lundi, 16 décembre 2013
Costanzo Preve: un philosophe critique nous a quitté
Costanzo Preve: un philosophe critique nous a quitté
Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr
Michel Lhomme
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Le grand philosophe italien, Costanzo Preve nous a quitté fin novembre. Né à Valence en 1943, il est décédé ce 23 novembre à Turin. C'était sans doute, pour nous,le dernier marxiste vivant, le dernier en tout cas qui mérite fortement cette appellation de par sa rigueur d'analyse et son absence de compromissions, l'exact opposé des marxistes français comme Alain Badiou ou Etienne Balibar totalement asservis aux idéologies du capital et incapables d'avoir saisi en temps réel la manipulation du ''grand remplacement'', l'aliénation de l'immigration et des sans papiers comme armée de réserve du capital, bataillons de la bourgeoisie française, fossoyeurs de l'identité européenne.
Heureusement, d'Italie, Costanzo Preve nous réconciliait avec les communistes, les Lukacs et les Gramsci de la grande époque. Costanzo Preve avait été un grand professeur, enseignant d'histoire et de philosophie de 1967 à 2002, toujours proche des jeunes, jusqu'à sa retraite. Il ne fut jamais universitaire. Il avait été membre du Parti Communiste italien de 1973 à 1975 et en 1978, il avait participé à la création du Centre d'Etudes du Matérialisme historique à Pistoia. Costanzo Preve est un auteur prolifique et, depuis quelques années, je ne manquai aucune de ses publications. Je me souviens même avoir travaillé tout un été, en plein Océan indien, sur une traduction de notre auteur. Le style était impeccable. C'est un style qui s'est perdu parce qu'il suppose le matérialisme historique, la dialectique quasi dans les veines ou dans les gènes, c'est le style radical du grand Pasolini des Ecrits Corsaires mais chez Preve, c'était un style beaucoup plus conceptuel, beaucoup moins poétique et lyrique, beaucoup plus cérébral.
Il écrivait dans de très nombreuses revues et contrairement aux pseudo-marxistes français sectaires, il avait toujours la noblesse de citer ses sources, fussent-elles à contre-courant. La chute du Mur de Berlin ne le désarma pas, bien au contraire car il était un révolutionnaire critique, n'hésitant pas à dénoncer la conjonction criminelle dans l'histoire contemporaine du sionisme et de l'américanisme. Costanzo Preve était un penseur transversal, transcourant très italien car dans l'hexagone, la transversalité est quasi criminelle.
A la fin de sa vie, ces dernières années alors qu'il semblait très fatigué et malade, Costanzo Preve, toujours au bureau à écrire ou à lire, dialoguait avec Alain de Benoist ou Alexandre Douguine, le théoricien de la quatrième théorie et de l'eurasisme. Pour donner, ici-même, un aperçu de Costanzo Preve, j'offre au lecteur de Metamag cette petite traduction d'un entretien de Preve sur Carl Schmitt. Preve y déclare : “La raison pour laquelle j'acceptai pour l'essentiel la dichotomie schmittienne [ami-ennemi] réside dans le fait que celle-ci décrit avec une admirable précision la situation historico-politique qui s'est créée au vingtième siècle et surtout qu'elle permet de nommer l'empire idéocratique américain comme étant l'ennemi principal. En effet, ce dernier est l'ennemi principal non pas parce qu'il demeure le seul empire capitaliste qui reste (la Russie, la Chine, l'Inde, etc. sont aussi cent pour cent capitalistes), mais parce que son existence brute coordonne, aussi bien sur le plan militaire mais surtout dans le domaine culturel, la reproduction totale d'un capitalisme globalisé mondial, imposant ses règles financières. C'est pour cela qu'il est l'ennemi principal, et non pas parce que ses rivaux seraient par principe “humainement” meilleurs. (…) De plus, Schmitt a été l'unique penseur du vingtième siècle qui a mis en relief de manière claire et paradigmatique le fait que l'immorale légitimation particulière de la puissance maritime américaine s'est édifiée à travers la référence à une prétendue “humanité”. (…) Aujourd'hui, le paradoxe dialectique est celui-ci: l'ennemi principal est présentement celui qui se présente comme le principal ami de l'humanité, celui qui prétend soumettre à “la manière universaliste” sa structure économique, politique et sociale particulière, et le fait au nom d'un mandat religieux, d'une divinité auto-attribuée, d'un authentique Antéchrist, fruit d'une fusion monstrueuse entre le fondamentalisme judéo vétérotestamentaire et le puritanisme calviniste des “élus”.''
En fait, peu connaissent en dehors du cercle étroit des schmittiens, la profondeur du travail intellectuel de Costanzo Preve, l'importance de son analyse critique. Le philosophe italien n'était pas un sorbonnard ou un agrégatif mais un résistant au pied de la lettre et au chevet de la lutte, un vrai camarade, un authentique compagnon, un dissident. La formation intellectuelle est la condition de toute action. Il ne saurait y avoir de résistance culturelle sans dialectique. Dans une telle formation, le marxisme est aussi une priorité méthodologique. Comme il faut lire Dominique Venner, il faut faire lire Costanzo Preve à tout candidat de l'esprit critique. Bien sûr, la pensée unique universitaire attaquera les idées d'un Costanzo Preve mais c'est parce que de telles idées peuvent la faire descendre de son piédestal et la vaincre de par sa méthode et sa rigueur scientifique. Les idées dissidentes sont larges et il y a en fait une infinité de penseurs oubliés, de syndicalistes inconnus, d'économistes à relire (nous pensons par exemple au protestant Charles Gide).
En rendant ici même hommage à Costanzo Preve, nous souhaitons dire simplement aux plus jeunes qu'il faut par principe tout lire et dédier tous ses efforts à la diffusion des pages critiques des hommes et des femmes ouverts, libres d'opiner contre leurs propres partis, libres de désirer mourir pour des idées, libres en définitive de mourir en transmettant à leurs enfants les enseignements et les principes de tolérance intellectuelle qui furent toujours la valeur même de l'esprit européen. Malgré la dictature de la pensée unique, Costanzo Preve n'abandonna jamais et ne se tut jamais car on ne peut taire la vérité quand bien même demain, on nous préviendrait subrepticement que nous serons menottés.
N.B: De Costanzo Preve, nous recommandons en français son Histoire critique du marxisme chez Armand Colin, coll. ''U'' et L'éloge du communautarisme: Aristote-Hegel-Marx, Krisis, Paris 2012. Le dernier ouvrage publié en français est La quatrième guerre mondiale, Astrée, Paris 2013.
00:05 Publié dans Hommages, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cotanzo preve, marxisme, socialisme, théorie politique, politologie, sciences politiques, hommage | | del.icio.us | | Digg | Facebook