lundi, 21 mars 2022
Indépendance et protestations, la Corse s'enflamme-t-elle à nouveau ?
Indépendance et protestations, la Corse s'enflamme-t-elle à nouveau ?
Par Tommaso Minotti
Source: https://osservatorioglobalizzazione.it/osservatorio/corsica-proteste/
Les nouvelles de Russie monopolisent à juste titre l'opinion publique mais ces derniers jours sont mouvementés dans le monde entier. Nous avions déjà couvert la renaissance encore embryonnaire de l'indépendance de la Corse, mais tout récemment, une nouvelle flambée, puissante, s'est produite. Le casus belli a été la tentative de meurtre perpétrée en prison contre l'indépendantiste corse, Yvan Colonna. La blessure grave subie par l'ancien membre du FLNC a déclenché des manifestations de rue dans toute la Corse. Les protestations ont été nombreuses et l'État central a eu du mal à reprendre le contrôle de la situation.
Qui est Yvan Colonna, l'homme qui divise la Corse ?
Né le 7 avril 1960 à Ajaccio de Jean-Hugues Colonna, socialiste, et Cécile Riou, communiste, Colonna est entré en contact avec des cercles nationalistes proches du FLNC à la fin des années 1980. Les activités de Colonna pour les nationalistes corses, cependant, n'ont jamais été clairement établies. Sa propre participation au meurtre du préfet Erignac est un sujet de débat car il s'est toujours déclaré innocent. Erignac a été abattu de 21 balles alors qu'il se rendait à un concert de musique classique en février 1998. Il avait été nommé préfet de Corse un peu plus d'un an auparavant. Colonna purge une peine de prison à vie pour ce meurtre. Arrêté en 2003, après près de quatre ans de cavale, l'indépendantiste corse a été condamné à la prison à vie en 2007, une peine qui a été changée en 22 ans de prison en appel. L'appel a été annulé par la Cour de cassation, qui l'a renvoyé et a condamné définitivement Colonna à l'emprisonnement à vie.
Le mercredi 2 mars, Colonna, détenu à la prison d'Arles, a été agressé par un détenu camerounais, Franck Elong Abé. Ce dernier serait un djihadiste, anciennement détenu dans les prisons afghanes. L'agression a été particulièrement macabre avec une tentative de strangulation qui a plongé Colonna dans le coma. Il est dans un état stable mais sérieux dans un hôpital de Marseille. Colonna avait demandé à plusieurs reprises une réconciliation avec l'État français, ce qui lui a toujours été refusé. En outre, il était particulièrement surveillé par la police pénitentiaire, ce qui a été la mèche qui a déclenché la bombe des manifestations.
Les protestations
La nouvelle de la tentative d'assassinat contre Yvan Colonna a indigné les Corses. De nombreuses bannières sont immédiatement apparues avec les mots "Statu francesu assassinu". La propre famille de Colonna a appelé à une mobilisation qui ne serait pas monopolisée par les nationalistes corses. En fait, Colonna avait toujours été un détenu spécial en prison et il semble très suspect qu'il puisse être attaqué de cette manière brutale sans que personne n'intervienne. Cette série de doutes a conduit de nombreux Corses à descendre dans la rue. Jeudi déjà, des manifestations ont eu lieu. Vendredi, 250 personnes se sont rassemblées devant la préfecture d'Ajaccio, scandant des chants indépendantistes et des slogans contre l'État français meurtrier. Un feu a également été allumé devant le bâtiment du gouvernement, sans conséquences. Le 4 mars également, le syndicat des travailleurs corses a empêché un navire de Corsica Ferries d'accoster sur l'île. Le bateau transportait des policiers envoyés en renfort sur l'île. L'objectif des indépendantistes a été partiellement atteint puisque certains gendarmes et leurs véhicules sont restés sur un bateau au quai. Dans la soirée, des membres du mouvement indépendantiste Corsica Libera ont brièvement bloqué un autre bateau qui voulait accoster à Bastia.
La Corse dans la tourmente
Il y avait également des implications politiques. Marine Le Pen était censée être en Corse le dimanche 6 mars pour un meeting électoral. Cependant, la candidate du Rassemblement national a préféré reporter sa visite, craignant des manifestations. Dimanche également, une manifestation avec des milliers de participants a eu lieu à Corte. Les affrontements devant la sous-préfecture ont été violents. La crainte de perdre le contrôle de la situation était bien présente au sein de l'exécutif français. L'arrivée du nouveau préfet en Corse, juste après la tentative de meurtre d'Yvan Colonna, a rendu la situation encore plus tendue. La situation ne s'est pas calmée le lundi 7 mars. Les manifestations de rue ont été suivies de grèves dans les lycées et les universités, signe que l'affaire Colonna a une forte emprise sur la population en général. En fait, ce sont précisément les étudiants qui ont été les protagonistes des affrontements de lundi à Bastia. Le lieu des manifestations est toujours le même : la préfecture, incarnation de l'État centraliste de Paris. Un garçon de 14 ans a été blessé à Ajaccio, mardi 8 mars, lors de nouvelles échauffourées avec la police. La soirée du 8 a été particulièrement explosive. Des affrontements et des arrestations ont eu lieu à Bastia.
La police a fait un usage massif de grenades assourdissantes auxquelles les manifestants ont répondu par des cocktails Molotov. Macron a tenté d'apaiser la situation en retirant à Colonna son titre de "détenu particulièrement signalé" (DPS). Ce titre a empêché Colonna d'être transféré à la prison corse de Borgo, comme il l'avait demandé à plusieurs reprises, car il ne s'agissait pas d'un établissement de sécurité maximale.
L'épicentre des protestations est devenu Bastia avec des bombes à essence lancées sur les policiers. La gendarmerie, pour sa part, a blessé un garçon de 16 ans à la tête avec une balle en caoutchouc. Jean-Claude Benedetti, c'est son nom, a été emmené à Marseille pour y être opéré. Mercredi 9 mars, la situation était toujours explosive avec des manifestations et des affrontements à Ajaccio, Bastia et Calvi. Rien qu'à Bastia, il y a eu huit policiers blessés et 95 cocktails molotov lancés. Les gendarmes ont été contraints de battre en retraite. Mais le point culminant a été atteint à Ajaccio avec des manifestants entrant dans le Palais de Justice qui a été incendié. Jeudi 10, la scène la plus surréaliste a été vue à nouveau à Ajaccio où des manifestants ont volé une pelleteuse et l'ont utilisée pour détruire une succursale du Crédit Agricole. Au niveau politique, les organisations nationalistes se mobilisent et annoncent un programme unitaire avec trois objectifs principaux : justice pour Yvan Colonna, libération des prisonniers politiques et reconnaissance du peuple corse. Les manifestations se sont poursuivies vendredi soir avec des incendies et des dévastations dans toute l'île : Cervione, Porto Vecchio, Ajaccio, Bastia, Aleria, Calvi, Corte, Olmeto et de nombreuses autres villes.
Scénarios futurs
Quelles conclusions peut-on tirer des événements de ces derniers jours ? Tout d'abord, la prise de conscience que la France a toujours un problème avec la Corse. La renaissance partielle du FLNC et les énormes manifestations qui font toujours rage sur l'île méditerranéenne en sont la preuve. Ce qui doit inquiéter Paris, c'est la large participation populaire, pas seulement de type nationaliste. Yvan Colonna est devenu le symbole de nombreux étudiants et de personnes ordinaires. Autre élément d'angoisse, pour l'exécutif français, les revendications des groupes indépendantistes corses. Surtout, le dernier point, c'est-à-dire la reconnaissance du peuple corse, est assez nébuleux et peut signifier beaucoup de choses. L'incapacité de l'Etat central à initier un véritable processus de pacification doit être soulignée. L'intransigeance avec laquelle Colonna a été traité et la tentative d'assassinat qui a suivi ont rendu furieux de nombreux Corses. Cependant, il est difficile pour Paris d'accepter les demandes autonomistes. L'État français a choisi la voie du centralisme il y a des siècles et une ouverture à la Corse serait ressentie par le pouvoir hyper-centralisé comme contraire à la "loi de l'histoire" autant que risquée. La principale crainte est que la Corse passe des revendications autonomistes aux revendications indépendantistes, qui ne se sont jamais vraiment calmées. Il n'en reste pas moins que l'indépendance de la Corse a toujours une forte emprise sur la population et que la Corse elle-même pourrait devenir, ou l'est peut-être déjà, le ventre mou de la France.
13:34 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, affaires européennes, corse, nationalisme corse, yvan colonna | | del.icio.us | | Digg | Facebook