Les accords d’Oslo et la division du mouvement national palestinien
Géographiquement, le mouvement national palestinien atteste de ses fractures : le Fatah est en Cisjordanie à la tête de l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP, représentante de l’État de Palestine créée par les accords d’Oslo du 13 décembre 1993 et qui a pour rôle l’administration des populations arabes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza), lorsque le Hamas gouverne la bande de Gaza depuis 2006. L’OLP, chancelante, ne sait plus défendre dans les conférences internationales encore organisées sur le sujet du conflit israélo-palestinien, le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Une division marquée sur la question des frontières de la Palestine
Les accords d’Oslo ont été à l’origine d’une Autorité Nationale Palestinienne capable d’accepter une solution à deux États, sur les frontières de la Palestine de 1967. Elle est ainsi prête à s’engager davantage dans la voie de la diplomatie, plutôt que celle des armes. La rapide constitution d’un « front du refus » (p. 43) aux accords d’Oslo et à l’ANP advint surtout à l’origine en opposition à cette solution à deux États, continuant à revendiquer les frontières de 1948. Pourtant, comme le souligne l’auteur, « les accords d’Oslo (…) n’expriment donc pas une coupure radicale dans le débat stratégique inter-palestinien » (p. 40) et ne font que poursuivre la démarche engagée - et déjà critiquée - par Yasser Arafat et l’OLP dès 1974 (p. 39). C’est le « charisme » (p. 44) du leader qui permet l’avènement de l’ANP, qui tient du « coup de force politique » (p. 44) qui profite du consensus international et de la personnalité de Yasser Arafat pour s’imposer malgré les critiques comme une entité nouvelle pour représenter la Palestine. Pourtant, les opposants sont nombreux - membres ou non de l’OLP -, qui dénonçaient déjà en 1991 et en 1992 « les décisions, unilatérales, du comité exécutif de l’OLP » (p. 46). De nouveaux groupes apparaissent, contrant l’OLP ; les islamistes du Hamas ou du Jihad islamique trouvent ainsi leur place dans le paysage politique. Deux modèles se dessinent. « Pour les uns, la reconnaissance d’un État palestinien conditionne la libération d’un territoire, et la diplomatie est une arme ; pour les autres, c’est la libération du territoire, au besoin par les armes, qui conditionne l’État » (p. 50). Devant cette fracture, la position du Fatah « qui se vit tout à la fois comme un mouvement de libération nationale et un parti de gouvernement » (p. 51) semble « confondue » (p. 55) avec l’ANP, sans définir clairement ses positions : si certains dirigeants du Fatah, de Mahmoud Abbas à Ahmad Qorei, dénoncent la violence de l’Intifada lancée en septembre 2000, d’autres y participent - avec l’accord de Yasser Arafat (p. 56). Dans ce chaos politique, la gauche palestinienne ne fait pas figure d’exception, et connaît elle aussi des divisions, notamment sur la solution territoriale (p. 63). La question d’un « État binational » selon laquelle cohabiteraient dans un même État deux nations est en revanche rarement posée dans les Territoires palestiniens, quelles que soient les organisations (p. 66). Le problème des Palestiniens de 1948, détenteurs de la nationalité israélienne, pose pour sa part la question du racisme et de la discrimination - des positions défendues principalement en interne, par les organisations représentatives des Palestiniens d’Israël.
Les années 1990 marquent dans l’ensemble du monde arabe l’affirmation du mouvement islamique sur l’échiquier politique (p. 72). En Palestine, « il a profité des accords d’Oslo en 1993 » (p. 72) et défend les frontières de 1948. Le Mouvement du Jihad Islamique palestinien (MJIP), créé en 1992, évacue selon Nicolas Dot-Pouillard la question de l’avenir de la Palestine : « il faut se concentrer, exclusivement, sur la construction d’un rapport de force global - y compris et surtout militaire - avec Israël » (p. 75). Ce mouvement du Jihad islamique est cependant également en désaccord sur de nombreux points avec le Hamas, l’autre principale formation islamique palestinienne. Le Hamas a en effet pour projet stratégique celui d’une « trêve » de long terme avec Israël, annoncée dès 1993 par son principal fondateur Ahmad Yacine (p. 79), sur les frontières de 1967. Selon l’auteur, « le Hamas, avec le concept de ‘trêve’, a intelligemment bouleversé les concepts : Israël pourrait potentiellement vivre en paix aux côtés des Palestiniens, qui n’en reconnaîtraient cependant pas la légitimité » (p. 80). Cette stratégie complexe à plusieurs vitesses permet par ailleurs de comprendre qu’une conception binaire des oppositions, entre des modérés favorables aux frontières de 1967 et des radicaux tenant à la Palestine de 1948, est erronée. L’auteur insiste sur l’idée que « Les Palestine de 1948 et de 1967 n’ont jamais cessé d’être enchevêtrées » (p. 81), ce qui explique la profondeur des clivages au sein même de chacune des trois voies politiques qui s’affirment en Palestine : le Fatah, les islamistes et la gauche, et à la difficile question de la représentation légitime des Palestiniens. Si l’ANP a « tous les apparats d’un État » (p. 86), elle n’est pas reconnue par la plupart des mouvements de gauches et islamiques. La question du rôle, affaibli, de l’OLP est également préoccupante : si l’organisation « est en charge des négociations israélo-palestiniennes, au contraire de l’Autorité » (p.89) et qu’elle conserve un rôle important en politique extérieure, elle ne représente plus véritablement l’ensemble des Palestiniens et de la diaspora (p. 90). Aujourd’hui difficile à réformer malgré des tentatives lancées dès 2005 (p. 96), elle s’est trouvée marginalisée non seulement par la création de l’ANP, mais aussi par la montée des courants islamiques (Hamas, MJIP) « qui en a affaibli l’aura » (p. 93).
Un pouvoir en mosaïque face au dilemme d’une « résistance nationale »
Nicolas Dot-Pouillard définit par ailleurs l’ANP comme un « lourd fardeau nécessaire » (p. 97), que se disputent les différents partis politiques : tous font campagne durant les législatives de 2006 (Hamas, Front populaire et démocratique (FDLP), ou la branche palestinienne du parti Baath syrien, la Saïqa), pourtant boycottée dix ans plus tôt en 1996. L’ANP confère en effet, surtout aux lendemains d’une Intifada essoufflée, une légitimité que convoite notamment le Hamas - après l’avoir longtemps déniée. Ces contradictions, qui placent le Hamas dans une situation difficile : « est-il possible de concilier une reconnaissance de facto de l’Autorité avec un refus obstiné des accords d’Oslo ? » questionne l’auteur (p. 101). De leurs côtés, le MJIP ou le FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) refusent d’entrer en conflit avec l’Autorité et de prendre parti pour l’un ou l’autre (Hamas ou Fatah), privilégiant un appel à l’unité nationale (p. 103). En mal permanent de légitimité, l’Autorité pourtant convoitée illustre l’ampleur de ces divisions internes qui font de la Palestine un « archipel » de souveraineté (p. 105). « Le défi pour le mouvement national palestinien est désormais de faire cohabiter de manière conflictuelle ces réalités : ANP, OLP, mouvements politiques aux idéologies concurrentes, souverainetés locales » (p. 111), mais aussi de dépasser les oppositions internes qui s’imposent au sujet des moyens d’une « résistance nationale ». Le Hamas et le Jihad islamique, qui défendent la continuation de la lutte armée, s’appuient sur l’« axe de la résistance » (Iran, Syrie, Hezbollah) lorsque le Fatah et l’OLP promeuvent la non-violence, et n’hésitent pas à discuter avec le Golfe et les États-Unis, même s’ils ménagent leurs relations avec Damas et Téhéran (p. 117).
L’« Intifada des couteaux » lancée en 2015 n’a pas été encadrée comme la seconde Intifada de 2000, par les organisations politiques. Il s’est agi d’actions organisées par les groupes militants locaux ; aucune action militaire n’est planifiée, l’heure n’est plus à la militarisation. Ainsi, « l’‘Intifada des couteaux’ est regardée de manière positive, mais aussi suspicieuse de la part des partis politiques palestiniens » (p. 134) : si elle marque un « renouveau générationnel du nationalisme palestinien » (ibid.), ses attaques spontanées sont difficiles à maîtriser. C’est davantage une « résistance populaire » (p. 135) pacifique et estimée par la communauté internationale que l’ANP serait prête à soutenir - une lutte regardée avec bienveillance par le Hamas ou le FPLP, mais qui n’est pas considérée comme une « alternative crédible » (p. 141) à la lutte armée.
Un mouvement national palestinien en pleine recomposition idéologique
Le conflit syrien a cependant abîmé l’« axe de résistance », le Hamas ayant annoncé un soutien à l’opposition à Bachar al-Assad qui l’a placé « aux antipodes » (p. 150) du Hezbollah libanais, intervenu aux côtés de l’armée syrienne. Le divorce n’a cependant pas lieu entre le Hezbollah, l’Iran et le Hamas, mutuellement dépendant (financièrement ou symboliquement). Le Fatah, quant à lui, « observe (…), non sans intelligence tactique, une conjoncture régionale dont les nouveaux contours semblent à peine se dessiner » (p. 156), préservant ses liens avec Damas, mais aussi avec l’Union européenne et les États-Unis, Téhéran et Moscou. Le mouvement national palestinien est brouillé par « des fils d’alliances et de stratégies (…) considérablement entremêlés » (p. 165). Lointaine est la popularité de la résistance palestinienne des années 1970, qui savait rassembler autour de discours socialisants et tiers-mondistes ; dans les années 1990, les mouvements islamistes reprennent et font leur la rhétorique de la gauche en conjuguant « dimension patriotique et dimension religieuse » (p. 170) comme défense nationale. Le Fatah n’est pas d’ailleurs lui-même un parti laïc : la référence islamique est une composante identitaire du peuple palestinien (p. 181) et est revendiquée dès les origines ; il apparaît cependant qu’entre les années 1990 et 2000, les liens avec la référence islamique se resserrent, pour « répondre à une demande populaire » et « démontrer aux islamistes que le terrain de la tradition et de l’orthodoxie est déjà occupé » (p. 183). Reste la gauche, affaiblie mais toujours active : le FPLP dispose toujours d’un « petit capital électoral » (p. 186) et a trois élus au Conseil législatif palestinien.
Les autres partis de gauche demeurent cependant plus en marge : les communistes du Parti du peuple se sont alliés au Front démocratique et à l’Union démocratique palestinienne (FIDA) pour les législatives de 2006 et n’obtiennent que deux sièges, à égalité avec l’Initiative nationale palestinienne de Moustafa Barghouti. Tous font le constat d’un échec du mouvement national palestinien dû à un manque d’unité (p. 187) : ils tentent en 2016 de faire, malgré leurs divergences idéologiques, liste commune aux municipales (annulées par l’Autorité). Encore bénéficiaire d’une certaine assise populaire, la gauche palestinienne pourrait, selon l’auteur, apparaître comme une « troisième voie », en regard d’un nationalisme arabe souterrain, renaissant avec la crise syrienne et matérialisée par la réapparition de la Saïqa, baathiste, en soutien au régime (p. 197). Un nationalisme islamisé, mais qui en un sens rassemble ; « le nationalisme, en ce sens, demeure le centre : c’est ‘l’idéologie implicite’ de tout mouvement national palestinien » (p. 202).
De toutes ces divisions, « qui ne sont pas seulement celles du pouvoir et du territoire » (p. 207) mais aussi celles des alliances régionales, se dessine une mosaïque éclatée. Mais le mouvement national palestinien n’est pas pour autant devenu, selon Nicolas Dot-Pouillard, « le symbole d’une division » (p. 210) : car chaque faction cherche toujours à lutter, et que finalement « lutter, c’est encore exister » (p. 207).
Nicolas Dot-Pouillard, La Mosaïque éclatée. Une histoire du mouvement national palestinien (1993-2016), Paris, Actes Sud/ Institut des études palestiniennes, 2016, 259 p.
http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/la-mosaique...
Les commentaires sont fermés.