mercredi, 10 avril 2013
Conquête et abandon d’une souveraineté artistique
« Le suffrage universel ne me fait pas peur, les gens voteront comme on leur dira » disait Alexis de Tocqueville. Je poursuivrai par : l’art contemporain n’est pas à craindre, les gens aimeront comme on leur dira.
1917, irruption d’un urinoir dans un musée. La malice et la provocation de Marcel Duchamp paieront, cet objet est désormais élevé au rang d’art car marqué du sceau de l’institution. Duchamp en avant-gardiste inspiré révolutionne alors les mondes de l’art. Un bouleversement sans précédents qui marqua les jugements esthétiques, et la création contemporaine. Désormais c’est le « regardeur qui fait l’œuvre ».
Symptomatique, ce coup d’état artistique conteste le conformisme esthétique de son époque. Mais depuis, toute critique radicale est reléguée au banc des archaïsmes et autres nostalgies réactionnaires ! Mettant alors hors-jeu tout jugement esthétique. Trop souvent réduit à celui de goût, il demeure pourtant nécessaire afin de reconnaître ce qui « fait » œuvre.
Ce qui était une provocation pertinente de l’époque, quand à la forme, ne cesse pourtant d’alimenter la création d’aujourd’hui. L’anti-conformisme d’alors s’est mû en conformisme d’aujourd’hui. La subversion prend un coup de vieux et sent le réchauffé. Désormais l’absence de contraintes formelles vaudra pour liberté absolue du créateur. Sur les cimaises, les « dîtes » oeuvres rivalisent de singularités déroutantes, empêchant souvent une compréhension immédiate du message (lorsqu’il y en a un !). Mais pour qu’une oeuvre soit d’art ne faut-il pas fatalement que ses codes et qualités puissent être saisis par le commun des mortels ? Qu’elle relie l’intime à l’universel ?
Subversion et illusion
En relativisant tout jugement esthétique, nous laissons aux experts et aux institutions le soin de décider eux-mêmes de ce qui fera « oeuvre ». Le spectateur désormais privé d’outils critiques sera prié de s’en remettre à lui-même , il est alors « libre » de prendre des vessies pour des lanternes. Tout est possible lorsqu’il devient interdit de juger !
Promotion sera donc faîte à celui, qui installant une distance avec le public, prouvera qu’il est libéré de tout carcan idéologique. Les institutions, sont alors bien soucieuses d’exhiber « une expression libre« , attribut indispensable à toute vitrine sociale et démocrate. Les subversions de façade valideront ainsi à elles seules la liberté d’expression, dans ce qu’elle a de plus inoffensif. Mettre en scène plutôt que de faire vivre la démocratie de manière effective, voilà un dessein qui mérite bien des subventions !
Pourtant l’art contemporain, est avant-gardiste par définition. Il devrait contester, révéler les travers et les abus, tel le baromètre esthétique d’une société dont le peuple serait souverain. Que penser alors des « prises de risque » artistiques subventionnées ? Dénoncent-elles quelques abus de pouvoir, lorsqu’ il s’agit d’uriner sur une scène de théâtre, ou de plonger le Christ dans de la pisse ? Au pire elles choquent la ménagère, au mieux elle suscite l’indignation des sensibilités attaquées. Arguant au passage l’indétrônable liberté d’expression, comme preuve et garante de notre souveraineté !
Mais il semblerait surtout qu’il ne reste plus grand-chose à enfreindre restant politiquement correct…
Kelly Schmalz.
00:05 Publié dans art | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, art modenre, avant-garde, subversion | | del.icio.us | | Digg | Facebook