Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 29 avril 2015

Chine, Pakistan ...et Inde

corridor.png

Chine, Pakistan ...et Inde

par Jean Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Il n'est pas impossible que la Chine et l'Inde qui jusqu'ici semblaient s'accorder pour coopérer à l'intérieur du groupe Brics, commencent à devoir élargir leurs perspectives.

Certes, Chine et Inde partagent de nombreux domaines où la coopération n'ira pas de soi vu la concurrence inévitable entre ces deux grands pays. Mais on peut penser qu'un autre sujet pourrait rapidement susciter des méfiances, tout au moins en Inde. Il s'agirait des projets de coopération qu'entretiennent la Chine et le Pakistan. Le Pakistan est un pays musulman, de plus en plus d'ailleurs pénétré de mouvements islamistes, voire éventuellement djihadistes. L'Inde est hindouiste. Dès leur indépendance, les deux pays se sont affrontés sur de nombreux points, y compris en termes de puissance militaire.

On se souvient qu'il y a quelques mois, une visite en Inde de Barack Obama, qui devait inaugurer une grandiose coopération américano-indienne, n'a pas eu tous les résultats espérés par les Américains, notamment en termes industriels. Narendra Modi, déjà au pouvoir à l'époque, avait (à juste titre) suspecté Barack Obama de vouloir mettre les technologies américaines au service, non seulement de l'Inde, mais du Pakistan.

Aujourd'hui un grand programme chinois vise à développer un "corridor" sur le territoire pakistanais, dans une des versions de la grandiose route de la soie permettant à la Chine de s'étendre vers l'ouest. Il s'agit d'un programme discuté parmi plus d'une cinquantaine d'autres d'un montant total de 28 milliards de dollars, les 20 et 21 avril, au cours de la visite officielle du président chinois Xi Jinping au Pakistan. Cette visite a été reçue par les autorités pakistanaises comme un événement majeur

Dans ce programme de corridor, le Pakistan deviendra un maillon essentiel de la relation que la Chine veut établir vers la mer d'Oman et le Moyen-Orient. Le port de Gwadar, à l'extrémité sud-ouest du Pakistan, à 100 km de l'Iran, devrait être relié avec Kashgar, ville importante de l'ouest du Xinjiang chinois, non loin de la frontière pakistanaise. La liaison devrait comporter des routes, des lignes de chemins de fer et des pipelines.Deux routes seront possibles, l'une au sud, plus longue mais plus sûre, l'autre au nord (voir la carte ci dessus, proposée sur le site du journal Le Monde).

La visite s'est conclue sur une déclaration du premier ministre pakistanais Nawaz Sharif : « Ce corridor permettra de transformer le Pakistan en carrefour régional, notre amitié avec la Chine est la pierre angulaire de notre politique étrangère » a-t-il affirmé. On peut penser que cet enthousiasme ne sera pas entièrement partagé par les autorités indiennes.

Addendum

Pour l'ancien diplomate indien et grand chroniqueur MK Bhadrakumar, que nous citons souvent, la visite de Xi au Pakistan et l'accueil qu'il a reçu pourraient significativement changer l'ensemble des perspectives diplomatiques en Asie. Il a noté sur son blog 10 points dont chacun, à l'en croire, pourrait être à lui seul une petite révolution : http://blogs.rediff.com/mkbhadrakumar/author/bhadrakumaranrediffmailcom/

  1. Les relations entre la Chine et le Pakistan se transforment. Les investissements chinois massifs profiteront, non seulement à la Chine, mais au Pakistan. Il s'agira d'une relation gagnant-gagnant. Le « corridor » prévu permettra à la Chine, non seulement d'accéder aux marchés mondiaux mais d'investir massivement au Pakistan. Elle devient ainsi garante de la stabilité et la sécurité du Pakistan, qui voit son statut international conforté.

  2. La Chine fait confiance au Pakistan, dans le présent comme dans le futur. Celui-ci pourra donc se débarrasser de son image d'Etat failli servant de repaire à des groupes terroristes. Xi a d'ailleurs félicité le Pakistan pour ses actions anti-terroristes.

  1. La Chine remplace les Etats-Unis dans le rôle de premier allié du Pakistan. Il va s'établir une alliance de peuple à peuple entre la Chine et le Pakistan, au contraire des relations avec l'Amérique qui est à la fois crainte et détestée par la population.

  2. Grâce à l'alliance chinoise, les différences de puissance entre l'Inde et le Pakistan diminueront, que ce soit au plan économique ou militaire. Le Pakistan pourra ainsi devenir attractif pour les investisseurs étrangers. Le label « made in Pakistan » concurrencera le « made in India ». Ceci d'autant plus que les indicateurs économiques et budgétaires pakistanais sont meilleurs que ceux de l'Inde. La Chine pourra ainsi favoriser l'entrée du Pakistan dans le groupe des Brics.

  1. Il en résultera d'importantes réorientations stratégiques au Pakistan. Les élites jusqu'ici traditionnellement portées vers l'Occident, malgré l'hostilité de la population, se tourneront vers d'autres horizons, notamment vers les membres du Brics, en premier lieu, sans compter la Chine, vers la Russie, puis à terme l'Iran, les Etats d'Asie centrale et même l'Inde.

  2. Le renforcement de l'influence chinoise au Pakistan contribuera à la stabilisation de la situation politique en Afghanistan, ce que les Etats-Unis n'ont jamais réussi à faire. La Chine permettra également aux membres du Brics de stabiliser leurs relations avec l'Afghanistan.

  3. La marine chinoise (navires de surface et sous-marins) pourra utiliser le port pakistanais de Gwadar, ce qui renforcera la présence chinoise dans le golfe d'Oman et l'océan indien.

  4. Les capitales du sud-est asiatique observeront attentivement comment évoluera la relation sino-pakistanaise, afin de ne pas en être exclues, tant au plan économique que politique. .

  5. La stratégie américaine, anti-russe et anti-chinoise, visant notamment à isoler la Chine, considérée comme un ennemi potentiel, devra être revue. La Russie, de son côté, jusqu'ici préoccupée par les mouvements islamistes radicaux au Pakistan, pourra devenir moins méfiante. La Chine et la Russie renforceront leurs liens avec l'Iran simultanément de ceux avec le Pakistan. Il en résultera que l'Iran et le Pakistan seront encouragés à devenir membres de l'organisation de Coopération de Shanghai.

  6. L'Inde devra elle aussi modifier profondément sa stratégie internationale. Elle est confrontée à un dilemme « existentiel ». Elle ne pourra pas poursuive une politique de méfiance à l'égard de la Chine. Au contraire, elle devra se joindre aux projets de coopération et d'investissements proposés par cette dernière. La visite de Xi au Pakistan obligera Narandra Modi, jusqu'ici très méfiant à l'égard de la Chine, à se faire plus coopératif. Ceci devrait changer le sens du déplacement de Modi à Pékin prévue dans trois semaines. D'une façon générale, l'Inde devra modifier en profondeur ses relations avec la Chine, afin de profiter de ses capacités d'investissement. En contrepartie, elle devra perdre de son intérêt pour ses relations avec l'occident, qui ne lui ont jamais rien rapporté. Modi pour ce qui le concerne doit faire confiance à la Chine de la même façon que celle-ci fait confiance au Pakistan, malgré le poids qu'y ont encore les éléments islamistes radicaux.


Notre commentaire

Manifestement, MK Bhadrakumar n'aime guère Narendra Modi. Ceci le conduit à voir avec sans doute un peu trop d'optimiste les relations de l'Inde avec la Chine et et celles de la Chine avec le Pakistan. Il n'est pas certain que l'Inde dans ses profondeurs puisse rapidement abandonner son hostilité profonde vis-à-vis du Pakistan. MK Bhadrakumar est peut-être aussi un peu trop optimiste concernant les changements radicaux de paradigmes politiques qu'apporteraient en Asie et même dans le reste du monde le rapprochement Chine-Pakistan. Néanmoins, pour l'essentiel, ses analyses paraissent pertinentes.

Comme lui, par ailleurs, on peut penser que le rapprochement Chine-Pakistan marque un nouveau revers pour la politique militariste d'Obama contre la Chine, résultant du « pivot vers l'Asie » que celui-ci avait entrepris. Nous ne nous en plaindrons pas.

 

Jean Paul Baquiast

Les commentaires sont fermés.