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samedi, 29 mai 2010

Etats-Unis: ghettoïsation et réseaux de forteresses privées

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Etats-Unis: ghettoïsation et réseaux de forteresses privées

 

Sur tout le territoire des Etats-Unis, les Américains se barricadent derrière des haies, des murs, des barbelés électrifiés. Ils prennent ainsi congé de leurs voisins et de leurs contemporains; ils s'enferment dans des zones contrôlées par des systèmes complexes de sécurité. On estime que huit millions de citoyens américains vivent dans des communautés fermées, à l'abri de murs. Ces communautés, on les rencontre surtout à Los Angeles, Phoenix, Chicago, Houston, New York et Miami. Cette ten­dance à l'enfermement volontaire est devenue une vogue dans les nouvelles banlieues comme dans les quartiers centraux des vieilles villes. Les résidents de ces communautés cherchent un refuge, à fuir les problèmes que pose l'urbanisation. Mais, sur le plan de l'Etat et de la nation, que signifie cette fuite à l'intérieur de bastions privés?

 

Le livre Fortress America  est la première étude globale de cette curieuse évolution et de son impact social. Les premières communautés barricadées (gated communities)  étaient des villages où allaient vivre des retraités ou des aires de luxueuses villas, propriétés des super-riches. Aujourd'hui, la majorité des nouvelles communautés barricadées sont issues de la classe moyenne, voire de la classe moyenne supérieure. Même des “voisinages” (neighborhoods)  de personnes aux revenus mo­destes utilisent désormais le système des barricades et édifient des grilles d'entrée gardées par des vigiles armés jusqu'aux dents. L'enfermement volontaire n'est plus l'apanage des seuls happy fews.

 

Fortress America  examine les trois catégories principales de com­munautés barricadées et tente d'expliciter les raisons qui les pous­sent à l'enfermement: nous trouvons

1) les lifestyle communities, y compris les communautés de retrai­tés, les communautés de loisirs et de sport (golfe, etc.), ainsi que les nouvelles villes des banlieues;

2) les prestige communities, où les grilles d'entrée symbolisent richesse et statut social; elles comprennent les enclaves ré­servées aux riches et aux personnes célèbres, les cités résidentielles fer­mées pour les professionnels de haut niveau et pour les executives de la classe moyenne;

3) les zones de sécurité, où la peur de la criminalité et des hors-la-loi motive principalement la construction de murs et de pa­lissades, âprement défendus.

 

Les auteurs, Blakely et Snyder, étudient les dilemmes sociaux et po­litiques, les problèmes que cet enfermement volontaire pose à la sim­ple governance officielle: que devient-elle si des millions d'Américains choisis­sent d'en refuser les règles et de privatiser leur environnement? Snyder et Blakely posent des questions essentielles quant à l'avenir de la société américaine: ces communautés fermées et barricadées reflètent-elles une fortress mentality,  largement répandue aux Etats-Unis? Ces communautés barricadées contribuent-elles à réduire la criminalité ou à accroître la peur? Que faut-il penser d'une société et d'un pays où les clivages sociaux séparant les zones d'habitation nécessitent des patrouilles armées et des grilles électrifiées pour éloigner d'autres citoyens, jugés indésirables? Au niveau local, quel est l'impact de ces communautés privées sur le comportement électoral des citoyens? Que se passe-t-il sur le plan du fonctionnement de la démocratie, si les services pu­blics et les autorités locales sont privatisés et si le sens de la responsabilité communautaire s'arrête à la porte d'entrée élec­trifiée? L'idée de démocratie peut-elle encore se transposer dans le réel sous de telles conditions?

 

Nos deux auteurs suggèrent des mesures préventives, mais sont bien obligés de constater que la fragmentation de la nation américaine en communautés antagonistes, retranchées derrière des barrières électrifiées et les fusils des vigiles, est un défi considérable, difficile à gérer. Les polarisations qui s'accumulent risquent fort bien de signifier à terme la fin de la “nation américaine”. Question: «Peut-il y avoir un contrat social sans contact social?». Certes, les barrières peuvent protéger, mais elles accroissent aussi la paranoïa des citoyens qui identifient vie urbaine et criminalité déchaînée.

 

Benoît DUCARME.

Edward J. BLAKELY & Mary Gail SNYDER, Fortress America. Gated Communities in the United States, Brooking Institution Press (1775 Massachusetts Avenue, NW, Washington, DC 20036), 1997, 192 p., $24.95, ISBN 0-8157-1002-x.

 

00:05 Publié dans Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sociologie, etats-unis, ghettos | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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