Editorial :
En Côte d’Ivoire, le premier tour des élections présidentielles avait fait apparaître un pays coupé en trois, la coalition Kru Lagunaires de M. Gbagbo totalisant 37% des voix, le parti Baoulé 25% et l’ensemble nordiste 33%. Au second tour, M. Ouattara l’a emporté après qu’eut été reconstituée autour de sa candidature l’alliance entre Baoulé et Nordistes qui avait jadis permis au président Houphouët-Boigny de gouverner. Dans un réflexe de survie, M. Gbagbo a alors fait un coup d’Etat et mis le pays en situation de quasi guerre civile. La « communauté internationale » est la grande responsable de ce gâchis pourtant prévisible. Après la partition du pays intervenue à la suite des évènements de 2002, elle a en effet voulu, au nom de la démocratie et de la « bonne gouvernance », contraindre au dialogue, à la réconciliation, à la réunification et au partage du pouvoir des populations qui n’avaient jamais eu de passé commun. Postulant que la paix allait sortir des urnes, elle a englouti des sommes considérables dans un processus électoral bancal. Le résultat de cette cécité ethnologique et politique est catastrophique.
Les positions des deux camps sont en effet inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l’univers du Sahel. Selon eux, ce vaste ensemble malinkédioula-mossi, rêve de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou en royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies à la géopolitique cloisonnée d’autre part, est bien la grande réalité géopolitique régionale[1].
La priorité est désormais de tenter de circonscrire l’incendie afin d’éviter son extension à toute l’Afrique de l’Ouest, tant les imbrications ethniques y sont importantes. Le problème est que la question ivoirienne étant d’abord ethnique, sa résolution ne passe certainement pas par une artificielle recomposition démocratique à l’ « européenne », mais bien par une redéfinition de l’Etat. Comme il n’existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, tout replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d’ « unité nationale », ne serait qu’une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d’embrasements futurs. Dans ces conditions, et dans l’état actuel de la situation, la seule issue réaliste n’est-elle pas la reconnaissance de la partition entre des Nord pro-Ouattara et des Sud pro-Gbagbo ? Plus tard, peut-être, une nouvelle union pourrait naître, mais sur des bases solides, c'est-à-dire dans le cadre d’une confédération à définition clairement ethnique.
Dans l’immédiat, maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, Laurent Gbagbo contrôle la Côte d’Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, appuyé sur l’armée et la gendarmerie, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. Jouant la carte nationaliste il va s’opposer avec virulence au « diktat » de l’ONU et accusera tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Mais dans ce très périlleux jeu du « quitte ou double », il n’est pas certain qu’il ait toujours avec lui sa chance légendaire… Quant à Alassane Ouattara, chef de l’Etat légitime mais désarmé, il n’est encore que le « roi de Bourges » d’un Nord déshérité et il risque d’apparaître bientôt aux yeux des Ivoiriens comme l’homme de l’étranger. Le temps jouant contre lui, il est donc condamné à brusquer les évènements. En a-t-il seulement les moyens ?
Bernard Lugan
[1] Accrochés d’une manière pathétique à leurs vieilles croyances « new age » et post-marxiste, Jean-Loup Amselle, Jean-Pierre Chrétien et Elikia M’Bokolo du CNRS soutiennent
que les ethnies sont des créations coloniales. Plus encore selon Jean-Loup Amselle, la notion même de Sahel est le produit de la colonisation. Dans la même veine il
serait possible de soutenir que le phénomène des grandes marées en Bretagne est une conséquence de l’occupation allemande de 1940…
Les positions des deux camps sont en effet inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l’univers du Sahel. Selon eux, ce vaste ensemble malinkédioula-mossi, rêve de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou en royaumes d’une part, et le monde forestier littoral peuplé d’ethnies à la géopolitique cloisonnée d’autre part, est bien la grande réalité géopolitique régionale[1].
La priorité est désormais de tenter de circonscrire l’incendie afin d’éviter son extension à toute l’Afrique de l’Ouest, tant les imbrications ethniques y sont importantes. Le problème est que la question ivoirienne étant d’abord ethnique, sa résolution ne passe certainement pas par une artificielle recomposition démocratique à l’ « européenne », mais bien par une redéfinition de l’Etat. Comme il n’existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, tout replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d’ « unité nationale », ne serait qu’une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d’embrasements futurs. Dans ces conditions, et dans l’état actuel de la situation, la seule issue réaliste n’est-elle pas la reconnaissance de la partition entre des Nord pro-Ouattara et des Sud pro-Gbagbo ? Plus tard, peut-être, une nouvelle union pourrait naître, mais sur des bases solides, c'est-à-dire dans le cadre d’une confédération à définition clairement ethnique.
Dans l’immédiat, maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, Laurent Gbagbo contrôle la Côte d’Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, appuyé sur l’armée et la gendarmerie, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. Jouant la carte nationaliste il va s’opposer avec virulence au « diktat » de l’ONU et accusera tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Mais dans ce très périlleux jeu du « quitte ou double », il n’est pas certain qu’il ait toujours avec lui sa chance légendaire… Quant à Alassane Ouattara, chef de l’Etat légitime mais désarmé, il n’est encore que le « roi de Bourges » d’un Nord déshérité et il risque d’apparaître bientôt aux yeux des Ivoiriens comme l’homme de l’étranger. Le temps jouant contre lui, il est donc condamné à brusquer les évènements. En a-t-il seulement les moyens ?
Bernard Lugan
[1] Accrochés d’une manière pathétique à leurs vieilles croyances « new age » et post-marxiste, Jean-Loup Amselle, Jean-Pierre Chrétien et Elikia M’Bokolo du CNRS soutiennent
que les ethnies sont des créations coloniales. Plus encore selon Jean-Loup Amselle, la notion même de Sahel est le produit de la colonisation. Dans la même veine il
serait possible de soutenir que le phénomène des grandes marées en Bretagne est une conséquence de l’occupation allemande de 1940…
2010
L'Afrique Réelle N°11 - Novembre 2010
SOMMAIRE :
Dossier : Les élections ivoiriennes
- Les peuples de Côte d'Ivoire
- La crise ivoirienne
- Les élections du 31 octobre 2010
Histoire : Origines de l'homme, adieu Afrique ?
Editorial de Bernard Lugan :
Le 31 octobre 2010, cinq années après la fin officielle du mandat du président Laurent Gbagbo, et après six reports successifs, les élections présidentielles ivoiriennes qui devaient mettre un terme à la situation de « ni guerre ni paix » prévalant dans le pays depuis la tentative de coup d’Etat de 2002, se sont enfin tenues. Organisées à grands frais par la communauté internationale, loin de permettre une sortie de crise, elles ont au contraire compliqué une situation politique aussi complexe qu’explosive.
Ce scrutin qui n’a rien résolu démontre une fois de plus que la démocratie africaine est d’abord une ethno mathématique. Sondage ethnique grandeur nature, ces élections ont ainsi confirmé que la Côte d’Ivoire est bien composée de trois ensembles ethniques coagulés lors de ces élections autour de trois leaders : Henri Konan Bédié qui avec 25% des voix n’a pas été capable de rassembler au-delà de ses seuls soutiens Baoulé ; Alassane Ouattara qui en obtenant 32,5% des voix a montré qu’il demeurait le chef incontesté des ethnies nordistes et Laurent Gbagbo, arrivé en tête avec un décevant 38,3% des suffrages.
Le président sortant a cependant fait la preuve qu’il était capable de rassembler au-delà de sa petite base ethnique Kru/Bété. C’est ainsi que les Akan non Baoulé ont largement voté pour lui. Son épouse, Simone est elle-même Abouré, petite tribu Akan dont territoire commence à Bassam et le chef d’état-major des Armées, le général Philippe Mangou est Ebrié ; quant aux Attié, vieux résistants au pouvoir colonial et à celui d’Houphouet-Boigny, ce sont de solides alliés. De plus, Laurent Gbagbo a montré qu’il est le seul candidat ayant un électorat éparpillé trans-ethnique.
Le second tour des élections est programmé pour le 21 novembre 2010 et il s’annonce serré. Durant la campagne, les passions vont être exacerbées, ce qui ne va pas favoriser la cicatrisation de la fracture ethnique ivoirienne.
Après l’actualité immédiate, le second dossier traité dans ce numéro 11 de l’Afrique Réelle nous conduit sur le long chemin de nos origines car l’idée selon laquelle toutes les populations de la planète seraient originaires d’Afrique est aujourd’hui de plus en plus difficile à soutenir. Davantage acte de foi que véritable démonstration scientifique, cette quasi croyance obligée repose en fait sur deux postulats. Le premier est celui de l’hominisation dont on nous affirme qu’elle se serait faite en Afrique et uniquement en Afrique. Le second est adossé à un schéma diffusionniste selon lequel, ce serait à partir du continent africain que nos ancêtres auraient migré. Ils l’auraient quitté en deux fois, d’abord vers 2 millions d’années avec Homo erectus, puis, il y a environ 90 000 ans avec l’Homme moderne (théorie dite de l’ « Eve africaine »).
Or, ces deux postulats sont aujourd’hui considérablement affaiblis en raison de découvertes récentes dont nous faisons le point dans ce numéro. Mais au-delà de ces nouveautés, la question des origines de l’homme dépasse désormais la controverse scientifique car elle a été placée au cœur de l’entreprise de déstructuration mentale des Européens. Elle a en effet permis de faire entrer dans la tête des nantis coupables du vieux continent l’idée selon laquelle nous serions tous des Africains, de lointains immigrés en quelque sorte. Dans ces conditions, pourquoi vouloir limiter l’accès à notre sol à ces « cousins » venus aujourd’hui d’Afrique alors que nos ancêtres l’avaient fait avant eux il y a quelques dizaines de milliers d’années ?
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