Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 05 août 2008

L'Union Méditerranéenne éloigne l'UE de la Russie

Sarkozy_Bush.jpg

 

Bernhard TOMASCHITZ:

L’Union Méditerranéenne éloigne l’UE de la Russie

Critique du projet transatlantiste de Sarközy

Pour le président français Nicolas Sarközy, la création de l’Union Méditerranéenne est un “rêve devenu réalité”. Cette nouvelle construction, qui a été portée sur les fonds baptismaux à Paris le 13 juillet 2008, inclut, outre les 27 Etats membres de l’UE, tous les pays riverains de la Mer Méditerranée, à l’exception de la Libye. L’objectif officiel de cette organisation, qui aura deux présidents et un secrétariat à Tunis, est, pour l’essentiel, la coopération dans les domaines de l’économie, de l’éducation, de l’assainissement écologique de la Méditerranée et de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit. La réalisation de ce projet chéri du Président actuellement en fonction du Conseil de l’UE coûtera bien cher au contribuable. D’après les chiffres avancés par la commissaire européenne aux affaires étrangères, Benita Ferrero-Waldner, Euro-Bruxelles mettra la somme de neuf milliards d’euro, d’ici à 2013, à la disposition de la région couverte par cette UM.

L’Union Méditerranéenne, structure préparée de longue date, aura, pour autant qu’elle fonctionnera dans les faits, d’énormes retombées géostratégiques. Sarközy avait parlé de cette Union Méditerranéenne au début de l’année 2007, dans le cadre de la campagne pour les élections  présidentielles en France et, pour la réaliser, a dû accepter un compromis avec l’Allemagne.

Au  départ, cette Union Méditerranéenne devait se limiter aux Etats de l’UE riverains de la Méditerranée. Pour éviter de faire capoter le projet, et face aux réticences de la Chancelière fédérale Angela Merkel, il a dû ouvrir le projet à tous les Etats de l’UE.

Mais dans les pays du Nord de l’UE, en Allemagne, en Pologne, en Suède ou dans les Pays Baltes, personne ne se réjouit de la création de cette Union Méditerranéenne. Ces pays du Septentrion de notre sous-continent auraient préféré consolider les relations de l’UE avec la Russie, riche en matières premières. Le ministre suédois des affaires étrangères, Carl Bildt, a émis son opinion lors de la fête pompeuse qui a marqué la fondation de l’UM à Paris: pour lui, cette UM est certes “souhaitable sur le fond”, mais, ajoutait-il, “elle ne changera pas le monde en un jour”. Bildt employait évidemment un langage diplomatique; traduit en clair, cela équivaut à: “Elle est belle votre fête ici, mais finalement tout ça, c’est du bidon!”.

Nous assistons donc à un déplacement du centre de gravité de l’UE, qui glisse ainsi de l’Est au Sud. En ce sens, l’UM se révèle pour ce qu’elle est: un truc de la stratégie internationale des Etats-Unis pour éloigner l’UE de la Russie. En fin de compte, Washington ne veut pas  seulement encercler la Russie mais aussi empêcher que ne se constitue encore, plus tard, un “Axe Paris-Berlin-Moscou”, comme en 2003 lorsque Washington a déclenché sa guerre d’agression contre l’Irak. La Russie dispose des moyens d’offrir à l’UE une alternative attrayante à la domination sans partage des Etats-Unis sur le monde. Récemment, le Président russe Dimitri Medvedev a donné son aval à un document où l’on déclare que “la constitution d’un système ouvert et démocratique de sécurité et de coopération régionales et collectives qui garantira l’unité de la région euro-atlantique de Vancouver à Vladivostok”, but qui sera “l’objectif principal de la politique étrangère russe en direction de l’Europe”.

Vu l’existence de tels projets à Moscou, les Etats-Unis ont de la chance d’avoir à l’Elysée depuis juin 2007 un “transatlantiste” avéré en la personne de Nicolas Sarközy. Contrairement à son prédécesseur, le président français actuel ne veut pas seulement ancrer davantage encore  son pays dans l’OTAN mais, en plus, lier solidement la politique européenne de sécurité et de défense à l’alliance nord-atlantique. Car l’OTAN, a déclaré Sarközy, “est notre alliance: nous avons contribué à la créer et nous en sommes aujourd’hui l’un des principaux bailleurs de fonds”. Or, aujourd’hui, il faut bien le constater, le seul but de l’existence de cette OTAN est de parfaire l’encerclement de la Russie.

La création de l’UM renforce les soupçons de ceux qui craignent qu’elle servira à introduire la Turquie dans l’UE, et, plus tard, aussi Israël. Il y a un peu plus d’un an, Sarközy se drapait dans le rôle du lutteur clairvoyant, qui allait tout faire pour empêcher l’adhésion turque à l’UE; aujourd’hui, changement d’attitude: il veut se comporter “de manière loyale” à l’égard d’Ankara. “Si de nouvelles conditions d’adhésion doivent être prises en considération, ce sera la présidence française du conseil qui le fera”, vient de dire Sarközy en marge de la cérémonie de fondation de l’UM. Le président français ne cesse de proclamer qu’il est “un ami d’Israël” et que la France “se trouvera toujours aux côtés” de l’Etat créé jadis par le mouvement sioniste.

Les efforts que Sarközy et les Américains déploient pour entraîner l’UE dans les conflits du Proche Orient sont patents depuis longemps déjà. Sur ce plan, les déclarations du ministre allemand des affaires étrangères, Joschka Fischer, en octobre 2005 sont révélatrices: “La sécurité de l’Europe ne dépendra plus des ses frontières orientales mais de la situation dans le bassin oriental de la Méditerranée et au Proche Orient. La Turquie, dans cette conception de la sécurité européenne, doit devenir un pilier de cette sécurité et toutes les entreprises visant à empêcher cette évolution relèvent tout simplement de la courte vue”. C’est en ces termes que le “Daily Princetonian”, quotidien de la célèbre université américaine de Princeton, cite le politicien allemand, situé à la gauche de la gauche.

Quant à Zbigniew Brzezinski, conseiller en matières de sécurité de l’ancien président américain Jimmy Carter, il remarquait, dès 1997, que “la France ne vise pas seulement un rôle politique central dans une Europe unie mais qu’elle se veut aussi le noyau d’un groupe d’Etats nord-africains et méditerranéens, qui, ensemble, ont les mêmes intérêts”. Conclusion: c’est parce que l’Europe dépend entièrement des Etats-Unis que l’extansion de la sphère d’influence de l’UE dans l’espace méditerranéen sera simultanément un accroissement de l’influence américaine dans cette région.

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°30-31/2008; trad.  franç.: Robert Steuckers).