L’antiracisme est un cache-sexe : celui d’une France officielle qui n’a d’autres moyens pour cacher ses reniements que le rideau de fumée. Entendons-nous bien : dénoncer le dogme de l’antiracisme, ce n’est pas – à quelque degré que ce soit – vouloir habiliter le racisme, qui restera toujours une aberration. Mais sortir du manichéisme, c’est si compliqué pour un socialiste…
La « semaine de la haine » est terminée. Le déferlement s’est tari… jusqu’aux prochains mots d’ordre. Toujours la même « ferveur mimétique de notre presse pluraliste. On rivalise dans la colère grave » (Elisabeth Lévy, Les Maîtres censeurs). D’autant que je mettrais ma banane à couper (enfin, façon de parler…) que pas un de ces gueulards n’a lu l’article de « Minute ». Tous ont suivi la meute des cris et des lamentations, qui s’auto-alimente de son propre bruit. « Mimétisme médiatique et hyperémotion », résume Ignacio Ramonet.
Quelle rigolade pourtant ! Car cette gamine, avec sa peau de banane à Angers, méritait une bonne fessée et peut-être ses parents aussi. Pas ce brouhaha de cœur de vierges effarouchées toujours prompt à rejouer l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Parce que, franchement, qui croit vraiment à une « résurgence » du racisme ? De l’antisémitisme, oui, mais de façon circonstanciée, et à cause de certaines franges radicales de l’islam. Mais sinon ?
Le « transcendantal-coluchisme » se perpétue
Qu’importe la réalité : voila vingt ans, trente ans même que la gauche en panne d’idées cherche son épouvantail pour se parer de toutes les vertus et faire oublier son ralliement au capital, cacher ses rangs désertés et toutes ses saloperies. Depuis qu’elle n’est plus marxiste, ni sociale, ni politique, la gauche est morale.
Dès lors, cela fait trente ans que les télés, à la recherche de l’ennemi intérieur, furètent partout en France en quête du moindre crâne rasé pour effrayer la ménagère. Et qu’importe si le mouvement skin n’existe plus depuis plus de vingt ans ! Le vrai danger, c’est le fascisme qu’on vous dit. En France, oui, pays où il n’y eut jamais un seul mouvement fasciste, excepté des groupuscules juste avant la Deuxième Guerre mondiale et quelques bandes d’hurluberlus après qui ne perdurent qu’à travers de pauvres gamins déboussolés qui se font « la voix du système » en allant jusqu’à adopter le portrait robot du méchant, dressé par le système lui-même. Mais bref.
Depuis Carpentras, les bidonnages et accusations risibles se succèdent, suivis des mêmes déclarations grandiloquentes rejouant sans cesse la « mobilisation des potes » : quarante ans que « tous les enfoirés du monde se donnent la main » contre la misère, contre le sida, contre le mal lui-même, le Front national. Par shows télévisés successifs, la France d’en haut, celle qui ne paie pas d’impôts, celle qui se moque du petit franchouillard à longueur de journée s’offre une bonne conscience à grand renfort de larmes qui n’en finissent pas de couler : c’est le transcendantal-coluchisme que François-Bernard Huyghes décrivait déjà… en 1987 dans son livre La Soft-idéologie.
La « duperie consciente » érigée en système
Quoi de neuf depuis ? La gauche garde une forme olympique : calibrée par le milliardaire BHL, trompée par le millionnaire DSK et incarnée par le triste Hollande, elle n’a d’autre choix que de ressortir les bonnes vieilles formules, aussi éculées soient-elles. Et les baudruches fleurissent : « Les digues ont sauté. La libération de la parole raciste a atteint un niveau d’abjection intolérable dans notre pays », annonce la Licra sur son site. Suivra immanquablement la sempiternelle manif pour toute la « France démocratique », électrisée à l’idée de ne pas manquer le rendez-vous avec l’histoire en s’engageant courageusement contre le fascisme qui vient, cet ennemi intérieur qui n’a ni structure, ni journaux, ni leader, ni militant. Danger imaginaire et fantasmé, celui-ci permet toutes les mobilisations et… toutes les manipulations.
La réalité rejoint le roman d’anticipation 1 984 d’Orwell. Quand Harlem Désir compare gravement la LMPT à une montée fasciste, personne n’est censé rigoler. Lorsque les bonnets rouges sont annoncés être « récupérés par l’extrême droite », en attendant d’être traités eux-mêmes de fascistes, interdit de rire.
La novlangue socialiste ne passera pas par nous !
Aux annonces du loup, tout un « peuple de gauche », parfaitement formaté, répond présent. Voici qu’après « La guerre, c’est la paix » de Big Brother, vient « la tolérance, c’est l’intolérance » du Parti socialiste. C’est la « doublepensée » décrite par Orwell :
« La doublepensée est le pouvoir de garder à l’esprit simultanément deux croyances contradictoires, et de les accepter toutes deux. […] La doublepensée se place au cœur même de l’Angsoc, puisque l’acte essentiel du Parti est la duperie consciente, tout en retenant la fermeté d’intention qui va de pair avec l’honnêteté véritable. Dire des mensonges délibérés tout en y croyant sincèrement, oublier tous les faits devenus gênants puis, lorsque c’est nécessaire, les tirer de l’oubli pour seulement le laps de temps utile, nier l’existence d’une réalité objective alors qu’on tient compte de la réalité qu’on nie, tout cela est d’une indispensable nécessité. »
Dans La Révolte des élites (Climats, 1 996), le sociologue Christopher Lasch analysait cette duplicité des nouvelles élites : « Lorsqu’ils sont confrontés à des résistances, ils révèlent la haine venimeuse qui ne se cache pas loin sous le masque souriant de la bienveillance bourgeoise. La moindre opposition fait oublier aux humanitaristes les vertus généreuses qu’ils prétendent défendre. Ils deviennent irritables, pharisiens, intolérants. Dans le feu de la controverse politique, ils jugent impossible de dissimuler leur mépris pour ceux qui refusent obstinément de voir la lumière – ceux qui ne sont pas dans le coup – dans le langage autosatisfait du prêt-à-penser politique. »
Ou, pour dire encore autrement ce mépris, « ces gens-là […] ceux qui sont vaincus, du passé, déjà finis. Dévitalisés, desséchés », pour reprendre les mots de Christiane Taubira lors d’un hommage à Frantz Fanon, grand ami de la France, ce samedi 16 novembre 2013.
La novlangue socialiste n’est pas un outil de pacification sociale. Elle s’affirme plutôt comme un véritable moyen de contrainte tant elle sert à masquer une réalité de plus en plus violente et que l’on n’ose plus dire. De la famille jusqu’au monde du travail, tout vient illustrer des rapports sociaux et humains de plus en plus dégradés, le tout couronné par une parole politique creuse, incapable de donner sens.
Alors, l’interdiction de « Minute » – le rêve de Manuel – serait-elle un progrès ou le symptôme des griffes qui se resserrent ?
Etienne Mouëdec
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