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vendredi, 13 avril 2007

Subhas Candra Bose and India's Independance

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Subhas Chandra Bose 
& India's Independence

excerpts from Mihir Bose's enthralling

"The lost hero : a biography of Subhas Bose "

published by Quartet Press, 1982 (ISBN 0-7043-2301-X)
 

http://www.tamilnation.org/ideology/bose.htm

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Subhas Chandra Bose et l'armée nationale indienne

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Ranjan BORRA

Subhas Chandra Bose, l'armée nationale indienne et la guerre de libération de l'Inde

http://library.flawlesslogic.com/bose1_fr.htm

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mercredi, 11 avril 2007

Sur la contre-révolution blanche en Russie

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Notes sur la Contre-Révolution “blanche” en Russie

Carl Gustav STRÖHM

«Tout finira pas disparaître - souffrances, passions, sang, famine et la mort en masse. L'épée disparaîtra, mais les étoiles brilleront encore quand il ne restrera même plus une ombre de nos corps et de nos actes sur la Terre. Pas un homme ne l'ignore. Alors pourquoi ne voulons-nous pas diriger nos regards vers cela? Pourquoi?» (Mikhaïl Boulgakov, La Garde Blanche, Moscou, 1923/24).

L'histoire est généralement écrite par les vainqueurs. Les vaincus des affrontements historiques restent nuets, parce qu'ils ont été annihilés et, même, quand, plus tard, ils finissent par prendre la parole ou par écrire, on ne prête plus attention à eux. C'est le sort qui a été infligé au “mouvement blanc” ou à la “contre-révolution blanche” en Russie, qui a tenté, au cours des années de guerre civile, de la fin de 1917 jusqu'à octobre 1920, de s'opposer à la prise du pouvoir par les communistes (les bolcheviques). Les Blancs avaient réussi à enregistrer d'étonnants succès militaires et à lancer des offensives qui ne se sont enlisées qu'à proximité de Moscou ou de Petrograd. Sous le commandement d'officiers de l'Armée du Tsar, les troupes blanches, composées de volontaires anti-bolcheviques, se sont regroupées, après le coup de force de Lénine, en plusieurs groupes d'armées: ceux du Nord-Ouest sous les ordres du Général Youdenitch, ceux de Sibérie sous l'Amiral Koltchak et ceux du Sud, sous les ordres du Général Dénikine d'abord, puis après son échec et sa démission, sous le Général Wrangel. C'était au départ de petites unités, peu nombreuses  —par exemple l'armée des volontaires du Sud ne comptait pas plus de 3000 hommes en février 1918, mais ses rangs se sont étoffés progressivement jusqu'en 1919, pour monter à plusieurs centaines de milliers d'hommes—  mais elles ne se sont pas recrutées, comme l'affirment péremptoirement les légendes de la gauche, dans les rangs des “réactionnaires et des grands propriétaires terriens”. Dans son roman Le Docteur Jivago,  Boris Pasternak décrit l'attaque d'une unité blanche contre des partisans bolcheviques, chez qui Pasternak, médecin, avait été contraint de servir. Qui étaient ces Blancs? Jivago dit reconnaître dans les visages des attaquants les traits des hommes de sa propre caste sociale: «C'était, pour la plupart, des garçons et de jeunes hommes issus de la bourgeoisie de la capitale, flanqués de quelques hommes plus âgés, qui avaient été enrôlés à titre de réservistes. Mais le gros de la troupe était composé de jeunes, d'étudiants, qui n'avaient derrière eux qu'un seul semestre à l'université, ou de lycéens de la 8ième classe qui venaient tout juste de se porter volontaires. Le Docteur (Jivago) n'en connaissait aucun; mais leurs visages lui paraissaient familiers, comme s'il les avait déjà vu auparavant. Beaucoup lui rappelaient d'anciens camarades de classe... Il croyait déjà en avoir rencontré d'autres au théâtre ou en déambulant dans les rues. Il se sentait apparentés à leurs visages impressionnants, sympathiques. Leur jeunesse et leur haute idée du devoir avaient fait naître en eux un profond enthousiasme, ce qui les avait conduit à l'héroïsme, au mépris du danger. Ils fonçaient en avant, en ordre de bataille, droits et fiers, plus intrépides que les officiers de la Garde; ils se riaient du danger et ne cherchaient pas à l'éviter en courant plus vite. Le docteur était sans arme, couché dans l'herbe, et observait le déroulement du combat. Il était de cœur aux côtés de ces jeunes gens qui marchaient vers la mort en héros. Presque tous appartenaient à des familles spirituellement proches de lui. Ils avaient été éduqués comme lui, ils étaient proches de lui par leur attitude éthique...» (Boris Pasternak, Le Docteur Jivago).

Si Pasternak, dans ce passage, dresse un monument aux classes moyennes russes, comme contre-poids au bolchevisme, d'autres témoins contemporains confirment ses sentiments. Un officier, qui a participé à la guerre civile en servant sous les ordres de l'Amiral Koltchak, écrivit, bien des années plus tard, que l'officier de l'armée impériale russe était “psychologiquement plus proche des simples paysans-soldats que les intellectuels socialistes ou communistes” (cf. Fedotoff-White, The Growth of the Red Army).

La plupart des chefs militaires de la contre-révolution blanche venaient de milieux socialement très modestes. Le Général Anton Ivanovitch Dénikine  —Commandant-en-chef de l'armée des volontaires dans le Sud de la Russie—  était issu d'une famille de serfs. Son père, non libre à sa naissance, était devenu, après la libération des paysans, officier subalterne. Dénikine insistait toujours pour dire qu'il était devenu général de l'armée impériale russe par ses propres efforts et non pas par naissance, fortune ou relations. Il est intéressant de noter que Dénikine n'était pas un monarchiste acharné. Il ne tolérait pas la propagande monarchiste dans ses troupes et utilisait plutôt la formule de “la Grande Russie, unie et indivisible”, qu'il s'agissait d'arracher aux griffes des bolcheviques.

Tout comme Dénikine, l'Amiral Koltchak était un officier de métier sans fortune, et aussi un explorateur polaire bien connu à son époque; il sera trahi par les légionnaires tchèques de l'ancienne armée du Tsar et livré aux communistes qui l'exécuteront. Le seul baron parmi les chefs militaires blancs était le Général Piotr Nikolaïevitch Wrangel, mais il n'avait pas non plus de fortune personnelle. Son père était directeur d'une compagnie d'assurances à Rostov sur le Don. Sa famille ne possédait qu'une propriété foncière très modeste. Au départ, Wrangel aurait dû devenir ingénieur des mines. Il a changé ses plans et opté pour la carrière d'officier.

Notre objectif, dans cet article, n'est pas de relater les exploits militaires, les victoires et les défaites des Blancs. La critique du mouvement blanc a été déjà maintes fois formulée: les chefs de l'armée blanche, souligne-t-on souvent, étaient trop “impolitiques” et ne comprenaient pas la dimension idéologique de leur combat contre les communistes. Les Blancs opéraient depuis la périphérie contre le centre, fermement aux mains des bolcheviques et de Lénine. Les actions des Blancs étaient insuffisamment coordonnées voire manquaient totalement de coordination. L'orientation “grande-russe” du mouvement blanc suscita des conflits avec les mouvements anticommunistes non russes visant l'indépendance des nations périphériques du Caucase, de l'Asie centrale et des Pays Baltes.

Quoi qu'il en soit, on peut poser la question aujourd'hui, après tant de décennies, après que les acteurs de l'époque soient tous descendu dans la tombe: une victoire blanche sur les Rouges dans la Russie d'alors aurait-elle préservé l'humanité d'une succession de souffrances inutiles? Les Russes et les ressortissants des autres nations tombées ultérieurement sous la coupe des Soviétiques auraient-ils échappé au goulag? Il est même fort probable que bon nombre de communistes, massacrés pendant les grandes purges de Staline, épurés, auraient plutôt survécu sous un régime blanc, non communiste, que sous l'emprise de leur propre idéologie.

Les communistes et les historiographes de gauche évoquent souvent la “terreur blanche”, qui aurait fait rage pendant la guerre civile. Indubitablement, des excès ont été commis dans les deux camps, chez les Blancs comme chez les Rouges: c'est le lot de toutes les guerres civiles. Mais la terreur, au départ, n'a pas été déclenchée par les Blancs, qui ne possédaient pas d'instruments de terreur, à l'instar de la Tcheka, créée par Lénine, c'est-à-dire la “Commission extraordinaire pour la lutte contre la contre-révolution”, qui a précédé la GPU, le NKVD et le KGB. Beaucoup d'officiers blancs étaient choqués par l'extension de l'anarchie, de la brutalité, par la multiplication exponentielle des assassinats pendant la guerre civile russe. Ainsi, l'un des principaux commandeurs des troupes blanches, le Colonel Drosdovski, écrivit le 25 mars 1918 dans son journal: «Comme les hommes sont détestables quand ils ont peur, ils sont alors sans la moindre dignité, sans style, ils deviennent vraiment un peuple de canailles qui ne mérite plus que le mépris: ils sont sans vergogne, sans pitié, ils méprisent scandaleusement ceux qui sont sans défense; dans les prisons, ils ne connaissent plus de retenue dans leur déchaînement et leur méchanceté, mais devant les plus forts, ils sont lâches, serviles, rampants...».

La Crimée, dernier bastion

Après l'échec de toutes les tentatives blanches de marcher sur Moscou, les forces anticommunistes n'avaient plus qu'un dernier refuge au début de 1920: la Crimée, presqu'île de la Mer Noire. C'est justement dans ce dernier bastion, dans cette “Ile de Crimée”, qu'on a pu observer l'ébauche d'une alternative russe au communisme totalitaire. Homme de droite, le Général Baron Wrangel, qui prit le commandement en Crimée après la défaite et la retraite des troupes blanches, a montré qu'il n'était pas seulement un chef d'armée capable, mais aussi un chef politique. C'est lui qui a dit qu'il “fallait mener une politique de droite avec une main de gauche”. Wrangel déclara que «la Russie ne pouvait plus être libérée par l'effet d'une campagne victorieuse des Blancs et par la prise de Moscou, mais par l'organisation politique d'une parcelle  —même modeste—  de terre russe où régnerait un ordre, offrant des conditions de vie telles qu'elles séduiraient les hommes croupissant sous le joug des Rouges».

Caractéristique de la position politique de ce général blanc est l'appel qu'il a lancé en juin 1920 et qui mérite d'être cité in extenso:

«Ecoute, ô peuple de Russie! Pourquoi combattons-nous? Pour la foi qu'on nous a souillée et pour les autels que l'on nous a profanés. Pour la libération du peuple russe du joug des communistes, des vagabonds et des criminels qui ont complètement ruiné la Sainte Russie. Pour la fin de la guerre civile. Pour que les paysans, qui ont acquis la terre qu'ils cultivent de leurs mains, puissent poursuivre leur travail en paix. Pour que le travailleur honnête ne doive pas végéter misérablement au soir de sa vie. Pour qu'une vraie liberté et une vraie justice puissent régner en Russie. Pour que le peuple russe puisse choisir lui-même, par élection, son souverain. Aide-moi, ô peuple russe, à sauver la patrie!».

Mis à part le terme “souverain”, qui pourrait être mésinterprété, un “souverain” que le peuple russe serait appelé à élire, nous avons affaire ici à un programme qui respecte les critères de l'Etat de droit, mais dans une optique conservatrice. Mais la formule de “souverain” prend une autre connotation quand on la découvre dans le texte original russe: en effet, ce texte utilise l'expression de “khosyaïn” qui, traduit, signifie aussi “maître de maison”, “hôte” et “chef naturel”. Wrangel a souligné à maintes reprises qu'il ne s'envisageait nullement comme le “khosyaïn” de la future Russie. Le Général blanc a formulé ce qu'il envisageait comme forme étatique pour la future Russie non communiste: «De l'autre côté du front, au Nord, règnent l'arbitraire, l'oppression, l'esclavage. On peut être d'avis différent quant à l'opportunité de telle ou de telle forme d'Etat. On peut être un républicain, un socialiste ou même un marxiste extrême et considéré malgré tout que la dite “république des soviets” est l'exemple parfait d'un despotisme calamiteux, qui n'a encore jamais existé dans l'histoire et sous le knout duquel non seulement la Russie mais aussi la nouvelle classe soi-disant au pouvoir, le prolétariat, va périr. Car cette classe, elle aussi, comme tout le reste de la population, a été mise au tapis».

Cette analyse du Général Wrangel date de 1920 mais, après 70 ans, elle reste étonnamment pertinente et actuelle. Wrangel a dit, dans le programme alternatif qu'il opposait au bolchevisme: «Bien-être et liberté pour le peuple; introduction des sains principes de l'ordre civil dans la vie russe, c'est-à-dire de principes étrangers à la haine entre classes ou entre nationalités; union de toutes les forces de la Russie et poursuite du combat militaire et idéologique jusqu'au moment tant attendu où le peuple russe pourra décider lui-même comment la Russie devra dans l'avenir être gérée».

Le Général a évoqué l'“ordre minimal” qu'il voulait instauré dans les territoires qu'il viendrait à contrôler, “afin que le peuple, s'il le souhaite, puisse s'assembler librement et dire sa volonté en toute liberté”. A quoi le commandeur blanc ajoutait: “Mes préférences personnelles n'ont aucune importance. Au moment où j'ai pris le pouvoir entre les mains, j'ai mis à l'arrière-plan mes affinités personnelles à l'endroit de telle ou telle forme étatique. Je m'inclinerai sans condition devant la voix de la Terre russe”.

Face au monarchiste V. Choulguine, Wrangel énonçait les objectifs de sa politique: il voulait, disait-il, sur le territoire de la Crimée, “sur ce petit bout de terre, rendre la vie possible... En un mot,... montrer au reste de la Russie: vous avez là le communisme, c'est-à-dire la faim et la police secrète, et, ici, chez nous, vous avez une réforme agraire, nous avons introduit l'administration locale autonome (la semstvo),  nous avons créé l'ordre et rendu la liberté possible... Je dois gagner du temps, afin que tous le sachent et voient que l'on peut vivre en Crimée. Alors il sera possible d'aller de l'avant... Alors les gouvernements que nous prendront aux bolcheviques deviendront pour nous une source de puissance...».

L'héritage de Stolypine

Dans sa réforme agraire et dans la concrétisation de l'administration autonome, le Général Wrangel s'est inspiré du grand réformateur conservateur de l'époque du Tsar, le Premier Ministre Piotr Arcadéëvitch Stolypine, victime en 1911 à Kiev d'un attentat perpétré par un révolutionnaire, qui était aussi au service de l'Okhrana, la police secrète du régime tsariste. L'un des plus proches conseillers politiques de Wrangel venait de l'entourage immédiat de Stolypine, c'était Alexandre Vassiliévitch Krivochéine, mort en 1921. Krivochéine était d'origine paysanne. Son grand-père l'était. Son père était devenu Lieutenant-Colonel dans l'armée. Sous Stolypine, Krivochéine s'était penché sur les problèmes de la réforme agraire. Il voulait surtout renforcer économiquement et socialement les positions des paysans russes libres, aisés et industrieux. Dans un certain sens, Wrangel a poursuivi les réformes de Stolypine en Crimée. L'objectif de Stolypine, avant sa mort violente en 1911, avait été de couper l'herbe sous les pieds des révolutionnaires en pratiquant une politique de la propriété intelligente et modérée et en créant une caste moyenne solide composée de paysans.

Le deuxième conseiller important de Wrangel, qui fut de facto son “ministre des affaires étrangères”, était Piotr Berngardovitch Struve. Au départ, Struve était marxiste, mais redevint plus tard orthodoxe, ce qui contribua à faire de lui un conservateur et un nationaliste russe éclairé. Struve a défendu la cause de Wrangel et celle de la “Crimée blanche” auprès des alliés occidentaux, les Britanniques et les Français, que devaient évidemment solliciter les “forces combattantes de Russie méridionale”. Mais les négociations avec les Français et les Britanniques ont été décourageantes et humiliantes pour les Blancs: Paris posait des conditions pour accorder son aide militaire et pour livrer des vivres, notamment essayait d'obtenir de Wrangel qu'il promette de rembourser les dettes que l'Empire russe avait contractées auprès de la France. Les Britanniques en avaient assez de la guerre civile russe dès 1919. Ils menaçaient Wrangel de mettre un terme à toutes leurs aides et d'abandonner les Russes anti-communistes à leur sort, si l'armée blanche osait lancer une offensive contre les Soviétiques. Beaucoup d'officiers de l'armée blanche soupçonnaient alors les puissances occidentales, et surtout les Britanniques, de n'avoir pas d'autre intérêt que de laisser les Russes s'entretuer dans une longue guerre fratricide et de ne pas vouloir accorder aux Blancs une aide substantielle, car, disaient-ils, l'Occident ne voulait pas d'un régime fort non communiste en Russie.

Dans les premiers jours de novembre 1920, les Rouges attaquèrent avec des forces nettement supérieures en nombre l'ultime bastion “Crimée”. Wrangel, à ce moment-là, venait encore de se rendre utile à l'Occident ingrat: pendant la guerre polono-soviétique, il a mobilisé en face de lui des troupes rouges si bien qu'en été 1920, l'armée rouge, aux portes de Varsovie, fut contrainte, faute d'effectifs suffisants, à reculer et à se replier, lors du fameux “miracle de la Vistule”. Après la fin de la guerre polono-soviétique, le gouvernement de Lénine lança immédiatement toutes les forces rouges disponibles contre la Crimée. La percée soviétique à travers l'isthme de Perekop décida du sort de Wrangel et des Blancs: toutefois, le dernier des commandeurs blancs réussit encore à sauver 145.693 personnes, soldats et civils, en les embarquant sur des navires qui mirent le cap sur Constantinople. C'est ainsi que commença la première grande émigration russe. Dans une dernière allocution prononcée sur le sol russe devant des élèves-officiers, Wrangel déclara le 1 novembre 1920 à Sébastopol: «Abandonnée par le monde entier, notre armée exsangue quitte la patrie, après avoir combattu non pas seulement pour notre cause russe, mais pour la cause du monde entier. Nous partons pour l'étranger, non pas comme des mendiants qui tendent la main, mais avec la tête haute, conscients d'avoir accompli notre devoir jusqu'au bout».

Dans un entretien accordé au journal Velikaïa Rossiya (La Grande Russie), qui paraissait sur le “territoire libre”, Wrangel avait déclaré le 5 juillet 1920: «L'histoire honorera un jour le sacrifice et les efforts des hommes et des femmes russes en Crimée, car, dans la solitude la plus complète, sur le dernier lambeau libre de la Terre russe, ils ont combattu pour le bonheur de l'humanité et pour les lointains bastions de la culture européenne. La cause de l'armée russe de Crimée, c'est de se constituer en un grand mouvement de libération. Nous combattons une guerre sainte pour la liberté et pour le droit».

Et, à l'époque, Wrangel fut prophétique: tant qu'il n'y aura pas en Russie une “véritable puissance étatique”, de quelque orientation que ce soit, une puissance reposant sur l'“aspiration pluriséculaire de l'humanité à vivre sous une loi, à bénéficier de droits personnels et de propriété” et sur “le respect des obligations internationales”, il n'y aura pas de véritable paix en Europe.

Emigré en Yougoslavie, Wrangel est mort en 1928. Son corps fut enseveli dans la petite église russe de Belgrade. Quand les communistes prennent le pouvoir en Yougoslavie, la pierre tombale et l'inscription sont recouvertes d'un tableau.

Carl Gustav STRÖHM.

(article tiré de Criticón n°115, sept.-oct. 1989).

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lundi, 09 avril 2007

El Reino de Tudmir

El Reino de Tudmir y la dinámica expansionista musulmana

por J. Martín Quintana / www.arbil.org

La batalla de Guadalete del año 711 marca el final del Reino visigodo de Toledo, así como el nacimieno de nuevas formaciones políticas y culturales en la Península Ibérica. Sin embargo, a pesar de la profunda crisis política, económica, social y moral que sacudía al Reino visigodo y del rápido derrumbamiento de las estructuras políticas y militares, resultado de una creciente disolución institucional y territorial del reino, no podemos hablar de una ruptura radical: La conservación durante siglos de diversos elementos culturales y jurídicos, desde Córdoba a León, y desde Toledo a Barcelona, puede servir de elocuente testimonio de ello. Pero uno de los casos más reveladores en este sentido, es la pervivencia durante casi medio siglo del llamado Reino de Tudmir.

A fin de enmarcar un poco mejor el contexto en el que se enmarca la constitución de tal formación política, no está de más recordar aquí, siquiera sucintamente, los acontecimientos que condujeron a la batalla de Guadalete y con ella, al final del Reino visigodo de Toledo.

 

A principios del año 710 fallecía el rey Witiza, reuniéndose el concilio o asamblea de nobles laicos y eclesiásticos para proceder, conforme a lo establecido en los concilios del S. VII, a la elección de un nuevo monarca, siendo honrado con tal ministerio Rodrigo, quizás duque de la Bética.

 

Sin embargo, el clan witizano, liderado por Oppas y Sisberto, hermanos del anterior monarca, esperaba que fuera uno de los hijos de Witiza el que se sentara en el trono toledano, por lo que, contrariados, recurrieron al legendario conde D. Julián de Ceuta, para que se pusiera en contacto con los poderosos árabes de Kairwán, con cuya ayuda esperaban elevarse al poder a cambio de cederles alguna cantidad de oro o quizás las propiedades de sus adversarios.

 

Sea como fuere, aprovechando que el rey Rodrigo se encontraba en campaña contra los díscolos vascones, Tarik, lugarteniente de Muza, procedió a desembarcar sus tropas en la zona de Gibraltar, ante lo cual, el ejército real emprendió la marcha hacia el sur, encontrándose a orillas del Guadalete con las tropas musulmanas, momento en el que  los witizanos consumarían su traición, al huir y dejar expuestos los ejércitos leales al rey.

 

El inesperado y contundente éxito de las fuerzas musulmanas, abría las puertas de Hispania a unos ejércitos que pasaron de ser aliados de una facción rebelde, a ser invasores del reino, dado que es de suponer que los witizanos esperaban entrar en Toledo para coronar como monarca a uno de los suyos, si bien hubieron de conformarse con las tierras que formaban parte del patrimonio regio y algunos cargos de importancia, aunque en la práctica inoperativos, como la sede primada de Toledo, que fue para Oppas, o el de «conde de los cristianos», cargos que sólo les daban cierta preeminencia sobre la que no era sino una población romano–goda sometida y degradada a la situación de dimmí.

 

Sorprendentemente, a diferencia de lo que ocurriera en tiempos de Atanagildo y Suíntihla, cuando los godos cerraron filas frente a unos amenazadores bizantinos y francos llamados por una facción rebelde, en 711 los witizanos colaboraron de manera activa con los musulmanes, lo que ha llevado a algunos personajes a afirmar que nunca se produjo invasión ni conquista musulmana alguna1.

 

Ciertamente, la debilidad institucional, el grave deterioro de la situación económica, social y moral, la división interna y el proceso de disolución territorial, contribuyeron decisivamente a que el avance musulmán fuera más rápido y cómodo, pero no podemos ignorar que los musulmanes estaban interesados en Hispania mucho antes incluso de que Witiza muriera: Ya en 682, Uqba ben Nafi al–Fihri, fundador de Kairwán, pregunta al conde Don Julián sobre las posibilidades de pasar a Hispania, y poco antes de la definitiva invasión de 711 se contabilizan hasta cinco importantes incursiones en la zona de Algeciras. Aunque Chalmeta considera que la invasión del Reino visigodo de Toledo responde más bien a una iniciativa personal de Tariq, lo cierto es que éste mismo autor señala: “Obsérvese la absoluta coincidencia entre las campañas occidentales y orientales, reveladoras de que estámos ante la aplicación local de una dirctriz general: la política expansionista de Walid”2, tendencia que sólo se ve paralizada cuando estallan luchas intestinas en el seno del Imperio islámico, reactivándose con más fuerza cuando se alcanza de nuevo la estabilidad política.

 

Emilio Cabrera, por su parte, nos da una intersante clave para conocer los auténticos proyectos de los musulmanes con respecto a Hispania: “Las campañas de los musulmanes en el norte de África (con la conquista de Cartago y, posteriormente, de la Península Ibérica) son, en gran parte, el resultado de una nueva orientación estratégica como consecuencia de su fracaso ante los muros de Constantinopla”3. Es de nuevo Chalmeta el que asevera que “el problema esencial que se plantea entonces, por todo el orbe musulmán, será una cuestión de reajuste entre las tropas y el fluir contínuo de nuevos inmigrados árabes”.

 

Efectivamente, y a tenor de la carrera expansionista cuyos inicios, por qué no, podríamos ya situar en torno al año 624, – cuando los partidarios de Mahoma atacaron una caravana de comerciantes en Najla4 – resulta, cuanto menos, fuera de lugar considerar que las actividades llevadas a cabo desde 711 hasta 732 no constituyeron acciones de naturaleza conquistadora. La necesidad de obtener botín, esclavos y tierras donde asentar a las belicosas tribus y guerreros que se habían ido sumando a los conquistadores desde Arabia a la Tingitana, precisaba de nuevas conquistas en una dinámica que se retro–alimentaba de manera contínua, de manera que, cada conquista exigía la invasión de nuevas tierras, y como los musulmanes no pudieran progresar por Anatolia o Grecia, decidieron reorientar su eje de avance hacia el Norte de África, en dirección a Ifriqya y Tingitana, y desde allí hacia la Hispania visigoda y la Galia franca.

 

No obstante, aunque ciertamente los árabes contaron con la activa colaboración de diversos elementos de la población o al menos con su indiferencia, también se dieron numerosos casos de numantina resistencia, siendo uno de los casos más destacados el de Mérida, que resistiría el asedio musulmán hasta el año 713. Pero el caso más fascinante es, sin duda, el del dux Tudmir o Teodomiro .

 

La primera referencia que tenemos relacionada con éste personaje nos la ofrece la Crónica Mozárabe, que según algunos autores pudo estar escrita en Murcia, donde se señala5 que en 697 y 698 Teodomiro, como dux o gobernador militar de Murcia, habría rechazado sendas incursiones bizantinas en el contexto de la lucha que mantenían con los árabes por Cartago6. Lo cierto, es que no era la primera vez que ésta zona se veía sacudida por ataques bizantinos, bereberes o musulmanes, por lo que es de preveer que allí habría una importante concentración de tropas. De hecho, Orlandís señala que algunas provincias tendrían un “peculiar carácter castrense”7, de manera que al frente de las mismas estaría un dux al mando de un fuerte contingente militar, lo que explicaría la capacidad de resistencia del duque Teodomiro.

 

Efectivamente, Teodomiro habría logrado salir victorioso en varios encuentros habidos con las huestes musulmanas, dirijidas por los hijos de Muza, Abd–el–Aziz y Abd–Allah, pero dado que sus posibilidades para reponer tropas o recursos estarían más bien limitadas en comparación con la capacidad del Imperio musulmán, el duque visigodo se vio forzado a negociar finalmente con los musulmanes, suscribiendo en 713 un pacto con Abd–el–Aziz, pacto que se ha venido conociendo como Pacto de Teodomiro, cuyo texto ha sido objeto de  variadas traducciones y diversas interpretaciones.

 

Siguiendo la traducción de Simonet, el cual sigue la versión del Diccioanrio biográfico de al–Dabbí, Teodomiro se habría sometido a capitular, “aceptando el patronato y la clientela de Dios y la clientela de su Profeta (...) con la condición de que no se impondrá dominio sobre él ni ninguno de los suyos; que no podrá ser cogido ni despojado de su señorío (...)”.

 

Felipe Maíllo Salgado, por su parte, siguiendo a Ibn Idarí, traduce “los suyos”, como «súbditos» de Teodomiro, lo cual implicaría una noción de soberanía, y en consecuencia, que el dux murciano no habría sido despojado de su dominio. No obstante, quizás el pacto se esté refiriendo a las propiedades particulares del duque y los magnates de la zona, y no tanto al territorio como entidad administrativa o jurisdiccional.

 

Lo cierto es que el texto parece hacer de Teodomiro un protegido sujeto a chizya, la capitación pagada por los dimmíes. Sin embargo, Alfonso Carmona González considera que este pacto constituye un documento de sulh que “según la legislación islámica significa «un pacto mediante el que se llega a la eliminación del conflicto», y desde el punto de vista político, «supresión de la guerra de acuerdo con unas condiciones estipuladas»8.

 

¿Estámos, por tanto, ante una capitulación o más bien ante una especie de armisticio?. El caso de Ifriqiya, por cercanía en el tiempo y el espacio, puede ser sumamente significativo: Tras ser derrotadas en el campo de batalla las tropas bizantino–bereberes al mando del gobernador Gregorio, los musulmanes someten a asedio a al–Djem que sólo es levantado al concluir “una tregua o suhl con Ibn Abi Sarh, entregando una capitación anual de 300 quintales de oro (...) a cambio de que (los musulmanes) se retirasen del país”9 lo que, efectivamente hicieron.

 

Tenemos, pues, que el establecimiento de un sulh y la exigencia de tributos, no implica la imposición de la soberanía califal y ni siquiera la ocupación del territorio, de manera que en el caso de Tudmir, podríamos estar más ante una tregua que ante una capitulación y que, por lo tanto, no estámos ante un transpaso de soberanía.

 

Además, la imposición de tributos es una práctica que vemos desde los tiempos de las invasiones bárbaras del Imperio Romano: El emperador bizantino Constantino IV, por ejemplo, se vio obligado a pagar tributo a los búlgaros, pero no por eso dejaba de ser soberano. Los reyes leoneses de la segunda mitad del S. X también se vieron obligados a pagar tributo al poder califal, y después al amirí, quedando degradado León a la condición de protectorado, pero no dejaba de ser por ello una entidad política soberana.

 

Por su parte, el hecho de que el pacto estipule que Teodomiro no podrá ser despojado de su señorío, implica una profunda diferencia con la figura del conde de los mozárabes que había en Córdoba: Éste no es más que un intermediario entre el poder musulmán y los súbditos cristianos, no pasa de ser un representante de la comunidad mozárabe y un perceptor de impuestos para el gobernante musulmán, un funcionario cuyo cargo está a disposición del valí, emir o califa. Su jurisdicción afecta exclusivamente a los cristianos, de una manera personal, no territorial, y no podemos hablar de ejercicio de poder soberano sobre los mismos, dado que el único soberano es el emir o el califa. Sin embargo, Teodomiro no parece ejercer un poder delegado, su cargo no está a disposición de las autoridades musulmanas, puesto que éstas no le pueden despojar de su señorío a voluntad, de manera que no es un mero representante de una comunidad sometida. 

 

El pacto explicita que su señorío, ese que no puede ser enajenado a voluntad por parte de las autoridades musulmanas, se extiende desde Alicante hasta Lorca y de Orihuela a Mula, de manera que su jurisdicción no parece limitarse a los individuos, sino que tiene un carácter territorial: ¿Podemos hablar entonces de un poder política y administrativamente autónomo con jurisdicción de carácter territorial y soberana?.

 

Ciertamente, Teodomiro no puede ser despojado de su señorío, siempre y cuando cumpla con una serie de cláusulas que condicionan sus relaciones exteriores, de manera que su soberanía queda mermada en la práctica, pero esto no implica que Teodomiro no ejerciera funciones soberanas, al menos como duque de Orihuela, de la misma manera que, por ejemplo, los emperadores romanos no dejaron de ser soberanos cuando los vándalos condicionaron coactivamente su sistema de alianzas.

 

De ser esto así, tendríamos que durante el S. VIII no hubo una única entidad política soberana libre del dominio musulmán y de cierta relevancia, sino dos, la cántabro–astur y la murciana, a cuyo frente se habrían puesto dos duques del que fuera Reino de Toledo, Alfonso y Teodomiro.

 

Sin embargo, el pacto sulh parece poseer un carácter provisional, estableciéndose por parte de los musulmanes cuando resulta imposible someter un territorio y hacerlo parte de Dar–al–Islam, en una concepción de relaciones intenacionales que nos recuerda a la taqiya en las relaciones personales: Cuando el equilibrio de fuerzas se decanta a favor del Islam, se considera lícito arremeter de nuevo contra el territorio protegido por el pacto, dado que dicho territorio no deja de ser Dar–al–hurb, territorio de guerra, un espacio que ha de ser incorporado al dominio islámico.

 

Además, el estallido de profundas tensiones internas y fuertes convulsiones políticas, étnicas, religiosas, sociales, etc. que sacudirán la recién conquistada al–Andalus a lo largo del S. VIII no contribuiría demasiado a salvaguardar la integridad de un pequeño y rico enclave cristiano pegado a los dominios musulmanes.

 

Efectivamente, a fin de sofocar la revuelta jarichí protagonizada por los berberiscos que se había extendido por el Magreb y al–Andalus, el Califa Hisham enviaría sus últimas reservas, las tropas del chund o distrito militar sirio, las cuales, tras la batalla del río Sebú (741), se vieron obligadas a refugiarse en Ceuta. En al–Andalus, mientras tanto, la situación era confusa: Tras la derrota de Poitiers y la muerte del virrey al–Gafiqí, Abd–el–Malik se había puesto al frente de las tropas, pero el califa de Damasco no le confirmó en el cargo, encargando a Uqba tomar posesión del valiato. Abd–el–Malik entonces aprovechó la presencia de las tropas sirias en Ceuta, que necesitaban víveres desesperadamente, para pactar con ellas: Abd–el–Malik les proporcionaría los anhelados víveres a cambio de ayuda para sofocar la revuelta y consolidar su poder, y la promesa de regresar al norte de África para terminar de sofocar la revuelta jarichí, a lo que los sirios accedieron encantados.

 

Sin embargo, una vez aplastada la revuelta berberisca en la Península, los sirios asaltaron Córdoba y proclamaron valí a su jefe, Balch, desatando una sangrienta represión e imponiendo un abusivo régimen. La oposición andalusí, formada fundamentalmente por yemeníes y muladíes, se vió obligada a pedir ayuda al gobernador de Kairwán, por cuya intermediación fue enviado Abu–l–Jattar, el cual, dotado de plenos poderes, se dispuso a organizar la que todavía era provincia de al–Andalus, empezando por aplacar a las díscolas tropas sirio–egipcias con el reparto de tierras y rentas entre las mismas, pero no con las tierras de los clanes y grupos de interés musulmanes cuyas luchas habían ensangrentado el suelo andalusí, sino proyectando las energías de todos ellos hacia fuera, hacia un enclave cada vez más débil, pero a la vez rico y fértil, y cuya condición de enclave cristiano neutralizaría todo recelo y agravio entre musulmanes.

 

Corría el año 743 y reinaba en Murcia Atanagildo, hijo de Teodomiro. Según Simonet, Teodomiro habría acedido a que una guarnición musulmana se estableciera en el castillo de Orihuela10, que servía de capital y residencia del duque, lo que indicaría una clara sumisión por parte de éste al poder musulmán. Sin embargo, más adelante afirma que el “egregio Príncipe Atanagildo [...] había ascendido con universal aprobación de patricios y plebeyos al trono fundado por su padre Teodomiro, muerto en 743”, de manera que su posición no parece depender de poder alguno, sino del apoyo de sus súbditos – especialmente de los magnates laicos y eclesiásticos, tal y como se había estilado en Toledo, así como del derecho sucesorio basado en el parentesco, tal y como se había intentado con desigual éxito durante el período visigodo –.

 

Que Atanagildo también administrara a placer las rentas propias, y lo que es más importante, las del Estado, refuerza la idea de que el rey de Orihuela era soberano, al menos si tenemos en cuenta que el conde de los mozárabes de Córdoba podía administrar algunas rentas pagadas por los miembros de su comunidad, pero no las del Estado. 

 

Pero, como dijimos más arriba, ésta situación dependía del equilibrio de fuerzas y la llegada de miles de sodados sirios y egipcios a la Península inclinaba decisivamente la balanza del lado musulmán: Es por esto que Abu–l–Jattar, ante la falta de buenas tierras donde instalar a las amenazadoras tropas orientales, resolvió unilateralmente asentarlas en la cuenca del Segura, es decir, en las tierras que formaban parte del reino de Orihuela. Aunque dichas tropas quedaban como aparceros de los cristianos, Atanagildo protestó ante lo que consideraba una violación del pacto de 713, pero en esos treinta años las cosas habían cambiado y ahora los musulmanes habían reforzado su poder, de manera que, aunque el califa Suleymán confirmó el pacto,11 el valí impuso a Atanagildo una cuantiosa multa que dejaba a las claras la expuesta posición del reino cristiano12; Y es que, como señala Dozy13, “cuando los árabes vieron asegurada su dominación, observaron los tratados con menos rigor que en la época en que su poderío estaba aún vacilante”14.

 

Sería, no obstante, una nueva conmoción en el seno del Islam, lo que habría de dar la puntilla final al Reino de Orihuela: En 750 triunfaba la sublevación de los abbasidas y Abu-l-´Abbas al–Safar fundaba un nuevo Califato, lo que produjo la huída del último Omeya, Abd–el–Rahman, a la que no había sido sino una alejada y semi–independiente provincia del Imperio, esto es, al–Andalus, donde el jóven Omeya fue proclamado emir a princpios de 756.

 

Sin embargo, las tensiones y conflictos entre distintos grupos de interés sacudían el país, situación que se vino a complicar con los intentos abbasidas de someter a la que había sido una provincia del Imperio y con la necesidad de Abd–el–Rahman de asegurar su posición: El Reino de Orihuela, todavía extenso, fértil y situado en una zona muy expuesta, iba a jugar un papel fundamental en el drama.

 

No es, seguramente, casualidad que en torno al año 778, Abd–el–Rahman ben Habib Al–Fihri, gobernador de Ifriqiya, escogiera las costas de Murcia para desembarcar sus tropas para, en nombre de los Abbasidas y coordinadas con las de Carlomagno, acabar con el último reducto omeya. Necesitado de aliados, es probable que Al–Fihri desembarcara en Murcia en calidad de tal, tratando con una entidad política más o menos soberana y autónoma y todavía lo suficientemente poderosa como para suponer un sensible debilitamiento de las fuerzas omeyas. A diferencia de otros líderes andalusíes que sólo representaban a grupos de interés clánicos, étnicos o religiosos, Atanagildo sería soberano de un territorio y por eso al–Fihri podía contar con una base territorial y de poder considerable y estable, a diferencia de la mayor parte de los líderes andalusíes cuyo poder se encontraba allí donde tenían a sus tropas y que dependía de fluctuantes alianzas e intereses.

 

Pero el fracaso de al–Fihri, supuso la ruina de Atanagildo, puesto que Add–el–Rahmán I consideró que el príncipe cristiano había transgredido el pacto de 715, al acoger a los enemigos de los Omeyas, por lo cual, “ocupó ciudades y fortalezas, desarraigó de allí las prepotentes familias cristians, y amarró a perpetuo y duro yugo las fértiles y un tiempo libres y venturosas comarcas del Segura, el año de 779”15, si bien todavía ciudades como Bigastro o Ello se resistieron durante largo tiempo a la dominación musulmana.

 

No obstante, la ocupación del Reino de Orihuela parece responder, no tanto a la denuncia del pacto, como a la nueva situación creada en al–Andalus con la llegada y proclamación como emir de Abd–el–Rahmán I, hecho que atrajo a gran cantidad de exiliados y clientes (maulas) orientales a la Península a los que había que instalar sin provocar conflictos con los grupos de interés musulmanes ya asentados: “Esa «sed de tierras», provocada por la necesidad de proveer al sustento de omeyas y mawali recién llegados de Oriente, implica un intento de recuperar todas las propiedades estatales [...] y no podía por menos que afectar a los protegidos (lo que supuso) la supresión del enclave de Tudmir/Atanagildo” 16.

 

El despojo sufrido por Ardabasto, descendiente de Witiza que, precisamente en virtud a un pacto de capitulación habría recibido numerosas propiedades, es una muestra de que Abd–el–Rahman no despojó a Atanagildo tanto por prurito legalista, como por necesidad de asentar a sus fieles y las bases de su poder a costa de unos cristianos que conservaban aún considerables propiedades, pero que no podían oponer resistencia a las decisiones del nuevo emir, tal y como se manifiesta en la forzosa conversión de la catedral de Córdoba en mezquita.

 

Es así como, el Reino de Orihuela, el último vestigio del Reino visigodo de Toledo, se incorporaba a Dar–al–Islam: «Permamsit regnum Gothorum annis CCCLXX; destructum est a Sarracenis»17

 

Ciertamente, la cuestión del reino de Teodomiro ha sido objeto de una antigua y profunda discusión por parte de los especialistas pero, sea como fuere, parece evidente que fue la propia dinámica expansionista y predatoria musulmana, las tensiones y divisiones internas que desgarraban al Islam andalusí y la necesidad de los dirigentes de al–Andalus de consolidar su poder mediante la proyección de las energías sobre la minoría débil, sobre “el otro”, es decir, sobre los mozárabes y las formaciones políticas cristianas, lo que condujo a la ruina de la última entidad política directamente ligada al Reino visigodo de Toledo, en una acción equiparable a la conquista del Reino musulmán de Granada de 149218, de manera que los “nuevos” witizanos deberían ser más prudentes a la hora de ensalzar a los “tolerantes” andalusíes y de cargar con las más negras tintas a los “oscurantistas conquistadores del Norte”, puesto que una y otra visión son, cuanto menos, matizbles.

 

·- ·-· -······-·

 

J. Martín Quintana

 

Notas [1] Aunque la siguiente consideración pueda ser juzgada como anacrónica, lo cierto es que, durante la II Guerra Mundial, la actitud witizana hubiera sido calificada como de colaboracionista y, como ocurriera con los partidarios de los alemanes en países como Francia, Bélgica o Noruega, habrían sido encarcelados y ahorcados por traición y colaboración con el invasor. No obstante, para los defensores de la penetración pacífica de los musulmanes en Hispania, resulta que la existencia, por ejemplo de un Vidkum Quisling implicaría que los alemanes jamás invadieron Noruega, y no digamos el caso de Petáin en Francia, que además había sido investido con todos los poderes por parte de un Parlamento legítimo y democráticamente elegido .

 

[2] Pág. 94, Chalmeta

 

[3] Pág. 86,  Cabrera

 

[4] Pág. 65, Vernet

 

[5] infra. Orlandís

 

[6] Pág. 264, Orlandís.

 

[7] Pág. 202, Orlandis

 

 [8] Pág. 5, Molina Rueda.

 

 [9] Pág. 80, Chalmeta

 

[10] Pág. 27, Simonet

 

[11]cifr. pág 200, Simonet

 

[12] Para Chalmeta, la posibilidad de hacer frente a tal pago indicaría que Atanagildo era un poderoso propietario, dando así por hecho que ese dinero provendría de ssu rentas particulares y no de la Hacienda estatal o ducal. 

 

[13] cit. por Simonet

 

[14] Pág. 201, Simonet.

 

[15] Fernández–Guerra, citado por Simonet en pág. 244

 

[16]Pág. 362 – 363, Chalmeta

 

[17] Pág. 245, Simonet

 

[18] No entro a valorar aquí la existencia de las construcciones ideológicas astur–leonesa y castellana relacionadas con la restauración del ordo gothico y la «recuperación de España», por las que se justificaría el concepto de Reconquista.

 

Bibliografía Álvarez Palenzuela, V.A. y Suárez Fernández, L. La España musulmana y los inicios de los reinos cristianos (711 – 1157) en Historia de España                Madrid            1991

 

Cabrera, E.      Historia de Bizancio                                                    Barcelona        1998

 

Chalmeta, P.    Invasión e islamización. La sumisión de Hispania y la formación de al–Andalus                                                                                               Madrid            1994

Molina Rueda, B. Aproximación al concepto de paz en los inicios del islam

Instituto de la Paz y los Conflictos   Universidad de Granada (en internet)

Orlandis, J.      Época visigoda (409 – 711) en Historia de España    Madrid            1999

 

Simonet, F.J.   Historia de los mozárabes de España  Madrid 1983

 

Vernet, J.         Los Orígenes del Islam  Madrid 1990

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D. Venner et les armées blanches

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Le regard de Dominique Venner sur le destin des Armées blanches

 

Pour la Russie et la Liberté,

Nous sommes prêts, nous les Kornilovtzy,

A nous jeter à l'eau,

A nous jeter au feu!

Marchons au combat, au sanglant combat!

Chant de marche des Volontaires, Campagne du Kouban, 1918.

Lors du cinquantième anniversaire du coup d'État bolchévique en 1967, on assista dans le monde entier, et tout spécialement en France, à une débauche de propagande et de bourrage de crâne en faveur du régime rouge: ce fut le délire, un délire soigneusement organisé, subsidié et contrôlé par les “Organes”. Combien d'intellos parisiens n'ont pas émargé aux fonds secrets soviétiques? Certains (les mêmes parfois) touchent aujourd'hui d'autres chèques...  Ainsi va (leur) monde... En réaction contre cette désinformation, il y eut le livre de Marina Grey et de Jean Bourdier consacré aux Armées blanches (Stock 1968, paru en Livre de Poche, n°5116). Marina Grey est la fille du Général Dénikine, qui commanda la fameuse Division de Fer lors de la Première Guerre mondiale: le Maréchal Foch et Churchill ont dit de lui qu'il avait contribué à la survie des Alliés sur le front ouest. Anton Dénikine, pourtant acquis aux idées libérales et critique à l'égard des insuffisances de Nicolas II, sera Régent de Russie et l'un des principaux chefs blancs.

Sa fille, née en Russie libre, a écrit une excellente évocation de l'épopée des Vendéens russes, ces rebelles qui, refusant la servitude et la terreur bolchéviques, se battent à un contre cent avec un panache extraordinaire. Cette étude écrite comme un roman, se fondait sur des archives privées d'émigrés, des revues parues en exil, à Buenos Aires, Paris ou Bruxelles (saluons au passage Sa Haute Noblesse feu le capitaine Orekhoff, éditeur à Bruxelles de La Sentinelle  et, en 1967, du Livre blanc sur la Russie martyre!),  des mémoires rédigés en russe par des officiers rescapés du génocide communiste (au moins dix millions de morts pour la Guerre civile). P. Fleming, le frère de Ian, avait signé un beau livre sur l'amiral blanc Koltchak et plus tard, Jean Mabire avait sorti la belle figure d'Ungern de l'oubli dans un roman, qui a marqué toute une génération. Mais les Blancs, malgré ces efforts, restaient des maudits, bien plus en Occident qu'en Russie occupée!

Vers 1980, un texte du samizdat russe expliquait que, dans les cinémas soviétiques des années 70, lorsqu'on montrait des Gardes blancs (vrais ou non, mais montrés du doigt comme des vampires), souvent les jeunes se levaient d'un bloc, sans un mot. Un de ces adolescents avait écrit à une revue émigrée, une superbe lettre ouverte aux derniers Blancs pour leur dire son admiration. La SERP nous offre toujours un bel enregistrement de marches de l'ancienne Russie et les Cosaques de Serge Jaroff nous restituaient les chants des Blancs... autrement plus beaux que les chœurs de la défunte Armée rouge qui, pourtant, avaient une classe indéniable par rapport aux misérables chansonettes des armées anglo-saxonnes qu'on tente de nous faire passer pour le comble du génie.

Mais voilà que Dominique Venner, déjà auteur d'une Histoire de l'Armée rouge (ouvrage couronné par l'Académie française), vient combler ce vide regrettable. Il s'attaque à la Guerre civile, épisode soigneusement occulté de l'histoire soviétique. L'hagiographie marxiste passait sous silence la résistance des Blancs, ou alors ne parlait que de “bandes” de réactionnaires au service du capital, etc. Venner s'est replongé dans cette époque tout compte fait mal connue: peu de livres en langue occidentale, censure générale sur le sujet (tabou dans les universités européennes, alors que les chercheurs américains ont publié pas mal de thèses sur les Blancs), et surtout blocage mental sur ces épisodes qui contredisent la version officielle des faits pour une intelligentsia européenne qui subit encore une forte imprégnation marxisante, souvent inconsciente: une résistance populaire à la “révolution” communiste ne va pas dans le “sens de l'histoire”! Comme le dit justement Gilbert Comte dans le Figaro littéraire du 6 novembre 1997: «Triste modèle des démissions de l'intelligence, quand l'histoire écrite par les vainqueurs devient la seule qu'il soit possible d'écouter». On connaît cela pour d'autres épisodes de notre histoire et le procès Papon, une gesticulation inutile, en est le dernier (?) exemple. Il n'y a pas qu'à Moscou que les procès sont des farces orwelliennes...

Venner a donc lu des témoignages écrits à chaud (voyageurs, diplomates, journalistes), ce qui lui permet de rendre l'esprit de l'époque. Une seule critique vient à l'esprit à la lecture de son beau livre: peu de sources russes et pas de témoignages de première main. Il est vrai que pour trouver des rescapés des Armées blanches en 1996... Mais ces hommes, officiers, civils, soldats ont laissé des écrits: mémoires, archives, articles dans la presse émigrée. Paris, Kharbine en Mandchourie, Bruxelles, Berlin ou Buenos Aires furent des centres actifs de l'Emigratziya.  Les revues, journaux, livres rédigés par des combattants blancs se comptent par centaines. Il y a là une masse de documents énorme à analyser. Il existe encore des Associations de la Noblesse russe où de Volontaires qui possèdent des archives du plus haut intérêt et les archives soviétiques doivent aussi receler des trésors... Mais ne faisons pas les difficiles! Le travail de Venner est une réussite complète. Signalons seulement qu'il reste du pain sur la planche pour de futurs chercheurs!

Venner étudie les Rouges et les Blancs, ce qui est neuf: il analyse les points forts et les faiblesses des uns et des autres. Sa description des événements est précise, militaire: il montre bien à quel point la guerre fut atroce. Surtout, il prouve que les Blancs, ces “vaincus” de l'histoire officielle, ne furent pas loin de l'emporter sur les Rouges. Fin 1919, Lénine s'écrie: «nous avons raté notre coup!». C'est Trotsky qui sauvera le régime, avec ses trains blindés et sa vision très militariste de la révolution. Il y a d'ailleurs chez Lev Davidovitch Bronstein un côté fascistoïde avant la lettre!

Pour la Russie, l'alliance avec la France fut une catastrophe: l'Etat-Major impérial est fidèle à ses promesses, jusqu'à la folie. Mal armée (usines d'armement peu productives), mal commandée (généraux incapables), sans doute trahie au plus haut niveau (la Tsarine ou son entourage), l'armée russe subit une terrible saignée: 2,5 millions de tués en 1915! Ces millions de moujiks tués ou estropiés sauvent la France du désastre: si le plan Schlieffen ne réussit pas à l'ouest, c'est en partie grâce aux divisions sacrifiées de Nicolas II. En 1940, ce même plan, actualisé (frappes aériennes et panzers) réussira grâce à l'alliance de fait germano-russe (pacte Ribbentrop-Molotov). En 1917, l'armée est à bout, et 1a personnalité du monarque, une vraie fin de race, n'arrange rien. Seul le Grand-Duc Nicolas aurait pu sauver la mise, après la mort de Stolypine (assassiné en 1911 par un revolutionnaire juif), ce qui fut un désastre pour toute l'Eurasie. Les trop vagues projets de coup d'état militaire visant à renverser ce tsar incapable ne se réalisent pas... mais le corps des officiers est préparé à lâcher ce dernier, que même le roi d'Angleterre n'a pas envie de sauver.

Ce sont des officiers comme Alexeiev ou Korniloff, futurs chefs blancs, qui joueront un rôle dans son abdication tardive. Preuve que les Blancs n'étaient pas des nostalgiques de l'ancien régime, mais des officiers qui souvent servent d'abord Kerenski, même s'ils méprisent à juste titre ce bavard incapable (un politicien). On peut d'ailleurs se demander si le ralliement au régime rouge de tant d'officiers tsaristes n'a pas été partiellement facilité premièrement par les revolvers (Nagan, au départ une conception liégeoise) délicatement braqués dans leur nuque, mais aussi par le dégoût inspiré par la cour de Nicolas II. Dénikine lui-même avait été scandalisé par le lâchage par le tsar de son meilleur ministre, Stolypine.

Un des nombreux mérites du livre de Venner est de camper tous ces personnages historiques avec un talent sûr. Le portrait de Lénine, qui était la haine pour le genre humain personnifiée, celui de Trostky, sont remarquables. Venner montre bien que là où les Bolchéviks trouvent face à eux une résistance nationaliste, ils sont vaincus, comme en Finlande, en Pologne. Les armées de paysans attachés à leurs traditions ancestrales sont toujours plus fortes que celles des révolutionnaires citadins, fanatiques mais divisés en chapelles. Un des mérites du livre est d'insister sur la respansabilité de Lénine dans le génocide du peuple russe: c'est lui qui met en place le système du goulag, et non Staline. Les premiers camps d'extermination communistes datent de l'été 1918. Toutes ces ignominies, dont Hitler ne fut qu'un pâle imitateur, découlent de l'idéologie marxiste, qui est celle de la table rase (au moins 25 millions de tués de 1917 à 1958!). La révolution blochévique vit une véritable colonisation de la Russie par des étrangers: Polonais, “Lettons”, et surtout des Juifs, animés d'une haine viscérale pour la Russie traditionnelle, qui ne leur avait jamais laissé aucune place au soleil.

Cette révolution est en fait le début d'une gigantesque guerre civile d'ampleur continentale: le fascisme, le nazisme sont des ripostes à cette menace, avec toutes les conséquences que l'on sait. L'historien allemand Ernst Nolte l'a très bien démontré au grand scandale des historiens établis qui aiment à répéter les vérités de propagande dans l'espoir de “faire carrière”. Mais ces vérités, dûment démontrées en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, passent mal en France où sévit encore un lobby marxisant, qui impose encore et toujours ses interdits. Voir les déclarations ridicules de Lionel Jospin, impensables ailleurs en Europe. Voir le scandale causé par le livre de S. Courtois sur les 85 millions de morts du communisme, qui réduit à néant les constructions intellectuelles du négationnisme des établissements, qui, s'ils ont souvent trahi leurs idéaux de jeunesse, ont gardé intactes leur volonté de pourrir notre communauté. Mais ces viles canailles politiques n'ont plus l'ardeur de la jeunesse: ils ne croient plus en rien et n'ont plus au cœur que la haine et le ressentiment pour toutes les innovations qui pointent à l'horizon. A leur tour de connaître la décrépitude et le mépris, des 20 à 30% de jeunes qu'ils condamnent au chômage, en dépit de leur beaux discours sur le “social”. Remercions Venner de nous avoir rendus, avec autant de sensibilité que d'érudition, les hautes figures de l'Amiral Koltchak, des généraux Dénikine, Korniloff ou Wrangel, de tous ces officiers, ces simples soldats blancs, héros d'autrefois qui nous convient à résister sans faiblir aux pourrisseurs et aux fanatiques.

Patrick CANAVAN.

Dominique VENNER, Les Blancs et les Rouges. Histoire de la guerre civile russe, Pygmalion 1997. 293 pages, 139 FF.

 

 

 

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vendredi, 06 avril 2007

Sur Moses Hess

Sur Moses Hess

 

6 avril 1875 : Mort à Paris du socialiste et militant juif Moses Hess, fortement influencé dans ses démarches par sa lecture approfondie de Spinoza et de Hegel. Hess fonde une forme de socialisme libertaire, idéaliste, assorti de la création de groupes ouvriers de travail politique, auxquels participera également Karl Marx. Mais Marx se détachera rapidement de lui et l'insultera dans le “Manifeste Communiste”, qualifiant son système d'“utopique”. Moses Hess passera surtout à la postérité pour son ouvrage Rom und Jerusalem, qui aura un im­pact considérable sur des figures du sionisme comme Ahad Ha'am et Théodore Herzl : Hess y définit l'identité jui­ve, considérée comme inassimilable dans toute autre nation. Il en déduit que les Juifs doivent avoir un sol quel­que part dans le monde. Hess critique toutes les formes d'universalisme qu'adopte le judaïsme réformé, car elles abandonnent la spécificité juive pour se perdre dans des mirages sans consistance. La lecture d'Hess de­meure des plus intéressantes aujourd'hui, dans la mesure où il plaide, au sein du judaïsme, pour une spé­cificité qu'il ne faut pas noyer dans des discours soi-disant universaliste (constat qui vaut évidemment pour toutes les nations, celles qui sont considérées par lui comme nomades ainsi que les Juifs ou celles qui sont sédentaires). Ipso facto, ses démonstrations peuvent nous aider à lutter contre les discours universalistes médiatiques, no­tamment en francophonie, où l'on assiste à cette curieuse collusion entre un certain discours prononcé par de vrais ou de faux Juifs sur un nomadisme qui serait universaliste et transcenderait toutes les appartenances, et l'idéologie ethnocidaire et arasante de la République, qui refuse de tenir compte des données anthropologiques naturelles et des idiosyncrasies individuelles ou communautaires.

 

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Avril 1917: intervention américaine en Europe

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Avril 1917 : L’intervention américaine dans la première guerre mondiale

Le concept allemand de « Weltpolitik », de « politique mondiale », à l’époque de Guillaume II, était fort utilisé et prisé ; il indiquait qu’en théorie, le Reich voulait jouer un rôle planétaire, ce qui n’a pas empêché les Allemands de figer leur pensée politique dans des catégories continentales européennes et non pas mondiales. La guerre qui se déclenche le 1 août 1914 prend rapidement des dimensions globales mais la politique et la diplomatie allemandes n’y étaient pas préparées. Elles n’avaient pas tenu compte d’une possibilité, pourtant prévisible : l’implication dans le conflit du potentiel militaire, industriel et militaro-industriel des Etats-Unis, dont le poids serait déterminant dans l’issue du conflit. L’ambassade d’Allemagne à Washington fut surprise d’apprendre que les puissances de l’Entente avaient coupé ses liaisons par câbles vers l’Europe. L’émetteur radio transocéanique Nauen en était encore à ses premiers balbutiements et il a fallu de longs mois pour restaurer une liaison vague et précaire avec le ministère allemand des affaires étrangères, via la Suède.

Les militaires, toutefois, avaient été plus clairvoyants et avaient agi en conséquence. L’attaché militaire Franz von Papen avait reçu un ordre de l’état-major général, sous enveloppe cachetée à n’ouvrir qu’en cas d’extrême urgence ; cette enveloppe contenait les adresses de firmes commerciales établies dans des pays neutres et un code chiffré. De cette façon, il était possible de câbler vers Berlin des informations militaires, déguisées en télégrammes commerciaux, au départ de la filiale new-yorkaise d’une firme de Hambourg.

La diplomatie allemande n’avait aucun accès aux milieux gouvernementaux américains

Sur le territoire américain, l’Allemagne était donc totalement isolée sur le plan des échanges d’information, ce qui a permis à ses adversaires de répandre sans obstacles leurs points de vue sur les raisons et le déroulement de la guerre et d’influencer l’opinion publique américaine en faveur d’une intervention pro-Entente, notamment en utilisant toutes les ficelles de la propagande sur les atrocités prêtées aux Allemands (les mains coupées des enfants belges, etc.). La majorité du peuple américain s’opposait à l’entrée en guerre des Etats-Unis. Les milieux dirigeants, en revanche, se montrèrent dès le départ favorables à l’Entente, la soutenaient financièrement et lui livraient du matériel de guerre. Sur le plan culturel, ces milieux se sentaient proches des Britanniques ; sur le plan politique, ils admiraient la forme politique que représentait la République française. L’ambassadeur britannique écrivit à son gouvernement, à propos du vingt-huitième Président des Etats-Unis, le démocrate Woodrow Wilson : « par sa naissance et son éducation, il est clairement un Britannique ». Le 3 septembre 1914 déjà, le Président lui avait dit qu’une défaite de la Grande-Bretagne ruinerait tout ce qui lui était cher. Le ministre des affaires étrangères William Jennings Bryan, qui défendait le principe d’une neutralité stricte, n’a pas pu faire triompher ses vues ; il sera vite remplacé par un pro-britannique, Robert Lansing.

La diplomatie allemande n’avait pas d’entrées dans les milieux dirigeants américains, comme en avaient les Britanniques. La très forte minorité allemande dans la population américaine étaient presque entièrement favorable aux Républicains et l’ambassadeur allemand, le Comte Johann Heinrich von Bernstorf, n’avait focalisé ses contacts politiques que sur les seuls milieux républicains, dont l’influence était très réduite sur l’entourage du démocrate Wilson. La requête des Germano-Américains, visant à interdire complètement l’exportation d’armements, a été refusée par Wilson sous le prétexte que cela nuisait à l’économie américaine. L’ampleur croissante des livraisons à l’Entente eu un effet secondaire : les Américains avaient de plus en plus intérêt à voir triompher l’Entente, car seuls les vainqueurs seraient, in fine, capables de payer leurs dettes.

Pendant longtemps, les rapports entre les Etats-Unis et le Reich avaient été cordiaux. Toutefois, de premières frictions surgirent à la fin du 19ième siècle, frictions qui devinrent vite de plus en plus aiguës. Les intérêts coloniaux des deux puissances se heurtaient dans le Pacifique ; la guerre hispano-américaine de 1898 suscita encore davantage de différends.

L’installation de communautés allemandes en Amérique latine inquiétait la presse américaine, qui lançait alors des campagnes contre la « colonisation » allemande, considérée comme une entorse faite à la Doctrine de Monroe. Cet ensemble d’incidents conduisit les Etats-Unis à soutenir les adversaires de l’Allemagne lors de la crise marocaine de 1911, car les observateurs américains jugeaient la côte marocaine trop proche du Brésil où les communautés allemandes jouaient un rôle important. Les Etats-Unis ne cessèrent dès lors plus de traiter les parties belligérantes de manière inégale, y compris après le déclenchement de la guerre en 1914. Tandis que les Etats-Unis ne critiquaient que formellement le blocus des mers qu’imposait la Grande-Bretagne à l’Allemagne, la riposte allemande, à savoir la guerre sous-marine, fut d’emblée considérée en Amérique comme une attaque intolérable contre le principe de la liberté des mers. Le motif de cette condamnation sévère est explicité dans les mémoires de Lansing : les milieux dirigeants américains envisageaient déjà, à ce moment-là de la guerre, d’entrer en belligérance aux côtés des Britanniques, dès que l’occasion se présenterait.

Les Etats-Unis veulent reprendre à leur compte l’héritage de l’Empire britannique

La politique allemande s’est montrée incapable d’endiguer l’hostilité américaine  -en 1941, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères von Weizsäcker s’étonnait encore de l’aversion qu’éprouvait Roosevelt à l’encontre de l’Allemagne. Elle s’est contentée de répéter que le Reich n’avait nulle intention d’attenter aux intérêts des Etats-Unis. La raison profonde de cette attitude anti-allemande croissante s’explique : les Etats-Unis voulaient devenir une nouvelle puissance impériale dans le monde et sentaient instinctivement que l’Allemagne pouvait à terme menacer leurs projets. Les Etats-Unis avaient retenu la leçon prémonitoire d’Alexis de Tocqueville, qui voyait l’Amérique et la Russie se partager le monde, vision où l’héritage de l’Empire britannique reviendrait aux Etats-Unis, parce que la puissance de Londres avait désormais atteint voire dépassé son zénith. L’un des principes cardinaux de la politique anglaise en Europe était de s’allier toujours à la deuxième puissance continentale contre la plus forte, pour empêcher que ne se constitue une puissance européenne unie et hégémonique. L’Angleterre visait ainsi à couvrir ses arrières sur le continent pour poursuivre ses ambitions globales. Les Etats-Unis ont repris ce principe à leur compte. Ils voyaient en l’Allemagne la puissance montante, capable à terme, de fédérer les ressources du continent européen et de faire de l’Europe-puissance un concurrent de l’Amérique sur la scène internationale.

La guerre sous-marine, menée par les Allemands contre les navires de l’Entente, a fait basculer l’opinion aux Etats-Unis. Le 15 août 1915, le paquebot « Lusitania » est torpillé au large des côtes méridionales de l’Irlande ; parmi les 1198 morts, se trouvaient 139 citoyens américains (d’autres sources évoquent le chiffre de 126). Le Lusitania avaient été repeint selon les critères du camouflage militaire et transportait des armes, alors que l’Amirauté britannique savait fort bien que, dans de telles conditions, le navire deviendrait automatiquement la cible des torpilles allemandes (cf. notre article dans « Junge Freiheit », n°18/2005). Les citoyens américains morts lors de ce torpillage devinrent des atouts considérables dans la guerre psychologique. A partir de ce moment-là de la guerre, des manifestations anti-allemandes s’organisèrent aux Etats-Unis. Le 19 août, c’est au tour de l’ « Arabic » d’être coulé dans les mêmes conditions, puis, le 5 novembre, c’est celui de l’ « Ancona » ; chaque navire, victime des torpilles allemandes, transportait son lot de citoyens américains, à compter parmi les morts. Le 24 mars 1916, le « Sussex », un navire français de transport de passagers, est coulé dans la Manche : 480 citoyens américains sont parmi les victimes. La réaction du gouvernement américain est alors si violente que le Grand Amiral Alfred von Tirpitz, secrétaire d’Etat auprès du ministère allemand de la marine, donne sa démission ; le gouvernement du Reich ordonne alors de mettre un terme au torpillage sans avertissement préalable de navires de transport. Mais le gouvernement se réserve toutefois le « droit de décider comme il l’entend, au cas où les Etats-Unis ne réclameraient et n’obtiendraient pas rapidement de la part de la Grande-Bretagne l’observation stricte des clauses de droit international prévoyant la liberté des mers (ndlr : les Allemands voulaient que soit levé le blocus naval affamant l’Allemagne) ».

Cette tentative de faire pression sur les Etats-Unis n’eut aucun effet. Washington n’envisageait nullement d’appliquer, avec équité et objectivité, les mêmes principes de droit aux Allemands et aux Britanniques. Finalement, l’objectif des Etats-Unis était de rafler les acquis de la grande puissance thalassocratique anglaise sur le plan matériel comme sur les plans politiques et idéologiques. Parmi l’héritage idéologique que convoitaient les Etats-Unis, il y avait surtout le droit souverain de définir ce qu’était et devait être le droit et le non droit dans les rapports entre nations. C’est surtout sous Wilson, qui se posait comme le missionnaire de la démocratie et du droit des gens (selon son concept de « Société des Nations »), que s’est renforcée aux Etats-Unis la tendance à affirmer les intérêts américains comme s’ils étaient l’expression d’une morale transcendante. Dans cette optique, les offres de médiation et les propositions de paix du Président américain n’ont été que des manœuvres retardatrices (rappelons qu’il devait sa réélection de la fin de l’année 1916 à la bonne utilisation propagandiste du slogan : « Il nous a maintenu hors de la guerre »).

Le télégramme Zimmermann fut une catastrophe diplomatique

Le Reich annonce le 1 février 1917 qu’il lance la guerre sous-marine à outrance. Un jour plus tôt, les Etats-Unis en avaient été avertis formellement, si bien qu’ils ne pouvaient plus protester. Le 3 février, les Etats-Unis rompent les relations diplomatiques avec Berlin et contraignent la plupart des pays latino-américains à en faire autant. Par la suite, le télégramme Zimmermann fut une catastrophe diplomatique, la goûte d’eau qui fit déborder le vase. Le secrétaire d’Etat allemand aux affaires étrangères, Arthur Zimmermann, avait chargé le représentant du Reich à Mexico de forger une alliance avec le Mexique en cas de déclaration de guerre des Etats-Unis au Reich et de promettre aux Mexicains la récupération du Texas, du Nouveau-Mexique et de la Californie, perdus en 1848. Pour le transmettre, il avait utilisé un câble américain direct que le gouvernement des Etats-Unis avait mis à la disposition de l’ambassade d’Allemagne pour faire passer toutes les informations relatives aux propositions de médiation de Wilson.

Le télégramme tomba aux mains des services secrets britanniques, qui avaient déjà réussi à déchiffrer les codes allemands dès août 1914 ; ils transmirent le texte aux Américains au bon moment psychologique. Le contenu en était si énorme que les neutralistes américains accusèrent leur propre gouvernement d’avoir fabriqué un faux et c’est Zimmermann lui-même ( !) qui torpilla leur ultime manœuvre pour sauver la neutralité américaine en affirmant haut et clair que sa dépêche résultait d’une volonté bien justifiée de se défendre. L’incident révèle, aujourd’hui encore, qu’aux niveaux de la diplomatie, de la guerre psychologique et des services secrets, l’Allemagne était inférieure aux puissances de l’Entente. Le 6 avril 1917, les Etats-Unis déclarent l’état de guerre entre leur pays et l’Allemagne. Le 7 décembre, ils déclarent la guerre à l’Autriche-Hongrie. La défaite des puissances centrales n’était plus qu’une question de temps.

Thorsten HINZ.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°14/2007).

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jeudi, 05 avril 2007

De "Parti agraire belge", een rechtse boerenpartij

De roep om Nieuwe Orde
in het Waalse landbouwersmilieu :
de Parti agraire belge, een rechtse boerenpartij
(1931-1940)

http://www.ethesis.net/nieuwe_orde/nieuwe_orde_inhoud.htm

Maarten Michiels

Scriptie voorgelegd aan de Faculteit Letteren en Wijsbegeerte,
voor het behalen van de graad van
Licentiaat in de Geschiedenis.

Academiejaar: 2005-2006

Katholieke Universiteit Leuven

Promotor: Prof. Dr. LEEN VAN MOLLE

 

INHOUD

WOORD VOORAF

 

INLEIDING

 

HOOFDSTUK 1: DE MOUVEMENT AGRAIRE BELGE: EEN AFSCHEURINGSBEWEGING VAN DE U.P.A. (NOVEMBER 1931 – DECEMBER 1932)

    1.1 HET ONTSTAAN VAN DE MOUVEMENT AGRAIRE BELGE, DE VOORLOPER VAN DE PARTI AGRAIRE

        1.1.1 De context: de economische crisis en de landbouwcrisis

        1.1.2 Het eerste teken van leven van de Mouvement agraire: het verschijnen van La Terre

        1.1.3 De Mouvement agraire als afscheuring van de U.P.A.

    1.2 DE PROMINENTEN VAN DE PARTI AGRAIRE: ZELFBEELD EN POLITIEKE ORIËNTERING

    1.3 DE MOUVEMENT AGRAIRE IN HET GROTERE PLAATJE: DE EXTERNE RELATIES

        1.3.1 Een blik over de grens: op zoek naar inspirerende voorbeelden

        1.3.2 De Boerenbond: de aartsvijand bij uitstek

    1.4 HET PROGRAMMA VAN DE MOUVEMENT AGRAIRE: VEEL KRITIEK, WEINIG OPLOSSINGEN

        1.4.1 De analyse van het regeringsbeleid volgens de Mouvement agraire

        1.4.2 De zondebok: de minister van landbouw

        1.4.3 De arbeidersklasse: jaloers op haar verwezenlijkingen

        1.4.4 De summiere oplossingen van de Mouvement agraire

    1.5 HET MOMENT VAN DE WAARHEID: DE VERKIEZINGEN VAN 1932

        1.5.1 De gemeenteraadsverkiezingen en de voorbereiding van de parlementsverkiezingen

        1.5.2 De parlementsverkiezingen: het verschijnen van een aparte agrarische lijst

        1.5.3 Een bedreiging of een goeie grap? Receptie van de verkiezingsdeelname van de Mouvement agraire

        1.5.4 De resultaten van de Mouvement agraire…

    1.6 DE OFFICIËLE OPRICHTING VAN DE PARTI AGRAIRE BELGE

 

HOOFDSTUK 2: DE PARTI AGRAIRE IN DE WOELIGE PERIODE TUSSEN TWEE PARLEMENTSVERKIEZINGEN (DECEMBER 1932 – MEI 1936)

    2.1 “LE NERF DE LA GUERRE”: DE FINANCIERING VAN DE PARTI AGRAIRE

    2.2 KRITIEK EN PROGRAMMA VAN DE PARTI AGRAIRE: LEVENSVATBAARHEID VAN DE LANDBOUWSECTOR

        2.2.1 Kritiek op het algemene beleid in tijden van crisis

        2.2.2 Kritiek op de politieke verdediging van de landbouw

        2.2.3 De relaties met andere Belgische politieke partijen

        2.2.4 Het programma: de eis tot levensvatbaarheid van de sector

    2.3 DE PARTI AGRAIRE LAAT IN HAAR KAARTEN KIJKEN: AANZETTEN TOT IDEOLOGISCHE ORIËNTERING

        2.3.1 Op zoek naar inspiratie: de contacten met het buitenland

        2.3.2 Royalisme

        2.3.3 “Notre démocratie n’est qu’un masque”: een rechtsere profilering

        2.3.4 De verspreiding van het eigen gedachtegoed

    2.4 DE RELATIES MET ANDERE DRUKKINGSGROEPEN

        2.4.1 De vertroebelde relaties met de moederbeweging: contacten met de U.P.A.

        2.4.2 Aanhoudende pogingen om de Boerenbond zwart te maken

        2.4.3 De Parti agraire tegenover de liquidatie van de Middenkredietkas en de ondergang van de Banque agricole

        2.4.4 Op zoek naar lotgenoten: de Parti agraire zoekt toenadering tot de middenstand

    2.5 EEN TWEEDE POGING: DE VERKIEZINGEN VAN 1936

        2.5.1 Aanloop naar en resultaten van de parlementsverkiezingen van mei 1936

        2.5.2 Receptie van de verkiezingsdeelname van de Parti agraire

        2.5.3 Vissen in dezelfde vijver: de Parti agraire en het succes van Rex

 

HOOFDSTUK 3: HET STILLE VERDWIJNEN VAN DE PARTI AGRAIRE EN HET ONTSTAAN VAN HET FRONT PAYSAN (MEI 1936 – 1940)

    3.1 DE AANDACHTSPUNTEN TIJDENS DE LAATSTE JAREN VAN DE PARTI AGRAIRE (1936 -1938)

        3.1.1 Lonen voor arbeiders op grote landbouwbedrijven

        3.1.2 De oprichting van officiële kredietkassen door de staat

        3.1.3 Naar een nationale syndicale organisatie van de landbouw

        3.1.4 Met dank aan de socialisten: de wetsvoorstellen van Wauters

        3.1.5 De houding tegenover de katholieke partij

    3.2 IDEOLOGISCHE UITWERKING

        3.2.1 De blik op het buitenland en de houding in de internationale politiek: afhouden van zowel links als rechts

        3.2.2 “Ni gauche ni droite”: het agrarisme als eigen ideologie

    3.3 DE PARTI AGRAIRE IN DE OMGANG MET ANDERE ORGANISATIES TIJDENS DE LAATSTE JAREN VAN HAAR BESTAAN (1936 – 1938)

        3.3.1 Natrappen naar de moederbeweging: relaties met de U.P.A.

        3.3.2 De relaties met de “Trust politico-industriel de Louvain”

    3.4 HET VERDWIJNEN VAN DE PARTI AGRAIRE (OKTOBER 1938) EN HET ONTSTAAN VAN HET FRONT PAYSAN

        3.4.1 Het Boerenfront en de eerste contacten tussen Parti agraire en Boerenfront

        3.4.2 De Parti agraire verdwijnt stilletjes van het toneel en maakt plaats voor het Front paysan

        3.4.3 La Voix de la Terre als opvolger voor La Terre

        3.4.4 De ruk naar rechts van het Front paysan

    3.5 HET FRONT PAYSAN TIJDENS DE EERSTE MAANDEN VAN DE DUITSE BEZETTING: HET EINDE VAN HET VERHAAL

        3.5.1 De landbouw onder de Duitse bezetting

        3.5.2 Het roemloze einde: het Front paysan en La Voix de la Terre onder de Duitse bezetting

 

BESLUIT

 

BIBLIOGRAFIE

 

BIJLAGEN

 

Samenvatting

In de jaren 1930 hield de Grote Crisis de hele wereld in de ban. Bedrijven gingen massaal overkop, de werkloosheid bereikte recordhoogtes, banken gingen failliet… De regeringen slaagden er niet in de gevolgen van de crisis te bestrijden. De mensen geraakten verbitterd. Er ontstonden talloze protestbewegingen, die reageerden tegen de crisis en tegen de aanpak ervan. Veel van deze protestbewegingen koesterden Nieuwe Ordesympathieën en neigden sterk naar rechts tot uiterst rechts.

Ook het Henegouwse landbouwmilieu kende zo een protestbeweging: op 12 december 1931 verscheen het eerste nummer van La Terre, de publicatie van de Mouvement agraire belge. Die Mouvement agraire belge was een afscheuring van de Unions Professionnelles Agricoles (U.P.A.). De Mouvement agraire was niet tevreden met de strategie van de U.P.A. om te wegen op het beleid, namelijk het steunen van verschillende kandidaten op de liberale en katholieke lijsten die de landbouwerszaak genegen waren. De Mouvement agraire wilde een aparte agrarische lijst naar voren schuiven. Armand Jabon was de voortrekker van het oproer binnen de U.P.A. Waarschijnlijk was er ook sprake van een persoonlijk conflict tussen Jabon en zijn aanhangers enerzijds en de U.P.A.-leiding anderzijds. Het belangrijkste strijdpunt van de Mouvement agraire was een betere vertegenwoordiging van de landbouwsector. Hiertoe wilde ze een corporatieve aanvulling van het parlement: het parlement zou zich moeten laten adviseren door een corporatieve kamer waarin alle beroepen vertegenwoordigd waren. Dit programmapunt, een gematigde vorm van politiek corporatisme, had de Mouvement agraire geërfd van de U.P.A. De rest van het discours van de Mouvement agraire bestond uit een verzameling klachten: tegen het regeringsbeleid dat foute prioriteiten legde en de landbouwers opofferde om de industrie tevreden te stellen, tegen de minister van landbouw en tegen de arbeidersklasse die erin geslaagd was dure sociale zekerheidswetten af te dwingen. De Mouvement agraire stelde zich bijzonder vijandig op tegenover de Boerenbond. Die hield zich in haar ogen voornamelijk bezig met industriële en commerciële activiteiten en droeg de landbouwersbelangen niet hoog in het vaandel. De oplossingen die de Mouvement agraire voorstelde waren vrij beperkt: protectionisme om de binnenlandse markt af te schermen en corporatisme om een betere vertegenwoordiging van de landbouw mogelijk te maken. Voor het overige bestond het programma uit een hoopje losse maatregelen die het bestaan van de landbouwers moesten verbeteren maar die niets structureels zouden veranderen. De Mouvement agraire keek nadrukkelijk naar het buitenland om zich te laten inspireren. Vooral de Parti agraire et paysan français, onder leiding van Fleurant Agricola, werd nauwlettend in de gaten gehouden. Die partij werd bewonderd door de Mouvement agraire omwille van haar daadkracht en verwezenlijkingen.

De Mouvement agraire nam in november 1932 deel aan de parlementsverkiezingen. In twee Henegouwse arrondissementen schoof ze een aparte agrarische lijst naar voren, namelijk in Tournai-Ath en in Mons. De reacties op de verkiezingsdeelname van de Mouvement agraire lagen allemaal in dezelfde lijn. Men vroeg zich af of de Mouvement agraire er wel bij had stilgestaan hoeveel stemmen er nodig zijn om een vertegenwoordiger naar het parlement te kunnen sturen. Bovendien waren organisaties als de U.P.A. en de Alliance agricole van mening dat een aparte agrarische lijst alleen maar meer verdeeldheid zaaide onder de landbouwers, waardoor hun positie nog verzwakt werd. De resultaten van de Mouvement agraire waren vrij bescheiden: in Tournai-Ath behaalde ze 4,01 procent van de stemmen, in Mons 1,63 procent. Dat was niet voldoende om een verkozene te halen. Na de verkiezingen besloot men over te gaan tot de oprichting van de Parti agraire belge als opvolger van de Mouvement agraire belge.

Tussen 1932 en de parlementsverkiezingen van 1936 evolueerde de partij. Het programma werd verder uitgewerkt. Waar het voor de verkiezingen van 1932 nog voornamelijk om een hoopje losse maatregels ging, werd er nu min of meer een structuur aangebracht in het programma. De Parti agraire streefde naar een veiligstelling van de levensvatbaarheid van de sector. Daartoe wilde ze ten eerste een eerlijke prijs krijgen voor landbouwproducten, ten tweede een aantal maatregels treffen om het pachtcontract voordeliger te maken voor de pachter, ten derde protectionistische maatregelen instellen om de interne markt te beschermen en te vierde de inspraak van de landbouwsector garanderen via een corporatieve staatsordening. Nu kwam er ook een sterkere ideologische profilering bij kijken. In 1932 wilde ze nog een corporatieve aanvulling van het parlement. Vanaf 1933 was de Parti agraire duidelijk naar rechts opgeschoven. Ze wilde het rechtstreeks verkozen parlement vervangen door corporatieve kamers. Het discours was opvallend rechtser geworden.

De verhouding van de Parti agraire met de Boerenbond was nog steeds niet al te best. De infiltratiepogingen van de Boerenbond in Wallonië werden hem niet in dank afgenomen. Bovendien leidde de liquidatie van de Middenkredietkas tot de definitieve ondergang van de Banque agricole de Belgique, de bank van de U.P.A. die in 1932 onder controle van de Boerenbond was gekomen. Het spaargeld van verschillende kleine boeren werd geblokkeerd. Deze gebeurtenis was nefast voor de houding van de Parti agraire tegenover zowel de U.P.A. als de Boerenbond. Vanaf 1934 begon de Parti agraire toenadering te zoeken tot de middenstandsorganisaties. Er waren contacten met Burgerstrijd, een Vlaamse organisatie van misnoegde middenstanders. Een zekere inconsequentie was de Parti agraire zeker niet vreemd: langs de ene kant pleitte ze voor samenwerking van middenstand en boerenstand, over de taalgrens heen. Langs de andere kant pleitte ze voor een Waalse samenwerking, over de grenzen van de landbouwklasse heen, tegen de Vlaamse dominantie. De voortrekkers van de Parti agraire waren echte windhanen die zich probeerden te associëren met verschillende uiteenlopende bewegingen.

In mei 1936 nam de Parti agraire opnieuw deel aan de parlementsverkiezingen. Ditmaal kwam ze ook op in het Luikse arrondissement Verviers. Ze slaagde er weer niet in een vertegenwoordiger naar de Kamer of naar de Senaat te sturen. De verkiezingen van 1936 stonden in het teken van Rex. De Parti agraire sloot aanvankelijk samenwerking met Degrelle niet uit. Na de verkiezingen realiseerde de Parti agraire zich dat Rex stemmen haalde in groepen waar ook zij hoopte te scoren, namelijk in de rangen van misnoegde boeren en middenstanders. De houding tegenover Rex was sterk bekoeld eens ze dit besefte.

Op 22 oktober 1938 verscheen het laatste nummer van La Terre. De Parti agraire hield op te bestaan. Haar opvolger, het Front paysan, was ontstaan uit de nauwe samenwerking met het Vlaamse Boerenfront. Het Front paysan vormde het Waalse verlengstuk van dat Boerenfront. La Voix de la Terre was de publicatie van het Front paysan. Daarin werd de rechtsere toon van het Front paysan duidelijk. Dictaturen werden opgehemeld en men huldigde het leidersprincipe en orde en discipline werden hoog in het vaandel gedragen. Het Front paysan was nog verder naar rechts opgeschoven.

Onder de Duitse bezetting werd de redactie van La Voix de la Terre opzij geschoven en vervangen door auteurs van Le Pays réel, een Rexistisch weekblad. Het laatste nummer van La Voix de la Terre verscheen op 23 november 1940. Daarin werd de stopzetting gemeld van alle activiteiten van het Front paysan.

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mardi, 03 avril 2007

James B. M. Hertzog

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James B. M. Hertzog

 

3 avril 1866 : Naissance à proximité de la ville de Wellington dans la Colonie du Cap de James Barry Munnik Hertzog, militaire et homme politique au service des Britanniques, qui devint Premier Ministre de l'Union Sud-Africaine entre 1924 et 1939. Face aux gouvernements de Londres, Hertzog a toujours défendu deux principes de base : primauté des intérêts sud-africains propres, même aux dépens de ceux de Londres, et la politique dite des “deux courants” (Two-Streams-Policy), où les deux communautés européennes d'Afrique du Sud, la Bri­tannique et l'Afrikaander pourraient amorcer un développement séparé mais harmonieux, où ni la première ni la seconde ne domineraient l'autre de manière insupportable. Hertzog, juriste de formation, avait présidé la Hau­te Court de justice de l'Etat Libre d'Orange, pour ensuite devenir un organisateur hors pair de la guérilla des Boers contre les Britanniques. Après ce conflit sanglant, qui n'a certes pas doré le blason de l'Empire bri­tannique, Hertzog fonde le "Orangia Unie Party", réclamant l'auto-détermination des colons de souche hollan­daise, allemande et huguenote. Dans ce combat politique, il sauve de la disparition la langue afrikaander, en en faisant l'une des deux langues officielles de l'Union Sud-Africaine. En désaccord avec Louis Botha, il fonde en 1914, l'Afrikaander Nationalist Party, qui gagne rapidement le soutien de certaines strates de la population, parce qu'il s'oppose à la guerre contre l'Allemagne. Hertzog fait ensuite voter des lois pour protéger l'industrie sud-africaine contre la spéculation libérale et cosmopolite, dès qu'il accède au pouvoir en 1924, avec l'appui des travaillistes. Il oblige Londres à concéder la “Statut de Westminster” (1931), accordant aux républiques afrikaander le droit de faire sécession de l'Empire britannique. Il amorce également une politique équilibrée de “développement séparé” des Noirs et des Blancs, que dénonceront les extrémistes du “Purified Nationalist Party” de Daniel F. Malan, préconisant un apartheid pur et dur. En 1938, Hertzog triomphe aux élections et en­tend mener une politique de neutralité dans le conflit qui s'annonce en Europe. Mais Smuts, son allié, est pro-britannique et fait passer une motion qui condamne la neutralité; logique avec lui-même, Hertzog démissionne et devient le chef de file de l'opposition au nouveau gouvernement Smuts, allié aux extrémistes de Malan, qui, finalement, torpillent ses mesures de ségrégation tempérée. Il se retire, dégoûté, de la politique à la fin de l'année 1940. Il meurt à Pretoria le 21 novembre 1942.

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Armeniërs zonder land of een land zonder Armeniërs

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Sita VREELING :

“Armeniërs zonder land of een land zonder Armeniërs”

De Belgische houding in de Volkenbond over de Armeense kwestie, 1919-1928

 

http://www.ethesis.net/armeniers/armeniers_inhoud.htm

 

Samenvatting :

De Armeense kwestie behelsde in de jaren ’20 meerdere aspecten. Het ging op de eerste plaats om een onafhankelijk Armenië, wat geen vanzelfsprekendheid was en aan de andere kant ging het om het vluchtelingenprobleem. Na de Armeense genocide van 1915 waren de overlevenden immers op de vlucht geslagen. Vandaag de dag betekent de Armeense kwestie iets heel anders, namelijk het erkennen van de Armeense massamoorden.

De Volkenbond leek tijdens het interbellum de ideale instelling om internationale kwesties te behandelen. De Volkenbond was in 1919 immers opgericht om te voorkomen dat er ooit nog oorlog zou zijn. Ook de Armeense problematiek werd als een zaak van internationaal belang behandeld, omdat het oplossen ervan als een essentiële stap werd gezien in het terugbrengen van de vrede in het Midden-Oosten. De Volkenbond probeerde Armenië eerst garanties te bieden om een eigen staat op te richten. Zijn onafhankelijkheid werd vastgelegd in het verdrag van Sèvres, gesloten op 10 augustus 1920 tussen de Geallieerden en Turkije. Maar de Volkenbond of zijn leden konden geen mandaat aannemen over Armenië om het land te beschermen. De mogendheden wilden geen investeringen doen die ze zelf broodnodig hadden om te herstellen van de Eerste Wereldoorlog.

Turkije weigerde het verdrag van Sèvres te ratificeren en samen met de Sovjet Unie bezette het de Armeense staat. De invloed van het overwonnen Turkije nam bovendien in 1922 toe door zijn zege in de Grieks-Turkse oorlog om Anatolië. De Turkse republiek wist zelfs de herziening van het verdrag van Sèvres af te dwingen. Het nieuwe verdrag dat gesloten werd in 1923 op de conferentie van Lausanne, hield geen rekening meer met de Armeense onafhankelijkheid.

Het was wel duidelijk dat de mogendheden liever toegevingen deden dan op ‘kleine’ kwesties als de Armeense onafhankelijkheid te blijven hameren. De Volkenbond probeerde zijn beloftes, om de Armeniërs een thuis te geven, waar te maken. Er werden verschillende pogingen ondernomen om een Nationaal thuis te creëren, maar uiteindelijk bleef dit beperkt tot de Sovjet republiek van Jerevan, waar een groot deel van de Armeense vluchtelingen terecht was gekomen.

Deze pogingen mislukten om verschillende redenen. Ten eerste beschikte de Volkenbond over te weinig kapitaal en moest het telkens beroep doen op zijn leden. De Volkenbond kon daarnaast ook nooit militair ingrijpen. Het had geen eigen troepenmacht (om tussenbeide te komen in conflicten of om de garantie te bieden dat verdragen werden uitgevoerd) en de mogendheden waren uiterst voorzichtig in het sturen van hun legers. Ten slotte was de Volkenbond een overlegorgaan. Hierdoor kon het jarenlang duren eer een voorstel aangenomen werd en uitgevoerd kon worden. Vaak werden kwesties doorgeschoven naar commissies, waar de Raad of de Vergadering later opnieuw over discussieerde.

Eigenlijk slaagde de Volkenbond er alleen in de vluchtelingen te helpen. Dit was vooral door toedoen van dokter Nansen, de Hoge Commissaris voor de Vluchtelingen. Dokter Nansen riep de leden van de Volkenbond meerdere malen op om financiële en materiële hulp te bieden aan de Armeniërs. Hij zorgde ervoor dat de staatsloze vluchtelingen een internationaal paspoort kregen en dat er een juridisch statuut voor de vluchtelingen werd geregeld. Toen het niet mogelijk bleek om alle vluchtelingen in de republiek van Jerevan onder te brengen, wist dokter Nansen samen met het Internationaal Arbeidsbureau duizenden vluchtelingen te plaatsen in andere (geïndustrialiseerde) landen en een nieuw thuis te geven.

Frappant is ook het voorbeeld van Cilicië. Duizenden Armeense vluchtelingen waren in deze regio bijeengebracht. Toen hun beschermer, Frankrijk, besloot om zich terug te trekken omdat ze hierover een verdrag had gesloten met Turkije, sloegen de Armeniërs nogmaals op de vlucht. Ze vreesden immers dat de Turken hen opnieuw zouden deporteren en uitmoorden. Dankzij de tussenkomst van België moest Frankrijk voor de Volkenbond uitleggen welke garanties het land had voorzien om de vluchtelingen te beschermen.

Als we kijken naar de houding van België zien we verschillende aspecten naar voren komen. Na de Eerste Wereldoorlog wijzigde het land zijn internationaal statuut. België wilde in de jaren ’20 meer zelfstandigheid verwerven in (internationale) politieke en economische aangelegenheden. Aan de ene kant hield België rekening met de Franse politiek, door het militaire akkoord van 1920. België werd meerdere malen aangesproken door de Armeense delegaties of door de Philarmeense comités. De Armeniërs vonden in België morele steun. Hadden ze immers niet beiden evenveel geleden tijdens de oorlog? Maar ook door hun gemeenschappelijk geloof ontstond een basis voor wederzijdse sympathie.

De positie van België in de Volkenbond tegenover de Armeense kwestie, was duidelijk. België sympathiseerde met de Armeniërs en zou, wanneer nodig, zijn stem verheffen om de Armeniërs te helpen. België had immers een morele stem verworven toen zijn neutraliteit werd geschonden tijdens de Eerste Wereldoorlog. België was eveneens bekommerd om zijn imago te handhaven in de internationale politiek. De Belgische regering probeerde de Armeniërs hulp te bieden op een manier die liefst zo weinig mogelijk zou kosten.

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dimanche, 01 avril 2007

Oppositions à Roosevelt

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Robert STEUCKERS:

Les oppositions américaines à la guerre de Roosevelt

 Analyse : Ronald RADOSH, Prophets on the Right. Profiles of Conservative Critics of American Globalism, Free Life Editions, New York, 1975 (ISBN : 0-914156-22-5).

L’histoire des oppositions américaines à la seconde guerre mondiale est très intéressante. Elle nous initie aux idées des isolationnistes et neutralistes des Etats-Unis, seuls alliés objectifs et fidèles que nous pouvons avoir Outre-Atlantique, mis à part, bien en­tendu, les patriotes d’Amérique hispanique.

Aborder ce sujet implique de formuler quelques remarques préliminaires.

-          L’histoire contemporaine est é­valuée sous l’angle d’une propa­gande. Laquelle ? Celle qui a été orchestrée par les bellicistes a­mé­ricains, regrou­pés autour du Président Roosevelt. La tâche de l’his­toire est donc de retrouver la réalité au-delà du rideau de fumée propagandiste.

-          L’histoire contemporaine est dé­terminée par la perspective roose­veltienne où

a)       les Etats-Unis sont l’avant-gar­de, la terre d’élection de la liber­té et de la démocratie ;

b)       les Etats-Unis doivent agir de fa­çon à ce que le monde s’ali­gne sur eux.

c)       Via leur idéologie messianique, interventionniste et mondialiste, les Etats-Unis se posent comme le bras armé de Yahvé, sont appelés à unir le monde sous l’au­torité de Dieu. Leur président est le vicaire de Yahvé sur la Terre (et non plus le Pape de Rome).

Mais, pour s’imposer, cette idéologie messianique, interventionniste et mon­dia­liste a eu des ennemis inté­rieurs, des adversaires isolationnistes, neutralistes et différentialistes. En effet, dans les années 30, 40 et 50, deux camps s’affron­taient aux Etats-Unis. En langage actualisé, on pourrait dire que les partisans du « village universel » se heurtaient aux partisans de l’ « au­to-centrage ».

Quels ont été les adversaires du mon­­dialisme de Roosevelt, outre le plus célèbre d’entre eux, le pilote Lind­­bergh, vainqueur de l’Atlan­tique. Nous en étudierons cinq :

1)       Oswald Garrison VILLARD, é­di­teur du journal Nation, ancré à gauche, libéral et pacifiste.

2)       John T. FLYNN, économiste et éditorialiste de New Republic, é­galement ancré à gauche.

3)       Le Sénateur Robert A. TAFT de l’Ohio, chef du Parti Républicain, surnommé « Mr. Republican».

4)       Charles A. BEARD, historien pro­­gressiste.

5)       Lawrence DENNIS, intellectuel éti­queté « fasciste », ancien di­plo­mate en Amérique latine, no­tamment au Nicaragua et au Pérou.

Tous ces hommes avaient une biographie, un passé très différent. Dans les années 38-41, ils étaient tous iso­lationnistes. Dans les années 43-50, ils sont considérés com­me « con­ser­vateurs » (c’est-à-dire adversaires de Roosevelt et de l’al­liance avec l’URSS) ; de 1948 à 1953, ils refusent la logique de la Guerr­e Froide (dé­fendue par la gauche sociale-dé­mo­crate après guerre).

Pourquoi cette évolution, qu’on ne comprend plus guère aujourd’hui ?

-          D’abord parce que la gauche est favorable au « globa­lis­me » ; à ses yeux les isolation­nistes sont passéistes et les interventionnistes sont inter­natio­nalistes et « progres­sis­tes ».

-          Dans le sillage de la Guerre du Vietnam (autre guerre interventionniste), la gauche a changé de point de vue.

En effet, l’interventionnisme est synonyme d’impérialisme (ce qui est moralement condamnable pour la gauche hostile à la Guerre du Vietnam). L’isolationnisme relève du non-impérialisme américain, de l’anti-colonialisme officiel des USA, ce qui, dans le contexte de la Guerre du Vietnam, est moralement acceptable. D’où la gauche militante doit renouer avec une pensée anti-impérialiste. La morale est du côté des isolationnistes, même si un Flynn, par exemple, est devenu macchartyste et si Dennis a fait l’apologie du fascisme. Examinons les idées et les arguments de chacun de ces cinq isolationnistes.

Charles A. BEARD 

Charles A. Beard est un historien qui a écrit 33 livres et 14 essais importants. Sa thèse centrale est celle du « déterminisme économique » ; elle prouve qu’il est un homme de gauche dans la tradition britannique de Mill, Bentham et du marxisme modéré. La structure politique et juridique, pour Beard, dérive de la stratégie économique. La complexification de l’éco­nomie implique une complexification du jeu politique par multiplication des acteurs. La Constitution et l’appareil légal sont donc le reflet des desidera­ta des classes dirigeantes. La complexification postule ensuite l’in­tro­duc­tion du suffrage universel, pour que la complexité réelle de la société puisse se refléter correcte­ment dans les re­pré­sentations.

Beard sera dégoûté par la guerre de 1914-18.

1.        Les résultats de cette guerre sont contraires à l’idéalisme wilsonien, qui avait poussé les Etats-Unis à intervenir. Après 1918, il y a davantage de totalitarisme et d’autoritarisme dans le monde qu’auparavant. La première guerre mondiale se solde par un recul de la démocratie.

2.        Ce sont les investissements à l’étranger (principalement en France et en Grande-Bre­ta­gne) qui ont poussé les Etats-Unis à intervenir (pour sauver leurs clients de la défaite).

3.        D’où le véritable remède est celui de l’autarcie continentale (continentalism).

4.        Aux investissements à l’étran­ger, il faut opposer, dit Beard, des investissements intérieurs. Il faut une planification natio­nale. Il faut construire une bonne infrastructure routière aux Etats-Unis, il faut aug­menter les budgets pour les écoles et les universités. Pour Beard, le planisme s’oppose au militarisme. Le militarisme est un messianisme, essen­tiel­le­ment porté par la Navy League, appuyée jadis par l’Amiral Mahan, théoricien de la thalassocratie. Pour Beard, l’US Army ne doit être qu’un instrument défensif.

Beard est donc un économiste et un théoricien politique qui annonce le New Deal de Roosevelt. Il est donc favorable au Président américain dans un premier temps, parce que celui-ci lance un gigantesque plan de travaux d’intérêt public. Le New Deal, aux yeux de Beard est une restructuration complète de l’économie domestique américaine. Beard raisonne comme les continentalistes et les autarcistes européens et japonais (notamment Tojo, qui parle très tôt de « sphère de co-prospérité est-asiatique »). En Allemagne, cette restructuration autarcisante préconisée par le pre­mier Roosevelt suscite des enthousiasmes et apporte de l’eau au mou­lin des partisans d’un nouveau dialogue germano-américain après 1933.

Le programme « Big Navy » 

Mais Roosevelt ne va pas pouvoir appliquer son programme, parce qu’il rencontrera l’opposition des milieux bancaires (qui tirent plus de dividendes des investissements à l’étranger), du complexe militaro-in­dustriel (né pendant la première guerre mondiale) et de la Ligue Na­vale. Pour Beard, le programme « Big Navy » trahit l’autarcie promise par le New Deal.

Le programme « Big Navy » provoquera une répétition de l’histoire. Roosevelt prépare la guerre et la militarisation des Etats-Unis, déplo­re Beard. En 1934, éclate le scandale Nye. Une enquête menée par le Sénateur Gerald Nye prouve que le Président Wilson, le Secrétaire d’Etat Lansing et le Secrétaire d’Etat au Trésor Gibbs McAdoo, le Colonel House et les milieux bancaires (notamment la J.P. Morgan & Co) ont délibérément poussé à la guerre pour éviter une crise, une dépression. Résultat : cette dépres­sion n’a été postposée que de dix ans (1929). Donc la politique raison­nable serait de décréter un em­bargo général à chaque guerre pour que les Etats-Unis ne soient pas entraînés aux côtés d’un des belligérants.

En 1937, Roosevelt prononce son fameux « Discours de Quarantai­ne », où il annonce que Washington mettra les « agresseurs » en quarantaine. En appliquant pré­ventivement cette mesure de ré­torsion aux seuls agresseurs, Roo­sevelt opère un choix et quitte le terrain de la neutralité, constate Beard. En 1941, quand les Japonais attaquent Pearl Harbour, le matin du 7 décembre 1941, Beard révèle dans la presse que Roosevelt a délibérément obligé le Japon à commettre cet irréparable acte de guerre. De 1941 à 1945, Beard ad­mettra la nature « expansion­niste » de l’Allemagne, de l’Italie et du Ja­pon, mais ne cessera d’exhorter les Etats-Unis à ne pas suivre cet ex­emple, parce que les Etats-Unis sont « self-suffisant » et que l’a­gressivité de ces Etats n’est pas directement dirigée contre eux. Ensuite, deuxième batterie d’argu­ments, la guerre désintègre les institutions démocratiques améri­cai­nes. On passe d’une démocratie à un césarisme à façade dé­mo­cratique.

Beard accuse le gouvernement américain de Roosevelt de chercher à entrer en guerre à tout prix contre le Japon et l’Allemagne. Son accusation porte notamment sur quatre faits importants :

1.        Il dénonce l’échange de destroyers de fabrication américaine contre des bases militaires et navales anglaises dans les Caraïbes et à Terre-Neuve (New Foundland).

2.        Il dénonce la « Conférence de l’Atlantique », tenue entre le 9 et le 12 août 1941 entre Churchill et Roosevelt. Elles ont débouché sur un acte de guerre au détriment du Portugal neutre : l’occupation des Açores par les Américains et les Britanniques.

3.        Il dénonce l’incident de septembre 1941, où des navires allemands ripostent aux tirs de l’USS Greer. Beard prétend que Roosevelt monte l’incident en épingle et il appuie son argumentation sur le rapport de l’Amiral Stark, prouvant l’inter­vention du navire aux côtés des Anglais.

4.        En octobre 1941, un incident similaire oppose des bâtiments de la Kriegsmarine à l’USS Kearny. Roosevelt amplifie l’événement avec l’appui des médias. Beard rétorque en s’appuyant sur le rapport du Secrétaire de la Navy Knox, qui révèle que le navire américain a pris une part active aux combats opposants bâtiments anglais et allemands.

Une stratégie de  provocation

Beard conclut que la stratégie de Roosevelt cherche à provoquer dé­libérément un incident, un casus belli. Cette attitude montre que le Président ne respecte pas les institutions américaines et ne suit pas la voie hiérarchique normale, qui passe par le Congrès. La dé­mo­cratie américaine n’est plus qu’une façade : l’Etat US est devenu cé­sa­riste et ne respecte plus le Con­grès, organe légitime de la nation.

Il est intéressant de noter que la gauche américaine récupèrera Beard contre Johnson pendant la guerre du Vietnam. De Roosevelt à Johnson, la gauche américaine a en effet changé du tout au tout, modifié de fond en comble son argumentation ; elle était favorable à Roosevelt parce qu’il était l’im­pulseur du New Deal, avec toutes ses facettes sociales et dirigistes, et qu’il fut le leader de la grande guerre « anti-fasciste ». Elle cesse de soutenir l’option présidentialiste contre le démocrate Johnson, redevient favorable au Con­grès, parce qu’elle s’oppose à la guerre du Vietnam et à l’emprise des lob­bies militaro-industriels. En fait, la gauche américaine avouait dans les années 60 qu’elle avait été autoritaire, bouclier de l’autocratie rooseveltienne et anti-parlemen­taire (tout en reprochant aux fas­cistes de l’être !). Pire, la gauche avouait qu’elle avait été « fasciste » par « anti-fascisme » !

Dans une première phase donc, la gauche américaine avait été interventionniste. Dans une seconde, elle devient isolationniste. Cette contradiction s’est (très) partiellement exportée vers l’Europe. Cette mutation, typiquement américaine, fait la spécificité du paysage politique d’Outre-Atlantique.

Mettre le Japon au pied du mur…

Intéressantes à étudier sont également les positions de Beard sur la guerre américaine contre le Japon. Beard commence par constater que le Japon voulait une « sphère de co-prospérité est-asiatique », incluant la Chine et étendant l’in­fluence japonaise profondément dans le territoire de l’ex-Céleste Empire. Pour cette raison, croyant contrarier l’expansion nippone, Roo­sevelt organise l’embargo con­tre le Japon, visant ainsi son asphyxie. En pratiquant une telle politique, le Président américain a mis le Japon au pied du mur : ou périr lentement ou tenter le tout pour le tout. Le Japon, à Pearl Harbour, a choisi le deuxième terme de l’alternative. L’enjeu de la guerre américano-japonaise est donc le marché chinois, auquel les Etats-Unis ont toujours voulu avoir un accès direct. Les Etats-Unis veulent une politique de la « porte ouverte » dans toute l’Asie, comme ils avaient voulu une politique iden­tique en Allemagne sous Weimar. Dans la polémique qui l’op­pose à Roosevelt, Beard se range du côté de Hoover, dont la critique à du poids. Beard et Hoover pensent que l’action du Japon en Chine n’enfreint nullement la sou­veraineté nationale américaine, ni ne nuit aux intérêts des Etats-Unis. Ceux-ci n’ont pas à s’inquié­ter : ja­mais les Japonais ne par­viendront à japoniser la Chine.

Après la deuxième guerre mondia­le, Beard ne cessera de s’opposer aux manifestations de bellicisme de son pays. Il critique la politique de Truman. Il refuse la bipolarisation, telle qu’elle s’incruste dans les ma­chines propagandistes. Il critique l’intervention américaine et britanni­que en Grèce et en Turquie. Il critique la recherche d’incidents en Méditerranée. Il rejette l’esprit de « croisade », y compris quand il vise le monde communiste.

En conclusion, Beard est resté pen­dant toute sa vie politique un par­tisan de l’autarcie continentale amé­ricaine et un adversaire résolu du messianisme idéologique. Beard n’était ni anti-fasciste ni anti-com­muniste : il était un autarciste amé­ricain. L’anti-fascisme et l’anti-com­munisme sont des idées internationalistes, donc désincarnées et ir­réalistes.

Oswald Garrison VILLARD

Né en 1872, Oswald Garrison Vil­lard est un journaliste new-yorkais très célèbre, offrant sa prose pré­cise et claire à deux journaux, Post et Nation, propriétés de son père. L’arrière-plan idéologique de Villard est le pacifisme. Il se fait membre de la Ligue anti-impérialiste dès 1897. En 1898, il s’oppose à la guerre contre l’Espagne (où celle-ci perd Cuba et les Philippines). Il estime que la guerre est incom­patible avec l’idéal libéral de gau­che. En 1914, il est l’un des prin­cipaux avocats de la neutralité. De 1915 à 1918, il exprime sa déception à l’égard de Wilson. En 1919, il s’insurge contre les clauses du Trai­té de Versailles : la paix est in­ju­ste donc fragile, car elle sanction­ne le droit du plus fort, ne cesse-t-il de répéter dans ses colonnes. Il s’oppose à l’inter­ven­tion américaine contre la Russie so­viétique, au mo­ment où Wa­shing­ton débarque des troupes à Arkhan­gelsk. De 1919 à 1920, il se félicite de l’éviction de Wilson, de la non-adhésion des Etats-Unis à la SdN. Il apporte son soutien au néo-isolationnisme.

De 1920 à 1930, Villard modifie sa philosophie économique. Il évolue vers le dirigisme. En 1924, il soutient les initiatives du populiste La­Follette, qui voulait que soit inscrite dans la constitution américaine l’obligation de procéder à un réfé­ren­dum avant toute guerre voire avant toute opération militaire à l’étranger. Villard souhaite également la création d’un « Third Par­ty », sans l’étiquette socialiste, mais dont le but serait d’unir tous les progressistes.

En 1932, Franklin Delano Roosevelt arrive au pouvoir. Villard salue cette accession à la présidence, tout comme Beard. Et comme Beard, il rompra plus tard avec Roo­sevelt car il refusera sa politique extérieure. Pour Villard, la neutralité est un principe cardinal. Elle doit être une obligation (compulsory neutrality). Pendant la Guerre d’Espagne, la gauche (dont son journal Nation, où il devient une exception) soutient les Républicains espagnols (comme Vandervelde au POB). Lui, imperturbable, plaide pour une neutralité absolue (comme Spaak et De Man au POB). La gauche et Roosevelt veu­lent décréter un embargo contre les « agresseurs ». Villard, à l’instar de Beard, rejette cette position qui in­terdit toute neutralité absolue.

Plus de pouvoir au Congrès 

Les positions de Villard permettent d’étudier les divergences au sein de la gauche américaine. En effet, dans les années 30, le New Deal s’avère un échec. Pourquoi ? Parce que Roosevelt doit subir l’oppo­si­tion de la « Cour Suprême » (CS), qui est conservatrice. Villard, lui, veut donner plus de pouvoir au Congrès. Comment réagit Roosevelt ? Il augmente le nombre de juges dans la CS et y introduit ainsi ses créatures. La gauche applaudit, croyant ainsi pouvoir réaliser les promesses du New Deal. Villard refuse cet expédient car il conduit au césarisme. La gauche reproche à Villard de s’allier aux conservateurs de la CS, ce qui est faux puisque Villard avait suggéré d’aug­menter les prérogatives du Con­grès.

Dans cette polémique, la gauche se révèle « césariste » et hostile au Con­grès. Villard reste fidèle à une gauche démocratique et parlemen­taire, pacifiste et autarciste. Villard ne « trahit » pas. Ce clivage conduit à une rupture entre Villard et la ré­daction de Nation, désormais dirigée par Freda Kirchwey. En 1940, Villard quitte Nation après 46 ans et demi de bons et loyaux services, accusant Kirchwey de « pro­stituer » le journal. Cette « pro­stitution » con­siste à rejeter le principe autarcique et à adhérer à l’universalisme (messianique). Villard va alors con­tre-attaquer :

1.        Il va rappeler qu’il est un avo­cat du Congrès, donc qu’il est démocrate et non philo-fasci­ste.

2.        Il va également rappeler qu’il s’est opposé aux conservateurs de la CS.

3.        Il va affirmer que c’est l’ama­teurisme de Roosevelt qui a conduit le New Deal à l’échec.

4.        Il démontre qu’en soutenant Roosevelt, la gauche devient « fasciste » parce qu’elle con­tribue à museler le Congrès.

Ni le Japon ni l’Allemagne n’en veulent aux Etats-Unis, écrit-il, donc nul besoin de leur faire la guerre. L’objectif raisonnable à pour­suivre, répète-t-il, est de juxtaposer sur la planète trois blocs modernes autarciques et hermétiques : l’Asie sous la direction du Japon, l’Europe et l’Amérique. Il re­joint l’America-First-Committee qui affirme que si les Etats-Unis interviennent en Asie et en Europe, le chaos s’étendra sur la Terre et les problèmes non résolus s’ac­cu­mu­leront.

Villard n’épargnera pas la politique de Truman et la criblera de ses cri­ti­ques. Dans ses éditoriaux, Tru­man est décrit comme un « po­li­ti­cien de petite ville incompétent », monté en épingle par Roosevelt et sa « clique ». Villard critiquera le bom­bardement atomique de Hiro­shima et de Nagasaki. Il s’opposera au Tribunal de Nuremberg, aux Amé­ricains cherchant à favoriser la mainmise de la France sur la Sarre, à tous ceux qui veulent morceler l’Allemagne. Villard sera ensuite un adversaire de la Guerre Froide, s’in­surgera contre la partition de la Corée et contre la création de l’OTAN.

Robert A. TAFT 

Le père de Robert A. Taft fut pendant un moment de sa vie Président de la CS. Le milieu familial était celui des Républicains de vieil­le tradition. Robert A. Taft exerce ses premières activités po­litiques dans le sillage de Herbert Hoover et collabore à son « Food Programm ». En 1918, il est élu en Ohio. En 1938, il devient Sénateur de cet Etat. Dès cette année, il s’engage à fond dans le combat pour la « non-intervention ». Toute politique, selon lui, doit être défensive. Il fustige les positions « idéa­listes » (c’est-à-dire irréalistes), des messianistes démocrates. « Il faut défendre du concret et non des abstractions », tel est son leitmotiv. La guerre, dit-il, conduirait à museler le Congrès, à faire reculer les gouvernements locaux, à renforcer le gouvernement central. Même si l’Allemagne gagne, argumente-t-il, elle n’attaquera pas les Etats-Unis et la victoire éventuelle du Reich n’arrêterait pas les flux commerciaux. D’où, affirme Taft, il faut à tout prix renforcer le « Neutrality Act », empêcher les navires américains d’entrer dans les zones de combat, éviter les incidents et décréter un embargo général, mais qui permet toutefois le système de vente « cash-and-carry » (« payer et emporter »), à appliquer à tous les belligérants sans restriction. Taft est réaliste : il faut vendre tous les produits sans exception. Nye, Sénateur du North Dakota, et Whee­ler, Sénateur du Montana, veulent un embargo sur les munitions, les armes et le coton.

« Lend-Lease » et « cash-and-carry »

Taft ne sera pas candidat républicain aux élections présidentielles car l’Est vote contre lui ; il ne bénéficie que de l’appui de l’Ouest, hostile à la guerre en Europe. Il s’opposera à la pratique commerciale du « Lend-Lease », car cela implique d’envoyer des convois dans l’Atlantique et provoque immanquablement des incidents. En juillet 1941, la nécessité de protéger les convois aboutit à l’occu­pation de l’Islande. Taft formule une contre-proposition : au « Lend-Lea­se », il faut substituer le « cash-and-carry », ce qui n’empêche nul­le­ment de produire des avions pour la Grande-Bretagne. En juin 1941, la gauche adhère à une sorte de front international anti-fasciste, à l’instigation des communistes (vi­sibles et camouflés). Taft maintient sa volonté de neutralité et constate que la majorité est hostile à la guerre. Seule une minorité de financiers est favorable au conflit. Taft martèle alors son idée-force : le peuple travailleur de l’Ouest est manipulé par l’oligarchie financière de l’Est.

Dans le cadre du parti Républicain, Taft lutte également contre la fraction interventionniste. Son adversaire principal est Schlesinger qui prétend que les isolationnistes provoquent un schisme à l’intérieur du parti, qui risque de disparaître ou d’être exclu du pouvoir pendant longtemps. Dans cette lutte, que s’est-il passé ? Les interventionnistes républicains, rangés derrière Wendell Willkie, chercheront l’al­lian­ce avec la droite démocratique de Roosevelt, pour empêcher les Républicains de revenir au pouvoir. De 1932 à 1948, les Républicains seront marginalisés. Une telle con­figuration avait déjà marqué l’his­toire américaine : le schisme des Whigs en 1858 sur la question de l’esclavage (qui a débouché ensuite sur la Guerre de Sécession).

Pour Schlesinger, les capitalistes, les conservateurs et la CS sont hostiles à Roosevelt et au New Deal, qu’ils estiment être une forme de socialisme. Taft rétorque que les ploutocrates et les financiers se sont alliés aux révolutionnaires, hostiles à la CS, car celle-ci est un principe étatique éternel, servant la cause du peuple, celui de la majorité généralement silencieuse. Les ploutocrates sont favorables au bel­licisme de Roosevelt, parce qu’ils espèrent conquérir des marchés en Europe, en Asie et en Amé­rique la­tine. Telle est la raison de leur bell­i­cisme.

Tant Schlesinger que Taft rejettent la responsabilité sur les capitalistes ou les financiers (les « plouto­cra­tes » comme on disait à l’époque). La différence, c’est que Schlesinger dénonce comme capitalisme le ca­pital producteur enraciné (investis­se­ments), alors que Taft dénonce le capital financier et vagabond (non-investissement).

Contre l’idée de « Croisade » 

Quand les Japonais bombardent Pearl Harbour le 7 décembre 1941 et y détruisent les bâtiments de guerre qui s’y trouvent, la presse, unanime, se moque de Taft et de ses principes neutralistes. La stratégie japonaise a été de frapper le port hawaïen, où ne stationnaient que de vieux navires pour empêcher la flotte de porter secours aux Philippines, que les Japonais s’apprêtaient à envahir, avant de foncer vers les pétroles et le caoutchouc indonésiens. Taft rétorque qu’il aurait fallu négocier et accuse Roosevelt de négligence tant aux Iles Hawaï qu’aux Philippines. Il ne cesse de critiquer l’idée de croisade. Pourquoi les Etats-Unis se­raient-ils les seuls à pouvoir dé­clencher des croisades ? Pourquoi pas Staline ? Ou Hitler ? L’idée et la pratique de la « croisade » con­duit à la guerre perpétuelle, donc au chaos. Taft dénonce ensuite comme aberration l’alliance entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS (chère à Walter Lipp­mann). A cette alliance, il faut sub­stituer des plans régionaux, regrou­per autour de puissances hé­gé­mo­niques les petits Etats trop faibles pour survivre harmonieusement dans un monde en pleine mutation d’échelle.

Taft s’opposera à Bretton Woods (1944), aux investissements massifs à l’étranger et à la création du FMI. Il manifestera son scepticisme à l’endroit de l’ONU (Dumbarton Oaks, 1944). Il y est favorable à condition que cette instance devienne une cour d’arbitrage, mais refuse tout renforcement de l’idéo­logie utopiste. Après la guerre Taft s’opposera à la Doctrine Truman, à la création de l’OTAN, au Plan Marshall et à la Guerre de Corée. En 1946, Churchill prononce sa phrase célèbre (« Nous avons tué le mauvais cochon », celui-ci étant Hitler, le « bon cochon » sous-entendu et à tuer étant Staline) et déplore qu’un « rideau de fer » soit tombé de Stettin à l’Adriatique, plongeant l’Ostmitteleuropa dans des « régimes policiers ». Taft, conservateur « vieux-républicain », admet les arguments anti-com­mu­nistes, mais cette hostilité légitime sur le plan des principes ne doit pas conduire à la guerre dans les faits.

Taft s’oppose à l’OTAN parce qu’elle est une structure interventionniste, contraire aux intérêts du peuple américain et aux principes d’arbitrage qui devraient être ceux de l’ONU. En outre, elle sera un gouffre d’argent. Vis-à-vis de l’URSS, il modifie quelque peu son jugement dès que Moscou se dote de la Bombe A. Il appuie toutefois Joe Kennedy (père de John, Robert/Bob et Ted) quand celui-ci réclame le retrait des troupes américaines hors de Corée, de Berlin et d’Europe. Taft est immédiatement accusé de « faire le jeu de Moscou », mais il reste anti-com­muniste. En réalité, il demeure fi­dè­le à ses positions de départ : il est un isolationniste américain, il con­sta­te que le Nouveau Monde est sé­paré de l’Ancien et que cette sé­paration est une donnée naturelle, dont il faut tenir compte.

John T. FLYNN 

John T. Flynn peut être décrit com­me un « New Dealer » déçu. Beard et Villard avaient également ex­pri­mé leurs déceptions face à l’échec de la restructuration par Roosevelt de l’économie nord-américaine. Flynn dénonce très tôt la démarche du Président consistant à se don­ner des « ennemis mythique » pour dévier l’attention des échecs du New Deal. Il critique la mutation des communistes américains, qui deviennent bellicistes à partir de 1941. Les communistes, dit-il, tra­hissent leurs idéaux et utilisent les Etats-Unis pour faire avancer la politique soviétique.

Flynn était proche malgré lui des milieux fascisants (et folkloriques) américains (Christian Front, German-American Bund, l’American Destiny Party de Joseph McWilliams, un antisémite). Mais le succès de Lindbergh et de son America-First-Committee l’intéresse. Après la guerre, il critiquera les positions de la Fabian Society (qu’il qualifie de « socialisme fascisant ») et plai­dera pour un gouvernement po­pulaire, ce qui l’amène dans le silla­ge de McCarthy. Dans cette opti­que, il fait souvent l’équation « com­­munisme = administration », arguant que l’organisation de l’ad­ministration aux Etats-Unis a été introduite par Roosevelt et para­chevée par Truman. Mais, malgré cette proximité avec l’anti-commu­nisme le plus radical, Flynn reste hostile à la guerre de Corée et à toute intervention en Indochine, con­tre les communistes locaux.

Lawrence DENNIS 

Né en 1893 à Atlanta en Géorgie, Lawrence Dennis étudie à la Philips Exeter Academy et à Harvard. Il sert son pays en France en 1918, où il accède au grade de lieutenant. Après la guerre, il entame une carrière de diplomate qui l’emmène en Roumanie, au Honduras, au Ni­caragua (où il observe la rébellion de Sandino) et au Pérou (au moment où émerge l’indigénisme pé­ru­vien). Entre 1930 et 1940, il joue un rôle intellectuel majeur. En 1932, paraît son livre Is Capitalism Doomed ? C’est un plaidoyer planiste, contre l’extension démesurée des crédits, contre l’exportation de capitaux, contre le non-investis­se­ment qui préfère louer l’argent que l’investir sur place et génère ainsi le chômage. Le programme de Dennis est de forger une fiscalité cohérente, de poursuivre une politique d'investissements créateurs d’em­ploi et de développer une autarcie américaine. En 1936, un autre ou­vra­ge suscite le débat : The Coming American Fascism. Ce livre con­state l’échec du New Deal, à cause d’une planification déficiente. Il constate également le succès des fascismes italien et allemand qui, dit Dennis, tirent les bonnes con­clusions des théories de Keynes. Le fascisme s’oppose au communisme car il n’est pas égalitaire et le non-égalitarisme favorise les bons techniciens et les bons gestionnaires (les « directeurs », dira Burnham).

Il y a une différence entre le « fas­cis­me » (planiste) tel que le définit Den­nis et le « fascisme » roose­vel­tien que dénoncent Beard, Villard, Flynn, etc. Ce césaris­me/fas­­cisme roo­seveltien se dé­ploie au nom de l’anti-fascisme et agresse les fascismes européens.

En 1940, un troisième ouvrage de Dennis fait la une : The Dynamics of War and Revolution. Dans cet ouvrage, Dennis prévoit la guerre, qui sera une « guerre réactionnaire ». Dennis reprend la distinction des Corradini, Sombart, Haushofer et Niekisch, entre « nations prolétariennes » et « nations capita­listes » (haves/havenots). La guer­re, écrit Dennis, est la réaction des nations capitalistes. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, nations ca­pi­talistes, s’opposeront à l’Alle­magne, l’Italie et l’URSS, nations prolétariennes (le Pacte germano-soviétique est encore en vigueur et Dennis ignore encore qu’il sera dissous en juin 1941). Mais The Dynamics of War and Revolution constitue surtout une autopsie du monde capitaliste américain et occi­dental. La logique capitaliste, explique Dennis, est expansive, elle cherche à s’étendre et, si elle n’a pas ou plus la possibilité de s’é­ten­dre, elle s’étiole et meurt. D’où le capitalisme cherche constamment des marchés, mais cette recherche ne peut pas être éternelle, la Terre n’étant pas extensible à l’infini. Le capitalisme n’est possible que lors­qu’il y a expansion territoriale. De là, naît la logique de la « frontière ». Le territoire s’agrandit et la population augmente. Les courbes de profit peuvent s’accroître, vu la né­ces­sité d’investir pour occuper ou coloniser ces territoires, de les équiper, de leur donner une infrastructure, et la nécessité de nourrir une population en phase d’explo­sion démographique. Historiquement parlant, cette expansion a eu lieu entre 1600 et 1900 : les peuples blancs d’Europe et d’Amérique avaient une frontière, un but à at­teindre, des territoires à défricher et à organiser. En 1600, l’Europe in­vestit le Nouveau Mon­de ; de 1800 à 1900, les Etats-Unis ont leur Ouest ; l’Europe s’étend en Afrique.

L’ère capitaliste est terminée

Conclusion de Dennis : l’ère capitaliste est terminée. Il n’y aura plus de guerres faciles possibles, plus d’injection de conjoncture par des expéditions coloniales dotées de faibles moyens, peu coûteuses en matières d’investissements, mais rapportant énormément de dividendes. Cette impossibilité de nouvelles expansions territoriales explique la stagnation et la dépression. Dès lors, quatre possibilités s’offrent aux gouvernants :

1.        Accepter passivement la sta­gnation ;

2.        Opter pour le mode communis­te, c’est-à-dire pour la dicta­ture des intellectuels bourgeois qui n’ont plus pu accé­der au capitalisme ;

3.        Créer un régime directorial, corporatiste et collectiviste, sans supprimer l’initiative pri­vée et où la fonction de con­trôle politique-étatique con­siste à donner des directives efficaces ;

4.        Faire la guerre à grande é­chelle, à titre de palliatif.

Dennis est favorable à la troisième solution et craint la quatrième (pour laquelle opte Roosevelt). Dennis s’oppose à la seconde guerre mon­diale, tant dans le Pacifique que sur le théâtre européen. Plus tard, il s’opposera aux guerres de Corée et du Vietnam, injections de con­jonc­ture semblables, visant à dé­truire des matériels pour pouvoir en reconstruire ou pour amasser des dividendes, sur lesquels on spéculera et que l’on n’investira pas. Pour avoir pris de telles positions, Dennis sera injurié bassement par la presse du système de 1945 à 1955, mais il continue imperturbablement à affiner ses thèses. Il commence par réfuter l’idée de « péché » dans la pratique politique internationale : pour Dennis, il n’y a pas de « péché fasciste » ou de « péché communiste ». L’obsession américaine de pratiquer des politiques de « portes ouvertes » (open doors policy) est un euphémisme pour désigner le plus implacable des impérialismes. La guerre froide implique des risques énormes pour le monde en­tier. La guerre du Vietnam, son en­lisement et son échec, montrent l’inutilité de la quatrième solution. Par cette analyse, Dennis a un impact incontestable sur la pensée contestatrice de gauche et sur la gauche populiste, en dépit de son étiquette de « fasciste ».

En 1969, dans Operational Thinking for Survival, Dennis offre à ses lecteurs sa somme finale. Elle con­siste en une critique radicale de l’A­merican Way of Life.

Conclusion 

Nous avons évoqué cinq figures d’opposants américains à Roosevelt. Leurs arguments sont similaires, en dépit de leurs diverses provenances idéologiques et politiques. Nous aurions pu comparer leurs positions à celles de dissidents américains plus connus en Europe comme Lindbergh ou Ezra Pound, ou moins connus comme Hamilton Fish. Nous aurions pu également analyser les travaux de Hoggan, historien contemporain non conformiste, soulignant les res­ponsabilités britanniques et américaines dans le deuxième conflit mon­dial et exposant minutieux des positions de Robert LaFollette. En­fin, nous aurions pu analyser plus en profondeur l’a­venture politique de cet homme politique populiste des années 20, leader des « pro­gres­sistes ». Leur point commun à tous : la volonté de maintenir une ligne isolationniste, de ne pas inter­venir hors du Nouveau Monde, de maximiser le dé­veloppement du territoire des Etats-Unis. 80% de la population les a suivis. Les intellectuels étaient partagés.

L’aventure de ces hommes nous montre la puissance de la manipulation médiatique, capable de re­tour­ner  rapidement l’opinion de 80% de la population américaine et de les entraîner dans une guerre qui ne les concernait nullement. Elle démontre aussi l’impact des principes autarciques, devant con­duire à une juxtaposition dans la paix de grands espaces autonomi­sés et auto-suffisants. En Europe, ce type de débat est délibérément ignoré en dépit de son ampleur et de sa profondeur, l’aventure intellectuelle et politique de ces Américains non conformistes est désormais inconnue et reste inexplorée.

Une étude de cette problématique interdit toute approche manichéen­ne. On constate que dans la gauche américaine (comme dans une certaine droite, celle de Taft, p. ex.), l’hostilité à la guerre contre Hitler et le Japon implique, par une logique implacable et constante, l’hostilité ultérieure à la guerre con­tre Staline, l’URSS, la Corée du Nord ou le Vietnam d’Ho Chi Minh. Dans l’espace linguistique francophone, il semble que les non-con­formismes (de droite comme de gau­che) n’aient jamais tenu compte de l’opposition intérieure à Roosevelt, dont la logique est d’une clarté et d’une limpidité admirables. Navrante myopie politique…

Robert STEUCKERS.

(Conférence prononcée à Ixelles à la Tribune de l’EROE en 1986, sous le patronage de Jean E. van der Taelen ; texte non publié jusqu’ici).

mardi, 27 mars 2007

Aux sources de l'européisme contemporain

Robert Steuckers:

Les visions d'Europe à l'époque napoléonienne

Aux sources de l'européisme contemporain

Les visions d'une Europe unifiée et autarcique ne datent pas de Locarno et d'Aristide Briand, ni de la seconde guerre mondiale ni des pères fondateurs des communautés européennes. Elles ont eu des antécédents dès l'âge de la philosophie des Lumières. Bon nombre de conceptions se sont précisées à l'époque napoléonienne.

L'Europe dans l'optique des philosophes des Lumières est:
× un espace de ³civilisation² et de ³bon goût²;
× une civilisation marquée par le déclin et l'inadaptation (due à l'industrie montante);
× une civilisation où la raison décline;
× une civilisation marquée par la gallomanie et déstabilisée par les réactions nationales face à cette gallomanie omniprésente.
Les philosophes des Lumières considèrent déjà que l'Europe est coincée entre la Russie et l'Amérique. Ils se partagent entre russophiles et russophobes.. Tous estiment toutefois que l'Amérique est une Nouvelle Europe, une Europe remise en chantier au-delà de l'Atlantique et où de multiples possibilités sont en jachère.

Les ³Lumières² et Herder

Dans le cadre de la philosophie des Lumières et de la gallomanie ambiante, Herder développe une vision critique de la situation intellectuelle en Europe et réfléchit en profondeur sur le sens de l'individualité historique des constructions collectives, fruits de longues maturations, ciselées et façonnées par le temps. Il jette les bases d'une critique positive de la gallomanie, comme culte artificiel des styles gréco-romains imités, à l'exclusion de tous les autres, notamment du gothique médiéval. Rousseau abonde dans le même sens, voit l'histoire comme une dialectique harmonieuse entre les nations et l'universel, mais estime que l'Europe en déclin, derrière les façades néo-classiques du XVIIIième siècle, est moralement condamnable car perverse et corrompue. Herder veut réhabiliter les cultures populaires plus enracinées, faire revivre les cultures autochtones que les processus d'urbanisation et de rationalisation, propres de la civilisation, ont marginalisées ou taraudées. Pour lui, l'Europe est une famille de nations (de peuples). Contrairement à Rousseau, il estime que l'Europe n'est pas condamnable en soi, mais qu'elle doit se ressaisir et ne pas exporter en Russie et en Amérique l'européisme abstrait au vernis gréco-romain, expression d'une artificialité sans racines permettant toutes les manipulations et engendrant le despotisme. Herder connaît l'Europe physiquement et charnellement pour avoir voyagé de Riga à Nantes, pérégrinations sur lesquelles il nous a laissé un journal fourmillant d'observations pertinentes sur l'état des mentalités au XVIIIième. Il compare avec minutie les cultures régionales des pays qu'il traverse, pose une série de diagnostics, mêlant constats de déclin et espoirs de guérison  ‹la guérison d'un peuple passant par la résurrection de sa langue, de ses traditions et des racines de sa littérature. Sur base de cette expérience vécue, il veut faire des Pays Baltes, sa patrie, et de l'Ukraine (avec la Crimée) l'atelier d'une Europe rénovée, tout à la fois
× respectueuse des modèles grecs classiques (mais surtout homériques; Herder réhabilite pleinement la Grèce homérique, donnant l'impulsion aux recherches philologiques ultérieures) et
× fidèle à ses héritages non grecs et non romains, médiévaux et barbares (slaves ou germaniques).
Cette Europe rénovée se forgera par le truchement d'un système d'éducation nouveau, nettement plus attentif que ces prédécesseurs aux racines les plus anciennes des choses, des entités politiques, du droit, de l'histoire charnelle des peuples, etc.  Dans ce sens, l'Europe espérée par Herder doit être, non pas une société d'Etats-personnes, mais une COMMUNAUTÉ DE PERSONNALITÉS NATIONALES.

Après les troubles et les bouleversements de la Révolution française, après la prise du pouvoir par Napoléon Bonaparte, bon nombre d'observateurs politiques européens commencent à percevoir l'Europe comme un BLOC CONTINENTAL (Bertrand de Jouvenel sortira un maître ouvrage sur cette thématique). Avec le blocus continental, l'idée d'une autarcie économique européenne prend corps progressivement. Elle a surtout des exposants français, mais aussi beaucoup de partisans allemands, comme Dalberg, Krause ou le poète Jean Paul (dont l'héritier direct au 20ième siècle sera un autre poète, Rudolf Pannwitz; cf. Robert Steuckers, "Rudolf Pannwitz: ³Mort de la Terre², Imperium europæum et conservation créatrice", in Nouvelles de Synergies Européennes, n°19, avril 1996).

Le Baron von Aretin

Le Baron von Aretin (1733-1824), Bavarois se revendiquant d'un héritage celtique, sera un partisan de Napoléon, en qui il voit un champion de la romanité et de la catholicité en lutte contre le ³borussisme², l'³anglicisme² et le ³protestantisme². Cependant, des protestants allemands développeront à leur tour un européisme pro-napoléonien, non pas au nom d'un mélange idéologique de celtitude, de romanité et de catholicisme, mais au nom de l'idéal protestant qui consiste à s'opposer systématiquement à toute puissance universelle, comme entend l'être la thalassocratie britannique. Le protestantisme, dans cette optique, s'est dressé hier contre les prétentions universalistes de l'Eglise de Rome; il se dresse aujourd'hui non plus contre l'universalisme de la Révolution et du Code Napoléon, mais contre l'universalisme économique de la thalassocratie anglaise. Cet idéal, à la fois protestant et européiste, se retrouvait essentiellement dans la bourgeoisie négociante d'Allemagne du Nord (Brème, Hambourg, mais aussi Anvers). Pour cette catégorie d'hommes, il s'agissait de briser les monopoles anglais et de les remplacer par des monopoles européens (ils préfigurent ainsi les théories de l'économiste List). L'objectif était l'éclosion d'une industrie autochtone européenne, capable de se développer sans la concurrence des produits coloniaux anglais, vendus à bas prix.

Le mémorandum de Theremin

Parmi les autres théoriciens allemands de l'autarcie et de l'indépendance continentale européenne, citons le Prussien Theremin, qui, dans son memorandum de 1795 (Des intérêts des puissances continentales relativement à l'Angleterre), constate que l'Angleterre colonise commercialement l'Europe et les Indes et qu'elle constitue de la sorte un despotisme maritime (Theremin est clairement un précurseur du géopolitologue Haushofer). Après 1815, plusieurs théoriciens allemands éprouvent une claire nostalgie de l'autarcie continentale. Ainsi, Welcker plaide pour une alliance franco-prussienne ³pour organiser l'Europe². Glave, pour sa part, prône une alliance franco-autrichienne pour exclure la Russie et l'Empire ottoman de l'Europe. Woltmann, dans Der neue Leviathan  (= Le nouveau Léviathan), plaide pour l'unification européenne afin de faire face à ³l'universalisme thalassocratique². Bülow entend promouvoir une ³monarchie européenne universelle² qui aura pour tâche de conquérir l'Angleterre, afin qu'elle cesse de nuire aux intérêts du continent, et formule un ³projet culturel² d'inspiration européiste afin d'annuler les incohérences et les pressions centrifuges que génèrent les nationalismes locaux.

Le Comte d'Hauterive

Les théoriciens français de l'autarcie européenne à l'époque napoléonienne abandonnent définitivement le romantisme exotique, orientalisant, après le double échec des opérations militaires de Bonaparte en Egypte et en Palestine. Désormais, les protagonistes du grand continent raisonnent en termes exclusivement ³européens² voire, avant la lettre, ³européo-centrés². Réactualisant, dans la France impériale de Napoléon, le ³Testament de Richelieu², ces visionnaires français de l'Europe future, dans leurs projets, font de la France la base de l'unification continentale. Contre l'Angleterre et sa flotte ubiquitaire et puissante, il faut organiser le blocus, fermer l'Europe au commerce anglais et faire de cette fermeture un ³système général². Ainsi le Comte d'Hauterive, dans son ouvrage, De l'Etat de la France à la fin de l'an VIII (= 1800), écrit que l'idéal pour la France en Europe avait été la situation de 1648 mais que cette situation avait par la suite été bouleversée par la montée de la Prusse et de la Russie et par la domination navale de l'Angleterre. La France aurait eu intérêt à contrer la montée en puissance de ces trois facteurs. Néanmoins, après les guerres de la Révolution, une situation nouvelle émerge: le Continent, dans son ensemble, fait désormais face à la Mer, dominée par l'Angleterre, grâce, notamment, aux victoires de Nelson en Méditerranée (Aboukir et Trafalgar). Dans ce contexte, la France n'est plus simplement une partie de l'Europe, opposée à d'autres parties, mais l'hegemon du Continent, le moteur dynamisant de la nouvelle entité continentale européenne. D'Hauterive, dont l'idéologie n'est nullement révolutionnaire, renoue explicitement avec une perspective carolingienne, également opposée au protestantisme en Europe.

Dans le camp hostile à Napoléon et à l'hegemon de la France, on plaide généralement pour un ³équilibre des puissances², clef de voûte de la diplomatie conservatrice à l'époque. Chaque Etat doit se limiter, écrivent des auteurs comme Martens, von Gentz ou Ancillon. Si les Etats ne se limitent pas, ne brident par leur puissance et leurs propensions à l'expansion, l'ensemble européen connaîtra le déclin à la suite de guerres incessantes, épuisant la vitalité des peuples. Pour ces conservateurs prussiens, il faut élaborer un système de contre-forces et de contre-poids (ce qui, envers et contre leur bonne volonté, s'avèrera bellogène au début du 20ième siècle). Le camp des européistes anti-napoléoniens est diversifié, nous y trouvons des monarchistes d'ancien régime, des représentants du paysannat (hostiles au Code Napoléon et à certaines de ses règles de droit), des républicains puristes (qui voient dans le bonapartisme un retour à des formes monarchiques), des représentants de la fraction de la bourgeoisie lésée par le blocus, des révolutionnaires déçus parce que l'idéal de fraternité n'a pas été incarné en Europe.

Fichte, Arndt, Jahn

Dans ce contexte, les Romantiques, dont Novalis, Müller et les frères Schlegel, préconisent un retour au christianisme médiéval, c'est-à-dire à un idéal d'avant la fracture de la Réforme et de la Contre-Réforme qu'ils croient capable de surmonter les cruelles divisions internes de l'Europe. Les nationalistes (allemands), comme Fichte et Jahn, sont républicains, hostiles à la forme française de la Révolution, mais tout aussi hostiles à une restauration pure et simple de l'ancien régime. Pour Fichte, Arndt et Jahn, la Prusse est un simple instrument, mais très efficace, pour forger une nouvelle et puissante nation allemande. Fichte est volontariste: la constitution volontaire de cadres étatiques nationaux conduira à un telos universel, à un monde organisé selon autant de modalités différentes qu'il y a de peuples. L'harmonie universelle viendra quand chaque espace national aura reçu, à sa mesure, une structure de type étatique. Dans ce sens, l'universalisme fichtéen n'est pas monolithique mais pluriel. Pour ces nationalistes, la nation, c'est le peuple opposé à l'arbitraire des princes et des monarques. A ce volontarisme et à ce nationalisme centré sur le peuple s'ajoute, notamment chez Arndt, une dialectique Nord/Sud, où le Nord est libertaire et le Sud développe une fâcheuse propension à trop obéir à l'Eglise et aux Princes. Arndt, par exemple, propose pour la future Allemagne unie, qu'il appelle de ses v¦ux,  le modèle suédois, modèle élaboré par une nation homogène, exemple d'une germanité plus authentique et fort puissante, organisé selon des critères étatiques solides, depuis les réformes civiles et militaires du Roi Gustav-Adolf au XVIIième siècle; un roi qui avait voulu devenir le champion du protestantisme ‹mais d'un protestantisme organisé et non générateur de sectes impolitiques, comme les dissidents anglais et les puritains américains‹  contre Rome et l'Empire catholique du fanatique Ferdinand II, qui préférait, disait-il, régner sur un désert plutôt que sur un pays peuplé d'hérétiques! (On peut parfaitement comparer les réformes de Gustav-Adolf à certaines créations de Richelieu, comme la mise sur pied d'une Académie Royale, destinée à organiser le savoir abstrait et pratique pour consolider l'Etat).

La Sainte-Alliance et Franz von Baader

Pendant la Restauration, c'est l'Autrichien Metternich qui donne le ton et tente de forger et d'asseoir définitivement une Europe réactionnaire, traquant partout tous les résidus de la Révolution française. L'instance internationale de l'époque est la Sainte-Alliance de 1815 (Grande-Bretagne, Russie, Prusse, Autriche), qui devient la Pentarchie en 1822 (quand la France se joint aux quatre puissances victorieuses de 1814-15). La Restauration permet l'éclosion d'un romantisme contre-révolutionnaire, incarné notamment par Franz von Baader. Elle vise aussi à organiser rationnellement l'Europe sur base des acquis de l'ancien régime, remis en selle en 1815. Franz von Baader envisage une Union religieuse des trois confessions chrétiennes en Europe (protestantisme, catholicisme, orthodoxie), pour s'opposer de concert aux principes laïcs de la Révolution et pour aplanir les contentieux qui pourraient survenir entre les composantes majeures de la Sainte-Alliance. Ce projet est rejeté par les catholiques les plus intransigeants, qui refusent d'accepter qu'un destin commun les lie aux protestants et aux orthodoxes. Franz von Baader perçoit la Russie comme le bastion de la restauration et comme l'ultime redoute de la religion face au déferlement de la modernité. La ³révolution conservatrice² des premières décennies du 20ième siècle reprendra cette idée, sous l'impulsion d'Arthur Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevski, qui prétendra, dans la foulée, que la Russie avait maintenu intacts ses instincts anti-libéraux malgré la révolution bolchevique. De ce fait, aux yeux du conservateur Moeller van den Bruck, la Russie soviétique devenait un allié potentiel de l'Allemagne face à l'Ouest.

Schmidt-Phiseldeck

Le diplomate danois au service de la Prusse Schmidt-Phiseldeck prône dans le contexte de la restauration un autocentrage de l'Europe sur elle-même  ‹même idée que celle du bloc continental napoléonien mais sous des signes idéologiques différents‹  et avertit les nations européennes contre toute aventure coloniale qui disperserait les énergies européennes aux quatre coins de la planète, déséquilibrerait le continent et provoquerait des rivalités d'origine extra-européennes entre Européens contre l'intérêt même de l'Europe en tant que famille de peuples, unis par un même destin géographique. Schmidt-Phiseldeck veut une ³intégration intérieure², donc une organisation structurelle de l'Europe, et perçoit clairement le danger américain (qui se pointe déjà à l'horizon). Pour lui, la seule expansion possible de l'Europe est en direction de l'Anatolie turque et de la Mésopotamie. L'ancienne aire byzantine toute entière doit redevenir européenne, par la force si besoin s'en faut et par une union indéfectible de toutes les forces militaires de la Pentarchie, capables de culbuter les armées ottomanes dans une campagne de brève durée. On peut dire a posteriori que Schmidt-Phiseldeck est un précurseur (anti-ottoman) de la ligne aérienne et ferroviaire Berlin-Bagdad, mais sans hostilité à l'égard de la Russie.

Autre théoricien de l'époque, Constantin Frantz (cf. Robert Steuckers, "Constantin Frantz", in Encyclopédie des ‘uvres philosophiques, PUF, 1992), critiquera également les expansions coloniales dans des termes analogues, préfigurant ainsi les thèses de Christoph Steding (cf. Robert Steuckers, "Christpoph Steding", in Encyclopédie des ‘uvres philosophiques, PUF, 1992), du géopolitologue Arthur Dix et de Jäkh, auteur, pendant la première guerre mondiale, d'un mémorandum justifiant l'alliance germano-ottomane dans le sens d'une exploitation commune de l'espace entre Constantinople et le Golfe Persique. La Guerre du Golfe est ainsi, à la lumière de ces analyses posées successivement au fil du temps par Schmidt-Phiseldeck, Frantz, Steding, Dix et Jäkh, une guerre préventive contre l'Europe, dont la seule expansion possible est en direction du Sud-Est, comme les principales vagues indo-européennes de la proto-histoire et de l'antiquité se portaient également dans cette direction, fondant successivement la Grèce archaïque, l'Empire Hittite, les Empires perse et mède, les royaumes aryens d'Inde. [ajout d'avril 2000: Le sort de l'Europe se tient par le Sud-Est: la puissance qui barre la route de l'Europe dans cette direction est celle qui la maintient la tête sous l'eau, empêche son développement harmonieux. C'est aujourd'hui, clairement, la stratégie choisie par l'alliance américano-turque, qui vient de ré-implanter une présence ottomane dans les Balkans, par Bosnie et Albanie interposées, pour s'opposer aux pénétrations pacifiques et économiques de l'Allemagne, de l'Autriche, puissances civiles et industrielles capables de développer les Balkans, et de la Russie, capable de donner une garantie militaire et nucléaire à ce projet. Pire, il s'agit d'une stratégie qui conteste à la Russie sa présence en Mer Noire, ruinant les acquis de Catherine la Grande].

Görres et l'hegemon allemand

Pour sa part, Görres, autre théoricien allemand de l'époque de la Restauration, envisage une Allemagne unifiée et re-catholicisée comme hegemon de l'Europe, en lieu et place de la France napoléonienne. Cette Allemagne serait civile et spirituelle et non pas guerrière à la façon bonapartiste. Elle viserait la paix perpétuelle et serait la puissante fédératrice par excellence, ayant des frontières communes avec toutes les autres nations européennes. Le destin géographique de l'Allemagne, la multiplicité de ses voisins, en font la fédératrice de l'Europe par destin géographique. L'universalité (ou la catholicité au sens étymologique du terme) de l'Allemagne provient justement de la simple existence bien concrète de ces voisinages multiples et diversifiés, permettant à l'intelligentsia allemande de jeter en permanence un regard varié et pluriel sur les événements du monde, sans vouloir les biffer à l'aide d'une idéologie toute faite. Elle seule peut intégrer, assimiler et synthétiser mieux que les autres, grâce à cette proximité territoriale et physique pluri-millénaire.

Leopold von Ranke, historien nationaliste allemand, développe, quant à lui, une vision plus romano-germanique de l'Europe, d'essence chrétienne. Il évoque un ³génie occidental², contrairement à von Baader qui valorise la virginité russe face au déclin rationaliste de l'Ouest. Pour von Ranke, l'Orient est ³sombre folie², car ni l'Etat ni l'Eglise n'y pénètrent au fond du peuple.. L'Occident, pour lui, est le système le plus parfait. Ce système est l'élu de Dieu sur la Terre. Ranke est donc à l'origine des options occidentalistes du nationalisme allemand ultérieur.

Constantin Frantz et l'équilibre pentarchique

Constantin Frantz s'oppose à trois forces politiques majeures, actives dans les Etats allemands de son époque: l'ultramontanisme, le particularisme catholique en Bavière, le national-libéralisme prussien (et, partant, le capitalisme). Ces forces politiques sont centrifuges, maintiennent la division de l'ensemble mitteleuropéen, parce qu'elles raisonnent en termes partisans et fractionnistes. Pour lui, le Reich moderne, le Reich à venir après l'abrogation en 1806 du Reich historique sous la pression napoléonienne, devra s'étendre à toute l'Europe centrale (la ³Mitteleuropa²) et se donner une organisation fédéraliste, tenant compte des diversités de notre continent. L'équilibre européen, pour Frantz, doit rester pentarchique et centripète dans le cadre géospatial européen. Toute extraversion colonialiste est un danger, si bien qu'à ses yeux, l'Angleterre n'est plus une nation européenne mais un empire maritime en marge du continent; la France a, elle aussi, cessé d'être pleinement européenne depuis qu'elle a pris pied en Algérie et en Afrique: elle devient une nation eurafricaine qui l'éloigne a fortiori des problèmes spécifiquement européens et la distrait des tâches structurelles dont le continent a fortement besoin, au moment où l'accroissement de la population et l'industrialisation impliquent un changement d'échelle et impulsent un volontarisme et une imagination politiques pour que les sombres prévisions de Malthus ne deviennent pas le lot inéluctable des grandes masses déracinées, urbanisées et prolétarisées. La politique sociale de Bismarck et le socialisme de la chaire seront des réponses à ce défi.

L'extraversion colonialiste

Frantz critique sévèrement l'Angleterre et la France, puissances ayant au préalable commis le péché d'extraversion, pour avoir fait la Guerre de Crimée contre la Russie. Elles se sont ainsi opposées à un Etat constitutif de la Pentarchie européenne au profit d'un Etat qui n'en faisait pas partie (l'Empire ottoman), ce qui, pour Frantz, constitue une entorse très grave à l'esprit d'unité de la Sainte Alliance, censée apporter une paix définitive en Europe, de façon à faire de celle-ci un bloc civilisationnel cohérent et solide, s'étendant de l'Atlantique au Pacifique. La Guerre de Crimée aliène la Russie vaincue par rapport au reste de l'Europe, car une violente réaction anti-occidentale, entraînant l'Allemagne et l'Autriche neutres dans cet opprobre, se constitue et se consolide chez les intellectuels russes.  Ceux-ci ne pardonnent pas aux autres Européens cette trahison abjecte de la Russie, qui s'était longuement battue pour l'Europe en libérant la rive nord de la Mer Noire et le Caucase du joug ottoman entre 1750 et 1820.

L'Allemagne en gestation et l'Autriche deviennent, quant à elles, des empires sans espace, coincés entre des puissances disposant de vastes étendues extra-européennes, centre-asiatiques ou sibériennes. A elles seules incombe désormais la tâche d'organiser en autarcie, comme il se doit, la portion d'Europe qui leur reste, mais sans pouvoir étendre ce principe constructif d'organisation structurelle et territoriale aux marges occidentales et orientales de notre sous-continent. L'Europe est dès lors dangereusement déséquilibrée et déstabilisée. Les guerres inter-européennes deviennent possibles, y compris pour régler des problèmes extra-européens, survenus dans les espaces colonisés. La Guerre de Crimée porte en germe l'horrible tragédie de 1914-1918.

Ernst von Lasaulx

Pour Ernst von Lasaulx, professeur de philologie classique à Würzburg et Munich, les diplomates européens doivent reconnaître les forces à l'¦uvre hic et nunc sur le continent, et répondre à la question: "Où nous trouvons-nous aujourd'hui dans le flux de l'histoire?". Seule cette interrogation permet de faire des projets cohérents pour l'avenir. Elle implique que l'homme d'Etat sérieux et efficace doit connaître le maximum de faits historiques (sinon, la totalité!), car tous ont une incidence, même fortuite, sur la structure du présent. L'avenir ne se construit que par recours au passé, à tout le passé. Celui qui l'ignore, ou le connaît mal, ou le connaît à travers le filtre d'images propagandistes, est condamné à faire des essais et des erreurs, à procéder par tâtonnements voués à l'échec. Catholique d'origine, influencé par Baader, Lasaulx est surtout un mystique germanique et un "pansophique". Dans cette optique, la vraie religion des époques historiques fortes, est expression de la vie, de la vitalité. En Europe, régulièrement, par cycles, des "peuples jeunes" ont régénéré les peuples vieillissants. Lors de l'effondrement de l'Empire romain, ce rôle a été dévolu aux Germains. Pour Lasaulx, les Slaves (surtout les Russes) prendront le relais. Ils seront le "Katechon" de l'Europe qui, sans eux, s'engloutirait dans la décadence, accentuée par les idées occidentales et françaises.

Conclusion:

Les visions d'Europe de l'époque napoléonienne et de la Restauration conservent une pertinence politique certaine; elles expliquent des permanences et des lames de fonds. La connaissance de ce dossier demeure à nos yeux un impératif de "sériosité" pour les hommes d'Etat.

Notre exposé contient sept idées majeures, toujours actuelles, qu'il faut toujours garder en tête quand on pense ou on veut penser l'Europe, comme espace de civilisation cohérent:
1. L'espace s'étendant des Pays Baltes à la Crimée doit être organisé selon des modalités propres sans hostilité au reste de la Russie (Herder).
2. L'Europe est une diversité (et le restera). Cette diversité est source de richesse, à condition qu'on l'harmonise sans la stériliser (Herder).
3. L'opposition Terre/Mer reste une constante de l'histoire européenne (Theremin, d'Hauterive) et, dans le concert des peuples européens, la France oscille entre les deux, car elle est capable d'être tantôt une puissance navale, tantôt une puissance continentale. Carl Schmitt et Karl Haushofer sont les héritiers intellectuels de Theremin et d'Hauterive. Dans les années 60 de notre siècle, Carl Schmitt a toutefois tenu compte d'un changement de donne stratégique et technologique, avec la puissance aérienne et la maîtrise des espaces circum-terrestres.
4. L'idée de Baader de forger une Union religieuse et de dépasser, de ce fait, les clivages confessionnels bellogènes, reste un impératif important. Les guerres inter-yougoslaves de 1991 à nos jours montrent clairement que les confessions ne sont pas neutralisées, qu'elles conservent une potentialité conflictuelle certaine. Pour nous, reste à savoir si les christianismes officiels peuvent apporter l'harmonisation du continent ou s'il n'est pas légitime, comme nous le pensons, de retourner aux valeurs pré-chrétiennes, pour donner un socle plus sûr à notre espace civilisationnel.
5. Avec Schmidt-Phiseldeck, force est de constater que la présence ottomane est une anomalie à l'Ouest de l'Egée et du Bosphore, empêchant notre continent de se "vertébrer" définitivement [ajout d'avril 2000:  Toute présence ottomane dans les Balkans interdit aux Européens d'organiser le Danube. L'objectif des Ottomans était de contrôler ce grand fleuve, au moins jusqu'à Vienne, la "Pomme d'Or". Ce projet a échoué grâce à la résistance héroïque des milices urbaines de Vienne, des armées impériales, hongroises et polonaises. Ce projet a failli réussir à cause de la trahison des rois de France, François I et Louis XIV].
6. Görres et Frantz ont théorisé clairement la nécessité de conserver à tout prix la cohésion du centre de l'Europe. Cette nécessité géographique doit être la base concrète d'une renaissance du Saint-Empire.
7. L'extraversion coloniale a ruiné l'Europe et importé en Europe des conflits dont l'origine était extra-européenne. L'Europe doit d'abord s'auto-centrer puis organiser sa périphérie, par la diplomatie et un dialogue inter-civilisations.

Ces sept recettes méritent d'être méditées.

Robert STEUCKERS.
(Extrait d'une conférence prononcée à l'Université d'été de "Synergies Européennes", Lourmarin, 1995).

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dimanche, 25 mars 2007

Symon Petlura

Trouvé sur: http://theatrumbelli.hautetfort.com/

Symon Petlura

C’est à Poltava, dans une Ukraine asservie et divisée entre empires russe et austro-hongrois que naquit le jeune Symon dans une famille descendante de cosaques appauvris, en mai 1879. L’émergence du sentiment national chez ce peuple farouchement attaché à sa liberté et son identité s’était accélérée à la fin du 19ème siècle, surtout dans la partie autrichienne (Galicie). Dans l’empire des tsars, au contraire, les Ukrainiens, qualifiés de « Petits Russes » subissaient une domination quasi coloniale nantie d’une répression impitoyable et d’une interdiction de leur langue, dont l’existence même était niée. Dès sa tendre enfance, Petlura montre une capacité de travail et une intelligence peu communes alliées à une grande sensibilité.
Très tôt acquis à la cause nationale, il adhère au Parti révolutionnaire Ukrainien (RUP) et se fait virer du séminaire en 1901. Pour échapper à la police, il doit partir dans le Kouban où il participe à la rédaction de plusieurs publications nationalistes.
A l’automne 1904, Petlura se trouve en exil à Lviv en Galicie, après un premier séjour en prison, où il devient un membre dirigeant du Parti social démocrate ouvrier ukrainien.
Le mouvement national ukrainien de cette époque est très hétérogène et fortement marqué à gauche avec un mélange particulier de socialisme et de fédéralisme.
Dans cet environnement idéologique, Petlura s’affirme clairement antimarxiste et s’impose par son éloquence et son pouvoir de persuasion.
Son activité débordante de militant et de publiciste dans de multiples journaux et les bons soins de la police tsaristes le font voyager de Saint- Pétersbourg à Kyiv pour aboutir enfin à Moscou en 1912 où il épouse sa compatriote Olha Bilska qui lui donnera une fille unique.
A la veille du premier conflit mondial, Petlura est mobilisé sur le front sud ouest et affecté comme délégué général adjoint aux services auxiliaires pour former et préparer au combat les recrues ukrainiennes de l’armée impériale : 3 millions de ses compatriotes luttent dans les rangs tsaristes alors que 250 000 revêtent l’uniforme autrichien.
L’heure de la délivrance sonne pour l’Ukraine avec la révolution de février 1917 qui prend une coloration fortement nationale sur la vieille terre des cosaques zaporogues.
A Kyiv, Petlura intègre un parlement provisoire, la Rada centrale, représentatif de toutes les forces vives du pays, incluant les minorités nationales, qui se met en place dès le mois de mars. En tant que président élu de l’Organisation militaire ukrainienne, il convoque trois congrès militaires pan ukrainiens à Kyiv pour constituer l’embryon d’une armée nationale et doter la Rada de forces crédibles.
Il se heurte à la fois à l’opposition du gouvernement provisoire de Kerenski, mais aussi aux réticences de nombreux responsables socialistes ukrainiens, idéalistes et antimilitaristes, comme Hrouchevskyi et Vynnytchenko.
Il se distingue également en se montrant attaché à la poursuite de la guerre aux côtés des pays alliés de l’Entente et mise de grands espoirs sur la France.
Au moment où survient la révolution bolchevique, l’Ukraine s’est engagée dans une marche irrésistible vers la souveraineté qui aboutit le 20 novembre 1917 à la création de la République populaire ukrainienne (UNR).
Cela est inacceptable pour Lénine qui lance une première invasion du pays après un ultimatum et la création d’une république bolchevique fantoche à Kharkiv.
Petlura, en désaccord avec Vynnytchenko qui désire sortir de la guerre et participer aux pourparlers de paix avec les empires centraux, avait déjà démissionné de son poste de secrétaire général aux affaires militaires et gagné la province pour former de nouvelles unités .
A la tête d’un corps d’armée il se distingue par son courage et son abnégation dans la résistance à l’envahisseur.
Après la proclamation de l’indépendance de l’UNR le 22 janvier 1918, Kyiv est investie une première fois par les bolcheviks après le départ du gouvernement dont les délégués signent la paix de Brest-Litovsk avec les empires centraux le 9 février.
Les armées allemandes et austro-hongroises envahissent le pays et repoussent les bolcheviks dans l’espoir de faire main basse sur les immenses ressources de ce traditionnel « grenier à blé ».
Un coup d’état soutenu par les Allemands propulse au pouvoir le général Pavlo Skoropadskyi qui se fait nommer hetman et établit un régime conservateur et monarchique, sans assise populaire, en dépit d’une œuvre non négligeable dans la promotion de la culture ukrainienne.
Ami de l’Entente, Petlura quitte l’armée, avant d’être emprisonné quelque temps par les Allemands, puis prend part au soulèvement contre l’hetman qui abdique le 14 décembre 1918 et s’enfuit en Allemagne.
La Rada revient à Kyiv et un Directoire de cinq personnes assure le pouvoir. Petlura y occupe la fonction d’otaman général, c'est-à-dire de chef suprême des armées de la République.
Il se consacre énergiquement à l’organisation des forces militaires, qui, à part quelques régiments réguliers disciplinés, sont composées d’un trop grand nombre d’unités hétéroclites et volatiles.
Mais la guerre reprend en ce début d’année au moment où un vieux rêve ukrainien se réalise, l’union, le 22 janvier 1919, avec la Galicie qui avait proclamé son indépendance deux mois plus tôt sous le nom de République populaire d’Ukraine occidentale (ZUNR).
Dans ce champs clos qu’est devenue l’Ukraine, les invasions et les fronts se multiplient avec l’intervention de plusieurs armées, toutes adversaires du Directoire.
Les Bolcheviks avec l’armée rouge organisée par Trotsky ouvrent le bal, suivis de peu par les Polonais de Pilsudski, nouvellement indépendants et qui n’avaient pas renoncé à la Galicie, longtemps restée sous leur domination.
Au sud du pays, les troupes françaises et grecques débarquent pour choisir de soutenir l’armée blanche du général Dénikine, lequel, fidèle à sa vision d’une Russie une et indivisible, considère qu’un « séparatiste » ukrainien ne vaut pas mieux qu’un Bolchevik.
Il ne faut pas oublier, dans ce tableau dantesque, les Roumains qui s’emparent de la Bucovine, les cavaliers anarchistes de Nestor Makhno et surtout les innombrables bandes de soldats perdus, de bandits et de paysans qui, sous la conduite de chefs autoproclamés, écument le pays, se vendant souvent au plus « offrant ». Petlura prend la tête du Directoire après le départ de Vynnytchenko, ce qui consacre le triomphe des nationaux démocrates sur les socialistes-révolutionnaires.
Mais, à ce moment là , en dépit d’un engagement total sur le terrain, à la tête d’une armée sous équipée et sans grande cohésion, Petlura ne contrôle plus grand-chose et s’efforce de sauver ce qui peut encore l’être.
Comment pourrait-il en être autrement dans ce pays plongé dans un chaos indescriptible où, entre flux et reflux incessants des armées, se succèdent massacres, exactions et dévastations. C’est dans ce contexte qu’interviennent des pogroms généralisés contre les populations juives au cours desquels les veilles haines accumulées éclatent et provoquent des dizaines de milliers de victimes.
Il est important de préciser un fait indéniable, à savoir que toutes les forces en présence se sont rendues coupables de tels actes : des Blancs aux Rouges en passant par les Polonais, les anarchistes ou les diverses bandes irrégulières qui parcouraient le pays.
Des détachements de l’UNR ont aussi été concernés, mais nous savons aujourd’hui, à la lumière de travaux sérieux et impartiaux, qu’il s’agissait généralement de troupes plus ou moins ralliées qui échappaient à tout contrôle efficace de la part du commandement général.
Petlura s’est toujours montré personnellement dénué de toute forme de judéophobie et était, de plus, conscient que les pogroms causaient un tort important à la réputation de son pays. Il lutta énergiquement contre ces excès par la formation de commissions d’enquête, des proclamations aux troupes, des indemnisation aux victimes et l’application de la peine de mort pour les auteurs de massacres.
Il faut également noter que le gouvernement de la Rada a, dès ses débuts, pratiqué une généreuse politique en faveur des minorités nationales, notamment les Juifs qui comptèrent plusieurs ministres aux affaires. Politique, d’ailleurs, pas vraiment suivie en retour. Tous ces faits historiques sont indiscutablement établis aujourd’hui autant par des chercheurs dignes de foi que par des personnalités juives marquantes comme le sioniste Vladimir Jabotinsky ou l’historien Léon Poliakov.
En août 1919, la situation est devenue intenable, l’armée ukrainienne, en proie à une épidémie de fièvre typhoide et au blocus de l’Entente, bat en retraite et Petlura, en désespoir de cause, se résigne à rechercher l’appui des Polonais.
Celui-ci se concrétise dès avril 1920 et se fait aux prix de conditions très dures dont l’abandon de la Galicie et de la Volhynie, ce qui coûte à Petlura une partie de sa popularité en lui aliénant les Ukrainiens de l’Ouest et le privant du soutien militaire des unités galiciennes.
Une offensive conjuguée des forces ukraino- polonaises libère à nouveau Kyiv, la dernière fois d’ailleurs pour une ville qui aura changé à neuf reprises de maître en l’espace de deux ans et demie ! Mais la contre offensive soviétique renverse la tendance et arrive jusqu’à Varsovie au moment où se produit le « miracle de la Vistule »au cours duquel, fait méconnu, les unités de Petlura jouent un rôle décisif en contribuant à sauver la Pologne et l’Occident de la menace bolchevique.
Pressés par la France, les Polonais abandonnent leur allié ukrainien et se partagent le pays avec les Soviétiques après la signature du traité de Riga en octobre 1920.
Le combat est désormais inégal, l’armée ukrainienne se replie en Galicie pour y être désarmée et internée. Pour Petlura et ses compagnons, c’est le commencement de l’exil.
Après plusieurs étapes européennes, Symon Petlura arrive à Paris en octobre 1924 avec les siens. Il va y mener une vie simple et active, logeant dans un petit hôtel du Quartier Latin et dirigeant le gouvernement ukrainien en exil, multipliant ses efforts pour unifier l’émigration tout en maintenant des contacts avec la patrie occupée.
Plus que jamais, il offre l’exemple d’un homme intègre et désintéressé, entièrement dévoué à son idéal.
Le 25 mai 1926, sortant d’un restaurant rue Racine et se dirigeant vers le boulevard Saint Michel, il est lâchement abattu de cinq balles par le juif Samuel Schwarzbard. Ce personnage, militant anarcho-communiste au passé trouble, justifie son crime par son désir de venger les pogroms antijuifs en Ukraine.
Après des funérailles grandioses, le procès de l’assassin se tient du 18 au 26 octobre 1927.
Schwarzbard était défendu par une vedette du barreau de l’époque, un certain Henry Torrès, communiste notoire.
Celui-ci, en écartant soigneusement les éléments et les témoignages gênants pour son client, transforme ce jugement en procès spectacle très médiatisé au cours duquel la victime sera érigée en bourreau.
Il fait habilement passer le meurtrier pour un honnête militant de la Ligue des droits de l’homme n’ayant somme toute commis qu’un crime passionnel à l’encontre d’un affreux criminel de guerre avant la lettre.
Or, il est clairement avéré que Schwarzbard a agi pour le compte des services secrets soviétiques dans le cadre d’une campagne de propagande bien orchestrée par Moscou, relayée sur place par les compagnons de route et de nombreuses organisations juives du monde entier. C’était tuer une deuxième fois la victime en l’érigeant injustement comme bouc émissaire de tous les pogroms commis durant cette tragique période.
Dans cette ambiance passionnelle et viciée, Schwarzbard fut donc acquitté par la Cour d’assises de la Seine sous les acclamations de la foule.

Pour le peuple ukrainien et tous les patriotes sincères du continent, Petlura, malgré des décisions discutables, laissera le souvenir d’un homme d’état et d’un chef juste et énergique, ardent combattant d’une Ukraine libre et indépendante aujourd’hui tiraillée entre les sirènes atlantistes et les nostalgies impériales du « grand frère » russe.

Pascal LANDES

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Pour en savoir plus :

Alain DESROCHES : Le problème ukrainien et Simon Petlura, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1962.
Borys MARTCHENKO : Simon Petlura, Paris, 1976.
Taras HUNZCZAK : Symon Petlura et les Juifs, paris, 1987.
Ces deux derniers ouvrages sont édités par la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura, 6, rue de Palestine, 75019 (Tél.: 01 42 02 29 56) où il est possible, outre la consultation de nombreux ouvrages sur tout ce qui touche de près ou de loin à l‘Ukraine, de visiter un petit musée consacré à l’otaman.

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vendredi, 23 mars 2007

Raices de las relaciones entre Rusia y Espana

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Pavel TULAEV :

Universidad Estatal Lingüistica de Moscu

Las raices de las relaciones entre Rusia y Espana

http://www.red-vertice.com/disidencias/textosdisi36.html...

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mercredi, 21 mars 2007

Safavid Iran

Library of Middle East History v. 5

Safavid Iran
- Rebirth of a Persian Empire


AUTHOR: Andrew J. Newman


The Safavid dynasty, which reigned from the late fifteenth to the eighteenth century, links medieval with modern Iran. The Safavids witnessed wide-ranging developments in politics, warfare, science, philosophy, religion, art and architecture. But how did this dynasty manage to produce the longest lasting and most glorious of Iran's Islamic-period eras? Andrew Newman offers a complete re-evaluation of the Safavid place in history as they presided over these extraordinary developments and the wondrous flowering of Iranian culture. In the process he dissects the Safavid story, from before the 1501 capture of Tabriz by Shah Ismail (1488-1524), the point at which Shi`ism became the realm's established faith; on to the sixteenth and early seventeenth century dominated by Shah Abbas (1587-1629), whose patronage of art and architecture from his capital of Isfahan embodied the Safavid spirit; and culminating with the reign of Sultan Husayn (reg. 1694-1722). Based on meticulous scholarship, Newman offers a valuable new interpretation of the rise of the Safavids and their eventual demise in the eighteenth century. "Safavid Iran", with its fresh insights and new research, is the definitive single volume work on the subject.



PUBLISHER : I. B. Tauris, London
PRICE: £35.00
COVER: Hardback
PAGES: 296
ISBN:9781860646676
PUBLICATION DATE: 31 Mar 2006

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Rome, le Prince et la Cité

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A lire :

Stéphane BENOIST : Rome, le prince et la Cité

Sur ce livre : http://www.clionautes.org/spip.php?article733 (recension de Stéphane Haffemayer).

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lundi, 12 mars 2007

Subha Chandra Bose et l'indépendance indienne

Il y a soixante ans disparaissait le combattant national-révolutionnaire indien Subha Chandra Bose !

Thomas HARTENFELS :

Subha Chandra Bose : le troisième homme dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde

Le Premier ministre indien actuel, Atal Bihari Vajpayee a rendu visite fin mai au lieu où est née la nation indienne moderne, le pays où, pour la première fois, on a joué son hymne national, où l'on a hissé pour la toute première fois le drapeau national indien et où l'on a imprimé les premiers timbres-poste indiens : Atal Bihari Vajpayee a visité l'Allemagne.

Les premières manifestations indépendantes de l'Etat indien actuel se sont en effet déroulée en Allemagne, notamment grâce aux impulsions données, à l'époque par Subha Chandra Bose. A côté de Gandhi et de Nehru, Bose est le plus connu des combattants indépendantistes indiens. Lors de son exil en Allemagne, il a forgé des plans pour libérer sa patrie du joug colonial britannique.

Les exilés indiens déclarent la guerre à l'Empire britannique

Après que la police britannique ait procédé à de nombreuses arrestations en Inde, Subha Chandra Bose, l'ancien maire de Calcutta, décide de quitter le pays en 1941, en compagnie de son épouse allemande, qu'il avait connue lors d'un séjour prolongé à Vienne. Muni d'un passeport de diplomate italien, il se rend en Allemagne en passant par Kaboul et l'Union Soviétique (qui n'était pas encore en guerre avec le Reich; ndt). Âgé à l'époque de 44 ans, Bose appelle les Indiens par radio depuis l'Allemagne à se soulever comme les colonisateurs britanniques; en même temps, il recrute des volontaires pour l'“Azad Hind”, la Légion “Inde Libre”.

Les succès militaires allemands contre l'Union Soviétique, à partir de juin 1941, et contre les Britanniques en Afrique du Nord, encouragent Bose à former une “Légion indienne” en 1942, dont l'objectif est de libérer l'Inde avec l'aide des forces de l'Axe. Les quelque 3000 volontaires de la “Légion indienne” seront instruits dans la région de Dresde. Ils portent des uniformes allemands avec, sur la manche, les couleurs nationales indiennes, sur lesquelles se détachent un tigre bondissant et la mention, en allemand, de “Freies Indien” (= “Inde Libre”). La langue de cette unité est une forme simplifiée d'hindoustani, qui tient compte de la grande diversité des dialectes indiens et de la complexité du système des castes. Les officiers allemands, affectés à l'unité, doivent l'apprendre via un manuel spécial, édité par la Wehrmacht, intitulé Hindustani-Sprachlehre (= Manuel d'hindoustani). Les symboles extérieurs de l'Etat indien ont donc été utilisés et présentés pour la première fois en Allemagne, quatre ans avant l'indépendance de l'Inde. En 1943, Bose fonde à Hambourg la “Deutsch-Indische Gesellschaft” (= La société germano-indienne). Lors des cérémonies qui présidèrent à cette fondation, la mélodie de l'actuel hymne national indien a été jouée pour la première fois et les trois couleurs indiennes ont été hissées au mat. Au même moment, les premiers timbres-poste indiens sortent d'une imprimerie berlinoise.

Le 26 janvier 1943, des officiers allemands et la “Légion Indienne” fêtent de concert le jour de l'indépendance indienne, fête nationale célébrée aujourd'hui encore en Inde. L'Inde libre, comme le voulait le mouvement indépendantiste, a pris forme en Allemagne.

Bose voulait étendre la lutte pour l'indépendance sur plusieurs fronts. En 1943, il se rend au Japon comme passager à bord d'un sous-marin allemand, l'U-Boot 180. Arrivé à Tokyo, il lance quelques-uns de ses célèbres appels radiophoniques, très écoutés et quasi légendaires en Inde, et, avec l'aide des Japonais, met une armée nationale indienne de 50.000 hommes sur pied. Tandis que la “Légion indienne” se battait aux côtés des Allemands en France, notamment pour tenter d'enrayer la progression des Alliés occidentaux après le débarquement de Normandie, l'“Armée Nationale” de Bose participait avec succès à l'offensive japonaise en Birmanie. En tant que chef du gouvernement indien en exil, Bose déclare la guerre en 1943 à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Le 18 août 1945, deux ans avant que son objectif ne se soit réalisé, c'est-à-dire l'indépendance de l'Inde, Subha Chandra Bose périt dans un accident d'avion au-dessus de Taiwan, en revenant du Japon.

La fille de Bose vit toujours en Allemagne aujourd'hui

La fille de Subha Chandra Bose, Anita, née en 1941 en Allemagne, est aujourd'hui professeur d'économie politique à l'Université d'Augsbourg. Anita Pfaff s'occupe beaucoup d'histoire indienne et, plus particulièrement, du rôle de son père dans la lutte pour l'indépendance de l'Inde. Comme la plupart des Indiens aujourd'hui, elle sait que l'indépendance de leur grand pays n'a été possible que par l'action résolue de quelques hommes comme Bose, Nehru et Gandhi. Les festivités qui se sont déroulées partout en Inde à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Bose en 1997 le prouvent amplement. Un aéroport et plusieurs artères dans les grandes villes indiennes portent son nom. Il y a des monuments à sa gloire, ainsi que des pièces de monnaie et des timbres-poste.

Thomas HARTENFELS.

(article paru dans Junge Freiheit, n°28/2003 - http://www.jungefreiheit.de ).

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samedi, 10 mars 2007

Erreurs stratégiques des Gaulois

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LES ERREURS STRATEGIQUES DES GAULOIS FACE A CESAR

Par PHILIPPE RICHARDOT

La guerre des Gaules est presque toujours vue du côté des Romains, car il n'y a pas eu de grands historiens gaulois pour rapporter l'évènement. Qui plus est, la guerre des Gaules est vue du côté du conquérant romain, Jules César, auteur du seul grand récit sur le sujet, admirablement ramassé dans ses Commentaires. Même lorsque certains historiens contemporains essaient de prendre César en flagrant délit de désinformation, c'est toujours du côté romain qu'ils se placent, tant la conquête de la Gaule a, après deux millénaires, romanisé les descendants des fils de la Gaule vaincue. Le nom même de 'Gaulois' est un jeu de mots latins qui signifie 'coq', déformé d'après le nom que se donnaient les Celtes de Gaule. Limage classique de César est celle d'un conquérant de marbre qui réalise un grand projet de civilisation sur un peuple aussi indiscipliné que divisé dont l'ardeur bravache vient se briser contre l'art des légions. Hors des poncifs et d'une analyse romanocentrique, cet ouvrage montre un César politicien qui mène une quasi-guerre privée, sinon partisane pour financer sa carrière à Rome, voire pour échapper au tribunal. En face de lui, des Gaulois, certes divisés, dont la partie méridionale, déjà romanisée, choisit le camp de César. Des Gaulois, dont la communauté de culture apparaît malgré les clivages politiques aussi profonds entre tribus rivales qu'à l'intérieur d'elles-mêmes. Mais c'est une Gaule riche, en proie à une crise démographique et militaire qu'aggresse César avec un cynisme implacable : une Gaule incapable de s'opposer aux migrations armées des Germains et des Helvètes, avant d'être écrasée par le conquérant Romain. Si le résultat de la lutte est connu, les calculs des Gaulois, la valeur stratégiques de leurs chefs, l'art militaire des peuples celto-germaniques, les opérations les moins avouables de César sont peu étudiées, les Gaulois pouvaient-ils l'emporter? César était-il un maître joueur d'échecs ou a-t-il vaincu sur les erreurs de stratégie des Celtes ?

Ed. Economica

Texte en français
184 pages
Format : 155 X 240

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Petite histoire de l'idéologie roumaine

Petite histoire de l'idéologie roumaine

 

 

 

par Robert STEUCKERS

 

 

 

Analyse:

 

Armin HEINEN, Die Legion "Erzengel Michael" in Rumänien. Soziale Bewegung und politische Organisation. Ein Beitrag zum Problem des internationalen Faschismus,  R. Oldenbourg Verlag, München, 1986, 558 S., DM 128, ISBN 3-486-53101-8.

 

 

 

L'ouvrage d'Armin Heinen, consacré au mouve­ment de Codreanu, diffère de beaucoup d'autres tra­vaux consacrés à la Garde de Fer et aux tu­mul­tes de la politique roumaine de l'entre-deux-guer­res. Il en diffère parce qu'il explore à fond le con­texte historique de la Roumanie depuis son émer-gence en tant qu'Etat et parce qu'il résume, de ma­nière limpide et pédagogique, les multiples li­néa­ments de l'idéologie nationale roumaine. Ce sont ces pages-là que nous analyserons dans le pré­sent article, laissant de côté  —mais pour y re­venir plus tard—  l'exposé brillant et détaillé des é­vé­nements politiques du terrain que Heinen nous livre dans son remarquable ouvrage. 

 

 

 

Au XIXième siècle, les principautés roumaines (la Moldavie et la Valachie), en s'émancipant de la tutelle ottomane, entrent automatiquement dans un champ conflictuel, excitant la convoitise des puis­sances voisines, l'Autriche-Hongrie et la Rus­sie. La société, marquée par l'orthodoxie aux ré­­flexes ruraux et par l'idéologie guerrière tur­que/ot­tomane, reçoit comme de mauvais gref­fons les éléments épars de l'occidentalisme, le li­béra­lis­me économique et politique. La société roumai­ne est affectée par une cascade de crises dues aux facteurs de modernisation: dans une société ac­coutumée à la dépendance voire au ser­vage, l'é­man­cipation moderne ébranle les struc­tures so­cia­les. En amont, chez les dirigeants, les principes in­dividualistes, propres à la modernité politique, disloquent le sens du devoir de solida­rité et de cha­rité, plongeant du même coup les masses ru­ra­les dans la perplexité puis dans la co­lère. En aval, dans les masses, le respect pour les élites tradi­tion­nelles s'estompe et, vis-à-vis des élites im­por­tées ou de la bourgeoisie urbaine émergente, éclot une haine qu'il sera de plus en plus difficile de contenir. Pour les masses, les élites tradition­nel­les ont succombé aux tentations du mirage oc­ci­dentaliste; elles ont basculé dans le péché, en ou­bliant leurs devoirs paternalistes de solidarité et de charité. Les élites importées et les élites urbai­nes (ou fraîchement urbanisées) sont, elles, les ten­tatrices, les vectrices du péché.

 

 

 

Le poporanisme, équivalent roumain du narodnikisme russe

 

 

 

Dans un tel contexte, à terme explosif, se profi­lent quatre filons idéologiques, dont trois sont cal­qués sur leurs équivalents ouest-européens: le libéralisme, le conservatisme, le socialisme; qua­trième filon, le «poporanisme», lui, est «na­tio­nal» (au sens ethnique) et paysan, c'est-à-dire at­ta­ché aux modulations traditionnelles des rela­tions sociales. Le libéralisme roumain est coincé en­tre une volonté théorique de démocrati­sation et la défense effective d'intérêts précis (ceux de la bour­geoisie «parvenue» et importée). Le conser­va­tisme roumain est, quant à lui, im­mobiliste: rai­sonnant en termes d'idéaltypes con­servateurs fi­gés, il refuse de prendre en compte toutes les mo­difications politiques survenues après 1848. Dans le conservatisme roumain, émerge tout de même une figure intéressante, celle de Constantin Radu­lescu-Motru, auteur de Cultura româna si politi­cia­nismul (= La culture roumaine et la poli­ti­cail­le). Radulescu-Motru es­time que les Roumains, par manque d'énergie, n'ont pas transformé leur culture rurale du départ en une culture plus vaste, plus générale, plus viable, semi-urbaine, ou d'u­ne urbanité non ou­blieuse de ses racines, à la mo­de allemande. Dans cette ruralité demeurée primi­tive et en consé­quence fragilisée, des «politi­cards» et des «avocats», rusés et spéculateurs, ont instrumen­talisé des idées étrangères, occi­den­tales, ont ra­tionalisé à leur profit l'appareil étati­que, pour prendre la place des élites déclinantes et pour bar­rer la route à toute élite nouvelle, issue du peuple roumain, qui se profilerait à l'horizon.

 

 

 

Une doctrine de l'Etat démocratique paysan

 

 

 

Le socialisme roumain, enfin, est un socialisme sans ouvrier, dans un pays aux structures indus­trielles peu développées. Le poporanisme, spéci­fi­cité roumaine, élabore une doctrine de l'Etat dé­mocratique paysan, optant pour une voie non ca­pitaliste. Le poporanisme est donc bel et bien une expression de l'ethnicité rurale roumaine, or­phe­line de ses élites et haïssant les nouveaux ve­nus dans la société roumaine. Il est démocratique par­ce qu'il estime ne plus avoir d'élites tradition­nel­les ou a perdu toute confiance dans les élé­ments qui subsistent de celles-ci. Les dominants tradi­tion­nels ayant dérogé, le peuple roumain doit pren­dre son destin en mains: ses élites doivent sortir directement de ses rangs. Mais son carac­tè­re démocratique ressort également parce qu'il re­fuse toute domination des masses rurales par de nouvelles élites dans lesquelles il ne se reconnaît pas. La voie est non capitaliste parce que le capi­talisme est porté par des éléments non issus de ces masses rurales. L'idéologie poporaniste se ba­­se, au départ, sur les écrits de Constantin Ste­re, un socialiste qui a refusé le marxisme et s'est inspiré des narodniki  russes (et ortho­doxes). Le terme narodniki vient de narod (= peuple), com­me "poporanisme" vient de popor  (= peuple) (Cf. Constantin Stere, «Socialdemocratism sau po­poranism», in Viata românesca, 2, 1907-1908). Stere refuse le marxisme parce qu'il ne con­vient pas à un pays à forte dominante agraire comme la Roumanie. L'idéologie marxiste a été in­capable de produire un discours cohérent sur les masses rurales. Le modèle de l'idéologue po­pu­liste-paysan roumain est le Danemark (qui, en Grundvigt, avait eu son théoricien-poète de la ru­ralité et de la populité, initiateur du courant d'i­dées folkelig, de l'adjectif dérivé de folk, "peu­ple"). Le Danemark a su conserver intact son pay­sannat; par un réseau de coopératives, il a ren­du les petites fermes familiales viables et les a cou­plées au monde industriel. En termes plus en­thousiastes, G. Ibraileanu, un disciple de Stere, ima­gine une Roumanie démocratique, avec un Par­lement de petits producteurs et une armée de paysans-soldats, à la mode des Boers sud-afri­cains; ces chefs de famille permettraient à leurs cadets, filles et garçons, d'étudier des ma­tières cul­turellement enrichissantes, à l'université ou dans les conservatoires, générant ainsi une nou­velle élite intellectuelle ayant acquis ses quali­tés en dehors de toutes préoccupations utilitaires. Con­trairement aux conservateurs, les popora­nis­tes se considéraient comme les successeurs des ré­volutionnaires de 1848. Mais, comme les con­ser­vateurs du mouvement Junimea, ils refu­saient d'inclure dans leur vision idéale de la so­ciété, les éléments non issus des masses rurales.

 

 

 

Les piliers d'un nationalisme ethnique, farouchement

 

anti-occidental

 

 

 

Le conservatisme du mouvement Junimea, dont Radulescu-Motru fut le principal théoricien, et le poporanisme ruraliste de Stere et Ibraileanu sont les deux piliers de l'anti-occidentalisme roumain, dont la Garde de Fer sera, plus tard, un avatar ra­di­calisé. Ceci dit, Stere refusera toujours la ra­di­ca­lisation légionnaire; demeurant rationnel et fi­dèle à son «modèle danois», basant ses argu­ments sur des statistiques et sur des observations empiriques, se bornant à déplorer l'accroissement trop rapide des populations non roumaines en Rou­manie (et des Juifs en particulier), Stere res­te­ra éloigné de toutes les déformations mystiques de son socialisme agrarien.

 

 

 

Sur cette double généalogie idéologique, s'est gref­fé un antisémitisme qui, dans un premier temps, était principalement littéraire. Des figures com­me Mihail Eminescu, Aurel C. Popovici et Ni­colae Iorga effectueront, petit à petit, la syn­thè­se entre le populisme roumain, conservateur ou po­poraniste, le nationalisme inspiré des autres na­tionalismes européens et de l'antisémitisme. Par­mi les leitmotive de cette synthèse: la moder­nité, en accordant un droit égal à tous, confisque aux pay­sans pauvres, porteurs de la substance ethni­que roumaine, l'égalité des chances; la so­ciété mo­derne, impliquant la division du travail, induit un clivage entre producteurs (paysans et artisans) et «parasites» (commerçants et spécula­teurs). L'an­tisémitisme qui découle de ces res­sentiments sociaux présente toutes les nuances et gradations du genre: pour les uns (Iorga et Eminescu), les Juifs sont assimilables s'ils adoptent des «métiers productifs»; pour Stere, qui raisonne en termes ra­tionnels, la naturalisa­tion demeure possible, si les Juifs s'adaptent à la culture roumaine (ce qui re­vient en fait à adopter les mêmes métiers que les Roumains); pour d'autres, comme V. Alecsandri, B.P. Hasdeu, N.C. Paulescu et Alexandru C. Cu­za, toute vie en commun avec les Juifs est im­pos­sible. Comment justifient-ils cette exclusion sans appel? En mettant en avant, comme beau­coup d'autres antisémites européens, des citations du Talmud (Rohling, Rosenberg, Picard, etc.). Pour cette tradition anti-talmudiste, l'existence du Tal­mud dans l'héritage spirituel juif interdit l'as­si­milation et la coexistence pacifique.

 

 

 

Nicolae C. Paulescu introduit cependant des nu­an­ces: la substance populaire roumaine n'est pas tant menacée par la concurrence économique de l'élément juif que par la perte des «directives res­trei­gnantes». Une société rurale est une société «é­conome», épargnante, qui restreint ses pul­sions vers la consommation. Le rôle de la morale est de pérenniser cette propension à la restriction, pour que la société ne perde ni son équilibre ni son harmonie. A.C. Cuza introduit dans ce dis­cours des éléments tirés de Malthus: deux peu­ples, les Roumains et les Juifs, ne peuvent pas vi­vre «dissimilés» sur un même territoire, sans que n'éclate une guerre à mort.

 

 

 

Le divorce entre le peuple et l'élite

 

 

 

Pour Eminescu, la Roumanie est passée de l'o­béissance aux Turcs à l'obéissance à l'étranger (hongrois, juif ou allemand), parce qu'en 1878, au Congrès de Berlin, qui instaure l'indépen­dan­ce définitive de la Roumanie, les puissances im­posent comme clause que les non orthodoxes peu­vent acquérir la citoyenneté rou­maine, intro­dui­sant de la sorte une cassure diffici­lement sur­montable entre la ville et la campagne. Cette cas­su­re marginalise une intelligentsia bril­lante, de souche paysanne et roumanophone, très nom­breu­se et privée d'avenir parce que les postes sont déjà occupés dans les villes, par les franco­philes, les fils urbanisés et francisés des boyards (dénoncés surtout par Iorga), les Juifs, les étran­gers. L'idéal de ces laissés-pour-compte, c'est une culture authentiquement roumaine qui puisse accéder à l'universel, être appréciée dans le mon­de entier, exprimer la créativité profonde de l'âme roumaine aux yeux de tous les peuples de la pla­nète, souder la solidarité des Roumains vi­vant à l'intérieur et à l'extérieur des frontières du ro­yaume.

 

 

 

Cet idéal, les Roumains sentent qu'ils ne pour­ront le réaliser. Raison pour laquelle leur nationa­lisme, au début du XXième siècle, est le produit d'une «conscience malheureuse», de doutes et de peurs. Les Roumains ont l'impression, en 1900, que, dans le siècle qui s'annonce, ils auront le statut d'«ilotes». Heinen (pp. 86-87) résume ce pas­sage au nationalisme angoissé chez Eminescu: «[Chez Eminescu], la nation apparaît comme une essence spécifique, qui déploie ses propres re­ven­dications et a sa propre personnalité. Elle se trouve au-dessus de l'idée de liberté individuelle, ce qui veut dire qu'elle ne se constitue pas par la volonté de ses membres mais est un donné natu­rel se situant au-delà d'eux. Le sens qu'acquiert la vie individuelle d'un chacun existe par la Na­tion et pour la Nation. Le corps populaire me­nace toutefois d'être détruit à cause de la lutte des clas­ses, principe égoïste, rendant impossible le don de soi à la Nation. L'inégalité, résultant de la di­vi­sion du travail social, et les conflits qui en dé­coulent doivent être limités par la conscience d'u­ne appartenance à la Nation. Quant à A.C. Cuza, il estime que la réalité Roumanie ne réside pas dans la lutte des classes mais dans la lutte des races, c'est-à-dire dans la question de savoir si ce sont des Roumains ou des Juifs qui conduiront le pays».

 

 

 

Un vigoureux plaidoyer

 

contre la «raison pure»

 

 

 

Aurel C. Popovici introduisit dans la littérature roumaine la critique conservatrice moderne des fondements du libéralisme. Appuyée sur les tra­vaux de Burke, de Joseph de Maistre, de Gustave Le Bon, de Taine, Langbehn, Houston Stewart Chamberlain et Gumplowicz, sa démarche vise es­sentiellement à déconstruire le mythe de la rai­son pure. Heinen la résume comme suit (p. 87): «L'oeil humain n'a pas été créé pour ne regarder que le soleil. Nous ne pouvons pas éduquer nos jeunes gens pour n'être que de purs savants; nous aurions pour résultat une catégorie sociale de de­mi-cultivés ridicules, avançant des prétentions ir­réalisables [...]. La raison pure dissout tout, re­met en question les structures traditionnelles et met ainsi en danger l'intégration sociale [...]. Sans religion, les gens simples du peuple perdent leur retenue morale, la haine sociale et l'envie "ron­gent des trous" dans la vie spirituelle de la na­tion». Popovici estime que tous les maux du mon­de moderne sont réunis dans la démocratie. Par le fait qu'elle hisse les intérêts matériels de la plèbe insatiable et égalitariste au rang de source des décisions politiques, nous voyons nécessai­rement naître un monde de démagogie, de lutte des classes, orienté seulement vers la satisfaction des intérêts particuliers et éphémères. La ville mo­derne reflète d'ores et déjà, pour Popovici, cet­te dégénérescence des mœurs politiques.

 

 

 

A la décadence de la Roumanie de la fin du XIXième siècle, les nationalistes opposent, nous ex­plique Heinen (p. 89), la grandeur nationale des XVième et XVIième siècles ou évoquent les Da­ces. Les nationalistes roumains préféraient d'of­fice tout ce qui s'était passé avant 1800, les époques de simplicité patriarcale, où règnait une so­lidarité naturelle entre paysans, boyards et let­trés. L'assaut des mœurs occidentales délétères, la pénétration en Roumanie d'éléments étrangers a ruiné définitivement cette harmonie.

 

 

 

Un César lié au peuple

 

 

 

Mais les nationalistes ne veulent pas pour autant d'un retour au Moyen Age. Les innovations de la modernité, notamment dans les domaines éco­no­mique et militaire, doivent être assimilées et sou­mises à des principes directeurs pré-mo­dernes. L'évolution de la société doit être gra­duelle, mais c'est le paysannat de souche qui doit la contrôler, de façon à ce qu'il demeure toujours la classe so­ciale dominante. Pour chapeauter ce paysannat, les nationalistes réclament une monar­chie héré­di­taire, se plaçant au-dessus des classes sociales; le monarque souhaité n'est pas absolu: il devra ê­tre un César lié au peuple. A ses côtés, devra se trou­ver une oligarchie politique capable de com­pren­dre l'évolution naturelle des choses. Raison­nant sur un mode «évolutionnaire», rejet­tant toute forme de rupture révolutionnaire, A.C. Cuza et N. Iorga préconisaient une démocratie constitu­tion­­nelle, ayant pour organe législatif un parle­ment des états, calqué sur ceux de l'Ancien Ré­gime mais adapté aux impératifs de l'heure. Con­trairement à Popovici, influencé par les idéolo­gèmes sociaux-darwiniens, Cuza et Iorga préco­ni­saient l'intervention de l'Etat, notamment dans les domaines de l'enseignement et de la forma­tion professionnelle, parce que le retard économique de la Roumanie était dû, pour une bonne part, à l'absence de corps de métier, de maîtres éduca­teurs, de gildes, d'instituts agronomiques. Emi­nes­cu, Iorga et Cuza réclamaient le partage des grands domaines au profit de groupes, fami­liaux ou villageois, composés de petits paysans. Cette re­vendication distingue les nationalistes des con­servateurs, pour qui l'Etat agrarien doit être dirigé par les gros propriétaires et pour qui l'indivi­dua­lisme de type occidental ne doit pas être abandon­né et/ou éradiqué au profit d'un don total de la personne à la nation.

 

 

 

L'influence de la revue «Samanatorul»

 

 

 

Après la première guerre mondiale, quand la don­ne change de fond en comble, le poporanisme de Stere se transforme en «taranisme» (de "tsa­ra", paysan). Le néo-nationalisme gardiste prend une coloration mystique, absente chez Iorga et Cu­za. Le projet de fonder un système d'éducation ra­tion­nel, mettant l'accent sur l'agronomie et le dé­veloppement des corps de métier, cède le pas, dans l'idéologie gardiste, à une éducation de type militaire (milice de Dieu) et activiste. Ce glisse­ment vers le mysticisme armé et politisé, s'est o­pé­ré, graduellement, par l'intermédiaire d'une re­vue très lue, Samanatorul  (= Le Semeur), dont Ni­colae Iorga fut pendant un certain temps le ré­dacteur-en-chef. Le «samanatorisme» esquissa, dans le monde des lettres roumain, l'image d'un vil­lage où vivent deux peuples, selon des modes très différents. D'un côté, la Roumanie patriar­ca­le, avec ses boyards, ses lettrés, ses prêtres et ses paysans; de l'autre, les étrangers et les parvenus so­ciaux d'origine non roumaine, qui ne vivent que pour satisfaire leurs intérêts et leurs pulsions.

 

 

 

Dans l'orbite de cette vision samanatoriste, d'abord circonscrite à la littérature, naît un ro­man, de la plume de Bucura Dumbrava, Haiducul (= L'Haiduc). Dumbrava y décrit une société dé­terminée par des conflits qui ne sont pas de nature sociale mais ethnique. Les Phanariotes grecs ont pu régner sur les Valaques et les Moldaves parce que l'élite nationale était désunie. Précisément par­ce qu'elle était étrangère, la domination des Pha­nariotes était arbitraire. L'idéal de Dumbrava est le Prince Vlad Tepes (1448-1476), souverain im­placable mais national. Dans son roman, les ban­des de brigands que sont les Haiducs, repré­sentent le renouveau national. Ils se placent déli­bérément en dehors des lois, pour faire triompher le véritable droit national, oblitéré par les domi­nants étrangers. Les paysans considèrent les Hai­ducs comme leurs protecteurs et leurs sau­veurs; ils les nourrissent et les cachent comme des par­ti­sans. A l'intérieur des bandes, les membres sont liés par serment et se placent sous l'autorité d'un chef aux qualités exceptionnelles, le Capitan. Tra­hir le Capitan  implique non seule­ment une entor­se aux règles du groupe mais est un crime contre l'ensemble du peuple roumain et mérite, de ce fait, la mort. Dans ce roman, lu par des quantités d'adolescents roumains, se retrou­vent l'éthique na­tionale et l'esprit de corps de la Garde de Fer, expression d'un nationalisme nou­veau par rap­port à celui, littéraire et idéologique, des Emines­cu, Iorga et Cuza, fondateurs du Parti National-Dé­mocrate. A l'intérieur de ce parti, dans les an­nées 20, nous trouvons une aile radi­cale, dirigée par Corneliu Sumuleanu et Ion Zelea-Codreanu. De cette aile radicale naîtra, après une rupture survenue quelques années plus tard, la Légion de l'Archange Michel.

 

 

 

(Nous donnons ici une vision assez incomplète du livre d'Armin Heinen; les chapitres sur l'é­volution des doctrines nationalistes en dehors de la Légion et de la Garde sont importants eux aus­si; notamment, quand il évoque, dans l'œuvre de Mihail Maïnolesco, le passage du néo-libéra­lisme technocratique roumain à la doctrine du parti uni­que et du corporatisme moderne. Maïnolesco a eu une influence très importante en Allemagne, en I­talie, dans la France de Vichy et dans la Po­litieke Akademie de Victor Leemans à Lou­vain en Flan­dre. Maïnolesco a donné une di­men­sion euro­péen­ne à l'idéologie roumaine. Nous y revien­drons).

 

 

 

Robert STEUCKERS.    

 

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samedi, 03 mars 2007

Une histoire de l'empire byzantin

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La réédition de

"L'Histoire de l'empire byzantin"

du grand historien Charles Diehl (Strasbourg 1859- Paris 1944) vient à point nommé pour répondre au préjugé antibyzantin.

Cet ancien préjugé se révèle aujourd'hui fort utile à la politique mondialiste. Depuis les années 1990 il a permis aux disciples de Huntington et de Brzerzinski de convaincre les occidentaux, par exemple qu'il faut expulser les pays orthodoxes d'Europe, bombarder Belgrade, prendre le parti des musulmans et des Turcs en particulier, etc.

Révélons à nos lecteurs la conclusion de l'auteur:

Ainsi finit l’empire byzantin, après plus de mille ans d’existence, et d’une existence souvent glorieuse, après avoir été, durant des siècles, le champion de la chrétienté contre l’Islam, le défenseur de la civilisation contre la barbarie, l’éducateur de l’Orient slave, après avoir, jusqu’en Occident, fait sentir son influence. Mais alors même que Byzance fut tombée, alors qu’elle eut cessé d’exister en tant qu’empire, elle continua d’exercer dans tout le monde oriental une action toute puissante, et elle l’exerce encore aujourd’hui. Des extrémités de la Grèce au fond de la Russie, tous les peuples de l’Europe orientale, Turcs et Grecs, Serbes et Bulgares, Roumains et Russes, ont conservé le souvenir vivant et les traditions de Byzance disparue. Et par là cette vieille histoire, assez mal connue, un peu oubliée, n’est point comme on le croit trop volontiers, une histoire morte ; elle a laissé jusqu’en notre temps, dans le mouvement des idées comme dans les ambitions de la politique, des traces profondes, et elle contient toujours en elle pour tous les peuples qui ont recueilli son héritage des promesses et des gages d’avenir. C’est par là que la civilisation byzantine mérite doublement l’attention, autant pour ce qu’elle fut en elle-même que pour tout ce qui reste d’elle dans l’histoire de notre temps.  Charles Diehl

Dès le début de sa carrière, dès ses séjours à l’École française de Rome (1881-1883) puis d’Athènes (1883-1885), puis sa thèse de doctorat, Études sur l’administration byzantine dans l’exarchat de Ravenne (1888) Charles Diehl faisait figure de rénovateur de l’histoire de Byzance et de l’empire byzantin. Il continuera en publiant en 1896 son Afrique byzantine et, en 1901 un Justinien. Ses travaux, notamment ses études sur l'art byzantin aboutiront à réviser et rénover entièrement ce dernier chapitre de l’histoire du monde antique.

Il avait ainsi courageusement entrepris de redresser le préjugé antibyzantin, dominant en cette période de fureur anticléricale de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Depuis sa première édition en 1919, la remarquable petite synthèse de Charles Diehl, que nous réimprimons en ce moment, a évidemment vu apparaître plusieurs travaux monumentaux qui la complètent et la développent heureusement. On ne saurait citer ceux-ci de manière exhaustive. Mentionnons par exemple Arnold Toynbee dans son immense synthèse sur L'Histoire publiée entre 1934 et 1961, Georg Ostrogorsky s'agissant de l'Histoire de l'État byzantin (édition originale en 1940), Jean Meyendorff (1926-1992) par ses nombreux travaux sur la théologie byzantine, Basile Tatakis pour l'Histoire de la Philosophie byzantine (1949), sans omettre de citer un éminent disciple français de Diehl comme Paul Lemerle (1903-1989) qui ont su continuer cette œuvre dans diverses directions.

L'Histoire de l'empire byzantin de Diehl reste toujours inégalée, comme point de départ, regard d'ensemble, alerte et intelligent, base d'une découverte indispensable à l'honnête homme.

Son propos consiste très exactement à réfuter l'erreur absurde, remontant aux gens des Lumières, et notamment à Gibbon, qui se sont complu à représenter, contre toute évidence [une "décadence" qui dure mille ans ce n'est pas une décadence, c'est au contraire une grande civilisation puissante, intelligente et raffinée], Byzance comme une société décadente et arriérée. Un tel cliché est revenu en force, après Diehl.

Citons Alain Ducellier pour qui, finalement Byzance n'est qu'un "échec" : "l'échec d'une société chrétienne" [sous titre de son livre de "référence" édité en collection pluriel en 1976]. À la vérité les sectaires à la Gibbon et Ducellier ont-ils jamais pensé à présenter toute l'Histoire comme une pareille "faillite" : "faillite" de la Monarchie capétienne de 987 à 1789 ; "faillite" de l'Empire britannique, "faillite" de l'empire romain d'occident, qui durèrent tous moins longtemps que Byzance ?

Le beau jugement de Paul Valéry selon lequel "nous autres civilisations nous savons désormais que nous sommes mortelles" ne doit précisément pas servir aujourd'hui à ceux qui entendent précisément assassiner notre civilisation, et s'y emploient activement.

L'aventure et le legs immenses de Byzance méritent donc à nouveau d'être reconnus et réhabilités.

•••  Un livre de 170 pages au prix de 20 euros
••• Pour le commander :
http://www.editions-du-trident.fr/catalogue.htm

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vendredi, 02 mars 2007

R. Steuckers: Notion d'Empire

Robert Steuckers

La notion d'Empire, de Rome à nos jours

avec un appendice sur la "subsidiarité"


     Dans la mémoire européenne, souvent confuse voire inconsciente, l'Empire romain
     demeure la quintessence de l'ordre. Il apparaît comme une victoire sur le chaos,
     inséparable de la "pax romana". Le fait d'avoir maintenu la paix à l'intérieur des
     limes et d'avoir confiné la guerre sur des marches lointaines (Parthes, Maures,
     Germains, Daces) pendant plusieurs siècles, pour notre inconscient, est une preuve
     d'excellence. Même s'il est difficile de donner une définition universelle du terme
     d'Empire - l'Empire romain n'étant pas comparable à l'Empire inca, l'Empire de
     Gengis Khan à l'Autriche-Hongrie des Habsbourgs -  Maurice Duverger s'est efforcé
     de souligner quelques caractéristiques des Empires qui se sont succédé sur la scène
     de l'histoire (dans son introduction au livre du Centre d'analyse comparative des
     systèmes politiques, Le concept d'Empire,  PUF, 1980):

     - D'abord, comme l'avait déjà remarqué le linguiste français Gabriel Gérard en 1718,
     l'Empire est un "Etat vaste et composé de plusieurs peuples", par opposition au
     royaume, poursuit Duverger, moins étendu et reposant sur "l'unité de la nation dont il
     est formé". De cette définition, nous pouvons déduire, avec Duverger, trois éléments:
     a) L'empire est monarchique, le pouvoir suprême est assumé par un seul titulaire,
     désigné par voie d'hérédité et présentant un caractère sacré (une fonction
     sacerdotale).
     b) L'étendue du territoire constitue un critère fondamental des em-pires, sans que l'on
     ne puisse donner de mesure précise. La grandeur du territoire est ici subjective.
     c) L'Empire est toujours composé de plusieurs peuples, sa grandeur territoriale
     impliquant d'office la diversité culturelle. Selon Karl Werner, "un royaume, c'est un
     pays; un empire, c'est un monde".

     - L'Empire, qui est donc un système politique complexe qui met un terme au chaos, et
     revêt une dimension sacrée précisément parce qu'il génère l'ordre, a une dimension
     militaire, comme nous allons le voir quand nous aborderons le cas du Saint-Empire
     romain de la Nation Germanique, mais aussi une dimension civile constructive: il n'y
     a pas d'Empire sans organisation pratique de l'espace, sans réseau de routes (les
     voies romaines, indices concrets de l'impérialité de Rome), les routes étant
     l'armature de l'Empire, sans un commerce fluvial cohérent, sans aménagement des
     rivières, creusement de puits, établissement de canaux, vastes systèmes d'irrigation
     (Egypte, Assyrie, Babylone, l'"hydraulisme" de
Wittfogel). Au XIXiè-me siècle,
     quand la nécessité de réorganiser l'Europe se fait sentir, quand surgit dans les débats
     une demande d'Europe, l'économiste allemand Friedrich List parle de réseaux
     ferroviaires et de canaux pour souder le continent. Le grand espace, héritier laïque et
     non sacré de l'Empire, réclame aussi une organisation des voies de communication.

     - "Dans tout ensemble impérial, l'organisation des peuples est aussi variée que
     l'organisation de l'espace. Elle oscille partout entre deux exigences contraires et
     complémentaires: celle de la diversité, celle de l'unité" (Duverger, op. cit.). "Les
     Perses ont soumis plusieurs peuples, mais ils ont respecté leurs particularités: leur
     règne peut donc être assimilé à un empire" (Hegel). Par nature, les Empires sont donc
     plurinationaux. Ils réunissent plusieurs ethnies, plusieurs communautés, plusieurs
     cultures, autrefois séparées, toujours distinctes. Leur assemblage, au sein de la
     structure impériale, peut prendre plusieurs formes. Pour maintenir cet ensemble
     hétérogène, il faut que le pouvoir unitaire, celui du titulaire unique, apporte des
     avantages aux peuples englobés et que chacun conserve son identité. Le pouvoir doit
     donc à la fois centraliser et tolérer l'autonomie: centraliser pour éviter la sécession
     des pouvoirs locaux (féodaux) et tolérer l'autonomie pour maintenir langues, cultures
     et moeurs des peuples, pour que ceux-ci ne se sentent pas opprimés. Il faut enfin, ajoute
     Duverger, que chaque communauté et chaque individu aient conscience qu'ils gagnent
     à demeurer dans l'ensemble impérial au lieu de vivre séparément. Tâche éminemment
     difficile qui souligne la fragilité des édifices impériaux: Rome a su maintenir un tel
     équilibre pendant des siècles, d'où la nostalgie de cet ordre jusqu'à nos jours. Les
     imperfections de l'administration romaine ont été certes fort nombreuses, surtout en
     période de déclin, mais ces dysfonctionnements étaient préférables au chaos. Les
     élites ont accepté la centralisation et ont modelé leur comportement sur celui du
     centre, les masses rurales ont conservé leurs moeurs intactes pratiquement jusqu'à la
     rupture des agrégats ruraux, due à la révolution industrielle (avec la parenthèse noire
     des procès de sorcelleries).

     - Duverger signale aussi l'une des faiblesses de l'Empire, surtout si l'on souhaite en
     réactualiser les principes de pluralisme: la notion de fermeture, symbolisée
     éloquemment par la Muraille de Chine ou le Mur d'Hadrien. L'Empire se conçoit
     comme un ordre, entouré d'un chaos menaçant, niant par là même que les autres
     puissent posséder eux-mêmes leur ordre ou qu'il ait quelque valeur. Chaque empire
     s'affirme plus ou moins comme le monde essentiel, entouré de mondes périphériques
     réduits à des quantités négligeables. L'hégémonie universelle concerne seulement
     "l'univers qui vaut quelque chose". Rejeté dans les ténèbres extérieures, le reste est
     une menace dont il faut se protéger.

     - Dans la plupart des empires non européens, l'avènement de l'empire équivaut au
     remplacement des dieux locaux par un dieu universel. Le modèle romain fait figure
     d'exception: il ne remplace pas les dieux locaux, il les intègre dans son propre
     panthéon. Le culte de l'imperator s'est développé après coup, comme moyen d'établir
     une relative unité de croyance parmi les peuples divers dont les dieux entraient au
     Panthéon dans un syncrétisme tolérant. Cette République de divinités locales
     n'impliquaient pas de croisades extérieures puisque toutes les formes du sacré
     pouvaient coexister.

     Quand s'effondre l'Empire romain, surtout à cause de sa décadence, le territoire de
     l'Empire est morcellé, divisé en de multiples royaumes germaniques (Francs,
     Suèbes, Wisigoths, Burgondes, Ostrogoths, Alamans, Bavarois, etc.) qui s'unissent
     certes contre les Huns (ennemi extérieur) mais finissent par se combattre entre eux,
     avant de sombrer à leur tour dans la décadence (les "rois fai-néants") ou de
     s'évanouir sous la domination islamique (Wisigoths, Vandales). De la chute de Rome
     au Vième siècle à l'avènement des Maires du Palais et de Charlemagne, l'Europe, du
     moins sa portion occidentale, connaît un nouveau chaos, que le christianisme seul
     s'avère incapable de maîtriser.

     De l'Empire d'Occident, face à un Empire d'Orient moins durement étrillé, ne
     demeurait intacte qu'une Romania italienne, réduite à une partie seulement de la
     péninsule. Cette Romania ne pouvait prétendre au statut d'Empire, vu son exigüité
     territoriale et son extrême faiblesse militaire. Face à elle, l'Empire d'Orient,
     désormais "byzantin", parfois appelé "grec" et un Regnum Francorum
     territorialement compact, militairement puissant, pour lequel, d'ailleurs, la dignité
     impériale n'aurait pu être qu'un colifichet inutile, un sim-ple titre honorifique. A la
     Romania, il ne reste plus que le prestige défunt et passé de l'Urbs, la Ville initiale de
     l'histoire impériale, la civitas  de l'origine qui s'est étendue à l'Orbis romanus. Le
     citoyen romain dans l'Empire signale son appartenance à cet Orbis, tout en conservant
     sa natio (natione Syrus, natione Gallus, natione Germanicus,  etc.) et sa patria,
     appartenance à telle ou telle ville de l'ensemble constitué par l'Orbis. Mais la notion
     d'Empire reste liée à une ville: Rome ou Byzance, si bien que les premiers rois
     germani-ques (Odoacre, Théodoric) après la chute de Rome reconnaissent comme
     Empereur le monarque qui siège à Constantinople.

     Si la Romania italienne conservait symboliquement la Ville, Rome, symbole le plus
     tangible de l'Empire, légitimité concrète, elle manquait singulièrement d'assises
     territoriales. Face à Byzance, face à la tentative de reconquête de Justinien, la
     Romania et Rome, pour restaurer leur éclat, pour être de nouveau les premières au
     centre de l'Orbis, devaient très naturellement tourner leur regard vers le roi des
     Francs (et des Lombards qu'il venait de vaincre), Charles. Mais les lètes francs, fiers,
     n'avaient pas envie de devenir de simples appendices d'une minuscule Romania
     dépourvue de gloire militaire. Entretemps, le Pape rompt avec l'Empereur d'Orient.
     Le Saint-Siège, écrit Pirenne, jusqu'alors orienté vers Constantinople, se tourne
     résolument vers l'Occident et, afin, de reconquérir à la chrétienté ses positions
     perdues, commence à organiser l'évangélisation des peuples 'barbares' du continent.
     L'objectif est clair: se donner à l'Ouest les bases d'une puissance, pour ne plus tomber
     sous la coupe de l'Empereur d'Orient. Plus tard, l'Eglise ne voudra plus se trouver
     sous la coupe d'un Empereur d'Occident.

     Le Regnum Francorum aurait parfaitement pu devenir un empire seul, sans Rome,
     mais Rome ne pouvait plus redevenir un centre crédible sans la masse territoriale
     franque. De là, la nécessité de déployer une propagande flatteuse, décrivant en latin,
     seule langue administrative du Regnum Francorum (y compris chez les notaires, les
     refendarii  civils et laïques), les Francs comme le nouveau "peuple élu de Dieu",
     Charlemagne comme le "Nouveau Constantin" avant même qu'il ne soit couronné
     officiellement Empereur (dès 778 par Hadrien 1er), comme un "Nouveau David" (ce
     qui laisse penser qu'une opposition existait à l'époque entre les partisans de
     l'"idéologie davidique" et ceux de l'"idéologie constantinienne", plus romaine que
     "nationale"). Avant de devenir Empereur à Rome et par la grâce du Pape,
     Charlemagne pouvait donc se considérer comme un "nouveau David", égal de
     l'Empereur d'Orient. Ce qui ne semblait poser aucun problème aux nobles francs ou
     germaniques.

     Devenir Empereur de la Romania posait problème à Charlemagne avant 800, année
     de son couronnement. Certes, devenir Empereur romano-chrétien était intéressant et
     glorieux mais comment y parvenir quand la base effective du pouvoir est franque et
     germanique. Les sources nous renseignent sur l'évolution: Charlemagne n'est pas
     Imperator Romanorum  mais "Romanum imperium gubernans qui est per
     misericordiam Dei rex Francorum et Langobardorum". Sa nouvelle dignité ne
     devait absolument pas entamer ou restreindre l'éclat du royaume des Francs, son titre
     de Rex Francorum  demeurant l'essentiel. Aix-la-Chapelle, imitée de Byzance mais
     perçue comme "Anti-Constantinople", reste la capitale réelle de l'Empire.

     Mais l'Eglise pense que l'Empereur est comme la lune: il ne reçoit sa lumière que du
     "vrai" empereur, le Pape. A la suite de Charlema-gne, se crée un parti de l'unité, qui
     veut surmonter l'obstacle de la dualité franco-romaine. Louis le Pieux, successeur de
     son père, sera surnommé Hludowicus imperator augustus, sans qu'on ne parle plus
     de Francs ou de Romains. L'Empire est un et comprend l'Allemagne, l'Autriche, la
     Suisse, la France et les Etats du Bénélux actuels. Mais, le droit franc ne connaissait
     pas le droit de primogéniture: à la mort de Louis le Pieux, l'Empire est partagé entre
     ses descendants en dépit du titre impérial porté par Lothaire 1er seul. Suivent
     plusieurs décennies de déclin, au bout desquels s'affirment deux royaumes, celui de
     l'Ouest, qui deviendra la France, et celui de l'Est, qui deviendra le Saint-Empire ou,
     plus tard, la sphère d'influence alle-mande en Europe.

     Harcelée par les peuples extérieures, par l'avance des Slaves non convertis en
     direction de l'Elbe (après l'élimination des Saxons par Charlemagne en 782 et la
     dispersion des survivants dans l'Empire, comme en témoignent les Sasseville,
     Sassenagues, Sachsenhausen, etc.), les raids sarazins et scandinaves, les assauts des
     Hongrois, l'Europe retombe dans le chaos. Il faut la poigne d'un Arnoulf de Carinthie
     pour rétablir un semblant d'ordre. Il est nommé Empereur. Mais il faudra attendre la
     victoire du roi saxon Othon 1er en 955 contre les Hongrois, pour retrouver une
     magnificence impériale et une paix relative. Le 2 février 962, en la Basilique
     Saint-Pierre de Rome, le souverain germanique, plus précisément saxon (et non plus
     franc), Othon 1er, est couronné empereur par le Pape. L'Empire n'est plus
     peppinide-carolingien-franc mais allemand et saxon. Il devient le "Saint-Empire". En
     911 en effet, la couronne impériale a échappé à la descendance de Charlemagne pour
     passer aux Saxons (est-ce une vengeance pour Werden?), Henri 1er l'Oiseleur
     (919-936), puis Othon (936-973). Comme Charlemagne, Othon est un chef de guerre
     victorieux, élu et couronné pour défendre l'oekumène par l'épée. L'Empereur, en ce
     sens, est l'avoué de la Chrétienté, son protecteur. Plus que Charlemagne, Othon
     incarne le caractère militaire de la dignité impériale. Il dominera la papauté et
     subordonnera entièrement l'élection papale à l'aval de l'Empereur. Certaines sources
     mentionnent d'ailleurs que le Pape n'a fait qu'entériner un fait accompli: les soldats
     qui venaient d'emporter la décision à Lechfeld contre les Hongrois avaient proclamé
     leur chef Empereur, dans le droit fil des traditions de la Germanie antique, en se
     référant au "charisme victorieux" (le Heil)  qui fonde et sanctifie le pouvoir suprême.
     En hissant ce chef saxon à la dignité impériale, le Pape opère le fameuse translatio
     Imperii ad Germanos  (et non plus ad Francos).  L'Empereur devra être de race
     germanique et non plus seulement d'ethnie franque. Un "peuple impérial" se charge
     dès lors de la politique, laissant intactes les identités des autres: le règne des
     othoniens élargira l'¦kumène franc/européen à la Polo-gne et à la Hongrie (Bassin
     danubien - Royaume des Avars). Les othoniens dominent véritablement la Papauté,
     nomment les évêques comme simples administrateurs des provinces d'Empire. Mais
     le pouvoir de ces "rois allemands", théoriquement titulaires de la dignité impériale,
     va s'estomper très vite: Othon II et Othon III accèdent au trône trop jeunes, sans avoir
     été véritablement formés ni par l'école ni par la vie ou la guerre; Othon II, manipulé
     par le Pape, engage le combat avec les Sarazins en Italie du Sud et subit une cuisante
     défaite à Cotrone en 982. Son fils Othon III commence mal: il veut également
     restaurer un pouvoir militaire en Méditerra-née qu'il est incapable de tenir, faute de
     flotte. Mais il nomme un Pape allemand, Grégoire V, qui périra empoisonné par les
     Romains qui ne veulent qu'un Pape italien; Othon III ne se laisse pas intimi-der; le
     Pape suivant est également allemand: Gerbert d'Aurillac (Alaman d'Alsace) qui
     coiffe la tiare sous le nom de Sylvestre II. Les barons et les évêques allemands
     finissent pas lui refuser troupes et crédits et le chroniqueur Thietmar de Merseburg
     pose ce jugement sévère sur le jeune empereur idéaliste: "Par jeu enfantin, il tenta de
     restaurer Rome dans la gloire de sa dignitié de jadis". Othon III voulait fixer sa
     résidence à Rome et avait pris le titre de Servus Apostolorum  (Esclave des
     Apôtres). Les "rois allemands" ne pèseront plus très lourd devant l'Eglise après l'an
     1002, dans la foulée des croisades, par la contre-offensive théocratique, où les Papes
     vont s'enhardir et contester aux Empereurs le droit de nommer les évêques, donc de
     gouverner leurs terres par des hommes de leur choix. Grégoire VII impose le
     Dictatus Papae, par lequel, entre moultes autres choses, le roi n'est plus perçu que
     comme Vicarius Dei, y compris le "Rex Teutonicorum" auquel revient
     prioritaire-ment le titre d'Empereur. La querelle des Investitures commence pour le
     malheur de l'Europe, avec la menace d'excommunication a-dressée à Henri IV
     (consommée en 1076). Les vassaux de l'Empe-reur sont encouragés à la
     désobéissance, de même que les villes bourgeoises (les ³ligues lombardes²), ce qui
     vide de substance politi-que tout le centre de l'Europe, de Brême à Marseille, de
     Hambourg à Rome et de Dantzig à Venise. Par ailleurs, les croisades expédient au
     loin les éléments les plus dynamiques de la chevalerie, l'inquisi-tion traque toute
     déviance intellectuelle et les sectes commencent à prospérer, promouvant un
     dualisme radical (Concile des hérétiques de St. Félix de Caraman, 1167) et un idéal
     de pauvreté mis en équa-tion avec une "complétude de l'âme" (Vaudois). En acceptant
     l'hu-miliation de Canossa (1077), l'Empereur Henri IV sauve certes son Empire mais
     provisoirement: il met un terme à la furie vengeresse du Pape romain qui a soudoyé
     les princes rebelles. Mort excommu-nié, on lui refuse une sépulture, mais le simple
     peuple le reconnait comme son chef, l'enterre et répend sur sa pauvre tombe des
     grai-nes de blé, symbole de ressurection dans la tradition paysanne/ païenne des
     Germains: la cause de l'Empereur apparaissait donc plus juste aux humbles qu'aux
     puissants.

     Frédéric Ier Barberousse tente de redresser la barre, d'abord en aidant le Pape contre
     le peuple de Rome révolté et les Normands du Sud. L'Empereur ne mate que les
     Romains. Il s'ensuivra six campagnes en Italie et le grand schisme, sans qu'aucune
     solution ne soit apportée. Son petit-fils Frédéric II Hohenstaufen, sorte de surdoué,
     très tôt orphelin de père et de mère, virtuose des techniques de com-bat, intellectuel
     formé à toutes les disciplines, doté de la bosse des langues vivantes et mortes, se
     verra refuser d'abord la dignité im-périale par l'autocrate Innocent III: "C'est au
     Guelfe que revient la Couronne car aucun Pape ne peut aimer un Staufer!". Ce que le
     Pape craint par-dessus tout c'est l'union des Deux-Siciles (Italie du Sud) et l'Empire
     germano-italien, union qui coincerait les Etats pontificaux entre deux entités
     géopolitiques dominées par une seule autorité. Frédéric II a d'autres plans, avant
     même de devenir Empereur: au départ de la Sicile, reconstituer, avec l'appui d'une
     chevalerie allemande, espagnole et normande, l'oekumène romano-méditerranéen.

     Son projet était de dégager la Méditerranée de la tutelle musulmane, d'ouvrir le
     commerce et l'industrie en les couplant à l'atelier rhénan-germanique. C'est la raison
     de ses croisades, qui sont purement géopolitiques et non religieuses: la chrétienté
     doit demeurer, l'islam également, ainsi que les autres religions, pour autant qu'elles
     apportent des éclairages nouveaux à la connaissance; en ce sens, Frédéric II redevient
     "romain", par un tolérance objective, ne cherchant que la rentabilité pragmatique, qui
     n'exclut pas le respect pieux des valeurs religieuses: cet Empereur qui ne cesse de
     hanter les grands esprits (Brion, Benoist-Méchin, Kantorowicz, de Stefano, Horst,
     etc.) est protéiforme, esprit libre et défenseur du dogme chrétien, souverain féodal en
     Allemagne et prince despotique en Sicile; il réceptionne tout en sa personne,
     synthétise et met au service de son projet politique. Dans la conception hiérarchique
     des êtres et des fins terrestres que se faisait Frédéric II, l'Empire constituait le
     sommet, l'exemple impassable pour tous les autres ordres inférieurs de la nature. De
     même, l'Empereur, également au sommet de cette hiérarchie par la vertu de sa
     titulature, doit être un exemple pour tous les princes du monde, non pas en vertu de
     son hérédité, mais de sa supériorité intellectuelle, de sa connaissance ou de ses
     connaissances.

     Les vertus impériales sont la justice, la vérité, la miséricorde et la constance:

     - La justice, fondement même de l'Etat, constitue la vertu essentielle du souverain.
     Elle est le reflet de la fidélité du souverain envers Dieu, à qui il doit rendre compte
     des talents qu'il a reçus. Cette jus-tice n'est pas purement idéale, immobile et
     désincarnée (métaphysique au mauvais sens du terme): pour Frédéric II, elle doit
     être à l'image du Dieu incarné (donc chrétien) c'est-à-dire opérante. Dieu permet au
     glaive de l'Empereur, du chef de guerre, de vaincre parce qu'il veut lui donner
     l'occasion de faire descendre la justice idéale dans le monde. La colère de
     l'Empereur, dans cette optique, est noble et féconde, comme celle du lion, terrible
     pour les ennemis de la justice, clémente pour les pauvres et les vaincus. La
     constance, au-tre vertu cardinale de l'Empereur, reflète la fidélité à l'ordre natu-rel de
     Dieu, aux lois de l'univers qui sont éternelles.

     - La fidélité est la vertu des sujets comme la justice est la vertu principale de
     l'Empereur. L'Empereur obéit à Dieu en incarnant la justice, les sujets obéissent à
     l'Empereur pour lui permettre de réaliser cette justice. Toute rébellion envers
     l'Empereur est assimilée à de la "superstition", car elle n'est pas seulement une
     révolte contre Dieu et contre l'Empereur mais aussi contre la nature même du monde,
     contre l'essence de la nature, contre les lois de la conscience.

     - La notion de miséricorde nous renvoie à l'amitié qui a unit Frédéric II à
     Saint-François d'Assise. Frédéric ne s'oppose pas à la chrétienté et à la papauté, en
     tant qu'institutions. Elles doivent subsister. Mais les Papes ont refusé de donner à
     l'Empereur ce qui revient à l'Empereur. Ils ont abandonné leur magistère spirituel qui
     est de dispenser de la miséricorde. François d'Assise et les frères mineurs, en faisant
     v¦u de pauvreté, contrairement aux Papes simoniaques, rétablissent la vérité
     chrétienne et la miséricorde, en acceptant humblement l'ordre du monde. Lors de leur
     rencontre en Apulie, Frédéric II dira au 'Poverello': "François, avec toi se trouve le
     vrai Dieu et son Verbe dans ta bouche est vrai, en toi il a dévoilé sa grandeur et sa
     puissance". L'Eglise possède dans ce sens un rôle social, caritatif, non politique, qui
     contribue à préserver, dans son 'créneau', l'ordre du monde, l'harmonie, la stabilité.
     Le 'péché originel' dans l'optique non-conformiste de Frédéric II est dès lors
     l'absence de lois, l'arbitraire, l'incapacité à 'éthiciser' la vie publique par fringale
     irraisonnée de pouvoir, de possession.

     - L'Empereur, donc le politique, est également responsable du savoir, de la diffusion
     de la "vérité": en créant l'université de Naples, en fondant la faculté de médecine de
     Salerne, Frédéric II affirme l'indépendance de l'Empire en matière d'éducation et de
     connais-sance. Cela ne lui fut pas pardonné (destin de ses enfants).

     L'échec du redressement de Frédéric II a sanctionné encore davantage le chaos en
     Europe centrale. L'Empire qui est potentiellement facteur d'ordre n'a plus pu l'être
     pleinement. Ce qui a conduit à la catastrophe de 1648, où le morcellement et la
     division a été savamment entretenue par les puissances voisines, en premier lieu par
     la France de Louis XIV. Les autonomies, apanages de la conception impériale, du
     moins en théorie, disparaissent complètement sous les coups de boutoir du
     centralisme royal français ou espagnol. Le "droit de résistance", héritage germanique
     et fondement réel des droits de l'homme, est progressivement houspillé hors des
     consciences pour être remplacé par une théorie jusnaturaliste et abstrai-te des droits
     de l'homme, qui est toujours en vigueur aujourd'hui.

     Toute notion d'Empire aujourd'hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II
     Hohenstaufen: justice, vérité, miséricorde et cons-tance. L'idée de justice doit se
     concrétiser aujourd'hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de
     citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le
     droit à l'autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe
     par une revalorisation de la "connaissance", de la "sapience" et d'un respect des lois
     naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la
     planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir
     scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne
     quotidienne.

     Nul ne nous indique mieux les pistes à suivre que Sigrid Hunke, dans sa persepective
     'unitarienne' et européo-centrée:

     - Affirmer l'identité européenne, c'est développer une religiosité unitaire dans son
     fonds, polymorphe dans ses manifestations; contre l'ancrage dans nos esprits du mythe
     biblique du péché originel, elle nous demande de réétudier la théologie de Pélagius,
     l'ennemi irlandais d'Augustin. L'Europe, c'est une perception de la nature comme
     épiphanie du divin: de Scot Erigène à Giordano Bruno et à Goethe. L'Europe, c'est
     également une mystique du devenir et de l'action: d'Héraclite, à Maître Eckhart et à
     Fichte. L'Europe, c'est une vision du cosmos où l'on constate l'inégalité factuelle de
     ce qui est égal en dignité ainsi qu'une infinie pluralité de centres, comme nous
     l'enseigne Nicolas de Cues.

     Sur ces bases philosophiques se dégageront une nouvelle anthropo-logie, une
     nouvelle vision de l'homme, impliquant la responsabilité (le principe
     'responsabilité') pour l'autre, pour l'écosystème, parce que l'homme n'est plus un
     pécheur mais un collaborateur de Dieu et un miles imperii,  un soldat de l'Empire. Le
     travail n'est plus malédiction ou aliénation mais bénédiction et octroi d'un surplus de
     sens au monde. La technique est service à l'homme, à autrui.

     Par ailleurs, le principe de "subsidiarité", tant évoqué dans l'Europe actuelle mais si
     peu mis en pratique, renoue avec un respect impé-rial des entités locales, des
     spécificités multiples que recèle le monde vaste et diversifié. Le Prof. Chantal
     Millon-Delsol constate que le retour de cette idée est due à trois facteurs:

     - La construction de l'Europe, espace vaste et multiculturel, qui doit forcément
     trouver un mode de gestion qui tiennent compte de cette diversité tout en permettant
     d'articuler l'ensemble harmonieusement. Les recettes royales-centralistes et
     jacobines s'avérant obsolètes.
     - La chute du totalitarisme communiste a montré l'inanité des "systèmes"
     monolithiques.
     - Le chômage remet en cause le providentialisme d'Etat à l'Ouest, en raison de
     l'appauvrissement du secteur public et du déficit de citoyenneté. "Trop secouru,
     l'enfant demeure immature; privé d'aide, il va devenir une brute ou un idiot".

     La construction de l'Europe et le ressac ou l'effondrement des modèles
     conventionnels de notre après-guerre nécessite de revitaliser une "citoyenneté
     d'action", où l'on retrouve la notion de l'homme coauteur de la création divine et
     l'idée de responsabilité. Tel est le fondement anthropologique de la subsidiarité, ce
     qui a pour corol-laire:
     - la confiance dans la capacité des acteurs sociaux et dans leur souci de l'intérêt
     général;
     - l'intuition selon laquelle l'autorité n'est pas détentrice par nature de la compétence
     absolue quant à la qualification et quant à la réalisation de l'intérêt général.

     Mais, ajoute Chantal Millon-Delsol, l'avènement d'une Europe subsidiaire passe par
     une condition sociologique primordiale:
     - la volonté d'autonomie et d'initiative des acteurs sociaux, ce qui suppose que
     ceux-ci n'aient pas été préalablement brisés par le totalitarisme ou infantilisés par un
     Etat paternel.
     (solidarité solitaire par le biais de la fiscalité; redéfinir le partage des tâches).

     Notre tâche dans ce défi historique, donner harmonie à un grand espace pluriculturel,
     passe par une revalorisation des valeurs que nous avons évoquées ici en vrac au sein
     de structures associatives, préparant une citoyenneté nouvelle et active, une milice
     sapientiale.
 
 

 
 Conférence prononcée à la Tribune du "Cercle Hélios", Ile-de-France, 1995


 

SYNERGIES EUROPÉENNES - BRUXELLES/PARIS - 15   FÉVRIER 2002

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jeudi, 01 mars 2007

Mensur: rituel des "Waffenstudenten"

Trouvé sur : http://theatrumbelli.hautetfort.com/

Franz WISSANT : La Mensur, rituel sanglant des "Waffenstudenten"medium_mensur.jpg

 

C’est à Heidelberg, sous les ruines du château, au cœur du quartier de l’Université, dans une Kneipe de la rue principale : Le Bœuf Rouge. Sous la tête hirsute du bœuf qui rumine sur l’enseigne, on peut lire "Hist. Studentenlokal". Rendez-vous avec l’histoire, alcoolique et bruyante des étudiants allemands. Il n’est pas tard, mais la salle est sans doute plus comble que bien des amphithéâtres de l’Université voisine.

Certaines Kneipe sont si proches de l’Université qu’elles semblent en être des dépendances : impression que confirme la joyeuse pédagogie qui se déploie autour des tables où s’entassent des étudiants diserts et démonstratifs. On prétend qu’autrefois les étudiants pouvaient suivre les cours de certains de leurs professeurs par la fenêtre de "Studentenlokale" de cette sorte. Pourquoi pas ? Le professeur teuton a tendance à ne pas bien résister à l’euphorie euristique, et se mue aisément en un stentor tonitruant , pourpre et apoplectique. Le "Bœuf Rouge" doit, parait-il, son nom à l’un de ces phénomènes d’érudition, de santé et de dimensions thoraciques.

Tâtant d’une main de la chopine et de l’autre une Gretschen potelée, les étudiants de ce temps profitaient, comme on se l’imagine, énormément de ces leçons auxquelles ils se montraient assidus. 

Mais voici que l’histoire vous rattrape et que s’abattent sur votre  table deux cent années de tradition, en la personne d’un quintal de viande soûle. Votre Bock se renverse et souille le pantalon de l’intrus. On vous traite de truie. Abasourdi, vous saisissez le gros personnage ruisselant à bras le corps. Vous empoignez un mince ruban tricolore qu’il porte en sautoir sur son plastron et qui ficelle son ventre replet comme un grotesque paquet. C’en est fait de vous : soudain l’ivrogne n’est plus ivre. D’un ton mauvais il vous fait remarquer que vous venez de porter atteinte à l’honneur de sa corporation et vous somme de  "donnez satisfaction…". 

Mais que vous veut cet ivrogne ? 

Naguère, à moins de s’exposer aux quolibets et aux vexations, il aurait fallu relever le défi. Et bien sûr en découdre… bien que le duel soit interdit à l’Université de Heidelberg depuis 1386.

La pratique du duel dans les universités allemandes

medium_Dusacks.jpgEn réalité, l’ancienne Allemagne, bien avant que ne fussent constituées les corporations d’étudiants, prisait déjà fort le combat singulier et l’interdiction était loin d’être respectée. Les autorités des villes étaient trop heureuses de compter des citoyens exercés au combat et aptes à se défendre en des temps peu sûrs. On vit fleurir aux XIVè et XVè siècles, les écoles d’escrime et les sociétés d’épées. Des privilèges leurs furent octroyés. Les étudiants y côtoyaient les bourgeois et les artisans. On se battait à l’épée, au poignard, à la hallebarde. Peu à peu, une arme plus légère, plus maniable et permettant des combats plus engagés tout en diminuant les risques de blessures mortelles, fit son apparition. Le "Dusack" est un sabre, long de 60 à 70 cm et large de 5, généralement en bois, et dont le nom signifiait probablement « couteau émoussé ». Ce n’est que plus tard que les actuelles rapières se répandirent. Dès la fin du XVè siècle, le succès des armes à feu détourna de la pratique de l’escrime les bourgeois, soucieux en premier lieu d’éloigner les assaillants. Désormais, seuls les aristocrates, les soldats et les étudiants pratiquaient encore le duel à l’arme blanche. Cette différence constituait aussi une opposition de valeurs. A Vienne, par exemple, la méfiance des bourgeois prit ombrage du privilège qu’avaient les étudiants de porter des armes et obtinrent en 1514 que cela leur fut interdit. Humiliés et la rage au cœur, 800 étudiants viennois se rendirent en long cortège à Wels supplier l’Empereur Maximilien de leur rendre leurs armes. L’Empereur des romains, le roi-chevalier épris de chansons de geste et de courtoisie, accéda à leur désir.

Les premières corporations allemandes qui se constituèrent à la fin du XIXè siècle, se développèrent sur un terreau favorable, fait des souvenirs d’anciens privilèges et d’anciennes luttes semblables à celle-ci. Goethe lui-même témoigne que les étudiants qui comme lui ne faisaient partie d’aucune association d’étudiants, acceptaient les règles du duel. On sait qu’il provoqua, à Leipzig, un étudiant balte qui lui barrait l’entrée du théâtre. Il se battit et fut blessé au bras. Des années plus tard, se souvenant de cet épisode, il devait dire : "Quelle est l’importance d’une vie humaine ? Une seule bataille en enlève des milliers. L’honneur est plus important. Il faut défendre un point d’honneur passionnément".

 

Le code des duels
 

medium_duel.jpgLa pratique du duel ("Mensur") connut alors dans les universités une évolution remarquable. Tout d’abord, on s’efforça de la codifier. On entreprit en premier lieu d’interdire de jouter d’estoc, pratique trop meurtrière ; à Iéna, par exemple, au cours des deux premiers mois du semestre d’hiver 1839, deux étudiants trouvèrent la mort de cette façon et huit autres eurent un poumon perforé. D’ailleurs la tradition allemande du duel recommandait de porter ses coups non pas d’estoc, mais de taille ("Hiebfechten"). On finit par ne plus frapper d’estoc. C’est à Munich, en 1847, qu’on recense le dernier cas d’un étudiant mort d’un coup d’épée lui ayant traversé le corps. Mi-juristes, mi-poètes, les gais étudiants de toutes les Allemagnes réglementèrent dans le détail aussi bien les causes de duel que les armes utilisées, les lieux de rencontres, le nombre des témoins… 

A l’origine, tout duel commence par un affront, qu’il sert à réparer. Les étudiants corporés sont tenus à un certain respect pour leurs semblables et il n’y a au fond que deux sortes d’affront. L’outrage verbal et l’affront matériel. Le catalogue des insultes (Verbalinjurie) est lui aussi réglementé, et il n’en est en général qu’une d’autorisée entre étudiants, celle de "dummer Junge" (jeune sot). A Heidelberg, on varie un peu, "Hundefott" est aussi recevable. L’affront matériel n’est permis qu’à l’égard d’étudiants n’appartenant à aucune corporation ou refusant de se battre.

Pour rester sauf, l’honneur se doit de se montrer particulièrement chatouilleux : "Dès que j’ai entendu qu’à la table voisine, on parlait d’un jeune sot, je me suis emporté et nous en sommes tout de suite venus aux mains", confesse un étudiant dans une caricature célèbre, datant de 1853.

Il est interdit à deux membres d’une même corporation de se défier en duel. Toute injure subie par l’un des siens engage l’honneur de sa "patrie", c'est-à-dire de la corporation entière. C’est ainsi que la forme de duel la plus fréquente au début du XIXè siècle est le duel pro patria. Ce terme de patrie, vient des anciennes associations d’étudiants, qui se regroupaient par "pays", par terroir, au sein d’une ville universitaire. Ces "Landmanschaften" sont les ancêtres des corporations ("Burschenschaften") et le mot patrie s’entendait, au XVIIIè siècle, au sens propre. De nos jours, on ne règle plus les affaires d’honneur par le duel pro patria.

Un étudiant s’estimait injurié par une autre corporation avait aussi la possibilité de demander réparation "viritim", d’homme à homme (Viritim Suite). 

Le duel se déroulait dans des tavernes ou des maisons d’étudiants changées pour l’occasion en salles d’armes. On préférait souvent les choisir à l’écart des villes. On se battait aussi dehors, quelle que fût la saison, de préférence dans un bois ou dans les ruines d’un château. On s’y rendait secondé de deux membres de sa corporation. A Iéna, chaque corporation de la ville pouvait envoyer un "observateur". A Heidelberg, les duels n’avaient qu’un seul témoin. Partout, les curieux étaient éloignés du combat par un service de sécurité constitué par les corporations impliquées.

Il existe dès 1820, à Heidelberg encore, un médecin attitré pour les duels. Les combattants étaient protégés par des bandes molletonnées qu’ils enroulaient autour de leur cou et par un masque grillagé ou de cuir. Ils portaient des gants de cuir et des lunettes spéciales. Les blessures n’étaient plus mortelles mais restaient parfois sérieuses, notamment en cas de combat au sabre, arme réservée aux affaires les plus graves, et aux vexations les plus infâmantes. Chaque ville étudiante privilégiait un type d’épée différent ; à garde en forme de cloche pour les uns, en corbeille pour les autres… Lorsque les protagonistes appartenaient à des universités différentes, il fallait convenir au préalable de l’arme employée. Peu à peu,  à partir des années 1820, l’usage du pistolet se répandit, même pour la réparation d’offenses vénielles lorsque l’un des protagonistes n’était pas au fait des coutumes locales en matière de duel. Il en allait de même quand des combattants étaient officiers. 

Si l’un des combattants ne comparaissait pas le jour dit, il s’exposait à un blâme et perdait son droit à obtenir satisfaction. Il était déshonorant de répugner à croiser le fer et il ne se passait pas de jour dans une université sans qu’il y eût duel ou menace de duel. A Iéna, une Verbindung de seize hommes se livra à elle seule, en quatre semaines, au cours de l’été 1815 à plus de 200 duels. Dans les années 1840, les Bursche de Suevia, à Heidelberg avaient tous derrière eux plus de dix combats singuliers. Beaucoup en totalisèrent de quarante à soixante. Dans cette ville, le médecin dont c’était la fonction assista à 20 000 duels en vingt quatre ans de carrière. 

Pour l’emporter, il fallait "chasser" (chassieren) son adversaire cinq pas derrière la ligne de Mensur, ou l’acculer dans un coin de façon à l’immobiliser. Il était bienvenu de laisser sa signature sur le visage de son adversaire ; de telles cicatrices ("Schmisse") étaient presque plus glorieuses encore pour celui qui les recevait que pour celui qui les avait imprimées. Elles constituaient un véritable signe extérieur de richesse pour leur propriétaire. En attestant son appartenance aux "étudiants armés" (Waffenstudenten) elles témoignaient d’un genre de vie particulier, consacré aux valeurs de l’honneur viril. Elles indiquaient aussi tout simplement qu’il avait fait des études, qu’il était "Akademiker". On raconte que certains étudiants recalés à tous leurs examens se firent faire, sous anesthésie, une cicatrice chirurgicale. A défaut de diplômes, ils pensaient gagner de la sorte une sorte de prestige intellectuel dans leurs relations avec leurs féaux dans leurs provinces d’origine.

Cette vanité éloignait beaucoup d’étudiants de l’esprit chevaleresque qu’ils prétendaient incarner. D’ailleurs, petit à petit, le duel d’honneur fit place à une autre forme d’épreuve des armes. Le combat singulier prend alors le caractère d’un rite initiatique, destiné à éprouver le courage de tout impétrant désireux être admis au nombre des Bursche d’une corporation.

 

Nouvelle fonction du duel
 

medium_waffenstudenten.jpgDès les années 1850, le duel constitue de plus en plus sa propre fin. On ne croit plus sincèrement aux motifs d’honneur qu’on continue d’invoquer pour se battre. Au contraire, on provoque l’adversaire jusqu’à ce que, hors de soi, il se sente contraint (ou le feigne) de réagir (Verabredungsmensur). Puis cette provocation pro forma elle-même disparaît, au profit des Bestimmungsmensure, dans lesquelles il n’est pas besoin d’avoir été provoqué pour se battre. 

Les corporations se rendent à une heure convenue (Verabredung) en un lieu convenu, Kneipe ou autre, qu’ont préparé les leurs. Chaque corporation occupe une table. Un lourd silence se fait dans la salle. Chacun se demande quel prétexte on trouvera cette fois, mais personne ne doute que l’issue de la soirée sera comme toujours sanglante. D’une table, une insulte fuse, dans la direction d’une corporation attablée à côté. L’insulté répond, avec humour, s’il connaît ce mot, mais le plus souvent avec morgue. Sa provocation (Tusch) lance le signal de moqueries de plus en plus vives, de plus en plus grinçantes auxquelles tous les participants s’associent. Le désordre est indescriptible, le vacarme, épouvantable. De toutes les tables montent des cris de guerre, en réponse à ce premier "Kontrahage".

On se bat avec bravoure et indifférence pour les coups. Le duel à l’épée tend à devenir immobile, seul le poignet et le bras armés se mouvant, les duellistes prouvant leur vaillance par leur refus de reculer. Ceci a pour conséquence qu’on se tape incroyablement dessus, dès qu’a retenti le "Los" par lequel s’engage le combat. La rencontre est une violente succession de coups encaissés sans sourciller.

Avec le temps, toutes les Verbidungen pratiquant le duel ("schlagend") finirent par inscrire dans leurs statuts que tout novice (Fuchs), devait, pour devenir Bursche, s’être livré à un certain nombre de combats singuliers. Cette exigence n’était d’ailleurs pas sans présenter des difficultés à l’égard des dispositions du droit pénal. Le code pénal autrichien de 1852, de même que le code pénal allemand de 1871 interdisent de se battre en duel "au moyen d’armes meurtrières".

Le statut juridique du duel connut une évolution contrastée, les divers régimes qui se succédèrent jusqu’à nos jours imprimant dans les dispositions du code pénal relatives au duel leur marque propre. Celles-ci constituent par la même aussi à chaque fois le cachet de leur conception des rapports sociaux en Allemagne. La pratique d’ailleurs contredisait souvent les dispositions légales.


Le duel à la fin du IIè Reich
 

medium_honneur.jpgAlors que le Reichsgericht, par un célèbre arrêt en date de 1883 réprimait au pénal la Mensur entre étudiants, quelles que soient les circonstances, l’Empereur Guillaume Ier semblait encourager ouvertement cette pratique. Il déclara, par exemple, en 1874, qu’il ne saurait tolérer dans son entourage ni "un officier incapable de défendre son honneur ni un officier mal éduqué".

On retrouve la même contradiction à la fin de l’empire austro-hongrois. Le duel était interdit. Un officier surpris alors qu’il se battait en duel était sévèrement puni. Mais un officier refusant de se battre en duel était dégradé. C’était même devenu un passe-temps apprécié de quelques reîtres, chevaliers restés bien près du cheval, ou étudiants corporés, que de provoquer en duel des officiers de réserve catholiques. On compte ainsi dans la seule Austria Innsbruck six officiers de réserve dégradés pour avoir refusé de se battre. 

Une ligue des étudiants corporés hostiles au duel vit le jour au début du siècle en Allemagne et en Autriche, regroupant plus de cent associations d’étudiants. D’autres corporations au contraire, telles les membres de la Deutsche Burschenchaft se réunissaient dans le même temps à Marburg pour convenir d’un protocole sur l’élimination des injures matérielles et sur la réparation des "offenses", constituant un véritable syndicat du duel. Le fossé s’accrut entre corporations pratiquant le duel ("schlagend") et les autres. Mais la camaraderie soudée au cours de la Première Guerre mondiale entre soldats appartenant à l’un ou l’autre des modèles de corporation, finit par triompher des préjugés. Les corporations qui ne se battaient pas furent reconnues comme aussi honorables que les autres. Cela d’autant plus que la décision du Reichsgericht de 1883 s’appliquait toujours, ce qui constituait sans aucun doute un obstacle à de nombreux duels. 

Le national-socialisme, qui modifia de manière totalitaire le droit pénal, se montra au contraire plus libéral à l’égard de la Mensur, qui fut à nouveau autorisée dès 1933. Le régime alla même, en 1935, jusqu’à préciser dans le paragraphe 210 A du code pénal que les Mensuren ne pouvaient faire l’objet de poursuites. Les révolutionnaires nationaux-socialistes ne s’illustraient pas toujours de manière très brillante dans cet exercice issu d’une longue histoire et chargé de tradition ; lors d’un duel au sabre lourd, un professeur de l’Université de Leipzig, qui avait provoqué le Führer du groupe de SA de sa ville, eut raison de son adversaire en trois minutes et trente secondes. Peu après l’interdiction des corporations, en 1937, le Reichsstudentenführer mit également la Mensur hors la loi. 

La réconciliation des deux modèles de corporatisme ?
 

L’impunité pénale dont jouissait la Mensur depuis 1933 fut supprimée par les alliés en 1945. La situation juridique actuelle a été précisée à l’occasion d’une affaire dont eut à connaître le cour suprême de justice de Karlsruhe (BGH) dont on parla sous le nom du "Mensur-Prozess" de l’Université demedium_combat.jpg Göttingen. La cour relaxa un étudiant duelliste, inculpé pour coups et blessures. La décision relève que si la Mensur peut en effet entraîner des blessures graves au sens du code pénal, celles-ci ne sont pas répréhensibles, les règles de la Mensur ayant été acceptées par les deux protagonistes. La cour relève également que cette pratique ne porte pas atteinte aux bonnes mœurs. Il n’y a donc pas lieu d’en réprimer l’exercice. Le recteur de l’Université de Berlin de l’époque ne se réjouit pas de ce jugement. Peu de temps après l’arrêt, il tenta de pénétrer dans une Kneipe pour empêcher un duel qui était en train de s’y dérouler ; on l’en chassa avec la dernière fermeté et non sans quelques brutalités choisies. 

Si la loi n’interdit plus vraiment la Mensur, les statuts de nombreuses corporations ont cessé de l’exiger. La vague contestataire de la fin des années 1960 conduisit plusieurs corporations membres de la Deutsche Burschenchaft à refuser le duel. Elles furent exclues du mouvement, tambour battant. Mais refusant de se le tenir pour dit, elles demandèrent en justice leur réintégration. Elle leur fut accordée. Pour maintenir un semblant d’unité entre les différentes tendances, la DB finit par remettre la décision de continuer à pratiquer le duel à l’appréciation de chaque corporation. Ce qui explique qu’une certaine hétérogénéité règne sur le front des corporations allemandes, cristallisée notamment autour de cette question du duel. Sur les 133 associations de Burschenschaften actuelles, 10 ont aboli la Mensur, 64 continuent de la considérer comme obligatoire, 59 comme facultative. 

Il n’est plus indispensable aujourd’hui que le sang coule. Nul n’est déshonoré s’il ne parvient pas à entamer le cuir ou la couenne de son Kontrahent. La Mensur exige seulement de chacun des participants qu’il s’expose et qu’il coure un risque sérieux d’être blessé. On a un temps envisagé de remplacer le cérémoniel du combat à l’épée par une forme plus moderne, ou plus exotique, la "Sportmensur" : les adversaires, torse nu, tiennent à la main un long bâton de bois dont ils doivent se porter de rudes coups, au besoin jusqu’à s’assommer. Mais cette idée n’a pas réussi à s’imposer. 

De façon plus générale, il est curieux de voir dans certaines corporations le rôle du duel devenir de plus en plus purement esthétique, voire spirituel. On redécouvre la symbolique du combat. L’enjeu véritable de la Mensur n’a jamais tant été la victoire que la défense des valeurs d’une caste, il ne s’agit pas de triompher d’un adversaire plus faible, mais au contraire de se montrer capable de défendre le faible en toute circonstance. Avant tout, il importe de surmonter sa propre peur. Certaines corporations le reconnaissent. Il est d’autres moyens que la Mensur d’arriver à ce but. Et d’autre part, quel intérêt de classe les étudiants ont-ils encore à défendre, dans les universités-usines avec vue sur le chômage de masse ? Peut-être le seul privilège qui restent à certains nostalgiques des parfums exaltants de l’ancien honneur, est-il celui d’avoir encore des yeux pour pleurer. 

 

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Franz WISSANT, juriste, pour Theatrum Belli

Membre de la Verbindung catholique UNITAS

Corporation étudiante ne pratiquant plus la Mensur.

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mercredi, 28 février 2007

Charles IV, Duc de Lorraine: cauchemar de Richelieu

Laurent SCHANG :

Charles IV, Duc de Lorraine: le cauchemar de Richelieu

Trouvé sur : http://theatrumbelli.hautetfort.com/

medium_lorraine.jpgGlorieuse et apaisée. C’est en ces termes que le Père Wilhelm, dans son Histoire abrégée des Ducs de Lorraine (terminée de rédiger en 1735), conte la mort, survenue trois quarts de siècle plus tôt, de Charles IV de Lorraine et de Bar, de très noble et antique lignée.

Comme le comédien rêvait de mourir sur scène, Charles IV expira sur son lit de camp, dans sa douzième campagne, au quatorzième jour du cinquième mois de sa soixante et onzième année, son fidèle tambour ruisselant de larmes à ses pieds.

Lorsque, soulevant le lourd brocart, le chirurgien général parut hors de la tente, sa perruque à la main, tous comprirent que l’âme de leur seigneur et duc s’en était retournée vers Dieu. Alors la plaine résonna d’une même plainte et dix mille Lorrains s’agenouillèrent pour demander pardon.

Une dernière salve, puis l’instrument se tut. L’enfant avait crevé la peau du tambour.

Ainsi s’acheva la vie courtoise et picaresque du chevalier Charles de Vaudémont, duc de Lorraine, descendant en ligne directe de l’Empereur Charlemagne et de Godefroy de Bouillon, le 18 septembre 1675, consacré depuis date de grande affliction pour les défenseurs des libertés ducales.

La dépouille, encore toute auréolée de l’écrasante victoire remportée le 11 août à Consarbrück, non loin de la ville de Trèves, contre l’armée du roi de France, sous le commandement du présomptueux maréchal de Créqui, fut prestement embaumée et ramenée à Nancy.

Destin de reître que celui de cet aristocrate, promis à briller dans les meilleures cours d’Europe, et qui voua sa vie et sa fortune à contrecarrer les plans hégémoniques de la couronne de France sur tous les champs de bataille du continent.

Fils né le 5 avril 1604 de François de Lorraine-Vaudémont et de Chrétienne de Salm, Charles va prendre une part active à tous les événements d’un siècle agité par les appétits de conquête et l’émergence, sur fonds de guerre religieuse, d’une idée nouvelle : les frontières « naturelles » des Etats. S’il rechigne à l’étude, le garçon montre tôt des dispositions de bretteur et de cavalier, de même qu’un goût prononcé pour l’art de la guerre, qu’il saura mettre à profit le moment venu.

Sa majorité seigneuriale acquise, Charles monte sur le trône de Lorraine. L’historien Christian Bouyer nous brosse le portrait du jeune souverain : « Agé de vingt-trois ans, Charles IV est un personnage orgueilleux, insouciant, étourdi et brouillon. Au physique, c’est un homme d’une taille élancée, avec un visage osseux, une abondante chevelure blonde et ‘‘un nez flairant loin’’. Malgré une éducation incomplète, le duc possède certaines qualités : c’est un excellent cavalier qui aime l’exercice au grand air, il est aussi un beau parleur qui ne néglige pas les choses de l’esprit. » (in La duchesse de Chevreuse, Pygmalion, 2002)

Une autre de ses qualités, et non des moindres, est sa fidélité. Fidélité intangible au Saint Empire romain germanique. Fidélité à la parole donnée à ses sujets lors du sacre, en la chapelle des Cordeliers. Fidélité enfin au parti catholique, dont il s’érige en champion.

Aussitôt, la guerre de Trente Ans le jette dans la mêlée européenne.

Ses détracteurs posthumes auront beau jeu de lui reprocher son entêtement à refuser le retournement d’alliance offert par Louis XIII, sur les conseils de son Premier ministre, le cardinal de Richelieu. Rarement l’adjectif machiavélique convint davantage à un homme d’Etat. Depuis Louis XI, le royaume de France convoite le duché, à la fois passage obligé vers la riche Alsace, Strasbourg et le Rhin qui la borde, et obstacle intolérable dans sa politique du Pré carré. Or, Charles IV ne cache pas ses ambitions d’intercesseur dans le conflit qui déchire l’Europe rhénane. Le cardinal, que hante le souvenir des ducs de Guise et leurs intrigues – des Lorrains eux aussi – tient son prétexte.

Quarante années durant, dont vingt à cheval et en armure, Charles IV va défendre bec et ongles l’indépendance du duché. Prenant la longue route de l’exil à la tête de son armée pour soutenir la maison d’Autriche. N’hésitant pas à abdiquer en faveur de son frère Nicolas-François afin que la famille ducale ne soit pas inquiétée.

L’époque, le « Grand Siècle » comme on l’appellera plus tard, est à la rouerie, la duplicité diplomatique. Charles IV évolue dans ce monde de faux semblants en grand capitaine de compagnie. Quand il ne franchit pas le Rhin pour reprendre Nancy, il chevauche du Palatinat jusqu’aux Flandres et porte secours aux Impériaux.

De siège interminable en bataille rangée, sa témérité, sa crâne attitude sous la mitraille stupéfient les chroniqueurs. De Lisbonne à Moscou, les cours d’Europe s’enthousiasment au récit de ses exploits. Charles n’est pas homme à diriger ses troupes à bonne distance du feu ennemi. Piétinée par les Suédois, occupée par les Français, ravagée par les Croates, la Lorraine moribonde renaît partout où se dressent ses couleurs : « Etendard à fond jaune, traversé d’une croix rouge. Au centre, l’écusson ovale de Lorraine surmonté d’une couronne ducale ; à chaque angle une croix à double croisillon. » (M. Dumontier)

En 1638, déferlant du Luxembourg, il réussit un temps à chasser l’armée royale du pays. Un camouflet pour Louis XIII et une humiliation personnelle pour Richelieu, qui désormais, jusqu’à sa mort, va poursuivre Charles IV d’une haine vengeresse. Par tous les moyens, « l’âne rouge », ainsi que le surnomme Charles, va tâcher d’attenter à la vie de son irréductible ennemi. Des tentatives d’assassinat, d’empoisonnement par lettre dont les mémorialistes tiendront le registre détaillé. Le cardinal botté et caparaçonné du siège de La Rochelle s’avère bien digne du sinistre personnage dépeint par Alexandre Dumas dans Les trois mousquetaires.

Le 5 août 1643, tandis que les foudres cardinalesques se déchaînent contre le malheureux duché, Charles IV défait encore de belle manière Turenne et le Grand Condé à la bataille de Fribourg. Mais en cette vingt-cinquième année de guerre ininterrompue en Europe, les gazettes se passionnent d’abord pour ses péripéties amoureuses.

Charles IV a épousé Nicole de Lorraine en 1621. Son titre, il le doit à Nicole. Cela ne l’empêche pas en avril 1637 de contracter secrètement mariage avec Béatrix de Cusance, veuve de François-Thomas de Cantecroix, sa maîtresse.

Le prince des Ligueurs, bigame ! Excédé, le Pape Urbain VIII finit par excommunier Charles le 13 avril 1642. Les Lorrains, pourtant fervents catholiques, ne lui en tiendront pas rigueur, bien au contraire, qui continueront à acclamer Béatrix comme leur seconde duchesse. Il est vrai qu’à la différence de Nicole, la belle accompagne le duc Charles dans toutes ses expéditions militaires.

En 1648, le subit mouvement de Fronde qui succède au traité de Westphalie redonne à Charles l’espoir de reconquérir son duché. Il caresse même l’idée grandiose d’assiéger Paris. Mais ses talents de négociateur révèlent bientôt leurs limites et Charles, abandonné par les Impériaux, doit rebrousser chemin.

D’autres aventures l’attendent ailleurs. Contraint à un nouvel exil en 1654, sous la poussée des armées françaises, Charles IV est arrêté par les Espagnols ses alliés le 25 février et envoyé sous forte escorte à Tolède. La trahison scandalise jusqu’au Pape. Libéré en 1659, il ne fait son entrée à Nancy qu’en 1663, sous la protection, ironie de l’Histoire, de Louis XIV.

L’idylle cependant ne dure pas. Le roi de France accorde certes aux Lorrains le droit de tenir cour, de légiférer, mais Charles est empêché de commander et toute politique étrangère lui est interdite. Convaincu de conspiration en 1670 par un Louis XIV qui prépare l’invasion de la Hollande et a besoin pour ce faire de garantir la paix sur ses marches, Charles IV prend la fuite à l’arrivée des mousquetaires puis rejoint le camp des Impériaux. Sa dernière campagne commence.

 Laurent SCHANG

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Charles IV en quelques dates :

•5 avril 1604 : naissance de Charles IV

• avril 1637 : Charles IV épouse en secret Béatrix de Cusance, sa maîtresse.

• 13 avril 1642 : le pape Urbain VIII l’excommunie.

• 5 août 1643 : Charles IV bat à plate couture Turenne et le Grand Condé à la bataille de Fribourg. Richelieu fait raser les villes fortifiées qui jalonnent les frontières sud et ouest du duché.

• 1645 : Charles IV arme le navire « L’Espérance de Lorraine » pour venir en aide aux Irlandais insurgés.

• 1648 : signature du traité dit de Westphalie. La Lorraine sort de la guerre dépeuplée aux deux tiers, sa population décimée par les pillages, la famine et la peste.

• 25 février 1654 : Charles IV est arrêté par les Espagnols et envoyé en détention à Tolède.

• 1663 : Charles IV rentre à Nancy.

• 1665 : Charles IV épouse Marie-Louise d’Apremont, de très loin sa cadette.

• 1670 : Charles IV s’enfuit de Nancy et rejoint le camp des Impériaux en Hollande.

• 11 août 1675 : victoire de Charles IV à la bataille de Consarbrück

• 18 septembre 1675 : mort de Charles IV. Enterré en l’église de la Chartreuse de Bosserville, au sud de Nancy, sa dépouille ne sera pas transférée dans le caveau ducal de la Chapelle des Cordeliers avant 1823.

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A lire également :

Henry Bogdan, La Lorraine des ducs –  Sept siècles d’histoire, Perrin, 2005.

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samedi, 24 février 2007

Nationalismes constitutionnel et dynastique en Russie

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Nationalisme constitutionnel et nationa­lisme dynastique, germanophobie et anglo­phobie, néoslavisme et panslavisme dans le débat russe du début du siècle

Robert STEUCKERS

Analyse: - Caspar FERENCZI, «Nationalismus und Neoslawismus in Rußland vor dem Ersten Weltkrieg», in Forschungen zur osteuropäischen Geschichte, Band 34, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1984. - Caspar FERENCZI, Außenpolitik und Öffentlichkeit in Rußland 1906-1912,  Matthiesen Verlag, 1982.

A l'aube du siècle, la question d'Orient et celle des Détroits mobilisent l'attention de tous les polémistes russes. Après la pa­renthèse du communisme, qui a duré 70 ans, la Russie semble confrontée aux mêmes défis géopolitiques. Nous allons exa­miner, tout au long de cet exposé, comment se cristallisait les idéo­logies et leurs compléments géopolitiques. En effet, chaque idéologie russe proposait une géopolitique différente, sans qu'on ne puisse distinguer réellement un “bloc d'idées incontes­tables” qui aurait pu susci­ter le consensus en politique étrangère, en dépit des dissensus intérieurs.

Deux formes de “nationalismes” s'affrontent à l'aube du siècle: le nationalisme constitutionnel, libéral et pro-occidental, anglo­phile et germanophobe, et le nationalisme dynastique, autocratique et anti-occiden­tal, anglophobe et plutôt germanophile.

1. Le nationalisme constitutionnel:

La caractéristique majeure de ce nationalisme constitutionnel est une référence au “peuple” (narod), non pas dans le sens es­sentiel et métaphysique des slavophiles du XIXième siècle, mais comme concept de transition entre la réalité autocratique de la Russie tsariste et la Douma, appelée à “libéraliser” la Russie. Le peuple des nationalistes constitutionnels n'est donc pas un concept désignant une classe, ou les classes pauvres et exclues du pouvoir, comme chez les socialistes qui déclenchent la révolution avortée de 1905. Il n'est pas non plus un concept religieux-mythique comme chez les narodniki du XIXième siècle.

Pourtout, dans le contexte de l'époque, la classe ouvrière s'éveille. Des troubles sociaux graves écla­tent. En 1912, les ouvriers des mines d'or de la Lena déclenchent une grève violente. La troupe tire dans le tas. Le nombre des morts est impressionnant. Depuis cet incident jusqu'en 1914, les troubles sont constants, apportant de l'eau au moulin des socialistes et des futurs bol­cheviques.

Les nationalistes constitutionnels raisonnent en termes progressistes sans limiter le concept de peuple aux seuls ouvriers, comme les socialistes, ou sans en faire la notion-clé d'une métaphysique nationa­liste, à la façon des narodniki slavophiles du XIXième siècle.

Jamais la Russie ne connaîtra de synthèse entre ces deux formes d'appréhension du peuple. En Allemagne, la sociale-démo­cratie parvient à intégrer la classe ouvrière dans le fonctionnement du pays. Les socialistes ne partagent peut-être pas la mys­tique germano-nordique de la bourgeoisie, pendant al­lemand du narodnikisme slavophile, mais, en fin de compte, le wagné­risme était révolutionnaire en 1848 et on assiste à la fin du siècle à une wagnérisation et une nietzschéisation du socialisme. Mystique natio­nale et souci socialiste se compénètrent dans le Reich de Bismarck et les socialistes russes modérés, et, même, certains nationalistes constitutionnels admirent et envient cette synthèse. Ils sont enchantés de voir que Lassalle ap­puie Bismarck et que Liebknecht senior introduit une forme bien profilée de natio­na­lisme dans la sociale-démocratie: l'Allemagne est la patrie des ouvriers, c'est là qu'ils bénéficient de la sé­curité sociale la mieux élaborée du monde, c'est là que leurs syndicats ont leur mot à dire. Les ouvriers allemands sont les mieux émancipés. C'est grâce à l'excellence des tradi­tions politiques allemandes.

Le modèle germanique ne pourra pas être importé en Russie en dépit des efforts de Stolypine et de Kokovtchov. La juxtaposi­tion sans fusion ni synthèse des deux formes de nationalisme donnent les cli­vages suivants, qui ne seront pas surmontés:

1) Orthodoxie, autocratie paternaliste, peuple et populité au sens mystique du terme.

2) Peuple-société (idem chez Gorbatchev et Eltsine!), démocratie constitutionnelle (Eltsine jusqu'en oc­tobre 1993!), réformes.

Parmi les tenants du nationalisme constitutionnel, on compte les “Cadets”, qui théorisent dans la cohé­rence un projet politique pro-occidental en Russie, que ne partagent évidemment pas les nationalistes dynastiques, les orthodoxes intégristes et les mystiques narodniki. Les Cadets, comme plus tard Gorbatchev, voudront accorder aux peuples périphériques une pleine auto­nomie (Polonais, Finlandais). Leur théoricien est Struve. Il veut la démocratie dans le cadre d'un impérialisme libéral. Mais il ne veut pas d'une Russie faible qui serait incapable de s'affirmer sur la scène internationale. Les efforts de la Russie doivent se porter vers le Moyen-Orient (ce qui est pourtant contradictoire avec son désir d'une alliance anglaise) et elle doit dominer pour toujours et fermement l'ensemble du bassin de la Mer Noire.

Struve s'oppose à la xénophobie et à l'antisémitisme. Comme en Allemagne, dit-il, il existe des Juifs pa­triotes, qui peuvent servir d'intermédiaire entre la Russie et les autres peuples, via les relais de la dia­spora. Les Polonais sont un tremplin vers les Slaves de l'Ouest de confession catholique. Il faut valoriser le rôle des Polonais dans l'Empire russe, pense Struve, pour s'opposer efficacement à l'Autriche-Hongrie et à l'Allemagne. Une Pologne loyale constitue une protection du flanc occidental de la Russie, permettant par ailleurs une poussée vers le Sud et une maîtrise de la Mer Noire. Si la Russie ne parvient pas à fidéli­ser les Polonais à sa cause, la Pologne deviendra automatiquement un tremplin de l'Allemagne et de l'Autriche en direc­tion de la Russie. La non-résolution de la question polonaise conduira à une vassalisa­tion de la Russie par le Reich allemand.

L'impérialisme libéral préconise donc une alliance avec la France (pour clouer les Allemands à l'Ouest) et avec l'Angleterre, qui doit toutefois laisser à la Russie les mains libres en Mer Noire. Mais Struve aura quelques difficultés à faire admettre cette alliance anglaise: les souvenirs de la guerre de Crimée, où les Anglais et les Français s'étaient alliés aux Turcs, restent cui­sants et douloureux.

A l'intérieur Struve veut une organisation bismarckienne, avec un appareil d'Etat réconcilié avec le peuple, par le biais de l'idée nationale (démocratique). L'appareil d'Etat doit se servir de l'idée nationale-démocratique, c'est-à-dire du nationalisme de la révolution de 1848, et se laisser compénétrer par elle. En bout de course, on aura un renforcement de l'Etat, comme dans la nouvelle Allemagne de Bismarck.

Finalement, l'impérialisme libéral de Struve est d'inspiration parlementariste à la mode anglo-saxonne, as­sorti de quelques correctifs d'origine allemande. Dans sa vision géopolitique, les Polonais et les Finlandais deviennent des alliés des Russes. Quant aux autres peuples, considérés comme moins impor­tants ou moins développés, ils doivent subir une assimilation douce au modèle russe, comme dans le creuset américain.

2. La germanophobie et la crise bosniaque:

La germanophobie, en dépit de la fascination pour le modèle bismarckien, éclate surtout en 1908, au mo­ment de la crise bos­niaque, quand l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine (en respectant les accords de 1878). Cette main-mise sur la province centrale des Balkans, qui permet de contrôler toute cette vaste péninsule, pousse définitivement l'opinion publique russe dans l'alliance franco-britannique, alors qu'elle était fort hésitante auparavant.

Les Cadets, qui se perçoivent comme révolutionnaires dans le cadre de l'autocratie russe, chantent les mérites de l'Allemagne culturelle et sociale mais s'opposent à l'Allemagne officielle. De même qu'à la forte présence allemande et balte-germanique à la Cour du Tsar. Cette aristocratie germanique est accusée de pratiquer une politique coercitive, qui maintient les ouvriers et les paysans russes dans un état de sujé­tion dramatique. Les Cadets admirent la dynamique industrielle alle­mande mais cons­tatent que cette dy­namique s'oriente vers les Balkans, l'Empire Ottoman, le Moyen-Orient (la “Question d'Orient”) et la Perse, ce qui menace l'exclusivité russe en Mer Noire et confisque l'espoir de s'ancrer à demeure sur les rives du Bosphore et dans les Dardennelles. En 1906, la revue Novoïe Vremje évoque un complot “germano-sioniste”, où le sionisme de Herzl est défini comme un instrument allemand pour péné­trer l'Empire Ottoman.

3. Le nationalisme dynastique:

Ce nationalisme dynastique repose sur trois piliers: l'autocratie (paternaliste), l'orthodoxie et la populité au sens mystique des narodniki. Ce nationalisme dynastique s'oppose à toute forme de constitution, à toute idée de progrès, mais veut réaliser la fraternité entre tous les Orthodoxes, car l'Occident a promis la fraternité lors de la Révolution française, sans jamais avoir été capable de la réaliser. En politique inté­rieure, les nationalistes dynastiques veulent diminuer l'influence allemande dans la Cour, dans le haut fonctionnariat, et l'influence juive dans l'économie et le socialisme. En politique extérieure, en revanche, ils refusent toute alliance avec la France ou l'Angleterre, parce que ces pays sont les foyers du parlemen­tarisme, du capitalisme et du constitutionalisme, toutes formes politiques jugées perverses et délétères. Les nationalistes dynastiques évoquent sans cesse le “péril jaune”: il faut battre les Chinois, les Perses, les Turcs, pour redorer le blason de l'armée. Ils développent une perspective eurasienne somme toute assez agressive et impérialiste et nous décou­vrons chez eux les premiers balbutie­ments de cet eurasis­me récurrent, de Staline aux néo-impérialistes actuels. Les nationalistes dynastiques préconisent de se retirer d'Europe, sous-continent en proie à la décadence, et de se chercher, par les armes, un destin en Asie. La Russie, di­sent-ils, n'a pas intérêt à participer à l'équilibre européen, car toute notion d'équilibre est une idée “germano-romaine” prou­vant la mesquinerie et l'étroitesse d'esprit des Occidentaux. Enfin, les nationalistes dynastiques s'opposent au néoslavisme des Slaves occidentaux, surtout des Tchè­ques, car ce néoslavisme est tout compénétré d'idées modernes et libérales, donc inadéquates pour la Russie.

Face à l'Allemagne, les nationalistes dynastiques sont ambivalents. Avant 1908, donc avant l'annexion par Vienne de la Bosnie-Herzégovine, ils voulaient une alliance avec le Reich. En 1908, au plus fort de la crise bosniaque, ils veulent la guerre contre l'Allemagne et l'Autriche. A partir de 1909, quand les esprits se calment, ils veulent une alliance avec l'Allemagne seule. La faiblesse des nationalistes dynastiques, c'est de ne pas avoir un théoricien de la trempe de Struve. Si ce dernier avait eu des opposants de son acabit, il n'est pas sûr que la Russie serait resté dans l'Entente.

En 1909, Menchikov, théoricien et polémiste nationaliste dynastique, développe, après la crise bos­niaque une vision géopoli­tique assez contradictoire. La Russie ne doit pas servir de réservoir de chair à canon pour l'Angleterre. Contre le péril jaune japonais et chinois, et contre la péril blanc allemand, elle doit forger une réseau d'alliance. Dans le Pacifique et en Extrême-Orient, elle doit s'allier à la Chine et aux Etats-Unis pour damer le pion au Japon. Pour barrer la route à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, elle doit s'allier à la France, à l'Italie et aux petites puissances balkaniques (surtout la Serbie). Mais en dépit de cette esquisse contradictoire, où Menchikov est anglophobe tout en voulant s'allier à tous les pions de l'Angleterre dans le monde, il croit à la paix, estimant que les nations occidentales sont désormais trop décadentes pour oser commencer une guerre.

Les autres polémistes nationalistes dynastiques se bornent à vouloir une politique militaire défensive, impliquant un modus vi­vendi  avec le Reich allemand. Les nationalistes dynastiques ont peur de la guerre parce que celle-ci pervertira immanqua­blement le peuple. Les masses de soldats mobilisés entreront en contact avec le socialisme et le libéralisme de l'Europe. Si la guerre éclate demain, disent-ils, la révolution éclatera après-demain, parce que les soldats issus du prolétariat et du paysan­nat seront fascinés par le modèle allemand et voudront le transposer de force dans une Russie qui n'est pas prête à le rece­voir. Pire, ce modèle, occidental, germanique, ne pourra jamais harmonieusement se greffer sur le corps gigan­tesque de la Russie.

Dournovo, plus germanophile, plus fidèle à l'ancienne alliance entre le Tsar et Bismarck, plaide pour un partage de l'Europe centrale et orientale entre l'Allemagne et la Russie. Il souhaite une disparition de l'Empire austro-hongrois et l'apparition d'une Grande Allemagne et d'une Grande Russie, flanquées de deux petites puissances balkaniques, la Roumanie et la Serbie. Dournovo affirme que les “progressistes” sont les alliés objectifs de l'Angleterre, pire ennemie de la Russie. Les soldats russes, dit-il en reprenant l'argumentation de Menchikov, vont servir de chair à canon pour les capitalistes anglais qui veulent abattre leurs concurrents allemands. La Russie doit dès lors mettre tout en œuvre pour détourner les Allemands des Balkans et pour soutenir leurs projets coloniaux en Afrique et en Micronésie. Germa­no­phi­le, Dournovo rappelle que l'Allemagne, de­puis 1813, a toujours été fidèle à sa parole, qu'elle n'a pas sou­tenu les Occidentaux et les Turcs lors de la Guerre de Crimée et qu'en 1905, pendant la guerre russo-ja­ponaise, elle n'a pas participé au projet anglais d'affaiblir la Russie partout dans le monde. L'Allemagne et la Russie ont des ennemis communs, argumente Dournovo: la franc-maçonnerie occiden­tale et le péril jaune.

Mais même les germanophiles sont hostiles à l'Autriche-Hongrie. Cet Empire est faible et bigarré (la “Ka­kanie” de Musil), af­firment-ils avec mépris; pire, il domine des Slaves, ce qui est jugé inacceptable. La Russie et l'Allemagne doivent donc liqui­der de concert l'Etat aus­tro-hongrois et s'en partager les dé­pouil­les. Mais, nous allons le voir, l'hostilité des nationalistes dy­nas­tiques russes à l'Autriche-Hongrie n'est pas du tout de même nature idéologique que l'hostilité des néoslaves tchèques.

4. L'anglophobie russe:

L'anglophobie russe est de même nature que l'anglophobie allemande de la même époque. Les polémistes anglophobes utili­sent le même vocabulaire. Pour eux, l'Angleterre est le berceau de la modernité et du capitalisme. Les anglophobes russes les plus radicaux et les plus virulents opèrent une distinction entre anglo-osvoboditel'noïe (anglo-libéral ou, plutôt, anglo-libériste) et germano-pravoïe (germano-juste, ger­mano-orthodoxe, germano-droit, germano-cohérent, en vertu de la grande plasticité sémantique du terme pravo). De plus, vogue darwino-racialiste aidant, les Russes anglophobes proclament que les Allemands sont plus fiables parce qu'ils ont du sang slave, alors que les Anglais en sont dépourvus. L'anglophilie est attribuée aux Cadets, aux “Oktobristes” et à certains “néo-slavistes”. L'anglophilie veut introduire le par­lementarisme en Russie, ce qui l'affaiblira et la ruinera, la réduira à un statut de colonie. Il y a incompatibi­lité entre orthodoxie et anglicanisme.

La question bosniaque, estiment les polémistes anglophobes, est exploitée par Londres pour entraîner la Russie dans une guerre contre l'Allemagne, donc pour utiliser le potentiel biologique des masses russes pour éliminer un concurrent en Europe. Les Anglais veulent aussi attirer la Russie hors d'Asie, où elle fai­sait directement face aux Indes, clef de voûte de l'Empire britannique.

Cette droite national-dynastiste radicale et anglophobe minimise curieusement les contradictions qui existent entre Allemands et Russes au Proche-Orient. Car si la puissance économique allemande s'empare des Balkans dans leur ensemble, en fait un “espace complémentaire” (Ergänzungsraum) de la machine industrielle germanique, s'allie aux Ottomans et contrôle de ce fait implicitement les Dardan­nelles, tous les vieux espoirs russes et panslavistes de contrôler effectivement l'ancienne et my­thique Byzance s'évanouissent. Les nationaux-dynastistes radicaux veulent une grande offensive de la puis­sance russe en Asie, car là-bas, les soldats russes ne seront jamais contaminés par les idées subver­sives et révolu­tionnaires de l'Allemagne et de l'Occident.

Dans la Question d'Orient, où l'Allemagne, qui n'est pas une grande puissance coloniale africaine en dépit de son installation au Togo, au Cameroun, au Tanganika et dans le Sud-Ouest africain, cherche des dé­bouchés dans les Balkans et dans l'Empire Ottoman. Elle cherche à organiser une diagonale partant de Hambourg pour s'élancer vers Istanbul, Mossoul, Bagdad, Bassorah et, de là, se tailler une “fenêtre” sur l'Océan Indien, que les Britanniques considéraient comme leur chasse gardée. L'organisation de cette diagonale impliquait une alliance entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie et l'Empire Ottoman. Les Russes, du moins qui ne voient aucun inconvénient à cette gigantesque alliance, estiment que la Russie doit s'y joindre indirectement en organisant de son côté une diagonale parallèle, partant de Moscou vers le Caucase et, depuis cette chaîne de montagne, vers les hauts plateaux de l'Iran et, enfin, vers les rives du Golfe Persique et de l'Océan Indien. La Russie aussi devait se tailler une “fenêtre” don­nant sur la “Mare Nostrum” indo-britannique. Pour réaliser cette diagonale Moscou-Téhéran, il fallait em­pêcher l'avènement du parlementarisme en Iran. Le diplomate polonais, inféodé aux Cadets, Poklevsky-Kotsell, tente, avec l'appui implicite des Anglais, d'introduire le parlementarisme en Iran; ce sera un échec qui conduira à l'anarchie. Les nationalistes-dynastistes tirent les leçons de cette aventure: la Russie doit soutenir l'autocratie du Shah; ils es­quissent ensuite une politique eurasienne: les Alle­mands s'allient aux Ottomans et organisent l'économie du Moyen-Orient, les Russes soutiennent le Shah et aident à la réor­ga­nisation de la Perse. Allemands et Russes marchent de concert vers l'Océan Indien, sur des routes dia­gonales différentes, pour y occuper des positions bien circonscrites.

Les nationalistes-dynastistes veulent une politique de force. Leur raisonnement? Si les Français occu­pent le Maroc et les Anglais l'Egypte (1882), alors la Russie a le droit d'avancer ses pions en Perse et de les y ancrer. Les Allemands et les Austro-Hongrois s'installent dans les Balkans parce qu'ils sont bloqués en Afrique et en Amérique latine par la «baleine an­glaise». Si les Slaves balkaniques sont lésés, c'est à cause de l'Angleterre.

5. Le néo-slavisme:

Entre 1905 et 1914, avec une nette recrudescence lors de la question bosniaque en 1908, s'organise en Europe orientale un mouvement “néoslaviste”. On ne confondra pas ce néoslavisme avec le panslavisme, dont l'apogée se situe entre 1860 et 1880. Le néoslavisme préconise le libéralisme, pour les Russes comme pour les autres peuples slaves. Mais ce libéralisme conduira à un échec relatif du néoslavisme, dans le sens où, à l'époque des guerres balkaniques, la majorité balkanique des congrès néoslavistes impose une ligne conservatrice, plus proche de l'ancien panslavisme. Mais ces congrès demeurent hé­té­roclites: les clivages religieux (entre Catholiques et Orhodoxes) restent trop forts, mêmes dans leurs formes laïcisées. Les Polonais s'opposent aux Russes et les Serbes aux Bulgares. Le seul résidu du néoslavisme a été le renforcement de l'illyrisme ou yougoslavisme, y compris chez les Croates.

Le néoslavisme entendait “libéraliser” les idées de Danilevski et de Dostoïevski, où austrophobie et anti-catholicisme se mê­laient étroitement. Il voulait promouvoir un slavisme libéral, constitutionaliste, pro-oc­cidental, “européen”, mais les nationa­listes-dynastistes, souvent germanophiles, estimaient, sans doute à juste titre, que ce néoslavisme était une manœuvre an­glaise, car il ne contrecarrait pas les projets bri­tanniques en Asie. Il convenait aux Tchèques et aux Polonais, moins aux Russes, qui entendaient con­server les atouts de l'autocratie, ou qui préféraient le retour à la ligne conservatrice dure du pan­slavisme ou de l'école de Danilevski. Tchèques et Polonais, en outre, ne saisissaient pas l'importance géopolitique de la Perse et de l'Asie centrale, où les intérêts russes et anglais entraient directement en collision. Ce néoslavisme était diamétra­lement opposé aux idées de Konstantin Leontiev, pour qui l'Empire ottoman et l'Empire russe devaient coopérer pour barrer la route au libéralisme anglais et occidental, éventuellement avec l'appui du Reich. Leontiev ne voulait pas d'irrédentisme slave en Autriche-Hongrie et dans l'Empire Ottoman, à la condition que les Slaves puissent vivre sous un régime traditionnel, auto­cratique, religieux, sans être livrés aux affres de la déliquescence libérale/occidentale. Les dissidences slaves dans les Em­pires sont toujours, aux yeux de Leontiev, des dissidences libérales.

6. Conclusion:

Les polémiques entre les différentes fractions du nationalisme russe du début du siècle sont instructives à plus d'un égard: elles nous enseignent quelles sont les diverses options géopolitiques qui s'offrent à la Russie. Aujourd'hui, où la chape com­muniste n'existe plus, ces options contradictoires et divergentes re­vien­nent à l'avant-scène. Il me semble bon d'analyser les effervescences actuelles ou les projets géo­po­li­tiques formulés dans l'actuelle Douma sur base d'une bonne connaissance historique. Tel est l'objet de cet exposé et de cet article.

Robert STEUCKERS.

(Conférence prononcée à Strasbourg en avril 1994, dans le Cercle animé par Pierre Bérard et à Paris, en juin 1994, lors de la visite d'Alexandre Douguine en France)

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jeudi, 22 février 2007

Une étude sur Paul Colin

Pascal Martin

(correspondant scientifique du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale) :

D'une croisade à l'autre ou la paix à tout prix

Analyse du regard porté par le journal "Cassandre" sur les événements d'Espagne

http://www.flwi.ugent.be/btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2019,%201988,%203-4,%20pp%20395-416.pdf

 

Article fouillé permettant de comprendre certains glissements dans la politique belge des années 30, sans tomber dans les errements de la "correction politique"

 

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