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samedi, 12 janvier 2008

Du symbolisme du joug et des flèches

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Karlheinz WEISSMANN :

Du symbolisme du joug et des flèches

 

L’Espagne : pendant longtemps, elle fut l’exemple paradigmatique du passage tranquille de la dictature à la démocratie ; ses partis, si cruellement opposés les uns aux autres jadis, sont parvenus à un consensus tacite, n’ont pas cherché à réanimer les horreurs de la guerre civile. Il n’empêche que ce pays connaît, depuis quelques temps, une tentative de « réinterpréter le passé », correspondant à ce que nous avons connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale en pays allemands (la « Vergangenheitsbewältigung »).

 

Dans le cadre de cette « réinterprétation » générale de l’histoire espagnole contemporaine, les mesures prises, surtout celles qui revêtent un caractère politico-symbolique, jouent un rôle important ; ces mesures ne concernent pas seulement l’espace public  -on est en train d’enlever les dernières statues de Franco- mais aussi la sphère privée. Le Parlement espagnol vient de décider une loi qui pourrait obliger l’Eglise à enlever dans ses bâtiments tous les emblèmes qui, d’une manière ou d’une autre, rappelleraient le régime franquiste ou le camp des Nationaux pendant la guerre civile. Cette loi vise essentiellement le symbole de l’ancien parti porteur d’Etat, la Phalange, soit le symbole du joug et des flèches.

 

Le Joug et les Flèches étaient, à l’origine, des images chères à Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Ce couple, que l’histoire désigne sous le nom de « Rois catholiques », avait uni, par son mariage, ses terres éparses pour en faire le Royaume d’Espagne unifié. C’est pourquoi il a choisi justement le symbole du joug et des flèches, parce que les lettres initiales de ces deux mots correspondaient aux prénoms des époux : Isabelle arborait un ensemble de flèches (en espagnol « flechas », avec un « F » comme dans « Ferdinand ») et Ferdinand arborait un joug (en espagnol « yugo », avec un « Y » comme dans « Ysabella »).

 

Les deux symboles ont une histoire qui remonte à l’antiquité : le jeu de flèches symbolise l’unité, une unité qui s’appliquait parfaitement à la nouvelle Espagne d’Isabelle et de Ferdinand, tandis que le joug ne se référait nullement à la soumission ou à l’humilité, mais plutôt à leur contraire, soit au désir d’empire. Le joug du symbole espagnol se réfèrerait à l’histoire légendaire d’Alexandre le Grand qui aurait défait et libéré un char attaché à un joug et à un timon par le « nœud gordien », qu’il trancha d’un coup d’épée. Cette action eut lieu parce qu’un oracle avait promis que celui qui réussirait à trancher le nœud, conquerrait l’Orient. L’honneur de Ferdinand, après avoir chassé les Maures de Grenade et après avoir conféré à Colomb la mission de trouver une voie maritime vers les Indes, était de se poser comme un nouvel Alexandre et de soumettre l’Orient pour la gloire de l’Espagne et de la religion chrétienne.

 

Ferdinand et Isabelle placèrent toutefois le joug et les flèches à côté de l’aigle johannite, un aigle noir avec auréole, symbole de l’Evangéliste dans la Bible, portant sur son poitrail les armes de l’Etat espagnol. Après la mort du couple royal, l’emblème du joug et des flèches tomba rapidement en désuétude et ne fut redécouvert que par le nationalisme espagnol moderne, qui voulait renouer avec un passé glorieux et entendait illustrer cette volonté en exhumant des symboles quasiment oubliés.

 

D’abord, ce furent deux journalistes, Rafael Sanchez Masas et Gimenez Caballero, qui militèrent pour le retour de ce symbole ; ensuite, en 1931, le national-syndicaliste Ramiro Ledesma Ramos utilisa le joug et les flèches dans le titre de son hebdomadaire « La Conquista del Estado ». La même année, Ledesma Ramos fonda les « Juntas de Ofensiva Nacional Syndicalista », en abrégé les JONS, dont la symbolique utilisait les couleurs noire et rouge des anarcho-syndicalistes, en les complétant du joug et des flèches (en rouge sur un drap avec bandes noire et rouge), afin de se démarquer clairement de la symbolique des forces de gauche.

 

Les JONS s’unirent en 1934 à la Phalange fondée par José Antonio Primo de Rivera ; la nouvelle organisation, fruit de la fusion, utilisa immédiatement le joug et les flèches dans sa symbolique. La fusion entre Phalange et JONS avait un style nettement fasciste, ce qui, à l’époque, exerçait une réelle fascination sur la jeunesse espagnole. José Antonio fut arrêté dès mars 1936, puis, au début de la guerre civile, condamné à mort à la suite d’un procès spectacle et finalement fusillé en novembre. La Phalange était dès lors sans chef. Franco la fusionna avec les monarchistes. La nouvelle union s’appela la « Falange Espanola Tradicionalista y de la JONS », devint le parti monopole de l’Espagne franquiste. L’emblème du joug et des flèches fut conservé, car Franco aimait renouer, lui aussi, du moins symboliquement, avec le passé glorieux de l’Empire espagnol.

 

A dater du 20 août 1936, le joug et les flèches furent incorporés dans les armes de l’Etat et, comme au temps des Rois catholiques, placés à côté de l’aigle johannite. Mais leur subordination, sur le plan optique, dans ces nouvelles armes d’Etat, révèle d’une certaine manière l’absence d’influence réelle du phalangisme authentique sous le régime de Franco.

 

Karlheinz WEISSMANN.

(article paru dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit », n°45/2007, trad. Franç.: Robert Steuckers).

 

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Création de l'AFRICOM

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Johann F. BALVANY :

Etats-Unis : nouvel impérialisme en Afrique

Sans tenir compte, en apparence, ni des revers subis au Proche et au Moyen Orient ni des pertes croissantes en hommes et en matériel qu’exige l’exportation néo-conservatrice de « la liberté et de la démocratie » ni de l’anti-américanisme en pleine expansion, Washington a annoncé la création, le 30 septembre 2007, de l’ « American Africa Command » ou « AFRICOM ». Paul Wolfowitz, ancien planificateur zélé de la guerre en Irak et ex-chef de la Banque mondiale (qui a échoué si lamentablement dans ses fonctions), a déclaré sans détours : « Je ne pense pas que ce soit une bonne idée ».

L’AFRICOM est une unité d’un millier d’hommes placée sous le commandement d’un général à quatre étoiles, William « Kip » Ward, 58 ans : elle a pour mission de tenir le continent noir en main, selon les intérêts stratégiques, énergétiques et politiques des Etats-Unis. L’AFRICOM est donc mis sur pied au moment même où la Chine effectue, depuis un certain temps déjà, des achats considérables de matières premières dans la zone du Sahel et au Sud de celle-ci ; 600.000 « fourmis bleues » chinoises y résident déjà en tant que travailleurs hôtes des pays africains. La Chine a investi pour des milliards de dollars en Afrique, sans imposer aux Africains des conditions politiques comme le fait l’Occident pour aligner le continent sur des critères soi-disant « démocratiques ». Grâce à cette souplesse idéologique chinoise, le « staathouder » en Afrique d’Oussama Ben Laden, diplômé de la Sorbonne de Paris, Hassan Al Turabi, a pu conforter ses positions à Khartoum au Soudan. Depuis la capitale de l’ex-Soudan anglo-égyptien, il peut tranquillement prêcher et organiser la Djihad, la Guerre Sainte, contre l’Amérique & Co., notamment au Darfour. Le ministre autrichien de la défense, Norbert Darabos, entend envoyer dans le Tchad voisin, une centaine de soldat de notre armée fédérale (idem pour la Belgique : Flahaut voulait aussi y envoyer nos soldats). Pour tous ceux qui ont quelques connaissances de la région, c’est envoyer nos hommes dans un chaudron extrêmement dangereux où plus d’un risquent de revenir au pays en cercueil.

Depuis février 2007, le Général Ward, Afro-Américain d’origine, cherche un site pour y établir le quartier général de son AFRICOM. Mais sans succès jusqu’ici. Un seul des 53 Etats africains, en l’occurrence le Libéria, a accepté d’accueillir éventuellement les GIs. Quatorze autres, rassemblés au sein de la SADC (« South African Development Community »), ont annoncé qu’ils ne souhaitaient pas la présence de militaires américains sur leur sol et qu’ils imposeraient des sanctions à tout pays africain qui accueillerait les guerriers de Bush. Quant aux GIs qui sont stationnés dans la Corne de l’Afrique, à Bab El Mandeb (en arabe : « la Vallée des Larmes »), sur le territoire de Djibouti, ils vivent déjà fort dangereusement. La Somalie voisine vit un bain de sang permanent ; la CIA installée en Ethiopie tire les ficelles de ce jeu sordide, grâce à l’hospitalité que lui fournit Meles Zenawi, un Saddam Hussein africain qui fait de bonnes affaires avec Washington depuis Addis Abeba, exactement comme son malheureux homologue irakien jadis.

L’Ethiopien Zenawi règne à Addis Abeba sans être animé du moindre scrupule moral, à l’instar de l’OUA qui tient son quartier général dans la capitale abyssine. Pendant tout ce temps, le Pentagone recrute du personnel pour l’ « United States Africa Command ». Les recruteurs demandent évidemment du professionnalisme, de la créativité, promettent de nouvelles structures de commandement innovantes et modernes et surtout des salaires très élevés. Cette politique de recrutement est pratiquée dans le monde entier, notamment à partir de la grande base américaine de Stuttgart en Allemagne, depuis septembre dernier. L’AFRICOM a déjà dévoilé le site de son premier établissement : ce sera l’île de Sao Tomé dans le Golfe de Guinée, à côté de Principe, ex-île portugaise. Les Etats-Unis y construisent une formidable base de radar qui coûtera dix millions de dollars. Cette station contrôlera toutes les activités possibles et imaginables dans un vaste rayon, surtout la circulation maritime, car 25% des besoins pétroliers des Etats-Unis y transitent. Bientôt ce seront 35%.

En tenant compte des expériences d’autres régions du monde depuis l’établissement du régime néo-conservateur de Bush, l’Afrique du Sud s’est posée comme le porte-étendard de la résistance africaine contre les nouveaux appétits de l’Oncle Sam dans la région. Mosjuoa Lekota en a appelé à un boycott panafricain contre les tentatives de pénétration du continent noir par l’AFRICOM. Sa qualité de ministre des affaires étrangères sud-africain lui permet d’avertir les autres Etats du continent des conséquences mortelles qui pourraient s’ensuivre si les Africains n’écoutent pas son cri d’alarme. Au Maghreb, en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Libye, mais aussi en Afrique de l’Est et de l’Ouest, on craint que la présence de l’AFRICOM ne provoque des soulèvements et des guérillas islamistes, que les Etats locaux, trop pauvres, ne pourraient contenir. Qui plus est, les promesses, annoncées avec fracas, de l’UE et des Etats-Unis, d’apporter une aide économique accrue aux pays africains, se sont révélées finalement bien chiches. L’Europe bruxelloise et Washington ont donc tous deux une politique bien différente de celle de la Chine qui procède de manière bien plus discrète et plus efficace que l’Occident.

Il y a quelque 35 ans, un candidat américain du parti démocrate, George McGovern, avait déclaré dans un entretien accordé au « Wiener Kurier » autrichien, que l’Amérique n’avait aucun intérêt vital à aller défendre en Afrique, par la force des armes. Raison pour laquelle les Etats-Unis n’avaient rien fait à l’époque pour soulager leur allié portugais de l’OTAN et l’avait de facto laisser tomber, lorsqu’il combattait, avec peu de moyens, les rébellions d’Angola, du Mozambique et de Guinée Bissau, rébellions téléguidées pourtant par les Soviétiques. Tant et si bien que ce sont des régimes marionnettes du Kremlin qui s’étaient installés dans ces trois pays, ainsi que sur les îles de Sao Tomé et de Principe. En 1975, ces régions furent plongées dans des guerres civiles atroces, entraînant une pauvreté épouvantable dont les retombées se font ressentir jusque aujourd’hui. Les Etats-Unis n’ont rien fait à l’époque pour épargner à ces peuples africains une misère effroyable. Aujourd’hui, l’ennemi qu’ils déclarent combattre est l’islamisme et non plus le communisme, mais, comme ils ont aussi téléguidé des islamismes contre les communismes, il y a plutôt lieu de croire qu’ils ne combattent en fait ni l’un ni l’autre, téléguident à l’occasion et les uns et les autres, selon leurs propres intérêts, et visent plutôt la présence chinoise qui s’avère partout fort efficace et déploie énormément d’énergies (ndt : autre objectif : supplanter les Européens partout en Afrique, surtout les Français, en dépit des risettes à l’Oncle Sam que commet Sarközy à tour de bras).

L’AFRICOM réussira-t-il par son existence et sa présence en Afrique à améliorer la situation générale du continent noir, ou du moins à l’infléchir vers un peu plus de bien-être, ou, au contraire, ne s’installera-t-il là-basd que pour défendre les intérêts stratégiques et commerciaux des seuls Etats-Unis ? Quant à cette défense des intérêts américains, l’assurera-t-il avec toute l’efficacité voulue ? On peut en douter. Les sceptiques feront simplement allusion à la crise permanente qui affecte le Darfour et le plonge dans la catastrophe.

Johannes F. BALVANY.

(article paru dans le magazine autrichien « Aula », publié à Graz, novembre 2007 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

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