vendredi, 29 janvier 2010
La décense commune contre l'égoïsme libéral
La décence commune contre l'égoïsme libéral |
« Un noir pessimisme imprègne la conception libérale de la nature humaine. L’homme est un loup pour l’homme. L’égoïsme constitue le fond de son caractère. A la suite des sanglantes guerres de religion, les penseurs qui furent plus tard rangés sous la bannière libérale en sont sûrs : tout homme est une canaille irrécupérable. […] La vision pessimiste de la nature humaine est-elle absolument correcte ? Nous voudrions montrer que, comme le dit Chamfort, la vérité est au milieu, un peu au-dessus de ces deux erreurs symétriques que sont l’optimisme et le pessimisme. Le bien, c’est ce qui existe. Chaque jour, à chaque heure, en tout lieu, des personnes tiennent les promesses qu’elles ont faites ; des enfants naissent d’amours réelles ; des parents élèvent leurs enfants ; des couples demeurent fidèles, des familles restent unies ; des écoliers apprennent quelque chose à l’école ; nombreux sont ceux qui se lèvent le matin en vue de bien faire leur travail ; des artistes se perfectionnent et produisent de belles œuvres ; des vieillards quittent ce monde dans la sérénité. […] Pour s’en tenir au domaine politique, on se fiera à George Orwell. Socialiste monarchiste, anarchiste conservateur, il a insisté sur la notion de common decency que les traducteurs nomment en français décence ou honnêteté communes. La décence commune résume un certain nombre de règles que presque tout le monde (à part les enfants-rois et les intellectuels post-modernes) connaît et pratique : on ne dénonce personne, on ne triche pas, on ne frappe pas un homme à terre, on ne s’attaque pas à un plus faible que soi, surtout pas en bande, on est galant avec les dames, on respecte les vieillards, on est spontanément bienveillant, on aide ses proches, etc. Dans une société où règne la décence commune, le don est premier. Chaque enfant reçoit de ses parents la vie et le langage. L’anthropologie montre que la triple obligation de “donner, recevoir, rendre” fonde l’ordre interne de maintes communautés. Les milieux “avancés” semblent vouloir échapper au cycle du don et lui substituer la devise du Figaro de Beaumarchais, valet malin, désireux de grimper dans le monde et de devenir maître : “demander, recevoir, prendre”. C’est la mentalité d’aujourd’hui, minoritaire mais insidieuse, qui unit dans la même attitude le prédateur et la victime. Dans les sociétés bien réglées, “ça ne se fait pas de demander”. Dans un régime de prédateur-victime, je demande parce que j’ai droit à tout, je reçois ce qui m’est dû, je le prends en chassant de mon esprit toute idée de dette, puis je recommence jusqu’à plus soif. Par aveuglement idéologique, certains veulent conformer la nature humaine à un modèle libéral, efficace seulement à courte échéance, l’encourager à l’égoïsme, à la compétition pour la compétition, à faire carrière plutôt qu’à exercer un métier, le soumettre à une concurrence illimitée et à une consommation obligatoire, jusqu’à créer ce que les psychologues appellent des addictions. C’est rendre le monde invivable. »
Jacques Perrin, “Le bien, banal et fragile”, La Nation, 15 janvier 2010 |
00:20 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, libéralisme, sociologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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