Légalement, en République, le concept de « Français de souche » n’existe pas. Les « Français blancs dits de souche » ne constituent pas un « groupe de personne » au sens de la loi. Cette notion « ne recouvre aucune réalité légale, historique, biologique ou sociologique», et «la “blancheur” ou la “race blanche”» n'est «en aucune manière une composante juridique de la qualité des Français» (Tribunal Correctionnel de Paris, mars 2015). Par contre, le concept de néocalédonien de souche existe juridiquement et les néocalédoniens de souche constituent bien un « groupe de personnes », et même un « peuple », au sens de la loi (Accord de Nouméa, loi organique 99-209…). Le refus de reconnaître juridiquement le peuple souche de France est à la base d’un système profondément inégalitaire, discriminant et lourd de menaces pour celui-ci (système qui permet par exemple d’insulter en toute impunité les « Français blancs » et d’appeler contre eux à la violence. Cf. le jugement du Tribunal cité plus haut, qui ne trouve aucune objection au fait d’inciter à « niquer » les « petits Gaulois de souche »).
Nous avons montré (ici) que le peuple autochtone de souche européenne, c’est-à-dire le peuple français historiquement « blanc », avait été juridiquement transféré en 1790 dans une nation civique. Cette nation civique a pris le nom de « peuple français » ce qui était un détournement manifeste de nom, voire un vol, puisque cette nation était en fait un « creuset » destiné à intégrer les hommes de toutes les origines.
Dans ce creuset, le peuple français de souche subit aujourd’hui une relation de domination, puisque le régime en place le nie et se refuse à considérer autre chose qu’une nation civique « sans distinction ». Pour la République, il n’y a que le corps d’associés indifférenciés et pas de « corps intermédiaires » ou de « sections du peuple » dans ce corps : pas de peuple souche donc. Celui-ci s’est évaporé et n’est même pas une composante parmi d’autres de la société multiraciale et multiculturelle : il n’existe tout simplement pas !
La question qui se pose est donc celle-ci : le peuple souche existe-t-il encore, ou a-t-il disparu le 14 juillet 1790 après son transfert dans la nation civique ? Il n’y a que deux réponses possibles à cette question :
- Oui, il a disparu : il faut donc reconnaître juridiquement son génocide (rappelons que la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) considère que la « soumission intentionnelle d’un groupe [national, ethnique, racial ou religieux] à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » est un acte de génocide).
- Non, il existe toujours : il faut par conséquent reconnaître juridiquement son existence.
Bien sûr, la seconde réponse est la seule réponse acceptable, puisque des Français de souche se revendiquent toujours comme tels. Néanmoins, le peuple souche a bien a été victime d’une tentative de génocide, tentative toujours en cours, d’ailleurs, avec le Grand Remplacement et la négation autistique de son existence (négation d’existence qui permet au passage de nier le Grand Remplacement : on ne saurait remplacer ce qui n’existe pas).
Or, non seulement l’existence du peuple souche n’est pas reconnue, mais son effacement est implicitement proclamé par la loi républicaine (sans que pour autant le génocide soit reconnu). Le Conseil Constitutionnel rappelle que le peuple français, défini comme un « concept juridique » (sic !), est une « catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi », et que la Constitution de la Ve République « ne connaît que le peuple français composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion » (décision n°91-290DC du 09 mai 1991). Exit donc le peuple souche comme catégorie à part entière.
Pourquoi cette discrimination et ce rejet, si l’on considère que le peuple des Autochtones mélanésiens est quant à lui respectueusement reconnu par les mêmes instances républicaines ? L’interrogation est d’autant plus légitime que le peuple des Autochtones mélanésiens de Nouvelle-Calédonie et le peuple des Autochtones européens de France, peuples vivant sur le même « Territoire de la République », peuvent présenter des titres similaires justifiant leur droit à être tous deux juridiquement reconnus comme peuples à part entière.
Si les premiers Lapitas, ancêtres des kanaks, arrivent dans l’archipel vers 1000 avant notre ère. Les ancêtres des Européens, quant à eux, peuplent l’Europe depuis la nuit des temps. Les peintures de Lascaux ont 20 000 ans, celles de la grotte Chauvet, en Ardèche, ont 35 000 ans. Depuis, le peuplement européen de l’Europe a été ininterrompu jusqu’à aujourd’hui. Est-il besoin de le rappeler ? Faut-il énumérer toutes les empreintes laissées en Europe par ce peuplement européen ?
Pour le reste, le peuple autochtone de France pourrait quasiment s’approprier mot à mot le préambule de l’accord de Nouméa :
« [Lorsque la République] prend possession [de la France], elle s'approprie un territoire et n'établit pas des relations de droit avec la population autochtone. Les traités passés constituent des actes unilatéraux.
Or, ce territoire n'était pas vide.
Il était habité par des hommes et des femmes qui se dénommaient [Français]. Ils avaient développé une civilisation propre, avec ses traditions, ses langues, ses coutumes qui organisaient le champ social et politique. Leur culture et leur imaginaire s'exprimaient dans diverses formes de création.
Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, [à la fin du XX siècle], animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance [en France]. Ils se sont installés. Ils ont apporté avec eux leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions.
[La relation de la France avec la République] demeure marquée par la dépendance coloniale, un lien univoque, un refus de reconnaître les spécificités, dont les populations nouvelles ont aussi souffert dans leurs aspirations.
Le choc de la colonisation [républicaine et migratoire] a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine.
Les [Français] ont été privés de leur nom en même temps que de leur terre. Une importante immigration a entraîné des déplacements considérables de populations [françaises], dans lesquels [les familles françaises] ont vu leurs moyens de subsistance réduits et leurs lieux de mémoire perdus. Cette dépossession a conduit à une perte des repères identitaires.
L'organisation sociale française s'en est trouvée bouleversée. Les mouvements de population l'ont déstructurée, la méconnaissance ou des stratégies de pouvoir ont conduit trop souvent à nier les autorités légitimes [NDLR : identitaires] et à mettre en place des autorités dépourvues de légitimité [NDLR : républicaines], ce qui a accentué le traumatisme identitaire.
Simultanément, le patrimoine culturel français était nié ou pillé.
A cette négation des éléments fondamentaux de l'identité française se sont ajoutées des limitations aux libertés publiques et une absence de droits politiques, alors même que les [Français de souche] avaient payé un lourd tribut à la défense de la [République], notamment lors de la Première Guerre mondiale.
Les [Autochtones sont] repoussés aux marges géographiques, économiques et politiques de leur propre pays, ce qui pourrait, chez un peuple fier et non dépourvu de traditions guerrières, provoquer des révoltes.
La colonisation [républicaine] a porté atteinte à la dignité du [peuple autochtone de France] [qu’elle prive] de son identité. Des hommes et des femmes ont perdu dans cette confrontation leur vie ou leurs raisons de vivre. De grandes souffrances en sont résultées. Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer [au peuple autochtone de France] son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d'une nouvelle souveraineté
Il est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté [autochtone de France], permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun.
La taille [de la France] et ses équilibres économiques et sociaux ne permettent pas d'ouvrir largement le marché du travail et justifient des mesures de protection de l'emploi local.
Il convient d'ouvrir une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l'identité [autochtone].
Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun.
La République est prête à accompagner le peuple autochtone de France dans cette voie ».
Dans l’accord de Nouméa, la République reconnaît que les Autochtones mélanésiens de Nouvelle-Calédonie forment un « peuple » : le « peuple kanak » (point 3 par exemple). Obliger la République à reconnaître que les Autochtones européens de France forment eux-aussi un peuple, tant par leur lignée particulière, leur culture spécifique, que leur lien à la terre ancestrale, revient à faire acte de justice, au nom de l’égalité entre les peuples.
La reconnaissance du droit à l’existence juridique entraînera mécaniquement l’octroi de droits collectifs jusqu’au droit du peuple autochtone à disposer de lui-même. N’allons pas croire que la reconnaissance de ce droit sera offerte sur un plateau. Il devra être conquis de haute lutte, comme il l’a été en Nouvelle-Calédonie. Un Avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) du 23 février 2017, observe qu’« aucune définition formelle de la notion d' "autochtone ", pas plus que celle d' "indigenous " en anglais, n'a été arrêtée en droit international ». Pourtant, cette Commission décrète arbitrairement que « seuls les Kanak de Nouvelle-Calédonie et les Amérindiens de Guyane sont des peuples autochtones de la République française ». C’est que la CNCDH a parfaitement compris que le régime en place ne tiendrait pas longtemps si le droit des peuples autochtones était appliqué aux Français de souche européenne. Du point de vue républicain, il est vital que le peuple souche de France ne soit absolument pas conscient de son assujettissement à une République trop universelle pour être française, trop absolue pour être démocratique, trop ouverte pour ne pas être remplaciste.
Le peuple autochtone de France ne doit jamais être reconnu en tant que tel : de son point de vue, la CNCDH a raison ! Mais ce déni d’existence et cette crispation ne montrent-t-elles pas aux Autochtones le point faible du Système et par conséquent la direction de leur combat ? Dans cette conquête du droit à exister juridiquement, conquête mobilisatrice s’il en est, les Autochtones ne manqueront pas d’arguments. Ils disposent de tous les atouts nécessaires pour montrer et démontrer autant qu’il faudra qu’ils ne sont ni un sous-peuple, ni un peuple fantôme, mais un peuple historique et un grand peuple : qui pourra soutenir longtemps le contraire sans passer pour un imbécile ou un antijaphite ?
Antonin Campana