dimanche, 16 mai 2010
Entretien avec A. Murcie et L.-O. d'Algange, éditeurs de Jean Parvulesco
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Entretien avec André Murcie et Luc-Olivier d'Algange, éditeurs de Jean Parvulesco
propos recueillis par Hugues RONDEAU
Amateurs de prose et de vers ajourés, André Murcie et Luc-Olivier d'Algange ne partagent cependant pas l'éthylique détachement de Rimbaud ou la talentueuse indifférence d'Hölderlin.
Pour eux, la poésie est le flambeau de leur combat. Courageux ou téméraires, ils se dépensent sans compter pour la survie d'une petite maison d'édition, les Nouvelles Littératures Européennes. Sous ce label sont déjà parus une revue au parfum de la grande littérature, un roman de Luc-Olivier d'Algange (Le Secret d'or) et surtout un cahier d'hommage à Jean Parvulesco.
Trois cent quarante-quatre pages de témoignages et d'articles inédits font de ce volume, l'indispensable lexique de l'œuvre de l'auteur de La Servante portugaise.
Editer Parvulesco ou avoir opté pour la subversion par le talent.
- En prenant la décision d'éditer Jean Parvulesco, génial trublion du la littérature francophone, vous avez pris un risque certain. Poête et essayiste, géopoéticien aurait dit Kenneth White, écrivain rebelle et ésotériste inspiré, Parvulesco ouvre les yeux des prédestinés mais demeure inconnu du grand public. Votre initiative avait-elle pour but de le rendre populaire ?
- Luc-Olivier d'Algange: Je dois avouer que mon engouement pour les écrits de Jean Parvulesco est né de la lecture en 1984 de son Traité de la chasse au faucon. Il m'apportait la preuve attendue qu'une haute poésie était possible —et même nécessaire— dans cette époque pénombreuse où nous avons disgrâce de vivre. La disgrâce, mais aussi, dirai-je, la chance extraordinaire, car, en vertu de la loi des contrastes, c'est dans l'époque la plus dérélictoire et la plus vaine que l'espoir nous est offert de connaître la joie la plus laborieuse et, dans sa splendeur absolue (Style), l'exaucement de la volonté divine.
Tel était le message que me semblait apporter la poésie de Jean Parvulesco. Or, sachant qu'André Murcie poursuivait une quête parallèle à la mienne et qu'il envisageait en outre de lancer la revue Style, il m'a semblé utile de lui faire part de ma découverte. C'est ainsi que dès le premier numéro, avec un poême intitulé Le Privilège des justes secrets, Jean Parvulesco devint une voie essentielle de la revue Style. Celle-ci devait encore publier le vaste et fameux poème, Le Pacifique , nouvel axe du monde ainsi que le Rapport secret à la nonciature, qui est un admirable récit visionnaire sur les apparitions de Medjugorge et de nombreux autres poèmes. Tout cela avant d'élargir encore son dessein, en créant les éditions des Nouvelles Littératures Européennes, et de publier un Cahier Jean Parvulesco, récapitulation en une succession de plans de l'univers de Parvulesco, en ses divers aspects, poétiques, philosophiques, esthétiques, architecturaux, cinématographiques ou politiques.
- André Murcie: En effet et ceci répond de façon plus précise à votre question, il est clair que Parvulesco va à contre-courant de ses contemporains. Jean Parvulesco n'est en aucune façon un spécialiste. Il est, au contraire, de cette race d'auteurs qui font une œuvre, embrassement de l'infinité des apparences et de cette autre infini qui est derrière les apparences. C'est là la différence soulignée par Evola entre «l'opus», l'œuvre, et le «labor», le labeur. Avec Parvulesco, nous sommes aux antipodes d'un quelconque «travail du texte», c'est à dire que nous sommes au cœur de l'œuvre et même du Grand œuvre, ainsi que l'illustre d'ailleurs le premier essai, publié dans le Cahier dans la série des dévoilements: Alchimie et grande poésie.
Ce texte est sans doute, depuis les Demeures philosophales de Fulcanelli, l'approche la plus lumineuse de ces arcanes et tous ceux qui cherchent à préciser les rapports qui unissent la création littéraire et la science d'Hermès trouveront, sans nul doute, en ces pages, des informations précieuses et, mieux que des informations, des traces - au sens où Heidegger disait que nous devions maintenant nous interroger sur la trace des Dieux enfuis.
Pour Jean Parvulesco, il ne fait aucun doute que la lettre est la trace de l'esprit. C'est ainsi que son œuvre nous délivre des idolâtries du Nouveau Roman et autres littératures subalternes qui réduisent les mots à leur propre pouvoir dans une sorte de ressassement narcissique. Pour Jean Parvulesco, la littérature n'a de sens que parce qu'elle débute avant la page écrite et s'achève après elle.
- Il est signicatif que ces propos sur l'alchimie soient, dans le même chapitre du Cahier, suivis par un essai intitulé: «La langue française, le sentier de l'honneur»...
- Luc-Olivier d'Algange: Trace de l'esprit, trace du divin, la langue française retrouve en effet, dans la prose ardente et limpide de Jean Parvulesco, sa fonction oraculaire. Ses écrits démentent l'idée reçue selon laquelle la langue française serait celle de la commune mesure, de la tiédeur, de l'anecdote futile. Jean Parvulesco est là pour nous rappeler que dans la tradition de Scève, de Nerval, de Rimbaud, de Lautréamont ou d'Artaud, la langue française est celle du plus haut risque métaphysique.
«Langue de grands spirituels et de mystiques, écrit Jean Parvulesco, charitablement emportés vers le sacrifice permanent et joyeux, d'aristocrates et de rêveurs prédestinés, faiseurs de nouveaux mondes et parfois même de mondes nouveaux, langue surtout, de paysans, de forestiers conspirateurs et nervaliens, engagés dans le cheminement de leurs obscures survivances transcendantales, occultes en tout, langue de la poésie absolue...».
C'est exactement en ce sens qu'il faudra comprendre le dessein littéraire qui est à l'origine du Cahier - véritable table d'orientation d'un monde nouveau, d'une autre culture, qui n'entretient plus aucun rapport, même lointain, avec ce que l'on entend ordinairement sous ce nom. Car il va sans dire que la «Culture» selon Parvulesco n'est certes pas ce qui se laisse associer à la «Communication» mais un principe, à la fois subversif et royal, qui n'a pas d'autre but que d'outrepasser la condition humaine.
Tel est sans doute le sens du chant intitulé Les douzes colonnes de la Liberté Absolue que l'on peut lire vers la fin du Cahier: «...que nous chantons, que nous chantons, par ces volumes conceptuels d'air s'appelant étangs, ou blancs corbeaux, autour de l'immaculation des Douzes Colonnes, vertiges s'ouvrant sur les Portes d'Or et indigo de l'Atlantis Magna, chuchotement circulaire et lent, je suis la Liberté absolue».
L'œuvre doit ainsi accomplir, par une intime transmutation, cette vocation surhumaniste, qui, dans la pensée de Jean Parvulesco, ne contredit point la Tradition, mais s'y inscrit, de façon, dirai-je, clandestine; toute vérité n'étant pas destinée à n'importe qui. Mais c'est là, la raison d'être de l'ésotérisme et du secret, qui, de fait, est un secret de nature et non point un secret de convention.
- Vous avez donné une large place dans le Cahier aux rêves et prémonitions métapolitiques de Jean Parvulesco.
- André Murcie: En ce qui concerne le domaine politique, nous avons republié dans le Cahier, un ensemble d'articles de géopolitique que Parvulesco publia naguère dans le journal Combat et qui eurent à l'époque un rententissement tout à fait extraodinaire. Ce fut, à dire vrai, une occasion de polémiques furieuses. A la lumière d'évènements récents, concernant la réunification de l'Allemagne, les changements intervenus à l'Est, ces articles retrouvent brusquement une actualité brûlante. Il semblerait que seul celui qui expérimente les avènements de l'âme soit destiné à comprendre les évènements du monde. Ainsi des études comme L'Allemagne et les destinés actuelles de l'Europe ou encore Géopolitique de la Méditerranée occidentale donnent à relire les évènements ultérieurs dans une perspective différente.
- Le Cahier s'enrichit aussi des reflexions peu banales de Parvulesco sur le cinéma.
- Luc-Olivier d'Algange: Je crois que nous mesurons encore mal l'influence de Jean Parvulesco sur le cinéma français et européen. On sait qu'il fut personnage dans certains films de Jean-Luc Godard - en particulier dans A bout de souffle, et qu'il fut aussi, par ailleurs, acteur et scénariste. A cet égard, le Cahier contient divers témoignages passionnants concernant, plus particulièrement, Jean-Pierre Melville et Werner Schrœter dont nul, mieux que l'auteur des Mystères de la villa Atlantis, ne connait les véritables motivations.
Il nous propose là une relecture cinématographique dans une perspective métapolitique qui dépasse de toute évidence les niaiseries que nous réserve habituellement la critique cinématographique.
- André Murcie: L'intérêt extrême des témoignages de Jean Parvulesco concernant l'univers du cinéma est d'être à la fois en prise directe et prodigieusement lointain. C'est à dire, en somme, de voir le cinéma de l'intérieur, comme une vision, en sympathie profonde avec le cinéaste lui-même, et non point telle la glose inapte d'un quelconque cinéphile. C'est ainsi que Nietzsche ou Thomas Mann parlèrent de Wagner.
- D'autres textes, publiés dans ce Cahier ont également cette vertu du témoignage direct, qui nous donne à pressentir une réalité singulière. Ainsi en est-il des récits portant sur Arno Brecker et Ezra Pound.
- Luc-Olivier d'Algange: J'ai été pour ma part très sensible à l'hommage que Jean Parvulesco sut rendre à Ezra Pound dont Dominique de Roux disait qu'il n'était rien moins que «le représentant de Dieu sur la terre». Hélas, cette recherche de la poésie absolue était jusqu'alors mal comprise, livrée aux maniaques du «travail du texte» et autres adeptes du lit de Procuste, acharnés à faire le silence sur les miroitements italiens de l'œuvre de Pound.
Cette italianité fit d'alilleurs d'Ezra Pound une sorte d'apostat, alors que, par cette fidélité essentielle, il rejoignait au contraire, au-delà des appartenances spécifiantes, sa véritable patrie spirituelle qui, en aucun cas ne pouvait être cette contrée où Edgard Poe et Lovecraft connurent les affres du plus impitoyable exil.
Mais je laisse la parole à Jean Parvulesco lui-même: «Ce qu'Ezra Pound, l'homme sur qui le soleil est descendu, cherchait en Italie, on l'a compris, c'est le Paradis. Toscane, Ombrie, Ezra Pound avait accédé à la certitude inspirée, initiatique, abyssale, que le Paradis était descendu, en Italie, pendant le haut moyen âge et que, très occultement, il s'y trouvait encore. Pour en trouver la passe interdite, il suffisait de se laisser conduire en avant, aveuglément - et nuptialement aveuglé - par la secretissima, par une certaine lumière italienne de toujours ».
Propos recueillis
par Hugues Rondeau.
Cahier Jean Parvulesco, 350 pages, Nouvelles Littératures Européennes, 1989.
Luc-Olivier d'Algange, né en 1955 à Göttingen (Allemagne) a publié :
Le Rivage, la nuit unanime (épuisé)
Médiances du Prince Horoscopale (Cééditions 1978)
Manifeste baroque (Cééditions, 1981)
Les ardoises de Walpurgis (Cahiers du losange, 1984)
Stances diluviennes (Le Jeu des T, 1986)
Heurs et cendres d'une traversée lysergique (Le Jeu des T, 1986)
Co-fondateur, avec F.J Ossang, de la revue CEE (Christian Bourgois éditeur)
Rédacteur de PICTURA EDELWEISS et PICTURA MAGAZINE
Textes parus dans :
Recoupes; Erres; L'Ether Vague; CEE; Encres Vives; Phé; Libertés; Sphinx; Evasion; Le Miroir du Verbe; Dismisura; Bunker; Le Cheval rouge; Devil-Paradis; Anthologie de la poésie initiatique vivante; Claron; Le Jeu des Tombes; Question de; Vers la Tradition; La Poire d'Angoisse; Camouflage; Strass-Polymorphe; Phréatique, Asturgie-Onirie; Pictura; Mensuel 25; Matulu, Place royale, L'Autre Monde.
André Murcie né en 1951
- Poèmes de poésie (1967-1985)
- Poème pour la démesure d'André Murcie
- Poèmes de la démesure (Work in progress).
00:05 Publié dans Jean Parvulesco | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, littérature française, lettres françaises, littérature, lettres, paris, entretiens | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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