Ce texte a d’abord été conçu comme une réponse à une attaque un peu basse d’un éditeur parisien. Il est maintenant publié pour lui-même.
Le monde contemporain, un ensemble d’A-Patries
Une courte ontologie du devenir de l’Europe
La patrie
Sommes nous tous devenus des apatrides ? La question, formulée ainsi, semble à première vue provocatrice, en effet, une large majorité d’individus se revendique toujours d’une patrie, qu’elle soit charnelle, spirituelle ou incarnée par une nation. Pourtant la question de l’appartenance à une patrie n’a jamais été autant d’actualité, notamment en France et en Europe. Homère, déjà, se préoccupait de la question, « il n’est point de terre plus douce que sa propre patrie ». Etymologiquement la patrie est « le pays des pères », non du père, mais des pères. Donc d’une lignée. Ce que confirment les traductions de « patrie », en anglais avec « Father-Land », ou bien en allemand avec « Vater-Land ». La patrie est un territoire auquel on attache une notion de tradition et d’héritage, une filiation multi-générationnelle. On peut donner plusieurs significations au mot « père ». Selon la définition courante c’est un substantif qui fait référence à la notion de « paternité », il s’agit soit du parent biologique, soit du parent social, de sexe masculin. Ce peut être aussi une image à caractère symbolique : « dieu le père », « petit père des peuples », qui caractérise néanmoins toujours le lien d’ascendance filiale. Homère, en indiquant que notre propre patrie est toujours la plus douce, transmettait l’idée que c’est en se plaçant dans le sillage de ses pères, qu’on se tient dans la conformité de son « être », qu’on est à sa « place ». Un proverbe arabe dit sensiblement la même chose, en attachant à la « patrie » une notion d’exclusivité : « Mieux vaut une maison en ruines qu’un Palais en commun ».
Ce que dit Homère peut s’envisager très directement ; cultiver la terre qui a appartenu à ses pères est la continuation du travail de l’enracinement, de la poursuite d’une œuvre qui se conjugue au singulier de l’être et au pluriel de la patrie. On peut aussi l’étendre ; cette patrie prend la forme d’un legs spirituel, une terre imagée, racine de l’arbre de la pensée, féconde pour l’esprit, c’est l’endroit duquel peut s’opérer la création, comme la graine de blé en germant produira un épi. Etre, c’est à dire se comprendre en tant qu’homme parmi les hommes, c’est retourner à la patrie, accéder à son essence propre, ainsi que le chantait le poète allemand Hölderlin. Cette patrie matérielle et spirituelle, n’est pas une négation de l’ensemble des hommes, mais bien au contraire la compréhension que c’est en admettant son altérité propre que l’on est un homme au milieu des autres ; donc à même de nouer des liens avec ce qui nous est étranger et de participer au destin historique du monde. En sortant de sa patrie, un homme est exclu de sa condition propre et de l’histoire. L’apatride est exilé de son être, orphelin de sa réalité. Martin Heidegger parlait de l’absence de patrie comme d’ « un signe de l’oubli de l’être ».
Pendant des millénaires, la patrie a été l’élément constitutif de toutes les identités et des institutions qui les ont incarnées : Etats-nations, empires et autres territoires libres. Nous naissons, et nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas lancés nus dans le monde, nous nous inscrivons dans une tradition. C’est ce lien qui fait les hommes, il n’y a pas un homme mais des hommes, dont les êtres vivent dans des maisons différentes, constitutives des besoins que leur imposent leurs conditions d’existence ; voilà ce que sont les patries, les foyers des êtres. Sur tous les continents se sont créés, par un long processus historique, des modalités d’existences conformes aux hommes qui les ont habités ; en retour des civilisations consubstantiellement connectées à ces habitats sont apparues avec les cultures, les religions et les mythes liés. Des pensées spécifiques ont émergé et chaque fils a hérité de son père, les habitudes de sa patrie. La patrie étant en un sens la famille élargie.
La patrie unique marxiste
Antonio Gramsci l’avait tout à fait entendu : « ce n’est pas dans la lutte des classes que la gauche révolutionnaire arrivera au pouvoir mais par le biais d’une activité culturelle et en éradiquant par tous les moyens appropriés les notions de patrie, de famille et de religion, piliers de la civilisation occidentale. L’immigration sans limites est aujourd’hui le moyen le plus sûr, le plus puissant et le plus efficace de parvenir à nos fins ». Il démontre que la réponse conceptuelle, posée par le problème marxiste d’atteindre la « fin de l’histoire », consiste en l’éradication de tous les fondements essentiels et instinctifs de ce qui fonde nos êtres, soit les données de base de tous les groupes et civilisations humains depuis l’aube de l’humanité. Un tel degré de sophistication intellectuelle (qui est, ironiquement, la conséquence de l’évolution de la pensée occidentale, patrie spirituelle d’Antonio Gramsci) implique la destruction des assises de la civilisation, afin de créer un humanisme qui ne soit pensé que par l’homme et non pour les hommes. Ce qu’on appelle humanisme de nos jours, n’est en réalité qu’un anthropocentrisme dévoyé qui exclut l’homme de la nature et en retour l’exile de lui-même. N’oublions pas le rapport immanent des hommes à la nature, ce qui implique de protéger notre environnement culturel. L’ordre de la raison ne doit pas exclure la pensée imagée et méditative de notre civilisation, le mythe participant pleinement à notre aventure historique, culturelle et sociale.
Nous sommes en vérité produits de notre devenir collectif mémoriel, et non de pures constructions intellectuelles pouvant à loisir devenir homme quand on nait femme, ou bien Egyptien quand on nait Mexicain. Antonio Gramsci dans la logique propre à son idéologie, ne peut finalement pas imaginer qu’il existe une pluralité d’hommes, chacun inscrits dans des « patries ». Ou s’il le conçoit, cela lui apparaît comme un élément à déconstruire, le dernier et le premier ferment de l’historicité du monde.
Il envisage pour cela une double manœuvre stratégique : d’abord provoquer le déracinement d’individus vers d’autres terres (ceux qui émigrent ne sont plus apparentés à la terre de leurs pères, ils sont orphelins de leurs patries), puis par un effet mécanique déstabiliser la patrie d’accueil, qui ne se reconnaît plus d’une origine commune, d’un seul tenant.
Aujourd’hui une partie des stratégies de guerre asymétrique théorisées par le penseur italien ont matérialisé leurs effets, elles l’ont cependant été partiellement en dépit de ses idéaux. En effet, le marxisme a échoué dans sa tentative de sortir les hommes de l’histoire pour créer un homme nouveau, l’objectivisme rationnel libéral a eu le plus de résultats en la matière. Ce système est l’homme debout portant le monde sur les larges épaules de la raison, représenté par la statue d’Atlas qui fait face au « Rockfeller Center » dans la ville de New-York aux Etats-Unis. Un positivisme chasse l’autre. L’un est beaucoup plus hypocrite et pernicieux que l’autre. Alors qu’Antonio Gramsci souhaitait la destruction des patries pour instaurer un être collectif qui soit en partage à tous – dans une optique égalitariste forcenée -, l’autre n’envisage l’être que dans ses manifestations individuelles, déconnecté de toute ascendance ou descendance.
L’objectivisation de l’homme
La philosophe russo-américaine Ayn Rand a fui le communisme soviétique pendant sa jeunesse, elle fut une apatride. Son sort l’a logiquement amenée à développer une vision du monde rejetant toutes les idées d’identification collectives, c’est à dire le communisme qui est une identification collective universelle réfutant le fait qu’il y ait pluralité d’hommes – au profit d’un homme unique- ; mais aussi les notions de filiation et de tradition qui ouvrent les hommes à leur altérité et donc à l’allégeance familiale puis patriotique. Bien que sa pensée n’ait eu qu’une maigre portée intellectuelle – car frappée du sceau de son ressentiment subjectif, et soit en outre peu étudiée dans les sphères universitaires-, elle est devenue une source majeure d’influence pour les penseurs « libéraux » de toutes obédiences (Ronald Reagan ou Hilary Clinton figurent au rang de ses admirateurs).
Son constat est le suivant : « ma philosophie conçoit essentiellement l’Homme comme un être héroïque dont l’éthique de vie est la poursuite de son propre bonheur, la réalisation de soi son activité la plus noble, et la Raison son seul absolu. ». En soi cette citation ne paraît pas malfaisante, tout homme aspire au bonheur et à sa réalisation personnelle. C’est ce qui n’est pas explicitement dit, qui a, comme toujours, de l’intérêt. Ayn Rand ne reconnaît à l’homme que des droits, il n’a aucun devoir. Souverain, son être ne se dévoile pas à l’aune de particularités héréditaires mais uniquement selon la raison, il est par nature orphelin de père et de mère. C’est un homme indifférencié, sans aucune attache, jouissant, consommant. Il n’y a plus d’hommes qui agissent dans un devenir commun à partir d’éléments qu’ils ont en partage, chaque homme est absolument sa propre patrie. Au projet marxiste de la suppression des patries pour une patrie unique, universelle, et collective, l’objectivisme rationnel répond par la suppression de toutes les patries collectives en atomisant celles-ci en chaque individu. Les hommes dans leurs singularités propres – c’est à dire en ce que leurs individualités procèdent d’un fonds historique concordant à leurs parentèles -, sont niés au profit d’hommes nouveaux jetés sans généalogies historiques tels les Adam et Eve d’un humanisme dévoyé. Pas mieux que des golems qui n’auraient pas la conscience de leurs êtres. Donc si l’homme n’a pas d’origine, pourquoi conserver les patries, les institutions, la culture ? L’homme hors-sol – qu’il soit une fiction marxiste, libérale ou même ultra-nationaliste – est un pur nihilisme. Ce n’est pas une vie héroïque, le héros se glorifie d’accomplissements personnels en lien avec la transmission, et s’il n’agit que pour lui, il transgresse. La transgression n’existe que par les normes, supprimez-les et la civilisation est privée de sa capacité régénératrice. Cette logique développée à l’extrême conduit donc à un totalitarisme ; les hommes sont privés d’origines, de transmission et même de la capacité à transgresser l’ordre moral, car celui-ci n’existe plus.
Jean Baudrillard trouva dans « La Société de Consommation », une exacte définition pour l’horizon de l’homme contemporain : « homo oeconomicus ». Il précise cette notion comme « fossile humain de l’âge d’or, né à l’ère moderne de l’heureuse conjonction de la Nature Humaine et des Droits de l’Homme, est doué d’un intense principe de rationalité formelle qui le porte : 1- A rechercher sans l’ombre d’une hésitation son propre bonheur ; 2- A donner sa préférence aux objets qui lui donneront le maximum de satisfactions. Tout le discours, profane ou savant, sur la consommation, est articulé sur cette séquence qui est celle, mythologique, d’un conte : un Homme, « doué » de besoins qui le « portent » vers des objets qui lui « donnent » satisfaction. Comme l’homme n’est jamais satisfait (on le lui reproche d’ailleurs), la même histoire recommence indéfiniment, avec l’évidence défunte des vieilles fables ».
Le sociologue français conceptualise un homme de besoins, un homme qui a le « droit » de « satisfaire » à ses besoins. Les « besoins » dont il s’agit, ne sont pas d’ordre naturel comme manger ou dormir à l’abri, mais bien des « besoins » d’ordre symbolique et répondant à des critères de confort annexe ou à l’hédonisme ludique. Le besoin de confort ne s’arrête jamais, pourquoi faire la vaisselle à la main quand on peut avoir un lave-vaisselle, pourquoi utiliser un paquebot quand on peut se déplacer en avion, c’est parfaitement normal et un cycle qu’il ne convient pas d’arrêter. Le besoin de confort découle du besoin naturel, le confort matériel ne doit cependant pas occulter que les hommes ont besoin du confort mental. Le bien être émotionnel est d’une importance équivalente au bien-être matériel.
La volonté ludique est elle aussi infinie, l’homme est un animal joueur tout autant que rationnel, il voudra sans cesse s’amuser et découvrir. C’est dans sa nature, ce qui est plus problématique c’est qu’on en arrive à fabriquer des pseudos-besoins fictionnels, qui s’accompagnent de l’obsolescence programmée des objets de consommation. Il est normal que nous satisfassions nos besoins ludiques, que nous nous dotions d’objets modernes pour communiquer, les téléphones mobiles multi-tâches sont de formidables inventions du génie humain, est-il néanmoins nécessaire pour Apple d’en sortir un nouveau tous les 6 mois qui n’apporte quasiment rien au précèdent ? Non. Ainsi nous devenons pulsionnels, nous entretenons une addiction au fait de posséder de nouveaux objets. Et tout participe à oublier nos semblables, car nous sommes plongés dans la recherche du bonheur individuel, sans frontières, instantané. Donc allergiques à la frustration, au long cours. Pourquoi déconseiller à un migrant de se déraciner, de s’éloigner de sa patrie, quand il est à la recherche de son bonheur personnel ? Après tout il ne cherche qu’à satisfaire son bien-être .
Les dangers que cet homme objectivement rationalisé pose sont clairement identifiables. La « gauche révolutionnaire » fabrique une fourmi rouge sans capacité à l’examen critique, frère ou sœur de tous, et fils ou fille de personne (très éloigné néanmoins du romantique anarchiste évoqué dans la chanson du Creedence Clearwater Revival appelée Fortunate Son puis reprise sous le titre Fils de Personne par Johnny Halliday). Les néo-libéraux ont, quant à eux, pour idée de l’homme, un être sans attache, mu par son seul plaisir, il n’est l’obligé de quiconque si ce n’est son bon vouloir, s’il doit tout détruire sur son passage, pourquoi s’en priverait-il ? Après tout, seule la satisfaction immédiate de ses désirs est objectivement valable. Il en est ainsi du personnage Gordon Gecko dans le film Wall Street d’Oliver Stone ou de n’importe quel rappeur « girls, guns and money ». Tant qu’il a matériellement « réussi », il a accompli sa destinée. Un mafieux qui ne se fait pas attraper par la patrouille pourrait être un modèle d’accomplissement personnel, surtout s’il a migré et renié son père. Et puis tant qu’à raisonner par l’absurde, tout devrait être permis, surtout le suicide – uniquement motivé par des considérations individuelles, opposé au suicide altruiste et protestataire –, quel plus bel exemple d’égoïsme rationnel que celui-ci.
Le monde de la technique, une critique qui ne saurait être totale
Les nouvelles doctrines « techno-culturelles » peuvent être qualifiées de mythes modernes : promesse du bonheur matériel et terrestre par l’avènement d’un homme universel dont la seule allégeance soit le marché. Ces doctrines sont occidentales et européennes, elles ont enfanté par dérivation la plupart des systèmes politiques dits modernes. Les deux guerres mondiales ont frappé l’Europe de plein fouet, elles sont le résultat d’une accélération paroxystique de la volonté d’efficience scientifique ; l’homme purement prométhéen a voulu tout contrôler ce qui l’a mené aux catastrophes du stalinisme ou de l’hitlérisme. De nos jours, ces volontés de contrôle n’ont pas été abandonnées, elles ont muté sous une forme en apparence plus aimable. La notion de « dignité humaine » et des droits universels et arbitraires, n’engage aucun devoir en retour. Notre utopie contemporaine s’articule autour d’une foi totale dans le progrès qui permettrait l’accomplissement social de l’homme libre de tout et sans entraves, pour tous et par tous. Cela est bien entendu une foi athée et non démontrable in fine, Michel Houellebecq le décrit de façon tragi-comique dans son roman « L’extension du Domaine de la Lutte », en effet la compétition amoureuse est plus terrible qu’elle ne l’a jamais été, certains n’ont pas leur lot et les tensions augmentent dans une société libérale, en outre il est impossible de collectiviser l’amour, la lutte des classes amoureuses est donc perdue d’avance pour les timides et les sous-doués du contact humain.
Entendons bien que cette critique de la modernité ne peut ni ne doit être totale. Les profits objectifs de l’horizon prométhéen de la pensée européenne sont bien réels, que ce soit dans les domaines de la santé, de la haute-technologie ou de la conquête spatiale. Personne ne veut retourner à la marine à voile et aux lampes à huile pour reprendre le mot du général de Gaulle durant les événements de mai 1968. Cependant tous ces profits techniques ne doivent pas nous faire oublier notre âme, et le progrès pour les hommes doit s’accompagner d’une réflexion sur la place qu’ils occupent. Notre imaginaire historique et pragmatique ne doit pas nous occulter le rapport à la nature, aux vivants et aux morts, c’est à dire à notre filiation, aux raisons qui font que nous sommes ici sur cette terre. Nous serions de biens mauvais enfants, si nous dilapidions le patrimoine familial.
Ce n’est pas un retour de l’archaïque par réaction aux excès technocratiques que nous devons souhaiter, pas plus une réémergence de l’irrationalité pure qui ne serait qu’une faillite intellectuelle et spirituelle. S’opposer à l’arraisonnement de la nature et des hommes par l’homme, ne signifie pas vouloir liquider la rationalité mais plutôt rééquilibrer notre savoir-être collectif vers plus d’éléments d’identification commune, vers plus de poésie aussi, l’état dionysiaque précédant toujours l’état apollinien. De la même façon, l’Europe ne doit pas se confondre avec son cousin étatsunien, mais retrouver sa nature propre qui n’est pas la même, en refusant son eschatologie messianique qui signerait son arrêt de mort. L’objectif est de perpétuer le progrès, de ne pas le mettre en danger par la démesure philosophique qui l’accompagne. Il faut penser au pourquoi de l’énergie nucléaire tout autant qu’au comment.
Il ne s’agit pas d’un pur conservatisme, rétif à tout changement, ou à toute évolution vers la « modernité », mais d’une réflexion qui tend à tempérer le progrès par un peu plus de conservation. A se transformer sans forcer, sans exagérer, sans tomber dans une fuite en avant vers le post-humain, à ne pas oublier les hommes qui sommeillent en nous. L’homme contemporain est pour utiliser une expression triviale « la tête dans le guidon », il travaille, il n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’il « est », on ne le lui demande pas. Il ne convient donc pas de regarder dans le rétroviseur, ou de fantasmer une époque révolue, mais plutôt de se soucier de l’avenir en s’appuyant sur la mémoire de la civilisation qui est née sur les sols européens, et notamment en France.
La définition américaine de la patrie, création ex nihilo
Les Etats-Unis se sont bâtis avec l’apport de migrants déracinés, par choix pour la plupart, religieux ou matériel, par désespoir économique ou politique pour d’autres, et enfin par force pour ce qui concerne les esclaves et leurs descendants. Ces exilés ont quitté leur terre pour s’accomplir matériellement et atteindre au bonheur individuel (exception faite des esclaves africains), quand souvent ils ne le pouvaient pas dans leurs patries originelles, à l’instar d’Ayn Rand. Voici ce qu’en dit Alexis de Tocqueville dans « De la Démocratie en Amérique » : « Des hommes sacrifient à une opinion religieuse leurs amis, leur famille et leur patrie : on peut les croire absorbés dans la poursuite de ce bien intellectuel qu’ils sont venus acheter à si haut prix. On les voit cependant rechercher d’une ardeur presque égale les richesses matérielles et les jouissances morales, le ciel dans l’autre monde, et le bien être et la liberté dans celui-ci. ». Le fait est qu’on ne construit pas une nation sans avoir au préalable établi un mythe commun, une identité partagée. Afin de fédérer ces migrants devenus apatrides par choix ou par force, il a fallu construire des valeurs nouvelles qui seraient le ciment de l’identité étasunienne. Est venue au monde la première patrie constituée uniquement de déracinés, une fédération d’apatrides, fait inédit dans l’histoire des hommes. A lire ce qui précède, on s’imaginerait volontiers que l’Amérique était un continent inoccupé par l’homme. Tel n’était pourtant pas le cas. Des autochtones habitaient ces terres depuis fort longtemps, une multitude de patries nourries d’un imaginaire collectif principalement animiste. Ils ont été détruits, leurs cultures sont aujourd’hui quasiment disparues. Il s’agissait des indiens, Comanches, Iroquois et autres Sioux, auxquels on a nié une nature humaine puis on leur a interdit (ou presque) de se nommer, d’exister en leur être. Ca ne vous rappelle rien ?
La civilisation américaine est aujourd’hui la principale puissance mondiale (certes, le monde assiste à un retour de l’histoire et à une nouvelle multi-polarisation des puissances, mais qui exporte ainsi partout sa culture par le soft power en dehors des Etats-Unis ? Personne.), leur modèle est la référence, y compris et surtout chez nous, en Europe. Les deux mamelles mythiques de sa conception sont : les sectes protestantes et la liberté d’entreprendre. Le Nouveau Monde, un monde d’aventuriers à l’ambition démesurée animés par une foi absolue dans le progrès. Imaginer la création d’une patrie ex nihilo est tout de même un rêve extraordinaire, Prométhée lui-même n’y eut songé. Les pilgrims du Mayflower n’aimaient pas leur patrie européenne, ils voulaient une nouvelle patrie tirant sa source de la nôtre mais foncièrement différente et qui corresponde à leur idéologie. C’est à dire la foi en un homme nouveau, biblique mais rationnel, cherchant le salut sur terre et dans les cieux avant tout par la réussite financière. Non l’Europe n’est pas l’Amérique, ce n’est pas un continent dont la culture est la résultante d’une volonté, mais tout au contraire d’un enracinement de populations de très longue mémoire, qui remonte au fond des âges préhistoriques, aux luttes entre les nomades issus de l’âge paléolithique et les premiers sédentaires de l’âge néolithique. Nos mythes se confondent et s’entremêlent, sont des permanences entre les différentes périodes de notre histoire. Importer le modèle de l’homme nouveau en Europe, c’est faire des Européens, les indiens de demain.
La France et l’Europe contemporaines : des « a-patries »
Ce qui nous intéresse au premier chef est la situation contemporaine de la France et de sa civilisation commune aux autres européens, soit notre patrie. Menacée, sous respiration artificielle, elle ne survit que dans les restes épars de mémoire de ses habitants qui ont fait l’effort d’étudier cet héritage historique et spirituel, qui leur est refusé. Alain Finkielkraut parle d’ « identité malheureuse », dans son récent et lucide ouvrage ; il faudrait plutôt parler de multiples identités perdues. La génération Y – les petits enfants de la moitié hédoniste de mai 1968, virtuellement interconnectés H 24 et premiers jalons concrets de la reconfiguration du monde – est la première génération entièrement constituée d’apatrides ; ses membres n’ont rien ou presque en commun à partager, ni culturellement, ni ethniquement, ni idéologiquement, ils ne sont pas en mesure de fournir les mythes communs propres à faire jaillir une identité nouvelle sur laquelle bâtir une patrie ex nihilo. Rien ne se créé sur une terre infertile, une civilisation ne se bâtit pas avec Walt Disney et Mac Donald pour seuls absolus collectifs.
Une historicité ne se décrète pas, elle est le fruit d’une lente progression de la pensée. On peut parfois et sous certaines conditions « adopter » l’ami, le faire rentrer dans la patrie, pour cela il doit inconditionnellement s’inscrire dans la filiation collective. C’est un déchirement, une souffrance qui exige beaucoup, quitter sa famille pour en intégrer une nouvelle n’est jamais un acte banal. Voilà ce que provoque l’immigration massive à l’échelle historique du devenir des hommes, ce n’est pas un phénomène banal. Le déracinement est pénible à supporter pour le migrant, qui doit s’exiler de lui même et de sa terre, mais peut-on exiger de lui qu’il se dépouille totalement de ce qui constitue son être ? En retour, la patrie accueillante ne sait comment assimiler à son devenir collectif, celui à qui a été léguée une autre histoire. Rendre possible cet homme nouveau implique de désintégrer nos esprits, de déstructurer tous les héritages, toutes les patries.
S’interroger sur son histoire, par l’introspection, peut paraître aux yeux des esprits chagrins, comme un signe de décadence d’une société moribonde. C’est peu ou prou l’idée qu’a développé Emil Cioran dans son œuvre. Il n’a pas tort, mais tout espoir n’est pas perdu. Une société moribonde n’est pas morte, elle est malade, toujours en état de se rétablir. L’Europe a subi un extraordinaire changement de population en un peu plus de 50 ans, et particulièrement la France consécutivement au démantèlement de son empire colonial. Elle compte aujourd’hui des millions d’hommes issus de cultures extra-européennes. Cette immigration massive ne va pas sans conséquences douloureuses, notamment sur le plan identitaire, tant pour les arrivants et leurs descendants, que pour les autochtones. Il ne faut pas hésiter à formuler les problèmes brutalement et sans précautions oratoires, sous peine de déformer le réel par la pression des diktats sémantiques de l’Empire du Bien et de la « moraline » ambiante. Antonio Gramsci, communiste internationaliste, aurait argumenté simplement ; il aurait pu dire que ce projet le satisfaisait car il avait en horreur les patries, la civilisation occidentale n’ayant toujours été qu’un système de domination d’une classe sur les autres. Lui, aurait avoué très directement ne pas se satisfaire du legs laissé par nos pères. Son projet n’eut pas laissé d’ambiguïté, il eut été limpide, facile à décrypter. Nous aurions pu y répondre favorablement, ou non. Notre état de fait est plus hypocrite, car il assimile notre pays la France, à une nation universelle, de même que l’Europe dans son incarnation de l’Union Européenne n’admet pas d’identité collective historique, pour mieux – mal – inclure le migrant. Le migrant ne s’intègre donc pas dans une patrie, il s’inclut par addition à un ensemble d’individualités, car il n’y a plus vraiment de patrie en Europe. Il reforme alors sa patrie ici sans avoir le souci de s’assimiler à notre culture, dont personne ne fait la promotion.
Nul n’a été consulté, appelé à voter dans l’optique de cette reconstruction radicale des cultures et des histoires, jamais il n’y eu de référendum sur la question. Personne n’a même pris la peine d’essayer de rendre intelligibles ces visées, voire même de nous en informer. Pourtant nous savons d’instinct et très distinctement ce que nous sommes, seul le droit de nous nommer nous est ôté. Les mots manquent à nos maux. La transformation des hommes en l’homme universel, animal rationnel, n’a jamais été spontanée, produit d’un consensus populaire ; mais bien au contraire une action mécanique de longue haleine, notamment par l’éducation des enfants. L’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, en convenait récemment dans son ouvrage, « La révolution Française n’est pas terminée », en affirmant qu’il fallait que l’école arrache les enfants à tous les déterminismes sociaux, culturels, ethniques et religieux pour en faire des individus hors sol.
Le moraliste colombien Nicolas Gomez-Davila indiquait fort justement que « L’ennemi d’une civilisation n’est pas tant son adversaire externe, que son étiolement interne ». On entend parler ici ou là, d’ennemis de l’intérieur, de « nouvel ordre mondial », quand assurément la situation présente n’est que l’écoulement final de la pensée propre à la métaphysique christiano-européenne laïcisée, poussée dans ses retranchements. Selon le sophiste Gorgias, on peut dire que « rien n’existe », aujourd’hui nous nous auto-persuadons que nous n’avons jamais existé, que nous venons au monde ex nihilo, sans parents, sans patries. Les raisonnements et les compromissions nous font justifier ce qui est pourtant une évidence : l’instinct collectif. Nous sommes invités à oublier nos êtres pour devenir un tout, mais comment faire un tout d’individus qui ne partagent rien ?
Cet oubli de nous-mêmes permettrait d’inclure ces flux de peuples venus du sud et de l’est. La solution d’inviter l’ « autre » à rentrer dans le devenir historique que la France et l’Europe ont en partage, est effectivement l’une des possibilités offertes par les traditions historiques sur lesquelles se base notre civilisation. Le philosophe Isocrate le disait explicitement : « Qu’on appelle Grecs plutôt les gens qui participent de notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous ». Les grecs se voyaient, comme toutes les autres civilisations, intrinsèquement supérieurs, mais estimaient que certains pouvaient assimiler leur culture, par la maîtrise de leur langue, de leur philosophie, de leurs sciences. La France a aujourd’hui une ambition similaire. Mais ne nous y trompons pas, l’exigence des grecs était grande, l’on ne pouvait pas facilement être adopté par cette patrie, un tel cas restait une exception (en outre cette conception de la citoyenneté prônée par Isocrate n’était nullement majoritaire parmi tous les grecs, comme la plupart des peuples du monde ils pratiquaient très largement le droit du sang). Et surtout, les grecs n’ont jamais remis en question la notion de patrie telle que la décrivait Homère. La France, et l’Union Européenne, ont désormais une estime de leur civilisation supérieure encore à celle que les grecs ne s’en faisaient de la leur. Une telle arrogance est proche de l’inconscience : hybris du moderne ! En effet, nous pensons aujourd’hui, que sans examen spécifique préalable, nous pouvons faire de l’étranger un membre permanent de la Cité sans requérir de devoirs de sa part, cela étant aussi valable pour tous ses enfants à naître, et la descendance de sa descendance… Alors qu’au départ ce néo « enfant de la patrie » qui aura légué cet héritage à tous les autres, ne satisfaisait pas forcément aux conditions d’intégration propres à en faire un membre à part entièrement de nos patries européennes. Sûrs que nous sommes de la force de nos lois, sûrs que nous sommes que tout homme est semblable à un autre et qu’il ne sera nullement différent des natifs ; qui finalement n’existent pas, car tout homme est une patrie en propre et n’a à se reconnaître d’aucune filiation ou tradition spécifique. « Rien n’existe », tout est identique, par-delà le bien et le mal ils ne resteront que l’homo oeconomicus universel et son éthique de l’égoïsme (ou de l’autisme, c’est selon). Un homme qui se consumera à force de consommer et de se consommer.
L’Occident se sent prêt à dominer intégralement le monde, il ne lui reste qu’à gommer ces étrangetés, ces altérités qui pourraient venir contredire la pax economica. Alors il s’attache à faire de l’homme une variable d’ajustement ; à lui de se transformer, d’oublier ses pères pour pleinement entrer dans l’âge cybernétique, ce Prométhée, ce voleur de feu oubliera la poésie, le langage premier, il oubliera ce qu’il est. Le progrès a permis pour la première fois dans l’histoire, la domination quasi complète des hommes sur la nature, voici le règne de l’utile, de l’exploitable, y compris et surtout de l’homme par lui même. L’être s’efface et devient machine ; l’objectivisme, le moment où l’homme n’est plus rien d’autre qu’une pensée efficiente, oublieuse de son essence. Alors pourquoi se rappeler qu’il existe une patrie spirituelle et physique, elle n’est plus utile, elle est même un fardeau pour la croissance qui ne doit jamais s’interrompre. Un homme doit pouvoir être mobile, à lui il n’y a pas de terre plus douce qu’une autre, le monde est son terrain de jeu. C’est l’hyper-nomade que décrit Jacques Attali. Le petit migrant africain, le riche financier de la City, ne sont rien de plus que des lignes statistiques, des voyageurs qui s’installent dans des hôtels pour les plus riches et des campings bidonvilles pour les plus miséreux.
En opposition logique à ces phénomènes de déracinement et de suppression des imaginaires collectifs ethno-culturels, on assiste à ce que le sociologue Michel Maffesoli appelle « le réenchantement du monde », notion qu’il explicite dans l’ouvrage éponyme. Partant de la pensée de Martin Heidegger du « souci de l’être », l’universitaire précise la notion comme « non pas la recherche d’une substance précise : Dieu, l’Etat, l’institution, mais quelque chose de bien plus indéfini, à savoir une adhésion, quelque peu animale, à la vie dans toute son ambivalence, bon-heurs et mal-heurs mêlés », et conclut que le phénomène des bandes de jeunes et de l’atomisation du corps social en diverses tribus réunies par centre d’intérêts ethniques, culturels ou religieux est une réponse à la morale universellement applicable à tous, au calcul raisonné de la société technique et utilitaire. S’installent une pluralité d’esthétiques allant de concert avec une multitude d’éthiques tribales, conformément à l’adage qui veut que le beau détermine le bien, et non l’inverse. Ces micros tribus post modernes s’inscrivent pour partie en faux de l’éthique de l’égoïsme libéral-libertaire car elles s’appliquent à des collectifs, les hommes étant grégaires par nature. Elles contredisent pareillement les idéaux collectivistes en raison de leur caractère multiple.
Michel Maffesoli voit dans la réapparition de groupes fermés et indifférents à la morale dominante l’émergence d’une société de frères androgynes, un monde indifférencié où l’homme souffre d’une crise d’identité. Disons-le tout net, il a raison. Mais doit-on s’en réjouir ? Est-ce ainsi que les hommes pourront retrouver leur être et l’équilibre nécessaire entre leur part prométhéenne d’accomplissement matériel et leur impératif spirituel ? Non et non. Ce ne saurait être que temporaire, oui, les réseaux sociaux permettent par exemple la réapparition des « affinités électives », et l’éveil de consciences assoupies par le retour du groupe, et donc de « génies collectifs » dispersés ; mais, cela n’est qu’une réaction factice qui maintient en état de léthargie la possibilité d’une réappropriation des histoires permanentes par l’intermédiaire d’histoires évanescentes fonction des modes. Ces états de nos êtres, ces espaces d’autonomie, répondent à la logique marchande, ils sont une soupape de sécurité. Rien de plus.
La conjonction de l’universalisme du bien basé sur une morale immanente et rationnelle et de la souveraineté en propre de chaque homme sur lui-même, sans devoirs collectifs vis à vis de notre civilisation historique, a créé une Europe faite de tribus animées par des intérêts hédonistes et égoïstes. L’immigration massive complexifie grandement ce problème, voici la tribu de l’islam, la tribu des sub-Sahariens, la tribu des Chinois. Chacun soucieux de leurs êtres en propres et de leurs patries charnelles. S’ajoutent les tribus particulières fondées sur des affinités, certaines prêtent à sourire, tribu des pratiquants du sado-masochisme, tribu des sportifs extrêmes, d’autres réclament des droits spécifiques à leur minorité, tribu des homosexuels ou tribu des intersexuels. Ce que le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, appelait « le narcissisme des petites différences ». La seule « tribu » qui n’a pas droit de Cité est celle des autochtones, de ceux qui ont reçu le legs spirituel de leur terre, pour ce qui concerne la France ils s’appellent « français de souche », « français d’ascendance européenne »… Ils n’ont pas le droit de se nommer ou d’obtenir des droits spécifiques, ils ne sont rien, ils ne se représentent pas, et tout est fait pour qu’ils oublient leur histoire. Tout est fait pour les désarmer de tous leurs instincts, jusqu’au plus élémentaires d’entre eux : l’instinct de survie. Les français d’Europe n’appartenant pas à une micro tribu sont toujours majoritaires, mais pour combien de temps encore ?
En effet, leurs gouvernants suppriment méthodiquement la notion de patrie, on tente d’intégrer, d’assimiler, d’inclure des hommes venus d’autres patries, lesquels s’organisent en lobbies communautaires. Triple schizophrénie de notre état contemporain. Pour ce faire la pensée au pouvoir a décidé de dénier à notre être son existence, et explique dans un même mouvement aux nouvellement admis dans la citoyenneté qu’ils sont identiques dans leur différence. Prenons un exemple concret, un algérien qui se marie à une française deviendra légalement français par acquisition de la nationalité, il sera considéré comme un « enfant de la patrie ». Cette même patrie, cet attachement filial que partout on s’entête à vider de sa substance. Mais lui, saura très bien d’où il vient, qu’elles sont sa culture, sa patrie, ses origines. Il arrive avec la maison de son être, son bagage d’appartenance identitaire, et il y a fort à parier qu’il la transmettra à ses enfants. Tant sa religion que ses mythes fondateurs deviendront par la suite la propriété de sa parentèle, écartelée entre plusieurs identités, deux patries difficilement conciliables et l’absence de patrie qui filtre à travers la narration de la pensée unique. Ils n’auront pas pour eux une douce terre, un sillon à creuser lentement.
Le discours dominant contradictoire sur la fin des patries
Afin de remédier à cette situation délicate – pour ne pas dire explosive – les gouvernants de tous les pays d’Europe (et en particulier ceux de la France) ont décidé unilatéralement de séparer notre civilisation de sa substance, d’en faire une coquille vide à même d’assimiler en son sein tous les contraires. Le tout en préservant des patries fictives, qui ne transmettent plus rien hormis un ensemble de « valeurs humanistes » vide de sens – qui ne suscitent aucune adhésion sincère -, le tout chapeauté par l’Organisation des Nations Unies, oups pardon, l’Union Européenne. Fini le sacral pour l’Europe. Kaput, sacrifié sur l’autel de la raison.
La vie ne se résume pas à l’économie, un homme venu d’une culture fort différente de la nôtre ne peut pas s’agréger ainsi par le simple fait qu’il est un travailleur. Les maîtres du calcul objectif, qu’ils soient hauts fonctionnaires ou doctes professeurs d’économie, viennent avec leurs savants schémas nous expliquer qu’il faut une force de travail nouvelle, que ces arrivants consomment, « font marcher les affaires ». A leur suite, tel démographe nous explique que les flux migratoires sont irréversibles, que le continent européen ne fait plus d’enfants, que pour compenser cette baisse nous devons faire appel au surplus de naissances du tiers monde. Et puis nous aurions tout à nous faire pardonner, nous serions le mal ontologique en l’homme, nous devrions nous oublier. Tirer notre révérence, en silence et fléchissant la nuque faire place aux damnés de la terre éternels, les descendants de colonisés, pour reprendre le philosophe maoïste Alain Badiou. Problème, ceux-ci n’ont que faire de nos calculs, ils viennent ici mais n’ont pas oublié leurs patries, et après tout quel droit moral avons-nous de leur imposer d’oublier leurs ethnies, leurs cultures ?
Chacun a droit à sa patrie mentale, à croire en sa chair. Ils se doivent bien entendu de respecter nos us et coutumes, mais je comprends leurs sentiments contrastés. Il est difficile pour un Algérien, un Congolais ou un Chinois de s’identifier à l’Iliade et l’Odyssée, à la Chanson de Roland, ou à Jeanne d’Arc. Le roman de notre civilisation échappe à la plus grande part d’entre eux. Leurs relations à l’espace, au temps, aux femmes sont différentes des nôtres. Un principe souffrant toujours exception, l’on pourra toujours trouver un africain pleinement assimilé, amateur de philosophie grecque et à l’âme purement européenne. Une nationalité s’hérite par le sang, elle peut aussi se mériter par le sang versé au combat ou des faits exceptionnels, le simple fait de maîtriser une langue et d’avoir un emploi dans un pays ne pourra jamais faire d’une personne un citoyen à part entière, un national. La loi vient acter une fiction mentale. Si j’émigre au Japon, que j’y travaille et que je parle la langue, ça ne fera pas de moi un Japonais, aucunement, il me faudrait faire beaucoup plus, et au bout du compte peut être que mes enfants deviendraient pleinement Japonais au terme d’un long et difficile chemin. Il faut une communauté d’esprit pour unifier les éléments d’une patrie, ce n’est aucunement une doctrine « ethniciste ». C’est supposer que quand des différences existent, culturelles, ethniques ou religieuses, il faut pouvoir les surpasser et ceci est très complexe, n’est pas donné à tout le monde et nécessite un véritable effort à consentir par l’arrivant, de celui qui voudrait être intégré et pleinement assimilé à la patrie. D’autant plus que la structure de valeurs symboliques n’existe plus et qu’il y a une arrivée constante et importante de nouveaux migrants.
L’immigration intra-européenne, d’Italiens ou de Polonais, est incomparable à l’immigration extra-continentale. D’autres européens partagent l’essentiel avec les français, le fait religieux, l’ethnie, les mythes partagés, une conception de la vie cyclique basée sur le rythme des saisons, le grand corpus de la philosophie. Cet ensemble d’éléments d’identification a grandement facilité leur intégration, à tel point qu’aujourd’hui on ne peut les distinguer des autres français, et c’est bien normal car tout concourait – en dépit de particularités mineures – à leur pleine incorporation. Une foule d’italiens devant la Basilique Saint-Denis ne donnerait pas la même impression que le voisinage immédiat composé en grande majorité d’immigrés ou de leurs descendants non européens que l’on trouve à proximité de ce monument majeur de l’histoire de France, comme on peut le constater quotidiennement. Nos dirigeants devraient d’ailleurs s’astreindre à s’y rendre, le réel pourrait les frapper de plein fouet. La réalité de l’immigration n’est pas le fait d’avoir un japonais bien élevé et un riche marchand d’art allemand dans son quartier, ce que certains parmi nous, vivant dans une tour d’ivoire ne saisissent pas, ils nous dirigent bien souvent. Il faut comprendre, que certains pans entiers du territoire national, – lequel territoire est normalement l’héritage des enfants de la patrie, donc d’une filiation au long cours -, sont entièrement « dés-européanisés » ou pour parler plus simplement « défrancisés », c’est à dire sans plus un seul « français de souche », hors quelques pauvres hères qui n’ont pas les moyens de partir et sont livrés à l’abandon, devant s’assimiler sur leur propre sol à des cultures foncièrement différentes de la leur. Chaque année le seul territoire français connaît la pénétration de 200 à 250 000 extra européens, quand déjà des enfants d’immigrés de 4ème génération ne se sont absolument pas assimilés. Personne ne veut voir l’ampleur du phénomène qui est tout autant destructeur pour la France et les européens de France que pour ces arrivants déracinés. Le peuple ne peut pas lutter, il est tenu par toutes les raisons objectives évoquées plus haut, lesquelles raisons le tiennent prisonnier en dehors de son être.
Conclusion et prospective
La France et l’Europe sont au bord du précipice, prêtes à être enterrés dans le caveau des civilisations disparues. Afin d’imaginer un devenir qui ne soit pas synonyme de la fin de la transmission de notre histoire multimillénaire, nous devons faire le bilan critique des universalismes qui ont fait la preuve de leur échec à intégrer des populations antagonistes dans un même ensemble, et imaginer les conditions d’un ré-enracinement de tous dans la patrie qui convient. Ce ré-enracinement ne doit pas résulter de micros tribus concurrentielles, mais être le fait du peuple qui a reçu en héritage de ses pères la terre où est née notre civilisation.
Une personne humaine ne doit pas être prise isolément comme un tout séparé de toutes racines, mais au contraire doit s’envisager dans ses particularismes pour être intégrée à l’aventure collective des hommes. Notre civilisation n’a que peu de choix avant de sombrer dans les conflits ethniques et religieux ou le total oubli d’elle-même qui entrainerait sa mort.
En effet, le réel chaque jour nous rappelle les profondes divisions au sein des populations qui habitent les territoires français et européens. Des jeunes originaires de pays extra-européens ne se sentant pas français et encore moins européens, soucieux de retrouver leurs patries charnelles, s’engagent au djihad armé en Syrie, accompagnés d’européens autochtones perdus et convertis à l’Islam. Ils nous frappent sur notre propre sol, qui est aussi en partie le leur. Cette jeunesse en perte de repères nourrit le besoin impérieux de retrouver une partie de son être, elle le fait mal, de façon désordonnée et nihiliste. Les nations européennes ne sont plus que des fictions juridiques, elles n’incarnent plus des patries, elles n’ont plus à cœur la conservation et la transmission de leurs histoires. Pourquoi un descendant d’immigré d’une autre origine ethnique qu’européenne s’assimilerait à une nation qui n’a plus de patrie, qui est oublieuse de sa civilisation, qui ne représente rien si ce n’est le « bonheur matériel » et la « dignité humaine » ?
Avant tout, il faut arrêter l’hypocrisie et comprendre que nous sommes face à l’urgence, le plus grand trouble qu’ait connu notre continent dans son histoire et au moins désigner le problème identitaire comme il se doit : franchement. Les possibilités de sortie de l’impasse identitaire contemporaine ne sont pas nombreuses. Dans un monde en constante transformation, nous devons aussi proposer d’autres possibilités de transformation ou de re-transformation, en assumant le progrès mais en méditant le devenir de nos êtres à l’aune de la mémoire historique.
Gabriel Robin – Secrétaire général
Merci à un lecteur intelligent, habitant en Belgique, que je ne suis pas en droit de citer nommément. Je n’ai pas pu reprendre ses réflexions, mais elles contribueront à nourrir de futures publications.
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