Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 15 février 2008

"Uranus" de notre aimable Aymé

624d3b0bd821d92758131d39586a059a.jpg

“Uranus” de notre aimable Aymé

Un metteur en scène français a adapté à l'écran le roman de Mar­cel Aymé, Uranus, qui fit l'effet d'une bombe quand il pa­rut, en 1948, en pleine dictature résistantialiste. Mais il est é­vident que M. Claude Berri, le cinéaste en question, n'a pas pu traduire en images "l'insoutenable" vérité.

Ce pavé iconoclaste doit figurer, dans toute bibliothèque bien constituée, à côté du Pauvre Bitos et des Fables d'A­nouilh, du Confort intellectuel de ce même Aymé, des Fran­çais de la décadence d'André Lavacourt... La lecture de tels bouquins nous console d'autres lectures accablantes.

Nous pouvons, à loisir, savourer cet Uranus  aux pages si ven­geresses, cette chronique impitoyable des lendemains de la "libération".  L'action  —c'est le cas de le dire—  se dé­roule à Blémont. Il s'agit d'une petite ville au nom imaginaire, mais aux mœurs bien réelles.

Seul l'aimable écrivain au masque de Buster Keaton pouvait écrire une telle œuvre. Ecrivain "dégagé" bien avant que le mot existât. Beaucoup plus goûté par la droite jeune et fron­deuse que par les religionnaires de gauche. Ami de Céline, de Brasillach et de Rebatet, mais néanmoins sans attache d'idéologie ni de parti (ses Billets de Marianne en fournissent l'illustration). L'homme vraiment libre, sans illusions sur ses congénères, ennemi du mensonge et de l'hypocrisie. Un vé­ri­table non-conformiste. Son Travelingue (paru en 1937) était déjà un tableau resté unique des ridicules, tant nationaux que progressistes, bourgeois que prolétariens, du front po­pu­laire.

“Je vais le dire au comité d'épuration…”

Mais revenons à Uranus, à ce sujet d'une terrible noirceur mais à la prose succulente. Nous sommes donc à Blémont. La petite ville tend l'échine sous la loi de quelques malfrats à mitraillettes et de la cellule communiste. L'ingénieur Archam­baud a obéi à un réflexe charitable en hébergeant Loin, le "collaborateur " traqué. Mais il se reprochera amèrement cet­te "idiotie". A la table familiale, il fait un massacre des préju­gés bourgeois, mais il opine aux sottises d'un nouveau col­lègue dont l'agitation syndicaliste, teintée de stalinisme à la mo­de, risque de détraquer leur usine. Les prolos ne s'élè­vent au-dessus de la plus haineuse jalousie que pour deve­nir des instruments aveugles du "Parti". Lequel PC s'entend fort bien avec Monglat, le trafiquant milliardaire, seul pro­fi­teur des malheurs de la Patrie, morne canaille prête à n'im­porte quelle ignominie pour sauver sa fortune.

A Blémont —comme ailleurs— tout n'est que dénonciations en­tre gens qui voisinent et se tutoient depuis l'enfance, bas­ses­ses, lâchetés, sournois sadisme: "Je vais le dire au Co­mi­té d'épuration". Les mouchards prospèrent, en véritables "pa­triotes".

Loin, l'infortuné, aurait pu être blanchi, avec l'assentiment pu­blic s'il eût été riche, bien installé dans l'échelle sociale. Ou, à la rigueur, s'il eût fait acte de contrition. "Mais ce n'é­tait en somme qu'un petit employé, un de ces hommes de peu dont le supplice et l'ignominie procurent presque autant de plaisir aux bourgeois qu'aux prolétaires. Qu'une action d'en haut s'exerçat en sa faveur, il y avait là de quoi choquer et décevoir ses concitoyens. Les gosses eux-mêmes sont con­taminés par la cruauté et la bêtise ambiantes.

Il n'est que deux personnages pour racheter cette tourbe: Wa­trin, le professeur de math, et Léopold, l'une des plus étonnantes créations de Marcel Aymé, cabaretier herculéen, à crâne de brute, aviné, et que Racine émeut aux larmes, le suprême représentant de la poésie à Blémont. Mais Léopold, pur de tout méfait, respecté d'abord pour sa force énorme, sera abattu comme un criminel par les gendarmes, rouages stupides des machinations de Monglat. Mais Watrin, que tou­tes les formes de la vie émerveillent, en comparaison a­vec Uranus, l'astre mort, n'est qu'un rêveur, l'impuissant spec­ta­teur de la férocité humaine. Il n'y manque qu'un cu­re­ton bolchévisant pour que le panorama de la France, en 1945, soit complet avec tout son personnel.

Le chapitre le plus terrifiant d'Uranus, est celui du retour des soldats prisonniers. La population entière est allée les ac­cueil­lir à la gare, sous-préfet, municipalité et clergé en tête. Les F.F.I. rendent les honneurs. Garde-à-vous, Marseillaise, dis­cours. Mais cinq civils, posément, écartent le service d'ordre. Ils s'avancent vers les prisonniers libérés, se sai­sissent  de l'un d'eux, le jettent à terre et le rouent de coups de poings et de pieds. Ce sont des F.T.P. qui tabassent et "pu­nissent" un ancien pétainiste du Stalag. Cependant la foule, la police restent inertes, de même que les camarades de la victime ensanglantée. Et, tandis que les exécuteurs s'a­charnent, le maire, décidé à ne rien voir, poursuit son dis­cours: «Votre sacrifice, votre admirable résistance morale... la grandeur de la France... Une France jeune, ardente, gui­dée par une élite dont l'intelligence, la hauteur de vues et l'hu­manité font l'admiration du monde entier...». Et Watrin, le seul qui ose se porter au secours du blessé  —le médecin n'a pas bougé— est embarqué par la flicaille.

Cercle Prométhée.

 

00:35 Publié dans Littérature, Livre | Lien permanent | Commentaires (4) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Bonjour. Je possède dans ma bibliothèque _Les Français de la décadence_ d'André Lavacourt, parce que je l'ai un jour trouvé à 1,5 € dans une bouquinerie et que le titre m'a attiré. Toutefois j'hésite à me lancer dans la lecture de ce pavé (tant d'autres lectures m'appellent...), car j'ai du mal à le cerner a priori. S'agit-il d'une anticipation non-scientifique, un peu comme _Le Camp des saints_ de J. Raspail ? Peut-on dire qu'il s'agit d'une uchronie ? (des personnages réels et bien connus, vieillis d'une quinzaine d'années par rapport à la date d'écriture, apparaissent-ils ?) Le fait que l'auteur n'ait semble-t-il rien publié d'autre, et qu'il ne soit jamais fait mention de lui dans les divers manuels de littérature contemporaine que j'ai pu consulter (même Boisdeffre, dont l'index est pourtant assez fourni), n'aide pas à se faire une idée. Certes, le fait qu'il soit publié par Gallimard plaide plutôt en sa faveur, mais ce n'est pas une preuve absolue, car Gallimard a bien dû publier quelques daubes comme tout le monde...
Puisque vous semblez faire partie de la minuscule poignée de gens qui l'ont lu, pourriez-vous s'il vous plaît me présenter sommairement ce livre et me dire pourquoi vous lui réservez une place dans "toute bibliothèque bien constituée" ? Une note de lecture sur ce livre peu connu serait bien venue et resterait sans doute un bon moment sans concurrence sur la Toile...
Merci d'avance. Bien cordialement.

Écrit par : panetius | lundi, 24 novembre 2008

Bonjour
Suite à un article sur gonzai je découvre l'existence de ce livre. Voudriez-vous le prêter? il m'intrigue...
Merci
Cordialement

Écrit par : Hanin | mardi, 02 février 2010

Désolé mais il n'est pas question que je prête un des mes livres à un inconnu ! Déjà que je dois me faire prier pour en prêter à des amis... En plus, il n'est pas facile à trouver et même pas en vente sur Price Minister. Pas impossible à trouver cependant : j'ai bien dû le voir 3 ou 4 fois dans ma carrière de fureteur de bouquinistes. C'est sans doute chez Boulinier (bd Saint-Michel) que j'ai fini par le prendre, à 1,5 €.
Merci en tout cas de m'avoir signalé cet article : http://www.gonzai.com/content/andr%C3%A9-lavacourt-les-fran%C3%A7ais-de-la-d%C3%A9cadence
J'ai aussi repéré celui-ci : http://www.ruefromentin.com/blog/le-mystere-lavacourt
C'est décidé, je vais l'inscrire à mon programme de lectures !

Cordialement.

Écrit par : Panetius | mercredi, 03 février 2010

Bonjour,

l'auteur de cet article serait-il vendeur du livre Les Français de la décadence? Merci

Écrit par : Alphonse | samedi, 10 mars 2012

Les commentaires sont fermés.