jeudi, 13 juin 2024
La guerre des narratifs
La guerre des narratifs
Andrea Marcigliano
Source: https://electomagazine.it/guerra-di-narrazioni/
La guerre se joue à plusieurs niveaux. Il y a l'opposition des hommes, des armes... et celle des narratifs.
Et les narratifs qui s'opposent sont... influents. Ils ne sont pas seulement des mots. Mais des textes, des films, des récits qui motivent, qui expliquent. Qui affectent. Car les mots sont des pierres. Et des armes.
Et la guerre, surtout la guerre moderne, est avant tout une guerre psychologique. Le Viêt Nam l'a prouvé. Les États-Unis n'ont pas été vaincus par les armes de leur ennemi, mais par l'effondrement de l'opinion publique nationale. Un effondrement moral et psychologique.
Aujourd'hui, dans le conflit russo-ukrainien, deux narratifs partisans et différents s'opposent. Absolument antithétiques et inconciliables l'un avec l'autre.
Pour la partie ukrainienne, et pour l'OTAN, nous sommes confrontés à une agression russe, motivée uniquement par la volonté d'un dictateur impitoyable, avide de reconquérir l'empire qui était autrefois l'URSS.
Une agression qui constituerait la première étape d'une attaque contre l'ensemble de l'Occident. Car Poutine est, nous dit-on, le nouvel Hitler. Comme cela a été souligné et proclamé du haut de la chaire, récemment, en Normandie. Lors des célébrations pompeuses du jour J.
Du côté russe, l'opération spéciale - car le mot guerre n'est jamais utilisé - a été rendue nécessaire par les massacres de civils russes dans le Donbass par les milices nazies de Kiev. Parce que Zelenski est un nazi - bien qu'issu d'une famille juive - et que les nazis sont ses bailleurs de fonds et ses soutiens étrangers. Tout comme George Soros, juif d'origine hongroise.
Dans les deux récits, il y a quelques noyaux de vérité, cependant falsifiés par une pléthore de mensonges. Il est vrai que la Russie a envahi l'Ukraine. Mais il est également vrai qu'il y a eu un nettoyage ethnique dans le Donbass et que Kiev a totalement ignoré les accords de Minsk. Avec le soutien de Washington et du collectif occidental.
En réalité, ce conflit ne représente que la dernière étape (pour l'instant) d'une longue guerre entre Washington et Moscou. Elle a commencé immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et dont le premier acte a été le plan dit Marshall.
Cette guerre est d'ailleurs l'héritière directe du Grand Jeu qui oppose depuis trois siècles les empires russe et britannique. L'empire américain en est l'héritier direct.
Le nazisme et Hitler n'y sont pour rien, pas plus que les choux. Ils ont été liquidés par les deux rivaux historiques, Moscou et Washington, qui voyaient en eux une menace pour leurs intérêts et leurs objectifs.
Pour des raisons différentes, bien sûr.
La Russie parce qu'elle voyait sa primauté sur l'Eurasie menacée par la croissance et l'expansion allemandes.
Les États-Unis, parce qu'ils voyaient dans l'Allemagne hitlérienne un rival économique redoutable. Capable de les exclure du marché européen.
Mais Hitler était mauvais... oui, mais s'il avait été le dictateur du Gabon, personne n'aurait pris la peine de lui faire la guerre.
Et la Seconde Guerre mondiale aurait eu lieu même si la NSDAP n'avait pas été au pouvoir en Allemagne.
Aujourd'hui, l'accusation d'être nazi portée contre l'ennemi est réciproque. Et, dans les deux cas, instrumentale. Les causes et les objectifs du conflit sont tout à fait différents. Et bien plus anciens. Cependant, cette diabolisation de l'ennemi, par le biais de récits opposés, rend toute forme de règlement extrêmement difficile. On peut négocier la paix avec quelqu'un dont les raisons sont différentes des nôtres, mais néanmoins acceptables.
Pas avec l'incarnation du Mal absolu.
Et, en cela, il faut reconnaître que Poutine maintient, avec une certaine sagesse, deux niveaux différents de narration.
L'un, plus enflammé, pour maintenir le front intérieur contre l'"agression nazie". Il l'incite à la nouvelle grande guerre patriotique.
L'autre, tourné vers l'extérieur, plus... diplomatique. Ouverte à la négociation et visant à éviter l'affrontement frontal.
Mais sur le front opposé, le récit apparaît presque univoque et monolithique. Poutine est Hitler. Il est le Mal et doit être anéanti avec toute la Russie. C'est un point final.
Il n'y a aucun espoir de négociation.
Du moins pour l'instant.
21:05 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : narratifs, actualité, politique internationale | | del.icio.us | | Digg | Facebook