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samedi, 24 janvier 2015

Naissance d'un mouvement politique: l'homonationalisme militant

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LE CLASH SEXUEL DES CIVILISATIONS
 
Naissance d'un mouvement politique: l'homonationalisme militant

Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr
 
Manifestement, il manquait une case au champ des études politiques ou des recherches sur le genre  et c'est la case nouvelle de l'homosexualisme populiste.

Le 28 décembre, au terme du concours Têtu «  Mister Gay de l'année », Mathieu Chartraire, élu en mai « Mister Gay du mois » figure parmi les douze finalistes. Or ce jeune homme de 22 ans fait parler de lui. Il a affiché sur sa page Facebook sa sympathie pour le Front National car pour lui, être homo et voter FN ne sont pas incompatibles et irait même de soi. Immédiatement, dans un communiqué , la rédaction de Têtu a rappelé que ce concours « n’a jamais eu vocation à élire des porte-paroles ou des représentants de la communauté gay ». « Les propos tenus par les Mister Gay n’engageraient donc que leurs auteurs ». Sans pour autant le destituer (un peu trop gros tout de même !), le magazine Têtu a «condamné avec force les déclarations racistes ou encourageant le racisme tenues par cette personne » pour informer aussitôt : « Nous réfléchissons à faire évoluer ce concours. Ce sera chose faite dès janvier 2015 avec de nouvelles règles et une charte de déontologie pour l’affirmation de valeurs fondées sur le respect et le refus de toutes les discriminations, quelles qu’elles soient, valeurs défendues par Têtu. ». En somme, tout participant au concours doit dorénavant s'engager à ne pas voter FN ! La censure à la puissance gay ! On en rigole mais n'ayons crainte, Têtu n'est plus qu'un petit torchon éditorial sans lecteurs et devrait tôt ou tard déposer son bilan. Ce qu'on comprend moins, c'est  comment son directeur de rédaction, Yannick Barbe n'ait pas senti le changement de pouls politique de ses lecteurs.

La venue au Front national de Sébastien Chenu, fondateur de Gaylib, mouvement de défense des droits des homosexuels longtemps associé à l’UMP, ainsi que l’« outing » forcé de Florian Philippot par le magazine Closer ont renouvelé la question des rapports entre sexualité et politique déjà chaviré en 2013 et 2014 par le succès inattendu du mouvement hystérique de Frigide Barjot, la Manif pour Tous. Il y eut en réaction des surenchères de part et d'autre un repositionnement politique des homosexuels, certains récusant la politique des droits. Et puis, il y avait ce qu'on appelle aujourd'hui dans les milieux des chercheurs du genre et des militants LGBT, « l'homonationalisme ». Mais qu'est-ce donc que l'homonationalisme ? En quoi l'homonationalisme influencera-t-il demain le vote gay si vote gay il  y a - ce qu' on est de moins en moins sûr ! 
 
Qu'on ne s'y méprenne, l'« homonationalisme » ne désigne pas les vieilles relations plus que confuses et complexes teintées d'esthétiques viriles décadentes ou de fantasmes spartiates imaginaires entre un idéal légionnaire de vie fasciste et une sociabilité nouvelle, wandervogel. Sur un tel homoérotisme de nuit des longs couteaux, il y a là dessus des bibliothèques entières et il vient même de sortir un excellent Eros en chemise brune, deux tomes d'un album remarquable de Michel Angebert chez Camion Noir. Non, l'homonationalisme ne désigne pas le fascisme de grand-père ou l'homophilie de Saint-Loup mais renvoie à quelque chose de plus prosaïque, aux populismes européens. L'homonationalisme désigne une idée qui s'est forgée récemment et qui représente un concept nouveau en politique progressiste à savoir que les droits homosexuels, les revendications LGBT seraient désormais menacés par les Musulmans à travers le monde et qu'à l'intérieur de nos frontières, les immigrés « traditionnels » et les jeunes des cités seraient homophobes par principes.
 
L'homonationalisme comme concept politique nouveau a été théorisé par l'égérie mondiale du mouvement queer, Judith Butler. C'est d'ailleurs elle qui a lancé pour la critiquer, cette nouvelle idée politique en l'air, très exactement à la Gay Pride de Berlin, il y a quelques années et devant des milliers de personnes. La notion a depuis fait florès en Europe. Elle a été reprise par la théoricienne américaine Jasbir K. Puar qui a publié aux Editions Amsterdam, le livre, Homonationalisme, politiques queer après le 11 septembre. En France, on trouvera sur la question un essai de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts qui s'intitule Homoexoticus, race classe et critique queer paru chez Armand Collin  et puis évidemment, des numéros de revue comme le numéro 49 de Raison Politique, revue des Presses de Sciences-PO, intitulé « Nationalismes sexuels ».

Nonobstant, l'homonationalisme n'est pas seulement un concept, c'est aussi une réalité militante et politique qui traverse toute l'Europe. On pense, en particulier aux tolérants Pays-Bas où le puissant parti populiste PVV (Parti pour la Liberté) de Geert Wilders n'a cessé de brandir les droits des homosexuels comme un acquis positif de l'Occident libéral menacé aujourd'hui par la montée de l'islamiste radical et l'invasion migratoire. On pense aussi au parti suisse de l'UDC qui a d'ailleurs créé sa propre section gay au sein même du parti ou plus surprenant encore aux hooligans de la Ligue de Défense Anglaise qui ont essayé d'organiser une gay pride à l'intérieur même d'un quartier musulman de Londres.

Alors la France conservatrice après avoir défilé pour le Mariage pour Tous deviendrait-elle homonationale ? Ou se réveille-t-elle par rapport aux populismes européens en retard ? Qu'en est-il exactement du cas français ?

L'homonationalisme français en France est  singulier car peu manifeste et surtout en porte à faux avec la réaction néo-catholique contre le mariage gay. Il n'y a donc pas eu en France jusqu'alors d'homonationalisme flamboyant. Les Français sont de fait très policés en politique et les questions de genre y sont coincés dans la bipolarité politique gauche /droite. C'est là qu'on voit bien une fois de plus que les Français ne voient plus la politique, n'envisagent plus le combat politique que sous l'angle du prisme électoral. Ils ont le sens de l'Etat, l'esprit républicain chevillé à leur engagement. Les militants homos nationaux ont donc été plus discrets que leurs voisins européens même si certains prétendent que les homos français sont tous déjà gagnés par la fièvre populiste qui s'empare du pays, une fièvre chauvine et cocardière. C'est par exemple le cas de Didier Lestrade qui avait publié, il y a deux ans, un livre intitulé Pourquoi les gays sont passés à droite aux Editions du Seuil. Après l'affaire du Mister Gay front national,  le directeur de la rédaction de Têtu, Yannick Barbe a précisé au quotidien Libération que la sympathie pour le FN de ''Mister Gay 2015″ « est juste le reflet de ce qui passe en ce moment: la banalisation des idées d’extrême droite ». « Il n’y a aucune raison objective que les gays soient épargnés par ce phénomène », avait-il estimé. D'autres pensent au contraire que cet engagement homonational a été beaucoup plus compliqué pour la France en raison du poids du Front National dans la vie politique depuis plus de trente ans. Contrairement aux Pays-Bas ou aux pays nordiques, l'homonationalisme français était toujours resté par la position historique considérée comme homophobe du Président du Front National une tentation tout à fait marginale. Le « Chef » Jean-Marie Le Pen aurait ainsi immunisé, dissuadé  et préservé les homosexuels français de toute affinité avec ce parti.
 
Reste alors à revenir sur le virage gay friendly de Marine le Pen et le comprendre en d'autres termes qu'une simple lecture électorale. Pour devenir acceptable, le Parti a choisi le républicanisme gaulliste. Il lui faut donc rompre avec le  catholicisme intégriste de ses débuts. Même Jeanne d'Arc peut être une icône homonationale. Elle est sans doute la première héroïne trans de l'Histoire. Du coup, l'engagement homonational peut représenter autre chose qu'un simple mouvement tactique ou qu'une simple rhétorique politicienne. pour ratisser au plus large. Mais alors cela ne pourrait-il pas aussi signifier que la France du Rassemblement Bleu Marine puisse devenir à son tour l'un des mouvements ou l'un des lieux importants d'un nouveau front homonationaliste populiste européen ? 

Dans ce cas,  les militants homophiles traditionnels qui constituent le fer de lance du tissu associatif gay français pourraient très vite se retrouver condamnés à une alternative infernale qui serait dans les clivages présents : soit lutter contre l'homophobie, soit lutter contre le racisme et la stigmatisation des jeunes des cités. Or ces militants ont tous été formés par la dernière idéologie socialiste du pays, l'antiracisme des années 80. Choisir alors son camp entre homophobes et xénophobes pourrait devenir pour eux l'alternative infernale, le clivage bipolaire à laquelle mènerait ce que certains nommeraient déjà un clash sexuel des civilisations à l'intérieur du pays auquel viendrait s'ajouter l'engagement féministe, les luttes pour la mixité, les ABCD de l'égalité.

Dans l'autre camp et pour le Front national, comment éviter la scission si ce n'est justement en permettant en interne une sorte de FN Gay ? Car électoralement, il manque encore au FN quelque chose. Il manque à côté de l'aile sociale incarnée par les fédérations du Nord et de l'Est et l'aile nationale-libérale incarnée par le Sud et Marion Maréchal Le Pen, la jonction avec le Front de l'Ouest, familiariste, traditionnel et peuplé de notables bien pensants. C'est ce front là en puissance d'Angers et de Nantes, de Challans ou de Caen qui a défilé pour le Printemps français ou le Mariage pour Tous et qui néo-bourgeois a toujours eu du mal à faire le pas de voter Le Pen au second tour même s'il se lâchait parfois au premier tour. Plus rural, il est à mille lieues forcément de l'homonationalisme citadin. 

En gros, pour remporter la victoire, le Front national n'a plus qu'à engranger ce dernier bastion électoral sur lequel comme par hasard d'ailleurs vient se concentrer l'UMP avec des mouvements récents comme Le Sens Commun. Si donc la seule finalité du Front national est l'addition des voix, l'engrangement exponentiel des votes quel qu'ils soient, il lui importe de faire taire au plus vite ou d'édulcorer à la fois l'homonationalisme européen populiste comme l'hystérie homophobique des ''cathos''.