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vendredi, 29 janvier 2016

La planète de la peur

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La planète de la peur

Auteur : Pepe Escobar
Ex: http://zejournal.mobi

La silhouette étincelante des gratte-ciels qui découpent le paysage hivernal de Doha, dans le golfe Persique, a le mérite d’offrir une vue panoramique. La plupart des pays environnants se désagrègent et ceux qui restent, à l’exception de l’Iran, n’ont pas la volonté politique ni l’infrastructure économique et institutionnelle qu’il faut pour faire autrement que se résigner docilement à subir tous les tsunamis qui frappent leurs côtes. Ils ne sont rien d’autre que des spectateurs effrayés.

L’Empire du Chaos a assez de quincaillerie belliciste pré-positionnée à distance de crachat pour réduire l’ensemble de l’Asie du Sud en cendres − alors que le troupeau des suspects habituels de Washington, néocons ou néolibérauxcons, dans une sorte de choc et effroi exponentiel, ne peut toujours pas trouver de remède à ses démangeaisons de vouloir vraiment gagner la prochaine guerre.

La peur règne partout. Jim Rickards, l’auteur de La guerre des monnaies, économiste et agent de la CIA, vient de publier un nouveau livre, The Big Drop [La Grande Débandade], avec un message assez sombre. Pour sa part Jim Rogers, alias le Sage de Singapour, qui passe la plupart de son temps à conseiller l’élite chinoise sur le placement de ses investissements, nuance la perspective de l’Ouest qui met sur le dos de la Chine tous les bouleversements actuels de l’économie mondiale.

Selon Rogers :  «Oui, la Chine ralentit. Mais le Monde aussi, pour l’essentiel. Le Japon, l’un des plus importants partenaires commerciaux de la Chine, est officiellement en récession. Une grande partie de l’Europe est dans une situation pire. Le marché boursier américain était en baisse en 2015 alors que le marché boursier chinois a été l’un des plus solides dans le monde.»

Rogers ajoute : «Les choses vont empirer dans le monde entier et tout le monde va souffrir et mérite le blâme. La source originelle est la Réserve fédérale américaine et ses taux d’intérêt artificiels et ridicules, nécessités par l’impression massive de liquidités, politique que le monde entier a copiée. Ajoutez à cela la hausse vertigineuse des dettes du gouvernement des États-Unis [que le monde a également copiée] et ce sera bientôt l’enfer pour la rembourser.»

Donc, il n’est pas étonnant que les rumeurs de guerre apocalyptiques soient la nouvelle normalité − même si les vieux de la vieille fanfaronnent pour seulement une bonne vieille guerre mondiale, comme si les échanges nucléaires ne faisaient pas partie de l’équation. Quelques esprits sains dans l’axe atlantiste craignent que si le Duce Trump gagne la prochaine élection présidentielle américaine, cela se traduira en faillite garantie pour les États-Unis, et − devinez quoi ? − en guerre si Trumpissimo met en œuvre ne serait-ce que la moitié de ce dont il se vante.

Bradez tout le pétrole que vous pouvez

Le festival de blabla annuel de Davos est sur le point de commencer ; c’est l’une de ces occasions où les Maîtres de l’Univers − qui décident généralement tout derrière des portes closes − envoient leurs sous-fifres pour débattre de l’avenir de leurs possessions. Le centre du débat actuel étant de savoir si nous sommes encore au milieu de la troisième révolution industrielle du numérique et de l’internet des objets ou si nous sommes déjà entrés dans la quatrième.

Dans le monde réel tout le caquetage porte sur l’époque du pétrole à l’ancienne. Ce qui nous amène aux innombrables effets de la stratégie du pétrole pas cher déployée par la Maison des Saoud selon les directives de Washington.

Les négociants du golfe Persique, à huis-clos, sont catégoriques : il n’y a plus aucun surplus mondial réellement conséquent de pétrole car tous les stocks ont été lâchés sur le marché suite aux ordres de Washington.

Petroleum Intelligence Weekly estime l’excédent à un maximum de 2,2 millions de barils/jour, plus de 600 000 barils/jour arriveront en provenance de l’Iran plus tard dans l’année. La consommation américaine de pétrole − à 19 840 000 barils/jour soit 20% de la production mondiale − n’a pas augmenté ; ce sont les autres pays, les 80%, qui ont absorbé le pétrole excédentaire.

Certains négociants importants du golfe Persique affirment catégoriquement que le pétrole fera un bond pendant la deuxième moitié de 2016. Cela explique pourquoi la Russie ne panique pas en voyant le prix du baril plonger vers $30. Moscou est très conscient des manipulations du marché pétrolier par ses partenaires contre les intérêts de la Russie, et dans le même temps anticipe que cela ne durera pas très longtemps.

Cela explique pourquoi le ministre russe adjoint aux Finances, Maxim Oreshkin, a publié un message du genre on se calme et on fait avec ; il prévoit que les prix du pétrole resteront dans la fourchette $40-60 le baril au moins pour les sept prochaines années, et la Russie peut vivre avec ça.

Les Maîtres de l’Univers − tout comme les Russes − ont réalisé que leur manipulation du pétrole ne peut pas durer. L’hystérie prévisible a pris le dessus. Voilà pourquoi ils ont ordonné aux grandes firmes de Wall Street de dénouer leurs contrats futurs en espèces et non en pétrole physique [il n’y en a pas assez, NdT]. Les médias US aux ordres ont reçu la consigne de raconter que la situation va durer éternellement. L’objectif est de faire baisser le prix du baril à $7 si possible.

La stratégie initiale des Maîtres de l’Univers devait finalement conduire à un changement de régime en Russie qui remettrait les suspects habituels oligarques en selle pour réinitialiser l’opération de pillage massif des richesses dont la Russie a déjà souffert pendant les années 1990.

La Maison des Saoud terrorisée n’est qu’un simple pion dans cette stratégie. Si le plan fonctionnait, la Maison des Saoud, dirigée par le quasi dément King Salman maintenant confiné dans une chambre de son palais de Riyad, serait également régime-changée, par l’intermédiaire de militaires saoudiens formés en Occident et recrutés par des agents occidentaux. En prime, la République islamique d’Iran serait également effondrée avec des modérés (rebelles ?) prenant le contrôle.

Ainsi, la stratégie des Maîtres de l’Univers se résume essentiellement à un changement de régime en Russie, en Iran et en Arabie saoudite au profit de l’élite vassale (et donc amicale) de l’Exceptionalistan ; en somme, le chapitre final de la guerre mondiale pour les ressources. Pourtant, jusqu’ici, la Maison des Saoud n’a absolument aucune idée de ce qui pourrait lui arriver ; les princes de Riyad peuvent penser qu’ils sapent l’Iran et la Russie, mais à la fin ils pourraient bien seulement accélérer leur propre disparition.

J'en perds ma religion

En Europe, il nous semble être de retour à 1977, lorsque The Stranglers chantaient No More Heroes [Plus de héros]. Aujourd’hui, plus de héros et pas plus d’idéaux. Même si certains des meilleurs et des plus brillants Européens ont essayé de combattre l’immense violence du néolibéralisme, par l’intermédiaire de l’alter-mondialisation, les plus pauvres parmi les jeunes sont maintenant embourbés dans la violence et le nihilisme suicidaire de la jeunesse européenne − le wahhabisme extrême qu’ils ont appris en ligne sur internet. Pourtant, cela n’a rien à voir avec l’islam, et ce n’est pas une guerre de religion malgré ce qu’en dit avec une insistance régulière une myriade de partis d’extrême-droite à travers l’Europe.

Sur tout le spectre, motivé par la peur, le mélange toxique de l’instabilité politique et économique continue de se propager, ce qui pousse quelques observateurs initiés à se demander si la Fed et le Comité central du Parti à Pékin ne savent pas vraiment ce qui se passe.

Et cela, encore une fois, alimente les hordes belliqueuses pour lesquelles cette «bonne vieille guerre mondiale» est l’issue de secours la plus facile. Annuler toutes les dettes ; en créer un paquet de nouvelles ; transformer les socs de charrues et les iPhones en canons. Et après un petit échange thermonucléaire, accueillir le plein emploi et une nouvelle terre (dévastée) d’opportunités.

C’est dans ce contexte que, sous le volcan, émerge un essai de Guido Preparata, un économiste politique italo-américain maintenant basé en tant que chercheur au Vatican. Dans The Political Economy of Hyper-modernity, à paraître bientôt dans une anthologie publiée par Palgrave / Macmillan, Preparata propose un compte rendu historique, sur les 70 dernières années, de la dynamique monétaire internationale US en utilisant un seul indicateur : le solde global de la balance des paiements américaine − qui n’a pas été publié depuis 1975.

Pourtant, la conclusion la plus importante de l’essai semble être que «le moteur néolibéral, qui a dû recourir surtout au fioul domestique [le dollar], a montré … une résilience appréciable». Le Trésor américain et la Réserve fédérale ont ensemble réussi à ériger un mur d’argent.

Et pourtant, «les technocrates US semblent avoir grandi sans illusions avec la machine néolibérale». Donc, «comme alternative monumentale, les technocrates ont appelé à une sorte de rééquilibrage mondial». Le système américain «semble être en transition vers un régime néo-mercantiliste». Et la réponse est le PPT (Le Partenariat Trans-Pacifique) et le TTIP (le Traité transatlantique et le Partenariat pour l’investissement). Il s’agit d’accords commerciaux qui, ensemble, «vont placer les États-Unis au centre d’une zone de commerce ouverte représentant environ les deux tiers de la production économique mondiale».

Ce qui impliquerait, pour conclure, une fin de partie du genre faisons du commerce, pas la guerre. Alors, pourquoi avoir peur ? En effet, dans la bataille interne qui fait rage parmi les Maîtres de l’Univers, les néolibérauxcons en roue libre n’ont pas encore eu le dernier mot. Alors faucons guerriers, méfiez-vous.

Traduit et édité par jj, relu par Literato pour Le Saker francophone

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