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lundi, 25 septembre 2023

Vers un "croissant de stabilité": l'isolement d'Israël s'accroît

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Vers un "croissant de stabilité": l'isolement d'Israël s'accroît

par Giacomo Gabellini

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/26391-giacomo-gabellini-verso-una-mezzaluna-di-stabilita-cresce-l-isolamento-di-israele.html

Depuis plusieurs mois, la région du Moyen-Orient fait l'objet de bouleversements géopolitiques d'une ampleur considérable, attribuables principalement au travail diplomatique minutieux de la Chine et de la Russie, devenues les promoteurs d'une recomposition généralisée des relations déchirées par des décennies d'hostilité.

L'événement central est sans aucun doute constitué par la reprise, convenue grâce à la médiation chinoise, des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, impliquant la réouverture des bureaux de représentation, l'afflux d'investissements conjoints pour le développement des gisements de gaz dans le golfe Persique, et la prise conjointe de l'engagement de mettre fin au conflit yéménite. L'accord, note le spécialiste Scott Ritter, promet de transformer ce "croissant de chaos" en "croissant de stabilité". S'il est mis en œuvre avec succès, l'accord pourrait ouvrir une nouvelle ère dans laquelle la croissance économique supplanterait la puissance militaire dans la définition du Moyen-Orient".

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L'atténuation des frictions entre Téhéran et Riyad, reconfirmée avec la rencontre à Pékin entre leurs ministres des affaires étrangères respectifs, vide en effet de son sens le projet d'"OTAN du Moyen-Orient" anti-iranien poursuivi par l'administration Trump à travers les accords d'Abraham, jetant ainsi les bases de la reprise du dialogue entre le Front saoudo-émirati et la Syrie baasiste et de la réadmission de cette dernière au sein de la Ligue arabe, favorisée cette fois-ci par l'intercession de la Russie. Une fois la "réintégration" formalisée, rapporte "Bloomberg" sur la base de confidences faites par des sources diplomatiques, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont même commencé à exercer des pressions sur plusieurs pays européens pour qu'ils rétablissent leurs relations avec la Syrie et entament un processus de levée des sanctions imposées à la nation déchirée par plus d'une décennie de guerre.

Selon Peter Ford, ancien ambassadeur britannique à Damas, "il est difficile de surestimer l'importance de la réadmission de la Syrie au sein de la Ligue arabe [...]. Cette importance va bien au-delà de la Syrie elle-même [...]. Perdre la Syrie est effectivement une perte. Mais perdre l'Arabie saoudite est désastreux et cela deviendra de plus en plus clair". En retour, l'activisme de Moscou a facilité le lancement d'un programme complexe de normalisation des relations entre la Syrie, d'une part, et la Turquie et le Qatar, d'autre part, qui a simultanément apaisé la rupture avec l'Égypte causée par le coup d'État du général al-Sisi et la répression des Frères musulmans qui s'en est suivie.

Dans un contexte aussi profondément marqué par l'altération de la posture traditionnellement adoptée par les pays de la zone du Moyen-Orient, Israël tend à demeurer quasiment la seule force de contre-tendance substantielle. Au point d'inciter les représentants de Riyad à informer l'administration Biden de l'intention saoudienne de suspendre les négociations entamées pour normaliser les relations avec l'État juif. C'est ce qu'a récemment révélé "Elaph", un journal londonien à capitaux saoudiens, sur la base de confidences faites par un fonctionnaire anonyme, membre du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Ce recul serait dû à la dérive "extrémiste" du gouvernement israélien qui, par sa politique extrémiste, "torpille toute possibilité de rapprochement avec les Palestiniens, et donc avec les Saoudiens".

La reconstruction d'"Elaph" est corroborée par les déclarations irritantes et retentissantes de condamnation de la conduite israélienne faites par d'anciens membres de haut rang des "apparatchiks" comme Tamir Pardo. Dans une interview accordée à l'Associated Press, l'ancien directeur du Mossad a déclaré qu'en Israël "il y a un état d'apartheid. Sur un territoire où deux personnes sont jugées selon des systèmes juridiques différents, il ne peut y avoir qu'un état d'apartheid". Pardo lui-même a ensuite délibérément souligné que ses remarques sur les relations entre Israël et les Palestiniens "ne sont pas extrêmes. Elles représentent une reconnaissance". Les remarques d'un autre ancien directeur du Mossad, Efraim Halevy, ont été encore plus dérangeantes. Selon lui, l'entente entre Téhéran et Riyad, ajoutée grâce à la médiation chinoise, offre à l'appareil dirigeant de Tel-Aviv une occasion en or d'évaluer "si le moment est venu pour Israël de poursuivre une politique différente à l'égard de l'Iran et, peut-être de manière intelligente et confidentielle, de faire part de sa volonté de trouver un "rapprochement"". Il s'agit là d'un signe indéniable qu'au sein du noyau dur de l'"Etat profond" israélien, il existe un niveau élevé de conscience des risques encourus par le pays en suivant la ligne adoptée par Netanyahou sous l'impulsion de l'aile ultra-radicale du gouvernement, qui peut être retracée jusqu'aux partis d'inspiration religieuse et à leurs principaux représentants : le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich.

mercredi, 17 avril 2013

La Syrie, ou la boucle est bouclée

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La Syrie, ou la boucle est bouclée

Ex: http://www.dedefensa.org/

Dans le Washington Times du 11 avril 2013 (et sur son site, le même 11 avril 2013), Daniel Pipes développe l’argument que les USA devraient se ranger militairement au côté d’Assad contre les rebelles islamistes de Jabhat al-Nusra (voir le 10 avril 2013). Daniel Pipes, qui s’est spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient, peut être qualifié d’archi-neocon pour sa constante campagne pour une politique belliciste, expansionniste, interventionniste, au côté d’Israël contre les forces dites terroristes dans la région, étendues dans son entendement à une variété considérable de pays, dont l’Iran en tête de sa liste. Pipes, fils du professeur Richard Pipes, expert en soviétologie et antisoviétique actif des années 1970-1980, a joué un rôle actif dans le mouvement néo-conservateur dès l’origine de l’affirmation de ce mouvement, et un rôle de soutien extrémiste à la politique de GW Bush. Son accointance avec Israël est évidente, et d’ailleurs non dissimulée.

Daniel Pipes fut l’un de ceux qui, lorsqu’une dissension se révéla à ce propos parmi les neocons, choisit en 2011 le camp d’un soutien tactique à Kadhafi plutôt qu’un soutien à la rébellion anti-Kadhafi. Il s’agissait du même raisonnement tactique que dans le cas de sa position sur la Syrie exposée dans cet article. Pour lui, le régime, ou le désordre qui naîtrait de la chute de Kadhafi serait pire, pour les intérêts des USA (et surtout, d’Israël), que le régime Kadhafi. Du strict point de vue réaliste et la chose jugée objectivement, on ne peut dire qu’il avait tort. Il s’agit donc de la même logique développée ici, appuyée sur l’argument totalement cynique de l’intérêt de laisser deux ennemis se battre entre eux pour s’affaiblir et se détruire, et pour cela aider le plus faible de façon à ce que le combat continue le plus longtemps possible. (Pipes ressort l’argument de l’aide à Staline pour lutter contre Hitler, ou de l’aide alternativement à l’Iran puis à l’Irak lors de la guerre Irak-Iran des années 1980, selon la fortune de l’un ou de l’autre.)

«Analysts agree that the erosion of the Syrian regime’s capabilities is accelerating, that it continues to retreat, making a rebel breakthrough and an Islamist victory increasingly likely. In response, I am changing my policy recommendation from neutrality to something that causes me, as a humanitarian and decades-long foe of the Assad dynasty, to pause before writing: Western governments should support the malign dictatorship of Bashar Assad…

«Here is my logic for this reluctant suggestion: Evil forces pose less danger to us when they make war on each other… […]

»…In this spirit, I argued then for U.S. help to the losing party, whichever that might be, as in this May 1987 analysis: “In 1980, when Iraq threatened Iran, our interests lay at least partly with Iran. But Iraq has been on the defensive since the summer of 1982, and Washington now belongs firmly on its side. … Looking to the future, should Iraq once again take the offensive, an unlikely but not impossible change, the United States should switch again and consider giving assistance to Iran.”

»Applying this same logic to Syria today finds notable parallels. Mr. Assad fills the role of Saddam Hussein, the brutal Baathist dictator who began the violence. The rebel forces resemble Iran — the initial victim getting stronger over time and posing an increasing Islamist danger. Continued fighting endangers the neighborhood. Both sides engage in war crimes and pose a danger to Western interests.

»Yes, Mr. Assad’s survival benefits Tehran, the region’s most dangerous regime. However, a rebel victory would hugely boost the increasingly rogue Turkish government while empowering jihadis, and replace the Assad government with triumphant, inflamed Islamists. Continued fighting does less damage to Western interests than their taking power. There are worse prospects than Sunni and Shiite Islamists mixing it up, than Hamas jihadis killing Hezbollah jihadis, and vice versa. Better that neither side wins.

»The Obama administration is attempting an overly ambitiously and subtle policy of simultaneously helping the good rebels with clandestine lethal arms and $114 million in aid even as it prepares for possible drone strikes on the bad rebels. Nice idea, but manipulating the rebel forces via remote control has little chance of success. Inevitably, aid will end up with the Islamists and airstrikes will kill allies. Better to accept one’s limitations and aspire to the feasible: propping up the side in retreat.

»At the same time, Westerners must be true to their morals and help bring an end to the warfare against civilians — the millions of innocents gratuitously suffering the horrors of civil war. Western governments should find mechanisms to compel the hostile parties to abide by the rules of war; specifically, those that isolate combatants from noncombatants. This could entail pressuring the rebels’ suppliers (Turkey, Saudi Arabia and Qatar) and the Syrian government’s supporters (Russia and China) to condition aid on abiding by the rules of war. It could even involve Western use of force against violators on either side. That would fulfill the responsibility to protect.

»On the happy day when Mr. Assad and Tehran fight the rebels and Ankara to mutual exhaustion, Western support then can go to non-Baathist and non-Islamist elements in Syria, helping them offer a moderate alternative to today’s wretched choices and lead to a better future.»

Cet article a suscité des réactions dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont très “diverses”, manifestement venues de personnes proches du courant des neocons, ce qui renouvelle effectivement le débat très tendu qui a déchiré les neocons lors de l’affaire libyenne. Pipes lui-même a du recevoir directement d’autres réactions du même type, sans doute de personnalités qui lui sont proches. Aussi rajoute-t-il, en queue du même article reproduit sur son site, à la date (pour nous) du 12 avril, quelques notes en “update”. Nous en reproduisons trois qui précisent encore plus sa position. (L’acronyme CAIR, pour Council on American-Islamic Relations, dénoncé grossièrement par la droite dure, neocon, pro-Israël et islamophobe comme une organisation US frontiste des terroristes islamistes.)

«(1) Before this article appeared, I gave a several interviews […] advocating tactical support for the Assad regime; these prompted name-calling by CAIR and some hysterical reactions about me urging genocide in Syria. No: I look forward to the day when Syria is at peace with itself and a good neighbor, when its government is democratic and law-abiding. But until that distant time, I prefer that evil forces direct their attentions against each other than against the outside world.

»(2) To the argument that early Western support for the rebels would have prevented the Islamists from dominating them (which they now do), I reply that Western powers did provide early support to rebels in Tunisia, Libya, and Egypt and look what that achieved – Islamists dominate all three of those countries. The same would likely have been the case in Syria. Western assistance is not that influential in altering the course of an ideological movement.

»(3) I dislike advocating support for Assad and respect the intentions of those who share my goals but disagree with my means. I do, however, see them engaging in wishful, non-strategic thinking.»

Il y a évidemment plusieurs façons de juger, et l’article de Pipes, et l’attitude de Pipes. Nous allons faire quelques remarques, tentant effectivement de résumer et d’apprécier ces “plusieurs façons”, avant de conclure.

• Il est évident que l’article, la forme du raisonnement, l’artificialité des quelques allusions forcées de Pipes à l’aspect humanitaire et moral des choses, la faiblesse de ces allusions par rapport à la force du propos guerrier, font complètement justice de la narrative humanitariste qu’on nous présente aujourd’hui pour accompagner et justifier ces événements d’intervention postmoderniste, selon le catéchisme démocratique et libéral. Au contraire, la violence et la clarté de l’argument ridiculisent complètement la narrative humanitariste par l’évidence du propos. Elles remettent les choses à leur juste place, sans nécessité d’argumenter plus avant.

• L’article de Pipes recommandant un soutien à Assad, qui a été précédé d’une recommandation de Pipes, depuis le début de “la guerre syrienne”, de rester en-dehors du conflit, témoigne du fait que la droite interventionniste et pro-Israël est, aux USA, divisée comme elle fut, lors de l’affaire libyenne. Il ne fait guère de doute que cette division, au moins, existe également en Israël, même si elle reste très discrète et ne s’exprime que rarement d’une façon publique pour ne pas interférer dans la politique officielle US de soutien aux rebelles. (On a vu un exemple de cette position israélienne avec le cas de Guy Bechor, le 8 avril 2013.)

• Un aspect remarquable de l’article de Pipes est qu’à côté d’une position théorique d’un réalisme de fer, confinant au cynisme, on trouve, dans les développements et même jusqu’aux attendus fondamentaux, des aspects complètement erratiques, irréalistes, sinon utopistes, où l’on retrouve d’ailleurs la marque des neocons. Croire qu’une position de soutien à Assad permettrait de maintenir sous contrôle le conflit puis, une fois les adversaires “épuisés”, d’intervenir pour imposer un règlement politique “modéré” qui serait en réalité à l’avantage des USA, relève effectivement d’une complète utopie. (»On the happy day when Mr. Assad and Tehran fight the rebels and Ankara to mutual exhaustion, Western support then can go to non-Baathist and non-Islamist elements in Syria, helping them offer a moderate alternative to today’s wretched choices and lead to a better future.») Même dans le compte-rendu de la situation actuelle, on trouve des déformations idéologiques et utopiques, qui rendent compte d’une influence sur leur jugement de leur propre propagande par ceux-là même qui la développent, – même s’ils sont opposés à certaines conséquences tirées de cette propagande, comme c’est le cas de Pipes. On trouve cela dans la prémisse même du raisonnement, qui est fondée sur la certitude qu’Assad perd de plus en plus de terrain et qu’il est quasiment sur le point d’être battu (raison pour laquelle il faut intervenir pour empêcher sa chute) : c’est une affirmation totalement gratuite, d’ailleurs répétée ad nauseam depuis deux ans, et que rien ne permet de substantiver, alors qu’il est désormais évident comme un fait fondamental de la situation que l’armée syrienne forte de 150.000 hommes a tenu et montre une remarquable cohésion face aux rebelles. Le paradoxe étrange de la position de Pipes, à cause de cette déformation de propagande, est bien que sa formule, en fonction de la position réelle des uns et des autres sur le terrain, devrait, au contraire de ce qu’elle lui fait dire, le pousser à recommander un soutien plus actif aux rebelles, puisqu’il s’avère que ces rebelles sont en position difficile face à Assad…

• Le fait est que, dans sa position actuelle, Pipes se place exactement aux côtés des Russes, lorsque ceux-ci vous parle officieusement, hors de la logique de leur position diplomatique. Pour les Russes, le but opérationnel réaliste, aujourd’hui, est de convaincre Obama qu’Assad est, dans cette partie, son meilleur allié, et que son intérêt est de favoriser la victoire d’Assad en éliminant les rebelles dont la partie la plus active et la plus efficace représente un énorme danger de déstabilisation et de désordre dans toute la région du Moyen-Orient.

D’une façon générale, la position de Pipes, en renouvelant les incertitudes et les divisions apparues dans le “camp de la guerre” aux USA lors de l’affaire libyenne et, plus généralement, par rapport au “printemps arabe”, renforce l’interprétation que ces événements sont essentiellement, pour le bloc BAO, l’occasion d’exposer un très grand désordre dans sa politique, ou dans les batailles d’influence qui l'accompagnent. Il n’est pas étonnant que le résultat général soit une position à la fois vacillante et velléitaire, marquée par des voltefaces incessantes et conduisant d’une façon générale à une position de paralysie et d’impuissance. Par ailleurs, un Pipes est là pour rappeler à tous ceux qui décrivent les événements comme une avancée irrésistible, depuis deux ans, du bloc BAO, la situation telle qu’elle est réellement : «…Western powers did provide early support to rebels in Tunisia, Libya, and Egypt and look what that achieved – Islamists dominate all three of those countries». Très curieusement, dans son archi-réalisme et dans soin cynisme complet, l’archi-neocon s’érige en témoin involontaire et puissant de la vanité complète de la politique du Bloc BAO, laquelle est directement enfantée par les thèses neocons et apparaît parfois, justement, comme une politique archi-neocons. Effectivement, la boucle est bouclée…