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jeudi, 23 décembre 2010

Vers une islamisation et une mainmise turque sur les Balkans?

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Friedrich-Wilhelm MOEWE :

Vers une islamisation et une mainmise turque sur les Balkans ?

 

Que se passe-t-il actuellement dans les Balkans ? Une islamisation rampante sans qu’il n’y ait une véritable immigration. Il existe bel et bien une volonté politique d’installer un noyau dur islamisé dans les Balkans : c’est ce que nous apprennent les récentes révélations de documents secrets américains et de dépêches d’ambassades ; on y trouve bon nombre de notes sur les dirigeants turcs actuels, dont les ambitions ne sont guère modestes et qui visent clairement à avancer les pions de la Turquie non seulement en direction de l’Union Européenne mais aussi et surtout en direction des Balkans. Lorsque le ministre turc des affaires étrangères déclare son opinion et dit urbi et orbi qu’une nouvelle domination ottomane dans les Balkans profiterait à la région et que, simultanément, les minorités musulmanes balkaniques croissent en nombre, on peut dire, sans risque d’exagérer, que l’islam, sous la houlette turque, est en train de gagner du terrain dans les Balkans. D’où, il nous paraît légitime de poser la question : quelles sont les raisons qui font que ce soient justement les Balkans qui posent un problème récurrent en Europe et pour l’Europe ? Les problèmes n’ont pas seulement émergé après la seconde guerre mondiale car les turbulences ethniques et politiques agitaient depuis longtemps déjà la région, qui accumulait les difficultés. Les racines de la situation actuelle, pour laquelle il n’y a pratiquement aucune solution en vue sur la scène politique internationale, datent d’il y a quelques décennies. Il faut en chercher les prémisses dans les événements qui ont immédiatement suivi la fin de la dernière guerre mondiale : les pays des Balkans ont été « libérés » de manière atypique ; ils n’ont pas été libérés par les armées de l’un des grands vainqueurs mais se sont en quelque sorte « auto-libérés », par l’intermédiaire des mouvements de partisans de Josip Broz, dit « Tito », en Yougoslavie, et d’Enver Hoxha, en Albanie. Tito, qui avait du génie politique, qui était un stratège rusé, a réussit à consolider son pouvoir dans les Balkans en maintenant un certain équilibre ethno-religieux et en imposant un socialisme paternaliste, tout en se proclamant l’adepte d’une solidarité internationale avec les pays non alignés.

 

La Yougoslavie s’est effondrée après la fin du titisme et beaucoup de sang a coulé, alors que le reste de l’Europe centrale et orientale se transformait pacifiquement dans les années 90 du 20ème siècle, tandis que la question allemande trouvait sa solution dans une réunification pacifique.

 

Il y avait donc, après le communisme, une diversité religieuse et ethnique dans les Balkans, ce qui invitait les nations occidentales, elles-mêmes fort diversifiées dans leurs composantes, à se choisir des partenaires dans le processus d’intégration à l’UE et aux autres instances européennes. Les affinités électives, nées de l’histoire, entre peuples d’Europe centrale et peuples d’Europe orientale, avaient aussi des connotations religieuses : l’Allemagne et l’Autriche se sentaient plus proches de la Croatie ; la France et la Grande-Bretagne semblaient privilégier la Serbie. Les Bosniaques musulmans ont pu et peuvent toujours compter sur le soutien de la Turquie et des pays arabes, même si l’Autriche jouit en Bosnie d’un capital historique positif.

 

La crise balkanique, qui s’éternise, a montré que l’Europe eurocratique est incapable de faire la paix dans son environnement immédiat, ce qui a pour corollaire gênant de démontrer que les Etats-Unis sont « irremplaçables ».

 

Le Traité de paix de Dayton est considéré comme une sorte d’armistice ethno-religieux orchestré par les Etats-Unis, qui, à l’époque, s’étaient enthousiasmés pour le livre de Samuel Huntington, « The Clash of Civilizations » (« Le choc des civilisations »). Ce traité donne, d’une part, l’impression illusoire d’être systématique, d’avoir bétonné la séparation entre les ennemis irréductibles de la région, et, d’autre part, d’avoir voulu maintenir l’islam local sous contrôle. Ainsi, on a cru que la Fédération croato-musulmane en Bosnie-Herzégovine était une structure bien conçue et inévitable, où les musulmans allaient être placés sous le contrôle de catholiques croates intransigeants.

 

L’avenir n’a pas été aussi simple : la diplomatie internationale a commis bon nombre de bourdes depuis 2001. Ainsi, les Croates de Bosnie ont été considérablement affaiblis, au point de ne plus représenter ce qu’ils représentaient auparavant ; ensuite, la création de nouveaux Etats, comme le Monténégro et le Kosovo, qui sont tous deux des Etats à majorité musulmane réelle ou potentielle, constitue un nouvel élément contribuant à l’affaiblissement général des entités politiques non musulmanes de la région. La situation dans les Balkans n’a pas trouvé de solution et c’est là une invitation aux Turcs à restaurer les structures de feu l’Empire ottoman, puisque l’UE n’a ni stratégie ni projet pour la région et ses membres agissent de manière désordonnée et contradictoire. D’où il ne reste que deux facteurs d’ordre possibles dans les Balkans : d’une part, un islam promu par la Turquie et, d’autre part, une orthodoxie slave en phase de réorganisation. Reste à savoir si ces deux facteurs en lice se heurteront ou trouveront entre eux des intérêts convergents.

 

Force est de constater que seules des structures de domination très expérimentées, comme le furent celles des Ottomans ou des Habsbourg d’Autriche, ont pu gérer le paysage politique très fragmenté de l’Europe du Sud-Est. Tito a réussi, lui aussi, parce son idéologie communiste avait des allures impériales et que sa façon de procéder avait quelque chose de monarchique. L’UE, malgré tous ses efforts, pourra-t-elle obtenir des résultats ? Rien n’est moins sûr.

 

On peut observer très nettement une forte croissance de la population dans les régions traditionnellement habitées par des Musulmans, ce qui fait qu’aujourd’hui la Bosnie-Herzégovine, pour la première fois depuis plusieurs siècles d’histoire, possède désormais une majorité absolue musulmane. On n’en est pas encore vraiment conscient car le dernier recensement complet date de 1991. Que les Musulmans soient majoritaires maintenant ne fait toutefois aucun doute, vu les données crédibles qui sont avancées pour étayer ce fait. Le Monténégro est un autre Etat sur le point de devenir majoritairement musulman. Au Kosovo, ce sont les clivages religieux qui ont entrainé la guerre interethnique et c’est l’islam qui en est sorti vainqueur sans aucun doute possible. La Macédoine, elle aussi, a une population musulmane qui fait le tiers du total démographique du pays. Autre indicateur qu’il convient de remarquer : ce n’est pas qu’en Albanie que l’on rêve d’une Grande Albanie, mais aussi au Kosovo, où, pour atténuer l’effet négatif que pourrait avoir tout discours grand-albanais sur les Européens eurocratisés, on parle souvent d’ « Albanie naturelle ». Or tout Etat grand-albanais serait à domination musulmane et s’insèrerait parfaitement dans les plans d’hégémonie turque, de facture néo-ottomane.

 

Friedrich-Wilhelm MOEWE.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°49/2010, http://www.zurzeit.at/ ). 

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