vendredi, 16 octobre 2015
La théorie zinovienne de l'idéologie
Un bref aperçu
Fabrice Fassio**Dans le cadre de la VIème Conférence Internationale "Lire Alexandre Zinoviev", avec pour thème : "Alexandre Zinoviev et les idéologies contemporaines" qui se tiendra à Moscou fin octobre 2015, plusieurs articles, dont celui-ci, seront publiés et de nombreux chercheurs interviendront. Faire connaître les thèses du sociologue russe : tel est l'objectif que se sont fixé tous les participants à cette conférence. Fabrice Fassio.
Á ma connaissance, Alexandre Alexandrovitch Zinoviev est le seul philosophe au monde qui ait créé une théorie englobant tous les aspects du phénomène idéologique. Il est regrettable que peu de gens aient prêté attention aux idées radicalement nouvelles que le logicien russe a développées dans ses ouvrages, qu'ils soient littéraires ou sociologiques. Dans le cadre de cet article, nous vous proposons un très bref aperçu de cette théorie.
Passion de jeunesse
Passionné dès son adolescence par les problèmes politiques et sociaux, Alexandre Zinoviev raconte dans ses mémoires, Les Confessions d'un Homme en Trop, qu'il a commencé très jeune à se familiariser avec l'idéologie marxiste, lisant entre autres des ouvrages de Marx, d'Engels ou de Staline. Devenu bien plus tard un logicien de renommée mondiale, le philosophe affirmera que le marxisme, idéologie d'État de l'ancienne Union soviétique, est le phénomène idéologique le plus important du vingtième siècle. Il affirmera aussi que le marxisme n'est pas une science, bien qu'il contienne des éléments scientifiques en son sein. Quelle est donc la frontière entre science et idéologie selon le philosophe?
Cerner le phénomène idéologique
Selon le logicien russe, les propositions scientifiques sont vérifiables ou réfutables, à moins que l'on ne puisse prouver leur caractère insoluble. Quant aux affirmations idéologiques, elles sont impossibles à prouver ou à réfuter; en outre, elles peuvent être interprétées de différentes façons, alors que les termes utilisés par la science ont un sens précis. Enfin, et ce point me paraît essentiel, les résultats d'une idéologie (qu'elle soit laïque ou religieuse) se mesurent par l'efficacité de son action sur la conscience des gens. Dans ses ouvrages sociologiques, le philosophe explique que, dans l'Union soviétique des années 1980-1990, l'influence du marxisme sur la conscience des Soviétiques s'est révélée trop faible pour arrêter l'action de l'idéologie occidentale. Ce fut l'un des facteurs qui contribuèrent à l'effondrement de l'Union soviétique.
La sphère idéologique
Dans ses œuvres, Le Facteur de la Compréhension en particulier*, Alexandre Zinoviev note que la sphère idéologique comprend un grand nombre d'hommes et d'organismes dont la tâche consiste à conditionner l'esprit des citoyens dans un sens favorable à la survie de la société tout entière.
Journalistes, politiciens, sociologues, professeurs, membres du clergé, effectuent au quotidien cette tâche indispensable à la préservation de l'organisme social. Les modes d'organisation de cette sphère sont très divers et forment un large éventail allant de l'organisation unique et toute-puissante (une "Eglise") jusqu'à un grand nombre d'institutions plus ou moins autonomes. L'ancienne Union soviétique où certains pays musulmans contemporains sont des exemples de sociétés dans lesquelles existait ou existe encore une organisation unique chargée de diffuser une idéologie d'État laïque ou religieuse. A l'inverse, les nations occidentales contemporaines comptent de nombreuses institutions plus ou moins autonomes (maisons d'édition, médias, cercles de réflexion, etc.) qui exercent une action idéologique sur les populations. Dans ses mémoires, Alexandre Zinoviev note qu'il existe un mode de pensée commun à tous les Occidentaux. Bien qu'elle se compose de nombreuses institutions, la sphère idéologique occidentale joue donc son rôle.
Le champ idéologique
L'action de la sphère idéologique a comme résultat la création d'un champ de forces dans lequel "baignent" en permanence tous les membres de la société. Mots, slogans, images, constituent la "nourriture mentale" quotidienne des citoyens d'un pays. De nos jours, des institutions telles que les médias jouent un rôle énorme en matière d'éducation idéologique de la population. Les individus sociaux sont informés dans l'esprit de l'idéologie de l'actualité politique nationale et internationale, des nouveautés en matière de science et de technique, etc. Cette éducation a pour objectif non seulement d'imprégner les esprits d'une certaine vision de l'être humain, de la société et du monde, mais aussi d'entraîner les cerveaux de telle sorte qu'ils ne soient pas capables d'élaborer une autre vision des choses. C'est la raison pour laquelle, au sein d'un même groupe humain, beaucoup de personnes adoptent une attitude identique face à des événements sociaux, politiques ou culturels nouveaux.
Si les gens perdent l'idéologie à laquelle ils sont habitués, ils sombrent dans un état de chaos et de confusion idéologique, note Alexandre Zinoviev dans le Facteur de la Compréhension. C'est ce qui s'est produit, ajoute le philosophe, en Union soviétique après le rejet du marxisme-léninisme comme idéologie d'Etat.
Un ensemble mouvant
En tant que doctrine (ensemble d'idées), l'idéologie n'est pas un ensemble figé, constitué une fois pour toutes. Certaines idées apparaissent alors que d'autres se modifient ou disparaissent tout simplement. Après l'effondrement de l'Union soviétique par exemple, l'idéologie occidentale a intégré de nouveaux concepts : révolution globale, gouvernance mondiale, village planétaire, culture globale, etc. Ces concepts se sont agrégés à des idées plus anciennes (éloges de l'économie de marché ou de la démocratie parlementaire, par exemple). Née aux Etats-Unis, l'idéologie contemporaine de la globalisation est destinée à servir les intérêts des Occidentaux en général et des Américains en premier lieu. Cependant, les idées occidentales ne sont pas les seules à exister sur cette terre. Idéologie religieuse, l'islam exerce aujourd'hui une action puissante sur l'esprit de millions d'hommes. En plein essor, il s'affirme comme un redoutable concurrent des autres idéologies qui fleurissent de nos jours sur notre planète.
*Le Facteur de la Compréhension (Faktor Ponimania) ; ce livre n'est toujours pas édité dans notre pays alors que sont publiés chaque année des centaines de livres dénués d'intérêt. France, que devient ta tradition d'intellectualisme ?
**spécialiste de l'oeuvre du logicien et sociologue russe : Alexandre Zinoviev.
00:05 Publié dans Littérature, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, littérature russe, lettres, lettres russes, alexandre zinoviev, idéologie, philosophie, philosophie politique, théorie politique, sciences politiques, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Au sujet de mon article : "la Russie du mauvais côté de l'Histoire"
Plusieurs lecteurs ont pensé que j’exprimais, dans la conclusion de cet article, une opinion personnelle et m’ont fait part de leur incompréhension. Une mise au point m’apparaît donc nécessaire.
En écrivant que la Russie contemporaine glissait du mauvais côté de l’Histoire, je ne voulais pas dire que ce pays prenait une direction que je désapprouve, mais simplement que la direction en question s’opposait aux intérêts des Etats-Unis. C’est évidemment ce dernier point que le Président Obama avait à l’esprit lorsqu’il a déclaré le 3 mars 2014 que la Russie se situait » du mauvais côté de l’Histoire. »
Fabrice Fassio
Écrit par : Fabrice Fassio | vendredi, 23 octobre 2015
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