Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 07 octobre 2007

Le phantasme antifédéral

9c531460f67fcee5d98727ea337e7149.png

Deutschland über alles ? ou le phantasme antifédéral

L'axe Paris-Berlin a toujours été déterminant pour la mise en place des projets européens liés au processus ayant conduit de la CECA à l'UE. De la solidité de ce lien a dépendu durant quatre décennies l'espoir de voir converger vers un objectif commun les efforts des divers pays.

Pourtant, depuis quelques années marquées par des changements de gouvernements et surtout de doctrine politique, la stratégie globale des chancelleries a évolué et le couple franco-allemand a sombré dans une morosité, ferment de son inactivité. Gerhard Schröder lui préfère une suspecte alliance britannique et le gouvernement français perd une précieuse énergie au sein d'une cohabitation polie mais âpre dans laquelle le but premier est de prendre le pas sur "l'autre".

Ce relâchement des coopérations actives en faveur de l'union de l'Europe a tout à la fois renforcé l'euro­scepticisme, engendré une nouvelle race de déçus et, parce qu'elles n'étaient plus à l'ordre du jour, empêché que soient posées certaines questions fondamentales sur l'avenir de l'Union pour laquelle une réforme devenue serpent de mer serait des plus utiles.

Ainsi, la question fondamentale, avant même tout élargissement, est de savoir la forme que prendra le système politique efficient de l'Union.

Rétrogradé à l'arrière-plan médiatique européen, le problème a ressurgi de manière inattendue à la suite de l'in­­tervention du ministre allemand des affaires étrangères. C'est d'ailleurs un étrange système que Joschka Fi­scher a soumis, puisqu'il n'est ni totalement fédéraliste, ni centralisateur et fait la part belle au maintien des en­tités constitutives actuelles de l'Union. Il en est ainsi de ce concept de parlement bicaméral dont l'une des chambres serait composée des élus issus directement des assemblées existantes des "États-nations". L'in­con­vé­nient des projets qui incluent des éléments hétérogènes est qu'ils ne sont susceptibles de satisfaire réellement au­cune des parties et que, par définition, ils affichent toujours un petit côté bancal hérité des compromis con­sen­tis. Or, les problèmes institutionnels se satisfont mal des imperfections flagrantes, surtout quand elles sont is­sues d'amalgames aussi dépourvus de sens que ceux qui consistent à faire coexister le sy­stè­me fédéral et son an­tithèse hypercentralisatrice. En fait, M. Fischer est surtout preneur d'une confé­dé­ration au pouvoir central nettement affaibli.

Au-delà du projet des Verts allemands, c'est surtout la question jamais tranchée entre souverainistes et fédé­ra­listes qui rejaillit avec un aiguillon intact. Si les petits pays comme ceux du Benelux ou encore ceux en proie à des sécessions ne nourrissent pas trop d'angoisses sur le propos, il n'en va pas de même en France, héritière de la tradition jacobine, fille aînée du centralisme initié par ses Rois depuis des siècles. Dans cette droite ligne, Jean-Pierre Chevènement est sorti du bois pour stigmatiser une propension fédéraliste qui lui paraît ty­pi­que­ment d'origine germanique. La remarque peut amuser surtout quand, dans la foulée, il estime que les Alle­mands ont une conception ethnique de la politique alors que lui-même associe un système de gouvernement à un peuple bien déterminé.

Plus gênantes sont les remarques sur le fait que l'Allemagne rêverait de reconstituer le Saint Empire romain de la nation germanique et ne se serait toujours pas remise de l'époque national-socialiste. Par-delà le côté agres­sif et déplacé inhérent à ces propos, il convient d'en analyser les deux éléments de manière claire et historique pour comprendre l'antithèse qu'ils constituent l'un pour l'autre.

L'Empire germanique était en effet une sorte de monarchie fédérale dont le souverain devait être élu par ses pairs pour ceindre la couronne, laquelle est d'ailleurs conservée à Vienne, ville des Habsbourg. Or, parce qu'il obligeait le candidat à acheter les voix et à faire nombre de promesses en biens ou en droits à ses électeurs po­ten­tiels, ce système a entraîné l'affaiblissement constant au cours du Moyen Age du pouvoir impérial au profit des pouvoirs locaux, phénomène qu'a également connu la Pologne par la suite. C'est dans cet état de fait qu'il con­vient de trouver une tradition dite "fédérale" en Allemagne. Il y a dix siècles, la France médiévale n'était pas très dissemblable de la Germanie, mais son parcours historique ultérieur a été radicalement différent avec l'é­mergence d'une monarchie forte s'appuyant sur l'impressionnante succession des monarques de la famille des Ca­pétiens. À l'origine, la royauté française était également élective, mais elle prit la précaution de faire élire le successeur du souverain, à savoir son fils aîné, du vivant du Roi, ce qui fit tomber en désuétude le système élec­tif et permit, grâce à la grande stabilité dynastique, de lancer le pays dans une vaste phase de ren­for­ce­ment du pouvoir central et d'unicité du territoire. On ne peut donc que sourire quand on constate que M. Che­vè­nement, chantre des valeurs dites "républicaines" qu'il veut confondre avec celles de l'humanisme, et M. Fi­scher, peu suspect d'être en faveur de l'Empire et classé comme soixante-huitard reconverti dans le costume-cra­vate ministériel, en viennent à s'opposer en raison… des modèles monarchiques dont leurs pays ont hérités et sur base desquels France et Allemagne ont évolué.

Plus regrettable est le retour du leitmotiv sur le national-socialisme. Il l'est d'autant plus qu'il ne se justifie nul­le­ment, puisque la période de 1933 à 1945 fut la seule de l'histoire allemande à ne pas être fédéraliste, mais bien centralisatrice, ce qui confère déjà tout son non-sens à l'argumentation du ministre français. En outre, à avoir trop regardé son lion de Belfort, il est fort à parier qu'il a dû en confondre le IIIe Reich, le deuxième qui laissa ce bout d'Alsace à la France et le premier apparu au Xe siècle et qui ne sombra qu'au début du XIXe, quand un autre Empire, celui de Napoléon 1er, contraignit l'Autriche à dissoudre le Saint Empire. Le souvenir du Saint Empire sensu stricto pourrait donc être plus douloureux pour les Allemands que pour les Français. Et puis, la faiblesse de l'Empire issue de diverses raisons dont celles mentionnées précédemment a laissé le champ li­bre à la France pour s'étendre considérablement vers l'Est dès qu'elle eut clos la question anglaise. Durant des siècles, ce fut ainsi Paris qui se montra la plus déterminée dans sa version personnelle du Drang nach Ost. As­so­cier l'Empire germanique, entité sans poids propre depuis des siècles, au concept de l'Allemagne expansionniste montre la réussite de la propagande voulue dans les deux pays depuis de nombreuses générations et qui n'avait pour but que de légitimer un antagonisme replacé dans un cadre historiciste qui seul le transcendait pour lui donner une valeur de dogme, quand bien même ses fondements seraient totalement biaisés.

Il faudra donc encore attendre à tout le moins une demi génération pour que ces vieilles rengaines d'un autre â­ge n'aient plus court dans le landernau politique. Quoi qu'il puisse en sortir, ni M. Chevènement, ni M. Fischer ne paraissent détenir la clé. L'Europe des nations vouée au centralisme écartelé entre les capitales et Bruxelles conduira immanquablement à perpétuer la lourdeur et le blocage institutionnels connus actuellement par l'U­nion. Quant à une fédération trop lâche dans laquelle la souveraineté des entités fédérées serait trop mar­quée, elle risquerait, surtout dans le cadre d'un élargissement européen, de conduire à un émiettement du pou­voir tel qu'une dislocation de l'Europe deviendrait à terme inévitable, avec en germe tout ce que les di­vi­sions du continent ont pu apporter comme lot de malheurs.

Le premier devoir de l'Européen est de créer une Europe politique réelle en empêchant que le continent soit voué au même sort que… l'Empire germanique !

Michel LAMBINON.

http://walhalla.ddynamics.be/

 

01:45 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.