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dimanche, 29 novembre 2009

Laibach: "Was ist Kunst?"

ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

laibach_volk_tour_2007_banner.jpgLAIBACH: «Was ist Kunst?»

 

«Was ist Kunst?». L'éternel cri de guerre laibachien a de nouveau retenti depuis les majestueuses cîmes des Alpes slo­vènes, et inondé la vieille Europe de son écho puissant. En 56 minutes d'un terrifiant martèlement dodéca-wagnérien, les ténors du Neue Slowenische Kunst  lèvent enfin le voile qui depuis 1980 dissimulait leurs réelles intentions artistico-poli­tiques et nous révèlent le pourquoi de ce qui fut dès l'origine la source même de la polémique, le dérangeant porte-drapeau de leurs ambitions, leur nom: LAIBACH.

 

Au milieu de l'année 1983, les autorités politiques de la République de Slovénie, composante de la fédération yougoslave, ont recours à la loi pour prévenir toute apparition en public des provocateurs de LAIBACH. La Gazette Officielle de la République Socialiste de Slovénie, à la demande du SML (Assemblée Municipale de Ljubljana) et du tout-puissant MK SZDL (Alliance Socialiste des Travailleurs Slovènes), promulgue dans son numéro 3/79 l'interdiction pure et simple du nom de scène du groupe, au titre d'une distorsion du nom Ljubljana (ndlr: en fait “Laibach” estle nom allemand de “Ljubljana”). Peu de temps après, le journaliste Klaus Marck interrogea le porte-drapeau du groupe sur le choix d'un tel titre: «Un nom signifie la réification de l'idée au niveau énigmatique du symbole cognitif». Le nom de LAIBACH fut mentionné pour la première fois en 1144, conjointement à celui de Ljubljana, la ville au bord de la rivière, terme repris ensuite au ratta­chement de la Slovénie à l'Empire austro-hongrois puis, après 1943 et la capitulation de l'Italie fasciste, à l'annexion de la région par le IIIième Reich. Cette période vit nazis, belogardistes (Garde Blanche) et partisans titistes s'affronter avec une rage que sont venues nous rappeler ces dernières années les images de la guerre yougoslave. En 1980, dans la cité monta­gnarde et sidérurgique de Trbovlje, un quintet d'artistes résolument novateurs et provocants adopta ce nom pour la création d'une formation artistique et idéologique systématiquement politisée, afin de définitivement marquer la victoire de l'idéologie sur l'activité artistique. «Dans ce sens, le nom résume l'horreur de la communion entre le totalitarisme et l'aliénation géné­rée par la production sous forme d'esclavage».

 

Une formation artistique et idéologique systématiquement politisée

 

«En Slovénie, qui en tant que nation, naquit de son incessante lutte contre les allemands, avec les teutons (pas seulement les nazis), l'acte même de prendre pour nom de groupe Laibach est ignominieux en soi; il est impossible d'imaginer geste dadaïste plus réussi. Le nom de ce groupe est leur invention la plus réussie» (Taras Kermauner, Nova revija, 13/14, 1983). «Est-il possible que quelqu'un ait permis, ici à Ljubljana, la ville du premier héros de Yougoslavie (ndlr: Tito), à un jeune groupe de prendre un nom aussi douloureux pour les mémoires que celui de Laibach, demandait déjà le 5 mai 1982 ma­dame Marica Cepe depuis Delo aux autorités du pays. De fait, LAIBACH fut interdit de toute prestation scénique sous ce titre.

 

Qu'à cela ne tienne, et les membres du groupe désormais anonyme décidèrent de contourner les autorités en décembre 1984 par la tenue d'un concert incognito à Ljubljana en commémoration du suicide d'un membre du groupe «In Memoriam Tomaz Hostnik», chanteur initial du combo mort en 1982. Pour parer à toute interdiction, les affiches ne mentionnèrent nulle part le titre du groupe. Toute référence fut réduite à la suprématiste, abstraite et très énigmatique croix asymétrique de Malévitch, qui allait devenir l'emblème de LAIBACH. Seules figuraient au bas des pancartes les initiales de la salle, Malci Belic, la date et l'heure, 21 décembre à 21 heures. Et si les radios locales évitèrent soigneusement de prononcer le nom in­fâme, le public sut déchiffrer le message, qui vint en masse assister au concert qui n'eut jamais lieu. Le succès fut total, la réputation artistique du groupe garantie. La répression politique n'avait fait qu'assurer le tremplin idéal à la promotion du jeune groupe.Il fallut toutefois attendre le 17 février 1987 pour que LAIBACH puisse enfin jouer à Ljubljana sous son vrai nom. A cette occasion, son porte-parole devait dire à la presse: «Notre nom est peut-être sale, mais nous sommes propres».

 

Ce CD est donc d'abord un document sur lequel les inconditionnels du groupe se jetteront avec avidité, amateurs éclairés qui sauront apprécier à sa juste valeur l'intérêt que présente cet enregistrement pirate composé des quatre principaux titres improvisés à Ljubljana, et agrémenté de deux morceaux joués à Zagreb et deux au Festival Atonal de Berlin, cela à la même époque. En neuf compositions bruitistes, aux rythmes industriels bruts tempérés par d'étonnantes touches de jazz, LAIBACH nous assène un déchaînement de sonorités métalliques organisé en une longue symphonie sidérurgique et arti­cule autour d'une idée centrale, le procès du XXième siècle et de la Slovénie titiste.

 

«Notre nom est peut-être sale, mais nous sommes propres»

 

De «Sodba Veka» (Le jugement du Siècle) à «Sredi Bojev» (Au milieu des Combats), en passant par «Ti Ki Izzivas» (Toi, qui défies), la violence se fait animale, les tambours martèlent la cadence syncopée sous les attaques des cuivres et les assauts répétés des violons désaccordés. Les notes se font criardes sur fond d'orgues ténébreux. Dans «Sika» (La Force), le texte, murmure sur la déferlante effrénée des peaux maltraitées, s'efface devant l'élan des trompettes glorieuses. La ca­cophonie, «Musique de fosse» (Ico Vidmar), s'installe dans les bruits d'usine, le claquement des portes métalliques, le crissement des chaînes. L'industrie, monstre déshumanisant, a englouti le XXième siècle dans sa gueule béante. Les en­clumes sont frappées avec une violence inouïe, les cuivres s'abîment dans les longs grincements disharmonieux qui écra­sent les tympans. Le monde moderne a engendré la guerre totale, la mobilisation systématique des masses. Sur un bruit de pellicule de film, les tambours règlent le pas de la Garde qui monte à l'abattoir, les pulsations s'accélèrent, la peur s'insinue dans les chairs, le souffle se fait rapide, la bataille fait rage... Miel, sang et or, les nappes de synthé entament l'oraison fu­nèbre des foules sacrifiées. Le cri monstrueux de la bête traquée se mue en brame du cerf, arbre de vie, fécondité, guide vers la lumière, éternel retour. C'est Nova Akropola (Nouvelle Acropole), quand le jour se lève sur la plaine en cendres. Les ombres des guerriers disparus se relèvent, les regards extatiques convergent maintenant vers l'Acropole nouvelle. Sous le grondement d'un ciel incertain, les nouvelles lois sont scandées: Compagna! Compagna dei maccella! Eja, eja, alala! et le Fiume de d'Annunzio est ressuscité. Sous les acclamations du public, quatre discours du Maréchal Tito viennent rappeler les blessures yougoslaves, sa foi dans l'avenir, sa défense de la paix, l'orgueil de son indépendance, son nationa­lisme généreux: «A l'Est comme à l'Ouest, il doit être bien clair que nous continuerons à nous situer sur la scène étrangère comme nous le faisons depuis 1948. A savoir que nous avons notre voie propre, que nous dirons toujours bravement ce qui d'un côté est juste et ce qui ne l'est pas, ce qui de l'autre est juste et ne l'est pas». Que la paix règne dans l'harmonie recou­vrée. A une courte plage symphonique reposante pour nos oreilles déchirées (Dokumenti II) suit en cascade l'orage strident des bruits d'usine, le monde est à reconstruire éternellement. L'Europe reprend sa dynamique perpétuelle (Dokumenti III, IV), les claviers viennois et la pluie sur les toits se fondent. Au loin se fait entendre l'orage sur les crêtes alpines. Le temps peut de nouveau s'écouler, les peuples s'éveiller... Toujours, majestueux, le cerf sera là.

 

Le renouveau culturel identitaire, base des futures révolutions politiques

 

Imagerie partisane, agit-prop, projection de chasse au cerf, chants de guerre, la révolution à construire, groupe paradant en costumes de miliciens, écran frappé de l'imposante croix, les spectateurs furent soumis à un des concerts les plus courts de LAIBACH, brutal, tranchant, assourdissant, intuitif et anarchique. «Le paradoxe de ce concert, qui officiellement n'eut ja­mais lieu, est qu'il donna au public slovène une des meilleures improvisations qui fut jamais jouée par des musiciens slo­vènes, écrira Ico Vidmar, les constructions sonores provoquent plus que jamais des vibrations du diaphragme, paralysent les oreilles, et terrorisent noblement l'esprit» (Gorazd Suhadolnik).

 

laibachsympathydevil.jpgD'inspiration authentiquement totalitaire et avant-gardiste, ce concert devait durablement marquer les critiques slovènes, et asseoir la notoriété laibachienne. Sa contribution artistique au renouveau culturel slovène allait préparer les esprits à l'inéluctable et indubitablement favoriser le réveil de la petite république. Bientôt la Yougoslavie imploserait, débandade ini­tiée par Ljubljana, qui déclarerait son indépendance le 2 juillet 1990: «L'esthétique nationaliste romantique est une phobie du service culturel progressiste. LAIBACH est organiquement lié à son environnement natal et entretient jalousement un lien instinctif avec la nation slovène et son passé, tout en étant constamment conscient de son rôle dans le polygone culturel et politique de la Slovénie» (entretien paru en 1986 pour la revue HHT). Une fois supplémentaire, le renouveau culturel identi­taire allait préparer et jeter les bases des futures révolutions politiques.

 

M.B. December 21,1984 (NSK 3-Mute) trouvera aisément sa place parmi les Rekapitulation 80-84 (Walter Ulbricht Schallfolien), Ljubljana-Beograd-Zagreb (NSK l-Mute) et autre Through the Occupied Netherlands (Staaltape) qui résument au mieux la première période bruitiste du concept LAIBACH et établissent les bases éthiques et musicales de son œuvre prolifique.

 

Laurent SCHANG.

 

 

00:05 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique, slovénie, totalitarisme, art | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Waw, très bon travail, grand merci à vous de partager vos idées et je suis pleinement d'accord avec vous... J'insiste, oui votre site est vraiment bien bon, je viens de twitter ce billet en espérant que ça vous aide... Je vais prendre un peu de temps pour réfléchir à tout ça quand même.

Écrit par : carton d'invitation | lundi, 13 septembre 2010

Merci cher "carton d'invitation",

Laurent Schang, l'auteur du texte, est vraiment un spécialiste de la question et une plume très fine en matières littéraire, artistiques, cinématographiques, etc. Par ailleurs, Steuckers nous promet depuis belle lurette une photo d'une affiche de laibach, prise lors d'un voyage en Croatie... A quand cette photo sur ce site...

Écrit par : Benoit Ducarme | lundi, 13 septembre 2010

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