dimanche, 30 décembre 2007
Hommage à Sigrid Hunke (1913-1999)
Hommage à Sigrid Hunke (1913-1999)
« Je possède une force en mon âme, totalement et immédiatement réceptive à Dieu » (Maître Eckhart)
Le 15 juin 1999, Sigrid Hunke est retournée à la Grande Unité de la vie et de la mort. Sa vie et son œuvre ont eu et garderont une importance considérable pour notre communauté unitarienne. Nous voulons dès lors nous souvenir d’elle, ici, avec gratitude et respect. Ecoutons ses propres paroles :
Profondément enraciné !
« Lorsque je jette un regard rétrospectif, c’est toujours cette même image qui me revient, qui s’anime, si vivante, devant mes yeux, cette image qui m’a accompagnée si souvent dans la vie : un ciel immense plein de nuages sombres qui chassent, très haut au-dessus de pâturages vallonnés, où se blottissent les fermes entre de puissants châtaigniers, fouettés par la tempête. Chaque jour, je faisais le même chemin et je me pressais contre ce mur de vent invisible et, lentement, je prenais conscience de me trouver là au beau milieu de la lutte des éléments, et j’avançais ainsi sur mon chemin en solitaire… A cette époque-là, … j’ai appris ceci : tout ce qui, —à la façon de ces arbres battus par la tempête et par les averses, se maintient, tout en croissant et en portant des fruits,— doit être solidement enraciné, doit toujours, et sans cesse, puiser ses sèves profondément hors du sol de ses racines, hors de ce sol primordial et divin. Seules les occupations vides de sens, fébriles, sans ancrages solides dans la religiosité finissent lamentablement, sans résistance et dans l’indifférence, par déboucher sur ces platitudes intérieures, ce vide et cet assèchement de l’âme, propre de tout ce qui reste collé à la superficialité du monde matérialiste. Ceux qui veulent aller à l’essentiel, qui veulent créer des valeurs et se réaliser eux-mêmes dans cet acte de création, doivent sans cesse se replonger dans leurs propres profondeurs, pour offrir leur poitrine aux assauts de la vie et puiser dans cette source intérieure les forces pour lancer de nouveaux projets, afin, leur vie durant, de porter et de projeter cet essentiel dans leur vie quotidienne, dans leur profession, dans leur famille et leur communauté ».
Représenter l’unité du monde dans notre communauté, approfondir le sens de cette unité, voilà ce que fut le projet de Sigrid Hunke. Avec les mots simples que nous venons de rappeler ici, elle nous transporte au centre même de sa vision religieuse du monde, qui est aussi la nôtre. En se référant à Wilhelm Hauer et à Friedrich Schöll, elle a été pendant douze ans la vice-présidente de la « Communauté religieuse des Unitariens allemands » ; elle nous a transmis ce qui, à ses yeux, était « l’autre religion de l’Europe », la vraie religion de l’Europe, celle qui allait permettre au divin « de revenir dans sa réalité » (Schöll). Dans de nombreux écrits et discours, elle nous a explicité cette pensée et cette religiosité unitariennes, elle nous a montré son enracinement profond dans la philosophie et la théologie de l’antiquité, du moyen âge et de notre époque contemporaine. Elle nous a expliqué la profondeur et l’ampleur de cette vision unitaire de Dieu et du monde.
Comme par un coup de fanfare, Sigrid Hunke, nous a communiqué, en 1969, à Heide, dans une allocution à l’occasion d’une fête, quelles seraient les thèses fondamentales de son livre La vraie religion de l’Europe. Elle a cité un témoin majeur dans l’histoire de la pensée européenne, Nicolas de Cues : « Qu’est donc le monde sinon la manifestation du Dieu invisible ? Qu’est donc Dieu, sinon l’invisibilité du visible ? N’est-ce pas cet Un, que l’on atteint dans tout ce que l’on peut atteindre ? ».
« Le monde est le déploiement de tout ce que Dieu tient plié en lui. Dieu est le conteneur de tout ce qui se déploie en tout. Il est en tout être, sans pour autant être identique à lui ». En prononçant et en faisant siennes ces paroles de Nicolas de Cues, Sigrid Hunke oppose à la vision du monde chrétienne-dualiste, pour laquelle Dieu et le monde sont fondamentalement différents, la vision unitarienne, où Dieu et le monde sont Un, où ils forment une unitas, la seule unité qui soit.
La vie de Sigrid Hunke
Sigrid Hunke est née en 1913 à Kiel, dans la famille d’un libraire. Elle a étudié dans sa ville natale, puis à Fribourg et à Berlin, les religions comparées, la philosophie et la psychologie, la philologie germanique et l’histoire. Ses maîtres furent notamment Hermann Mandel, Martin Heidegger et Nicolai Hartmann. En 1940, elle passe sa thèse de philosophie avec Eduard Spranger. Elle épouse ensuite le futur diplomate de la RFA, Peter H. Schulze, à qui elle donnera trois enfants : un fils, actuellement professeur d’histoire contemporaine, et deux filles, l’une enseignante, l’autre médecin. Je cite ces éléments biographiques pour montrer que Sigrid Hunke, connue surtout par ses livres, n’a nullement été une philosophe enfermée dans sa tour d’ivoire, mais qu’elle a été une femme complète, épouse et mère, et qu’elle a pu incorporer ces expériences existentielles dans son œuvre. Ecoutons-la :
« Après mon Abitur, j’ai d’abord choisi une formation musicale, pour ensuite me retrouver sur les bancs de l’université et dans mon bureau personnel pour réaliser mon propre travail créatif. A part quelques compositions, j’ai ainsi écrit quelques nouvelles et romans, jusqu’au jour où j’ai été prise d’une véritablement passion pour l’essai scientifique. Chaque fois le désir d’écrire un livre de cette nature était mu par un motif très précis et une nécessité intérieure. Bien que j’ai été une enfant calme et que, très tôt, je me suis sentie attirée par la poésie et les nouvelles poétiques de Storm, Ginskey et Binding, en tant que femme mariée, je me suis sentie interpellée et provoquée par des conceptions générales et stupidement répétées que je tenais pour superficielles et irréfléchies voire pour inexactes : chaque fois, ce fut un défi profond, l’occasion de débattre et de combattre, contre moi-même et contre d’autres. Le résultat fut toujours un livre ».
Reprenons un à un ses principaux ouvrages ; nous nous apercevrons de la diversité et de la variété des intérêts de Sigrid Hunke, et aussi de sa passion pour la vérité et de sa soif de connaissances. Ainsi, en 1955 paraît Am Anfang waren Mann und Frau [= A l’origine, il y avait l’homme et la femme], une psychologie des relations entre les sexes, un livre qui a été lu dans les commissions du Bundestag, quand il s’agissait de codifier les articles assurant l’égalité en droit de l’homme et de la femme. Dans une dédicace qui m’était adressée personnellement, dans la seconde édition de ce livre, en 1987, Sigrid Hunke a écrit : « Dans le mythe germanique, les deux versions confondues, il y avait à l’origine l’Homme et la Femme, non pas comme deux principes opposés, mais comme les deux facettes d’une unité, facettes qui ont émergé en même temps et pourvues toutes deux également par les dieux d’esprit, d’âme et de force vitale ».
Dans Le Soleil d’Allah brille sur l’Occident, paru en 1960, Sigrid Hunke s’est révélée comme une grande spécialiste de la culture arabe. Le livre a été traduit en sept langues. En 1974, Sigrid Hunke est nommée membre d’honneur du « Conseil Supérieur des Questions Islamiques », en tant que femme, qu’étrangère et que non-musulmane ! Dans l’hommage qu’il lui a rendu à l’occasion de ses 70 ans, Gerd-Klaus Kaltenbrunner l’a appelée « l’ambassadrice non officielle de la culture allemande dans les pays arabes ». Son enracinement religieux dans cette vraie religion de l’Europe, l’a conduite à réfléchir sur les origines les plus lointaines des cultures et des peuples de la Terre, à reconnaître leurs spécificités et à les respecter.
Sur la jaquette de son ouvrage Das Reich und das werdende Europa [= Le Reich et l’Europe en devenir], paru en 1965, qui m’a inspiré pour mes cours d’histoire, on pouvait lire : « … seule une Europe mérite nos efforts, sera durable et témoignera d’une vitalité culturelle : celle qui héritera des meilleures traditions, puisées dans la force morale la plus originelle et la plus spécifique, force toute entière contenue dans l’idée d’Empire et dans le principe de la chevalerie ; cet héritage essentiel devra être transposé dans la nouvelle construction politique… ».
Les livres de Sigrid Hunke
Les autres livres de Sigrid Hunke ont également été essentiel pour nous :
◊ Europas andere Religion – Die Überwindung der religiösen Krise (= L’autre religion de l’Europe. Le dépassement de la crise religieuse), 1969. Ce livre fondamental a été réédité in extenso en 1997 sous le titre de Europas eigene Religion (= La religion spécifique de l’Europe) chez l’éditeur Grabert. Il a connu aussi une édition de poche en 1981 : Europas eigene Religion – Der Glaube der Ketzer (= La religion spécifique de l’Europe – La foi des hérétiques) chez Bastei-Lübbe.
◊ En 1971 paraît Das Ende des Zwiespaltes – Zur Diagnose und Therapie einer kranken Gesellschaft (= La fin de la césure dualiste – Diagnostic et thérapie d’une société malade).
◊ En 1979, parution d’un autre ouvrage fondamental, toujours dans la même trajectoire : Glauben und Wissen. Die Einheit europäischer Religion und Naturwissenschaft (= Foi et savoir. L’unité de la religion européenne et des sciences naturelles).
◊ Chez Seewald en 1974 paraît un manifeste : Das nachkommunistische Manifest – Der dialektische Unitarismus als Alternative (= Le manifeste post-communiste – L’unitarisme dialectique comme alternative). L’“Association internationale des femmes-philosophes”, à laquelle appartenait Sigrid Hunke, a été fort enthousiasmé par la parution de ce manifeste et a demandé à l’auteur de le rendre plus accessible au grand public. L’association y voyait l’ébauche d’un monde futur.
◊ En 1986, Sigrid Hunke publie Tod, was ist dein Sinn ?, ouvrage sur le sens de la mort (cf. la recension de Bertrand Eeckhoudt, « Les religions et la mort », in : Vouloir, n°35/36, janv.-févr. 1987).
◊ En 1989, paraît Von Untergang des Abendlandes zum Aufgang Europas – Bewußtseinswandel und Zukunftsperspektiven (= Du déclin de l’Occident à l’avènement de l’Europe – Mutation de conscience et perspectives d’avenir). Sur la jaquette du livre, Sigrid Hunke est décrite comme un « Spengler positif », vu son inébranlable foi en l’avenir : « Dans un processus monstrueux de fusion et de recomposition, l’Occident chrétien est en train de périr inexorablement dans ses valeurs et ses structures, on aperçoit déjà partout, —entre les ruines et les résidus des vieilles structures dualistes, dangereusement hostiles les unes aux autres, se diffamant mutuellement,— poindre les nouveaux développements évolutifs d’une Europe future. Celle-ci reposera sur la loi essentielle d’unicité et d’holicité tapie originellement au fond de l’homo europaeus et se déployant dans tous les domaines humains et culturels. Ceux-ci reviendront à eux-mêmes et, grâce à un ancrage plus profond dans leur propre spécificité, s’élèveront puissamment à un niveau de culture supérieur ».
Les affirmations contenues dans ce livre, l’attitude positive de Sigrid Hunke, nous apparaissent comme un défi, comme un appel que nous avons le devoir de suivre.
Sigrid Hunke a reçu plusieurs prix et distinctions honorifiques pour ses travaux, dont la « Kant-Plakette » en 1981 et le « Prix Schiller du Peuple allemand » en 1985. Elle était aussi la Président de la « Communauté religieuse des Unitariens allemands ».
En tant qu’Unitariens, nous avons été renforcés dans nos convictions par la personnalité et l’œuvre de Sigrid Hunke. Surtout Europas eigene Religion / La vraie religion de l’Europe a été pour nous un guide permanent, un fil d’Ariane dans l’histoire spirituelle de notre continent. Pour nous, Sigrid Hunke demeurera inoubliable et immortelle.
Bernhard BÜHLER,
Au nom de la « Ligue des Unitariens allemands ».
(Hommage paru dans Glauben und Wirken, juillet-août 1999).00:35 Publié dans Biographie, Hommages, Philosophie, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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