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mardi, 19 novembre 2019

Du gaz de schiste plutôt que du gaz russe de Gazprom : la Pologne lie sa politique énergétique aux Etats-Unis

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Du gaz de schiste plutôt que du gaz russe de Gazprom : la Pologne lie sa politique énergétique aux Etats-Unis

Varsovie : la Pologne ne met apparemment aucune limite à son américanophilie bien affichée. Désormais, Varsovie veut se détacher, sur le plan énergétique, du consortium russe Gazprom et parie dorénavant sur le gaz liquide américain, plus cher et plus nocif pour l’environnement. Le consortium du pétrole et du gaz de l’Etat polonais, le PGNiG, vient de déclarer qu’il ne prolongera pas son accord sur l’importation du gaz naturel de Gazprom, accord qui avait été signé pour durer jusqu’à la fin de l’année 2022.  Plus encore, le Traité dit de Jamal ne sera pas renouvelé le 31 décembre 2022.

Selon les clauses de ce traité datant de 1996, les parties s’obligent à annoncer toute éventuelle prolongation ou non prolongation trois années avant le terme prévu pour toute résiliation, donc avant le 31 décembre 2019.

Les importations de gaz russe vers la Pologne avaient déjà diminué de 6,4% l’an passé pour se limiter à 9,04 milliards de m3. A la même époque, PGNiG a signé, il y a un an, un contrat avec l’entreprise américaine Cheniere Marketing, prévoyant la livraison de gaz de schiste pour une période de vingt-quatre années. Entre 2019 et 2022, la Pologne devrait recevoir quelque 0,52 million de tonnes de gaz liquide (ce qui revient à environ 0,7 milliard de m3 de gaz après re-gazéification). Dans la période allant de 2023 à 2042, le volume annuel du gaz liquide fourni monterait à 1,45 million de tonnes (soit 1,95 milliard de m3).

Auparavant, le consortium polonais avait déjà signé un accord avec la firme américaine Venture Global LNG, selon lequel deux millions de tonnes de gaz liquide (2,7 milliards de m3 après re-gazéification) devraient être livrées chaque année pendant une période de 20 ans à la Pologne (mü).

Article issu de http://www.zuerst.de )

Les États-Unis préparent une autre Révolution de Couleur en Géorgie pour l’année prochaine

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Les États-Unis préparent une autre Révolution de Couleur en Géorgie pour l’année prochaine

Ex: https://www.mondialisation.ca
 

L’ex-République Soviétique de Géorgie risque d’être victime d’une autre Révolution de Couleur soutenue par les États-Unis si le nouveau parti politique du banquier Mamuka Khazaradze parvient, d’ici les élections législatives de l’année prochaine, à obtenir un soutien suffisant pour renverser le parti au pouvoir, le Rêve Géorgien, devenu selon Washington beaucoup trop pragmatique envers Moscou. Un évènement qui pourrait avoir des implications énormes non seulement pour la Russie, mais également pour ses partenaires chinois et turcs.

Le port de la discorde

Le banquier géorgien Mamuka Khazaradze, co-fondateur de la plus grande banque universelle du pays et à l’origine du projet du port d’Anaklia, s’est récemment disputé avec le gouvernement après avoir été accusé de blanchiment d’argent et a donc décidé de former son propre parti politique appelé « Lelo » dans le but de renverser ses opposants lors des prochaines élections parlementaires. Ce ne serait pas en soi un événement digne d’une attention internationale s’il n’y avait le fait que l’ambassade des États-Unis en Géorgie lui a manifesté son soutien après que les accusations aient été portées et a réitéré qu’elle continuerait également de soutenir son projet du port d’Anaklia. À propos de cet investissement, il est prévu comme le plus important de l’histoire du pays et prévoit la création d’un port en eau profonde pour faciliter le commerce sino-européen. C’est une idée intéressante en principe qui était auparavant appuyée par le gouvernement, mais les autorités ont rechigné à répondre aux demandes de créanciers internationaux potentiels qui leur demandaient de garantir les centaines de millions de dollars de prêts qui seraient nécessaires à sa réalisation.

L’argument contre Anaklia

C’est une position suffisamment raisonnable pour que l’État l’adopte, compte tenu des risques que comporte le projet du port d’Anaklia. D’un côté, on peut faire valoir qu’il y a certainement une demande de transport maritime à travers la Mer Noire le long des nombreuses Nouvelles Routes de la Soie de la Chine, mais de l’autre, on peut aussi avancer que les coûts dépassent de loin les recettes prévues si l’on considère que la République Populaire prévoit également d’utiliser la route maritime de la Route de la Soie Arctique, le pont terrestre eurasien, le Corridor Central et les routes maritimes traditionnelles des Océans Pacifique-Afro-Asiatique (« Indien ») et de la Mer Méditerranée, car il est peu probable qu’elle en vienne à dépendre suffisamment d’Anaklia pour justifier ce projet massif. Il est vrai que sa Banque Asiatique d’Investissement dans l’Infrastructure (AIIB) est l’un des bailleurs de fonds, mais c’est plus par intérêt financier que pour des raisons trop stratégiques. Le modus operandi de la Chine est de toujours avoir accès à autant de corridors commerciaux que possible afin d’éviter de dépendre d’un corridor donné, il n’est donc pas surprenant qu’elle ait le capital disponible pour financer un autre corridor.

Le problème, cependant, est que les États-Unis s’intéressent également au port d’Anaklia et ont l’intention d’en faire une alternative potentielle au pont terrestre eurasien et au Corridor Central, le premier passant par le Kazakhstan, la Russie et la Biélorussie, le deuxième par l’Asie Centrale et le Caucase, par la Mer Caspienne puis la Turquie pour rejoindre l’UE. Du point de vue logistique, il s’agit déjà d’un noeud d’étranglement possible pour le chargement et le déchargement des marchandises dans les ports de la Mer Caspienne, il n’est donc pas très efficace de répéter ce processus à Anaklia lorsque les marchandises transitant par l’Azerbaïdjan peuvent simplement continuer sur la nouvelle ligne ferroviaire Bakou-Tbilissi-Kars sur la route de l’UE. Il en va de même pour ce qu’il s’agit du pont terrestre eurasien unimodal relativement plus économique en termes de coûts et de temps que la Russie facilite grâce à ses travaux en cours sur la Meridian Highway qui réduira le temps de déplacement dans le pays. En tant que tel, il est tout à fait compréhensible que l’État ne veuille pas soutenir ce projet risqué, même si c’est ce désaccord entre le parti au pouvoir et Khazaradze que les États-Unis exploitent.

Les récits US d’Infowar

L’insinuation d’influence US dont nous parlons réside ici : le fondateur du parti au pouvoir, le Rêve Géorgien, et l’actuel leader de facto du pays, Bidzina Ivanishvili, est beaucoup trop pragmatique envers Moscou. Le refus du gouvernement de souscrire aux prêts internationaux du projet du port d’Anaklia est considéré comme une prétendue « preuve » qu’il « fait le jeu de la Russie » en « sabotant » un projet qui pourrait concurrencer son port voisin de Novorossiysk et la couper de la connexion transcontinentale de la Route de la Soie en Chine. Ces récits de guerre de l’information naissants sont tout à fait trompeurs car ils détournent l’attention du fait que le port d’Anaklia est au mieux d’une viabilité économique douteuse et n’est probablement qu’un moyen « patriotique » pour Khazaradze de s’enrichir encore plus en un clin d’œil et un signe de tête de ses partenaires US au détriment du reste de la population. Si le gouvernement lui donnait ce qu’il voulait, les contribuables auraient probablement à payer pour le projet s’il ne se déroulait pas comme prévu.

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Du port « stratégique » au piège à dettes de la Révolution de Couleur

Ce scénario nécessiterait en fin de compte une réduction des dépenses sociales pour compenser ses engagements financiers internationaux et peut-être même demander des prêts à la Banque Mondiale et à d’autres institutions soutenues par les États-Unis si elle n’en avait pas les moyens, aggravant encore la crise économique imminente que les États-Unis pourraient plus tard exploiter avec facilité par une révolution de couleur pour changer de régime. Il n’y a pas de scénario réaliste selon lequel le port d’Anaklia remplacerait le pont terrestre eurasiatique russe ou le Corridor Central, et encore moins un scénario dans lequel ce projet serait suffisamment rentable pour que le peuple géorgien justifie que son gouvernement garantisse les prêts que Khazardze recherche, mais Washington veut que Tbilissi s’y engage à cause de son optique prétendument anti-russe et turque, ainsi que de l’intention des États-Unis de voir la Géorgie piégée dans la dette et faciliter le prochain scénario de changement de régime par des moyens « électoraux » ou par une révolution de couleur en plan de secours. Pour en revenir au présent, on peut donc conclure que le projet du port d’Anaklia est un différend économique interne qui a depuis été exploité à l’étranger par les États-Unis à des fins politiques et stratégiques.

Le nouveau parti politique de Khazardze entre en jeu parce qu’il pourrait fonctionner à la fois comme la faction la plus radicale de l’opposition hyper-nationaliste (qui pourrait mener des émeutes anti-russes à l’avenir comme celles qui ont éclaté cet été) et comme le coin qui divise les deux principales forces politiques du pays et crée ainsi une opportunité pour devenir le faiseur de roi post-électoral dont le parti dirigeant pourrait être forcé de dépendre et faire ainsi des concessions si les élections parlementaires de l’année prochaine ne remportent pas une majorité convaincante. Les États-Unis sont fermement contre Ivanishvili parce qu’ils le considèrent comme « trop amical » avec la Russie, ce qui incite les néoconservateurs de « l’État Profond » US qui ont une haine pathologique découlant de leur rivalité de l’Ancienne Guerre froide et sont convaincus de la théorie du complot russe selon laquelle le Président Poutine contrôle Trump à ce jour. Il est intéressant de noter que les élections législatives doivent avoir lieu d’ici octobre 2020, mais quelle que soit le moment où elles aient lieu, elles se tiendront quand même au cours d’une année électorale décisive pour les États-Unis et pourraient ainsi créer une crise internationale fabriquée par un « État Profond » pour pousser Trump à adopter une ligne plus dure envers la Russie.

Réflexions finales

La Géorgie est un pays peu réfléchi qui a une importance stratégique démesurée pour la Russie, la Chine, la Turquie et les États-Unis. La Russie a intérêt de maintenir des relations pragmatiques avec l’État contre lequel il a mené une guerre défensive en 2008, après que ses dirigeants de l’époque aient tué des soldats de la paix et des civils russes dans une attaque nocturne non provoquée contre ses deux régions autonomes à l’époque, tandis que la Chine et la Turquie considèrent le Caucase comme une région de transit crucial pour faciliter leur commerce sur la Route de la Soie. Les États-Unis, cependant, se rendent compte qu’ils pourraient jeter la Géorgie dans le chaos relativement facilement afin de nuire aux intérêts de ses trois rivaux susmentionnés en compromettant la sécurité physique de la Russie par une crise à sa frontière sud et l’émergence possible d’un gouvernement hyper-nationaliste, sur le modèle de l’Ukraine post-Maidan, tout en jetant un obstacle au beau milieu du Corridor Central de la Chine en interrompant potentiellement le commerce dans le Caucase. Dans l’ensemble, cela signifie que le résultat de la crise politique latente en Géorgie provoquée par les États-Unis pourrait avoir un impact disproportionné sur la stabilité eurasienne, et c’est pourquoi les observateurs devraient continuer de suivre de près l’évolution de la situation dans ce pays au cours de l’année à venir en vue des prochaines élections.

Andrew Korybko

Article original en anglais :

Georgia: Is the US Preparing Another Color Revolution?

Traduit par Réseau International

Propagande, le mot et la chose

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Propagande, le mot et la chose

par François-Bernard Hiuyghe

Ex: http://www.huyghe.fr

La propagande est une forme d'action sur le cerveau d'autrui définie et décryptée depuis longtemps, mais l'emploi du mot même se fait de plus en plus rare. Serait-elle remplacée par des méthodes plus subtiles ?

Originellement, le latin, propaganda signifie «devant être propagées» et se réfère à des vérités de la foi. Le mot se retrouve dans la langue médiévale. Au XII° siècle, le dominicain Humbert de Romans écrit un Manuel de propagande des croisades, méthode censée inciter le lecteur à aller guerroyer en Terre Sainte. La notion prend tout son poids lorsque le pape Grégoire XV institue une la Congregatio de Propaganda Fide le 22 Juin 1622. Elle répandra la religion dans les contrées mal évangélisées en usant des moyens rhétoriques ou psychologiques les plus propres à impressionner ceux qui n’ont pas encore reçu la bonne nouvelle évangélique.

PREMIERS DISPOSITIFS

Le premier appareil de propagande est donc une congrégation de cardinaux commandant des armées de missionnaires au service d’un message doctrinal, le tout formant un véritable dispositif : organisation, relais et arguments.

Dans les dictionnaires français, « propagande » apparaît vers 1790 avec des associations laïques cette fois, voire révolutionnaires qui se consacrent à la diffusion de certaines opinions. Puis le sens du mot glisse de l’acteur à l’action : la propagande, ce sera désormais l’ensemble des méthodes visant à répandre certaines idées auprès du peuple. Des bureaux de propagande se proposent de diffuser la Raison et la Liberté en lieu et place de la Foi et du Dogme.

Encore une étape et nous retrouvons le mot propagande dans le vocabulaire des partis ouvriers, : faire de la propagande, c’est faire partager l’idée socialiste aux masses, les éduquer à la lutte des classes. Par la parole, par l’écrit, par l’organisation, mais aussi ajoutent certains anarchistes, par l’action. « Propagande par l’action », ou encore « action directe » vont vite devenir synonymes de terrorisme, ou du moins d’une stratégie de rupture visant à exacerber les conflits sociaux

S’il fallait assigner une date de naissance à la propagande dans son sens moderne, - celui d’une forme de communication politique destinée à agir sur les masses- nous dirions qu’il est popularisé au début du XX° siècle dans un double contexte : partis de masse et massacres de masses (avec en arrière-plan des mass media pour faciliter les deux).

Pendant la première guerre mondiale, les belligérants pratiquent tous la propagande : ils créent même des bureaux pour cela. Ils sont chargés de censurer les mauvaises nouvelles et de présenter les bonnes, de convaincre le front, l’arrière, voire d’inciter l’opinion internationale à soutenir la juste guerre de la patrie.

L'entre-deux guerres voit éclore des ministères de la Propagande En URSS, l'existence d'un Département pour l'agitation et la propagande, organe des Comités centraux et régionaux du parti communiste soviétique (Dotdel agitatsii i propagandy) ne choque personne ; il est vrai qu’en russe, propagande signifierait simplement diffusion d’idées.

Mais propagande se veut aussi un concept scientifique : les laboratoires, surtout outre-Atlantique, étudient les méthodes de persuasion directe ou via les médias. Les uns pour en préserver les citoyens, les autres pour exploiter cette nouvelle rhétorique qui passe aussi par l’image, dans le cadre de la publicité ou pour améliorer les grandes campagnes d'opinion. Si les partis communistes, fascistes et nationaux-socialistes pratiquent ouvertement la propagande, le mot répugne aux libéraux.

ÉVITER LE MOT QUI CHAGRINE

Depuis au moins la chute du Mur, le mot est devenu quasiment tabou : il évoque une vision à la fois idéologisée et conflictuelle de la politique. Les politiciens modernes, surtout libéraux, se réfèrent plutôt à la communication, à la proximité, à la participation, à la transparence… La plupart du temps, le « communicant » se contente de dire qu’il informe ou qu’il pratique les relations publiques, simple mise en valeur d’un homme ou d’une cause.
 

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Le double impératif de la force des choses (les lois du marché, les contraintes de la modernisation, les impératifs d’une politique moderne, la fin des dogmes…) et de la « proximité » (être réactifs, proches des gens, à l’écoute…) incite à abandonner cette vieillerie que serait la propagande. En paroles au moins…

Car le terme est concurrencé à la fois par des concepts proches et par quelques périphrases un peu compliquées.

L’administration U.S. se montre particulièrement inventive pour désigner par euphémisme ce que les «good guys» devaient faire pour contrer la propagande des « bad guys ». Elle a baptisé les agences ou institutions vouées à la diffusion de la bonne parole de noms étranges, et les spécialistes du Pentagone remplissent des dictionnaires entiers d’acronymes.

Dans la pratique, on s’aperçoit vite que cette logomachie (Office of Strategic Influence, Psyop, Office of Global Communication, Under Secretary of State for Public Affairs and Public Diplomacy, Strategic Communications. Information Operation Task Force.) renvoie à des activités qui répondent bien à la définition officielle de la propagande par l’Otan : « Toutes les informations, idées, doctrines, appels, communiqués pour influencer l’opinion, les émotions, les attitudes ou le comportement de tout groupe particulier dans le but d’obtenir un bénéfice direct ou indirect. »
On retrouve notamment diverses combinaisons de termes suivants :

o psychologique (guerre psychologique ou opérations ou actions psychologiques, psychological warfare…) incluant des offensives destinées à affaiblir des groupes ennemis.
o déception : toutes les formes de tromperies réservées à l’adversaire
o influence (p.e . influence stratégique comme dans Office of Strategic Influence )
o perception (management de…, guerre de la…)
o diplomatie publique (qui contrairement à la diplomatie « classique » s’adresserait directement aux peuples)
o soft power (pouvoir « doux » d’attraction ou de séduction des valeurs américaines)

Cette phraséologie repose pourtant sur des notions simples :

o Il s’agit dans tous les cas de fournir, de diffuser, de sélectionner, des «informations» pour des publics (en anglais « audiences »)

o Ces informations, données ou indicateurs suscitent, ou renforcent des raisonnements, sentiments ou attitudes chez leurs destinataires

o Le but recherché est soit que ces publics soutiennent la réalisation de certains objectifs des USA, soit deviennent «favorables» aux intérêts américains (directement s’ils sympathisent, indirectement et a contrario s’il s’agit d’adversaires paralysés, démoralisés ou poussés à la faute). On notera que la jurisprudence US distingue bien le mensonge d’État condamnable s’il s’adresse à des citoyens américains des actions d’intoxication, leurre, déception, désinformation et autres, acceptables si elles s’adressent à des publics étrangers et même si elles supposent le recours au mensonge.
 

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Pour le dire autrement, cet ensemble englobe deux types d'action ; les premières ressortent à la bonne vieille guerre psychologique, telle que la pratiquait l'armée française dans les années 60, ordinateurs en moins : se concilier les populations, affaiblir ou diviser l'adversaire. Quant aux secondes, il s'agit de glorifier l'Amérique, ou du moins de «faire entendre sa voix» pour en exalter le modèle.

Tout cela fonctionne suivant un schéma simpliste stimulus réponse : de « bonnes » informations engendrent des bonnes pensées ou sentiments d’où de bons résultats. Surtout, elles peuvent couvrir à peu près n’importe quelle sorte de communication.

AUTOUR DE LA PROPAGANDE

Mais la question des mots laisse intacte celle de la chose.

Or le mot de propagande en évoque plusieurs autres, qui forment autant de domaines adjacents souvent évoqués sur ce site :

O La désinformation. Celle-ci porte par définition sur un fait faux, fabriqué, mis en scène ou du moins très déformé et se présente toujours comme neutre (passant souvent par l’intermédiaire d’un tiers, par exemple un média réputé objectif, pour que les destinataires ne puissent pas comprendre la finalité de la manœuvre). Autre caractère qui différence la désinformation : elle est presque toujours négative et vise à diaboliser ou décrédibiliser un adversaire. Faire une belle affiche, disant « votez pour moi », c’est de la propagande. Répandre dans les rédactions des rumeurs et calomnies sur l’intégrité ou le passé politique de son adversaire, c’est de la désinformation. Le Cuirassé Potemkine est un film de propagande soviétique, les mises en scène par lesquelles Staline a tenté d’accréditer l’idée que le massacre de Katyn en Pologne avait été perpétré par la Wehrmacht, non par l’Armée Rouge, offrent un parfait exemple de désinformation. Comme on s’en doute, cette distinction, claire sur le papier, l’est beaucoup moins dans la pratique. Car dans la vie quotidienne, nous sommes surtout confrontés à la mésinformation.

O La mésinformation. La mésinformation est en principe non délibérée. Vérités partielles, événements ou images présentés hors de leur contexte, faux effets de symétrie entre deux opinions, balance inégale entre deux courants ou deux types de faits comparables… Les procédés sont multiples qui s’interposent entre la réalité et son reflet médiatique. S’ils résultent d’une simple déformation, idéologique ou autre, mais involontaire par les médias, il faudrait en principe parler de mésinformation, pas de désinformation ou de propagande, qui sont de vraies stratégies. Reste à savoir ce qui est volontaire…


o L’influence. Si la propagande fait partie des procédés d’influence, elle n’en couvre pas tout le champ. La seconde comporte aussi une action par l’image que l’on émet, par l'intermédiaire de réseaux que l’on mobilise et par toutes sortes de stratégies indirectes… La propagande peut être considérée comme l’équivalent politique ou idéologique de la publicité : votez pour moi, soutenez mon pays, je suis le meilleur... C’est un message qui ne cache pas sa source ni ses objectifs et qui est censé persuader directement et positivement. Le domaine de l’influence, en tant que stratégie indirecte, est forcément plus vaste : le lobbying, la désinformation, le formatage des esprits, l’action sur l’opinion à travers des ONG ou des personnalités prestigieuses, l’art de trouver des alliés pour soutenir votre point de vue... Cela dit, il y a des moments où les deux méthodes se recoupent. Par exemple, si vous créez une radio arabophone comme al Sawa, destinée d’abord à la population de l’Irak et qui se présente comme un média de distraction et d’information, donnant une image favorable des USA, c’est censé être une action d’influence. Néanmoins, pour les auditeurs hostiles qui savent qui finance ce média, cela apparaît comme de la propagande grossière qui déforme la réalité. La propagande apparaît comme la forme la plus visible, la plus naïve et la moins sophistiquée de l’influence.


o La publicité. A priori la distinction semble évidente. La publicité vend des choses, pas des idées. Elle promet d’avoir et ne commande pas de devenir. Elle incite à consommer, pas à faire des choix politiques, encore moins à mourir ou à tuer. Son action est orientée vers un but unique et limité (achetez ce produit) non vers la transformation profonde du destinataire ou de sa vision du monde. La publicité, même comparative, dit du bien de la marchandise, elle ne diabolise pas des gens, des idées, des partis, des nations…. Pourtant la frontière peut être poreuse dans les deux sens. D’une part, nombre de procédés de marketing politique ou des relations publiques, qui sont une forme ou un avatar de la propagande de papa, consistent à « vendre » un homme politique « comme une savonnette », suivant la formule consacrée. D’autre part, la publicité dans son ensemble promeut globalement des valeurs. Ce peut être explicite, notamment lorsqu’une pub tente de nous persuader qu’en consommant X nous faisons acte de militantisme écologique et contribuons à sauver la planète. Ce peut-être implicite : la pub véhicule un idéal, une image du bonheur ou de l’individu épanoui qui n’est pas neutre idéologiquement.

o La distinction entre culture et propagande n’est pas si évidente qu’il semblerait a priori. D’une part, la propagande même sous sa forme la plus grossière, cherche à s’approprier des valeurs culturelles supérieures. Son esthétique souvent kitsch est un hommage indirect aux pouvoirs supposés de l’art, comme ses références fréquentes à un passé mythifié ou à des autorités intellectuelles constituent un tribut à la mémoire et à la pensée des peuples. Mobiliser le monde de la culture pour sa cause, par exemple en expliquant que l’on est dans le camp des valeurs universelles, de l’Art, de la Pensée, etc.. – tandis que l’autre est un affreux barbare ennemi de toute liberté de l’Esprit – est une des plus vieilles recettes de la propagande. Mais, si nous considérons la chose dans l’autre sens, toute institution vouée à la transmission des valeurs, que ce soit l’École, le Musée ou une Église est aussi une machine à faire croire, à valoriser certaines représentations de la réalité, des courants d’idées, des principes éthiques ou politiques. La différence serait-elle que la propagande s’adresse à des citoyens lambda inconscients de ses effets, voire qui n’ont pas demandé à y être soumis ? alors que celui qui s’est mis en situation d’apprendre ou d’imiter sait qu’il est là pour être transformé (et pense-t-il amélioré) à un degré ou à un autre ?

o Si toute propagande est aussi la propagation d’une idéologie (des explications du monde entraînant un jugement de valeur et visant à une transformation ou une justification de la réalité), l'inverse est-il vrai ? Peut-on propager une idéologie – dont la vocation est précisément de se répandre contre d'autres visions du monde – sans faire de la propagande ? Un théoricien qui a écrit un in-octavo bourré de notes sera choqué de se voir comparer à un distributeur de tracts. Il a le sentiment d’argumenter non de séduire ou d. Est-ce si certain ?

o Enfin la propagande suppose la persuasion : le but est que des gens soient convaincus que.. (par exemple que c’est l’ennemi qui a déclenché la guerre, ou que le plan quinquennal a été dépassé) voire persuadés de faire… (voter, s’engager…). Pour autant la persuasion n’est qu’un des aspects de la propagande qui suppose d’autres modes d’orchestration, de diffusion des messages et d'incitation à l'engagement. Et toute persuasion n’est pas de la propagande : la persuasion par démonstration scientifique, ou encore celle qui intervient dans les relations interpersonnelles. Persuader quelqu’un de vous épouser, ce n’est pas de la propagande.

prop6.jpgAu total les définitions de la propagande suggèrent pourtant des conditions minimales :

O une foi et une volonté de la faire partager, ou au moins des principes politiques généraux : pour faire de la propagande, il faut avoir une cause et des idées. Pas de propagandiste sans conviction, réelle ou feinte.
O le pouvoir politique, celui de l’État ou d’un parti qui cherche à assurer un consensus ou celui de la faction qui cherche le conquérir
O des spécialistes de la persuasion qui pratiquent cet art en toute conscience
O des idées qui cherchent repreneurs et relais contre des résistances: elles doivent multiplier leurs disciples en situation de concurrence
O des moyens matériels de diffusion : des médias et des relais humains pour les faire passer
O le caractère unilatéral de la propagande, relation asymétrique entre un émetteur et un récepteur passif qui ne peut qu’adhérer ou refuser
O l’idée enfin que la propagande sert les intérêts du propagandiste n serait-ce qu’en lui faisant gagner des partisans.

Il semble plutôt exister une fonction propagande (remplie par des moyens matériels, humains et symboliques au service d’une intentionnalité) plutôt qu'une entité propagande. Cette fonction n'est pas la même
- dans une situation de compétition (ou, comme pour la publicité, divers «produits» idéologiques cherchent à conquérir le public en respectant peu ou prou des règles), - dans une situation de domination où toutes les ressources de la propagande servent à maintenir un ordre déjà accepté,
- -ou encore dans une configuration où la propagande doit conquérir, qu'il s'agisse de gagner des âmes ou de faire une révolution.

Resterait par ailleurs à savoir si cette fonction est remplie de même façon suivant les époques. Les différences sont profondes entre les propagandes de type totalitaire et celle qui se pratique en situation de compétition pluraliste. Cette évolution ne tient pas seulement au contraste entre un discours unique, appuyé sur la censure et sur le monopole de la parole d’une part et d’autre part un langage « plus modéré » ou « moins délirant » tenu par celui qui sait qu’il risque d’être contredit. L’ancienne propagande évoquait slogans, foules alignées parfois en uniformes, d’affiches montrant des héros aux mâchoires d’acier, doctrine officielle, appels à la lutte… Mobilisation en somme. Ce qui en tient place aujourd’hui fonctionne au sondage, au message personnalisé, à la séduction douce, aux images de candidats en chemise entourés de leur famille et de leur chien, aux réunions qui rassemblent tous les people pour un show en prime time. Elle se réfère à l’intimité et à la proximité, se vante de son pragmatisme et de sa modestie…

L’ancienne propagande tonitruait, la nouvelle susurre. L’ancienne voulait créer un homme nouveau, la nouvelle satisfaire un consommateur. La première faisait descendre sa révélation sur les masses, la seconde est « à l’écoute des courants d’opinion ». La première est « hard », la seconde « soft ».… Nous reviendrons ailleurs ce qu’un tel changement, symbolisé par l’apothéose des « spin doctors » et autres conseillers en communication, doit à l'évolution de nos systèmes politiques et ce qu’il doit à l’ère de la télévision et maintenant d’Internet.