mardi, 22 septembre 2009
La nouvellestratégie de diversion d'Ankara dans le Caucase
Bernhard TOMASCHITZ:
La nouvelle stratégie de diversion d’Ankara dans le Caucase
Le dégel entre la Turquie et l’Arménie profite à l’Azerbaïdjan et aux Etats-Unis
Si les relations turco-arméniennes se normalisent, l’Arménie pourrait abandonner le lien étroit qui la lie à la Russie et devenir un vassal de plus des Etats-Unis dans le Caucase du Sud
La Turquie et l’Arménie sont récemment convenues d’entamer des négociations en vue d’établir des relations diplomatiques. Dans les deux mois à venir, les négociateurs prévoient d’ouvrir les frontières entre les deux pays voisins. Le rapprochement entre Ankara et Erivan a eu lieu suite à une médiation suisse. Reste à savoir si les rapports entre Turcs et Arméniens se normaliseront et si l’affrontement entre les deux nations, qui dure depuis près de cent ans, s’aplanira. L’avenir devra le prouver.
Lors des négociations prochaines, on soulèvera immanquablement la question du génocide perpétré par l’Empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale contre les Arméniens chrétiens, massacres qui ont fait près d’un million et demi de morts. Cette question ne jouera cependant qu’un rôle subalterne dans les négociations. Elle sera traitée par une commission composée d’historiens issus des deux pays. Le principal point à l’ordre du jour sera la question du Haut Karabakh. Depuis 1993, les Arméniens occupent en effet cette région montagneuse, ainsi que sept provinces azerbaïdjanaises limitrophes. Le Haut Karabakh est peuplé d’Arméniens ethniques mais appartient à l’Azerbaïdjan selon le droit international. A cette époque, les Turcs et les Azéris avaient fermé leurs frontières avec l’Arménie, ce qui avait entraîné des conséquences désastreuses pour l’économie arménienne. Les liens sont étroits entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, car les Azéris sont un peuple turc (turcophone) et musulman; sur les plans ethnique et linguistique, les Azéris sont donc proches parents des Turcs. C’est pourquoi la Turquie exige de l’Arménie qu’elle retire ses troupes présentes sur le sol de l’Azerbaïdjan.
Ankara tente de tuer deux mouches d’un seul coup de savate en entamant des négociations avec Erivan pour renouer des relations diplomatiques; d’une part, les Turcs entendent recevoir quelques “bonnes notes” de Bruxelles avant de réentamer des pourparlers en vue d’une adhésion à l’UE; Ankara bénéficierait alors de préjugés plus favorables à son adhésion dans le prochain rapport que la Commission rédige, à intervalles réguliers, sur ses “progrès”, car, quoi qu’il en soit, la petite puissance d’Asie Mineure a, ces temps-ci, accumulé bon nombre de “mauvaises notes”. La calcul des Turcs s’avère néanmoins porteur: “Ces accords contribueront à la paix et à la stabilité dans le Caucase méridional”, ont déclaré la Commissaire des Affaires étrangères de l’UE, Benita Ferrero-Waldner et le Commissaire à l’élargissement, Olli Rehn. D’autre part, Ankara cherche à mettre un terme à l’occupation arménienne de portions importantes du territoire azéri. “La Turquie continuera à soutenir l’Azerbaïdjan dans la question du Haut Karabakh” vient d’affirmer David Chaanatsarine du “Congrès National Arménien”, un parti d’opposition, suite aux questions que lui posaient des journalistes du quotidien turc “Hürrriyet”. Cette affirmation de Chaanatsarine correspond parfaitement avec celles de voix officielles turques. “La Turquie n’entreprendra jamais rien qui puisse nuire à ses frères d’Azerbaïdjan”, avait dit le ministre turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu aux questions posées par la chaîne de télévision NTV. Finalement, avait-il ajouté, “rien n’est plus important que l’amitié turco-azérie”.
L’objectif officiel d’Ankara, comme l’a annoncé le ministre des affaires étrangères Davutoglu, est de procurer à la Turquie “un environnement stable le long de ses frontières”. Mieux: en négociant afin de mettre un terme à l’occupation arménienne du Haut Karabakh et des provinces limitrophes, Ankara cherche à renforcer l’Azerbaïdjan et, ainsi, à se profiler comme une puissance régionale efficace au Moyen Orient. En effet, si l’Arménie est neutralisée, il naîtra de facto un “bloc turc(ophone)” plus riche et plus solide du Bosphore à la Caspienne, région où se trouvent d’énormes gisements de pétrole et de gaz. De cette façon, Ankara pourra mettre encore plus de pression sur l’UE et se positionner comme un espace de transit sûr et incontournable pour les énergies fossiles. Ankara veut acquérir une position telle que son adhésion finira par être complètement acceptable. En 2003, on a rendu opérationnel l’oléoduc BTC (Bakou-Tiflis-Ceyhan), qui part d’Azerbaïdjan, traverse la Géorgie et aboutit en Turquie. De même, cette année-là, on a inauguré le gazoduc BTE (Bakou-Tiflis-Erzouroum). Ce gazoduc et cet oléoduc ont été réalisés avec une participation financière très importante des Etats-Unis, dans le but d’éviter les territoires de la Russie et de l’Iran.
Les Américains se félicitent bien entendu des négociations entre Ankara et Erivan. Si les rapports entre la Turquie et l’Arménie se normalisent, alors Moscou perdra son seul allié dans le Caucase du Sud. L’Arménie entretient certes de bons rapports avec les Etats-Unis et a même envoyé des soldats en Afghanistan mais la Russie reste, pour les Arméniens, la puissance protectrice. Ce n’est qu’avec l’appui de Moscou que l’Arménie, petit pays d’à peine 3,5 millions d’habitants, a pu infliger à son voisin azéri, qui compte, lui, 8 millions d’habitants, une défaite militaire retentissante. L’influence économique de la Russie est également importante: ce sont en effet des entreprises d’Etat russes qui possèdent les plus grandes usines hydrauliques arméniennes et la centrale nucléaire de Metsamor; cette dernière est le principal fournisseur d’énergie du pays (40% de l’énergie consommée). Si les relations se normalisent avec la Turquie, membre de l’OTAN, les rapports entre Erivan et Moscou pourraient bien se rafraîchir. Car les Etats-Unis se montrent particulièrement généreux quand il s’agit de limiter et de refouler l’influence russe dans le Caucase: souvenons-nous que la Géorgie reçoit chaque année un milliard de dollars. Mais le prix que l’Arménie aurait à payer pour son “alignement” serait vraiment fort élevé: surtout l’abandon du Haut Karabakh. Dans la “République Démocratique du Haut Karabakh”, non reconnue par les instances internationales, la méfiance croît envers Erivan. Kegham Bagdadcharian, membre du Parlement de cette république, évoque une “déviance dangereuse” en Arménie, car celle-ci a accepté les “conditions préalables”, exigées par les Turcs, pour entretenir des relations diplomatiques.
Bernhard TOMASCHITZ.
(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°37/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).
00:15 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : arménie, turquie, caucase, géopolitique, politique internationale, politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
La Russie était le seul garant dans l’histoire pour l'Arménie et sera le seul garant pour l’avenir. Pas de confiance aux autres.
Cilicie libéré par la France, et trahit et abandonné après.
L'Arménie de l'Asie Mineur, libéré, et définit par le président Wilson, et puis abandonné par les USA et le s Grands Puissances après.
La Russie restera le seul garant inconditionnel pour l'Arménie, et pour toujours.
Écrit par : Vahan Vanagan | dimanche, 27 septembre 2009
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