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Toute sa vie, Denis de Rougemont (1906 – 1985) œuvra en faveur de l’unité européenne. Ce n’est guère étonnant, car ce citoyen suisse jugeait la Confédération helvétique comme un exemple de toute véritable construction continentale aboutie.
Ce fils de pasteur d’origine nobiliaire du canton de Neuchâtel, ancienne principauté prussienne, fut très tôt attiré par les livres, les revues et l’édition. Au début de la décennie 1930, il arrive à Paris et y rencontre un autre ardent fédéraliste, Alexandre Marc, et un duo de compères très révolutionnaires-conservateurs, Arnaud Dandieu et Robert Aron. Tous les quatre lancent la revue L’Ordre Nouveau qui va devenir l’un des titres majeurs du « non-conformisme des années 30 », selon l’expression aujourd’hui consacrée de Jean-Louis Loubet del Bayle et qu’Olivier Dard a ensuite intégré dans l’aile spiritualiste des « relèves des années 1930 ».
Anti-matérialiste, Denis de Rougemont le sera toujours. En contact épisodique avec les chefs de file de la « Jeune Droite », Jean de Fabrègue et Thierry Maulnier, il écrit aussi pour la revue Esprit d’Emmanuel Mounier. Ils sont d’ailleurs les premiers à parler de personnalisme. Cependant, Rougemont relie ce concept à une dimension plus ambitieuse, celle d’une Europe fédéraliste appliquant la subsidiarité intégrale. Il se détourne en tout cas de l’étatisme centralisateur républicain français dont il perçoit toute la malfaisance.
La terrible crise économique de 1929 le plonge dans une période de chômage. En 1935 – 1936, ce parfait germanophone devient lecteur à l’Université allemande de Francfort. Il y découvre les premières réalisations du national-socialisme et s’inquiète pour l’avenir immédiat de la paix en Europe. Il assimile bientôt l’hitlérisme à la variante germanique de l’esprit révolutionnaire français de 1793 et voit dans les SA des sans-culottes en chemise brune…
De retour en Suisse, il prône la résistance face aux intentions conquérantes de la nouvelle Allemagne. Mobilisé dans l’armée helvétique, son attitude lui vaut quelques déboires. Toutefois, dès l’été 1940, il traverse l’Atlantique, s’installe aux États-Unis et y rencontre d’autres Européens exilés. Ainsi retrouve-t-il en 1943 le comte Richard Coudenhove – Kalergi déjà vu en 1927. Denis de Rougemont entre aussi en relation avec certains cénacles fédéralistes pré-atlantistes d’Amérique du Nord.
Rentré en Europe dès 1946, il organise un an plus tard à Montreux en Suisse le 1er Congrès de l’Union européenne des fédéralistes. Un second congrès se tient à La Haye l’année suivante au cours duquel les tenants de l’économisme, Jean Monnet en tête, rompent avec les partisans de l’action culturelle prioritaire. Cette vive scission n’empêche pas Denis de Rougemont de créer le Centre européen de la culture et de militer au sein du Mouvement paneuropéen. Horrifié en août 1945 par les deux bombardements atomiques étatsuniens qu’il estime être l’apothéose du totalitarisme moderne, il soutient dès lors des positions pacifistes, régionalistes, fédéralistes et écologistes. Dans les années 1960 – 1970, aidé par l’intellectuel protestant français Jacques Ellul, il crée l’association Ecoropa.
Denis de Rougemont est surtout connu pour son essai de 1939, L’Amour et l’Occident, dans lequel il exalte l’amour courtois et y célèbre un fédéralisme sentimental et psychologique. Enfin, en homme engagé, il préside de 1950 à 1966 le Congrès pour la liberté de la culture. Cet organisme très anti-communiste bénéficie de larges subsides de la CIA…
Denis de Rougemont est par ailleurs indirectement à l’origine de la neutralisation des institutions de l’Union pseudo-européenne par l’idéologie hideuse des droits de l’homme. L’inutile Conseil de l’Europe et la grotesque Cour européenne des droits de l’homme, toujours en pointe dans le gendérisme, l’homoconjugalité, l’égalité sexuelle, le féminisme, le libéralisme culturel, le financiarisme et l’alignement atlantiste, sont aujourd’hui les manifestations les plus visibles de son action intellectuelle. Denis de Rougement insista sur l’appartenance historique, charnelle et géographique commune des peuples européens sans se douter un instant que son travail serait tronqué et détourné par les cosmopolites.
Georges Feltin-Tracol
• Chronique n° 12, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 5 décembre 2017 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.
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