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samedi, 12 mai 2007

Un guide pour les philosophies de la Vie

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Un guide pour les philosophies de la Vie

Analyse : Karl ALBERT, Lebensphilosophie. Von den Anfängen bei Nietz­sche bis zu ihrer Kritik bei Lukács, Alber Verlag/Reihe Kolleg Philo­so­phie, Frei­burg/Mün­chen, 208 S., DM 24, 1995, ISBN 3-495-47826-4.

Karl Albert, professeur de philosophie à Wuppertal dans la région de la Ruhr, nous of­fre un excellent petit ouvrage sur la « Lebensphilosophie » allemande, très didac­tique et qui convient parfaitement pour les étudiants de première année. Il passe en revue les œuvres de Schlegel, Schopenhauer, Guyau, Nietzsche, Ditlhey (cf. l’article de ce nu­méro sur Simmel), Bergson, Simmel, Lessing, Klages, Messer, Spengler, Keyser­ling, Ortega y Gasset, Scheler, Misch, Lersch et Bollnow. Dans son introduction, il explique clairement sa démarche : « Toutes les créations originales de la philosophie et de la littérature, qui ont émergé dans la première décennie du 20ième siècle, por­taient l’accent de la “Vie”. C’était comme une ivresse, une ivresse juvénile, que nous avons tous partagée ». Les thématiques de la jeunesse, du printemps éternel, des paysages ré­générants, de la danse, de la nudité, indique une voix qui n’est plus celle de la froi­de logique mais de la bio-logique, appelée à remplacer les sécheresses et les hypo­cri­sies des “Lumières”, du positivisme et de l’académisme. Pour Karl Albert, les pré­misses de la “Lebensphilosophie” se situent déjà tout entiers dans les œuvres de l’Allemand Friedrich Schlegel et du Français Jean-Marie Guyau.

Didactique, soucieux de transmettre à ses étudiants, Albert esquisse les étapes suc­ces­sives de la démarche de Schlegel, adversaire du système de Hegel, vecteur de “né­gativité”, induisant le philosophe dans l’erreur car il remplace la réalité divine et vi­vante par un mensonge métaphysique. En trois étapes, Schlegel va tenter de sortir la pensée allemande et européenne de cette impasse et de ce labyrinthe : 1. Opposer au “Geist” hégélien la Vie proprement dite. 2. Montrer que la philosophie traditionnelle indienne est une apologie et une acceptation sereines voire joyeuses de la Vie. 3. Hisser au niveau de la réflexion philosophique les rapports entre l’homme et la fem­me, dans la sexualité et dans le mariage. La base du travail philosophique ne saurait être une spéculation infinie sur un concept éthéré mais, au contraire, la vie spirituelle intérieure de l’homme, voyageant entre le ciel du sublime et la pesanteur de la ma­té­rialité. Dès lors, le philosophe peut commencer sa démarche à partir du moindre fait de vie et non pas au départ des seules spéculations académiques, imposées a priori au cherchant. Sanskritologue patenté, de même que son frère, Schlegel lisait la philo­sophie et la mythologie indiennes dans le texte. Il y retrouve un panthéisme, chassé d’Occident depuis l’avènement du christianisme. Ses réflexions sur les rapports entre sexes —sans nul doute inspirées par la tradition tantrique— contribue à forger en Oc­cident une nouvelle vision de la femme, émancipatrice et équitable, revalorisant le rôle de la sensualité dans l’élaboration d’une philosophie équilibrée entre raison, sens, cordialité, matérialité, etc.

Jean-Marie Guyau (1854-1888), natif de Laval dans le Maine, auteur notamment d’ Es­quisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885), aura un impact certain sur Nietzsche. Pour Guyau, la Vie a vocation à l’expansion, non au sur-place, et cette ex­pansion n’a pas à être régulée —et contrariée— par un “impératif catégorique“ de kan­tienne mémoire, démarche non naturelle. L’aire infinie du déploiement merveilleux du cosmos est le site où vit et agit l’homme : le lieu de la “sympathie universelle”, où convergent et fusionnent esthétique, morale et religion. L’art, selon Guyau, est le vé­hi­cule que l’hom­me accompli utilise pour naviguer dans l’océan infini de cette “sym­pa­thie uni­verselle”, sans contrarier les forces à l’œuvre dans l’univers. Sous les con­tra­dic­tions ap­parentes du monde des hommes, se profile une harmonie fondamentale, l’E­tre. Gu­yau, comme plus tard Deleuze —que l’on prend, nous dit Badiou, à tort pour un pen­seur d’une pluralité absolue et désordonnée— développe une ontologie vitaliste, qui ne nie nullement l’unité fondamentale de l’univers.

La philosophie de la Vie n’est donc pas le socle des particularismes maniaques, re­pliés sur eux-mêmes, mais l’écho en Europe, d’une vision tantrique, où tout est en­tremêlé, où tout est relié à tout, sans segmentations et catégorisations inutiles et a­ber­rantes. Avec Schlegel et Guyau, les bases d’une formidable alternative ont été je­tées, mais elle n’a pas encore réussi à percer, à développer des modèles sociaux et po­li­tiques solides et viables.

Robert STEUCKERS.


 

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