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mardi, 19 février 2013

Syrie: le droit international, obstacle à toute intervention occidentale

Bernhard TOMASCHITZ:

Syrie: le droit international, obstacle à toute intervention occidentale

Aux Etats-Unis, de plus en plus nombreuses sont les voix qui s’élèvent en faveur d’une intervention en Syrie. Les bellicistes se posent la question: comment contourner la charte des Nations Unies?

syria-embleme.jpgLa guerre civile syrienne pourrait bien se transformer en un conflit armé international. En effet, la semaine dernière, l’aviation militaire israélienne a lancé une attaque contre le pays voisin et a détruit un convoi militaire qui apportait soi-disant des armes aux milices du Hizbollah au Liban. Les médias syriens en revanche affirment qu’un centre de recherches militaire a été frappé dans la province de Damas.

La Russie s’est déclarée “très préoccupée” et demeure un des rares alliés du pouvoir syrien de Bechar El-Assad. La Russie condamne l’action d’Israël, posée comme “violente et contraire au droit international”. Le ministère russe des affaires étrangères: “Si cette information se voit confirmée, alors nous avons affaire à des attaques non provoquées contre des objectifs situés sur le territoire d’un Etat souverain”. Ce serait une entorse à la charte des Nations Unies et, de ce fait, cette action serait “inacceptable”, poursuit la note du ministère russe des affaires étrangères.

La charte des Nations Unies acquiert une importance décisive dans le processus en cours en Syrie. D’une part, cette charte ne légitimise la violence armée contre un Etat souverain uniquement si celui-ci est l’agresseur; d’autre part, seul le conseil de sécurité peut prendre des mesures de rétorsion contre un Etat membre de l’ONU, par exemple en envoyant des troupes ou en imposant une zone d’exclusion aérienne. Mais comme la Russie et la Chine disposent du droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU et ne souhaitent plus voir se rééditer le scénario libyen, où une alliance occidentale, avec l’appui de quelques pays arabes, a d’abord, sous de fallacieux prétextes humanitaires, décrété une zone d’exclusion aérienne puis a délibérément détruit des installations militaires et participé à l’élimination du détenteur du pouvoir, Mouamar el-Khadafi. Moscou et Beijing, qui gardent en tête ce gâchis libyen, ne voteront donc aucune mesure de rétorsion contre la Syrie. Ce qui amène une fois de plus les Etats-Unis dans l’impasse. Et pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent aux Etats-Unis en faveur d’une intervention militaire en Syrie.

Le 26 septembre 2012, Michael Doran (de la “boîte-à-penser” Brookings Institution) et Max Boot, à l’époque conseiller du candidat républicain à la présidence Mitt Romney, écrivaient dans une tribune libre du “New York Times” qu’il y avait cinq bonnes raisons d’intervenir en Syrie. Première raison: une intervention américaine contre Damas réduirait l’influence de l’Iran dans les pays arabes. Deuxième raison: une telle intervention empêcherait une extension du conflit. Troisième raison (mais qui relève davantage du voeu pieux que de l’analyse objective): la formation et l’armement de partenaires fiables issus de l’opposition syrienne créerait “un bastion contre des groupes extrémistes du genre Al-Qaïda”. Quatrième raison: grâce à “la puissance déployée par l’hegemon américain, les relations avec des alliés clefs comme le Qatar et la Turquie pourraient s’améliorer”. Seule la cinquième raison invoquée mentionne comme but de l’opération “l’élimination des entorses épouvantables aux droits de l’homme commises en Syrie”.

Le 8 janvier 2013, John B. Bellinger, dans les colonnes du “Washington Post”, émet quelques réflexions concrètes sur la façon dont une éventuelle intervention américaine en Syrie pourrait contourner le droit international. Bellinger, sous la présidence de George W. Bush, était conseiller auprès du ministère américain des affaires étrangères et travaille aujourd’hui pour le très influent “Council on Foreign Relations”. Dans son article, il se réfère d’abord à la nécessité d’unir toutes les fractions de l’opposition syrienne: “Si le conseil représentatif de l’opposition syrienne se montrait plus uni et pouvait ainsi représenter de jure la majorité des Syriens, tout en excluant les groupes terroristes et les autres extrémistes de ses rangs, le gouvernement américain pourrait en arriver à la conclusion qu’il serait légal et permis de fournir un appui militaire sur base de l’accord du Conseil (de l’opposition syrienne)”.

Et au cas où d’autres Etats, comme par exemple la Chine et la Russie, s’opposeraient à ce projet au sein du conseil de sécurité de l’ONU, Bellinger garde une solution en réserve: “le gouvernement pourrait intervenir pour protéger les civils de manière limitée, sans se référer au droit international tout comme le gouvernement Clinton a participé en 1999 aux raids aériens de l’OTAN au Kosovo, pour protéger les Kosovars des actes cruels commis par les Serbes. L’intervention au Kosovo a été considérée par la plupart des théoriciens du droit international comme licite même si elle n’était pas conforme à la lettre du droit”.

La Turquie, dont le territoire abrite désormais les missiles “Patriot” de l’OTAN, a toujours soutenu les rebelles syriens contre El-Assad, depuis le début du soulèvement, il y a à peu près deux ans mais elle refuse catégoriquement toute intervention occidentale, surtout américaine. Récemment, on a divulgué le protocole d’un entretien entre le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu et son collègue qatari Hamad Ibn Djassim Ibn Djabir Al-Thani, entretien qui a eu lieu fin octobre 2011: “Nous sommes membres de l’OTAN mais nous ne voulons pas d’intervention étrangère. En tant que musulmans, qu’Arabes et que Turcs, nous ne voulons pas d’intervention occidentale en Syrie”. Les choses sont donc différentes en Syrie qu’elles ne l’étaient en Libye car, là, la Ligue Arabe avait donné le feu vert à l’intervention occidentale, remarquait Davutoglu.

 

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Le Qatar joue un rôle finalement fort douteux dans la guerre civile syrienne. Comme sa voisine plus puissante, l’Arabie Saoudite, le petit émirat du Golfe consacre une partie de ses revenus pétroliers au financement de groupes islamistes. Le Qatar finance ainsi les Frères Musulmans de Syrie qui ne se contentent pas de combattre le régime baathiste d’El-Assad mais ont forgé une alliance avec le “Front Al-Nousra”, une organisation qui entretient des liens avec Al-Qaïda. Au cours du mois de décembre 2012, les services américains avaient classé le mouvement “Al-Nousra” parmi les organisations terroristes, ce qui avait entrainé les protestations de l’opposition syrienne qui, par ailleurs, reçoit appui et soutien et des Etats-Unis et du Qatar...

Dans ce contexte, le Qatar se montre incroyablement serein. Raison pour laquelle le journaliste palestinien Nicola Nasser écrit: “le silence du Qatar dans ce dossier peut être interprété comme un soutien aux protestataires (syriens) contre la décision américaine (de classer “Al-Nousra” parmi les organisations terroristes)”.

Bernhard TOMASCHITZ;

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, Nr. 6/2013; http://www.zurzeit.at/ ).

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