lundi, 04 avril 2011
Un texte prophétique de 1925
Un texte prophétique de 1925
« Pour son idéal comme pour son bien-être, c’est donc en soi que l’Europe doit chercher le salut.
Voudra-t-elle se sauver ? Une telle volonté exigerait de sa part de grands redressements. Car l’Europe glisse aujourd’hui avec complaisance sur la pente d’un général abandon.
Elle y glisse, entrainée par la double loi de l’égoïsme individuel et du moindre effort. Elle y glisse, croyant poursuivre un idéal nouveau qu’elle appelle « démocratique ». En réalité, elle vit de ses restes, aussi incapable d’adopter les dures lois de la morale païenne et naturelle que de revenir à la morale chrétienne. Rien de plus frappant que son égale impuissance à pratiquer la solidarité ou la fraternité entre les hommes et à y substituer une véritable lutte des classes. L’Européen est aujourd’hui trop détaché de la charité chrétienne pour faire du bien à son semblable, mais il n’a pas atteint ce degré de logique naturelle qui commande la suppression de l’individu dangereux ou des bouches inutiles. Par quoi il laisse périr le faible ou le juste, il supporte le méchant et il entretient le paresseux. L’ancienne Europe avait fait un compromis de la morale de l’amour et de la morale du glaive. L’Europe actuelle a perdu l’amour et n’ose se servir du glaive.
Or les peuples nouveaux auxquels nous avons fourni les moyens techniques de devenir forts et, partant, de propager ou d’imposer leurs façons de vivre, n’ont jamais connu, eux, la morale de l’amour telle que nous l’avons connue. Ils n’ont donc pas les timidités que nous avons gardées. Ils ne connaissent, sous des inspirations diverses, que la morale de la force ou du glaive. Quelle leçon nous donne, à cet égard, le mépris des Russes, mi-Européens mi-Asiatiques, pour la Démocratie ! Chez eux, la Révolution ne fut pas une revanche d’individus, mais une revanche de classes. Ailleurs, par exemple au Japon, les techniques modernes servent une féodalité. Les seigneurs de l’Atlas marocain voyagent en automobile, mais assistés d’esclaves… Quelque estime que nous portions aux Américains, nous devons bien constater qu’ils lynchent les noirs.
Voilà qui procurerait à l’Europe d’étranges surprises si, demain ou après-demain, la vie de ses habitants dépendait du gré d’un autre continent ».
Lucien ROMIER.
(extrait du livre : Explication de notre temps, Grasset, Les Cahiers Verts (sous la direction de Daniel Halévy), n°48, Paris, 1925).
00:05 Publié dans Histoire, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, histoire, idée européenne, europe, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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