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samedi, 01 mars 2008

Réflexions flamandes et amères sur le Kosovo

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Prof. Dr. Koenraad ELST :

Réflexions flamandes et amères sur le Kosovo

Deux pays se représentent sous la forme d’une carte sur leur drapeau, comme s’ils voulaient dire : « Pas un pouce de territoire ne nous sera jamais arraché ! ». Or Chypre n’exerce même pas sa souveraineté sur l’ensemble du territoire représenté sur son drapeau car un tiers de celui-ci forme officieusement un Etat à part, la « République Turque de Chypre du Nord ». Et maintenant nous avons le Kosovo, dont le drapeau tente d’imiter celui de l’UE : effectivement, il est bleu, présente une série d’étoiles qui ne sont pas jaunes mais blanches ; le jaune ne sert qu’à colorer la tache apparemment informelle qui représente les contours du pays et qui a été placée au centre du nouveau drapeau. Si les Serbes avaient eu quelque jugeote, le Kosovo n’aurait jamais eu ces frontières-là ou auraient dû céder rapidement du terrain.

Un bon nombre de militants nationalistes flamands se réjouissent du séparatisme kosovar anti-serbe. Ce que vient de faire le « Kosova » (graphie albanaise), il y a quelques jours, la Flandre le fera demain, pensent-ils. Bien. Qu’ils essaient d’abord d’expliquer aux belgicistes que cette indépendance autoproclamée du Kosovo a valeur de précédent, en même temps que leurs amis basques ou bretons, représentants d’autres nationalismes impuissants. Il vaut mieux qu’ils ne se fassent pas d’illusions : les forces qui ont œuvré à la fragmentation du territoire de l’ex-Yougoslavie ne favoriseront pas l’éclosion prochaine de l’Etat flamand.

Ceux qui se proclament « nationalistes » doivent comprendre clairement que les Etats-Unis et les quelques institutions internationales, qui ont soutenu l’indépendantisme kosovar, l’ont fait pour punir la Serbie, soupçonnée de développer un nationalisme inacceptable. Dans son discours, lors du cérémonial de l’indépendance, le Président kosovar Hashim Thaçi a décrit son Etat nouveau-né comme « multiculturel et tolérant ». Pour moi, c’est comme l’écho du discours que prononça jadis Mohammed Ali Jinnah lors de l’indépendance du Pakistan, Etat né du refus des musulmans de l’ancien Empire britannique des Indes de vivre en minorité dans un Etat séculier multiculturel, mais à majorité hindoue. Tandis que tous les non musulmans vivant à l’époque sur le sol du futur Pakistan furent chassés ou assassinés par millions, Jinnah déclarait benoîtement que dans son Etat fondé sur l’identité religieuse des musulmans, l’identité religieuse n’aurait plus aucune importance.

Jinnah n’a pas eu à rendre de comptes pour ces mensonges éhontés car il se plaçait simultanément sur la même longueur d’onde que les Britanniques et les Américains qui voulaient avoir, dans la région, une base territoriale importante pour observer, espionner, encercler et endiguer l’URSS et la Chine. Thaçi surfe sur le même type de vague : il offre l’hospitalité à une grande base américaine. Le Président serbe Voyeslav Kostunica ne donne pas l’hospitalité aux soldats américains ; il ne veut rien entendre d’une telle politique et, comme le dit notre proverbe, « qui ne veut rien entendre, doit sentir ». L’indépendance du Kosovo n’est pas davantage une victoire pour le droit des peuples à l’autodétermination : il est plus juste de dire que c’est une punition qu’inflige le nouvel ordre mondial à un pays qui est campé comme un bastion têtu du nationalisme.

Brutalité américaine

Qu’on se souvienne comment le Général américain Wesley Clark justifiait en 1999 les bombardements contre la Serbie : il disait que les Etats mono-ethniques ne pouvaient plus être tolérés sur la surface de la planète. C’était de la brutalité à l’état pur, de la brutalité pour justifier ses propres positions, de la brutalité basée sur le mensonge. En fait, la Serbie, dans son intégrité territoriale avant la sécession du Kosovo, était un Etat multi-ethnique ; et c’est justement la Serbie démembrée actuelle, à la suite des actions musclées de ce Clark, qui est devenue, par la force des choses et à son corps défendant, un de ces Etats mono-ethniques, auxquels les Etats-Unis dénient désormais tout droit à l’existence. Thaçi et la constitution du Kosovo font certes quelques maigres concessions à ce discours multiculturel pour plaire à leurs « sponsors » internationaux mais, en pratique, le Kosovo est devenu aujourd’hui un bel exemple d’Etat mono-ethnique, qui ne « devrait plus être toléré ».

Les braves militants nationalistes flamands pourront au moins apprendre une leçon : avoir raison n’aide en rien pour obtenir raison de la part de ceux qui tirent les ficelles dans le monde. Les Serbes ont été précipités dans la spirale de l’humiliation et de la défaite parce qu’ils avaient contre eux les faiseurs de l’opinion dominante. Pour les Flamands, ce sera la même chose. Exemple : un magazine en papier glacé destinés aux étrangers qui vivent à Bruxelles titrait en grandes lettres : « Francophones’ moving stories » (cf. « Together », janv.-fév. 2008). Cette anthologie d’ « histoires émouvantes » était faite de témoignages formulés de façon à briser mêmes les cœurs de granit, où de malheureux francophones se présentaient comme opprimés, prêts à prendre la fuite. Elle était accompagnée d’une photo, dont le fond était un ciel vespéral et menaçant et l’avant-plan un entrelacs de barbelés, avec une pancarte : « Flemish Region hostility towards the Francophone majority has grown » (L’hostilité de la Région Flamande à l’endroit de la majorité francophone a augmenté). Dans le landerneau belgo-belge, ce type de mise en scène correspond à la préparation de toute cette propagande ridicule de 1999, où l’on parlait d’un quart de million d’Albanais « génocidés », pour justifier les bombardements de l’OTAN contre la Serbie. Or le dossier de « Together » constitue une littérature servie aux eurocrates et aux otanocrates de Bruxelles pour expliquer les tenants et aboutissants du combat flamand. C’est avec ce type d’exagérations et d’idioties que ces fonctionnaires se forgeront une opinion sur la Flandre lorsqu’ils devront prendre position en cas de dislocation de la Belgique. Les politicards flamands, tous partis confondus, seront-ils plus avisés que Kostunica pour neutraliser les effets pervers de cette propagande haineuse ? On peut sérieusement en douter.

La politique du fait accompli

« Vive le Kosova » ? Les militants nationalistes flamands feraient bien de se rendre compte que le Kosovo ressemble plus à la Belgique qu’à la Flandre (potentiellement indépendante). D’abord, paraphrasons Jules Destrée : « Sire, il n’y a pas de Kosovars ! ». Ceux qui, bêtement ou malicieusement, parlent de « Serbes » et de « Kosovars », veulent dire, en fait, « Serbes du Kosovo » et « Albanais du Kosovo ». Remarquons, à ce propos, que la marée de drapeaux exhibés lors du discours de Thaçi sur l’indépendance, n’était pas une marée de ce nouvel emblème bleu et eurocratoïde, avec ses étoiles et sa carte stylisée, mais une marée de drapeaux rouges frappés de l’aigle bicéphale albanais. Exactement comme les séparatistes belges de 1830 brandissaient des drapeaux français et souhaitaient se rattacher à la France, les séparatistes albanais d’aujourd’hui veulent se rattacher à l’Albanie.

Le nom de « Kosova » est la prononciation albanaise de terme slave « Kosovo ». Les nationalistes flamands solidaires du Kosovo privilégient depuis de nombreuses années cette graphie albanaise. Exactement comme les sectaires du FDF parlent de « Rhode-Saint-Genèse ». Exactement comme les Francophones ont conquis la périphérie de Bruxelles par subversion démographique (« Unterwanderung »), les Albanais ont mis la main sur la Kosovo en créant une situation du fait démographique accompli. Exactement comme la communauté internationale nie abruptement les revendications serbes sur le Kosovo, même dans les enclaves qui ne sont peuplées que de Serbes, les revendications et les implorations des Flamands seront balayées d’un revers de la main par cette même communauté internationale, en cas de disparition de la Belgique. La Flandre, qui se flatte d’avoir une « propre » politique étrangère, a raté une belle occasion de se distinguer en proposant un compromis raisonnable, notamment la scission du Kosovo entre enclaves serbes et enclaves albanaises, sur base ethno-linguistique. Nos politicards avaient-ils la trouille qu’une telle suggestion aurait bien davantage préfiguré la séparation de la Belgique, bien plus que la sécession kosovar avec le maintien des frontières absurdes du nouvel Etat ?

Aujourd’hui, nous assistons aux protestations poignantes mais impuissantes des Serbes contre l’inéluctable vol de territoire qu’ils subissent. Mais qu’ont-ils fait au cours de ces dernières années quand les Albanais, avec la complicité des Américains, de l’OTAN et de l’UE, préparaient leur sécession ? Et que font les Flamands maintenant que les francophones consolident sans relâche leurs positions démographiques dans la périphérie et suggèrent la récupération, en leur faveur, de territoires que l’on croyait en Flandre non cessibles depuis l’établissement de la frontière linguistique ? L’histoire ne sera pas tendre pour les peuples qui n’auront pas hiérarchisé convenablement leurs priorités.

Koenraad ELST.

(article paru dans « ‘ t Pallieterke », 27 février 2008).

00:08 Publié dans Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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