelieu s’allie ainsi avec les princes rebelles protestants.

Les Traités de Westphalie de 1648 sanctionnent l’affaiblissement définitif du Saint Empire Romain en Allemagne, territorialement mutilé et divisé entre catholiques et protestants, fractionné politiquement; en Europe, le Roi de France Louis XIV (1638-1715) détient une hégémonie de fait. Le rôle prépondérant qu’il joue sur le continent induit le “Roi-Soleil” à briguer la couronne impériale et, dans cette perspective, il n’hésite pas à s’allier avec les Ottomans, se montrant totalement indifférent à tout idéal européen et catholique. Le résultat de cette alliance calamiteuse et de cette trahison sans vergogne a provoqué la ruine de l’Europe, a perpétué des divisions religieuses inutiles, a affaibli l’ensemble civilisationnel européen par des luttes dynastiques tout aussi inutiles, le tout sur fond d’une crise économique et d’un déclin démographique, conséquences de la guerre. L’Europe était donc particulièrement vulnérable au lendemain de la Guerre de Trente Ans.

L’offensive turque

L’Empire ottoman, qui avait déjà conquis les pays balkaniques et s’était installé dans la plaine hongroise, avait été toutefois contenu dans ses tentatives d’expansion, le 1 août 1664, par les armées impériales commandées par le Lombard Raimundo Montecuccoli (1609-1680) à la Bataille de Saint-Gotthard en Hongrie.

Mais rapidement, les Ottomans se remettent de cette défaite, sous l’énergique impulsion du Grand Vizir Kara Moustapha (1634-1683) et reprennent leurs offensives, encouragés inconsciemment pas la politique de Louis XIV, résolument anti-habsbourgeoise, et par la faiblesse du Saint-Empire et de l’Europe toute entière.

Seule la République de Venise combattait efficacement les Ottomans à l’époque, le long des côtes de l’Egée, en Grèce et en Dalmatie. Ce fut un combat impavide et glorieux, la dernière guerre que la Sérénissime République mènera en tant qu’Etat indépendant. Cette guerre s’achèvera par la chute de Candia en 1669, défendue héroïquement par Francisco Morosini, dit du Péloponnèse (1618-1694).

Après la Crète, la Podolie, partie de l’actuelle Ukraine, est arrachée en 1672 à la Pologne et, en janvier 1683, à Istanbul, les étendanrds de guerre sont tournés vers la Hongrie. Une immense armée se met en marche en direction du coeur de l’Europe, sous le commandement de Kara Moustapha et du Sultan Mehmet IV (1642-1693), dont les intentions étaient claires  : créer une “grande Turquie européenne et musulmane” dont la capitale  serait Vienne.

Les forces impériales, peu nombreuses et appuyées seulement par les milices urbaines et rurales hongroises, commandées par le Duc Charles V de Lorraine (1643-1690), tentèrent de résister mais en vain. Le grand chef de guerre lorrain, au service des Habsbourg, a accepté cette mission difficile, malgré qu’il était convalescent et sortait à peine d’une grave maladie qui l’avait quasiment amené au seuil de la mort, dont, dit-on, l’avait sauvé les prières d’un capucin, le vénérable Marco d’Aviano (1631-1699). Ce prêtre italien, envoyé par le Saint Père auprès de l’Empereur, était un prédicateur infatigable, qui ne cessait de prêcher la croisade contre les Turcs,  conseilla aux militaires impériaux de placer l’image de la Mère de Dieu sur les insignes des armées du Saint Empire. C’est pourquoi les bannières militaires autrichiennes ont porté toutes l’effigie de la Vierge pendant plus de deux siècles et demi, jusqu’au jour où Adolphe Hitler (1889-1945) les a fait retirer.

Les cloches sonnent pour avertir l’Europe du danger turc

Le 8 juillet 1683, l’armée ottomane quitte la Hongrie et s’avance en direction de Vienne, installe son campement autour de la ville le 13 et commence le siège. Pendant la progression de cette armée, les régions traversées sont dévastées, les villes et les fermes sont mises à sac, les églises et les monastères détruits, les populations autochtones de confession chrétienne sont soit massacrées soit réduites à l’esclavage.  

L’Empereur Léopold I (1640-1705), après avoir confié le commandement militaire de la place de Vienne au Comte Ernst Rüdgier von Starhemberg (1638-1701), quitte la ville et s’installe à Linz pour organiser de là la résistance des peuples germaniques au péril mortel qui fond sur elles.

Dans tout l’Empire, les cloches sonnent à toute volée pour signaler l’arrivée des Turcs, comme en 1664 et un siècle auparavant. Alors commence la mobilisation de toutes les ressources du Saint Empire, tandis que l’Empereur négocie fébrilement pour faire convoquer tous les Princes, catholiques comme protestants. Cette initiative est lâchement torpillée par Louis XIV et par Frédéric Guillaume de Brandebourg (1620-1688). Il sollicite l’intervention immédiate de l’armée polonaise, invoquant la nécessité suprême de sauver l’Europe (chrétienne).

Le Pape Innocent XI

A ce moment dramatique de l’histoire européenne, la politique continentale et orientale préconisée depuis plusieurs années par le Saint Siège, surtout grâce au Cardinal Benedetto Odescalchi (1611-1689), élu Pape sous le nom d’Innocent XI en 1676 et béatifié en 1956 par le Pape Pie XII (qui occupa le Saint Siège de 1939 à 1958).

Se posant comme le gardien du grand esprit des croisades, le Pontife énergique, qui fut auparavant Cardinal-Gouverneur de Ferrara et avait gagné le titre de “Père des pauvres”, avait amorcé une politique prospective, visant à créer un système d’équilibres entre les princes chrétiens pour permettre à sa politique extérieure, hostile à l’Empire ottoman, de se consolider. Pour y parvenir, il s’est servi d’hommes habiles, capables de décision, comme les nonces Obizzo Pallavicini (1632-1700) et Francisco Buonvisi (1626-1700), du Vénérable Marco d’Aviano et d’autres. La diplomatie pontificale s’était posée en médiatrice conciliante entre les antagonismes européens, amenant la paix entre la Pologne et l’Autriche, favorisant tous les rapprochements possibles avec le Brandebourg protestant et la Russie orthodoxe, allant jusqu’à défendre les intérêts des protestants hongrois face à l’épiscopat local, car, à ses yeux, toutes les divisions qui traversaient l’Europe chrétienne devaient s’estomper et disparaître au profit d’une unité combatttante face au péril islamique. Malgré les échecs, les querelles et les incompréhensions, en 1683, année dite “des Turcs”, le Pape avait réussi à devenir l’âme de la grande coalition chrétienne, donnant de l’argent à toute l’Europe pour financer les troupes des grands  et des petits princes, payant personnellement un détachement de cosaques pour l’armée polonaise.

Le siège de Vienne

Pendant ce temps, à Vienne, submergée par les réfugiés, commence le “chemin de croix” que constitue le siège. La ville tiendra, héroïquement. Six mille soldats et cinq mille miliciens urbains, isolés du reste du monde, vont s’opposer à une immense armée ottomane, soutenue par 300 canons. Toutes les cloches de la ville sont réduites au silence, sauf celles de la Cathédrale Saint Etienne, que l’on appelle l’Angstern, l’”angoisse”, qui, de ses battements incessants, convie les défenseurs à exécuter leurs tâches. Les assauts contre les murailles de la ville, les batailles au corps à corps se succèdent jour après jour et chaque jour semble être le dernier... mais les secours sont en route. Avec la bénédiction du Pape et sous la direction de l’Empereur, qui prend la tête de ses armées, les troupes impériales avancent à marches forcées vers la ville assiégée. Le Roi de Pologne Jean III Sobieski (1624-1696) se joint à elles, car, par deux fois déjà, il a sauvé la Pologne des Turcs. Finalement, le 31 août il opère sa jonction avec les troupes du Duc Charles de Lorraine, qui exerce le commandement suprême. Quand Impériaux et Polonais ont conjugué leurs forces, l’armée chrétienne-européenne marche enfin sur Vienne, où la situation est vraiment dramatique. Les Turcs ont ouvert des brèches dans les murailles et les défenseurs survivants, après avoir repoussé dix-huit attaques et effectué vingt-quatre sorties, sont totalement épuisés. Les janissaires ne cessent d’attaquer, exaltés par les imams. Les cavaliers tatars ravagent l’Autriche et la Moravie. Le 11 septembre, Vienne vit dans l’angoisse : elle a l’impression qu’elle vit ses dernières heures de liberté. Le Comte Starhemberg envoie à Charles de Lorraine un ultime message désespéré : “Ne perdez pas de temps, mon très clément Seigneur!”.

La bataille

Le matin du 12 septembre 1683, le Vénérable Marco d’Aviano célèbre la messe et le Roi de Pologne y fait fonction d’acolyte. Il  bénit ensuite l’armée massée à Kahlenberg près de Vienne : 65.000 soldats européens-chrétiens vont affronter sur un champ de bataille 200.000 Ottomans.

Les princes de Bade et de Saxe, les Wittelsbach de Bavière, les seigneurs de Thuringe et du Holstein sont présent à la tête de leurs troupes; viennent ensuite les Polonais et les Hongrois, le Général Comte italien Enea Silvio Caprara (1631-1701) ainsi que le jeune Prince Eugène de Savoie (1663-1736) qui va connaître son baptême du feu.

La bataille va durer toute la journée et se terminer par une terrible charge à l’arme blanche, conduite par Jean Sobieski en personne; elle met les Ottomans en fuite et donne la victoire à l’armée européenne. Celle-ci ne perd que deux mille combattants, tandis que les Ottomans doivent en déplorer 20.000. L’armée du Sultan prend la fuite en désordre, abandonnant son butin et son artillerie, après avoir massacré les prisonniers et esclaves chrétiens. Le Roi de Pologne envoie au Pape les bannières capturées, en les accompagnant de  ces paroles : “Veni, vidi, Deux vincit” (“Je suis venu, j’ai vu et Dieu a vaincu”). Par décision du Pape Innocent XI, le 12 septembre est dédié au “Plus saint Nom de Marie”, en souvenir et en remerciement de la victoire.

Le jour suivant, l’Empereur entre dans Vienne, joyeuse et libérée, à la tête des princes du Saint Empire et des troupes confédérées. Il assiste au Te Deum d’action de grâces en la Cathédrale Saint Etienne, où officie l’évêque de Vienne-Neustadt, qui fait fonction de Cardinal, le Comte Léopold-Charles Kollonic (1631-1707), âme spirituelle de la résistance.

Le ressac de l’Islam

La victoire de Kahlenberg  et la libération de Vienne sont le point de départ de la contre-offensive des Habsbourg contre les Ottomans dans l’Europe danubienne, ce qui conduira, au cours des années suivantes, à la libération de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Croatie, permettant à la Dalmatie de se joindre à Venise. C’est le moment historique où se manifeste  de la manière la plus éclatante la vocation et la mission de la Maison d’Autriche, qui consistaient à libérer et à défendre l’Europe dans le Sud-est du continent. Pour réaliser cette mission, elle a mobilisé sous la bannière impériale romaine-germanique des Allemands, des Hongrois, des Tchèques, des Croates, des Moraves, des Slovaques, des Italiens, des Roumains, des Lorrains, des Savoisiens, des Franc-Comtois, des Flamands, des Wallons, des Luxembourgeois, des volontaires irlandais et arméniens, alliés aux Polonais et aux Vénitiens. La Maison d’Autriche a pu, ainsi, créer cet Empire multi-ethnique, multi-confessionnel mais entièrement européen qui donnera à l’Europe centrale et orientale la stabilité et la sécurité jusqu’en 1918.

La Grande Alliance a donné vie aux projets du Pape Innocent XI, qui entendait s’inscrire dans la tradition d’un énergique prédécesseur, Saint Pie V (1504-1572), artisan de la  victoire navale des Européens à Lépante, le 7 octobre 1571. La Bataille de Vienne constitue un tournant majeur dans l’histoire européenne, si bien qu’on peut parfaitement la comparer à la fameuse Bataille de Poitiersde 732, emportée par le chef austrasien Charles Martel (688-741), qui a arrêté l’avance des Arabes vers le Nord. Rappelons également que l’alliance reconduite en 1684, ratifiée sous le nom de Sainte Ligue, a sanctionné une alliance unique entre Allemands et Polonais, a redoré le blason de l’Empire exsangue après la Guerre de Trente Ans, a rapproché Protestants et Catholiques grâce à la clairvoyance et à la  diplomatie d’un grand Pape, bien décidé à réaliser l’objectif qu’il s’était donné : libérer l’Europe des Turcs.

En cette année s’est forgée une fraternité d’armes entre tous les peuples de l’Europe christianisée, ce qui a permis une grande croisade victorieuse, qui a éliminé définitivement le danger mortel de l’ottomanisme. Force est de constater tout de même que ce danger millénaire, une fois écarté, a été vite oublié. Mais le siège de Vienne doit nous rappeler que, toujours dans nos mémoires, les cloches qui sonnent pour mobiliser l’Europe contre le péril turc et islamique ne doivent jamais cesser de sonner.

Renato CIRELLI.
[VERSION ESPAGNOLE, TRADUCTION D’Angel ESPOSITO : http://www.iespana.es/revista-arbil/(56)vien.htm ]


 

 

06:15 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ian Kershaw über Lord Londonderry

Ian Kershaw über Lord Londonderry und andere Befürworter Hitlers :

http://www.webarchiv-server.de/pin/archiv06/0320060121paz48.htm

06:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 08 février 2007

Trois livres sur les relations germano-soviétiques

Luc NANNENS:

Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944

La problématique complexe des relations ger-mano-soviétiques revient sur le tapis en Alle-magne Fédérale depuis quelque temps. Trois livres se sont penchés sur la question récem-ment, illustrant leurs propos de textes officiels ou émanant de personnalités poli-tiques. Pour connaître l'arrière-plan de l'accord Rib-bentrop-Molotov, l'historien britannique Gordon Lang, dans le premier volume de son ouvrage (le se-cond volume n'est pas encore paru),

²... Die Polen verprügelnŠ³. Sowjetische Kriegstreibereien bei der deutschen Führung 1920 bis 1941, 1. Teilband, 1914 bis 1937, Askania-Weißbuchreihe, Lindhorst, 1988, 175 S., DM 24,50,

retrace toute l'histoire des rapprochements entre l'Allemagne et l'URSS, isolée sur la scène diploma-tique, contre les puissances bénéfi-ciaires du Traité de Versailles et contre l'Etat polonais né en 1919 et hos-tile à tous ses voi-sins. L'enquête de Gordon Lang est minutieuse et, en tant que Britannique, il se réfère aux ju-gements sévères que portait David Lloyd George sur la création de l'Etat polonais. Lloyd George, en effet, écrivait: "La proposition de la Commission po-lonaise, de placer 2.100.000 Allemands sous la do-mination d'un peuple qui, jamais dans l'histoire, n'avait démontré la ca-pacité de se gouverner soi-même, doit néces-sairement déboucher tôt ou tard sur une nou-velle guerre en Europe orientale". Le Premier Ministre gallois n'a pas été écouté. John May-nard Keynes, qui quitta la table de négociation en guise de protestation, n'eut pas davantage l'oreille des Français qui voulaient à tout prix installer un Etat ami sur les rives de la Vistule. Notable exception, le Maréchal Foch dit avec sagesse: "Ce n'est pas une paix. C'est un ar-mistice qui durera vingt ans".

Ni les Soviétiques, exclus de Versailles et virtuelle-ment en guerre avec le monde entier, ni les Alle-mands, punis avec la sévérité extrême que l'on sait, ne pouvaient accepter les condi-tions du Traité. Leurs intérêts devaient donc immanquablement se rencon-trer. En Alle-magne, les troupes gouvernementales et les Corps Francs matent les insurrections rouges, tandis que Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés. D'autres chefs rouges, en re-vanche, furent courtisés par le gouvernement anti-bolchévique, dont Radek, emprisonné à Berlin-Moabit puis trans-féré en résidence sur-veillée, et Viktor Kopp, venu de Moscou pour suggérer au Directeur du Département de l'Est du Ministère des Affaires Etrangères alle-mand, le baron Adolf Georg Otto von Maltzan, de jeter les bases d'une coopération entre l'Armée Rouge et la Reichswehr pour lutter contre la Pologne. Malt-zan écrivit, immédiatement après l'entrevue, un mé-morandum qui stipulait en substance que, vu l'échec des négociations à Copenhague entre Britanniques et Soviétiques, Lénine voulait éliminer la Pologne, pion des Occidentaux, afin de faire fléchir Londres. Pour réaliser cet objectif, il fallait combiner une en-tente entre Russes et Allemands. Maltzan ex-plique que l'Allemagne ne marchera jamais avec les Français pour sauver la Pologne, que la Reichswehr, réduite à 100.000 hommes, suffi-sait à peine pour maintenir l'ordre intérieur, et que des relations avec l'URSS s'avèrraient illu-soires tant que la propagande bolché-vique vitu-pérait contre le gouvernement de Berlin et créer des désordres dans la rue. Kopp promit de mettre en frein à cette propagande et suggéra les bases d'un accord commercial, mettant dans la balance l'or russe à échanger contre des locomotives et des ma-chines-outils allemandes.

L'objectif soviétique: renforcer l'industrie allemande et faire vaciller l'Empire Britannique

Au cours des mois qui suivirent, il apparut clai-rement que l'objectif des Soviétiques était de renforcer l'industrie allemande, de façon à s'en servir comme "magasin" pour moderniser la Russie, dont l'objectif politique n'était pas, pour l'instant, de porter la révo-lution mondiale en Europe, mais de jeter son dévolu sur l'Asie, l'Asie Mineure, la Perse et l'Afghanistan et de susciter des troubles en Egypte et aux Indes, afin de faire vaciller l'Empire britannique. En juillet 1920, Kopp revient à la charge et fait sa-voir que l'URSS souhaite le retour à l'Allemagne du Corridor de Dantzig, afin de faciliter les communications com-merciales entre le Reich et la Russie, via la Poméranie et la Prusse Orientale. L'aile gauche du parti socia-liste polonais reçut l'ordre de Moscou de ré-clamer le retour aux frontières de 1914, réduisant la Pologne à la pro-vince russe qu'elle avait été de 1815 à 1918. L'objectif des Allemands, surtout de l'état-major du Général von Seeckt, et des Soviétiques était de contourner tout éventuel blocus britannique et de bri-ser la vo-lonté française de balkaniser l'Europe cen-trale. L'élimination militaire de la Pologne et l'entente germano-russe pèseraient d'un tel poids que jamais les armées françaises ex-sangues n'oseraient entrer en Allemagne puisqu'un tel geste serait voué à un cuisant échec. Seeckt, avec son armée insignifiante, devait menacer habilement les Français tout en ne les provoquant pas trop, de façon à ce qu'ils ne déclenchent pas une guerre d'encerclement avant que les Russes ne puissent intervenir.

L'analyse était juste mais, sur le terrain, l'Armée Rouge est battue par les Polonais et par la stratégie de Weygand, dépêché dare-dare à Varsovie. Cet échec soviétique, assorti d'énormes compensations territo-riales au béné-fice de la Pologne (Traité de Riga, 18 mars 1921), n'empêcha pas la collaboration secrète avec la Reichswehr: toutes les armes interdites à l'Allemagne par les clauses du Traité de Ver-sailles, comme les avions, les bombes, les blin-dés de combat et de reconnaissance, l'artillerie lourde, les gaz de combat, les canons anti-aé-riens, etc. furent cons-truites et testées en Russie dans des bases se-crètes. Gordon Lang consacre un très long chapitre sur la collaboration ger-mano-russe partant de l'accord Ra-thenau-Tchit-chérine (1922), avec pour toile de fond l'occupation de la Ruhr (1923) et l'affaire Schlageter, le Pacte de Locarno (1925), le refus de la part de la SPD de réviser les clauses de Versailles, l'éviction de Trotski et l'avènement de Staline (1927), l'accession de Hindenburg à la Présidence du Reich (1927), la montée du national-socialisme.

Staline donne l'ordre au KPD de collaborer
avec la NSDAP

La politique de Staline était de créer le socia-lisme dans un seul pays et de transformer l'URSS en un "croiseur cuirassé", en lutte contre les impérialismes. Pour parvenir à cet objectif, il fallait industrialiser à outrance un pays essentiellement agricole. On sait à quelles tragédies cette volonté à conduit pour le pay-sannat slave et les koulaks. L'Allemagne, elle, s'est partiellement sauvée du marasme grâce à cette volonté politique: dès l'arrivée de Staline au pouvoir, les échanges économiques entre les deux pays quintu-plent. Les machines quittent les usines allemandes pour la Russie nouvelle et, en échange, les Sovié-tiques, livrent du pé-trole, des minerais et des céréales.

Quand le parti de Hitler prend de l'ampleur et obtient le soutien de la droite (de la "Deutsch-Nationale Volkspartei",  en abrégé DNVP), les communistes allemands visent la création d'un front commun avec la SPD, un parti modéré dont la ligne globale avait été d'accepter bon gré mal gré les réparations. L'ordre de Moscou, formulé par Staline lui-même, exigeait une po-litique diamétralement opposée: marcher avec la NSDAP contre les modérés qui acceptaient Versailles! Dans l'optique de Staline, un pou-voir socialo-communiste dans le Reich aurait affaibli l'industrie alle-mande, réservoir de machines pour la Russie nou-velle, et aurait donc en conséquence diminuer la puis-sance mon-tante de Moscou. Les communistes alle-mands reçurent l'ordre précis de ne rien entreprendre d'aventureux contre la droite, contre les nazis ou contre la Reichswehr, de façon à ce que la collabora-tion germano-russe puisse créer un front anti-occi-dental et anti-impérialiste.

Le 1 juin 1932, le nouveau gouvernement von Papen place le Général von Schleicher à la tête du Ministère de la Reichswehr en remplace-ment du Général Groe-ner, fidèle exécutant de la doctrine de von Seeckt. Moscou ordonne aussitôt aux communistes allemands de com-battre les sociaux-démocrates et de les présen-ter à leurs ouailles comme les ennemis princi-paux de la classe ouvrière. Pas question donc d'assigner ce rôle négatif aux nationaux-socialistes. Le chef du Komintern, Dimitri Ma-nouilski, explique que, dialectiquement, la NSDAP est à l'avant-garde de la dicta-ture du prolétariat tandis que les sociaux-démocrates trompent les masses en agitant l'épouvantail anti-fas-ciste. Pendant la campagne électorale, la KPD et la NSDAP militent pour une abrogation pure et simple de toutes les clauses de Ver-sailles et rejettent toutes les formes de répara-tions. La SPD, elle, ne veut pas de révision du Traité et perd sa crédibilité auprès des millions de chômeurs allemands.

La Reichswehr aurait été incapable de mater un putsch conjoint des nazis
et des communistes

Aux élections du 6 novembre 1932, malgré le recul des nationaux-socialistes, l'ambassadeur soviétique Khintchouk réitère les ordres de Moscou aux communistes allemands car "Hitler ouvre la voie à une Allemagne soviéti-sée". Communistes et Nationaux-Socialistes organisent de concert une grève des trans-ports en commun à Berlin, qui connaît un franc suc-cès. Schleicher est inquiet: il met les circons-criptions militaires en alerte et simule des man¦uvres pour sa-voir si la Reichswehr serait capable de briser un putsch perpétré de concert par les communistes et les nazis. Le rapport fi-nal qui lui est transmis le 2 dé-cembre 1932 est alarmant: l'armée serait incapable de faire face à un putsch unissant les deux partis "extrémistes". Ne disposant que de 100.000 hom-mes, elle est en infériorité numérique de-vant les 130.000 militants du Kampfbund communiste, ren-forcés par les 30.000 adoles-cents de l'organisation de jeunesse, et des 400.000 SA et HJ de la NSDAP. De plus, la réussite du mouvement de grève conjoint dans les transports publics berlinois a démontré que les putschistes éventuels pourraient paralyser les chemins de fer, empêchant tout mouvement de troupes vers les centres insurrectionnels. Schleicher est dès lors obligé, pour sauver la République de Weimar aux abois, de faire des concessions aux Al-liés pour que ceux-ci per-mettent à la Reichswehr de disposer de 300.000 hommes lors de la Conférence de Genève prévue pour 1933.

Poussé dans le dos par le Komintern, la KPD entonne des refrains aussi patriotiques que les nationaux. Le Komintern proclame le 10 jan-vier 1933: "Il faut com-battre sans merci les oppresseurs de la nation; il faut lutter contre l'occupation de la Sarre, l'oppression des Alsa-ciens et des Lorrains, contrer la politique ra-pace de l'impérialisme polonais à Dantzig, lut-ter contre l'oppression des Allemands en Haute-Silésie, en Po-mérélie et au Tyrol du Sud, contre la mise en escla-vage des peuples et des minorités ethniques en Tchécoslovaquie, contre la perte de ses droits par le peuple autrichien". Mais Moscou continue à faire davantage confiance à la NSDAP. Le 22 janvier 1933, les hitlé-riens projettent une manifestation provo-catrice devant le quartier général communiste de Berlin. Les Sovié-tiques donnent l'ordre à leurs coreligionnaires berli-nois de ne pas s'y opposer. Après la prise du pouvoir par Hitler, l'immeuble sera perquisitionné et la police y trouvera des "preuves" d'un projet de putsch com-muniste. Le Reichstag brûle le 27 février, apparem-ment par l'action d'un communiste hollandais, Mari-nus van der Lubbe. La KPD est interdite. A Moscou, les milieux gouverne-mentaux restent calmes et choi-sissent l'attentisme: il faut sauver les relations privilé-giées entre l'URSS et l'Allemagne et ne pas les gâ-cher par une propagande anti-nazie irréflé-chie.

Litvinov, Hitler
et Rosenberg

Les Soviétiques refuseront de tenir compte des dé-clamations anti-communistes des dirigeants nazis. Litvinov avertit cependant Dirksen, am-bassadeur du Reich à Moscou, que cette bien-veillance cessera si l'Allemagne tente un rapprochement avec la France, comme l'avaient fait les sociaux-démocrates de Stre-semann et vraisemblablement le Général Schleicher. Lit-vinov déclare que le gouvernement soviétique n'a pas l'intention de changer sa politique à l'égard de l'Allemagne mais fera tout pour em-pêcher une alliance germano-française. En échange, Litvinov promet de ne pas s'allier avec la France et de ne pas réitérer la politique d'encerclement de l'Entente avant 1914, l'URSS n'ayant pas intérêt à reconnaître les clauses du Traité de Versailles et l'existence de l'Etat polo-nais. Le 29 avril 1933, Hitler reçoit Khintchouk en présence du Baron Konstantin von Neurath, et pro-met de ne pas s'occuper des affaires inté-rieures russes à la condition expresse que les Soviétiques n'interviennent pas dans les affaires intérieures alle-mandes (en clair: cessent de soutenir les communistes allemands).

Pendant les premières années du régime hitlé-rien, les relations germano-russes sont donc restées positives avec toutefois une seule petite ombre au tableau: les activités d'Alfred Rosen-berg, chef du bureau des af-faires étrangères de la NSDAP et rédacteur-en-chef de son organe de presse, le Völkischer Beobachter. Né dans les pays baltes, ayant étudié à Moscou, Rosenberg haïssait le communisme soviétique. Il rê-vait d'une balkanisation de l'URSS et notam-ment d'une Ukraine indépendante. Hitler ne le nomma pas Ministre des Affaires Etrangères du Reich, ce qui soula-gea les Soviétiques. Des en-voyés spéciaux laissaient sous-entendre régu-lièrement que si Rosenberg deve-nait Ministre des Affaires Etrangères, les Soviétiques pour-raient être amenés à reconduire leur alliance avec la France. La tragédie de la "Nuit des longs cou-teaux", au cours de laquelle Schlei-cher est éliminé, satisfait Staline qui voyaient dans les victimes des instruments d'une poli-tique d'alliance avec la France (donc avec la Pologne).

Démontant le système de Versailles pièce par pièce, Hitler rapatrie les usines d'armement dis-séminées en Russie. Les installations de Kama et de Tomka, où furent élaborés les premiers chars allemands et la tac-tique offensive de l'arme blindée, sont démantelées et recons-truites en Allemagne. Ensuite, c'est au tour du centre aérien de Vivoupal, matrice de la future Luft-waffe. Les usines avaient bien servi le Reich et l'URSS; les deux puissances avaient pu moderniser leurs armées à outrance. Dans l'Armée Rouge et la nouvelle Wehrmacht, on retrouvera les mêmes armes modernes, supé-rieures à celles de tous leurs adver-saires.

L'élimination de Toukhatchevski

Hitler, en annulant les effets de l'article 198 du Traité de Versailles, se rendait parfaitement compte que la Reichswehr avait créé l'Armée Rouge de Staline. Comment ôter aux Sovié-tiques l'atout que les rela-tions privilégiées entre les deux armées leur avaient octroyés? Gordon Lang décrit le rôle de Heydrich: celui-ci avait pu observer les purges contre les trots-kistes et constater avec quelle rage paranoïaque Sta-line poursuivait et éliminait ses adversaires. Soup-çonneux à l'extrême, le dictateur géorgien pre-nait as-sez aisément pour argent comptant les bruits de com-plot, vrais ou imaginaires. Hey-drich en conclut qu'il suffisait de faire courir la rumeur que le Maréchal Toukhatchevski com-plotait contre Staline. Or une vieille haine cou-vait entre les deux hommes. Lors de l'offensive soviétique contre la Pologne en 1920, Toukhat-chevski marcha victorieusement sur Varsovie et donna l'ordre au deuxième corps d'armée sovié-tique, commandé par Vorochilov et Boudienny, de faire mouvement vers la capitale polonaise et de prendre en tenaille leur adversaire. Voro-chilov et Boudienny, sous l'impulsion de Sta-line, alors commissaire politique aux armées, refusèrent de suivre cet ordre et marchèrent sur Lemberg, capitale de la Gali-cie. Weygand, commandant en chef des troupes po-lonaises, s'engouffra dans la brèche et battit tour à tour les armées de Toukhatchevski et de Vorochi-lov, Boudienny et Staline. Toukhatchevski n'avait jamais raté l'occasion de rappeler cette gaffe monumentale de Staline. En fabriquant de faux documents accablants pour le Maréchal, Heydrich savait que Staline saute-rait sur l'occasion pour éliminer ce témoin génant de sa faute politique majeure. L'élimination de l'état-major soviétique réduisit l'Armée Rouge à l'im-puissance pendant plusieurs années. Parmi les res-capés des purges: Vorochilov et Bou-dienny...

Si Staline était indubitablement germanophile, Tou-khatchevski, contrairement à la plupart des trotskistes épurés ou dissidents, l'était aussi. Lang reproduit un document intéressant de 1935: les notes prises lors de l'entrée en fonc-tion du nouvel attaché militaire alle-mand en URSS, le Général Ernst-August Köstring. Ces notes révèlent la volonté de Toukhatchevski de s'en tenir aux principes de von Seeckt. En 1936, Toukhatchevski conseille au Ministre des Af-faires Etrangères roumain, Nikolae Titulescu de ne pas lier le destin de la Roumanie à la France et à la Grande-Bretagne, Etats vieux et usés, mais à l'Allemagne, Etat jeune et dynamique. Pourquoi Heydrich a-t-il contribué à liquider un militaire compétent, ami de son pays? Parce que la germanophilie de Toukhat-chevski n'était pas inconditionnelle, vu le pacte Anti-Komin-tern: le Maréchal avait organisé des ma-n¦uvres et des Kriegspiele,  dans lesquels l'Al-le-magne envahissait l'URSS et l'Armée Rouge orga-nisait la défense du territoire. Ce fait dément les ac-cusations d'espionnage au profit de l'Allemagne. Est-ce l'encouragement aux Rou-mains à s'aligner avec l'Allemagne qui a servi d'alibi aux épurateurs sta-liniens? En effet, une Rou-ma-nie sans garantie al-lemande aurait été une proie facile pour l'URSS qui voulait récupérer la Bessarabie...

Le premier volume du livre de Gordon Lang s'arrête sur l'épisode de l'élimination de Tou-khatchevski. Un autre historien, Karl Höffkes, dans

Deutsch-sowjetische Geheimverbindungen. Unveröffentliche diplomatische Depeschen zwischen Berlin und Moskau im Vorfeld des Zweiten Weltkriegs, Grabert Verlag, Tübingen, 1988, 298 S., DM 38,

présente tous les documents relatifs au pacte ger-mano-soviétique, signé le 23 août 1939.

Höffkes classe les documents par ordre chronolo-gique, ce qui permet de suivre l'évolution des événe-ments qui ont conduit au partage de la Pologne en septembre 1939. Il si-gnale aussi que, vu la participa-tion militaire ac-tive des Soviétiques au démembrement de la Pologne, à l'occupation des Pays Baltes et de la Bessarabie/Bukovine entre le 17 septembre 1939 et le 22 juin 1941, la culpabilité alle-man-de dans le déclen-chement de la seconde guerre mondiale ne saurait être exclusive, indé-pen-damment des raisons qui ont poussé les deux puissances à agir. Officiellement, les So-vié-ti-ques prétendent être rentrés en Pologne parce que l'Etat polonais avait cessé d'exister et que leur devoir était de protéger les populations ukrainiennes et biélorusses de Volhynie et de Galicie. Les Alliés avaient déclaré la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939 mais ne feront pas de même pour la Russie après le 17 sep-tembre. Dans la Pravda  du 29 no-vembre 1939, Staline lui-même justifie ses positions:
1. Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais ce sont la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne et ont donc pris sur elles la responsabilité de la guerre actuelle.
2. Après le déclenchement des hostilités, l'Allemagne a fait des propositions de paix à la France et à l'Angleterre et l'Union Soviétique a ouvertement soutenu ces propositions alle-man-des, parce qu'elle a cru et croit toujours qu'une fin rapide de la guerre améliorerait ra-dicale-ment le sort de tous les pays et de tous les peuples.
3. Les castes dominantes de France et d'Angle-terre ont rejeté de façon blessante les propo-sitions de paix allemandes et les efforts de l'U-nion Soviétique en vue de mettre rapidement fin à la guerre. Voilà les faits.

Les "protocoles secrets", niés par les Soviétiques

En annexe au texte officiel du Pacte germano-sovié-tique existaient des "protocoles secrets supplémen-taires", où les intentions les plus of-fensives des deux partenaires transparaissaient très clairement. Ces pro-tocoles n'ont pu être évoqués lors du Procès de Nu-remberg en 1946. L'avocat de Hess, le Dr. Seidl, re-çut l'inter-diction de lire le texte, sous pression du pro-cureur soviétique Rudenko. L'hebdomadaire lon-donien The Economist  s'insurgera contre cette attein-te aux droits de la défense, si fla-grante puis-que la te-neur des "protocoles secrets supplé-mentaires" avait pu être vérifiée dans les faits.

Dans les documents consignés dans le livre de Höffkes, nous avons repéré beaucoup de détails inté-ressants. Ainsi, dans le texte du protocole des conver-sations entre le Dr. Schnurre et le chargé d'affaires soviétique Astakhov, daté du 17 mai 1939, on ap-prend que l'Union Sovié-tique souhaitait que les accords commerciaux entre la Tchécoslovaquie et l'URSS demeurent tels quels sous le protectorat alle-mand, instauré après la disparition de la République tchécoslo-vaque. Il suffisait, disait Astakhov, de les re-conduire purement et simplement. L'élimination de la Tchécoslovaquie ne créait aucun problème entre le Reich et l'URSS (cf. Höffkes, doc. n°5).

Dans un rapport envoyé par l'ambassadeur al-lemand à Moscou, von der Schulenburg, au Se-crétaire d'Etat aux Affaires Etrangères von Weizsaecker (père de l'actuel Président de la RFA), daté du 22 mai 1939, on apprend les difficultés que rencontrent les Alliés à Moscou pour créer un gigantesque front anti-fasciste englobant l'URSS. Les Anglais hésitent à ga-rantir les frontières de l'URSS, de peur de pous-ser complète-ment les Japonais dans les bras des Allemands (doc. n°8).

Le document n°15, consistant en un rapport du sous-secrétaire Dr. Woermann à propos de ses conversa-tions avec l'envoyé bulgare Draganoff, daté du 15 juin 1939, nous apprend le rôle que joua ce diplomate bulgare dans la gestation du Pacte du 23 août. Draga-noff connaissait per-sonnellement Astakhov, lequel lui avait dit que l'URSS était sollicitée par deux straté-gies: l'une postulait l'alliance avec la France et l'Angle-terre, l'autre l'alliance avec l'Allemagne, indé-pendamment des idéologies communiste et na-tionale-socialiste. L'URSS choisirait l'Allema-gne sans hésiter si l'Allemagne décla-rait offi-ciellement qu'elle n'atta-querait pas la Russie ou si elle signait avec l'URSS un pacte de non-agression.

Pour les Soviétiques, l'URSS et le Reich s'opposent aux démocraties capitalistes

Le document n°24, un rapport de Schnurre sur ses conversations avec Astakhov et Babarine (Directeur de la représentation commerciale so-viétique à Berlin), témoigne des intentions so-viétiques à la date du 27 juillet 1939. Les Soviétiques souhaitent une reprise des relations économiques, politiques et culturelles avec le Reich. La presse des deux pays doit modérer ses propos, suggèrent les deux diplomates sovié-tiques, et ne pas publier d'articles offensants contre l'autre. L'Allemagne, l'Italie et l'URSS ont une chose en commun, malgré toutes les di-vergences idéolo-giques: l'hostilité aux démocraties capitalistes. De ce fait, l'URSS ne peut s'aligner sur les démocraties oc-cidentales. Asta-khov signale, rapporte Schnurre, que des pro-blèmes peuvent surgir du fait que l'Allemagne comme l'URSS considèrent que les Pays Baltes, la Finlande et la Roumanie appartiennent à leur sphère d'influence. Il peut ainsi apparaître que l'Allemagne cherche à utiliser ces petites puis-sances contre l'URSS, comme avait cherché à le faire la France, en créant le "cordon sanitaire" après Versailles.

Et Astakhov poursuit: l'Angleterre ne peut rien offrir de concret à la Russie; l'alliance germano-japonaise n'est pas dirigée contre la Russie; la question polo-naise, avec le corridor de Dantzig, finira par être ré-solue au bénéfice du Reich. Une inquiétude point tout de même chez Asta-khov: l'Allemagne hitlérienne se considère-t-elle comme l'héritière de l'Autriche en Eu-rope orientale, en d'autres mots, cherche-t-elle à in-clure dans sa sphère d'influence les pays gali-ciens et ukrainiens soumis jadis à la Double Monarchie austro-hongroise? L'objet du rapport de Schnurre contribua à dissiper des malenten-dus. Aujourd'hui, il nous ren-seigne admirable-ment non seulement sur les intentions sovié-tiques de l'été 1939 mais aussi sur les intérêts éternels de la Russie en Europe Orientale.

Le document n°28, un câble de Schulenburg au Mi-nistère des Affaires Etrangères (3 août 1939), révèle quelques réticences de Molotov: le pacte Anti-Ko-mintern n'est pas une simple façade comme on tente depuis quelques se-maines de le faire accroire tant du côté sovié-tique que du côté allemand. En effet, ce pacte a soutenu les projets agressifs du Japon à l'égard de l'URSS  ‹le Japon venait d'être battu aux confins de la Mandchourie par les troupes de Jou-kov‹  et l'Allemagne a appuyé le Japon, tout en re-fusant de participer à des conférences internationales si l'URSS y participait aussi, l'exemple le plus fla-grant étant Munich. Schu-lenburg rétorqua que l'URSS, en signant un traité avec la France en 1935, s'est laissée en-traîner dans des menées anti-alle-mandes et qu'en conséquence l'Allemagne a dû révi-ser certaines de ses positions, au départ russophiles.

Les positions de Ribbentrop et d'Oshima, ambas-sadeur du
Japon à Berlin

Le document n°33, un télégramme de von Rib-bentrop à Schulenburg daté du 14 août 1939, nous indique la position du Ministre des Af-faires Etrangères du Reich. Il n'y a pas de conflit d'intérêts entre l'URSS et le Reich sur la ligne reliant la Baltique à la Mer Noire; les di-vergences de vue dues aux idéologies ont certes engendré la méfiance réciproque, mais ce bal-last doit être progressivement éliminé car il ap-paraît de plus en plus évident, sur la scène in-ternationale, que les démocraties occidentales capitalistes sont égale-ment ennemies de l'Alle-magne nationale-socialiste et de la Russie stali-nienne. Si la Russie et l'Allemagne s'entre-dé-chirent, ce sera dans l'intérêt des démocra-ties occidentales: voilà ce qu'il faut éviter. Les me-nées bellicistes de l'Angleterre postulent un rè-glement ra-pide du contentieux germano-sovié-tique. Dans ce même télégramme, Ribbentrop suggère une visite per-sonnelle à Moscou.

Le document n°48, daté du 22 août 1939, la veille de la signature du Pacte, rend compte d'une conversation téléphonique entre Ribben-trop et l'ambassadeur du Japon, Oshima, sur les projets allemands et sovié-tiques. Outre que l'apparent changement d'attitude des Allemands risquait de choquer quelques milieux japonais, l'ambassadeur nippon émettait une seule réti-cence: l'URSS, rassurée en Europe, renforcerait sans doute son front extrême-oriental et rallu-merait le conflit sino-japonais pour en tirer toutes sortes de pro-fits. Quoi qu'il en soit, l'évolution dans cette di-rection était prévisible et comme le Japon ne souhaite pas réanimer le conflit qui venait de l'opposer à l'URSS, l'ambassadeur nippon rassure Ribbentrop: la position du Japon ne changera pas. L'ennemi n°1 du Japon comme de l'Allemagne était dé-sormais l'Angleterre: il fallait donc que les deux puissances du Pacte Anti-Komintern normali-sent leurs relations avec Moscou.

Les conversations entre Staline, Ribbentrop
et Molotov

Le document n°51 est mieux connu et consiste en un rapport du sous-secrétaire Hencke sur les conversa-tions entre Ribbentrop, Staline et Mo-lotov dans la nuit du 23 au 24 août 1939. Les trois hommes d'Etat pas-sèrent en revue l'état du monde. L'Allemagne offrait sa médiation pour aplanir les différends entre l'URSS et le Japon. Staline critiquait l'annexion de l'Albanie par l'Italie et craignait que Mussolini ne s'attaque à la Grèce. Ribbentrop répondit que Mussolini se félicitait du rapprochement entre Russes et Al-lemands. L'Allemagne souhaitait de bonnes re-lations avec la Turquie mais celle-ci avait ré-pondu en adhérant à la coalition anti-allemande, sans en informer le gouver-nement du Reich. Tous se plaignaient de l'attitude turque et évo-quaient les sommes d'argent versées par l'An-gleterre pour la propagande anti-allemande en Turquie. Quant à l'Angleterre, Ribbentrop se rendait compte qu'elle cherchait à troubler le rapprochement germano-russe et Staline consta-tait la faiblesse numé-rique de l'armée an-glaise, le tassement en importance de sa flotte et son manque d'aviateurs patentés. Mais Staline ajou-tait que malgré ses faiblesses, l'Angleterre pour-rait mener la guerre avec ruse et tenacité. Sta-line demanda à Ribbentrop ce qu'il pensait de l'armée française, très importante numéri-quement sur le pa-pier; l'Allemand répondit que les classes de recrues dans le Reich s'élevaient à une moyenne de 300.000 hommes, alors qu'el-les n'étaient que de quelque 150.000 hommes en France, vu le recul démogra-phique du pays. La ligne Siegfried (Westwall)  était cinq fois plus puissante que la ligne Maginot et, par con-séquent, toute attaque française contre l'Allema-gne serait vouée à l'échec.

Le document n°53 reproduit les fameux "pro-tocoles secrets supplémentaires", signés par Ribbentrop et Molotov, où Russes et Alle-mands se partagent l'Eu-rope Orientale en zones d'in-fluence (cf. la carte qui illustre cet article). Rappelons que le point 3 men-tionne l'intérêt soviétique pour la Bessarabie attribuée en 1918 à la Roumanie. L'Allemagne déclare se dés-intéresser de cette région.

L'avis de Mussolini

Le document n°55 est une lettre de Hitler adres-sée à Mussolini et datée du 25 août 1939. Hitler demande l'avis de Mussolini sur la situation nouvelle.
Le document n°56 reproduit la réponse du Duce, en-voyée le jour même. En voici le contenu intégral: "Führer, je réponds à votre lettre que vient de me remettre à l'instant l'ambassadeur von Mackensen. 1) En ce qui concerne l'accord avec la Russie, j'y sous-cris entièrement. Son Excellence Göring vous dira que je confirme les propos tenus lors des entre-tiens que j'ai eus avec lui en avril dernier: en l'occurence qu'un rapprochement entre l'Alle-magne et la Russie est nécessaire pour éviter l'encerclement par les dé-mocraties.
2) J'estime qu'il est utile de faire le nécessaire pour éviter une rupture ou un refroidissement avec le Ja-pon, à cause du nouveau rapproche-ment de celui-ci avec les Etats démocratiques qui en résulterait. Dans ce sens, j'ai envoyé un télégramme à Tokyo et il semble qu'après avoir surmonté l'effet de surprise, l'opinion publique japonaise adoptera une meilleure attitude psy-chologique.
3) L'accord de Moscou bloque la Roumanie et peut contribuer à faire changer la position de la Turquie, qui a accepté les prêts anglais, mais n'a pas encore signé d'alliance. Une nouvelle attitude de la Turquie ré-duirait à néant tous les plans stratégiques des Français et des Anglais en Méditerranée orientale.
4) Pour ce qui concerne la Pologne, je com-prends parfaitement l'attitude de l'Allemagne et admets le fait qu'une situation aussi tendue ne peut perdurer à l'infini.
5) Pour ce qui concerne l'attitude pratique de l'Italie en cas d'une action militaire, mon point de vue est le suivant:
Si l'Allemagne attaque la Pologne et que le conflit demeure localisé, l'Italie accordera à l'Allemagne toutes formes d'aide politique et économique.
Si l'Allemagne attaque et que les Alliés de la Pologne amorcent une contre-attaque contre l'Allemagne, je porte d'avance à votre connais-sance, qu'il me paraît opportun que je ne doive pas prendre moi-même l'initiative d'activités belligérantes, vu l'état actuel des préparatifs de guerre de l'Italie, dont nous vous avons tenus au courant régulièrement et à temps, vous, Füh-rer, ainsi que von Ribbentrop.
Mais notre intervention peut être immédiate si l'Alle-magne nous livre sans retard le matériel militaire et les matières premières nécessaires à contenir l'assaut que Français et Anglais diri-geront essentiel-lement contre nous.
Lors de notre rencontre, la guerre était prévue pour 1942; à ce moment-là j'aurais été prêt sur terre, sur mer et dans les airs selon les plans prévus.
Je suis en outre d'avis que les simples prépara-tifs mi-litaires, ceux déjà entamés et les autres, qui devront être commencés dans l'avenir en Europe et en Afri-que, immobiliseront d'impor-tantes forces fran-çaises et britanniques.
J'estime que c'est mon devoir inconditionnel, en tant qu'ami loyal, de vous dire toute la vérité et de vous avertir d'avance de la situation réelle: ne pas le faire aurait des conséquences dés-agréables pour nous tous. Voilà ma conception des choses et, puisque sous peu je devrai convoquer les plus hauts organes du régime, je vous prierais de me faire connaître la vôtre.
s. MUSSOLINI.

L'enquête de Höffkes ne reprend que des do-cuments datés entre le 17 avril 1939 et le 28 septembre 1939. Après cette date, Russes et Allemands collaborent étroitement pour réduire toute résistance polonaise au silence. Staline tente de réaliser sur le terrain la zone d'in-fluence qui lui a été octroyée le 23 août. La Fin-lande résiste héroïquement pendant la guerre d'hiver de 1939-40 et Staline doit se contenter de quelques lambeaux de territoires qui sont toutefois stratégique-ment importants. Dans le sillage de la campagne de France, il occupe les Pays Baltes, avec, en plus, une bande territo-riale de la Lithuanie, normalement attri-buée au Reich. Ensuite, il occupe la Bessarabie et la Bukovine, contre les accords qui le liaient à Hitler (1). A partir de ce moment, l'Allemagne devient réticente et la méfiance de Hitler à l'égard des "bolchéviques" ne cesse plus de croître. Le discours "anti-fasciste" est réinjecté dans les écoles de l'Armée Rouge. Staline en-courage les Yougoslaves à résister aux pres-sions allemandes; les Anglais lui suggèrent, contre sa promesse d'entrer en guerre à leurs côtés, la "direction des Balkans". Molotov en parle à Hitler et demande au Führer s'il est prêt à faire une concession équivalente. A partir de ce moment, Hitler envisage la guerre avec l'URSS. Le gouvernement yougoslave adhère à l'Axe puis est renversé par un putsch; Staline recon-naît le nouveau gouvernement et Hitler envahit la Yougoslavie. Les relations privilé-giées entre le Reich et l'URSS avaient cessé d'exister...

Les protocoles du
 9 novembre 1940

La dernière tentative allemande de mener une politique commune avec la Russie date du 9 novembre 1940. Molotov est à Berlin pour né-gocier. Il détient une position de force: l'URSS a reconstitué le territoire des tsars de 1914, Finlande exceptée. L'Allemagne n'a pas réussi à mettre l'Angleterre à genoux. Molotov exige dès lors les Dardanelles, la Bulgarie, la Rouma-nie, la Finlande, un accès à la Mer du Nord... Hitler rétorque en soumettant un plan de "coalition continentale euro-asiatique", inspiré du théoricien de la géopolitique, Haushofer. L'Allemagne et la Russie se partageraient la tâche: le Reich réorganiserait l'Europe tandis que la Russie recevrait en héritage une bonne part de l'Empire britannique en Asie. Staline domine-rait ainsi la Perse, l'Afghanistan et les Indes, tout en bénéficiant d'une immense façade maritime dans l'Océan Indien. Les protocoles du 9 novembre 1940 n'ont jamais été signés. Les Soviétiques ont toujours nié leur authenti-cité, comme ils ont nié l'authenticité des "protocoles secrets supplémentaires" du 23 août 1939.

Le texte de ces protocoles non signés, nous l'avons retrouvé dans le livre de Peter Kleist (Die euro-päische Tragödie,  Verlag K.W. Schütz KG, Pr. Oldendorf, 1971, 320 S.). Les trois pays de l'Axe suggéraient à l'URSS de participer à la construction de la paix, promet-taient de respecter les possessions soviétiques, de ne pas adhérer individuellement à une coali-tion qui serait dirigée contre l'une des quatre puissances signataires. La durée de cet accord serait de 10 ans. Dans le protocole secret n°1, soumis aux quatre puissances, l'Allemagne promettait de ne plus étendre sa puissance en Europe mais de faire valoir ses droits en Afrique centrale. L'Italie promettait de ne plus poser de revendications territoriales en Europe mais de concentrer sa pression en Afrique du Nord et du Nord-Est. Le Japon promettait que ses aspirations seraient circonscrites à l'espace extrême-oriental au Sud de l'archipel japonais. L'URSS devait promettre que ses aspirations d'expansion territoriale se porte-raient à l'avenir vers l'Océan Indien.

Un second protocole secret, devant être signé par les trois puissances européennes de la "quadripartite" en-visagée, prévoyait de dégager la Turquie de ses obligations à l'égard de la France et de l'Angleterre. Une offensive diplomatique dans ce sens devait être amorcée dans la loyauté, avec échanges d'information réci-proques. Les trois pays devaient viser à établir un accord avec la Turquie, respectant l'intégrité territo-riale turque. Un troisième point prévoyait le règlement de la navigation dans les détroits, impliquant une révision du statut de Montreux. L'URSS recevrait le droit de franchir les dé-troits, tandis que toutes les autres puissances, y compris l'Allemagne et l'Italie, renonceraient à ce droit, sauf bien sûr les autres Etats riverains de la Mer Noire. Les navires de commerce pourraient sans difficultés majeures continuer à fran-chir les détroits.

Les Soviétiques refusent de participer à la construction de la "Grande Eurasie"

Cette suggestion, pourtant pleine de sagesse, n'a pas été retenue par les Soviétiques, encore fas-cinés par la volonté séculaire des Tsars de contrôler tout l'espace orthodoxe du Sud-Est de l'Europe et de conquérir Constantinople. Le re-fus de participer à la construc-tion de la "Grande Eurasie" semble être corroboré par le témoi-gnage récent d'un officiel soviétique passé à l'Ouest, Viktor Souvorov (ou Suworow) (in Der Eisbrecher. Hitler in Stalins Kalkül,  Klett-Cotta, 1988, 420 S., DM 38). Pour le transfuge russe, le calcul de Staline a été le suivant: lais-ser les forces allemandes venir à bout de la France et de l'Angleterre, puis dicter des condi-tions énormes à l'Allemagne exsangue, de façon à la tenir totalement sous la coupe de la Russie. En cas de refus, les Armées Rouges envahi-raient l'Europe. Hitler aurait été conscient de ce projet et n'aurait jamais envisagé de conquérir un "espace vital" à l'Est, explique un autre his-torien, Max Klüver (in: Präventivschlag 1941. Zur Vorgeschichte des Rußland-Feldzuges,  Druffel Verlag, Leoni am Starnberger See, 1986-89 (2. Auflage), 359 S., DM 38). Son en-quête minu-tieuse retrace au jour le jour l'évolution de la situation en Europe depuis le 23 août: la dépendance de l'Allemagne vis-à-vis des matières premières russes, les plans colo-niaux du Reich après l'effondrement de la France, la création d'un foyer juif à Madagascar, le problème épineux de la Bukovine, l'offre de paix de Hitler à l'Angleterre, l'accord éco-nomique limité entre la Grande-Bretagne et l'URSS du 27 août 1940, l'arrivée de Eden sur la scène et l'amélioration des re-lations soviéto-britanniques, la nouvelle doctrine de l'Armée Rouge, l'arbitrage de Vienne réglant les pro-blèmes de frontières entre la Hongrie et la Roumanie, la pomme de discorde finlandaise, le refus de la part de Molotov d'accepter le proto-cole du 9 novembre 1940, la campagne des Balkans, le Traité soviéto-yougoslave du 5 avril 1941. Ce livre explique l'échec de l'accord d'août 1939 et révèle en fait que l'"Opération Barbarossa", déclenchée le 22 juin 1941, était une "guerre préventive". Nous y revien-drons.

Cette "guerre préventive" se déclenche donc le 22 juin 1941. Les Allemands avancent rapidement. Après quatre jours, toute la Lithuanie tombe entre leurs mains; vers la mi-juillet, ils sont aux portes de Leningrad. Le Reich se trouve désormais confronté à une mosaïque de peuples slaves et non slaves, aux frontières floues, disséminés sur un territoire immense, qu'il s'agit d'administrer, d'abord pour faciliter les opérations militaires, ensuite pour créer les bases d'un avenir non soviétique. Les avis divergeaient considérablement: les uns souhaitaient imposer un régime dur de type colonial dans l'espace balte, ukrainien, biélorusse, russe et caucasien; les autres estimaient qu'il fallait se mettre à l'écoute des aspirations des peuples occupant ces pays, canaliser ces aspirations au profit du reste de l'Europe et atteler leurs potentialités humaines et économiques à un grand projet d'avenir: l'espace indépendant de la Grande Europe, de l'Atlantique à l'Oural et au-delà. Le Professeur Alfred Schickel, Directeur de la "Zeitgeschichtliche Forschungsstelle"  d'Ingolstadt (Bavière), a exhumé six mémoranda du Prof. Theodor Oberländer, mobilisé pendant la guerre avec le grade de Capitaine (Hauptmann)  dans l'Abwehr. Oberlän-der était un adversaire résolu des plans de type co-lonial pour l'espace slave; professeur de sciences politi-ques et d'agronomie, il avait effectué plusieurs voyages dans le Caucase comme conseiller agricole à l'époque du tandem germano-soviétique sous Weimar, avant de devenir Doyen de l'Université de Prague en 1940.

Ami de Canaris, Oberländer fut, tout au long du conflit, un chaleureux partisan de la coopération entre les peuples de l'Est et l'Allemagne ainsi qu'un avocat passionné de la mise sur pied d'unités militaires composées de ressortissants des divers peuples d'URSS. Les éditions Mut (Asendorf) ont récemment publié les textes intégraux de ses six mémoranda sous le titre:

Theodor OBERLÄNDER, Der Osten und die Deutsche Wehrmacht. Sechs Denkschriften aus den Jahren 1941-43 gegen die NS-Kolonialthese, Mut Verlag (Postfach 1 - D-2811 Asendorf), Asendorf, 1987, 144 S., DM 18,80.

Le premier mémorandum (octobre 1941) concerne le Caucase, région bien connue du Professeur Oberländer. Outre une description géographique, ethnographique et historique de la région, le texte comporte
une esquisse des événements qui ont conduit à la bolchévisation du Caucase
et un plan suggéré aux nouvelles autorités allemandes.
Ce plan prévoit 1) un nouvel ordre agricole, comprenant un démantèlement des kolkhoses et adapté à chaque ethnie et à chaque type de culture ou d'élevage; 2) une administration autonome, gérée par des élites autochtones; 3) la liberté religieuse et culturelle, qui permettra d'enthousiasmer les Caucasiens pour l'idée d'une Europe continentale libre et indépendante. Oberländer souligne l'importance stratégique de la région, plaque tournante entre la plaine ukrainienne et les plateaux iranien et anatolien, surplombant les champs pétrolifères irakiens. Si le bloc continental européen doit voir le jour, il importe que le Caucase puisse y jouer un rôle capital et que les populations qui le composent se sentent intimement concernées par la création de la Nouvelle Europe et lui apportent la richesse de leur diversité culturelle et leur pétrole.

Le second mémorandum (28 octobre 1941) avait pour objet de donner des directives au haut commandement afin d'assurer l'approvisionnement des armées en marche et de garantir l'acquisition d'un maximum de surplus en substances alimentaires sur les terres ukrainiennes. Articulé en cinq volets, le texte décrit notamment l'atmosphère dans les villes et villages ukrainiens au moment de l'entrée des troupes allemandes; à l'Ouest de l'ancienne frontière polono-soviétique, les Allemands furent d'emblée reçus en libérateurs et l'on attendait d'eux qu'ils contribuent à réaliser les aspirations du nationalisme ukrainien. A l'Est de l'ancienne frontière, les Allemands rencontrèrent une population attentiste, inquiète, amortie par deux décennies de terreur communiste mais non directement hostile aux nouveaux occupants. Cette population était prête à accepter un régime d'occupation très dur car elle était parfaitement habituée à des traitements d'une incroyable rudesse.

Pour Oberländer, ce fatalisme ne devait pas induire les autorités allemandes à profiter de cette sinistre flexibilité mais au contraire à offrir généreusement des libertés afin de susciter les enthousiasmes. Le paysannat, qui n'avait pas oublié les rigueurs staliniennes de 1933, devait pouvoir espérer un régime plus favorable voire un avenir radieux, sur les terres les plus fertiles en blé d'Europe. Le gouvernement militaire devait dès lors prévoir la distribution de graines, le démantèlement graduel du système kolkhosien par l'octroi de primes à la production, éveiller l'initiative personnelle à tous les niveaux, engager des ingénieurs autochtones pour surveiller et maximiser la production, mettre sur pied une Croix-Rouge ukrainienne, offrir à l'Ukraine toute sa place dans la Nouvelle Europe à égalité avec les autres nations de l'Axe, recruter une police et une armée ukrainiennes. Pour parfaire cette politique, il importait d'éviter les bavures; en filigrane, on perçoit une dénonciation véhémente des erreurs psychologiques déjà commises par les militaires et les administrateurs allemands.

Le troisième mémorandum d'Oberländer (automne 1942) signale le phénomène des partisans à l'arrière des lignes allemandes. Les partisans sont peu nombreux, signale Oberländer; beaucoup d'entre eux ne sont pas des habitants de la région mais des troupes soviétiques parachutées. Mais la déception de certains Ukrainiens nationalistes, d'abord prêts à collaborer avec les Allemands contre les Staliniens, grossira indubitablement leurs rangs. En conséquence, il faut prévoir et favoriser une politique allant dans le sens des intérêts nationaux ukrainiens, créer les conditions d'un Etat ukrainien pleinement souverain. Le quatrième mémorandum formule les mêmes desiderata de manière quelque peu plus formelle.

Le cinquième mémorandum consiste en 24 thèses sur la situation militaire à la mi-mars 1943. Comme le signale les éditeurs, ces 24 thèses constituent une sévère critique de la politique menée par le gouvernement allemand dans les territoires occupés mais, vu la censure, contiennent des éléments de phraséologie nationale-socialiste, évoquant, entre autres, le "génie du Führer". Ce texte est d'une importance capitale: il révèle une vision grandiose du destin de l'Europe, quoiqu'encore marqué d'un catholicisme impérial que l'on retrouve chez Carl Schmitt. Oberländer part d'un éventail de faits historiques connus: les peuples dominants ont de tous temps fondé des Empires et assuré une paix intérieure aux territoires qu'ils dominaient.

Les événements de la guerre en cours prouvent que les techniques modernes, réduisant les pesanteurs du temps et de l'espace, ont rapproché les peuples et favorisé les projets d'unification européenne. Dans la thèse troisième, Oberländer pose l'équation "Allemagne (le Reich auquel il accorde une dimension spirituelle et non raciale) = Continent européen", exactement comme l'avaient propagée les théoriciens de la géopolitique Kjellén et Haushofer. "Thèse 3: L'Allemagne et son continent sont inséparables. Le moment est enfin venu, de transformer en réalité politique ces faits naturels, c'est-à-dire de créer le Großraum européen, sous la direction de l'Allemagne (Oberländer reprend ici le jargon national-socialiste). La situation qu'occupe l'Allemagne est défavorable en ceci: nous avons, en l'espace de très peu d'années  ‹donc simultanément si l'on veut parler en termes d'histoire‹   voulu parfaire deux tâches historiques s'excluant l'une l'autre sur le plan pratique: 1) Créer la Grande-Allemagne (Großdeutschland), ce qui a suscité la désapprobation de tous les peuples limitrophes, directement concernés, et la méfiance de bon nombre d'autres nations; 2) Parfaire l'unification européenne, tâche pour laquelle nous devons transformer les mêmes peuples hostiles en alliés et les gagner à notre cause. C'est pourquoi il est important de prendre systématiquement en compte tous les réflexes psychologiques, en tous les domaines de la politique européenne. Fuir cette tâche serait de la trahison; non seulement à l'endroit de l'Europe mais aussi à l'endroit de notre propre peuple. Car tout peuple appelé à exercer le leadership mais qui cherche à se soustraire à sa tâche, sombre dans l'insignifiance spirituelle et politique, comme le prouve l'exemple historique des Etats grecs de l'Antiquité".

Les points suivants du mémorandum d'Oberländer constituent un réquisitoire contre les diverses formes de matérialisme massificateur: l'Europe de l'avenir doit se baser sur des valeurs de personnalité collective, propres à chaque peuple. La garantie accordée à ces innombrables personnalités devait, pensait Oberländer, susciter une synergie à l'échelle continentale. Les pays "occupés" ne devaient plus être nommés de cette façon: il fallait systématiquement, surtout à l'Est, parler de "territoires libérés". Au centre de la problématique néo-européenne, Oberländer place la "question slave". C'est cette question qui a déclenché la première guerre mondiale. L'Allemagne doit apparaître comme la puissance libératrice des peuples slaves soumis à la Russie et/ou au bolchévisme, non comme une nouvelle puissance coloniale, comme la manipulatrice d'un nouveau knout. Les Slaves de l'Ouest et de l'Est doivent être mobilisés pour la construction de l'Europe Nouvelle, à l'instar des Bulgares, des Slovaques et des Croates. L'Europe ne peut se passer d'eux: ni sur le plan géopolitique-stratégique ni sur le plan économique (complémentarité des richesses minières et agricoles des pays slaves avec l'infrastructure industrielle de l'Europe occidentale).

Dans cette optique, Oberländer critique les thèses anti-slaves à connotations racistes: la composition ethnique des peuples russe, ukrainien et biélorusse englobe un solide pourcentage de "sang nordique", donc la thèse d'une radicale différence somatique entre Slaves et Germains ne tient pas debout. La question de l'accroissement du territoire national allemand, des zones de peuplement allemand, doit se résoudre raisonnablement, sans raidir l'ensemble des peuples slaves: Allemands et Ukrainiens doivent trouver un modus vivendi, peut-être au détriment de la Pologne.

Dans son sixième mémorandum (22 juin 1943), Oberländer précise sa pensée quant au grand-espace européen. La Petite-Europe, c'est-à-dire l'Europe sans l'espace slave, n'est qu'un appendice péninsulaire de la masse continentale asiatique, comparable à la Grèce au sein de l'Empire romain. Pour éviter cet handicap et pour inclure les potentialités des peuples slaves, ce qui signifie, du même coup, agrandir et consolider la charpente de la Grande Europe, l'Allemagne doit pratiquer une politique de la main tendue, favoriser des réformes agraires pour s'allier le paysannat ébranlé par le communisme, recréer des strates d'artisans indépendants dans la population, etc.

Les propositions d'Oberländer sont restées lettre morte. La disgrâce de Canaris provoqua son éclipse des rangs des décisionnaires allemands.

A l'heure de la perestroïka, des remaniements multiples en Europe centrale et orientale, à l'heure d'une volonté générale mais confuse de modernisation, de l'abandon des chimères étriquées et obsolètes du marxisme-léninisme, il importe de connaître tous les éléments des complicités et des inimitiés qui ont marqué l'histoire des peuples russe, allemand, polonais, balte, ukrainien, caucasien, etc. La construction d'un ensemble solide ne peut reposer sur les sables mouvants des proclamations idéologiques. L'histoire tragique, mouvementée, glorieuse ou sanglante, représente un socle de concrétude bien plus solide... Les amateurs de terribles simplifications, les spécialistes de l'arasement programmé de tous les souvenirs et de tous les réflexes naturels des peuples, partent perdants, sont condamnés à l'échec même s'ils mobilisent des moyens colossaux pour se hisser momentanément sous les feux de la rampe. Construire la "maison commune", c'est se mettre à l'écoute de l'histoire et non pas rêver à un quelconque monde sans heurts, à un paradis artificiel de gadgets éphémères. Les adeptes soft-idéologiques de la gorbimania tombent sans doute dans le panneau, mais au-delà des promesses roses-bonbon du gorbatchévisme, veillent les gardiens de la mémoire historique.

Luc NANNENS.
 

06:00 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 31 janvier 2007

Mircea Eliade et la Garde de Fer

Mircea Eliade et la Garde de Fer

 

 

par Giovanni MONASTRA

 

 

Analyse:

 

Claudio MUTTI, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro,  Ed. All'Insegna del Veltro, Parma, 1989, 57 p., lire 8.000.

 

 

Au-delà des mythes de signes contraires qui cir­culent sur la Garde de Fer, au-delà des apologies ou des démonisations, on peut affirmer que le mou­vement de Codreanu était profondément lié à la culture et à l'âme de la Roumanie; tentant de se mettre au diapason de cette culture et de cette â­me, d'en épouser toute la complexité, cherchant à s'i­dentifier à elles, le mouvement de Codreanu lut­tait pour faire sortir la nation roumaine de son é­tat de décadence, de ces conditions d'existence ju­gées inférieures et propres aux pays balka­ni­ques marqués par l'esprit levantin. La Roumanie était sujette aux influences extérieures les plus dis­parates, qui aliénaient ses racines les plus an­ciennes, niées purement et simplement par une cer­taine culture de tendance «illuministe» qui s'in­crustait dans une société roumaine aux ré­fle­xes largement ruraux et intacts. L'action de la Gar­de de Fer, dans cette perspective, apparaît com­me une entreprise titanesque, parfois velléi­tai­re, vu la disproportion entre les forces en pré­sen­ce (les ennemis de la Garde de Fer détenaient le pouvoir absolu en Roumanie). Les légionnaires voulaient faire renaître leur peuple en très peu de temps, par le biais d'un activisme radical, portant sur de multiples niveaux: existentiel, éthique, spi­ri­tuel, où la politique n'était, finalement, qu'un ins­trument de surface, utilisé par une stratégie d'u­ne ampleur et d'une épaisseur bien plus vastes et profondes.

 

 

Dans les faits, la plupart des militants du mouve­ment s'exprimaient dans un style volontariste, en­tendaient témoigner de leur foi, faisaient montre d'un activisme fébrile, parfois aveuglé­ment a­gres­sif: lumières et ombres se superposent inévi­ta­blement dans le phénomène légionnaire. Cepen­dant, la force de ces militants profondé­ment sin­cè­res a attiré la sympathie des intellec­tuels atta­chés à la patrie roumaine, à sa culture nationale et populaire, à sa substance ethnique; parmi ces in­tel­lectuels: Mircea Eliade, un jeune chercheur, spé­cialisé dans l'histoire des religions et du fol­klore.

 

 

Stefan Viziru, est-il Mircea Eliade?

 

 

Récemment, la publication posthume en français et en anglais d'une partie des journaux d'Eliade a jeté une lumière nouvelle sur cette période et sur l'attitude du grand historien des religions. Clau­dio Mutti a analysé ces journaux, offrant à ses lecteurs, condensées en peu de pages, de nom­breu­ses informations inédites en Italie. Ce travail était nécessaire parce qu'en effet nous avons tou­jours été confrontés à une sorte de «trou noir» dans la vie d'Eliade, sciemment occulté par l'au­teur du Traité d'histoire des religions. Mutti, pour sa part, croit discerner les indices d'un en­ga­ge­ment dans l'un des romans d'Eliade, La forêt in­ter­dite,  aux accents largement autobiogra­phi­ques, qui se limite toutefois aux années 1936-1948.

 

 

Le protagoniste principal de l'intrigue du roman, Stefan Viziru, pourrait, d'après Mutti, dissimuler Eliade lui-même, mais sous un aspect qui, au pre­mier abord, n'est pas du tout crédible. Viziru, en effet, se manifeste dans le roman comme un an­ti­fasciste démocratique, bien éloigné des posi­tions de la Garde de Fer, mais qui est néanmoins arrêté pendant la répression anti-gardiste de 1938, parce qu'il a donné l'hospitalité à un légionnaire. Dans un tel contexte, Mutti estime très significatif le ju­gement exprimé par Viziru quand il s'adresse à un autre prisonnier de son camp d'internement: «Vous et votre mouvement accordez une trop gran­de importance à l'histoire, aux événements qui se passent autour de nous. La vie ne mérite­rait pas d'être vécue si, pour nous, hommes mo­dernes, elle ne se réduisait exclusivement qu'à l'histoire que nous faisons nous-mêmes. L'his­toi­re se déroule exclusivement dans le Temps, et, avec tout ce qu'il a de meilleur en lui, l'homme cherche à s'opposer au Temps [...]. C'est pour cette raison que je préfère la démocra­tie, parce qu'elle est anti-historique, je veux dire par là qu'el­le propose un idéal qui, dans une cer­taine me­sure, est abstrait, qui s'oppose au mo­ment de l'histoire». Sous bien des aspects, nous retrou­vons, dans ce jugement de Viziru, tout Eliade, a­vec son refus d'un devenir linéaire, ab­solu, quan­titatif, totalisant.

 

 

Justement, Mutti nie que l'identification Viziru-Eliade puisse être poussée au-delà d'une certaine limite. Pour appréhender la position réelle d'Elia­de vis-à-vis de la Garde de Fer  —on a af­firmé qu'il lui avait été totalement étranger—   il faut li­re le volume posthume de ses mémoires, concer­nant les années 1937-1960, où Eliade dé­ment ef­fectivement que le héros central de La fo­rêt in­terdite  est son alter ego, tout en donnant d'in­téressantes précisions pour comprendre quelles furent ses positions politiques et idéolo­giques à l'époque. Eliade nous livre en outre d'intéres­san­tes informations sur le climat qui rè­gnait en Rou­manie à la fin des années 30, au moment où le mouvement légionnaire connaissait un véritable triomphe. L'historien des religions nous décrit le sombre tableau des répressions gouvernementales contre la Garde de Fer: le roi et l'élite libérale-con­servatrice au pouvoir cher­chaient, par tous les moyens, à arrêter les progrès du mouvement lé­gion­naire. Pour éviter toute pro­vocation, Co­drea­nu avait choisi la voie de la non-violence, mais le gouvernement, vu l'insuccès électoral des listes qui le soutenaient et vu l'augmentation continue du prestige légionnaire  —comme l'écrit Eliade—  op­te pour le recours à la force: des milliers de mem­bres de la Garde de Fer furent emprisonnés, à la suite de procédures d'une brutalité inouïe, qui semblent propres aux gouvernants roumains de tou­tes tendances, comme l'a prouvé encore l'his­toire récente.

 

 

Mircea Eliade, assistant

 

de Nae Ionescu

 

 

Pendant la répression de 1938, plusieurs intellec­tuels qui avaient adhéré au mouvement de Co­drea­nu furent arrêtés, tandis que le Capitaine était assasiné, la même année, par des sicaires du ré­gime. Parmi les intellectuels embastillés, il y avait Nae Ionescu, un professeur d'université célèbre, dont Eliade était l'assistant. A propos de cette ar­restation, il écrit: «De manière directe ou indi­rec­te, nous étions tous, nous ses disciples et colla­borateurs, solidaires avec les conceptions et les choix politiques du professeur». Cette «syntonie» a duré  —même si Mario Bussagli a dissimulé une divergence de vue précoce entre les deux hom­mes—  car Eliade a prononcé le dis­cours fu­nèbre aux obsèques de son maître en 1940.

 

 

Au cours de la répression anti-gardiste, Eliade lui-même a été interné dans un camp de concen­tration, mais pour une période assez brève. Il re­fu­sa de signer une abjuration pré-rédigée du mou­ve­ment légionnaire, malgré les fortes pres­sions qui étaient exercées sur les prisonniers (et face aux­quelles un certain nombre d'entre eux cé­daient). Eliade affirme dans ses mémoires: «Je ju­geai qu'il était inconcevable de me dissocier de ma génération en plein milieu de la terreur, quand on poursuivait et persécutait des innocents». Une an­née auparavant, répondant à une question po­sée par le journal légionnaire Buna Vestire,  Elia­de avait déclaré: «Le monde entier se trouve au­jour­d'hui sous le signe de la révolution, mais, tan­dis que d'autres peuples vivent cette révolution au nom de la lutte des classes et du primat de l'é­conomie (communisme) ou de l'Etat (fascisme) ou de la race (hitlérisme), le mouvement légion­naire est né sous le signe de l'Archange Michel et vaincra par la grâce divine [...]. La révolution lé­gionnaire a pour fin suprême la rédemption du peu­ple». Dans cette phrase, transparait une adhé­sion au projet global de la Garde de Fer, qui n'est pas purement épidermique, de même qu'une men­talité bien différente de celle du personnage Stefan Viziru.

 

 

Après avoir consulté d'autres sources, Mutti sou­tient qu'Eliade a été candidat sur les listes électo­rales du parti de Codreanu et aurait été élu député peu avant la répression de 1938. Cette affirmation nous apparaît étrange, parce que si tel avait été le cas, si, effectivement, Eliade avait occupé un pos­te officiel et public, on l'aurait su depuis long­temps, sans même avoir eu besoin de recou­rir aux informations parues dans des publications jus­qu'ici méconnues et rédigées par des légion­nai­res en exil, publications auxquelles Mutti pou­vait accéder. Parmi les diverses mises au point pré­sentées dans ce petit volume, signalons la par­tie visant à démontrer qu'Eliade était antisémite, ce qui est un mensonge et ne peut servir qu'aux détracteurs fanatiques de sa pensée. Toutes cho­ses prises en considération, le travail de Mutti est équilibré quant au fond, en dépit de certains ex­traits qui idéalisent outrancièrement la Garde de Fer. Nous pouvons considérer que ce livre est une première contribution  —qu'il s'agira d'ap­pro­fondir—  à l'étude d'un segment de la vie d'E­liade, tenue par lui-même dans l'ombre, pour des raisons somme toute bien compréhensibles. D'un segment de vie étroitement lié à l'une des plus tragiques périodes de l'histoire roumaine.

 

 

Giovanni MONASTRA.

 

06:20 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Ph. Conrad sur la "reconquista"

Entretien avec l'historien PHILIPPE CONRAD sur la “Reconquista” espagnole

 

 

Q.: Qu'appelle-t-on “Reconquista”? Qu'en est-il du mythe et de la réalité pour l'histoire espagnole et européenne?

 

 

Ph.C.: Le terme n'apparaît pour la première fois qu'au XVIème siècle, dans le contexte bien précis de la lutte engagée entre Charles-Quint et les Ottomans, sur le front danubien comme en Méditerranée. Il désigne alors le conflit qui, pendant près de huit siècles a permis, avec des alternances de paroxysme et de relâchement, de libérer la péninsule ibérique de la domination musulmane qui s'y était imposée après la victoire remportée sur le roi wisigoth Roderic en 711, lors de la malheureuse bataille du rio Guadalete. Il est clair que les premiers “résistants” qui remportent, en 722 la “bataille” de Covadonga n'imaginent pas qu'ils sont les premiers acteurs d'une aussi vaste entreprise. Ce n'est qu'au cours des IXème et Xème siècles que les Chrétiens mozarabes, venus se réfugier dans les réduits chrétiens du nord de la péninsule, ont fourni à l'expansionnisme des jeunes principautés appelées à devenir les royaumes des Asturies, de Leon, de Castille, de Navarre et d'Aragon, les justifications religieuses de leur expansionnisme. A partir du XIème siècle, quand l'Islam andalou divisé se trouve en position de faiblesse, la croisade d'Espagne participe au grand mouvement d'expansion européenne et chrétienne des lendemains de l'an mil, un mouvement qui paraît ici irrésistible, une fois acquise, en 1085, la chute de Tolède. Mais l'irruption dans la péninsule des empires berbères, almoravide puis almohade, remet tout en question et maintient jusqu'au début du XIIIème siècle un certain équilibre des forces. La victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa, obtenue en 1212, prélude à la reconquête du Portugal, de Valence, de Cordoue et de Séville, réalisée avant le milieu du XIIIème siècle. Seul demeure le petit royaume nasride de Grenade, qui ne sera finalement reconquis par les Rois Catholiques qu'en 1492. L'expulsion des derniers Morisques, à partir de 1611, peut être considérée comme la dernière étape de cette Reconquista qui a vu finalement le reflux des forces musulmanes vers l'Afrique du Nord.

 

 

La prise de Grenade a été célébrée aussi bien à Rome qu'à Londres ou en France où elle est apparue comme une revanche, près de quarante ans après la prise de Constantinople par le sultan Mehmed II... Pour l'Europe, cette longue Histoire apparaît donc comme l'un des épisodes d'une lutte multiséculaire menée contre le péril musulman, qu'il soit arabe ou turc. D'un point de vue strictement espagnol, cette confrontation prolongée a contribué à donner à la société, spécialement en Castille, le royaume majeur qui se trouvait en première ligne, un caractère militaire et aristocratique qui va la marquer profondément. Une fois accompli le gigantesque effort qui aboutit à la prise de Grenade, les hidalgos de Castille et d'Extremadure mettront leur indomptable énergie et leur foi intense au service d'un autre grand projet, la Conquête des Indes occidentales, qui allait donner à l'Espagne le gigantesque Empire que l'on sait.

 

 

Q.: Que pensez-vous de l'“hispanité” de l'Islam andalou?

 

 

Ph.C: C'est la thèse célèbre défendue par Claudio Sanchez Albornoz dans son España, un enigma historico. Selon ce brillant médiéviste, l'Espagne, depuis les Ibères, aurait manifesté des caractères particuliers, exprimé un génie propre qui ont fait qu'elle a toujours absorbé et assimilé ses différents conquérants, Celtes, Romains, Wisigoths ou Arabes. Cet “espagnolisme géologique” a été vigoureusement attaqué par son principal adversaire, Americo Castro, qui a soutenu pour sa part que l'Espagne était née au Moyen Age, dans le creuset où se mêlent les éléments divers issus de ses trois religions, le christianisme, le judaïsme et l'Islam. On peut renvoyer dos à dos ces deux auteurs. Contrairement à ce que croyait Sanchez Albornoz, les travaux les plus récents ont montré que l'Espagne a été beaucoup plus “arabisée” qu'on ne l'a cru longtemps. Les musulmans d'al Andalus se sont sentis, à l'évidence, musulmans avant d'être espagnols et l'Espagne a été perçue avant tout comme une terre d'Islam. A l'inverse, on peut penser, contre Americo Castro, que c'est la Reconquista et l'adhésion militante à un catholicisme de combat qui ont fait, pour l'essentiel, l'identité profonde de l'Espagne. L'hidalguismo, le souci de la limpieza de sangre, un code d'honneur très particulier ne peuvent guère se concevoir en dehors du système de valeurs issu de la Reconquista qui apparaît, sur le long terme, comme un élément fondateur de l'“hispanité”, celle qui est honorée le 12 octobre, lors de la fête de la Race, qui commémore la découverte du Nouveau Monde par Colomb...

 

 

Q.: Pouvez-vous nous tracer un bilan rapide de l'occupation musulmane de l'Espagne? Peut-on parler de l'échec du multiculturalisme dans l'Europe chrétienne?

 

 

Ph.C.: Ce bilan présente des aspects incontestablement positifs, notamment la très belle floraison culturelle qui fait de la Cordoue du Xème siècle l'une des villes, avec Byzance et Bagdad, les plus évoluées du temps. A cette époque, l'Islam andalou a créé une civilisation autrement riche et raffinée que celle de l'Occident chrétien, qui n'entamera qu'au lendemain de l'an mil son irrésistible ascension. Le bilan est également positif, dans la mesure où, zone de combats, l'Espagne fut aussi, comme la Sicile, une région d'échanges culturels très intenses, notamment grâce aux écoles de traduction de Tolède qui mirent à la disposition de la Chrétienté occidentale les textes antiques dont bon nombre avaient été conservés et transmis par l'intermédiaire des musulmans. L'occupation musulmane a également façonné le paysage et déterminé les activités de certaines régions d'Espagne, des vegas  andalouses aux huertas  du Levant valencien. Pour le reste, parler de “multiculturalisme” au sens que certains donnent aujourd'hui à ce terme, n'a guère de signification, dans le contexte de l'époque considérée. Là où les musulmans s'imposent, les chrétiens mozarabes se retrouvent en position subordonnée, victimes de nombreuses vexations, soumis à un impôt spécial et tout simplement tolérés comme des dhimmis, des “protégés” qui forment par ailleurs un bétail (rafa)  très intéressant sur le plan fiscal. A l'inverse, quand les chrétiens vont l'emporter, les mudejares, devenus les morisques après 1492, n'auront finalement d'autre choix que la conversion  —à laquelle s'attacheront sincèrement les souverains catholiques—  ou l'exil. Des notions telles que celle de “tolérance” sont totalement anachroniques dans ce cas et il est tout aussi absurde de parler, à propos des Morisques, de “racisme d'Etat”, une simple et authentique conversion au christianisme suffisant à règler la question de l'assimilation...

 

 

Q.: L'installation incontrôlée sur le sol européen de minorités musulmanes ne peut-elle pas être considérée comme une revanche des vaincus de la Reconquista espagnole? Comme une Reconquista islamique?

 

 

Ph. C.: Il faut bien sûr se garder de tout anachronisme, mais il est évidemment tentant d'établir certains parallèles, dans le contexte actuel de revival  musulman. La première question qui s'est posée aux souverains espagnols au XVIème siècle, les Rois Catholiques, Charles Quint, Philippe II et enfin Philippe III, c'était de savoir si l'on pourrait “assimiler” par la catéchèse et la conversion les minorités religieuses. On sait comment l'Espagne catholique a répondu finalement sur ce point. Les conversions de Juifs et de musulmans ont été assez nombreuses mais une minorité a résisté jusqu'au bout et la seule solution qui apparut alors aux souverains fut l'expulsion. On peut se demander si, aujourd'hui, nos gouvernements “démocratiques” et “laiques”, tentés  —par faiblesse et sottise davantage que par conviction—  par le “multiculturalisme”, ne se font pas quelques illusions quant à la capacité qu'auraient les sociétés libérales européennes de la fin de notre siècle d'assimiler, sur la base d'une idéologie laïque et républicaine, des communautés étrangères cimentées par une foi solide, placées de plus  —du fait des mutations économiques en cours—  dans une situation sociale relativement marginale et peu décidées  —tout du moins pour une bonne partie d'entre elles—  à accepter les contraintes d'une laïcisation contradictoire avec certains choix fondamentaux d'une religion dont les caractéristiques ne relèvent pas seulement de la sphère de l'individualité et du privé mais correspondent à une vision globale de la vie sociale, à une anthropologie à beaucoup d'égards différente de celle qui caractérise les sociétés européennes.

 

 

Beaucoup d'immigrés de tradition musulmane franchiront le pas et s'intègreront sans doute au creuset européen mais cela implique certainement que soient remplies plusieurs conditions: l'importance démographique des populations concernées, la proximité culturelle, notamment linguistique, un contexte économique favorable, un étalement dans la durée qui soit raisonnable et ne donne pas aux populations “indigènes” d'Europe le sentiment d'une invasion en provenance du sud. Nous sommes loin du compte et les perspectives d'avenir peuvent justifier de grandes inquiétudes. Si l'on se replace dans la longue durée, la Méditerranée a été, depuis le VIIIème siècle, le lieu d'un affrontement perpétuel entre Musulmans et Chrétiens et ce face à face s'est étendu aux Balkans à partir du XIVème siècle, puis à la Mer Noire, au Caucase et à l'Asie centrale pour la Russie aux XVIIIème et XIXème siècles. Sur la défensive jusqu'au XIème siècle, la Chrétienté latine a desserré l'étau à parir des Croisades et porté l'offensive jusqu'en Terre Sainte avant de refouler définitivement l'Islam hors de la péninsule ibérique, du XIIIème au XVème siècles. A l'inverse, l'empire byzantin, ébranlé dès le XIème siècle par les Seldjoukides, succomba au XVème à la poussée ottomane. Engagée dès la fin du XVIIème siècle par l'Autriche, du XIXème par la Russie, accélérée par le soulèvement des peuples chrétiens orthodoxes des Balkans, la reconquête s'est poursuivie en cette direction jusqu'à la chute de l'Empire ottoman, alors que l'expansion coloniale francaise, anglaise ou italienne plaçait les pays musulmans en position de subordination durable.

 

 

Ruinée par la monstrueuse guerre de Trente Ans engagée en 1914, vaincue en 1945, l'Europe n'a pu maintenir l'hégémonie qui était la sienne au début du siècle ou après 1920 dans tout l'espace musulman. La décolonisation dans un premier temps, le réveil islamique dans un second, combinés avec un différentiel démographique et des inégalités économiques très lourdes ne peuvent qu'alimenter la volonté de revanche des peuples musulmans exaspérés par les injustices dont ils sont victimes, notamment au Proche-Orient du fait de la politique israëlo-américaine. On peut donc tout craindre dans cette perspective, car c'est l'Europe qui, par sa position géographique, se retrouve confrontée, pour l'essentiel, avec les redoutables défis qui se profilent au sud et au sud-est, des banlieues immigrées au corridor turc des balkans...

 

(Propos recueillis par Patrick CANAVAN)

 

 

Source: Philippe CONRAD, Histoire de la Reconquista, PUF, Coll. “Que sais-je?”, n°3287, 1998, ISBN 2-13-048597-9.

 

 

06:10 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 30 janvier 2007

Frédéric Guillaume II de Prusse: hédoniste tyrannique

Robert STEUCKERS :

 

Frédéric Guillaume II de Prusse ou l’hédoniste tyrannique

 

En hommage à Elfrieda Popelier et à son fils Dirk Vandenbosch, tous deux décédés et passionnés par l’histoire de Prusse

 

Le 25 septembre 1744 est la date de naissance du neveu de Frédéric II de Prusse, qui règnera sous le nom de Frédéric Guillaume II. De ce neveu, Frédéric II disait, avec le cynisme qui lui était coutumier : «Mon neveu va dilapider le trésor et les femelles règneront sur le royaume». Frédéric-Guillaume était effectivement un garçon totalement dépourvu de sérieux. Son oncle avait vu juste : dès son accession au trône en 1786,  les favoris et les maîtresses donnent le ton, les finances de l’Etat ne tardent pas à sombrer dans le rouge. La Prusse perd son redoutable appareil militaire, qu’elle ne peut plus financer dans de telles conditions, et ne peut pas faire face efficacement aux troupes jacobines qui ravagent les Pays-Bas et la Rhénanie. Avec une armée prussienne de facture frédéricienne intacte et des finances publiques solides, la sinistre farce parisienne de 1789 aurait été rapidement terminée et nous n’en supporterions plus les exécrables conséquences au quotidien, avec notre effroyable cortège de ministricules wallons qui  ne jurent que par les “valeurs” (?) de 1789 et qu’on imagine fort bien coiffés d’un bonnet phrygien, dont les affublait souvent, jadis, le coup de crayon de l’inoubliable Alidor, dessinateur de Pan puis de Père Ubu.

 

Les sergents de cette armée prussienne, si elle était restée intacte, auraient sifflé la fin de la récréation et remis les trublions au pas, de concert avec leurs homologues impériaux, croates,  wallons, autrichiens, dont nos magnifiques régiments de Ligne ou de Beaulieu. La piétaille jacobine aurait été balayée comme fétus de paille à Valmy et Paris serait tombé sans retard. L’incurie du neveu farfelu a rendu cette œuvre de salubrité continentale impossible. Nous en payons toujours les conséquences aujourd’hui, car l’Europe aurait été unie sans grandes effusions de sang et surtout sans l’intervention de l’Angleterre.  Celle-ci n’aurait jamais plus été capable de semer la discorde sur le continent.

Au moment de la paix de Bâle, en 1795, Frédéric Guillaume II renonce au profit de la France jacobine à la rive gauche du Rhin, ce qui constitue une trahison inouïe vis-à-vis du Saint-Empire et de son histoire car la maîtrise du bassin du Rhin constitue le socle géographique de l’impérialité romaine et germanique. C’est parce qu’il a réussi à maîtriser les bassins du Rhône et du Rhin que César a  donné son nom à  la fonction impériale. C’est parce qu’il maîtrise et le Rhin et le Rhône et le Danube (du moins  jusqu’à la plaine hongroise) qu’Othon I restaure l’impérialité en Europe, portée cette fois par l’ensemble  des peuples germaniques (et non plus seulement des Francs  comme du temps des Pipinnides, de Charlemagne et des Carolingiens). Renoncer au Rhin, c’est renoncer à la mission romaine des Germains, c’est nier la seule dynamique féconde de l’histoire européenne, sans laquelle l’Europe n’est plus l’Europe, mais un conglomérat amorphe de tribus indisciplinées, qui se suicident par leurs incessantes chamailleries.

Pour faire face aux critiques acerbes qui stigmatisaient l’intolérable laxisme de Frédéric Guillaume II, critiques qui regrettaient la Prusse spartiate de son oncle, le roi noceur et impolitique impose une censure très sévère, alors que Frédéric II, roi fort, capable de décisions justes et tranchées, était connu pour sa libéralité sur le plan des idées. On connaît d’ailleurs son amitié pour Voltaire. La leçon à tirer de ce règne calamiteux, c’est que les régimes laxistes sont souvent plus liberticides que les régimes quiritaires et virils. La censure sert à faire taire les critiques constructives, seules critiques pertinentes. Les régimes de démagogues véreux que nous subissons contrôlent bien davantage la presse, notamment en la subsidiant et en subsidiant les histrions de tous poils qui s’y produisent, que certains régimes réputés “autoritaires”.
(Robert STEUCKERS).

 

06:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 29 janvier 2007

Il principe Eugenio, eroe europeo

Gilberto Oneto:

Il principe Eugenio, un eroe europeo

 La cultura europea è da sempre oggetto di attacchi feroci di nemici che vogliono distruggerla. I suoi avversari sono interni ed esterni. Dentro c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non ama questa civiltà antica come il mondo e ricca di risorse spirituali e morali che sembrano inesauribili e che anche dopo periodi di prostrazione ritrovano ogni volta nuova energia. Fuori c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non sopporta la bellezza della nostra cultura, le nostre ricchezze e il nostro modo di vivere. Gli attacchi sono continui e negli ultimi secoli hanno assunto una ciclicità secolare. A cavallo fra il ’700 e l’800 è il giacobinismo a sovvertire dal suo stesso cuore la vecchia identità europea; esattamente un secolo dopo esso si evolve nella peste comunista che avvilisce e prostra gran parte del continente. Il nemico esterno più "fedele" e costante è l’Islam che da quattordici secoli aggredisce l’Europa da più parti e cerca di annientarne la grande civiltà. Alla fine del ’600 le sue orde sanguinarie sono arrivate fino al cuore pulsante dell’Europa più vera e assediano Vienna ma è ancora una volta a cavallo del secolo (esattamente trecento anni fa) che gli Europei ritrovano l’antico vigore dei padri e cominciano a ricacciarli verso le loro tane anatoliche, e l’artefice e il simbolo di quei giorni è un padano: il Principe Eugenio di Savoia. Oggi, a tre secoli da quegli avvenimenti, a due dalla rivoluzione giacobina e a uno da quella bolscevica, tutti questi nemici si ripresentano tutti assieme, con un nuovo compare: il mondialismo che ha posto il suo covo in America settentrionale e che da lì spinge i suoi tentacoli dappertutto utilizzando nella sua lotta contro l’Europa i suoi nemici di sempre, fatti uscire come zombies dai sepolcri in cui li avevano relegati la storia e la volontà dei nostri popoli. Oggi però gli schieramenti non sono più chiaramente delineati (con le insegne crociate da una parte e quelle islamiche dall’altra, con i rossi comunisti o i blu giacobini da una parte e i difensori bianchi delle libertà o gli insorgenti dall’altra): il nemico è fra di noi, è dentro di noi, controlla le nostre città, i nostri mezzi di comunicazione, le nostre scuole. Anche la Chiesa (che di questa difesa d’Europa è sempre stata uno dei più robusti baluardi) è disorientata e infiltrata; i Musulmani poi non sono dall’altra parte del muro o del fiume ma sono incistati nelle nostre case e nei nostri paesi. Sappiamo però (e per fortuna) che la vera forza delle tribù d’Europa viene fuori proprio quando il pericolo è massimo e quando tutto sembra perduto: è l’antico spirito di Salamina, di Teutoburgo, di Poitiers, di Lepanto e di Lipsia. Gli esempi e i riferimenti storici che ci possono dare coraggio e fiducia sono moltissimi ma uno più di tutti gli altri sembra essere particolarmente adatto ai giorni che stiamo vivendo. Eugenio di Savoia era nato a Parigi nel 1663, debole e malaticcio era stato avviato alla carriera ecclesiastica ma non ne voleva sapere. Appassionato di armi, si era presentato a Luigi XIV che lo aveva respinto dicendo che non aveva bisogno di "abatini". Si era allora rivolto agli Asburgo che gli avevano invece dato fiducia: come un altro grande padano, Raimondo Montecuccoli, diventerà uno dei migliori condottieri dell’armata imperiale impegnata contro i Turchi. L’Impero aveva appena respinto i Musulmani che, nel 1683, avevano assediato Vienna ma che continuavano a minacciare il cuore dell’Europa cristiana. Sotto gli ordini di Eugenio (diventato il leggendario Prinz Eugen) l’esercito cristiano batte i Turchi a Zenta l’11 settembre del 1697, a Peterwardein nel 1716 e a Belgrado nell’anno successivo. Nel 1706 era anche intervenuto a sostegno del cugino Amedeo II, spezzando l’assedio di Torino e mettendo in fuga i Francesi: un grande giorno per lui che si vendicava del disprezzo con cui i Francesi (amici dei Musulmani) l’avevano trattato e che contribuiva coi fratelli "bogianen" a salvare la sua Piccola Patria di origine. Il principe Eugenio era diventato (assieme alle navi veneziane) il vero protettore d’Europa dalle aggressioni turche (e dai tradimenti interni), era una sorta di reincarnazione di San Giorgio, difensore della Cristianità e patrono della Padania. Non potremmo oggi trovare un esempio più calzante. Figlio fedele delle Alpi padane (con lui c’erano sempre ufficiali e soldati arruolati nella Lombardia storica), al servizio dell’Impero asburgico (erede legittimo del più autentico spirito d’Europa, di Ambigato e di Carlo Magno), è stato il più audace e forte nemico delle orde islamiche che aggredivano l’antica terra dei padri. In questi tempi in cui la nostra Heimat padana e la grande patria europea sono ancora una volta assalite dagli Islamici, sono devastate da traditori e disfattisti, sono indebolite da mille cedimenti, e aggredite dal nuovo devastante potere mondialista, non potremmo trovare un riferimento più entusiasmante nella nostra lotta: il Principe Eugenio, piemontese e padano, fedele soldato dell’Austria e fiero nemico degli aggressori islamici. di Gilberto Oneto

06:05 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 24 janvier 2007

Erich Wichman (fr.)

Sur l’itinéraire d’Erich Wichman (1890-1929)

 

Un isolé anarchisant de la “révolution conservatrice” néerlandaise

 

Frank Goovaerts

 

 

La gauche et la droite ne se combattent qu’en apparence.

En réalité, elles te combattent, toi!

(Erich Wichman).

 

http://es.geocities.com/sucellus24/3094.htm

13:53 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 20 janvier 2007

La Russie dans le débat politique berlinois

Robert STEUCKERS:
Les thèmes de la géopolitique et de l'espace russe dans la vie culturelle berlinoise de 1918 à 1945
Conférence prononcée lors de l'Université d'été 2002 de "SYNERGIES EUROPEENNES", Basse-Saxe
http://www.voxnr.com/cc/d_allemagne/EpuEkVpuppOEopHamb.sh...

12:34 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 19 janvier 2007

Citoyenneté roaime et "origo"

Citoyenneté romaine et "origo"

par Frédéric KISTERS

Suite à la guerre des alliés (81-89), la citoyen-neté fut octroyée aux hommes libres d'Italie. Apparut alors un problème épineux: le Ro-main était lié à deux droits, celui de la Cité aux sept collines et celui de son lieu d'origine (origo).  Les conflits d'autorité proliférèrent après les guerres d'Octave et d'Antoine dont l'Empire est issu. Le prince concéda la ci-toyenneté à ses vétérans, des provinciaux ou des "polis" pérégrines. Les nouveaux "Ro-mains" demeuraient citoyens de leurs com-mu-nautés d'origine mais, curieusement, étaient libérés de toutes obligations fiscales en-vers celles-ci comme envers Rome. Ainsi naquit une caste de privilégiés provinciaux qui accapara les magistratures rémunéra-toires; par exemple, en Cyrénaïque, deux-cent quinze "Romains" contrôlaient les tri-bunaux, se présentant tour à tour comme ju-ges, accusateurs ou témoins, selon l'affaire (1).

Comment se concilièrent les différentes cou-tumes de l'Empire? Pour répondre à cette ques-tion, nous effectuerons un petit périple his-toriographique de Mommsen à nos jours. L'extension de la citoyenneté romaine attei-gnit son optimum avec la constitution anti-nonienne de 212; nous évoquerons les rejail-lissements de ce texte.

A l'aurore fut Mommsen... Il y a un siècle, ce génie très, trop, systématique exposait sa théo-rie de l'origo  dans la troisième édition de son Rechtsstaat.  Selon lui, la citoyenneté ro-maine eut été incompatible avec toute autre. Le Carthaginois qui recevait le droit de cité romaine cessait par là même d'être Cartha-ginois. Inversément, un Romain n'obtenait pas une citoyenneté pérégrine sans qu'il ne per-dît la sienne. Auguste aurait par la suite rendu conciliable la citoyenneté ro-maine avec les autres droits de cité, qu'ils fussent latins, pérégrins ou autonomes. Ainsi, sous le prin-cipat, notre susdit Carthaginois aurait pu de-venir Romain tout en restant Carthaginois (2).

Depuis, les découvertes épigraphiques, papyrologiques ou archéologiques ont démenti la théorie de l'éminent historien allemand, qui, d'ailleurs, en ce cas précis, ne se basait sur nul document (il n'empêche que le Rechts-staat  reste, sur bien des points, un outil pré-cieux, un monument et non un céno-taphe; son raisonnement pêchait par son caractère universel et absolu; Mommsen pen-sait selon les catégories de son temps, qui sont encore souvent les nôtres); à son sens, la souve-raine-té était un concept totalitaire et, conséquem-ment, deux droits de cité (d'Etat) ne pouvaient que s'exclure, que l'un s'assujettissât à un au-tre, même aussi émi-nent que Rome, était impossible (3). Plus sou-vent qu'à leur tour, les historiens du XIXième siècle, et souvent les érudits plus proches de nous, sont restés interdits devant le portail de la pensée tudes-que!

La table de Rhosos nous a sauvegardé un tex-te qui octroyait à Seleukos, un général qui avait participé à toutes les campagnes d'Octa-ve, la citoyenneté romaines et quelques privi-lè-ges dont l'un concerne particulière-ment no-tre sujet: il aurait pu requérir, à son choix, devant un tribunal de sa nation, un tribunal romain ou le tribunal d'une ville libre. Le privilège (le choix de ses juges!) eût été exhorbitant s'il n'avait été limité: soit Seleukos ne le détenait que pour les litiges commis pen-dant son absence (durant une campagne militaire) soit il n'aurait été va-lable qu'à titre de défendeur. Il appert que notre général et ses descendants, pour trai-ner quelqu'un en justice, devaient s'adresser aux tribunaux lo-caux, donc malgré qu'ils devinssent cito-yens romains, ils demeuraient soumis aux lois nationales; au plus, dispo-saient-ils d'un re-cours devant les magistrats romains (4). De même, une ville, née et cons-tituée en dehors de l'orbe romaine, accédant au statut de mu-nicipe ou de colonie romaine, conservait sa cou-tume et ses cadres adminis-tratifs (5).

L'existence des divers droits locaux fut bien établie par Arango Ruiz, Taubenschlag et Schönbauer, quoique le premier considérât qu'ils ne subsistaient que par la grâce d'une "tolérance" romaine. Notre auteur, plus ju-riste qu'historien, commit les mêmes fautes que Mommsen; il considéra que l'Edit de Caracalla supprimait toutes les coutumes lo-ca-les (6). Or, une lettre de Gordien III, dé-cou-ver-te à Aphrodisias, donnerait raison à ses contradicteurs: l'empereur s'y référait aux se-natus-consultes et aux constitutions de ses prédécesseurs afin de donner aux cou-tumes locales la valeur de loi (7).

Taubenschlag a étudié le problème pour l'E-gypte, région où la documentation papyro-lo-gique abonde. Les citoyens romains sont gé-né-ralement cités dans les papyrus avec la mention de la tribu romaine à laquelle ils étaient rattachés (tout citoyen romain était d'of-fice rattaché à l'une des trente-cinq tribus romaines, même s'il habitait au fin fond de l'I-bérie ou de la Cappadoce). Un nouveau ci-toyen romain originaire d'Alexandrie se di-sait Alexandrinam civitatem romanam;  un Grec s'affirmait par exemple Hermopolites et Romaios.  L'empereur pouvait concéder la ci-toyenneté romaine mais nous ne connaissons aucun cas où il octroya le droit d'origo; com-me si la première dépendait de la souve-rai-ne-té éminente d'un demi-dieu et que la se-conde fût issue de la terre et du sang (8).

Autre preuve d'une matérialité incontestable (elle est en bronze!): la table de Banasa (Ma-roc), découverte en juillet 1957: 53 lignes cou-chées, d'une lecture certaine. La plaque, des-ti-née à l'affichage, concernait l'accès à la ci-to-yenneté romaine d'une famille berbère de la tribu des Zegrenses, les "Julianus". Nos nou-veaux citoyens, auparavant justiciables selon la coutume de leur tribu, traiteraient do-réna-vant leurs affaires, au privé comme au pénal, devant des magistrats romains. Ils auraient eu la capacité de tester, de recevoir des legs romains, d'acheter des terres dans l'ager pu-blicus.  Ils acquerraient une égalité formelle par rapport aux Romains de souche. Perdaient-ils pour autant leurs anciens droits? Non. Seston déduisit quatre consé-quences de ce texte:
1) Une loi garantissait l'existence des droits coutumiers; ils n'existaient donc pas, par le sim-ple effet de la tolérance romaine, comme l'affirmait un peu trop péremptoirement Aran-go Ruiz, qu'infirma par la suite le do-cu-ment d'Aphrodisias.

2) Le citoyen n'était pas nécessairement, com-me on l'a cru longtemps, le civis d'une cité puis-que nos Juliani étaient originaires d'une fa-mille de nomades ou de semi-no-mades.

3) Il n'existait pas de contradiction entre droit d'empire et droits locaux.

4) Le quatrième point nous amène à parler du fameux édit de Caracalla: sa clause de sau-vegarde était une garantie que rien ne serait changé pour le nouveau citoyen, en raison de sa nouvelle dignité (9).
 

*
*  *


Du texte de la constitution antinoninienne, nous ne possédons qu'une laconique note d'Ul-pien: "Ceux qui vivent dans le monde ro-main ont été faits citoyens romains par une constitution de l'empereur antonin" (10)! Les chercheurs ont même hésité sur la datation du texte: été ou automne 213 pour Seston (11), entre mars et juillet 212 pour Follet (12). Longtemps, ils espérèrent posséder une copie qui eût été couchée, sur le Papyrus Giessen 40, document fameux qui suscita moultes interprétations et lectures (13); actuellement, si les érudits ne s'entendent pas sur la nature exacte du document (copie, préface, commen-taires,...), ils s'accordent toutefois pour dire qu'il ne s'agit pas du texte original de l'édit de Caracalla. Malgré cela, on peut aborder le document en tant que tel, comme source indi-recte. Jacques propose la formulation sui-vante du contenu du texte: "Je donne à tous les pérégrins qui sont dans le monde (oe-kou-mène) le droit de cité des Romains sans dé-tri-ment pour les droits de leurs commu-nautés, les déditices mis à part" (14).

Pour évaluer la portée de la décision de Cara-cal-la, il nous faudrait connaître le nombre d'esclaves et de déditices; le statut des pre-miers nous est connu, non leur nombre; celui des seconds est fort mystérieux. Les dé-ditices classiques étaient des esclaves flétris par une condamnation; même affranchis, la ci-to-yen-ne-té leur restait interdite. Les dédi-tices péré-grins étaient constitués par les peuples vain-cus (15); en Egypte, l'infâmie de leur con-di-tion était sanctionnée par un impôt supplémen-taire (16). Tout aussi inexplicable est la présence de pérégrins dans l'Empire après 212 (17).

Si une approche quantitative semble impos-si-ble, nous évaluons toutefois l'ampleur de la me-sure. Tout d'abord, nous sommes certains qu'elle eut des effets immédiats, par exemple, à Athènes, le nombre de nouveaux citoyens (que l'on repère facilement car ils prirent pres-que tous le nom de la gens Aurelia) sur les listes d'éphèbes augmentent de manière prodigieuse (18). Du reste, nous citerons Sher-win-White qui, selon nous, dans son sty-le romantique, exprima parfaitement la révo-lu-tion qu'occasionna l'édit de Caracalla: "L'em-pire serait agité de convulsions, brisé, ébranlé partiellement ou totalement, progres-sivement, mais il resterait quand même une conception de l'unité et de la grandeur de Ro-me, qui inspirerait les hommes à vouloir ras-sembler les morceaux. L'importance de Ca-ra-calla, c'est, qu'en complétant le proces-sus amorcé depuis un siècle, il hissa la maiestas populi Romani  sur la base la plus large qui soit. L'élément unificateur qui rap-prochait les constituants très divers de l'Empire, c'é-tait l'intérêt commun dans Rome; l'édit de Ca-racalla identifiait l'ensemble de la popu-lation de l'Empire à Rome et fournissait de la sorte le fondement juridique qui developpera ultérieurement l'idée de Romania. La chose pou-vait appa-raître malhabile à l'époque et sans doute un peu prématurée mais elle était incontesta-blement grandiose; son importance est appa-rue au moment des invasions, lors-que les habitants de l'Empire, voyant ce qui les diffé-renciaient des barbares, savaient qu'ils étaient les vrais Romani, et non seule-ment tels par simple courtoisie" (19).

Ici s'achève notre petit périple; nous osons croi-re que notre quête ne fut point divagation. L'existence de la double citoyenneté est bien établie; évidemment l'historien n'imagine pas avec exactitude comment les anciens vé-curent cette situation, écartelés entre une ci-to-yenneté romaine commune à presque tous les hommes libres, et une origo  qui les enra-cinait en leur terroir, en une culture natale. Pour la première, il aurait sacrifié sa vie, la se-conde dominait, envahissait sa vie quotidien-ne; pourtant, l'Empire était présent près de sa domus:  ses ma-gistrats es-sai-maient dans les provinces, l'armée gardait ses fron-tiè-res, la culture se diffusait au sein de la no-bi-litas.  Le sentiment de la différence, qu'é-vo-que Sherwin-White, fut admirablement ex-pri-mé dans les lettres de Sidoine-Apollinaire (20).
 

Frédéric KISTERS.

Notes:


(1) François JACQUES & John SCHEID, Rome et l'intégration de l'Empire (44 av. J. C. - 260 ap. J.C.), tome I, Les structures de l'Empire romain, Paris, PUF, 1990, pp. 211-212; F. DE VISSCHER, Les édits d'Auguste découverts à Cyrène, Paris, Les Belles Lettres, 1940.
(2) Theodor MOMMSEN, Le droit public romain, trad. de Paul Frédéric GIRARD, 3ième éd., Paris, Ernest Thorn, 1889, t. VI, 1, p. 145; t. VI, 2, pp. 265-268; t. VI, 2, pp. 329-332.
(3) F. DE VISSCHER, Le statut juridique des nou-veaux citoyens romains et l'inscription de Rhosos, in L'Antiquité classique, t. XIII, 1944, pp. 13-18; complète et précise dans F. DE VISSCHER, Les édits d'Auguste...,  op. cit., pp. 108-118.
(4) F. DE VISSCHER, Le statut juridique des nou-veaux citoyens romains et l'inscription de Rho-sos, in L'Antiquité classique, t. XIII, 1944, pp. 21-32 (restitution du texte); t. XIV, 1945, pp. 29-35 (nature et caractère du document; entre 34-36 ap. J.C.), pp. 35-48 (privilèges de Seleukos); pp. 49-59 (exploitation du document).
(5) F. DE VISSCHER, Le statut..., Ant. cl., op. cit., t. XIV, 1945, pp. 57-58. Voir aussi Dieter NÖRR, Imperium und Polis in der Hohen Prinzipatszeit, 2ième éd., Munich, Beck, 1969, pp. 123 (Mün-che-ner Beiträge zur Papyrusforschung und Antiken Rechtsgeschichte, Heft 50) qui se départit fort bien des concepts juridiques modernes.
(6) ARANGO-RUIZ, Storia del diritto romano, 7iè-me éd., Napoli, Dott. Eugenio Jovene, 1957, pp. 338-341 et notes ajoutées à la 7ième éd., pp. 424-427, dans laquelle il répond aux thèses de E. SCHÖN-BAUER, Deditizien, Doppelbürgerschaft und Per-so-na-li-tätsprinzip, in Journal of Juristic Papyrolo-gy, t. VI, 1952, 17 ff.; id., Rechtsentwicklung in der Kaiserzeit, in Journal of Juristic Papyrology, t. VII-VIII, 1954, 107 ff et 137 ff.; id., Municipia und Coloniae in der Prinzipatszeit, in Anzeiger der Österreichischen Akademie der Wissen-schaf--ten in Wien, Philos. Hist. Klasse, n°2, 1954, 34 ff.
(7) Erwin KENAN, Joyce REYNOLDS, A Letter of Gordian III from Aphrodisias in Caria, in Jour-nal of Roman Studies,  t. LIX, 1969, pp. 56-58.
(8) Raphaël TAUBENSCHLAG, The Law of Gre-co-Roman Egypt in the Light of the Papyri 332 BC - 640 AD, 2ième éd., Varsovie, Panswowe Wydaw-nic-two Naukowe, 1955, pp. 586-595, avec un abon-dant appareil critique, vieilli pour les tra-vaux mais non pour les papyrus.
(9) William SESTON, Maurice EUZENNAT, La citoyenneté romaine au temps de Marc-Aurèle et de Commodeet après la Tabula Banasitana, in Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, nov.-déc. 1961, pp. 317-321 et in Scripta varia. Mélanges d'histoire romaine, de droit, d'épigraphie et d'histoire du christianisme, Rome, Ecole française de Rome, 1980, pp. 77-84 (Coll. de l'Ecole française de Rome, 43).
La table comprend trois textes:
- Une lettre de Marc-Aurèle et Lucius Verus au procurateur de Maurétanie Tingitane, Coédius Ma-ximus en réponse à la demande du Zegrensis Julianus (168-169 ap. J.C.).
- Marc-Aurèle et Commode répondent à la requête d'Aurélius Julianus (sans doute fils de Julianus le Zegrensis) et écrivent au procureur Vallius Maximiamus. Le Berbère demandait la citoyen-neté pour lui-même, sa femme et ses enfants. L'Em-pereur demanda un complément d'in-for-ma-tion, entre autres choses, l'âge de l'éventuel béné-ficiaire (an 177).
- Extrait des régistres impériaux, douze signa-tures apposées au bas de l'acte (6 juillet 177).
- Un certain nombre d'éléments nouveaux furent apportés par A.N. SHERWIN-WHITE, The Ta-bula of Banasa and the Constitutio An-to-ni-nia-na, in Journal of Roman Studies, LXIII, 1973, pp. 86-98.
(10) Ulpien, Digeste,  1, 5, 17.
(11) William SESTON, Marius Maximus et la date de la Constitutio Antoniniana, in Mélanges d'archéologie, d'épigraphie, d'histoire, offerts à Jé-rôme Carcopino, Paris, 1966, pp. 877-888 ou Scripta Varia,  pp. 65-76.
(12) J. FOLLET, Athènes au IIième et au IIIième siècle. Etudes chronologiques et prosopogra-phi-ques, Paris, Les Belles Lettres, 1976, pp. 64-72.
(13) C. SASSE, Literaturberichte zur Constitutio Antoniniana, in Journal of Juristic Papyrology, t. 14, 1962, 109 ff; t. 15, 1965, 329 ff; a compté 90 études!
(14) F. JACQUES, J. SCHEID, op. cit., p. 284.
(15) GAIUS, Institutes, I, pp. 13-15.
(16) TAUBENSCHLAG, op. cit., p. 588.
(17) F. JACQUES, J. SCHEID, op. cit., p. 285.
(18) J. FOLLET, op. cit., pp. 63-107. Le nombre des Aurelii était infime avant 210-211; ils apparte-naient le plus souvent à quelques grandes fa-mil-les qui avaient acquis la citoyenneté romaine. Après 212, leur nombre s'accroît prodigieusement.
(19) SHERWIN-WHITE, The Roman Citizen-ship, Oxford, Clarendon Press, 1939, pp. 223-224. L'auteur a sorti une nouvelle édition; id., The Roman Citizenship,  2ième éd., Oxford, Claren-don Press, 1983; pour notre sujet, voir pp. 297-386.
(20) Sidoine Apollinaire, Epistolae et Carmina, éd. Chr. LUETJOHANN et corr. B. KRUSCH, Berlin, 1887 (MGH, Auctores antiquissimi, VIII). 
 

13:09 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

J.J. Langendorf : Contre-Révolution

La lanterne magique de la contre-révolution 
(1789-1799)

par Jean-Jacques LANGENDORF

Comme tout mouvement engendre la chaleur, toute ré-volution engendre une contre-révolution, qui est à la fois réaction armée à ses actes et réponse "idéo-logique" à ses postulats (1).

Déjà face aux premiers tâtonnements "modérés" de la révolution française, les exigences d'une "contre-ré-volution pacifique"  (l'expression est de Barnave) se font jour. Dans ce stade initial de la fermentation, vécu par la plupart comme une étape correctrice et néces-saire des erreurs du passé, on commence à devenir contre-révolutionnaire, lentement, non sans hésita-tions. A de rares exceptions près (quelques grands aristocrates qui émigrent immédiatement au lendemain du 14 juillet 1789 ou quelques pamphlétaires, Mira-beau-Tonneau constituant le cas le plus marquant), il n'existe pas de contre-révolutionnaire suis generis.  On ne naît pas contre-révolutionnaire, on le devient. Tous ceux qui ne tarderont pas à s'ériger en féroces censeurs de la révo-lution passent d'abord par une phase d'approbation, qu'il s'agisse de Bonald, Maistre, Mal-let-Du Pan ou Gentz. Les motiva-tions qui poussent les uns et les autres à re-joindre la contre-ré-volution et à la servir par les armes ou par la plume sont variées, et elles ne procèdent que rarement d'une froide détermina-tion théorique a priori.  On rompt in-dividuelle-ment avec la Révolution en fonction de si-tuations précises qu'elles a engendrées, qu'il s'agisse d'un château brûlé, d'un parent assassiné, d'un privi-lège aboli, ou, collectivement, lorsqu'il s'agit de la suppression du satut quasi-millénaire du clergé ou, plus rationnellement, du refus total ou partiel des lois sécrétées par l'Assemblée na-tionale.

Et plus la Révolution dégénèrera, plus le refus se fera massif et global, les ralliements contre-révolution-naires ne se comptant plus sous la Terreur. Sans même tomber dans le paradoxe, on peut affirmer que tous ceux qui, en France, ont tra-versé la Révolution l'ont été, quelqu'ait été leur idéologie, contre-révolution-naire à un moment donné, objectivement ou subjectivement, car il est vrai qu'on est toujours le contre-ré-volution-naire de quelqu'un. Dans la nuit du 9 au 10 Thermidor 1794 Robespierre qui a la mâchoire fracas-sée par un coup de pistolet, agonise sur une table de l'Hôtel de Ville, aura tout le temps d'imaginer qu'il est la victime de la contre-révo-lution, alors que ceux qui s'apprêtent à le con-duire, avec ses amis, à la guillo-tine, sont con-vaincus qu'ils vont exécuter un dange-reux con-tre-révolutionnaire. D'ailleurs dans Paris une étrange rumeur circule alors: l'incorruptible au-rait eu l'intention de se faire couronner roi. Ultérieurement, sous la plume de gens aussi dif-férents que les Thermi-doriens, que les jacobins irréductibles, ou qu'un G. Babeuf, qui aimerait tant que la Révolution, qu'il conçoit angélique, n'ait pas été souillée par la Terreur, le terme contre-révolutionnaire est utilisé pour désigner tout ce qui s'oppose à sa propre idéologie.

Récemment, confrontés à cette inflation de contre-ré-volutionnaires, certains historiens ont voulu clarifier le concept et le restreindre en lui op-po-sant celui d'anti-révolution. A leurs yeux est an-ti-révolutionnaire celui qui, rallié à l'idée de pro-grès incluse dans celle de ré-volution, n'en ac-cep-te pourtant pas tous les aspects. C'est ainsi qu'on constate l'existence de couches po-pu-lai-res, paysans et  Lumpenproletariat  urbain (sur-tout dans le sud de la France) qui rejettent ponc-tuellement, mais violemment, certaines émana-tions de la révolution (2).

Dans cette nouvelle perspective historique, il serait par conséquent plus légitime de parler, globa-lement, de ré-sistances à la révolution que de contre-révolution (3).

Il ne peut être question, dans un article limité, d'aller plus avant dans ces subtilités d'école. Si l'on demeure sur le terrain classique, on peut dire qu'un contre-ré-volutionnaire est celui qui reste attaché à ce qu'il considère comme des condi-tions d'essence indispen-sables au fonction-ne-ment même de la société et de l'Etat: la monar-chie et l'Eglise, le trône et l'autel. A partir de là, il ne verra plus l'épisode révolutionnaire que com-me une parenthèse malheureuse qui doit être close (et qui peut l'être) le plus rapidement pos-sible afin de revenir au statu quo ante.  C'est en définitive sur cette notion de status quo ante  que les divergences entre les contre-révolutionnaires vont se manifester. Pour les uns, on recom-mence, comme si rien ne s'était produit, pour les autres au contraire, afin de prévenir la réappari-tion d'une nouvelle parenthèse révolution-naire, il s'agit d'introduire de très prudentes modifications, qui ouvriraient la porte à un "Ancien régime" certes restauré, mais également régénéré. Mais quoi qu'il en soit, l'idéal réformateur ne s'aventure pas au-delà des limites étroites d'un exécutif monarchiste tout puissant et d'une Eglise auxquelles les âmes doivent se soumettre impérativement. Ainsi circonscrite, la pen-sée contre-révolutionnaire peut varier à l'infini. Dans ses formes d'abord. C'est par milliers que l'on compte les libelles et pamphlets (souvent aussi brefs que mé-diocres) qui réagissent à chaud et épidermiquement aux événements révolutionnaires. Toutefois, nous re-levons aussi l'existence de toute une littérature qui veut, en utilisant les arguments de la philosophie, de la métaphysique ou de la théologie, démontrer l'inanité des thèses révolutionnaires.

Toutefois nous relevons aussi l'existence de toute une littérature qui veut, en utilisant les arguments de la philosophie, de la métaphysique ou de la théologie, démontrer l'inanité des thèses révolutionnaires. Et cette littérature souvent profonde et souveraine ‹nous son-geons à Bonald, Maistre, Rivarol ou Chateaubriand‹ si elle s'en prend à un événement inédit (la Révolution) s'inspire de motifs souvent préexistants, et procède soit d'une sensibilité d'Ancien régime, soit d'une cul-ture "médiévale". Nous voulons dire par là que les uns se réfèrent à une philosophie "moderne" de l'Abso-lutisme (telle qu'un Voltaire, par exemple, l'incarne), alors que d'autres au contraire, plus tournés vers l'an-cien droit de la France et vers ses institutions tra-di-tionnelles, considèrent la monarchie sous un angle organique. Et ce sont eux, en définitive, qui incarnent les authentiques réactionnaires.

Au départ la succession d'événements décousus et violents qui, à Paris et en Provence, se situent en amont et en aval de la prise de la Bastille sont perçus, même par les plus conservateurs, comme un orage ré-générateur. Travaillés par le déisme, le sensualisme, le matérialisme, abreuvés des leçons de l'Encyclopédie, saoûlés par les palabres de salon, énervés par la nou-velle littérature théâtrale ou romanesque (un Beaumar-chais et un Cho-derlos de Laclos sont les parfaits reflets de l'époque), les beaux esprits sont mûrs pour s'engager fort loin sur la voie de ce qu'ils imaginent être le renouveau. Il va de soi d'ailleurs que la situation matérielle du pays facilite cette effervescence: mauvais impôts, mauvaise gestion, pri-vilèges souvent ab-surdes, mauvaise organisa-tion, mauvaise politique in-térieure et étrangère, la liste est très longue. Mais en tout état de cause, rien, dans ce pays riche, prospère et hautement civilisé, ne justifiait le bouleversement san-glant qu'il allait connaître.

Toutefois la volonté des "philosophes" est implacable: "Du passé faisons table rase.". Au nom de la toute-puissante raison régénératrice, us, coutumes, croyances, traditions les plus vénérables sont traînées dans la boue et les bases du trône et de l'autel sont gri-gnotées par l'infatigable travail d'une armée de ron-geurs. Tout d'ailleurs se passe très vite. Il aura fallu moins de cin-quante ans, relève le royaliste Balzac, pour dé-truire le solide tissu français. Cette rapide dé-com-position est une source inépuisable d'étonnement pour l'historien contemporain. Elle s'explique en partie par une sorte de langueur qui s'est emparée des âmes et des esprits et que Taine, dans des pages admirables, met au compte de la "douceur de vivre". Le noble n'est plus qu'un petit maître, attaché par une chaîne d'or à la niche de Versailles, le prêtre, un abbé de salon qui fait profession d'athéisme et qui dissimule honteusement son crucifix sous son tablier ma-çonnique, le phi-lo-sophe un sophiste ingénieux dans le persiflage.
 

Les monarchiens et Stanislas de Clermont-Tonnerre

Les débuts de la Révolution voient émerger toute une couche d'esprits libéraux et éclairés qui jugent possible la mise en ¦uvre de vastes ré-formes sociales et fis-cales, dans le cadre de la monar-chie. Attachés au roi, anglophiles convaincus, défendant l'idée de la possibi-lité d'une Révo-lution modérée, ces "monarchiens" militent pour le bicaméralisme, la séparation des pou-voirs, tout en demeurant partisans d'un exécutif royal qui s'exprime par le droit de veto réservé au sou-verain. Mais devant l'impitoyable durcis-sement de la révolu-tion, leur désillusion ne cesse de s'accroître et bientôt, au lendemain du 6 oc-tobre 1789 (le roi est ramené à Paris par la popu-lace), les "idéologues" du mouve-ment, les Mounier, Malouet, Lally-Tolendal, exhaleront un "das haben wir nicht gewollt"  (nous n'avons pas vou-lu ça!), alors que tout déjà est con-sommé. Rien n'illustre peut-être mieux la trajec-toire pathétique des "monarchiens", engloutis dans la sanglante tempête révolutionnaire, que le destin et les errements ‹qui sont ceux de toute une époque et de toute une classe‹ de Stanislas Clermont-Tonnerre. Les fées se sont pen-chées sur son berceau. Filleul de la reine de France et du roi de Pologne, riche, beau, adulé, âme sen-sible, il flirte avec toutes les modes de l'époque. Franc-maçon, il admire les Encyclopédistes et Rousseau. Epris d'humanitarisme, il prend la dé-fense des protestants, des comédiens, des juifs etŠ du bourreau. Présidant pour un temps la Constituante, il participe allègrement, selon l'expres-sion de son biographe, "au suicide d'une élite". Après le 6 octobre ‹ce 6 octobre qui va mar-quer le passage des monarchiens à la contre-révolu-tion‹ il ouvre enfin les yeux, se lançant dans une at-taque de grand style contre la Déclaration des Droits de l'Homme et l'¦uvre de la Constitutante. Ayant pré-paré, plus par inconscience que par malignité, comme tant de ses emblables, le lit de la Révolution au nom de la liberté, il en arrive maintenant à écrire que "la liberté est l'unique cause des malheures publics". Mais l'éveil est trop tardif et l'incendie, qu'il a contribué à allumer, le dévore: il est massacré le 10 août. Plus chanceux, les autres grands noms monarchiens émigreront et, de leur exil, ils deviendront les plus zélés contempteurs de la révolution. Si nous avons mentionné ici Stanislas de Clermont-Tonnerre et les monarchiens, c'est parce que leur cas possède presque une valeur symbolique pour ce que l'on pourrait nommer "l'éveil paresseux" à la contre-révolution, un éveil à la fois tortueux et réticent qui, en passant d'un "oui, mais" à un "non, mais", fi-nit par aboutir à un non radicalŠ alors qu'il est trop tard.

C'est à d'autres, moins aveuglés par les illusions d'un possible "libéralisme" révolutionnaire, à des "gens simples et directs" serait-on tenté de dire, qui ne sont pas prisonniers d'un carcan idéologique que reviendra le mérite d'organiser la première résistance intransi-geante à la Révolution.
 

La ligue des ironistes

Avec Mirabeau-Tonneau  (le frère du tribun) (4), Peltier, Suleau, l'abbé Royou et le redoutable abbé Maury, à la carrure de lutteur, se constitue, d'une manière infor-melle, ce que l'on pourrait nommer "la ligue des iro-nistes". Théoriciens, ils ne le sont guère. Ils réagissent à chaud à l'évé-nement en maniant un humour assassin, ils fusti-gent de leur plume corrosive les hommes nou-veaux et leurs gesticulations intellectuelles, tout en se rangeant inconditionnellement derrière le roi. Leurs li-belles et journeaux à un sou, qui font pendant à la presse populaire révolutionnaire (L'Ami du Roi  de Royou sera interdit le même jour que L'Ami du Peuple  du pustuleux Marat) connaissent une grande diffusion, le plus brillant d'entre eux étant sans aucun doute Les Actes des Apôtres  de J.G. Peltier. Ces intrépides pamphlétaires ont compris que les révolutionnaires sont totalement dépourvus d'humour (une des premières mesures de l'Assemblée nationale n'a-t-elle pas été d'interdire le carnaval?) et que c'est sous cet angle-là qu'il faut les provoquer. Ils payeront d'ailleurs très cher cette opposition: une mort atroce pour Suleau, as-sassiné le 10 août, la mort par misère physiologique pour Royou, traqué part la police, l'exil pour Mira-beau-Tonneau, Maury et Peltier.
 

Le Groupe des Genevois

Mais assez rapidement la révolution engendrera un autre courant contre-révolutionnaire, représenté par ce que je nommerais le "groupe des Genevois" (F. d'Ivernois, F.-P. Pictet) que domi-ne de très haut la personnalité de J. Mallet-Du Pan. Ce dernier, fils d'un modeste pasteur, ne fai-sait pas partie du patriciat qui gouvernait la "Parvulissime" sous l'Ancien Régime. Libéral au départ, et ami des philosophes, il rejoint, au début de la Révolution, les "monarchiens" dont il de-vient le penseur attitré. Mais, tout en évoluant vers des positions plus extrêmes, il se met au service de la mo-narchie pour des missions se-crètes et est contraint d'émigrer en Suisse. Mal-let-Du Pan n'est ni un philo-sophe, ni un mé-taphysicien de la contre-révolution. Analyste aigu, il se révèle dans les Correspondances qu'il fournit à divers cours européennes, l'incomparable observateur de la situation et, contrairement à tant d'autres contre-révolution-naires, il ne se berce d'aucune illusion, en ce qui concerne le pou-voir de réaction de l'aristocratie et de l'émi-gration. Mais ce qui rend peut-être Mallet-Du Pan unique (avec Iver-nois, qui a vécu la même situation), c'est le fait que dans sa jeunesse, il a participé, mais cette fois de l'autre côté de la barricade, à la révolution genevoise de 1782 et qu'il a été contraint de fuir devant le triomphe de la contre-révolution. C'est dire qu'il connait à mer-veille, "de l'intérieur", les mécanismes de l'émeute et le caractère des hommes qui en sont le moteur. Contrairement à tant d'autres, il distingue le chemine-ment que prendra la Révolution. A ses yeux, le vide créé par la dis-parition de la monarchie a été successi-vement comblé par la bourgeoisie possédante, puis par la petite bour-geoisie, puis par les non-possédants, en-fin par les sans-culottes, chacune de ces classes ayant éliminé celle qui l'a précédée. Et à chaque éli-mi-nation, la violence monte d'un cran. Mallet-Du Pan est un des rares (avec Rivarol toutefois) qui discerne que tout cela doit logiquement aboutir à la "dictature du sabre".

Jusque-là en France, la contre-révolution théo-rique n'était guère sortie de la voie empirique, critiquant coup par coup les innovations des révolutionnaires. Ce fut là essentiellement la tâche des monarchiens, et de la droite parlementaire (S. de Girardin, Mathieu Dumas, Viennot-Vauban) qui combattent les décisions de la Constituante et de la Législative, attaquant, outre la Dé-claration des Droits de l'Homme et la constitution, leur po-litique religieuse, financière, sociale, militaire et étrangère. Mentionnons à ce titre les travaux, souvent fort techniques, d'un N. Bergasse, qui démontre l'inanité de la politique financière de l'Assemblée na-tionale.
 

Edmund Burke: premier grand théoricien anti-révolutionnaire

C'est d'Angleterre toutefois que viendra le véritable opus  de la contre-révolution. Le 29 novembre 1790, la traduction des Reflections on the Revolution in France  d'E. Burke est mise en vente à Paris, où elle connaît un succès foudroyant, qui s'explique par le fait que le public, confronté à cette vaste synthèse, a le sentiment d'enfin mieux comprendre ce qui lui arrive. En dépit de multiples défauts, l'ouvrage de l'Anglo-Irlandais propose une analyse des événements qui les domine de très haut. S'en prenant aux concepts abs-traits, donc stériles, mis en ¦uvre par les nouveaux philosophes de la raison, l'auteur démonte point par point les concepts de droit naturel, de liberté, égalité et fraternité, de sou-veraineté populaire, de démocratie, du bon-heur qui doit devenir le lot de tous.

Il est frappant de constater que la "grande critique" française ou francophone de la révolution se fera, elle, attendre quelques années encore et se manifestera, au fond, alors que tout est joué. Les Considérations sur la nature de la Révolution de France (Š)  de Mallet-Du Pan sont publiées en 1793, La défense de l'ordre so-cial contre les principes de la révolution française  de l'abbé Du--voisin en 1796 (et dans un tirage confidentiel), comme La Théorie du pouvoir politique et reli-gieux  de Bonald, et il faudra attendre 1797 pour pou-voir lire les Considérations sur la France  de Maistre, et 1798 l'Essai sur les révolutions  de Chateaubriand. En règle générale, on peut di-re que les contre-révolu-tionnaires fournis-saient avant Thermidor une ¦uvre de pamphlé-taires, et que c'est seulement après l'extinction de la terreur que leur critique "métaphysique" voit le jour, qui est précisément celle que la pos-térité retien-dra.
 

La contre-révolution dans ses grandes lignes théoriques

Il ne peut être question, dans le cadre restreint d'un ar-ticle, de passer systématiquement en revue la pensée des auteurs importants et d'en dresser une sorte de ca-talogue. Contentons-nous d'esquisser les grandes lignes qui reviennent à satiété chez tous les auteurs contre-révolution-naires.

1) La critique la plus générale et la plus répandue re-lève en premier lieu du simple bon sens et de l'évidence même: privée du trône et de l'autel, la France cesse d'exister, car ils lui sont, pourrait-on dire "consubstantiels". Il n'existe aucun contre-révolution-naire, "réactionnaire" ou "progres-siste", qui remette en question ce qui consti-tue une vérité intan-gible. Il en découle na-turel-lement qu'une partie im-portante de la littéra-ture contre-révolutionnaire est consacrée à la dé-fense et à l'illustration du roi, de sa famille et de l'E-glise opprimée.

2) L'idéologie, ou la philosohie, qu'invoque la révo-lution est ressentie comme abstraite et artificielle. Que signifient des notions aussi vagues que Liberté et Ega-lité? Où commencent-elles? Où finissent-elles? Il n'est pas vrai que les hommes soient nés libres et égaux. La liberté de l'assassin qui s'échappe de prison n'a rien de commun avec celle de l'honnête homme. Il n'existe au-cune véritable égalité entre un homme intelligent et un imbécile, entre un fort et un faible, entre celui qui est armé et celui qui ne l'est pas, entre l'enfant né dans un palais et celui né dans une chaumière. Proclamer la liberté ne revient pas à la réaliser et il ne suffit pas d'exprimer une idée pour qu'elle se mette à exister. Quant à la fra-ternité  ‹et la notion est déjà ambigue en soi puisqu'elle évoque le premier meurtre de l'his-toire humaine‹  elle relève du domaine de la sen-timentalité et ne possède aucun contenu réel. Les révolutionnaires se meuvent dans l'abstrait (5). Ils postulent la toute-puis-sance d'une raison (et d'une vertu) qui va bientôt re-vê-tir les formes les plus grotesques ou les plus tra-giques: assas-sinat du roi au nom de la raison, déclara-tion de guerre à l'Europe au nom de la raison, profa-na-tion des tombes royales au nom de la raison, dilapi-dation des biens nationaux au nom de la raison, terreur au nom de la raison, etc. Face à cette usurpation de la raison par la dé-raison, nombreux seront les théoriciens de la contre-révolution qui se considéreront, eux, comme les authentiques porte-paroles de la rai-son. Ils se vou-dront également les seuls véri-tables réalistes, détenteurs d'une somme d'expériences très anciennes et qui, à ce titre, ont pour devoir de lutter contre l'illusionnisme révo-lutionnaire, contre les fabriquants en gros d'utopies et contre les marchands de vertu.

3) La révolution croit au progrès: les révolutionnaires sont convaincus qu'ils sont en mesure de réaliser le bonheur et l'harmonie sur terre grâce à des moyens particuliers qui leur sont propres. La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen constitue l'un de ceux-ci et ses articles sont censés baliser la voie qui conduit à la félicité universelle. Mais quoi qu'on en dise, il est impossible de bannir le malheur de la so-ciété et le bonheur ne peut être le résultat de décrets et de lois, ou de déclarations d'intention aussi creuses que bien intentionnées. L'évolution d'une humanité entachée par le péché originel ne se fait que dans des soubresauts tragiques, dans les larmes et dans le sang. Il ne suffit pas de ravaler la façade d'un antique édi-fice, bâti par des générations d'architec-tes et de ma-çons, pour modifier sa structure et ses dispositions. Dans le meilleur des cas la Révolution ne sera rien d'autre qu'un ba-digeon provisoire, dans le pire ses maladresses et son arbitraire infligeront des dommages irrépa-rables à la substance même de l'édifice.

4) La démocratie est une illusion. Comment croire que des millions d'hommes qui délèguent leur souverai-neté, leurs "droits" et leur portion du pouvoir à quelques centaines de députés se trouveront mieux re-présentés que par un monarque ‹et ses ministres‹ qui incarne depuis des siècles les aspirations orga-niques du pays et dont l'autorité n'est pas fondée sur une quelconque loi écrite (dans le sens que Condorcet donne à ce terme) mais sur la loi divine uniquement. La fragmentation des compétences et des volontés aboutit au nivellement ou, pire encore, à la dictature d'un parti et à l'arbitraire de la tyrannie. Et le fait de prendre une décision à la majorité ne signifie nullement que cette dernière soit bonne. L'arithmétique démocra-tique, la loi du nombre, n'est pas une valeur positive en soi. Au contraire, elle engendre la médio-crité, impose un lit de Procuste aux aspirations origi-nales. Si par le passé certains ont plaidé en faveur de la démo-cratie ‹Rousseau par exemple‹ c'est parce qu'ils ne l'ont considérée comme applicable qu'à de très petits Etats, comme la République de Genève.

Cette critique de la démocratie a conservé jusqu'à nos jours tout son poids et elle incarne peut-être l'héritage le plus vivant de la pensée contre-révolutionnaire.

5) Celui qui détruit l'ordre traditionnel (et organique), l'harmonie fondée en définitive sur et en Dieu, pro-voque la catastrophe. Dès le début de la Révolution, la plupart des contre-révolutionnai-res ont discerné qu'elle portait dans son sein ses futurs "dérapages", comme les nomment pudi-que-ment les historiens libéraux, et qu'elle finirait par engendrer une "catastrophe française" sui generis.  Ils reconnaissent d'ailleurs qu'il est dif-ficile de prendre la mesure de son ampleur, car par sa soudaineté et sa violence elle est, comme dit Burke, "étonnante". Plus la terreur s'étendra, et plus les contre-révolutionnaires se verront confirmés dans leur analyse.

6) Toutefois certains d'entre eux, comme Maistre, Mallet-Du Pan, Chateaubriand ou Gentz, jugeront que la Révolution possède une incomparable charge d'énergie et ils compren-dront qu'elle doit être mesurée à une aune nou-velle. Pour d'autres au contraire, l'arbitraire et la violence de la Révolution ne constituent qu'un boule-versement provisoire ‹et finalement positif‹ puisqu'il prépare une restauration régénératrice. C'est ainsi que les théocrates ou de nombreux cléricaux la considèrent comme un élément de la volonté divine, comme le châtiment nécessaire pour l'amollissement et les vices de l'Ancien Ré-gime. Lorsque l'orage aura pu-rifié l'atmos-phè-re, il sera alors possible de fonder une monarchie régénérée, de s'appuyer sur une nou-velle souve-raineté fortifiée et renforcée. C'est là, grosso mo-do, le point de vue de Maistre, alors que d'autres penseurs (Rivarol, Sénac de Meilhan) voient avant tout dans la Révolution un acte cruel et barbare qui a irrémédiablement mis fin à la "douceur de vivre" de l'Ancien Régime. Quant à Bonald ‹et c'est entre autres ce qui constitue l'originalité de sa position‹ il situe en dehors du projet divin la Révolution qui de-vient sinon un non-être, du moins une simple maladie.

7) Si la dégénérescence des m¦urs de la société fran-çaise en général et de la cour en particulier, ainsi que l'accumulation des abus, sont parfois mentionnés comme causes de la Révolution, il en est toutefois une autre qui est constamment évoquée. Inlassablement, les théoriciens de la contre-révolution soulignent le rôle destructeur exercé par ce qu'ils nomment "la secte", c'est-à-dire les philosophes. La machine rationaliste qui s'est mise en mouvement dans la première moitié du XVIIIe siècle, se propose de détruire le vieil esprit français et de saper les bases du trône et de l'autel. Cet hydre de la subversion possède mille têtes: le criticisme de Bayle, le sensualisme de Con-dillac, le naturalisme de Rousseau, l'ironie de Voltaire, la doctrine des phy-siocrates, le poison distillé par les palabres des salons, les malheureux exemples donnés depuis l'étranger par Frédéric de Prusse ou Joseph II. Le solide bon sens gaulois a été contaminé par tous ces raisonneurs et il est désormais incapable de résister à la contagion.

Certains contre-révolutionnaires iront encore plus loin et tenteront de déceler la cause des causes qui ont conduit à la catastrophe. Il y a ceux qui accusent le duc d'Orléans, Necker ou La Fayette, d'avoir travaillé à la ruine de la monarchie pour satisfaire leurs ambitions personnelles. Il y en a d'autres comme Barruel qui pensent que l'¦uvre de sape a été systématiquement organisée par les Francs-Maçons, les Illuminés, les protestants, voire les jansénistes ligués dans un gigan-tesque complot. Les plus radicaux croient même dis-cerner dans la Révolution proprement dite un épisode tardif et accessoire, tout ayant déjà été joué avec la ré-forme qui, en sapant l'unité de l'Eglise et l'autorité du pape, a facilité l'éclosion en Europe du libertinage et de la discorde. Sabatier de Castres fut le penseur contre-révolutionnaire qui développa cette thèse jusqu'à ses consé-quences ultimes. Selon lui, il faut rechercher l'origine de la révolution dans l'invention de la poudre, de l'im-primerie, dans les progrès de la médecine, etc. Il en découle que c'est déjà à la fin du Moyen Age qu'il aurait fallu qu'une pensée et une action contre-révolu-tionnaires se dévelopas-sent, afin de barrer la route aux fatales idées nouvelles.

8) Les contre-révolutionnaires se montrent allergiques à la rhétorique creuse de la Révolution. Leurs sar-casmes s'adressent au style ampoulé et prétentieux des décrets et des discours, au sentimentalisme des décla-rations théoriques, à la phra--séologie des tribuns qui puise ses ressources autant dans la grandiloquence à l'antique que dans les effusions rousseauistes. Pour eux, celui qui écrit mal, pense mal et ne peut donc pré-tendre être le créateur d'une société nouvelle. Il serait d'ailleurs possible de constituer une anthologie de la contre-révolution uniquement avec des tex-tes révolu-tionnaires qui offrent tant d'exem-ples de délire verbal et d'incontinence stylistique.

9) Il ne faudra toutefois pas conclure des points sus-mentionnés que la pensée contre-révolutionnaire se cantonna uniquement dans la critique, le sarcasme, ou dans une vision restaurative plus ou moins absolue. P.-H. Beik (6) a eu le mérite de montrer, en son temps, que les contre-révolutionnaires surent répondre égale-ment au défi révolutionnaire par des propositions de ré-formes sociales ou politiques souvent originales (7). Dans cette perspective, la réflexion du Comte de Montlosier, par exemple, revêt une importance par-ticu-lière.
 

L'Europe élabore la réponse théorique à la Révolution Française

Très vite, la Révolution, idéologiquement et matériel-lement, se proclame conquérante et prétend faire "souf-fler le vent de la liberté sur l'univers entier", comme elle l'annonce dans sa logomachie. Devant ses menaces, l'Europe organise sa défense et met sur pied sa réponse. Parmi les ténors de la contre-révolution ce sont  ‹Bonald et Chateaubriand exceptés‹  des non-Français qui donneront le ton: l'Anglais Burke, le Sardo-Piémontais Maistre, le Genevois Mallet-Du Pan, le Prussien Gentz, les Hannovriens Rehberg et Bran-des ou, avec une ¦uvre rédigée en latin, Braschi, le pape Pie VI. Il va sans dire que la réaction à la Ré-volution se teinte là de sensibilités, et de préoccupa-tions, nationales. Dans les Etats allemands, on dis-tingue diverses attitudes: il y a ceux qui, séduits au dé-but, se détourneront avec horreur des excès de la Ré-volution terroriste. C'est, par exemple, le cas d'un Schiller. Il y a également ceux qui, abominant le dés-ordre et la canaille, contemplent l'événement avec une distance et un mépris aristocratiques: c'est le cas de Goethe. Notons aussi l'existence d'une tendan-ce for-tement représentée: les amis de l'Aufklärung  qui finis-sent par condamner les glissements de la Révolution comme contraire aux exigences de la raison. C'est le cas, en Autriche, de J. von Sonnenfels, ou en Alle-magne de J.L. Ewald. Les critiques d'un Rehberg et d'un Brandes, qui subissent l'influence de Burke, possèdent par contre une toute autre di-mension. Dans ses Untersuchungen über die französische Revolution  (1793) (en fait un re-cueil de recensions), Rehberg ex-pose que le des-tin de l'homme, produit d'une histoire complexe, ne peut être arbitrairement et violemment modi-fié. On ne peut lui imposer une constitution artifi-cielle et il est impossible de remplacer, du jour au lendemain, dans un tour de passe-passe, l'édifice des va-leurs traditionnelles par une "déclaration des Droits de l'Homme" surgie du néant. Rien ne fonde en droit la "volonté du peuple" et la bourgeoisie a commis une er-reur fatale en s'agenouillant devant la canaille. En même temps il soumet la "revo-lutiomania" des Alle-mands à une critique impi-toyable, ce qui va lui attirer les foudres des "es-prits avancés", Fichte en tête. Quant à son dios-cure Brandes, il est, après avoir défendu des po-sitions "monarchiennes", obligé de reconnaître ‹d'un c¦ur lourd, il est vrai‹ que chaque pas fait "en avant" par la Révolution, ne signife en réalité qu'un faux progrès, un retour vers la barbarie.

Mais il existe aussi une catégorie d'auteurs qui ont été encore plus incisifs dans leur critique de la Révolution qu'ils éprouvent directement comme une manifestation du mal absolu, comme une rupture de l'ordre divin, comme une souil-lure in-fligée à l'harmonie mystique de l'univers: c'est le cas d'un Jung-Stilling, d'un Mathias Claudius et, plus tardivement, d'un Novalis (8).

Comme en France, on assistera en Allemagne à l'éclosion de toute une "littérature de combat" aux prétentions parfois humoristiques, dont souvent les clubistes de Mayence font les frais. Parallèlement on observe aussi la naissance d'une pres-se contre-révolu-tionnaire dont émerge le remarquable Revolutions-Al-manach  de Reichard ou, pour l'Autriche, le Wiener Zeitschrift  de A. Hoffmann qui, corrosif et sarcas-tique, s'inspire des Actes des Apôtres  de J.G. Peltier.

C'est toutefois à F. von Gentz que revient la palme du "grand penseur allemand de la contre-révolution". La lecture de Burke lui ouvre les yeux sur la vraie nature de la Révolution, qu'il avait jugée favorablement dans ses premiers moments. Traducteur inspiré de Burke, de Mallet-Du Pan, et d'autres encore, il pourvoit ses traductions d'abondantes annexes et notes, qui finis-sent par constituer une ¦uvre en soi. Comme Mallet-Du Pan, Gentz est un réaliste implacable qui ne se berce d'aucune illusion et ne fait intervenir dans sa ré-flexion ni considérations morales, ni larmoiements humanitaires. La Révolution est puissante, il s'agit de la combattre et de la détruire afin de rétablir l'équilibre euro-péen. Toutefois les cours continentales auraient tort de surestimer leurs forces. Seule une inter-vention armée de l'Angleterre pourra modifier le cours des choses. Dans cette perspective, Gentz est un des rares écrivains contre-révolutionnaires qui, dans son ¦uvre, concède une place centrale à la réflexion militaire.

La Suisse, avec ses treize républiques oligarchiques, joue un rôle important dans le combat contre la Révo-lution, tant sur le plan de l'accueil fait aux émigrés que sur celui de la propagation des idées contre-révolution-naires. Les Suisses, qui s'estiment détenteurs du seul auhentique républicanisme, se détournent avec horreur de l'expérience française, à leurs yeux pervertie et caricaturale. Le massacre de leurs compatriotes à Paris, le 10 août 1792, les touchera au plus profond d'eux-mêmes et suscitera un flot de pamphlets et de libelles contre-révolutionnaires. Il faudra tou-tefois attendre la Restauration pour que la Suisse, avec le "Bonald ber-nois", C.L. von Haller, pro-duise un penseur contre-révolution-naire et réac-tionnaire de premier plan. Il convient aussi de relever le rôle joué à Neuchâtel  ‹alors prin-ci-pau-té prussienne‹  par L. Fauche-Borel, "l'im-primeur de la contre-révolution" qui publie, avec des lieux d'édition fictifs, une quantité con-si-dérable d'ouvrages importants, dont les Consi-dérations  de Maistre.

Dans les Etats de l'Eglise, qui ouvrent toutes grandes leurs frontières aux émigrés ecclésiastiques, on relève également une très vive activité intellectuelle, les thèses conspiratives de l'abbé Barruel étant reprises à satiété par les publicistes en soutane. Le pape Pie VI est peut-être le plus convaincant d'entre eux. Non content de dénoncer l'hérésie révolutionnaire dans son bref Aliquantum,  il en démonte aussi fort adroitement le mé-canisme philosophique (9).

Ce rapide et schématique tour d'horizon n'a eu pour propos que de démontrer l'ampleur prise par la ré-flexion contre-révolutionnaire dans la dé-cennie 1789-1799. On a toutefois le sentiment que la moisson fut, sur le moment, presque trop abondante pour avoir été complètement engrangée. En effet, il faudra attendre l'ère restaurative (et même au-delà), pour qu'une partie des idées contre-révolutionnaires, dans la mesure où elles esquissent les contours d'une philosophie de la réaction, portent leurs fruits.

Toutefois tous ceux qui ont ardemment lutté pour le relèvement du trône et de l'autel auront, au lendemain de 1815, de bonnes raisons de ressentir une certaine amertume, car la parenthèse révolutionnaire n'a pas été vraiment refermée comme ils l'auraient souhaité et même, aux yeux de beaucoup, n'a pas été refermée du tout. Les uns déplorent que l'inimitable douceur de vivre de l'Ancien Régime se soit irrémédiablement évaporée, alors que d'autres expriment des regrets plus concrets: ils ne retrouvent plus leurs biens et leurs pri-vilèges et, pour les prêtres, leur Eglise ne sera plus ja-mais ce qu'elle
 

Que deviennent les contre-révolutionnaires sous la Restauration?

Mais il y a pire encore: si les contre-révolutionnaires retrouvent leur roi, ils doivent en même temps s'accomoder d'une constitution. Ce qui est fondamen-talement en cause, toutefois, c'est l'écou-lement, le cruel écoulement du temps, qui ne peut plus être re-monté, c'est ce quart de siècle évanoui qui a vu l'avènement d'une république, la persécution du clergé et de la noblesse, la terreur avec ses massacres (en soi parfaitement démocratique car dirigée contre tous), l'assassinat d'un roi et d'une reine, la poursuite de guerres incessantes et, enfin, l'avènement d'un des plus singuliers empereurs de l'histoire et de l'hu-manité. Si restaurer la monarchie s'est avéré possible, il s'est par contre avéré impos-sible de faire rétrograder les aiguilles du temps, et les contre-ré-volu-tionnaires en prendront cruellement cons-cience lors de la seconde Restauration. D'ail-leurs, progressivement, la pensée contre-révolu-tionnaire de restauratrice de-viendra prophylacti-que: il ne faut pas que la ca-tastrophe révolution-naire puisse se reproduire et c'est à cette tâche dorénavant qu'un Bonald ou Maistre, devenus ministres en leurs royaumes respectifs, ou un Gentz conseiller de Metternich, s'attèleront. C'est alors que de contre-révolutionnaire leur pen-sée devient, à pro-prement parler, réaction-naire puisque l'objet qu'elle se proposait de com-battre, la révolution, a (momentanément) disparu (10).

L. Hampson compare la Révolution à un autobus dans lequel beaucoup de monde est monté, et beaucoup des-cendu (11). On peut en dire autant des contre-ré-volutionnaires. Sous le Consulat, et surtout sous l'Empire, les défections sont massives, et même un Bonald finira par se rallier. Voilà qui démontre que dès le début du XIXe siècle la contre-révolution n'est plus assurée du bien-fondé absolu de ses exigences et que la revendication de restauration sine qua non  de la mo-narchie s'estompe devant le désir d'ordre, de prospé-rité et devant le mirage impérial. Alors qu'aux yeux des Anglais (qui ont très largement accueilli les contre-ré-volutionnaires pourchassés) le général Bonaparte res-tera jusqu'à sa mort le gé-néral Bonaparte, et l'implacable continuateur de la révolution qui ne s'arrête pour eux, qu'à Waterloo, les contre-révolu-tionnaires théoriciens et practiciens français viennent se blottir au pied du nouveau trône, l'abeille valant dès lors bien le lys, à leurs yeux. Dans une doctrine qui a haussé la fidélité au niveau d'un véritable dogme, une infidélité aussi massive peut surprendre. C'est pour-quoi il convient de saluer la constance d'un J.G. Peltier qui, dès le premier jour de la Révo-lution, resta in-ébranlablement fidèle à ses idéaux contre-révolution-naires, sous le Directoire, le Consulat, l'Empire Š et à l'époque de la Restauration.

Il n'en demeure pas moins qu'à partir de 1815 la pen-sée contre-révolutionnaire, bien que privée de son "objet" révolutionnaire par la restauration et trahie dans certaines de ses exigences essentielles (à cette époque, en France, un monarchien de 1789 aurait presque passé pour un ultra)  (12) s'engagera sur des voies in-édites, de plus en plus souterraines à partir de 1830 et de plus en plus diffuses à partir de 1918. Ses doctrines, consti-tuées entre 1789 et 1799 ne meurent pas, elles se transforment en un terreau fécond qui vivifie, souvent sous des formes inédites, le champ de la pen-sée politique. Invisibles comme l'oxygène, elle n'en nourrissent pas moins encore pour une bonne part cer-tains courants de la pensée conser-vatrice et réaction-naire, du romantisme au maurrasisme, en passant par un Proudhon et un Bakounine. Et c'est la raison pour laquelle les rares individus qui se désignent au-jourd'hui encore comme contre-révolutionnaires ne désespèrent pas de vivre un jour la Restauration totale et universelle ‹qui coïncidera avec la vraie révélation du projet de Dieu, selon la formule de l'essayiste co-lombien ultra-catholique, Nicolás Gómez Dávila: "Lorsqu'un réactionnaire parle d'une "inéluctable res-tauration", il convient de ne pas oublier que le réac-tionnaire compte en millénaires" (13).
 

Jean-Jacques LANGENDORF.

Notes

1) Nous n'envisageons ici la contre-révolution que sous son as-pect théorique, et laissons de côté la contre-révolution en acte (Toulon, Lyon, Vendée, guerres des coalisés contre la Révolu-tion, etc.). Les liens entre la contre-révolution pratique et la théo-rique ont été extrêmement ténus. Une sorte de pont a toute-fois été établi entre les activistes et les théoriciens par des gens comme Antraigues ou Mallet-Du Pan chargés de missions se-crètes ou officielles. Si l'on veut pousser les choses à l'extrême, on peut dire que le seul écrivain contre-révolutionnaire qui ait eu une influence directe ‹d'ailleurs, a contrario‹ sur les événe-ments fut le marquis de Limon, rédacteur du Manifeste du duc de Brunschwick,  ce texte étant en partie à l'origine de la fatale jour-née du 10 août 1792, qui vit la chute de la monarchie!!!
2) Cf. C. Lucas, "Résistances populaires à la révolution dans le Sud-Est", in Mouvements populaires et Conscience sociale (XVIe - XIXe siècles),  Actes du col-loque de Paris, 24-26 mai 1984, Pris, 1985, pp. 473-488.
3) C'est précisément le titre choisi par le colloque de Rennes, 17-21 septembre 1985: Les résistances à la révolution,  Paris, 1987.
4) On doit entre autres à Mirabeau-Tonneau une Lanterne ma-gique nationale  (Paris, 1790), qui fustige avec humour et cruauté les nouvelles m¦urs "parlementaires", telles qu'elles se dévelop-pent au sein de la Constituante. C'est cette brochure qui a inspiré le titre de cet article.
5) Lorsque je me promène dans la France actuelle, je ne peux m'empêcher de sourire devant les frontons des Palais de Justice et des prisons ornés de l'inscription "Liberté - Egalité - Fraternité", alors qu'on devrait lire "Justice" sur les premiers, et "Expiation" sur les seconds.
6) The French Revolution Seen from the Right. Social Theories in Motion, 1789-1799.  Transactions of the American Philoso-phical Society, vol.46, February 1956, PP. 3-122.
7) Nous aurions pu prolonger cette liste presque ad libitum.  Ajoutons seulement qu'en défendant la monarchie et l'Eglise le contre-révolutionnaire a aussi le sentiment de défendre l'universalité contre le patriotisme chauvin, donc particulariste, des révolutionnaires.
8) Le travail de certains historiens contribuera également à nour-rir les sentiments contre-révolutionnaires des Allemands. Il convient de mentionner ici les Historische Nachrichten und poli-tische Betrachtungen über die französische Revolution  du Suisse C. Girtanner, publication périodique commencée  en 1794, en fait une collection de matériaux, qui dévoile impitoyablement les crimes de la Révolution.
9) Si l'Espagne n'apparaît pas dans ce concert contre-révolution-naire, c'est parce qu'une stricte censure allait jusqu'à interdire toute mention, même négative, de la Révolution.
10) Dans Le vocabulaire politique et social en France de 1861 à 1872 à travers les ¦uvres des écrivains, les revues et les jour-naux,  Paris, 1962, p.55, J. Dupuis montre qu'à partir de 1869 les termes "contre-révolution/contre-révolu-tionnaire" cèdent le pas à "réaction" et "réactionnaire", précisément à une époque où l'ère de la révolution fran-çaise est considérée comme achevée.
11) N. Hampson, "La Contre-Révolution a-t-elle existé?", in Résistances à la Révolution,  op. cit., p. 462.
12) Mais on peut également assister au phénomène inverse. Dans son roman Les mouchoirs rouges de Cholet  (Paris, 1984), Mi-chel Ragon montre fort bien comment les Vendéens les plus ar-demment contre-révolutionnaires, qui sous la restauration ne ces-sent d'exiger un retour aux conditions d'avant 1789, seront traités de révolutionnaires par les monarchistes.
13) N. Gómez Dávila, Einsamkeiten, Glossen und Text in ei-nem,  Wien, 1987, p. 147. 
 

13:03 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook