samedi, 14 juin 2008
Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié
Les châteaux en Espagne de Rémi Soulié
Entretien
A quelques jours de la parution de son nouvel essai, Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France, aux éditions du Bon Albert, Rémi Soulié a accepté de nous entretenir de son précédent ouvrage, publié chez L'Age d'Homme, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux
«De Roux a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire»
Pourquoi, aujourd'hui, écrire sur Dominique de Roux? Son nom, qui reste sulfureux (on se souvient du mot: «A force d'être traité de fasciste, j'ai envie de me présenter ainsi: moi, Dominique de Roux, déjà pendu à Nuremberg»), n'a laissé aucun chef-d'œuvre impérissable. Ses livres sont pour la plupart des collages d'idées anarchiques, anarchiquement assemblées pour former une pâte de textes indigestes jetée sans autre souci à la figure d'un lecteur qui n'est pas habitué à être reçu ainsi. Mis à part une poignée d'irréguliers, personne ne le réclame. Seuls quelques éditeurs hors du sérail ont relevé le pari de publier les fulgurances et les formules bancales de ce styliste épileptique, qui se voulut tour à tour et en même temps géométaphysicien, poète dissident du monde, impérialiste pacifique infiltré à la solde d'une Internationale révolutionnaire gaulliste qui n'exista jamais ailleurs que dans son esprit enfiévré. Sa vie brusquement écourtée ressemble à l'image finale de ce film de Werner Herzog, Aguirre, où l'on voit Klaus Kinski dériver seul sur un radeau au milieu dune multitude de petits singes jaunes à têtes noires, debout dans son armure rouillée de conquistador renégat, défiant Dieu, le regard halluciné, dévoré par son rêve d'empire d'au-delà de la jungle amazonienne, avec la caméra qui s'éloigne. Pourquoi en effet, quand on s'appelle Rémi Soulié, écrire une biographie de Dominique de Roux, sinon pour tout ce qui vient d'être dit ?
Dès la première page des Châteaux de glace le ton est donné: «Rêvons un peu à une France vomissant ses tièdes et ses mous! Plus de sociaux-démocrates ni de démocrates-chrétiens, plus de libéraux sociaux ni de sociaux libéraux! La politique enfin restaurée en mystique par quelques royalistes, des gaullistes métaphysiques aussi et des révolutionnaires intacts à la Fajardie! "Heureux comme Dieu en France", cette neuvième béatitude sortirait de la morgue où la science épigraphique congèle les anciennes sentences!» Soulié, maurrassien c'est sûr, n'aime pas son époque, aux songes creux et à la bouche pleine de gargouillis («droits de l'homme», «citoyenneté», «démocratie»...), et encore moins sa littérature. La gauche, hier insurgée, s'abîme dans la social-démocratie. La droite a trahi de Gaulle —c'était quand? Les écrivains se regardent le nombril et les éditeurs jouent les barbouzes. Lui voudrait un écrivain qui soit à la fois un idéologue et un aventurier, de droite et un peu à gauche, un militant et un esthète, Lawrence et Rimbaud, Monfreid et Malraux. Sa rencontre avec de Roux était fatale.
Ecrire une biographie c'est aussi, c'est surtout, écrire sur soi-même, retracer les étapes d'une vie étrangère pour mieux comprendre son propre cheminement intérieur. Rémi Soulié a donc mis ses pas dans ceux du Don Quichotte aveyronnais, ce qui nous vaut de jolis passages, rencontré des témoins, nourri une abondante correspondance avec ses proches. Son livre est riche de citations, et dans sa relation intime avec de Roux, il lui parle autant qu'il nous parle de lui. Raison pour laquelle Soulié ne craint pas de se montrer par endroit hermétique, voire ésotérique.
De Roux, la littérature et la droite. C'eût été un parfait sous-titre si Rémi Soulié avait jugé bon d'en ajouter un. Encore faut-il, avec un aussi subtil dialecticien, s'entendre sur les mots. De quelle droite parlons-nous ? En politique, de Roux honnissait le nationalisme et la propriété privée. En France, ce voyageur infatigable se considérait en territoire ennemi. Côté littérature, de Roux méprisait les hussards, qu'il qualifiait dédaigneusement de «chevaux-légers de la bourgeoisie». La Droite selon Dominique de Roux, Droite avec un grand "D" (comme Evola l'écrivait du reste, et Soulié ne manque pas de faire le lien), est partout où domine le tragique, donc le sens du sacré, dans la marche de l'Histoire. Héroïsme et folie sont valeurs de droite, qui définissent en littérature le Grand Art. Sont de droite Claudel, Heidegger, Gombrowicz, Lawrence, Jünger, Benn, Céline, Artaud, Biely, Blanchot, Cummings, Pound, Genet, Nizan, Yeats, Joyce, Ungaretti, Gadda, Michaux. Une droite reconnue par lui seul, qu'il réinvente et redessine au gré de ses illuminations.
«Je soupçonne Dominique de Roux d'avoir lâché la corde avant terme pour ne pas assister à l'ultime désastre. Prophète comme il l'était, il aura préféré la vision béatifique à la société du spectacle.» Certains doutent de sa mort et préfèrent croire qu'il dort, roi du monde pétrifié dans la roche, sous un glacier, attendant son heure. D'autres pencheraient plutôt pour un repli stratégique dans une faille tellurique, quelque part entre Thulé et l'île de Pâques. Plus disert, Rémi Soulié conclut par l'impérieuse nécessité de sa relecture. «Dominique de Roux (...) desperado sudiste digne de notre piété.»
Entretien.
Q: Rémi Soulié, on sort de votre essai, Les Châteaux de glace de Dominique de Roux, converti. Il émane de chacune de ses pages une attraction mystérieuse que j'attribuerai autant aux révélations que vous nous apportez sur ce personnage extraordinaire que fut Dominique de Roux qu'à l'inexplicable envoûtement de votre style, touché par une sorte de grâce qui le transfigure. Parfois, je me suis surpris à lire des paragraphes pour leur seule poésie, incapable «au réveil» de me souvenir de ce qu'ils disaient. Ce livre est celui d'un mystique. Au reste, son titre est déjà porteur d'un sens initiatique, comme s'il fallait entrer dans son œuvre comme on part en pèlerinage.
Rémi Soulié: Dans Immédiatement, Dominique de Roux évoque sa grand-mère et son «château de glaces». J'ai donc choisi ce titre parce que c'était une formule de Dominique de Roux lui-même, quelle renvoyait métaphoriquement à une demeure familiale —et je me suis attaché à montrer ce que de Roux devait aux vacances passées en Aveyron, pendant son enfance— mais aussi parce que le château et la glace sont lourds de sens: ils évoquent à la fois l'enracinement profond, aristocratique, dans l'histoire de France, dans l'ancienne France, un «palais des glaces» où se réfléchissent une image de soi fragmentée, une identité plurielle, et, enfin, la mort. Dominique de Roux était hanté par la mort. Etait-ce pressentiment d'une fin prématurée, tropisme romantique ? Sans doute les deux à la fois, et sans doute plus encore.
Q.: Dominique de Roux écrivain révolutionnaire -écrivain ET révolutionnaire, il ne viendrait plus aujourd'hui à l'idée de personne d'en douter. Mais dans quel camp était-il ? Droite-gauche-gaulliste-anar de droite ?
R.S.: Certainement pas révolutionnaire de gauche. Cela n'aurait aucun sens. Son intérêt pour la Chine de Mao était esthétique, poétique —en ceci, il n'est pas très éloigné de Sollers, mutatis mutandis. Révolutionnaire de droite supposerait de sa part une adhésion doctrinale à un système particulier également, or, même si l'on trouve dans son œuvre, surtout dans le Contre Servan-Schreiber, un jeu intellectuel sur le lexique maurrassien, Dominique de Roux ne saurait être réductible à une seule pensée politique. Il fut un homme d'action, certes, au service de la France gaullienne, en Angola, mais son gaullisme était mystique, non politique, selon la distinction de Péguy. Je vois en de Roux un poète de l'action, comme le colonel Lawrence ou Mishima. Il était attaché, sans doute, à une «certaine idée de la France», mais à une idée poétique, littéraire. Son anticommunisme, néanmoins, est évident. La catégorie d'anar de droite, si intéressante soit-elle, François Richard la bien montré, est un peu un fourre-tout. On y «case» les irréductibles, ceux qui sont allergiques aux conneries puritaines de la bigoterie contemporaine et éternelle, à la figure increvable du «bourgeois», celle que Baudelaire, Flaubert, Bloy, Barbey ont décrit. Un Dictionnaire des idées reçues serait d'ailleurs impubliable de nos jours. Les hérauts socialistes et éminemment bourgeois de la liberté nous en empêcheraient. De Roux, en définitive, était bien révolutionnaire, parce que c'était un écrivain, et que tous les écrivains dignes de ce nom le sont. Pound, Borgès, Jouve, Céline, Gombrowicz, c'est aussi lui, c'est souvent d'abord lui.
Q.: Dominique de Roux nous a quitté il y a un quart de siècle. Selon vous, qui le connaissiez bien, qui peut prétendre aujourd'hui avoir pris sa place ? Ce qui m'amène à vous poser une deuxième question: quel apport à la littérature française fut le sien ?
R.S.: Personne n'a pris sa place, car personne ne prend jamais la place d'un écrivain —surtout un autre écrivain. Dominique de Roux a néanmoins des admirateurs, par exemple certains jeunes collaborateurs de la revue Immédiatement, placée sous son patronage. Marc-Edouard Nabe est un excellent connaisseur de de Roux. De Roux a marqué l'histoire littéraire française, comme écrivain et comme éditeur. Les Dossiers H de L'Age d'Homme, dirigés par Jacqueline de Roux, sa femme, n'existeraient pas sans les Cahiers de l'Herne. Les auteurs dont je parlais précédemment sont entrés dans notre bibliothèque grâce à lui. Il a renouvelé notre façon de lire. Là encore, c'est révolutionnaire.
Q.: Au fond, que représente-t-il pour vous ?
R.S.: C'est un intercesseur, pour reprendre le mot de Barrès. Il donne des leçons de style, de courage, de vitesse, de passion, d'absolu, de colère; de Roux est un esprit libre, un homme seul qui a suivi sa vocation. C'est un «littéraire intégral», un homme pour qui la littérature était une vision du monde.
Q.: Le romancier Dominique de Roux m'a toujours intrigué...
R.S.: Quoi qu'il écrive, Dominique de Roux était un styliste doué, d'emblée maître de son écriture et de son univers. Il est donc difficile, et sans doute réducteur, de compartimenter son œuvre. Plus que pour d'autres écrivains, la question du genre, à mon avis, ne se pose pas vraiment chez lui. Je suis sensible à tous ses «romans» de Mademoiselle Anicet au Cinquième Empire en passant par Harmonika-Zug et Maison jaune. Avec Mademoiselle Anicet, il a montré qu'il pouvait écrire, très jeune, un roman de facture classique, «à la française», comme Une curieuse solitude de Sollers, avec lequel un parallèle s'impose à nouveau; à l'autre bout de l'œuvre, Le Cinquième Empire se lit comme un poème, lui aussi parfaitement maîtrisé. La beauté du Portugal éternel, mythique, celui du Roi caché, transparaît dans l'évocation dune situation exceptionnelle de crise. L'écriture de Dominique de Roux est limpide, et il a assimilé Rimbaud.
Q.: Avant de lire Les Châteaux de glace votre nom m'était inconnu. Force est de constater que votre livre se montre d'une grande discrétion à ce sujet. Rien ne filtre, ni sur vous ni sur vos antécédents. Quelques mots de votre part seraient les bienvenus à présent.
R.S.: J'ai trente-deux ans. Avant ce Dominique de Roux, j'ai publié un traité sur la promenade (*); j'avais alors une activité d'enseignant-chercheur en littérature française, à l'Université de Toulouse. J'ai collaboré à différentes revues, publié plusieurs articles, universitaires ou non.
Q.: Et quels sont vos projets désormais ?
R.S.: Je corrige en ce moment les épreuves d'un essai sur Aragon, à paraître en janvier 2001 aux Editions du Bon Albert: Le vrai-mentir d'Aragon, Aragon et la France. J'espère également publier dans les mois à venir une étude sur Jean Boudou, immense écrivain occitan, traduit en français, qui est l'égal de Jean Genet ou Mishima, pas moins! Je me suis attaché à le lire avec les lunettes de Freud et de Lacan —une écriture de la perversion, en bordure de la psychose. Je n'ai pas la religion de la psychanalyse, loin s'en faut, mais pour qui sait lire, surtout l'œuvre de Lacan, l'éclairage analytique, philosophiquement, est passionnant. Je publie en janvier 2001 une nouvelle, dans un recueil collectif, aux côtés de Georges-Olivier Châteaureynaud, Homeric, Victor Martin, Marie-Hélène Lafon et Denitza Bantcheva.
(propos recueillis par Laurent SCHANG).
(*) De la promenade, Editions du Bon Albert, 1997.
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